Éditions de l’olivier, 142 pages, janvier 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Je n’arrive pas à comprendre le pourquoi de ce roman ? Jacques, le beau père de l’écrivaine est un personnage qui a passé son temps à dépenser l’argent qu’il n’avait pas. Les enfants l’ont aimé car il était flamboyant, mais ont compris aussi qu’il était toxique. Mais en quoi cela mérite-t-il de faire le sujet d’un livre ?

C’est un roman qui se lit en une soirée et comme j’écris ce billet deux jours après je cherche dans ma mémoire les traces qu’il a laissés. C’est un vide abyssal !

J’ai vu passer des critiques où on parle de délicatesse et je crois me souvenir que j’ai apprécié la volonté de l’écrivaine de ne pas juger cet homme avec ses yeux d’adulte : enfant elle se sentait flattée d’être apprécié par lui.

Je crois que je n’en peux plus de tous ces récits autobiographiques qui, nous disent la quatrième de couverture, sont « des blessures ouvertes » .

 

Extrait

Début.

Il somnolait toute la journée assis sur le canapé, la tête renversée en arrière, les mains à plat sur les genoux. Il était devenu très maigre. J’étais fascinée par l’armature de ses os sous le pyjama. Ses yeux étaient creusés. Quand il les ouvrait, il avait l’air méchant ; quand il les fermait, il avait l’air d’un mort. De temps en temps, je m’ approchais pour vérifier qu’il respirait toujours. J’avais peur qu’il meure sans bruit près de moi, sans que je m’en aperçoive. 


Éditions MIKRÓS Littérature, 229 pages, mai 2024

Traduit de l’arabe (Égypte) par Marie Charton.

 

Sagesse d’une de ses tantes :

Les hommes, tu vois, c’est comme les tambours : ils sont vides de l’intérieur et il faut les frapper pour en tirer un son.

Quel humour ! Je vous promets quelques éclats de rire et une plongée dans la civilisation égyptienne que vous n’oublierez pas. Cette autrice tenait un blog où elle racontait ses déboires amoureux, le succès de son blog l’a amenée à en faire un livre traduit avec un grand succès en Europe et aux USA.

Elle a la plume d’une femme jeune et lucide qui ose se moquer de tous les travers de son pays. Une si grande liberté de ton, fait vraiment plaisir à lire dans un pays profondément musulman. Tout son problème vient de ce que, comme beaucoup de femmes de son pays, elle a bien réussi ses études et gagne bien sa vie, contrairement aux prétendants qui se présentent chez elle pour se fiancer. Elle dit que le problème vient de ce que les garçons sont souvent élevés comme des petits princes à qui on n’impose rien et ont donc un niveau d’études beaucoup moins élevé que celui des femmes. La description de la condition de la femme égyptienne, même si elle est racontée sur un ton humoristique, est certainement réaliste et profondément triste.

Le défilé des prétendants est très drôle, cela va du commissaire de police, qui a déjà établi des fiches de police sur toute sa famille , et qui fait peur à tout le monde, au croyant qui arrive avec soi-disant ses deux sœurs qui en fait sont ses deux femmes, en passant le candidat « presque » parfait qui revient d’Angleterre mais qui ne dit pas qu’il s’est marié à Londres, sa mère prétend que c’est un mariage blanc mais sa femme anglaise attend un bébé ….

Mais ce défilé ne raconte pas grand chose du talent avec lequel écrit cette autrice . J’espère vous en faire profiter à travers ces extraits :

 

Extraits

Début.

Allez-y, dites « Bismillah » et suivez moi pas à pas. Mais d’abord, mettons-nous d’accord sur le fait que parler du mariage, des « prétendants  » ou du recul de l’âge du mariage est très délicat en Égypte. Vous aurez beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui s’exprime librement sur la question. Et surtout parmi les filles qui ne sont pas mariées. Parce que, pour les gens, une fille qui en parle est soit mal éduquée et vulgaire, soit pressée de se marier. Ou alors, trop âgée pour trouver quelqu’un qui veuille l’épouser. 

La féminité .

Dites-moi : on est censé la trouver où, cette « féminité » dont ils parlent ? Ma mère, elle est toute la journée dans sa cuisine. Notre voisine, tante Souheir, passe son temps à laver et à étendre du linge. Quant à tante Amal, elle est occupée jour et nuit à hurler sur tante Souheir à cause du linge qui goutte sur son balcon – et aussi sur son fils parce qu’il joue dans la rue au lieu de faire ses devoirs de math.

Journée de la femme Égyptienne.

Elle se lève le matin, prépare le petit-déjeuner, habille les enfants, les fait manger puis fait manger son mari. Elle part ensuite courir les rues : amener à l’école les enfants qui sont en âge, puis ceux qui sont trop petits chez leur grand-mère. Ensuite elle court au travail, arrive en retard et se prend une pénalité. Ensuite elle sort du boulot, va chercher la moitié des enfants à l’école et l’autre moitié chez sa mère, fait un crochet par le marché pour acheter les légumes, rentre à la maison en traînant derrière elle les enfants- quand ce n’est pas le contraire. Ensuite elle change les enfants, commence à cuisiner puis, une fois le repas prêt, elle doit le servir ; après avoir servi, elle doit faire la vaisselle puis préparer le thé et regarde s’il y a du linge à laver ou un endroit à nettoyer. Après avoir fini, elle s’occupe des enfants : elle en fait réviser un, gronde le deuxième parce qu’il a frappé sa sœur, hurle sur le troisième qui laisse traîner ses cahier et s’entête à vouloir dessiner sur le mur. Après ce marathon quotidien, le « bey » , dont les seules responsabilités dans la vie sont d’aller au travail, d’en revenir, de manger et de boire, rentre du café, regarde sa femme qui a trimé toute ka journée et lui balance :
 » C’est une dégaine avec laquelle accueillir son mari franchement ? Tu peux pas être plus souriante et t’habiller mieux que ça ? T’as rien à faire de la journée… »
Après ça, il s’étonne que sa femme lui ouvre le crâne à coups de pilon !

