Édition Héloïse d’Ormesson, 358 pages, octobre 2023

 

je propose ce livre dans les feuilles allemandes, même si l’auteure est australienne le sujet est bien l’Allemagne : la RDA

 

Dès que vous, mes tentatrices, mettrez un commentaire je mettrai un lien vers votre billet. Quel livre et quelle horreur ! ! Oui il faut lire ce livre même si, parfois, il faut prendre son courage à deux mains. On peut se consoler en se disant que cet horrible régime a été soutenu par plus de 75 % de la population. Mais avant de lire mon billet écoutez la voie de Charlie Weber qui lui est mort dans les geôles de la Stasi en 1980 :

Dans ce pays

Je me suis écœure de silence

Dans ce pays 

Je me suis égaré, perdu

Dans ce pays

Je me suis tapi pour voir

Le sort qui m’attendait

Dans ce pays

Je me suis retenu

De ne pas hurler

  • – Mais j’ai fini par hurler, si fort

Que ce pays m’a répondu

En gueulant avec la même laideur

Que les maison qu’il bâtit 

Dans ce pays

Seule ma tête dépasse

De terre, comme un défi

Mais elle se fera tondre un jour.

C’est alors, et enfin, que je ferai partie 

De ce pays.

 

Je ne connais pas les raisons qui ont poussé Anna Funder à enquêter sur la Stasi, mais son travail est remarquable et m’a sortie de ma torpeur sur ce sujet. Oui, je savais que la RDA était un état policier, et que la Stasi espionnait tout le monde, mais je n’avais aucune idée et sans doute ne voulais-je pas le savoir à quel point cela impactait la vie des habitants. Ma plus grande surprise a été de découvrir le nombre de gens qui ont travaillé pour la Stasi . Les raisons pour lesquelles autant de gens travaillaient pour ce service de police et d’espionnage sont à la fois incroyables et faciles à comprendre. Une partie des recrues de la Stasi travaillaient par conviction communiste  : rien ne leur semblait pire que le capitalisme de RFA, d’autres étaient tenues par la peur : la Stasi savait très bien exercer des chantages qui marchaient le plus souvent, et enfin d’autres se sentaient importants en connaissant de petits secrets que d’autres ne savaient pas !

L’auteure a d’abord découvert l’histoire de Myriam Weber la femme de Charlie, à 16 ans elle a essayé de fuir à l’ouest , et elle a été attrapée puis torturée. La torture la plus répandue était de priver de sommeil la personne pendant parfois plusieurs jours, il semble que personne ne résiste à cette torture. Elle est ensuite envoyée en prison pour dix huit mois. Elle a été totalement détruite moralement et c’est son mari Charlie Weber qui l’a aidée à se reconstruire. Mais lui aussi sera arrêté et il mourra en prison. C’est à partir de là qu’Anna Funder a voulu découvrir comment fonctionnait la Stasi et elle a eu l’idée de passer une petite annonce pour rencontrer des anciens de la Stasi. Et, elle en a rencontré qui n’ont pas hésité à lui expliquer comment ils recrutaient, comment ils espionnaient, comment ils tenaient les gens en leur pouvoir. Certains regrettent cette période où leur pays marchait droit et où la délinquance n’existait pas. Tous ont tourné la page et sont passé à autre chose, aucun n’exprime de regrets.
C’est une lecture éprouvante mais nécessaire, les rares personnes qui sont restée dignes dans ce pays l’ont payé très cher , mais comme le chanteur de rock dont le groupe a été dissous préfère ne pas avoir pu chanter pendant 17 ans plutôt que de s’être renié : quel courage !

C’est vraiment intéressant d’avoir à la fois le point de vue des victimes et celui des bourreaux qui se sentent d’autant moins coupables qu’ils ont tous trouvé des postes intéressants. En effet connaissant parfaitement les habitants de la RDA (et pour cause !) , ils ont pu servir d’intermédiaires entre les entreprise allemande de l’ancienne RFA qui cherchaient à recruter une main d’œuvre dans l’ancienne RDA. Vous serez peut-être surpris du nombre de passages que j’ai recopiés mais Luocine, me sert aussi à ne pas oublier les livres qui me marquent et dans ce cas j’essaie vraiment de tout retenir ou du moins de savoir où je peux retrouver ce que je veux expliquer.

 

Et donc merci à Keisha, Ingannmic, Sacha, et Eva

Extraits.

 

Début .

 J’ai la gueule de bois. Dans la gare bondée d’Alexander-Platz, je dirige mon corps comme un véhicule. Plusieurs fois je n’évalue pas bien ma largeur et heurte une poubelle ou une borne publicitaire. Demain les bleus se développeront sur ma peau, comme une photo à partir d’un négatif.

Des employés de bureau surchargés de travail !

 L’adjoint de Scheller, Uwe Schmidt, était aussi présent à notre entrevue. La première fonction d’Uwe en tant qu’adjoint, est de montrer que Sheller est assez important pour nécessiter un adjoint. Sa seconde fonction est de paraître toujours très occupé et bousculé, ce qui est nettement plus difficile puisqu’il n’a pratiquement rien à faire. Sceller et Uwe sont tous deux originaires de l’ouest.

Prison communiste .

 Deux gardes, des femmes l’y attendaient. C’était le baptême de bienvenue. 
 C’est le seul moment où elle a eu peur de mourir. L’eau de la baignoire était froide, une garde la tenait par les pieds, l’autre par les cheveux. Elles lui ont longuement tenu la tête sous l’eau, puis l’ont ressortie par les cheveux en l’insultant bruyamment. Et elles ont recommencé. Totalement impuissante, elle ne pouvait plus respirer. Elles l’ont remontée : « Petite merdeuse ! Saleté ! qu’une traîtresse et une salope. » Et l’ont replongée. En remontant, l’air qu’elle respirait était lourd d’injures. Elle a bien cru qu’elles allaient la tuer. 
 La voix de Myriam s’est tendue, elle est bouleversée et je n’ose plus la regarder. En la tabassant ces femmes lui ont peut-être causé des dégâts de irrémédiables.

Triste Ironie !

 On m’a montré un jour une liste de sujets de dissertation provenant de la Faculté de droit de la Stasi à Postdam. J’y ai trouvé de mémorables contributions à l’avancée de la connaissance universelle telle que : « Sur les causes probables de la pathologie psychologique du désir de commettre des infractions frontalières ». Il était impossible de se défendre contre l’ État, car les avocats de la défense et tous les juges travaillaient pour lui.

Location dans l’ex Berlin-Est et humour.

 Dans ces circonstances comment en vouloir à Julia d’avoir gardé les clefs et de revenir à sa vieille vie de temps en temps ? Je m’accommode de chaque disparition inattendue : le tapis de bain en caoutchouc, la machine à café et maintenant les caisses en plastique. Je m’habitue à une atmosphère de plus en plus épurée. J’ai tracé un chemin dépoussiéré sur le linot qui va de la cuisine au bureau et de la salle de bains au lit.
 Dans le hall d’entrée, en passant devant l’emplacement où était la bibliothèque, je n’ai plus qu’un seul sentiment : celui de baigner dans le lino. Le lino a envahi ma vie. Je peux en compter cinq types différents dans l’appartement et ils sont tous sans exception, marron. Certes, il y a des nuances : marron foncé dans le hall ; moucheté dans ma chambre  ; lino peut-être à l’origine d’une couleur différente dans l’autre chambre, mais qui a succombé au règlement intérieur ; marron beige dans la cuisine et, mon préféré, lino imitation parquet dans le séjour.

Nombre de délateurs.

 Après la chute du mur les médias allemands en qualifié l’Allemagne de l’Est « le plus étroitement surveillé de tous les temps ». La Stasi, sur la fin comptait 97 000 employés – plus qu’il n’en fallait pour surveiller un pays de dix-sept millions de personnes. Mais elle disposait aussi de plus de 173 000 indicateurs dissimulés dans la population. Sous le troisième Reich d’hiver, on estime qu’une personne sur 2000 était un agent de la Gestapo dans, l’URSS de Staline une sur 5830 était agent du KGB. En RDA une personne sur 63 était agent ou indicateur de la Stasi si l’on compte les indicateurs occasionnels certains estiment que la proportion peut atteindre une personne sur 6,5. Pour Miellé, tout dissident était un ennemi, et plus il rencontrait d’ennemis, plus il embauchant d’indicateurs et de personnel pour les mater.

