Édition NRF Gallimard

Comme vous le voyez sur ma photo ce petit livre n’a obtenu que deux coups de coeur à notre club, je ne l’avais pas lu, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu une réserve d’une ou deux lectrices. Pour moi cet essai de Xavier Le Clerc, à la gloire de son père est un petit bijou d’authenticité et courage de la part de ce fils rejeté du cocon familial parce qu’il est homosexuel et très cultivé.

Il a retrouvé l’enfance de son père, Mohand-Saïd Aït-Taleb dans un petit village de Kabylie, grâce aux textes d’Alber Camus, « Misère en Kabylie » écrit en 1939 . Son grand père est mort pour la France à Verdun et son père en 1940 en défendant le sol français contre les nazis. Cet enfant mourait de faim dans son village de Kabylie, mais il ne l’a jamais raconté à son fils. Celui-ci en a compris toute l’horreur en découvrant les articles d’Albert Camus, il s’appuie donc sur ces textes pour nous dévoiler ce que son père a vécu enfant. Pour la suite, il puise dans ses souvenirs pour retrouver qui était ce père ouvrier toute sa vie à la SMN à Caen . Le portrait de son père est très bien rendu : cet homme était la dignité même et l’obéissance personnifiée, jamais un mot de révolte et une lutte incessante pour sortir de la misère sa famille. Les seuls moments de joie, en particulier pour sa mère , ce sont les retours au pays où la famille semble riche aux yeux des plus pauvres qu’eux. Comme tous les immigrés, ils étalent leur soi-disant richesse et cachent toutes les difficultés de leur vie en France.

Puis l’auteur évoque sa propre enfance, complètement séduit par la langue française, il fréquente de façon assidue la médiathèque et écrit des poèmes. Peu à peu sa différence creuse un fossé entre lui et sa famille.

À la préretraite trop tôt arrivée , son père va s’enfermer dans le silence. Et enfin l’auteur explique pourquoi il a traduit son nom en français : grâce à cela il a obtenu un poste de cadre important dans le monde du luxe . Hamid Aït- Taleb malgré ses deux masters n’aurait jamais pu obtenir le poste pour lequel Xavier Le Clerc a été si facilement recruté !

Le titre de cet essai vient du seul papier que son père a gardé toute sa vie : sa carte d’ouvrier à la SMN. Le fils trouve que ce père qui n’a aucun titre les mérite tous tant il a franchi avec une belle dignité les difficulté de sa vie. J’ai tout aimé de ce livre et je ne peux que vous le conseiller.

 

Citations

La misère et la colonisation .

 Avec sa petite sœur Cherifa, ils ont vécu comme les neuf enfants sur dix qui n’allait pas a l’école. Eux auss ont fouillé les détritus du ruissellement des eaux usées. Le code forestier interdisait aux montagnards jusqu’au glanage des pignons, utilisés pour les galettes rudimentaires ou même de ramasser du bois pour se chauffer :  » Il n’est pas rare qu’ils se voient saisir leur seule richesse, l’âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. » (Albert Camus misère de la kabyle 1939)

La formation du futur écrivain .

 Le mercredi matin, alors que la fratrie regardait le « Club Dorothée », j’allais de mon propre chef aux ateliers de langue française. L’école primaire Malfilâtre les dispensait en premiers lieu pour des enfants en difficulté, que l’on appellerait aujourd’hui des « migrants ». L’instituteur volontaire, surpris de me retrouver là, avait sans doute compris que je me sentais à ma place, entouré de dictionnaires, ébahi par la beauté du français. Il n’avait pas mesuré que l’enfant sage que j’étais, et qui chez lui ne parlait que le kabyle avec ses parents, ne s’amusait pas. J’étais au contraire concentré dans une bulle absurde. Je voulais apprendre le français une deuxième fois en quelque sorte, mémoriser sa texture, ses ingrédients et son goût, comme pour emporter une deuxième rations de mot, qui je ne le sais que maintenant devait nourrir un père affamé. 
L’après-midi à l’heure de « Dragon Ball » et de « ken le survivant, je m’asseyais sur la moquette de la bibliothèque municipale. Les mots m’apprenaient non pas à rêver mais à exister. Une vie marginale avec des lectures qui feraient de moi tôt ou tard un étranger dans ma famille. Chez nous, dans ce que nous continuions d’appeler la baraque, il n’y avait pas de livres, hormis les annuaires téléphoniques.