Est ce vrai qu’en Égypte ?

Il existe un autre principe : »pourquoi travailler plus quand on peut travailler moins ? » qui est très répandu chez les fonctionnaires et chez les joueurs de Zamalek .


Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.

 


Édition Albin Michel, 328 pages, mai 2024.

 

 

Les fils sont là pour continuer les pères.

Le père de Thibault de Montaigu va mourir et son fils lui offre ce roman, l’écrivain va le faire revivre pour ses lecteurs. Son père est un personnage odieux, brillant mais odieux. Il aurait pu gagner correctement sa vie mais il s’est lancé dans des affaires qui ont toujours fait faillite, et il n’a vécu que grâce aux femmes. C’est un séducteur hors pair et même à la fin de sa vie il séduira une femme remarquable qui l’accompagnera tout au long de la fin de sa vie. Son père demande à son fils aîné écrivain, notre narrateur, de raconter l’histoire de Louis l’aïeul qui est mort à la guerre 14/18, suite à une charge sabre au clair.

La recherche de la vérité sur ce glorieux soldat va permettre à l’écrivain de mieux comprendre l’ensemble de sa famille . Il mettra du temps à comprendre le passé de Louis, qui a raté l’entrée de Saint Cyr , un peu comme son père a raté les grandes écoles. Brillant mais méprisant le travail des laborieux. Louis réussira à revenir dans les cadres de l’armée mais par la petite porte et grâce à ses talents de cavalier. Mais il partira de l’armée pour en revenir juste avant la guerre. On découvrira que lui aussi a fait de mauvaises affaires, et sa charge sabre au clair n’est peut être pas une simple preuve de bravoure. Le courage des femmes dans cette famille est incroyable, elles sont souvent riches mais leur richesse est engloutie dans la volonté de gloire des Montaigu .

Notre narrateur est fragile, il est à la recherche de la reconnaissance de son père, et même s’il est capable de voir tous les défauts de son père il ne peut pas s’empêcher de l’aimer et d’admirer son courage face à la maladie et la mort.

Le livre se lit facilement , on y retrouve l’analyse des aristocrates pauvres mais « glorieux » . J’ai souri de ce descendant de de la famille de sa mère : Hubert Parent du Châtelet, qui vit dans un lotissement à côté de Châteaubriant dans une petite maison, dans laquelle une énorme cheminée occupe trop de place dans un petit salon. La raison  : ce Hubert a fait construire cette maison autour d’une plaque de fonte avec les armes de la famille Choiseul dont il descend …

J’ai souvent souri, j’ai détesté son père, j’ai souvent trouvé que son fils n’avait pas la dent assez dure pour ce personnage, mais j’ai bien aimé cet amour filial. J’ai été sensible par l’authenticité de la démarche de cet écrivain, je le crois sincère. Le jour où j’écris ce billet je vois que ce roman a obtenu le prix « interallié » , il trouvera donc son public et cela ne m’étonne pas.

 

Extraits

Début.

 À chaque fois, que je pousse la porte je me demande si mon père n’est pas mort. Il est toujours assis au même endroit, sur son fauteuil au ressort effondré dont le faux cuir, déchiré çà et là laisse s’échapper des étoupes de coton . Tête baissée, le visage atone, ses beaux yeux bleus perdus dans le vague, il n’esquisse pas un geste. Pas même un clignement. Dans la pièce en désordre, un vieux poste gris à molette résonne à tue-tête et je dois répéter à plusieurs reprises « salut Papa, c’est moi. Papa ? » Pour qu’enfin un frisson parcoure ce masque aux minces cheveux blancs peignés en arrière. Ses lèvres se tordent, sa pupille s’affole tandis que d’une main il tâtonne en direction de la radio pour l’éteindre.
 » Il y a quelqu’un ? demande il d’une voix incertaine.
– Oui, Papa. C’est moi Thibault.
– C’est Thibault ?
– Oui ton fils aîné.
– Ah Thibault. C’est sympa de venir voir ton vieux père. Tu m’oublies, tu sais ? »

Mort de Péguy.

 Pour éviter un massacre, Péguy commande à ses hommes de se coucher et de faire feu à volonté tandis qu’il reste debout, jumelle aux yeux à diriger le tir et à haranguer ses troupes, arpentant la ligne de ses tirailleurs dans une attitude de défi. Rien ne semble pouvoir calmer sa ferveur, sauf la mort qui vient se loger soudain dans son crâne sous la forme une balle de Mauser. « Ah mon Dieu … mes enfants… » lâche-t-il avant de s’écrouler. Il tombe en héros. « Mais n’est-ce pas ce qu’il désirait secrètement ? » se demanderont certains après coup. Une manière de quitter en beauté ce monde dont il désespérait ? De retrouver dans la mort la grandeur est le sacré dont la vie moderne soumise à la technique et l’argent était privée ? Ou encore de se consoler de son amour impossible pour cette jeune agrégée d’anglais, Blanche Raphaël, alors que lui-même est marié, et demeure fidèle à une femme qu’il n’aime pas ?

Père et fils de 10 ans a reçu la croix de guerre à la place de son père mort.