En 1988, la Stasi avait prévu d’arrêter 85 939 habitants (Petit moment d’humour).

 On prévoyait aussi de distribuer à chaque prisonnier, lors de son arrestation une liste d’effets à emporter :
2p. de chaussettes
2 serviettes
2 mouchoirs
2 sous-vêtements 
1 lainage
1 brossé à dents et dentifrice 
1 kit de cirage
Femmes :
Prévoir en plus des serviettes hygiéniques
 Incarcérés sans savoir pourquoi ni pour combien de temps, les prisonniers avaient au moins la certitude d’avoir des chaussures cirées, les dents blanches et un slip propre.

Un membre de la Stasi qui espère le retour du communisme .

 » Le capitalisme pille la planète -ce trou dans la couche d’ozone, l’exploitation des forêts, la pollution- nous devons nous débarrasser de ce système social ! Sinon la race humaine n’a plus qu’une cinquantaine d’années devant elle. « 
 C’est tout un art, profondément politique, de s’emparer de l’actualité et d’en attribuer la responsabilité à vous-même ou à votre opposition, orientant constamment la réalité vers des conclusions complètement inappropriées. Le discours de mon interlocuteur illustre bien ce fait : le socialisme en tant qu’article de foi, continue à vivre dans les esprits et les cœurs, sans se soucier des épreuves douloureuses de l’histoire. Cet homme est déguisé en Allemand de l’Ouest pour mieux se fondre dans le monde où il vit, mais plus il parle, plus il est clair qu’il attend secret le second avènement du socialisme.

La réalité et la RDA.

 En RDA on exigeait des gens qui les acceptent tout un tas de fictions comme la réalité. Certaines de ces notions étaient fondamentales, par exemple l’idée que la nature humaine est un chantier que l’on peut sans cesse améliorer, par l’intermédiaire du communisme. D’autres fictions étaient plus spécifiques : les Allemands de l’Est n’était pas les Allemands responsables de l’Holocauste (même partiellement) ; la RDA était une démocratie pluraliste ; le socialisme était pacifique ; il n’y avait aucun ancien nazi dans le pays ; et, sous le socialisme la prostitution n’existait pas.
 Beaucoup de gens se retirèrent dans ce qu’on qualifia d' »immigration intérieure ». Ils protégèrent leur vie privée, secrète, pour essayer de préserver leur espace personnel face au pouvoir.

L’architecture communiste.

 D’ici à Vladivostok, voici la contribution du communisme à l’art de la construction : linoléum, ciment gris, amiante, béton préfabriqué et toujours et encore des couloirs interminables et des pièces polyvalentes. Et derrière chaque porte, tout était possible : interrogatoire, emprisonnement, examen, administration, abri nucléaire ou, dans ce cas précis propagande.

Dans ce livre on va d’horreur en horreur.

 

 J’ai lu quelques articles sur le décès de Pannach dernièrement. Il est mort d’un cancer très rare, tout comme Jürgen Fuchs et Rudolf Bahro deux écrivains dissidents. Tous les trois avaient été incarcérés dans les prisons de la Stasi à peu près au même moment. Quand des appareils d’irradiation furent retrouvés dans une de ces prisons le Bureau des dossiers de la Stasi se mis à enquêter sur l’éventuelle irradiation de dissidents. Ce qu’elle découvrit choqua un peuple pourtant habitué aux mauvaises nouvelles.
La Stasi avait irradié des personnes et des objets qu’elle voulait traquer. Elle avait mis au point toute une série d’objets radioactifs, comme par exemple des épingles irradiées qu’elle pouvait glisser dans des vêtements, des aimants radioactifs à placer sur les voitures ou des granulés radioactifs injectées dans les pneus. Elle avait produit des aérosols pour les officiers et de la Stasi : ils s’approchaient de certaines personnes dans la foule pour les pulvériser ou ils vaporisaient secrètement le sol de leur foyer pour que les suspects laissent des traces radioactives ou qu’ils aillent…..

Pourquoi devenait on indicateur ?

 « De quels avantages bénéficiaient les indicateurs ? »
je veux savoir combien ils étaient payés.
 » C’était dérisoire, en réalité admet Bock. Ils touchaient trois fois rien. Il devait se réunir avec leur contact toutes les semaines sans être rémunérés. Ils percevaient de temps en temps un peu d’argent en récompense, s’ils fournissaient une information spécifique. Et on leur offrait aussi parfois un cadeau d’anniversaire.
– Dans ce cas, pourquoi acceptaient-ils de le faire ?
– Eh bien certains par conviction. Mais dans la majorité des cas je pense qu’ils le faisaient pour avoir l’impression de devenir « quelqu’un » . Vous savez on passait une ou deux heures par semaine à les écouter en prenant des notes. Ça leur donnait un sentiment de supériorité.

 Le côté charnel des autres dictatures, comme en Amérique latine par exemple, on leur donne à mon avis quelque chose de plus chaleureux et de plus humain. On peut plus facilement comprendre l’attrait des valises débordant d’argent ou de drogue, des femmes, des armes ou du sang. Mais ces hommes gris et obéissants qui rencontraient des indicateurs sous payés toutes les semaines, me semble encore plus sinistres et bêtes. Visiblement l’acte de trahison fournit sa propre gratification : la petite satisfaction profondément humaine de savoir des choses que les autres ignorent, d’être supérieurs à eux … un peu ce que ressent la maîtresse d’un homme. Le régime se servait de cette psychologie comme d’un carburant.

 

 

 

 

 

Édition Noir sur Blanc, 229 pages, janvier 2024

Traduit du russe (Biélorusse) par Marina Skalova 

 

Que de dire de ce livre entre le roman et la biographie ? Qu’il est absolument insoutenable. Je pense que c’est la meilleure réponse que je puisse faire. L’écrivain Bliélorusse raconte la vi, plus ou moins fictionnelle, d’un personnage qui a existé (ou aurait pu exister) Piotr Nesterenko, qui est directeur du crématorium de Moscou. Il est arrêté en 1941 et accusé d’espionnage

À travers six interrogatoires, l’enquêteur de la Tcheka, le KGB de l’époque, essaie d’étayer la thèse du complot et veut faire de cet homme un espion. C’est alors l’occasion pour l’écrivain de mêler le passé aventureux de ce personnage avec tout ce que lui a appris son travail au crématorium. Pour être rapide disons qu’il sait que tout le monde, absolument tout le monde peut finir avec une balle dans la tête , il les a tous vous défiler dans son crématorium, les acteurs célèbres, les poètes, les généraux, les bourreaux d’hier assassinés par de nouveaux bourreaux qui ne sont à l’abri de rien !

Son passé est celui d’un noble russe pris dans la tourmente de la révolution. On découvre que l’armée blanche ne valait guère mieux que l’armée rouge. Les populations qui ont subi les deux ont vu défiler des assassins et ont perdu confiance dans les valeurs de l’humanité. Et ce qui restait d’illusions au personnage principal est parti en fumée dans son crématorium ?

Cette lecture est éprouvante, on passe d’une horreur à l’autre avec un ton faussement dégagé qui m’a été souvent insupportable, si je ne m’était pas engagée à lire ce livre pour en parler à la bibliothécaire de Dinard, j’aurais abandonné cette lecture. Cela ne veut pas dire que ce roman ne soit pas intéressant, mais il est très difficile à lire car nous devons passer à travers les cerveaux tortueux de l’enquêteur et de Piotr Nestrenko qui connaît son sort mais joue avec les nerfs de son tortionnaire et hélas les miens aussi. Comment la Russie peut devenir autre chose qu’une usine à horreurs ? Il ont vraiment tout imaginé et hélas Poutine n’est qu’un avatar des dirigeants de ce pays d’où rien de bon ne semble possible de venir !

Extraits

Début.

 La perquisition et l’arrestation ont lieu le 23 juin 1941. En six heures l’affaire est pliée. Un travail de routine, mais tout le monde est sur les nerfs. La guerre a été déclarée depuis à peine vingt-quatre heures. Tandis que la forte terrestre de Brest résiste à la déferlante inouïe de la machinerie nazie la capitale de l’Union Soviétique est touchée par une vague de disparitions secrètes.

