Édition Gallmeister, 275 pages, décembre 2023

Traduit de l’américain par Anatole Pons-Reumaux

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Un roman apprécié par Aifelle et au programme de notre club de culture. Je comprends très bien pourquoi ce roman plaît aux amatrices exigeantes de romans policiers. Car oui, il s’agit bien d’un roman policier, mais c’est surtout une plongée dans l’Amérique avec une population qui n’est ni riche ni pauvre, mais qui peut vite tomber dans la misère. On voit par exemple comment le système de santé laisse les gens sans protection, il vaut vraiment mieux être riche , jeune et en bonne santé pour bien vivre aux USA ! Le personnage enquêteur Mike est le frère de la sheriff et il est aussi policier mais dans l’armée. C’est un personnage attachant, très classique pour un policier dans les romans (ou les séries et les films) il a raté sa vie personnelle et n’a pas beaucoup d’illusions sur les valeurs de ses frères humains. Mais comme Mike a été élevé par son grand père dans une cabane dans la montagne, c’est un fin observateur de la nature et cela permet à l’écrivain de faire profiter à son lecteur de très beaux paysages.

C’est un roman qui se lit vite et que j’oublierai vite.

Ce que je ne comprends pas très bien et qui me gêne c’est la facilité avec laquelle les morts s’accumulent dans ce genre de romans. Si on en croit ce roman, il y a peu de différences entre les USA et n’importe quel pays dominé par une mafia terroriste ou (et) de barons de la drogue. Car le bilan ici est, si je compte bien, on est face à 14 cadavres sans que cela ne donne une réaction de l’état local ou fédéral.

Extraits

 

Début.

À l’âge de huit ans, Albin avait décidé qu’il deviendrait pilote de course quand il serait grand. Il fabriquait des maquettes de voitures, assemblant des pièces de divers modèles pour créer son propre bolide – numéro onze, peint en vert et blanc. Il se rêvait comme le plus jeune vainqueur du Brickyard 400, avec assez d’argent pour se payer des glaces à chaque repas. Il ne s’était jamais imaginé qu’à vingt-deux ans il conduirait un taxi dans sa ville de Rocksalt, Kentucky.

Personnalité de Mike.

 

Il n’avait jamais aimé la ville. Il n’avait rien contre Rocksalt en particulier, plutôt contre les groupes de gens en général. La ville exigeait une patine sociale qu’il n’avait pas, un exosquelette de politesse. Les gens disaient une chose et pensaient le contraire. Ils se venaient si on osait être franc et direct. Comme si dire ce qu’on pensait était interdit. Il préférait la franchise des gens de la campagne et de la vie militaire.

 

Édition Denoël, 244 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

C’est un roman ou sans doute une autofiction, qui se fonde sur la vie de l’auteur qui, comme le narrateur, est d’origine iranienne mais a aussi la nationalité américaine. Enfant, il ne voulait qu’être américain, mais le chemin qu’il va nous raconter dans ce livre c’est son éveil sexuel et le retour vers ses racines iraniennes. Son père, « baba » a raté sa vie en Amérique et, sa colère de raté, il la reporte sur sa femme et ses trois garçons. Sa mère, courageusement reprend une formation d’aide soignante pour faire vivre la famille. L’aîné des garçons Shawn, est une excellent basketteur, Justin un très bon scientifique, et le plus jeune le narrateur a bien du mal à trouver sa place. Il adore sa mère. Toute la première partie raconte une enfance dans une famille désargentée avec un père capable de colères injustifiées et qui dépense l’argent qu’il ne gagne pas. Mais la plupart du temps nous le passons avec des garçons préadolescents surtout doués pour faire des bêtises.

La deuxième partie, se passe en Iran à Ispahan chez le grand père qui ne s’attendait pas au retour de son fils. Rien ne se passe bien, Baba est toujours aussi violent et surtout c’est là que se passe le pire traumatisme de la vie du narrateur : son père le viole. Grâce à la sœur de la maman , les enfants reviennent à Los Angeles.

La troisième partie la famille se reconstruit aux USA , mais ils seront victimes de racisme à cause des attentats du 11 septembre . Le narrateur se sent attiré par les garçons et il assume peu à peu son homosexualité. Un de ses frères s’engage dans l’armée et l’aîné sera peut-être entraîneur de basket.

Ce qui rend ce roman difficile à lire, et qui explique mon peu d’enthousiasme, c’est la langue, je ne sais pas si c’est bien traduit mais il y a beaucoup d’expressions que je ne connais pas, je les comprends dans le contexte mais c’est un peu étrange. Cette expression est dans un de mes extraits mais un moment Shawn dit à son frère ; « on a eu de la chatte » , je pense, que ça veut dire « on a eu de la chance », je connaissais en langue vulgaire « on a eu du cul » mais de « la chatte » jamais.