 De toute évidence, cette histoire n’est pas seulement celle de Louis et de Hubert, mais aussi celle de mon père et de moi-même et de bien d’autres peut-être. C’est la même histoire depuis la nuit des temps et elle tient en une seule phrase que l’auteur de la leçon de français a placé en exergue : « Les fils sont là pour continuer les pères. »
Tâche écrasante. Tâche impossible évidemment. Car les pères sont des mythes auxquels les fils un jour ou l’hôte cesseront de croire. Les pères n’existent pas. Et Hubert, du haut de ses dix ans le pressent déjà. Il reçoit la croix de guerre à la place d’un disparu, mais comment prendre la place d’un être qui réside hors hors de ce monde, au royaume du souvenir et de la légende ? Comment mettre ses pas dans ceux d’un mort ?

L’art équestre et l’écriture .

 Donner l’impression qu’on ne fournit aucun effort, comme si son cheval se mouvait de lui-même. Là est tout l’art. C’est peut-être la quintessence du style français, résumé par L’Hotte, et qui vaut aussi bien en équitation que dans les arts : gommer le travail, cultiver le naturel, faire paraître simple et aisé ce qui nous a coûté des jours et des jours de labeur forcené.
Ainsi aimerais-je écrire ce livre en tout cas.
Calme, en avant, et droit.

Toasts des cavaliers de Saumur .

« À nos chevaux, à nos femmes et à ceux qui les montent. « 

La quête des ancêtres .

 Mais n’est-ce pas le cas pour nous tous ? Quand on part sur les traces de ses ancêtres, on ne remonte pas le temps en réalité. On ne revient pas en arrière. On fait voile vers notre avenir. Vers le lieu où réside une part inexplorée de nous-même. L’histoire que nous écrivons a déjà été écrite sous une autre forme, et notre vie loin d’être une page blanche, ressemble à un palimpseste que chaque génération à tour de rôle efface et recommence. Ce qui va arriver existe déjà. Et ce qui a existé nous arrivera. On peut prédire aujourd’hui la survenue de maladie grâce à notre ADN, car nos corps ne sont que des recombinaisons génétique des corps qui nous ont précédés. De même pour nos âmes. Elles sont un amalgame – différent pour chacun- d’éléments qui ont déjà existé chez nos ancêtres. Nos âmes nous précèdent en quelque sorte. Et pourtant elle nous demeurent inconnues. Voilà le voyage auquel chacun dans une vie est appelé. 

 

 

 


Édition l’Olivier, 158 pages, octobre 2023

 

Je n’ai jamais été chez moi chez moi.

 

J’ai encore oublié de noter la blogueuse qui m’a tentée mais elle se reconnaitra, je l’espère ; Voici le billet de « mot à mot » et celui de Anna-yes Mon biblioblog. C’est un livre qui raconte un rejet de la vie familiale incroyable, si fort, que l’autrice-narratrice a non seulement rejeté son milieu social -ses parents appartenaient à la classe ouvrière du Canada dans une ville petite (pour le Canada) grande pour la France : Kitchener, dans l’Ontario 230 000 habitants, mais elle a aussi, renié sa langue, l’anglais, son nom de famille pour trouver sa liberté de penser et d’écrire en français. Elle a donc vécu au Québec et est devenue traductrice en trois langues car elle parlait aussi l’espagnol. J’emploie le passé car Lori Saint-Martin est morte à Paris en 2022, c’est assez tragique que cette ville qu’elle a tant aimée soit aussi la ville qui l’a vue mourir.

J’ai voulu lire ce livre car j’aime bien le sujet de l’apprentissage des langues, et son cas est très particulier : elle n’a pas appris le français, elle a fait de cette langue sa langue d’élection. On peut l’écouter parler, elle est effectivement totalement à l’aise en français avec quelques traces d’accent québécois mais très légères. Je pense que lorsqu’elle arrivait à Paris, elle devait immédiatement prendre les intonations françaises.

Tout ce qu’elle dit sur la richesse que cela procure d’avoir plusieurs langues m’ont semblé très juste, surtout venant d’une anglophone qui pourrait visiter le monde entier en ne parlant que sa propre langue. Mais j’ai moins compris la violence du rejet de son milieu d’origine. Sa mère, même trop grosse et habillée en polyester de couleurs vives, ne mérite pas selon moi autant de rejet. Elle a sûrement mal aimé sa fille, mais elle l’a laissé aussi faire ce qu’elle voulait. D’ailleurs à la fin , elle le dit elle-même, c’est grâce à sa mère qui voulait parler anglais à ses petits enfants qu’elle élèvera ses propres enfants dans les deux langues le français avec leur père québécois, et l’anglais avec elle.

J’écris ce billet quelques jours après avoir fini le livre et je me rends compte qu’hélas, je garde plus dans mon souvenir le rejet de son milieu que le charme de savoir plusieurs langues.

Je trouve assez étonnant qu’elle ait réussi à surmonter son malaise de l’adolescence en se lançant à corps perdu dans l’apprentissage du français et pas dans l’anorexie qui lui tendait les bras si on comprend ce qu’elle subissait à table. Je me souviens aussi des différents professeurs de français qu’elle a eus, un homme seulement et de cette femme qui pendant tout son cours leur faisait réciter les conjugaisons des verbes ! Méthode au combien active, mais le plus bizarre, c’est qu’elle avoue avoir plus appris avec ce prof qu’avec celle, sympathique et vivante qui essayait de les faire parler ! Paradoxe intéressant !

Une femme remarquable qui a un nombre de récompenses incroyables pour ses traductions, elle a traduit de l’espagnol au français également et voulait découvrir l’allemand qui était la première langue de Kitchener qui s’est d’abord appelé Berlin. Mais la vie s’est arrêtée brutalement et elle n’en a pas eu le temps. Malgré mes réserves, je conseille ce roman à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à l’apprentissage des langues et au passage d’une culture à une autre.

 

Extraits

Début .