Exemple de purges.

 Le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement cent onze mille quatre quatre-vingt-onze citoyens).

Réussite en URSS en 1941.

 À l’heure où ses pairs partent mourir en rangs serrés dans les boucheries à venir, cette souris grise tamponne assidûment une condamnation à mort après l’autre. L’enquêteur Perepelitsa vient d’être récompensé par un appartement à Moscou rue Gorki. Il ne s’est pas battu pour rien.

Des horreurs présentées comme banales.

 Certains rapportent qu’après les exécutions il organise des beuveries (ce qui est vrai), d’autres qu’il s’approprie quelquefois les vêtements des condamnés (ce qui l’ est aussi). Quoi qu’il en soit, je ne vois rien de répréhensible ni dans le premier ni dans le deuxième cas de figure. Même en Union Soviétique, chaque produit a un coût. Tout travail mérite salaire. Il faut bien comprendre que, d’une part, Vassili Mikhaïlovitch fait un travail pénible (parfois il doit fusiller plusieurs centaines de personnes en une nuit) et d’autre part …est-ce vraiment si grave qu’un imperméable ou, disons, un joli gilet vivent leur meilleure vie sur ses épaules ou celle de sa femme ? « Pourquoi faire toute une histoire pour les affaires des autres ? ».me dis-je parfois.
S’il faut se soucier de quelque chose, c’est plutôt de la pénurie qui règne dans notre pays. Si Blokhine pouvait acheter ses jolis vêtements dans les magasins, les soustrairait-il aux cadavres pour les offrir à sa femme ?

 


Édition Sonatine . Traduit de l’anglais par Julie Sybonie.

 

Ce roman d’anticipation décrit ce que les américains ont ressenti lors de l’épidémie de Covid gérée par Donald Trump . Il appelait le Covid, le virus-chinois et cela a engendré dans la population américaine un rejet vis à vis des Chinois ou des gens d’origine asiatique. Mais, au lieu de décrire cela avec précision, l’autrice part dans une fiction où les asiatiques sont accusés d’une crise économique sans précédent. Les habitants acceptent peu à peu les restrictions de leur liberté et ne se rendent pas compte qu’ils vivent dans une dictature. L’aspect le plus sordide de cette dictature, c’est le placement des enfants que l’on a retirés à leur familles jugées dissidentes. Tout est raconté du point de vue d’un enfant, Noah, que sa maman appelait Bird. Sa mère a brutalement disparu et son père n’en parle plus jamais. Noah deviendra l’ami d’une petite fille qui est justement une enfant déplacée et, peu à peu, il ouvre les yeux et décide de se mettre à la recherche de sa mère une poétesse qui est entrée en clandestinité.

Tout ce qui est décrit est une simple exagération fictionnelle de ce que les USA ont connu. Les camps pour asiatiques en tant de crise rappelle ce qui s’est passé, lors de la deuxième guerre mondiale pour les japonais sur le sol américain, les enfants déplacés rappelle les enfants des peuples indigènes au Canada et plus récemment les enfants de migrants mexicains que le gouvernement voulait séparer de leurs parents, enfin la méfiance vis à vis des asiatiques et en particulier des chinois, tout ce qui s’est passé au temps du covid. Et maintenant que les tensions s’exacerbent entre les USA et la Chine communiste, il est sans doute plus difficile d’être chinois aux USA.

Ce genre de roman, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé, autant j’aurais aimé un roman qui se passe aujourd’hui pour les minorités asiatiques autant en faire une science fiction me dérange, l’histoire pour les amateurs du genre doit être intéressante. Je ne sais pas pourquoi, les Américains adorent qu’on leur décrive des catastrophes pas encore arrivées, comme si ils n’en avaient pas assez avec celles qui existent vraiment !

 

Extraits

Début

 La lettre arrive un vendredi. L’enveloppe ouverte et refermée par un autocollant, bien sûr, comme toujours : « inspecté pour votre sécurité – PACT. »

 Un monde sans livres.

 Derrière cette table se dresse une bibliothèque vide. Bird n’y a jamais vu le moindre livre, mais elle est toujours là, fossile d’une époque révolue.
 Savez-vous leur avait expliqué leur professeur l’année précédente, que les livres en papier sont obsolètes dès l’instant où ils sortent de l’imprimerie ?

La disparition des livres.

 Oh non, dit-elle, on ne brûle pas les livres, chez nous. C’est l’Amérique, pas vrai ?
Elle le dévisage en haussant un sourcil. Sérieuse, ou ironique ? il n’arrive pas à le dire.
 On ne brûle pas nos livres, poursuit-elle. On les pilonne. Beaucoup plus civilisé, n’est-ce pas ? On en fait de la pulpe et on les recycle en papier toilette. Ça fait longtemps que ces livres ont servi à torcher les fesses de quelqu’un.

Le cœur du roman.

 Les économistes ne se mettraient jamais complètement d’accord sur les raisons de cette crise. Certains diraient que c’était malheureusement cyclique, que ces choses là revenaient périodiquement comme les cigales ou les épidémies. D’autres accuserait la spéculation, ou l’inflation, ou bien un manque de confiance des consommateurs … même si les raisons de ces raisons ne seraient jamais très claires. Avec le temps beaucoup ressortiraient de vieilles rivalités cherchant à qui faire porter le chapeau ; au bout de quelques années ils s’accorderaient pour désigner la Chine, ce perpétuel et menaçant péril jaune. Ils verraient sa main derrière chaque échec et fracture de la Crise.

Les enlèvements d’enfants .

Margaret écoutait. Et commençait à apprendre qu’il y avait rien de nouveau sous le soleil. Elle entendait parler des écoles dans lesquelles les enfants amérindiens étaient tondus et déshabillés, rebaptisée, rééduqués, puis renvoyés chez eux brisés et traumatisés ou jamais renvoyés du tout. Les enfants qui franchissaient les frontières dans les bras de leurs parents pour finir enfermés dans des entrepôts, seuls et terrorisés. De ceux qui allaient de famille d’accueil en famille d’accueil, ballottés comme des boules de flipper, au point que leurs propre parents perdaient parfois leur trace.
 

 


Édition Belfond. Traduit de l’anglais (Irlande par Jean-Luc Piningre

 

C’est ma troisième lecture de cet auteur irlandais, et si ce n’est pas mon préféré j’en ai, cependant, beaucoup aimé une grande partie. Cet auteur sait mieux que quiconque décrypter l’horreur de la tyrannie qu’elle soit soviétique ou américaine comme dans les saisons de la nuit, mais il est surtout, pour moi, l’auteur d’Apeirogon qui m’a tant bouleversée l’été dernier.

Dans ce roman Colum McCann va faire revivre Rudolph Noureev, il prend un partie pris intéressant. Ce sont tous les gens qui l’ont connu et côtoyé de près qui vont faire son portrait. Peu à peu, nous aurons une idée assez précise de son parcours et de sa vie. La partie que je trouve passionnante se passe Oufa dans l’Oural. Le premier chapitre est consacré à la guerre 39/45 et les ravages dans l’armée soviétique. Puis l’enfant grandit et il a la chance de rencontrer une danseuse exilée à Oufa avec son mari et originaire de Léningrad, elle reconnaîtra son talent exceptionnel. Cette danseuse fait partie des gens « relégués » c’est à dire qui ont été jugés mauvais soviétiques par Staline et les habitants d’Oufa le lui font bien sentir..

Son père est un homme rude et bon communiste, il souffrira de voir son fils devenir danseur. Le jour de sa mort alors que Rudolph Noureev est un danseur étoilé mondialement connu, son fils pensera que son père ne l’a jamais vu danser.
En 1961,(on connaît l’histoire) Noureev choisit de rester à Paris, sa famille et tous ceux qui l’ont connu sont alors soumis en Union Soviétique à des interrogatoires sans fin. Et ses parents seront obligés de le renier, même sa mère qui adorait son fils.

La deuxième partie du récit montre le danseur étoile dans sa vie de prince en occident. J’avoue que cela m’a beaucoup moins intéressée. C’est une suite de soirées avec au programme, sexe, alcool, drogues… Ce n’est vraiment pas ce que je préfère dans la vie.