Mais ce qui est le plus gênant c’est que l’auteur ne traduit aucune expression iranienne, il y en a beaucoup, aucune traduction et aucun glossaire . J’ai beaucoup de mal à comprendre la raison de ce choix.

Il y a des moments d’une grande sensibilité dans ce récit mais la langue le rend difficile à lire et comme tout est vu du point de vue d’un enfant, on a bien du mal à comprendre les autres personnages. On aimerait mieux connaître sa mère, son grand-père. ce qui est vraiment bien raconté c’est l’éveil du jeune à l’homosexualité et sa double appartenance à l’Amérique mais en retrouvant ses racines iraniennes islamiques.

Extraits.

Début.

Après avoir descendu l’échelle de notre lit superposé, je quitte la chambre exiguë que je partage avec mes frères. L’appartement est silencieux et étouffant et Maman est endormie sur le sol du salon. Je franchis la porte d’entrée et la referme sans bruit.

 

Je dois souvent chercher les mots.

Nous suivons Baba à l’arrière du bâtiment, dans une grande salle avec des robinet le long du mur, réservée au wodzu. 

Un père coléreux .

Baba prend maintenant le torchon dans la main de Maman et le pose devant moi en me disant d’essuyer le thé renversé. Il se rassoit, inspire profondément et continue de décharger ce qu’il a en lui, mes frères et moi nous nous taisons à nouveau tandis qu’il étale sa colère sur la table, comme si c’était une chose spéciale qu’il devait nous montrer.

L’auteur ne traduit pas toujours c’est bizarre.

L’avant du taxi s’affaisse dans premier puis un second nid-de-poule et notre chauffeur dit à Baba que c’est une honte, que l’Iran tombe en ruine. Baba réplique qu’il ne faut pas parler ainsi de leur pays mais le conducteur insiste. Natars ãghã, le rassure-t-il, écartant les inquiétudes de Baba d’un geste de la main comme s’il s’agissait de moucherons. Personne ne nous écoute.

Le père a violé le narrateur dans la chambre où dormaient ses trois enfants, donc les aînés ont tout entendu .

En Iran, avec Baba …pourquoi tu ne l’as pas arrêté ?
Mon frère soupire, se relève et, l’espace d’une seconde, j’ai l’impression qu’il va recommencer et me clouer les mains sur le bitume. Il va en fait chercher le ballon et le serre contre lui. Il regarde autour de nous, ce parking abandonné illuminé par le soleil couchant, entouré d’arbres aux fleurs rouges autour desquelles s’agglutinent des essaims d’abeilles, son échappatoire.
Tu réalises pas la chatte qu’on a eue d’être rentrés. Et non seulement ça, mais qu’en plus Baba soit resté en Iran. On peut faire tout ce qu’on veut. Il sourit calmement . « Pas vrai ? » Alors pourquoi tu passerais pas plus de temps à penser à ce qui nous attend plutôt que de ressasser un truc qui est arrivé il y a plus de trois ans ?

La religion.

Je ne me préoccupe pas tant du sens des mots, de ce que veut dire la prière, ou de savoir si Dieu va rejeter la mienne, tout ça parce que, comme l’a dit mon voisin, je ne la récite pas correctement. Je continue pour la sensation que me procurent les versets, pour ne plus avoir peur ni envie de me cacher, me souvenir qu’il y a toujours en moi autre chose que le petit Américain blanc que j’ai tant voulu être et auquel je ressemble. Depuis les attentats, j’ai cessé de prier, faisant comme si le namaz -son calme et son mouvement, la paix que je ressens dans le lien avec Dieu et l’amour pour le pays de mes parents – et toutes ces choses n’avaient jamais existé. Mais la mélodie de ces paroles anciennes, entonnées par la voix puissante de l’imam, me ramène en arrière (…) elle me conduit à cette partie de mon passé que j’ai essayé si fort d’effacer. 


Édition Les Avrils, 267 pages, Août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Lors de la discussion de notre club de lecture, beaucoup de lectrices avaient aimé ce roman sauf une, cela m’a intriguée et j’ai voulu en savoir un peu plus. J’aurais moi aussi eu beaucoup de réserves sur ce récit. Pourtant cela avait bien commencé , j’ai bien aimé la description de cette jeune femme « la petite bonne » qui trimballe son seau de ménage pour aller chez ses patrons Le style est particulier mais tout a fait acceptable ce sont des monologues intérieurs des réflexions des trois personnages prennent la forme de vers libres. Je rappelle le sujet : un homme musicien est revenu très handicapé après la guerre 14/18. Sa femme Alexandrine se dévoue pour sa survie, elle embauche une jeune bonne et décide de partir en WE en Normandie . La petite bonne se retrouve donc seule un WE avec Blaise le musicien mutilé.