 Je voudrais que chaque page de ce livre soit la première page. Commencer par partout. Ça commence par partout, je pense. Tout me semble être le début. 
Mon nom n’est pas le nom de mon père.
Ma vie n’est pas la vie de ma mère.
Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour que ma mère ne puisse pas me lire.
 Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour pouvoir respirer alors que j’avais toujours étouffé. Je raconte ici l’histoire d’une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs.

Sa mère .

 Ma mère était grosse, mon père était gros, ma sœur était potelée, bientôt grosse. « You’re such à bony thing ! » disait ma mère je m’installais à sa table d’un air dégoûté et je touchais à peine à ses plats. J’avais horreur des viandes bon marché, à la fois coriace et étrangement molle, des pommes de terre et des carottes mijotées jusqu’à la fadeur jaunâtre dans le jus de cuisson. J’avalais un à un les petits pois en boîte chacun avec sa gorgée de lait, comme des aspirines. Malgré les haut-le-cœur, il fallait terminer son assiette.
 Ne pas gaspiller, l’obsession. Si on reçoit un paquet, on le déballe avec soin, on défroisse ce papier et on le range avec le moindre bout de ficelle,  » ça peut toujours servir ». On mange les restes jusqu’à la dernière miette,  » c’est passé mais tout de même m ». Pieds qui puent à cause des chaussures bon marché, vêtements choisis sur le présentoir « 2 pour 1 » : deux moches valent mieux qu’un beau.

Le pire c’est d’aller dans ces musées et de ne rien voir.

 Mes parents et, je crois aussi, ma sœur, ont vécu et sont morts sans mettre les pieds dans un musée d’art. Je les ai jugés sévèrement pour cette raison. Maintenant je pense aux barrières qui font qu’on n ‘entre pas dans certains endroits même si la porte en est ouverte 

Qui est l’autrice  ?

Mon histoire, c’est une histoire d’ascension sociale, de honte et d’orgueil, d’une fille qui mène la bataille de sa mère, d’une mère défaite par la victoire de sa fille.

Le titre ;

Who do you think you are ? You’re nobody special. Rengaine de ma mère devant mon désir -insultant, blessant, incompréhensible – d’un ailleurs.
« Pour qui te prends tu ? » la phrase est plus profonde qu’elle n’en a l’air. Si on l’entend vraiment comme une question, et non une rebuffade (« tu n’es pas aussi bonne que tu le penses ») , elle signifie qu’on peut se prendre pour quelqu’un d’autre et se transformer. 

 

 


Édition mercure de France

 

Tant qu’il y aura des mers, tant qu’il y aura la misère, tant qu’il y aura des dominants et les dominés, j’ai l’impression qu’il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d’un horizon meilleur.

 

Un livre précieux d’une rare délicatesse sur un sujet sensible, l’exil des populations indiennes vers l’île Maurice pour être employées dans les plantations de cannes à sucre. Nathasha Appanah a déjà décrit sous forme de roman – Les rochers de Poudre d’or– cet aspect de la colonisation . J’avais fait de ce roman un coup de coeur contrairement à « la noce d’Anna » , mais j’aime beaucoup le style pudique de cette écrivaine que j’avais découvert dans « le ciel au dessus des toits », c’est elle, encore qui m’avait fait découvrir un aspect peu connu de la deuxième guerre mondiale dans « le dernier frère » .

Cette fois l’écrivaine parle de sa propre famille, et on sent toute la pudeur que cette famille qui l’a tant aimée et combien cela a rendu difficile ses recherches sur leur passé. Sa famille arrive dans l’île en 1834, comme elle le raconte déjà dans « les rochers de Poudre d’or » franchir l’océan Indien était à cette époque un tabou total pour les croyants hindous. Mais la misère et la faim sont certainement des moteurs plus forts que la religion. Elle a bien connu ses grands-parents qui sont sortis du système des plantations, son grand père a eu un geste violent contre un contre-maître. À cette occasion l’écrivaine raconte combien les indiens ont toujours prétendus être de bons employés respectueux de leurs supérieurs. Personne ne s’enorgueillit du geste du grand-père, bien au contraire.

Elle regrette que sa grand-mère ne lui ait pas appris le « telugu » sa langue maternelle, elle n’a pas non plus cherché à lui donner la religion hindou, sa petite fille était dans le monde moderne : celui de l’anglais du français et de la religion catholique. En revanche, elle lui a appris à faire « ce qu’il faut  » sans jamais être vulgaire. Le mariage de sa grand-mère avait été arrange par des « marieuses » qui sont allées un peu vite en besogne, sans doute pour que les autorités ne sachent pas que ce jour là on mariait des enfants : le grand-père avait 14 ans et sa future femme 12. Pour faire encore plus vite ce jour là on organise le mariage de deux personnes son grand-père et son cousin. Comme le cousin est très petit contrairement au grand père qui mesure 1 mètre 80, on lui a choisi une petite femmes. Mais les deux mariages se sont passés si vite que le grand-père s’est retrouvé avec la femme qui était destinée à son cousin … Le couple s’est bien entendu et aura une dizaine d’enfants.( Dont le père de l’auteure).

L’ensemble de ce témoignage, m’a beaucoup touchée mais je garde en mémoire un passage en particulier : le père de Nathacha Appanah , décide un jour de faire visiter l’Inde à son père et de retrouver leur village d’origine. Ce voyage avait été préparé depuis longtemps et devait durer un mois, mais le grand-père est revenu au bout d’une semaine, le grand-père était trop triste de voir l’extrême pauvreté dans laquelle vivaient les gens de son village natal. Il est revenu en disant je suis Mauricien ! Pour moi cela souligne bien l’impossible retour aux origines de ceux qui s’exilent pour réussir.