Gorbatchev l’autorisera à venir 48 heures en Russie pour voir sa mère mourante, on ne sait pas si elle a pu le reconnaître.

Quelque soit la vie folle, que mène le danseur, il a toujours envers lui-même cette incroyable discipline qu’exige la danse classique pour devenir ce spectacle défiant la loi de la gravité. Je pense que pour bien aimer ce roman il faut s’y connaître, plus que moi, en danse classique.
Je conseille donc ce livre pour la partie soviétique et la description de l’exigence de la danse classique sinon j’ai eu beaucoup de mal avec l’aspect orgiaque de la vie du prince de la danse, surtout quand on sait qu’il y trouvera la mort car finalement Noureev sera emporté par le SIDA à 54 ans.

 

Citations

La guerre 39 45 côté soviétique .

 Dans les bâtiments éventrés à la périphérie des villes, ils trouvaient d’autres morts dans des ravages de sang. Ils voyaient leurs camarades pendus aux réverbères, décoration grotesque, la langue noircie par le gel. Lorsqu’ils coupaient les cordes, des poteaux gémissaient, se courbaient, et la lumière changeait d’empreinte au sol. Ils tentaient de capturer un Fritz, vivant, pour l’envoyer au NKVD. On lui trouerait les dents à la chignole, on l’attacherait au pieu dans les congères, ou on le laisserait simplement mourir de faim, dans un camp, comme on faisait chez les Chleuhs.

Mépris pour les relégués.

J’avais pour voisins, dans la chambre à côté, un vieux couple de Leningrad. Elle avait été danseuse, et lui venait d’une famille aisée – c’était des exilés, je les évitais. Seulement, un après-midi, cette femme a frappé à ma porte et m’a dit que les volontaires faisaient honneur au pays, pas étonnant qu’on gagne la guerre. Elle m’a demandé si elle pouvait aider. Je l’ai remercié en déclinant, nous avions bien assez de volontaires. J’ai menti, et elle parut embarrassée, mais qu’étais-je censé faire ? C’était après tout une indésirables. Elle a baissé les yeux. Le lendemain matin, j’ai trouvé quatre miches de pain devant ma porte : « S’il vous plaît donnez les aux soldats ». J’ai jeté ça aux oiseaux du square Lénine, tiens. pas question de frayer avec ces gens-là.

Homosexuels à Leningrad .

 Dehors, le soir, dans le square Ekaterina, dans la poussière antique de Leningrad, une fois la ville et les réverbères éteint, nous arrivions, épars, silencieux et furtifs, des différents quartiers pour longer les arbres alignés du côté du théâtre. En cas d’interpellation par la milice, nous avions nos papier, un motif de travail, l’insomnie, nos épouse, et nos enfants chez nous. Parfois des inconnus nous faisait signe, mais nous n’étions pas fous et disparaissions vite. Les voitures de la perspective Nevski nous prenaient dans leurs phares, oblitéraient nos ombres, et il nous semblait un instant que celles-ci partaient à l’interrogatoire. nous nous imaginions déjà sur le strapontin du panier à salade, puis dépêchés dans les camps, car nous étions des « goluboy », des « bleu clair » des pervers. Toute arrestation serait forcément rapide et brutale. Nous gardions chez nous, au cas où, un petit sac prêt, caché.

Cet auteur sait rendre l’émotion .

 Il y avait à l’intérieur une minuscule soucoupe de porcelaine, de la taille d’un le cendrier. Très fine, d’un bleu pâle, avec un décor bucolique sur le bord, de paysans et de chevaux de trait. Je fus d’abord déçue, c’était une petite chose légère, fragile, qui semblait sans aucun rapport avec l’un ou l’autre de mes parents.
Elle a cent ans, me dit-il. Elle appartenait à ton arrière grand-mère maternelle. Ta mère l’a récupérée à Pétersbourg, après la révolution lui dans la cave où elle était cachée. Il y avait de nombreuses autres pièces. Elle voulait garder ce service. 
Qu’est-ce qu’il est devenu ? 
Il s’est cassé au fil de nos voyages. 
C’est tout ce qu’il en reste ? 
Hochant la tête il dit misère luxure maladie jalousie espoir. 
Pardon ?
Il répéta la misère la luxure la maladie la jalousie l’espoir. Elle a survécu à tout ça.
 Je gardais dans mes mains le minuscule objet de porcelaine et me mis à pleurer jusqu’à ce que mon père déclare, souriant, qu’il était temps que je grandisse.

Un petit moment de danse.

 Pirouettes enchaînées. Il respire à l’aise, le corps sculpté par la musique, une épaule à la recherche de l’autre, orteil droit distingue genou gauche, stature, profondeur, forme, contrôle, la souplesse du poignet, la courbure du coude, l’inclinaison du cou, les notes qui fouillent dans ses artères, et il est soudain suspendu en l’air, pousse ses jambes au delà des mémoires gestuelles, un dernier développé des cuisses, prolongement de figure dansée galbe humain dénoué, il vole plus haut encore et le ciel le retient. 


Édition j’ai lu

Merci Sandrine tu avais raison ce livre m’a beaucoup plu.

Ce récit autobiographique est très intéressant et souvent très émouvant. Cette petite fille est arrivée en France à l’âge de cinq ans, ses parents communistes ont fui la répression des ayatollahs iraniens. En Iran, elle était une petite fille choyée par sa grand-mère et adorait ce pays aux multiples saveurs. Ses parents menaient une lutte dangereuse et l’utilisaient pour faire passer des tracts qui étaient synonymes de morts pour ceux qui les transportaient. Vous comprenez la moitié du titre, et la poupée ? Toujours ses parents : ils l’ont obligée à donner tous ses jouets aux enfants pauvres du quartier en espérant, ainsi, en faire une parfaite communiste se détachant de la propriété, ils n’ont réussi qu’à la rendre très malheureuse. En France, comme tous les exilés ses parents ne seront pas vraiment heureux et la petite non plus.

Il faut du temps pour s’adapter et ce que raconte très bien ce texte c’est la difficulté de vivre en abandonnant une culture sans jamais complètement adopter une autre. La narratrice souffre d’avoir perdu son Iran natal et elle souffre aussi de voir ce qu’on pays devient sous le joug des mollahs . Je me demande si elle reprend espoir avec les évènements actuels ou si, pour elle, c’est une nouvelle cause de souffrance de voir tant de jeunes filles se faire tuer au nom de la bienséance islamique.

L’auteure raconte très bien tous les stades psychologiques par lesquels elle est passée : la honte de ses parents qui ne parlent pas assez bien le français, la séduction qu’elle exerce sur un auditoire quand elle raconte la répression en Iran, son envie de retrouver son pays et d’y rester malgré le danger, les souvenirs horribles qui la hante à tout jamais …

Je ne sais pas où cette écrivaine vit aujourd’hui, car on sent qu’elle a souvent besoin de vivre ailleurs (Pékin, Istanbul) mais je suis certaine que si le régime tyrannique de l’Iran s’assouplissait un peu, elle retrouverait avec plaisir ce peuple et surtout ce pays qui l’a toujours habitée.

 

Citations

Les morts opposants politiques de Téhéran .

Il existe un cimetière situé à l’est de Téhéran, le cimetière de Khâvarân connu aussi sous le nom de « Lahnatâbâd », ça veut dire le cimetière des maudits. Lorsqu’un prisonnier politique était exécuté, ont jetait là son corps dans une fosse commune. Aucune inscription, aucune stèle, pas même une pierre. Terre vaste, aride et noire. Parfois de fortes pluies s’abattaient sur la ville et les corps mal enterrés réapparaissaient à la surface car le terrain était en pente. Alors les opposants allaient ré-enterrer leurs morts au nom de la dignité. Mon père y allait avec ses camarades. Ils vomissaient, ils en étaient malades pendant des semaines, ils étaient hantés par les images des déterrés mais peu importe, il fallait le faire. on ne pouvait pas laisser un corps sans sépulture. On ne pouvait pas laisser les camarades pourrir ainsi.
 Terre maudite ou Terre sainte ?