La faim.

Pour survivre tu as dû te nourrir de racines, puis te déraciner. Quant à la tyrannie du ventre vide. Il n’y a guère que l’école pour lui résister. La faim s’arrête-t-elle vraiment une fois le vide de l’estomac comblé ? Ou est- ce un ogre intérieur qui jamais ne sera repu et qui, une fois logée dans nos peurs les plus profondes, finit par nous dévorer l’esprit comme les entrailles ? Je repense à toi qui avalais ton casse-croûte la bouche grande ouverte, ne prenant pas même le temps de mastiquer, à t’en étouffer. Et enfant déjà, je sentais bien que ton empressement compulsif avait une histoire. J’étais aussi né de ton ventre d’homme, ton ventre d’affamé.

16 Thoughts on “Un homme sans titre – Xavier Le Clerc

  1. keisha on 18 septembre 2023 at 07:47 said:

    Si j’ai bien compris, l’auteur a carrément complètement changé son nom.

    • oui et il explique pourquoi ce n’est pas à l’honneur de la France mais cela lui a permis aussi de fuir son milieu d’origine qui l’a rejeté. Mais je le répète le sujet du livre c’est le portrait de son père.

  2. « Hamid Aït- Taleb malgré ses deux masters n’auraient jamais pu obtenir le poste pour lequel Xavier Le Clerc a été si facilement recruté » : c’est vraiment terrible en effet et on comprend que certains soient en colère dans un pays qui ne prône la fraternité qu’en surface…

    • il ne faut pas oublier non plus qu’il a été rejeté par son milieu d’origine à cause de son homosexualité et son haut niveau d’étude. Ceci n’est d’ailleurs pas le sujet de son livre qui est un hommage à son père et c’est remarquable. J’ai relu grâce à lui les textes d’Albert Camus et la description de la misère en Kabylie est terrifiante.

  3. Il a été lu ce printemps pour notre café littéraire, (en parallèle avec Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea) et les avis étaient plutôt positifs… C’est bien écrit, bien « pensé », mais je suis restée un peu sur ma faim, peut-être pare que j’avais déjà lu des romans autobiographiques auxquels il m’a fait penser. (L’art de perdre, Le pays des autres…)

    • ah oui, je suis d’accord avec ta ta remarque , mais j’ai beaucoup aimé le portrait de son père et puis grâce à lui, j’ai relu les textes de Camus qui m’ont horrifiée

  4. Encore un thème très intéressant ; l’auteur s’est heurté à deux rejets donc, celui de son nom, par obligation, et celui de son milieu familial à cause de son homosexualité. Ça fait beaucoup. Il est à la bibliothèque, je pourrai l’emprunter.

    • Il parle peu du rejet de son milieu, il n’appartient plus à ce monde d’ouvriers d’Algérie. Il fait partie de ceux qui pour exister ont dû s’extraire de valeurs qui n’étaient plus les leurs. On peut penser à Édouard Louis et Annie Ernaux. Mais il sait rendre à son père toute la fierté d’avoir appartenu à ce monde là.

  5. Ce livre m’intéresse et j’aime beaucoup les extraits que tu cites. Je n’ai jamais entendu parlé de cet auteur. Je vais combler cette lacune.

  6. Un bel hommage à son père, et en même temps il m’est resté très peu en mémoire.

  7. Ce que tu dis de l’auteur me fait penser à Edouard Louis mais il semble avoir davantage fait la paix avec sa famille s’il rend hommage à son père de cette façon.

    • Il n’a aucun mépris de classe dans son texte contrairement à Édouard Louis . Et le rejet ne semble pas violent mais oui il s’agit aussi d’un passage d’une classe à une autre.

  8. J’ai entendu un entretien avec cet auteur au moment de la parution de son livre qui m’a alors beaucoup tenté, mais j’avais oublié de le noter. Merci pour cette piqure de rappel !

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