Le livre est agrémenté de photos qui sont autant de jalons de la vie de l’auteure, je suis très émue par celle-ci. Je trouve beaucoup de force à cet homme aux bras ballants et une telle inquiétude dans les yeux de cet enfant aux jambes trop maigres dans des chaussures trop grandes.

un billet chez Mot à Mot 

Extraits

 

 

Début avec en illustration une superbe photo d’un vol d’étourneaux.

Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame -jeanne.
 Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat aux vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout-à-bout ces mots forment une phrase et soudain cette phrase serait ma première, mon évidence.

L’arrivée des coolies indiens.

 Mon trisaïeule porte le numéro 358444, il avait 45 ans. Ma trisaïseuille avait 39 ans, les autorités britanniques lui attribuent le 358445 et leur fils, âgé seulement de 11 ans est le numéro 358448. Ces numéros me bouleversent, je sais qu’ils devaient les retenir ou les avoir sur eux comme laissez-passer quand ils se déplaçaient hors de la plantation de champs de canne. Ce sont ces chiffres qui les identifient d’abord et avant tout, pas leur nom qui est trop compliqué, pas leur visage qui ressemble à tant d’autres, pas leur langue que personne ne comprend vraiment.

La peur ancestrale de l’eau.

  À qui vais-je avouer que j’ai peur de l’eau ? c’est ridicule.
 Qu’elle soit bleue, ou verte, ou grise, ou transparente, une fois dedans, dès que je n’ai plus pied, elle m’a fait l’effet d’une eau noire où je vais m’enfoncer, qui va m’avaler entière. Partout c’est pareil. L’océan Indien, l’Atlantique, la Manche, la Méditerranée, les piscines les bras d’eau, les canaux, les réservoirs, les rivières, les bassins.
 Je me demande si on peut être étreint par une croyance ancienne qui n’est pas à proprement parler la vôtre. Je me demande si les peurs peuvent rester tapi pendant plusieurs générations et ressurgir. C’est un sentiment, une incapacité, un tabou qui seraient transmis comme on transmet un trait, une manière de tenir sa cuiller, une façon de marcher.

Sa grand-mère.

Je ne connais pas exactement le nombre d’enfants dont a accouché ma grand-mère. J’ai j’entendu treize, j’ai entendu quinze. Seuls sept ont survécu : quatre filles et trois garçons. Enceinte, ma grand-mère travaillait jusqu’au dernier moment dans les champs. Elle a raconté à ma mère qu’elle ne laissait personne connaître exactement le terme de sa grossesse parce qu’elle ne voulait pas de mauvais œil sur elle et sur son enfant à naître. Quand elle ressentait des contractions, elle disait qu’elle se sentait fiévreuse et rentrer à la maison. Là, elle accouchait toute seule accroupie sur une toile de jute.

La domination .

Elle qui louait et craignait la trinité hindoue (Brahma, Shiba, Vishnou) entrait dans une église catholique à la veille de chacun de mes examens. Elle allumait une bougie devant la statue de la Vierge Marie et priait pour moi. Et pour les examens de l’école, elle avait plus confiance dans « le dieu des Blancs, le dieu qui parle français et anglais » me confiait-elle.
Voilà un autre des effets de la vie dans les plantations coloniales, de la vie de dominé. On finit par croire que non seulement sa langue maternelle est inférieure mais que dans certains domaines, ses dieux ancestraux le sont aussi ….

 

 


Éditions de l’Olivier

L’expérience concentrationnaire est incommunicable.

C’est c’est une histoire racontée à des sourds par des muets

Quatrième livre de cette auteure sur Luocine, c’est visiblement une écrivaine que j’apprécie sans jamais être totalement enthousiaste , petit rappel : le remplaçant, Ce Coeur changeant, les bonnes intentions.

Ce roman est , une fois encore, agréable à lire mais la construction est surprenante, on a l’impression, certainement fausse, que l’écrivaine écrit au fil des jours sans savoir très bien où elle va et où elle mène son lecteur.
Au départ, il y a un projet assez vague de créer un lieu pour vieillir avec ses amis, un peu comme ses grands-parents, rescapés d’Auschwitz l’avait fait dans une tour du 13°. Elle revisite donc ses souvenirs, très marqués évidemment par le poids de la Shoah, mais aussi, de ce que représente pour elle, le vieillissement. Son livre est comme un kaléidoscope, avec des petites pépites lumineuses mais qui ne se raccrochent pas à un ensemble.
Comme je suis, parfois, un peu comme la vieille femme écossaise qui l’avait interpellée lors d’un colloque en lui demandant de quel droit elle parlait de la vieillesse et de la guerre, elle qui ne l’était pas, vieille, et qui ne l’avait pas vécue, la guerre, en regardant la très joie femme de soixante ans qui a écrit ce livre, je me suis plusieurs fois demandé ce qu’elle connaissait de la vieillesse physique, qui arrive vers 80 ou 90 ans. Et toujours avec mon esprit mal placé, j’ai pensé que cela lui permettrait d’écrire un autre livre dont le sujet serait « la vieillesse physique commence plus tard que je ne l’imaginais ».

Stop, pour mon mauvais esprit ! Cette écrivaine ne saurait totalement me déplaire car nous avons un auteur fétiche commun : Jean Pierre Minaudier. Et puis, lorsque l’on passe plusieurs soirées avec ce livre, en étant parfois , amusée , triste ou le plus souvent étonnée, on ne peut pas être trop sévère. Pourtant, je sais que j’oublierai ce roman, cette longue déambulation dans sa mémoire et tous les gens qui la peuplent.
Sa grand-mère qui lui donne la recette d’un gâteau dans son accent qui la rend si attachante. Sa mère qu’elle a tant aimée et elle qui sait qu’elle porte en elle même la petite fille, l’adolescente, la femme et la mère .

Je ne pense pas qu’elle construira son phalanstère pour vieillir avec ses amis, mas elle a déjà réussi à les réunir dans son livre

 

Extraits

 

Le Début.