Que de douleurs dans ce passage !
 « C’est extraordinaire d’être persane ! »
 Oui c’est extraordinaire, vous avez raison. la révolution, deux oncles en prison, les prospectus dans mes couches, le départ in extremis, l’exil, l’opium de mon père. J’en suis consciente et j’en ai souvent joué de ce romanesque. Dans les soirées parisiennes intello-bourgeoises ou lors de la première rencontre avec un homme histoire de le charmer, mais aussi face aux voyageurs qui ont traversé l’Iran sur la route de la soie, face aux expatriés qui ont travaillé là-bas. D’habitude les gens ou entendu parler de l’Iran à travers les médias, les livres, les films. Tout ça est un peu lointain, irréel, mais là, ils ont face d’eux quelque chose de bien vivant. Alors je me faisais conteuse devant un public avide d’histoires exotiques et j’ai rajouté des détails et je modulais ma voix et je voyais les petits yeux devenir attentifs, le silence régnait certains, les plus sensibles ont même pleuré. Je triomphais. 

Édition Le livre de Poche

 

Merci Géraldine, tu tiens bien tes promesses ! Effectivement tu m’as prêté ce roman qui t’avait tant plu. Je comprends ta recherche après avoir visité l’Afrique du Sud pour retrouver ce pays si problématique à travers la littérature. J’ai beaucoup lu sur ce pays et comme souvent, je trouve que les écrivains originaires du pays me font mieux ressentir les réalités de leur société. Celui qui m’a fait vibrer pendant mon adolescence André Brink celle que j’ai découvert grâce aux blogs mais qui ne m’avait pas trop plu Karel Schoeman et le dernier qui a été pour moi un vrai coup de coeur La Voisine de Yewande Omotoso.

Dans ce roman, l’auteur crée une histoire d’amour et un roman d’action pour faire comprendre la réalité de l’Apartheid. Une jeune enseignante littéraire de l’université de Nanterre a accepté un poste à l’université du Cap. Grâce à une amitié avec une jeune fille très engagée auprès des noirs dont les droits sont bafoués, elle découvre l’aspect le plus cruel de la société Sud-africaine, et un jeune médecin beau comme un Dieu avec qui elle va vivre une passion amoureuse. Le beau Victor cache un engagement politique qui les entraînera dans un projet d’évasion de Nelson Mandela de son horrible prison sur l’île de Robben Island.

L’apartheid est très bien raconté et la société apparaît dans toute sa complexité . En particulier la difficulté des Noirs à faire confiance aux Blancs. Comme on les comprend ! Car l’imagination des racistes pour faire souffrir des hommes qu’ils considèrent comme des sous hommes ne connaît pas de limite. Le père de Victor avait réussi à enfermer dans une cage une famille de Buchmen et la famille venait se distraire comme si ses gens étaient des animaux. La scène est à peine supportable. Et tout cela dans un pays dont la beauté est parfois à couper le souffle et qui est bien décrite.

Mes réserves viennent de l’aspect romanesque : je n’avais pas besoin de cette histoire d’amour trop parfaite pour partir dans la réalité de ce pays, la réalité de la tentative d’évasion de Mandela a eu une vague réalité et cela permet de voir les services secrets en action. Mais que ce soit le beau Victor qui en soit l’instigateur c’est un peu trop pour moi.

 

Citations

Justice de l’apartheid

 En Afrique du sud, quant un Noir viole une blanche, le juge le condamne à mort. La semaine dernière, un blanc, qui avait violé une petite indienne de neuf ans, a écopé de neuf mois de prison. Récemment, aussi, à jury a condamné à six coups de canne quatre jeunes fermiers blancs coupables de viol en bande sur une femme noire. Depuis 1911 ne figurent que deux blancs sur la salle liste des 132 homme exécutés pour viol. Et tous deux ont commis leur crime sur des petites filles blanches.

Mandela en prison

 La nuit, dans le bloc plongeait dans le silence, il quittait sa couchette, se frottait les épaules et les pieds au mur de sa minuscule cellule, puis se plantait devant les barreaux de sa lucarne. Au delà du soupirail, et de la cour, une batterie de projecteurs illuminait des hommes, le fusil à la main, patrouillant, prêts à réagir d’un coup de feu à la moindre évasion. Un Mirador installé sur pilotis parachevait encore le dispositif de parade.

Le statut de la nounou ou maid

 Elle est devenue la maid de la famille à ma naissance. Elle m’a bercé et élevé avec amour. Je l’adore et je la plains, c’est très confus, je ne pourrais pas me passer d’elle et en même temps je vois qu’elle vieillit et qu’elle aura consacré sa vie à servir des blancs. Tu comprendras qu’en Afrique du sud il n’y a pas de sujet plus casse-gueule que celui de la maid. Chacun témoigne d’une affection sincère, mais en fermant bien les yeux sur la malhonnêteté de cette relation forcément inégalitaire.

 

 

Éditions Picquier Traduit de l’anglais par Santiago Artozqui

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Ce roman a obtenu un coup de coeur à notre réunion du mois de décembre, je me suis empressée de l’emprunter et si j’avais réussi à le lire avant notre réunion je l’aurais défendu malgré mes quelques réserves.

Il a tout pour plaire ce roman : sous-tendu par le drame personnel de trois femmes iraniennes réfugiées en Irlande dans le comté de Mayo, le roman dévoilera peu à peu les horreurs qu’elles ont vécues sous la répression aveugle du shah d’Iran et la montée de l’intolérance islamiste. Dans ce petit village de Ballinacroagh, elles ouvrent un restaurant aux saveurs de leurs pays, et sont à la fois bien accueillies par une partie de la population et en butte à ceux qui voient d’un mauvais œil ces femmes venues d’ailleurs. Le style de Marsha Mehran est emprunt de poésie à l’image des contes perses et contribue au charme un peu envoutant de ce récit. Et puis, ce roman est un hymne à la cuisine iranienne, on savoure ces plats (que je me garderai bien d’essayer de reproduire malgré les recettes qui sont généreusement expliquées) tant elles demandent des épices que je ne saurai trouver sur mon marché de Dinard et tant elles me semblent complexes à réaliser. Ce qui est très bien raconté ici, c’est le poids de la cuisine dans l’exil : refaire les plats aux saveurs de son pays, c’est un peu vaincre la nostalgie de la douceur de la vie familiale qui a été détruite par des violences telles que la seule solution ne pouvait être que la fuite.

La description des habitants du village irlandais manque de nuances, il faut l’accepter pour rentrer dans le récit. Le succès du restaurant tient de l’envoutement pour des parfums d’épices venues d’ailleurs. L’amour de la plus jeune des sœurs pour le fils du personnage odieux qui veut racheter leur boutique relève du conte de fée . Cela ne m’a pas empêchée de passer plusieurs soirée en compagnie de ces personnages dans ce petit village arrosé d’une pluie continue ou presque. J’ai aimé le courage de ses trois femmes et de leur volonté de vivre quel que soient les drames qu’elles ont traversés. Évidemment, on pense à tous ceux qui ont essayé de fuir des pays où des répressions sans pitié écrasent toute tentative de vie libre.

La mort tragique de cette jeune auteure d’origine iranienne est un poids supplémentaire à la tristesse qui se dégage de cette lecture qui se veut pourtant résolument optimiste. Le roman se situe en effet à une période où les réfugiés iraniens trouvaient leur place dans un monde qui était plus ouvert aux drames des pays soumis à des violences inimaginables. Ce monde là, appartient au passé car nos civilisations occidentales sont surprises par l’ampleur des drames des pays à nos frontières et se sentent démunies face à l’accueil de pauvres gens chassés de chez eux et prêts à risquer leur vie pour un peu de confort dans un monde plus apaisé. Ce n’est pas le sujet de ce roman mais on y pense en se laissant bercer par le charme des saveurs des plats venus d’orient dans ce village où la viande bouillie arrosée de bière semble être le summum de la gastronomie.

Citations

La voisine malfaisante et médisante

Dervla Quigley avait été frappée d’incontinence, un problèmes de vessie très gênant qui l’avait cloué chez sa sœur -laquelle était dotée d’une patience à toute épreuve- et laissée l’essai totalement dépendante de celle-ci. Incapable de maîtriser son propre corps, Dervla avait bientôt été obsédée par l’idée de manipuler celui de tous les autres. Les ragots n’étaient pas seulement ses amis et son réconfort, mais aussi la source d’un grand pouvoir.