 Mes grands parents maternels, Boris et Tsila Jampolski, avaient 65 ans lorsqu’ils ont acheté sur plan, un appartement de deux pièces avec balcon au huitième étage d’une tour dans le XIII° arrondissement de Paris. J’ai écrit leur adresse -194 rue du Château des Rentiers 75013 Paris- sur des enveloppes et des cartes postales pendant près de trente ans.

J’aime cette façon de raconter.

 À 17 ans et un jour j’ai modelé un nouvel idéal en m’inspirant cette fois d’une amie que je trouvais plus jolie, plus intelligente et plus mûre que moi. Je m’achetais les mêmes vêtements qu’elle. Toutefois comme nos morphologies différaient ce qui la sublimait -faisant d’elle tantôt une princesse bulgare tantôt une ballerine de Degas- faisait de moi une brave une brave fille de ferme. Le constat de ce nouvel échec aurait pu mettre fin à ma manie de l’idéalisation. Mais non. J’aimais et j’aime toujours admirer. C’est mon moyen de transport fétiche. Je veux être ce que je ne suis pas. Je veux être là où je ne suis pas. Peu importe que j’y parvienne ou non, car le plaisir est garanti par le trajet.

La recette de cuisine du gâteau de sa grand-mère.

« Combien tu mets de farine ? » lui ai-je demandé. « Un péï »,a-t-elle répondu. « Et combien de sucre ? » « Un péï. » « Comme la farine alors ? »  » Non, pas comme la farine,. Un péï. » J’ai laissé tomber. Elle a ajouté l’hile, à batti avec le battèr, elle a kisinéï, dans sa kisine, à sa façon qui ne serait jamais la mienne, et j’ai accepté de perdre pour toujours la saveur de mon gâteau préféré. J’ai accepté l’idée que quand elle mourrait, le gâteau mourrait avec elle.

Vieillir.

-C’est quoi, le pire, pour toi dans le fait de vieillir ?
– La douleur. Le mouvement entravé. La fin de la souplesse. La laideur. J’ai j’ai honte de tout, de mes cheveux, de mon visage, de mes mains, de mes pieds (je ne parle pas du reste). C’est comme si je polluais l’espace visuel collectif. Cela me rend malade de timidité. Je ne sais pas comment m’habiller, comment m’asseoir, comment me relever. J’ai l’impression de m’être endormie dans un corps et de m’être réveillée dans un autre.

Je comprends sa mère.

Ce qui ressemble à un paradoxe n’en est pas un : indisponible elle l’était, pour boire un café, se promener bavarder au téléphone. Mais fiable et présente, elle l’était aussi, pour s’occuper des enfants, me conduire en voiture, m’aider à préparer un repas. Autrement dit, si c’était pour le plaisir -le sien en particulier-, c’était souvent non. Si c’était pour se rendre utile c’était toujours oui.

Le brouillon et la vie.

À l’école, on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à essayer, à s’entraîner avant de « faire pour de bon » structure notre existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu’une fois. Le brouillon sera la seule tentative et coïncider avec la version définitive.

C’est aussi une de mes idoles.

Cela m’évoque la félicité grammaticale que j’ai éprouvée en lisant ce que Jean-Pierre Minaudier, historien reconverti en linguiste et traducteur du basque et de l’estonien, écrit concernant un suffixe présent dans la langue guarani. Cette particule que l’on ajoute à la fin de l’année permet d’en modifier la modalité, et d’indiquer ainsi différents états d’un même objet ou d’un même être. » En guarani, note-t-il, il y a non seulement un passé, mais un futur et un « frustratif » nominaux. « Chemanékue » veut dire « celui qui était mon époux, « chéménarã » « mon futur époux, et « chéménarãngue » « celui qui devait être mon époux mais ne l’est pas devenu. Je me rappelle avoir été ébahie en entendant cette déclinaison. Le génie de Minaudier n’y était pas pour rien. Avoir l’idée, pour nommer un mode grammatical, de forger le néologisme « frustratif » à fait de lui une de mes idoles.

 

Édition Presse de la Cité

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Mon père, Roger Alphonse Franc était maçon. Il avait les mains courtes, dures. Et militant, il avait le verbe haut, ne laissait personne parler à place. Et poète, il écrivait des vers interminables dans la langue du Sud, cette merveille oubliée qui m’embrumera toujours les yeux.

Un fils vit à Londres loin de Montpellier où habite son père , il veut à travers ce texte le faire revivre alors qu’ils ont toujours eu du mal (et c’est peu de le dire !) à se comprendre.

Le drame initial, c’est le fait que sa mère est morte quelques jours avant que la maison que son mari, maçon, a construite pour elle. La famille ne s’en remettra pas, le narrateur qui ressemble si fort à l’auteur deviendra un enfant difficile et un mauvais élève. La petite sœur semble aller bien mais son silence aurait dû inquiéter sa famille. Le père est fou de douleur et comprendra encore moins son fils. Il y a une scène émouvante, l’enfant est tellement compliqué que son père décide de l’envoyer dans une école militaire pour le « redresser ». Au dernier moment son père le prend dans ses bras et l’enfant continuera sa scolarité plutôt mal que bien dans sa famille.

Si on remonte dans le passé de son père, on voit un enfant qui aurait dû faire des études, mais pour cela il fallait accepter qu’un « Monsieur » les aide, l’enfant de 12 ans travaillera dans la vigne. Très vite, il deviendra un ouvrier avec une conscience prolétaire et deviendra communiste. Pendant la guerre de 1940, il réussira à revenir et ensuite il s’installera comme maçon à son compte.

Cet homme sera amoureux de sa femme qui vient d’un milieu catholique, ils auront deux enfants, l’auteur et une petite fille. Quelques bons souvenirs à la plage avec des cousins.

Après la perte de sa femme il mettra du temps à retrouver une compagne qui l’aidera à vivre. Malheureusement, sa fille la jeune sœur de l’auteur était neurasthénique et se suicidera.

Voilà à peu près les faits mais cela ne dit pas tout, loin de là ! Tout vient de la façon dont l’auteur s’exprime, il a ce talent particulier de faire sourire souvent, mais aussi il raconte si bien la tristesse de l’enfant. Et enfin il rend un bel hommage à son père, cet homme, ouvrier maçon qui écrit des poèmes en langue occitane .

 

Extraits

 

Début.

 C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un un léger effroi m’a saisi.

La maison de retraite .

À son arrivée au « chenil » -il appela ainsi la maison de retraite où il avait choisi de terminer sa longue course-, il ne s’émut pas. Sans se retourner, il venait de quitter sa chère maison, sa vie d’avant, toute sa vie, emportant dans un sac plastique à 20 centimes, spécialité de Carrefour un de ces pauvres pyjama rayé dont les vieillards ont si souvent le goût. Il avait ajouté quelques chemises repassées.
 » Au cas où le soir où il y aurait dancing » précisa-t-il .
J’ai toujours aimé chez lui cette fausse tranquillité. Son humour.

 Bien raconté.

Quand il plâtrait une pièce vide, il chantait « …. et je vous aime mon amour… ». Dans la pièce à côté, le carreleur aussi chantait. Et plus loin, le plombier chantait. L’électricien ne chantait pas, impossible pour lui qui avait toujours une vis dans le bec et des doigts trop gros pour de si petits écrous.

Les désillusions de la politique .

 Les voyous du Parti, les braves gens amateurs de lendemains qui chantent, sont les cocus de l’histoire. Et oui ça sentait de plus en plus le chaud. Et derrière tous ceux là se lèveront, se sont déjà levés, d’autres apprentis cocus, crapules à la petite semaine, sans compter les saints, les vertueux puants, prêts à en découdre, les amis éternels autoproclamés, de la classe ouvrière.
Dont nous ne sommes plus. 
Dieu merci. 

Les silences père fils.

Je ne sais pas parler avec lui.
C’est ainsi.
Trop de silences ont sédimenté entre nous.
Parler. De quoi ? De nous ? Des tempêtes que nous avons traversées, qui nous ont faits tels que nous sommes.

 


Édition La Martinière

 

Les hommes de notre famille ont toujours été des salauds, de magnifiques salauds. 

 

Un récit de retour vers les souvenirs d’enfance de la narratrice (sans doute très proche de l’auteure) . Son enfance est marquée par l’origine russe de son père. Au début, on pense à un récit léger et nostalgique mais hélas la violence alcoolisée de son père donne une dimension dramatique à ce récit.

Le charme de ce roman vient du style de l’écrivaine, il est léger et drôle sauf quand la violence s’installe. Les souvenirs de la Russie sont entretenus par une grand mère qui se souvient de sa fuite de son paradis du temps où sa famille de la noblesse vivait à Saint Pétersbourg. Le plus amusant, c’est la façon dont le père de cette grand mère a gardé les comportements des nobles russes : en arrivant en France il a dépensé sans compter pour faire la fête et cela, jusqu’au dernier centime de la fortune familiale.

Le fils de cette grand-mère est le père de la narratrice, sa vie a rencontré la violence et l’alcool, les trois enfants se sont enfuis de cet univers morbide. On le comprend facilement, il n’empêche que la narratrice veut revoir une dernière fois la maison des vacances où elle a été si heureuse.
Un roman bien écrit une langue moderne qui sert bien le propos de cette écrivaine. C’est un peu léger mais c’est voulu le ton ne devient dramatique qu’à certains moments, la violence de son père, la mort de sa grand mère tant aimée.

 

Extraits

Elle retrouve son père.

 Je suis à présent une vieille petite fille qu’il pourrait enfin prendre dans ses bras mais c’est trop tard, nous n’avons jamais su. La seul chose que nous somme capables de faire, c’est de nous asseoir l’un à côté de l’autre dans la voiture (ça va ? me dit-il après vingt ans d’absence …) et de rouler dans la garrigue fenêtres ouvertes pour allez une dernière fois ensemble dans la Maison blanche aux volets clos.

Son père.

 Ma sœur mon frère et moi savions bien que ma mère lui avait tout imposé, la maison, le chien, Noël, les saisons, et les choses à prévoir.
 Peut-être que nous aussi, elle nous avait imposés ? Parfois j’en avais la sensation.
– Mais je croyais que les enfants, il faut les désirer à deux ? demandai-je à ma sœur, le soir, quand nous discutions serrées l’une contre l’autre sous les couettes.
– Tu parles ! répondait-elle. Il y a des femmes qui mettre comme cela le grappin sur des hommes.
– Le grappin ? comme pour les bateaux de pirates ?
– Oui, un peu comme ça, si tu veux  ! disait-elle en riant. Une sorte d’arbordage , !

Son grand père et l’argent.

 Il était parti de Saint-Pétersbourg en laissant toute son histoire mais il a eu le temps d’emporter une petite statue de Pouchkine un buste, qu’il m’offrit ce jour-là.
– Tiens Ptit’sa. C’est pour toi. Comme cela tu n’oublieras jamais d’où nous venons. Et sache bien que l’argent n’a aucune importance, crois moi je peux te le dire ! L’argent est une chose fragile, qui va et vient et s’épuise. Sois riche de mille autres choses ma chérie, c’est ce que t’enseigneras cette statue. Ne te laisse jamais engourdir. Souviens-toi de notre histoire et des chemins que la vie peut parfois prendre …

L’alcool.