Vision originale de l’acupuncture

Elle était même allée consulter un acupuncteur chinois qui, au plus fort des seventies et de l’amour libre, s’étaient établis dans Henry Street à Dublin. La force de l’âme de ce chinois l’avait impressionnée -Li Fung Tao pratiquait son tai-chi matinal en toute sérénité pendant que les vendeurs ambulants de fruits et de légumes appâtaient les chalands en beuglant tout autour de lui-, mais ses aiguilles n’avaient eu pour effet que de lui donner l’impression d’être un morceau d’anchois plongé dans une marinade d' »alici » à base d’origan et de poudre de piment. 

Les épices

 Dans le livre de recettes qu’elle avait stocké dans sa tête, Marjan avait veillé à réserver une place de choix aux épices qu’elle mettait dans la soupe. Le cumin ajoutait au mélange le parfum d’un après-midi passé à faire l’amour, mais c’en était une autre qui produisait l’effet tantrique le plus spectaculaire sur l’innocent consommateurs de ce velouté : le « siah daneh » – l’amour en action- ou les graines de nigelle. Cette modeste petite gousse, quand on l’écrase dans un mortier avec un pilon, ou lorsqu’on la glisse dans des plats comme cette soupe de lentilles, dégage une énergie poivrée qui hibernent dans la rate des hommes. Libérée, elle brûle à jamais dans un désir sans limite et non partager pour un amant. la nigelle est une épice à la chaleur si puissante qu’elle ne doit pas être consommée par une femme enceinte, de peur qu’il ne déclenche un accouchement précoce.

 

 

Édition Acte Sud. Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes
Prix Femina 2021 pour les auteurs étrangers

C’est étrange comme le bonheur et le malheur se ressemblent, l’un comme l’autre nécessitent qu’on oublie la réalité telle qu’elle est.

Ahmet Altan est sorti de prison, c’est sans aucun doute la nouvelle qui m’a fait le plus plaisir en avril 2021. J’avais tant aimé « Je ne reverrai plus le jour » que je suivais toutes les péripéties judiciaires de ce grand écrivain. Comme je le disais dans le précédent billet quelques soient les humiliations que la prison turque lui a imposées, elle n’a jamais réussi à ôter en lui sa qualité d’écrivain. J’attendais avec impatience de lire ce roman et j’imagine très bien comment passer autant de temps à creuser ses souvenirs des deux femmes qu’il a aimées alors qu’il était jeune étudiant lui ont permis de survivre à son incarcération.

Madame Hayat est une femme plus âgée que lui et moins cultivée que lui. Ces deux différences feront qu’il aura toujours un peu honte de cette relation alors qu’elle lui apporte tant de choses entre autre une initiation à la sexualité riche et complète. Cet amour m’a fait penser à un roman qui m’avait beaucoup marquée « Éloge des femmes mûres » de Stephen Vizinczey. Fazil (le personnage principal) entretient en même temps une relation avec l’étudiante Sila. Il est amoureux de ces deux femmes, Sila et lui ont en commun d’avoir été des enfants de la classe favorisée d’un pays que l’auteur se garde bien de nommer. Ils ont tous les deux été plongés dans la misère, Fazil parce que son père n’a pas su diversifier ses cultures maraichères et Sila parce que le régime a subitement confisqué tous les biens du sien. Celui-ci restera même en prison quelques jours, le temps de signer une déclaration dans laquelle il s’engagera à ne pas faire de procès aux autorités qui l’ont ruiné. Comme dans le roman de Stephen Vizinczey, la montée du sentiment amoureux est accompagnée par la réalité politique de leur pays. Pour Fazil et ses amis il s’agit de la peur et parfois la panique face à l’intolérance religieuse et la répression policière qui s’abat sur tout ce qui est différent. Ce roman est aussi un hymne à la littérature, monde dans lequel Fazil (et certainement Ahmet Altan) se réfugie le trouvant souvent plus réel que la vie qu’il doit mener. Deux professeurs de littérature lui feront comprendre la force de l’engagement littéraire. Ces deux enseignants connaîtront à leur tour les horreurs de l’arrestation arbitraire et la prison.

Si cette progression de ce pays vers une répression à la fois des mœurs et des positions politique est bien présente dans « Madame Hayat », ce n’est pas l’essentiel du roman. Ahmet Altan a voulu revivre ses premiers amours et son épanouissements sexuel, j’imagine assez facilement le plaisir qu’il avait à se remémorer ce genre de scènes entre les quatre murs de sa prison à Istanbul. Un très beau roman, tout en sensibilité et respect de la femme, celui d’un homme libre aujourd’hui mais dont le talent a toujours dépassé les murs dans lesquels un régime répressif l’a enfermé pendant six longues années.

 

 

 

Citations

 

La liberté et la littérature

 Il me semblait que le vrai courage, ici, c’était d’oser critiquer le livre de Flaubert, tant le monde et les personnage qu’il avait créés, leurs idées, leurs sentiments, leur intuition, étaient pour moi un sujet d’éblouissement permanent indépassable au point que j’aurais aimé vivre dans ce monde là dans un roman de Flaubert. J’y étais comme chez moi. Mon grand rêve eût été de passer ma vie dans la littérature, à en débattre, à l’enseigner, au milieu d’autres passionnés, ce dont je me rendais toujours un peu plus compte à la fin de chaque cours de madame Nermin. La littérature était plus réelle et plus passionnante que la vie. elle n’était pas plus sûre, sans doute même plus dangereuses, et si certaines biographies d’auteurs m’avaient appris que l’écriture est une maladie qui entame parfois sérieusement l’existence, la littérature continuait de paraître plus honnête que celle-là.

L’amour et Proust

 Je n’avais d’yeux que pour son corps voluptueux, sa chair, ses plis, qui m’appelaient partout, au coin de ses yeux, à la pointe des lèvres, sur sa nuque, sous ses bras, sous ses seins. Elle avait certainement perdu sa beauté de jeunesse, mais tous ces petits défauts de l’âge ne la rendaient que plus attirante. J’étais persuadé de la désirer telle qu’elle était, ni plus jeune ni plus belle. Je me souvenais de la phrase de Proust : « Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination. »

Le plaisir

Avec elle je découvrais le suprême bonheur d’être un homme, un mâle, j’apprenais à nager dans le cratère d’un volcan qui embaumait le lys. C’était un infini safari du plaisir. Elle m’enveloppait de sa chaleur et de sa volupté pour m’emporter au loin, vers des lieux inconnus, chacun de ses gestes tendres était comme une révélation sensuelle. Elle m’enseignait que les voies du plaisir sont innombrables.

Dieu

 Ça fait longtemps que Dieu regrette sa création, il essaie d’oublier, je suis sûre qu’il a déjà arraché cette page de son cahier et l’a jetée à la poubelle.

La conversation après l’enterrement d’une petite fille

 Pendant que nous attendions les boissons, je demandai à madame Hayat si elle croyait en dieu. Je l’avais vu prier tout à l’heure. 
– Parfois. Mais pas aujourd’hui… Et puis, Dieu aussi a des absences. 
Les boissons arrivèrent. Elle resta un moment le verre à la main, parlant comme pour elle-même :
– Est-ce qu’il laisse la boutique aux employés et s’en va faire un tour, je ne sais pas.

Édition Acte Sud Babel . Traduit de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier.