Quand les hommes se mettent à boire, ils le font avec ceux qui passent et qu’ils ne voient même pas. Ce ne sont que des fausses amitiés, des gorges ouvertes sur le vide. Quand les hommes se mettent à boire, ils commencent à plusieurs mais finissent toujours seuls.

Une mère battue.

Les hurlements d’une mère sont une des rares choses qui vous détruisent définitivement de l’intérieur. C’est irréparable. 

 


Édition Points

 

Le foot n’est pas une option. Le latin. Le grec, sont des options. Le foot c’est obligé. Si tu es un garçon. 

 

Il est des livres qui donnent immédiatement envie de lire tout ce qu’a écrit l’auteur. Pourquoi ? parce que j’ai lu avec un tel regret la dernière phrase du livre qui pourtant est une fin superbe à ce récit. Je sais que je peux relire encore une fois la trajectoire de ce personnage qui réalisera un de ses plus grands rêves : voir une fille à poil ! Mais j’aimerais aussi découvrir ce qu’il a écrit d’autre, pour voir si je retrouve le même plaisir.

Tout m’a plu dans ce récit , la naïveté de l’enfance, l’incompréhension du monde des adultes en particulier celui de ses parents, ses questions sur l’existence de Dieu, puis le mal-être de l’adolescence, son inadéquation au système scolaire.
Cet enfant, fils donc d’un professeur de lycée, sent que sa mère va mal, elle est souvent triste, et son père va passer du statut du Dieu qui sait tout à celui du père dépassé qui ne comprend pas ce fils qui lui même ne sait plus très bien ce qu’il veut. La naissance de son petit frère est compliqué pour lui, car il semble réussir là où lui ne fait que se poser des questions.
Une question qui revient à plusieurs reprises dans ce roman : Pourquoi Dieu a-t-il demandé à Abraham de tuer son fils ? Est ce que son père l’aurait, lui aussi, sacrifié si Dieu le lui demandait ?

Tout aussi important ou presque, comment devenir bon au foot, car à Saint-Étienne dans ces années là, le foot « ce n’était pas une option », c’est lui qui le dit. Il va y arriver, il va réussir aussi à ne plus croire en Dieu mais surtout il va réussir à approcher une fille, la plus belle du monde, même si elle ne porte pas de porte-jarretelles. Elle va surpasser les images de la Redoute et c’est tant mieux pour lui !

Évidemment, un tel roman ne tient que par le style : cet auteur est à la fois drôle et tendre et il sait raconter aussi bien l’insouciance de l’enfance que les tourments de l’adolescences. Je conseille à tous ceux (et à toutes celles) qui se sont ennuyés à 17 ans dans une ville de province, de lire les déambulations du personnage dans les rues de Saint -Étienne, je serai bien surprise qu’ils ne s’y reconnaissent pas.

 

 

Extraits

Début.

Quand j’étais enfant je trouvais tout normal. Ma mère m’enfermait régulièrement dans la cave dans le noir complet. Je trouvais ça normal.

Sympa.

Lina ma petite cousine me dépassait d’une tête. C’est une particularité des filles, je le découvrais : elles ont des cheveux longs, elles portent des jupes et des fois, elles sont plus grandes même quand elles sont plus jeunes. Les filles ne font rien comme tout le monde.

Les disques.

 Sur les disques de mes parents il y avait parfois un personnage qui avait l’air de revenir d’un enterrement, habillé en noir et qui ne rigolait pas. Sur les pochettes de Lina envoyer toujours des barbus colorés et des filles aux cheveux longs avec des foulards partout.

Les majuscules.

 Mon père m’aidait à faire mes devoirs. À ce moment là ça voulait dire faire des lignes d’écriture, pas toujours des trucs utiles, par exemple les lignes de k majuscules. Je ne connais aucun adulte capable d’exécuter correctement un k majuscule en cursive, et pour être honnête ça ne sert pas souvent.

Le désir de plaire à son père.

 Quand il m’expliquait je levai les yeux sur lui et je les ouvrais en grand, je voulais qu’il voie comme j’étais attentif. Je voulais qu’il reste là dans la chambre, avec moi, à m’expliquer. Je faisais tellement d’effort pour avoir l’air d’écouter ce que la plupart du temps je n’entendais rien de ce qu’il me disait.

Aller sur la lune.

 Quand Neil Armstrong met le pied sur la Lune en 69, je ne suis pas très impressionné. En fait des trouve ça assez normale je lis « Guy L’Éclair » depuis que je suis tout petit, j’ai toujours vécu au milieu des fusées, des Skorpies et des planètes lointaines. Je suis né dans un monde de science-fiction. La Nasa est très en retard sur moi.

Le mépris de son père pour les BD.

– Il faut lire des livres. Des vrais livres, pas ces âneries dessinées.
 Son mépris était aussi lisible que s’il avait arboré des peintures de guerre sur la figure. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Cétait un excellent album en plus, « Les Pirates du désert ». Hubinon commençait à trouver son style, plus académique, mais aussi plus étrange, que ses modèles américains.
Des vrais livres. Évidemment, ce n’était pas compliqué, dans cette maison. Il y en avait partout. On pouvait se demander pourquoi je persistais à lire « Tif et Tondu » de préférence à Tolstoï.

Qu’est ce que tu vas devenir ?

 C’était une drôle de question. Je n’avais jamais pensé que j’étais censé devenir quelque chose. Le monde des adultes ne ressemblait pas à un avenir possible. Je ne pouvais pas devenir kiné, comme mon kiné ou pharmacien. Et surtout pas prof. Les adultes étaient une race à part. Leurs petites vies prosaïques et monotones, leur calvitie, leur embonpoint, leurs conversations creuses et répétitives, sur le temps pourri qu’on avait et que fait le gouvernement, ils ne faisaient pas envie.