Quel livre ! Et quel écrivain ! Bien sûr depuis « L’immeuble Yacoubian » on savait que Alaa El Aswany était un écrivain indispensable à notre compréhension de l’Égypte, mais il va plus loin dans ce roman et il nous montre comment l’islam et la violence des forces de l’armée corrompue font bon ménage, et ont fait couler une chappe de plomb brûlante sur la si grande envie de changement de la jeunesse égyptienne en 2011.
L’auteur suit la destinée des composantes de la société égyptienne, elles ont en commun les manifestations de la place Tahrir. Il peut s’agir de jeunes qui croient et qui participent à ce qu’ils pensent être une révolution. Ou des cadres du régime qui vont mettre en place une répression aveugle et sans pitié. Répression bénie par un Cheick qui sous couvert du Coran bénéficie des largesses financières du régime et qui est prêt à adapter les sourates du Coran pour justifier les conduites les plus barbares des militaires.
On suit, par exemple, Khaled un jeune méritant, originaire d’un milieu très simple et qui réussi brillamment ses études de médecine. C’est lui ou plus exactement son père qui terminera ce roman. Je pense qu’hélas la fin est romanesque alors que la lectrice que je suis, aurait tant voulu que dans la vraie vie, tous les les pères des jeunes tués à bout portant sur la place Tahir, réussissent leur vengeance.
Khaled est amoureux de Dania fille du général Alouani qui est le principal acteur de la répression. Sa femme se pique de religion donc nous suivons l’hypocrisie du Cheick Chamel, c’est peut être le personnage le plus horrible car voir la religion bénir toutes ces horreurs c’est, comme toujours, insupportable. Mais à la première place de l’horreur, il y a aussi une femme qui tient les média et achète des témoignages pour pourrir la réputation des jeunes de la place Tarhir. Dans ce roman choral, on suit aussi Mazen et Asma, qui paieront très cher leur enthousiasme pour les manifestations. Asma sera sauvée de la première répression grâce à un ancien aristocratique chrétien Achraf qui sortira de sa dépression grâce à l’amour d’une femme et grâce aux jeunes révolutionnaires qu’il va aider de toutes ses forces. Asma partira en exil après avoir été torturée par des militaires et subi ce qu’on appelle « un test de virginité » qui n’est ni plus ni moins qu’un viol : mise entièrement nue devant des soldats hilares, les jeune filles sont pénétrées par des hommes pour vérifier qu’elles sont bien vierges sinon elles ont considérées comme des putains !
À travers ce roman, c’est toute la société égyptienne que nous voyons traverser ces événements. La difficulté des rapports amoureux, la reproduction des rapports sociaux, la corruption à tous les niveaux, l’horreur de la répression et l’hypocrisie de la religion. Et si l’on retrouve parfois l’humour de l’auteur, c’est un humour triste et parfois tragique.
Un roman éprouvant certes, mais que l’on doit lire, c’est le moins que l’on puise faire pour soutenir le combat de cet écrivain et sauvegarder la liberté dans notre pays . En effet, ce livre est interdit en Egypte et dans de nombreux pays arabes. Ce roman n’aide pas à prendre confiance dans la nature humaine.

Citations

Les relations sexuelles du général avec son épouse

Son corps c’est tellement avachi et rempli de graisse qu’elle pèse plus de cent vingt kilos. Elle a un ventre énorme en forme de demi-cercle, protubérant au niveau du nombril et se rétrécissant vers le bas, sur lequel pendent deux seins fatigués. Ce ventre unique en son genre, presque masculin, serait capable d’annihiler définitivement le désir sexuel du général Alouani sans les films pornographiques auxquels il a recours pour exciter son imagination. Son Excellence a dit une fois à ses amis :
– Si tu te trouves obligé de manger pendant trente ans le même plat, tu ne peux pas le supporter sans lui ajouter quelques épices.

L’intégrité du général chef de la sûreté .

Nous devons reconnaître que le général Alouani n’a jamais profité de sa situation pour obtenir un quelconque privilège pour lui-même ou pour la famille… Par exemple si Hadja Tahani l’informe que sa société tente d’obtenir un terrain dans un gouvernorat, le général Alouani s’empresse de téléphoner au gouverneur :
– Monsieur le Gouverneur. Je voudrais vous demander un service. 
Le gouverneur lui répond immédiatement :
– À vos ordres Monsieur. 
À ce moment-là, le général déclare d’un ton résolu :
– La société Zemeem vous a présenté une demande d’attribution d’un terrain. Cette société appartient à mon beau-frère. Hadj Nasser Talima. Le service que vous pouvez me rendre, Monsieur le Gouverneur, c’est de traiter à Nasser comme tous les autres entrepreneurs. S’il vous plaît, appliquez la loi sans faire de faveur.
 Après un silence, le gouverneur lui répond alors :
-Votre Excellence nous donne des leçons d’impartialité et de désintéressement.
Ce sur quoi le général l’interrompt en lui disant :
– Qu’à Dieu ne plaise. Je suis égyptien et j’aime mon pays. Je suis musulman et je n’accepte rien de contraire à la religion.
 Après cela, lorsque le terrain était concéder à la société Zemzem, le général Alouani ne ressentait aucun embarras. Il s’était adressé au responsable pour lui demander de ne pas lui accorder de faveur. Que pouvait-il faire de plus ?

Le cheick Chamel , humour grinçant de l’auteur.

 

 

Comme nous l’ordonne le Coran, le cheick Chamel parle constamment des bienfaits que Dieu a répandus sur lui, il possède trois luxueuses voitures noires ainsi qu’une voiture de sport qu’il conduit lui-même lors de ces promenades familiales. Ce sont toutes des Mercedes, qu’il préfère aux autres marques pour leur solidité et leur élégance, et également parce que le directeur de la société Mercedes en Égypte, qui fait partie de ces disciples, lui accorde toujours des prix spéciaux. Parmi les bienfaits que Dieu accorde aux cheick Chamel, il y a celui d’habiter une grande villa au Six-Octobre. Chacune de ses trois épousent y occupe un étage avec ses enfants tandis que le cheick réserve le quatrième étage pour la dernière épouse toujours vierge dont il jouit licitement avant de lui donner congé de la meilleure façon, en respectant tous les droits que lui accorde la loi de Dieu en matière d’arriéré de dot, de pension alimentaire, etc. On raconte que le cheick Chamel a déchiré -dans le respect de la loi divine- l’hymen de vingt-trois jeunes filles. Il n’y a là ni faute ni péché car cela ne contredit pas la loi de Dieu. Le cheick dit toujours aux hommes qui sont ses disciples :
– Mes frères, si vos moyens financiers et votre santé vous le permettent, je vous conseille d’avoir plusieurs épouses pour vous mettre à l’abri du péché et pour mettre à l’abri les jeunes filles musulmanes.

Interprétation des manifestations de la place Tahir par le religieux.

Excellence, que dites-vous aux manifestants ?
 Le visage plein de colère, le cheikh Chamel répondit :
– Je leur dis que ceci est un complot maçonnique organisé par les Juifs pour détourner les musulmans de leur religion. Je dis à mes enfants qui sont sur la place Tahir : vous êtes laissé fourvoyer par les fils de Sion. Demandez pardon à Dieu et repousser une sédition qui risque de plonger notre pays dans un bain de sang. Vous, les jeunes retournez chez vous. Ce n’est pas cela, La voie du changement. Vous détruisez l’Égypte de vos propres mains. Revenez à Dieu, revenez à Dieu.

L’amertume d’une participante à la révolution

Les Égyptiens se sont laissé influencer par les médias parce qu’ils en avaient envie. La plus grande partie des Égyptiens est satisfaite de la répression. Ils acceptent la corruption et y participent . S’il y en a qui ont détesté la révolution depuis le début, c’est parce qu’elle les mettait dans l’embarras. Ils ont commencé par détesté la révolution et ensuite les leur ont donné des raisons de la détester. Les Égyptiens vivent dans une république « comme si ». Ils vivent au milieu d’un ensemble de mensonges qui tiennent lieu de réalité ils pratiquent la religion de façon rituelle et semblent pieux alors qu’en vérité ils sont complètement corrompus.

Conception de l’information en Égypte d’après l’armée.

Notre peuple est ignorant et ses idées sont arriérées. La plupart des Égyptiens ne savent pas penser par eux-mêmes. Notre peuple est comme un enfant : si nous le laissons choisir par lui-même , il se fera mal . Le rôle de l’information en Égypte est différent de ce qu’il est dans les pays développés. Votre mission , en tant que professionnels des médias, est de penser à la place du peuple. Votre mission est de fabriquer les cerveau des Égyptiens et de former leurs idées . Après une période de mise en condition efficace , les gens considèrerons que ce que disent les médias est vrai .

Édition Albin Michel

 

Si vous avez une idée positive de Karl Marx, c’est sûrement que vous avez été sensible aux analyses politico-philosophiques de ce « grand » homme, un peu moins, je suppose, des conséquences de ses « géniales idées ». Mais si vous voulez définitivement vous dégoûter de l’homme, lisez ce livre : Sébastien Spitzer, essaie de retrouver la trace du garçon illégitime de Karl Marx. En exil à Londres, celui-ci « engrosse » la bonne de cette étrange famille d’exilés. Il faut absolument cacher, voire faire disparaître cet enfant. Il vivra, mais aura une vie très misérable comme tous les pauvres anglais de cette époque . Le roman se déroule lors du séjour de la famille Marx en Angleterre, il y arrive en 1850. Nous voyons donc dans cette biographie de Freddy Evans, le fils caché de Marx les deux extrêmes de la société britannique. D’un côte la richesse, dont Engels est un digne représentant et le monde ouvrier qui peut à tout moment tomber dans une misère noire. Au milieu, la famille de Marx une famille d’exilés qui est assez originale, la femme de Marx, Jenny von Westphalen avec laquelle il s’était fiancé étudiant est issue de la noblesse rhénane, son frère aîné deviendra ministre de l’Intérieur de la Prusse au cours d’une des périodes les plus réactionnaires que connut ce pays. Il a un rôle important pour l’intrigue romanesque et dans le destin tragique de l’enfant caché. C’est parfois difficile de démêler la fiction de la réalité. Je pense que l’on peut se fier aux faits historiques, mais l’on sent que l’auteur est dégoûté par son personnage et il en fait un portrait à charge. Il faut dire que pour avoir de l’argent, Karl Marx était peu regardant sur l’origine des finances, peu lui importe par exemple que ce bon argent vienne des plantations esclavagistes du Sud des États-Unis. Derrière le grand homme se cacherait donc un jouisseur peu scrupuleux qui était prêt à tout pour mener une vie confortable sans rien faire d’autre qu’écrire et encore quand il y était poussé par sa femme. Engels est un personnage très ambigu, très riche bourgeois il dirige une usine de filature appartenant à son père, il épouse les thèses révolutionnaires qu’il finance tout en faisant beaucoup d’agent grâce au capitalisme libéral. C’est lui qui sera chargé de faire disparaître le « bâtard » mais il aura quelques difficultés à tuer ou faire tuer un bébé. C’est lui aussi qui entretient à grands frais la famille Marx sans aucune reconnaissance de ce dernier. Le point le plus intéressant du roman, c’est la description de la condition ouvrière en Angleterre, on est en plein dans du Dickens, un rien fait basculer des pans entiers de la population du côté des miséreux et de la famine.

Citations

La misère à Londres 1860

Les tanneurs de Bermondsey exigent une heure de pause. Ils triment quinze heures par jour dans l’odeur méphitique du sang chaud et du jus de tannée. Malte hausse les épaules. Les débats autour des horaires de travail, des temps de pause, de la semaine qui s’arrête le samedi et reprend le dimanche ou des salaires trop bas ne le concernent pas. Il en pâtit seulement. Il habite juste en face. Il les voit qui défilent, vociférant et réclamant. Il sait qu’il s’épuisent a demander l’impossible. Cela fait si longtemps que les injustices existent. Depuis que le monde est monde. Alors à quoi bon s’insurger ? Si seulement ils pouvaient s’écarter de sa route. Il ne peut rien pour eux.

Portrait de Karl Marx par la bonne qu’il a « engrossée »

C’est un vaurien, incapable de mettre un seul penny de côté. L’argent lui brûle les doigts. Il ne sait pas compter. Ni travailler d’ailleurs. Il a bouffé la dot et les dons de sa femme. Il accumule les dettes. C’est tout ce qu’il sait faire, réclamer de l’argent à ses amis. Et quand il refuse, il hurle comme un cochon qu’on saigne. Une bête, je vous dis ! Il fait ça même à sa mère. La pauvre femme. Henriette, qu’elle s’appelle. Il dit que sa mère le vole ! .Vous entendez ! Un homme de son âge qui dit que sa mère le vole ! Saleté de bon à rien ! Et après, c’est moi qui dois faire face au boucher, qui dois le supplier de me faire confiance, comme chez le boulanger ou le marchand de fruits aussi. Ça fait cossu d’avoir une employée. Ah oui ça. Ça fait riche. Mais ils n’ont rien. Que dalle. Que le nom de Madame, usé jusqu’à la corde. Un jour, quand il avait trop faim, il a envoyé une lettre d’embauche à une compagnie des chemins de fer. La première, en 10 ans. Pourtant, il a fait des études. Il est docteur. Faut qu’on l’appelle docteur.

L’argent et la vie d’ Engels et le style lapidaire de l’auteur

Engels paye d’une traite à tirer sur les comptes de l’usine. Le document est signé par lui et par son associé. Peter Ermen était rassuré en le paraphant ce matin. 
L’argent n’a pas d’odeur.
 Tant pis pour les esclaves des plantations du Sud.
Engels voit le document disparaître dans la poche de Dressner. Sa mère est immobile. Ses oiseaux sont figés. Et l’équation de Fourier lui revient à l’esprit, celle qu’il crachait l’été à la face des bourgeois, avec les deux sœurs au bras : deux vices font une vertu. Mary est morte si vite. Le coton le dégoûte. L’argent le dégoûte. Mais c’est un mal nécessaire pour la cause.

Le portrait de Marx (appelé le Maure) lors d’un repas chez Engels

– Je ne sais pas, répond le Maure en s’essuyant les lèvres. La peau de son ventre est tendu. Il a trop mangé. Il ne s’est pas retenu. Il en est incapable. Il a fallu qu’il dévore, tout, très vite comme s’il s’agissait du dernier repas de sa vie.
(Et la fin de la discussion)
-Que faire ? Demande Engels.
– Il faut que je voie avec les autres, ces crétins de choristes, les syndicalistes du Lancashire : Swingkhurst, Mowley et d’autres. 
– Et moi ?
– Toi Engels ? Tu finances ! Débrouille-toi pour trouver de l’argent. Il faudra plus d’argent. Beaucoup plus.

Le pacte sur Le dos de l’enfant illégitime de Karl Marx

. J’ai passé un pacte avec mon frère.
– un pacte ?
– Nous avons passé un accord pour les deux. Si l’existence de ce bâtard était révélé ce serait l’image de mon mari qui serait atteinte. 
Engels acquiesce, sans l’interrompre. 
Elle revient sur ce dîner avec son frère.
 C’était il y a quelques semaines, juste avant qu’ils ne débarquent ici, à Manchester, en famille. Ferdinand avait retrouvé Freddy.
 – Ferdinand est un homme intelligent. Au nom des Westfalen, il a accepté de ne rien dire de l’existence de cet enfant. Pour l’image de notre famille. Pour ma réputation. Il a renoncé ainsi à l’idée de nuire à Carl. Tu sais comme il le hait. Cela n’est pas nouveau. Cette histoire aurais pu lui causer du tort. L’enfant caché de Karl Marx. Son fils caché. Avec la bonne !
. Nous nous sommes mis d’accord, mon frère et moi. Je me suis engagée. Plus d’appel à la grève. Plus de drapeau rouge. Plus de menaces sur Londres ou Berlin ou je ne sais où. J’ai promis qu’il regagnerait son cabinet et se contenterait d’écrire. C’est pour ça que mon frère vous a fait suivre.

Je ne savais pas ça :

Comme des milliers des Irlandais, son oncle s’est engagé comme soldat puis sergent dans l’armée Yankee. Il a suivi les troupes nordistes tout le long de la guerre. Il a cru qu’à l’issue il aurait des terres, lui aussi. De bonnes terres prises aux ennemis sudistes. C’est ce qu’avait promis les colonels, les généraux et surtout le président. Le Nord l’a emporté le Nord a libéré les esclaves. Le Nord a remercié les engagés volontaires pour tout le sang versé. Puis les terres ont été remises aux anciens propriétaires, aux partisans des sudistes. Le Nord a offert quarante acres et une mule a quelques esclave affranchis. Il a offert quarante acres et une mule à ces milliers de conscrits, engagé malgré eux. Et quand il n’y a plus de mule, il a dit à tous les autres, les volontaires, les Irlandais, d’aller se faire foutre.