Pour moi le charme du récit s’est arrêté à une scène bien précise : une gitane à qui Alexandrine refuse l’aumône lui dit de ne pas toucher aux pipes de son mari, bien sur, elle le fait et elle casse une des pipes pendant que son mari casse la sienne en sortant de sa tranchée en 1916. Enfin, pas tout à fait, il est sauvé par un chirurgien qui lui rend la vie mais ni ses mains si ses jambes ! Alexandrine se sent si coupable qu’elle se dévouera corps et bien à ce pauvre Blaise qui ne veut que mourir. Et ce n’est pas tout , l’armée lui téléphone pour lui dire que son mari a été blessé exactement au moment où elle était en train de casser une de ses pipes ! Le téléphone chez des gens en 1916 !

Bref j’ai décroché et repensé à tout ce qui était bizarre dans ce roman, qu’une bonne ne laisse pas son seau chez les propriétaires et qu’elle le trimballe de maison en maison.

Et la pauvre Alexandrine m’a semblé si peu crédible. Bref j’ai failli grâce à l’écriture aimer ce livre et c’était possible car l’opposition entre la situation de la bonne et des bourgeois est plausible , mais c’est aussi tellement plein de clichés . Avec une allusion à le seule famille qui aurait eu plus de compassion pour elle, mais qui a fui la montée de l’antisémitisme, la famille Goldberg.

Si je lui mets trois coquillages (et non deux comme j’en ai eu envie) c’est grâce à la musique car le musicien possède un gramophone et « la petite bonne » découvre la musique classique, ce sont toujours de belles pages quand on peut décrire ce que fait la musique quand on la reçoit la première fois et même ensuite.

Extraits.

Début.

Les cent pas
j’aimerais pouvoir les faire
réellement 
Ici c’est cinq pas dans la longueur 
à peine trois dans la largeur 
et vraiment 
des petits pas
Des traversées 
il en faut quelques-unes
pour arriver à cent
C’est long
mais jamais assez
Malheureusement 
j’ai tout mon temps
pour compter mes pas

Une bonne place.

Elle se souvient de son émotion 
la première fois 
qu’elle avait quitté la ville
Elle avait suivi une famille
– sa meilleure place
quand elle y repense- 
Elle semblait à peine plus âgée que les jeunes maîtres
mais moins bien habillée
coiffée
éduquée
Pendant qu’ils étudiait
le grec
le latin
l’algèbre
la philosophie
elle apprenait à coudre
à repasser
à frotter
l’argenterie
les sols

La tristesse absolue.

Elle découvre son dos
affaissé 
tremblant 
Le dos d’un homme qui pleure
Ce n’est pas si courant
un homme qui pleure
Chez elle un homme
ça prend sur soi 
ça ne gémit pas
ça ne flanche pas

Prédiction de la gitane ne pas casser la pipe …

Avec précaution, elle sortit la pipe et entreprit de l’examiner de près. On sonna à la porte. Prise en faute , elle sursauta et lâcha la pipe qui s’écrase au sol en mille morceaux. 
 Ses amies la trouvèrent en larmes, accroupie dans un coin, tenant dans ses mains le tuyau inutile d’une vieille pipe cassée. Elle la réconfortèrent de leur mieux. Toutes savaient la sensibilité à fleur de peau des unes et des autres, comment un fait insignifiant pouvait prendre une place folle. C’est cette après midi-là qu’elle fut prévenue par un appel du front : Blaise avait été grièvement blessé. 

 


Éditions du Seuil, 228 pages, octobre 2024

 

« J’ai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

Cet auteur a fait de sa famille l’objet de certains de ses livres, sur Luocine j’ai mis « En finir avec Eddie Bellegueule » et « Qui a tué mon père » , j’ai lu aussi celui consacré à sa mère. J’ai beaucoup aimé celui-ci , car on y apprend beaucoup sur un homme que je n’aurais guère aimé rencontrer un soir dans une rue d’Amiens ou ailleurs. Un homme que j’aurais méprisé car sujet à des accès de violence : il frappait les femmes et faisait peur à ses enfants, un homme que l’alcool rendait fou, qui tenait des propos racistes et homophobes. Et pourtant un être humain !

Édouard Louis, ne cache rien des horreurs que son frère a été capable de faire ou de dire, mais en recherchant qui il était à travers différents témoignages, on se rend compte qu’il pouvait être « gentil » et qu’il avait été aimé par des femmes qui rendent toutes l’alcool et son enfance responsables de ses violences. Le roman suit les préparatifs de l’enterrement, les souvenirs de l’enfance où ce frère a fait tellement souffrir le petit Eddy, mais aussi la façon dont le père a brisé tous les rêves de cet enfant. Est-ce que l’abandon par son père géniteur qui a été capable d’aimer d’autres enfants que lui, est la première blessure dont cet homme ne s’est jamais remis ? Est-ce que l’alcoolisme est héréditaire ? Son père, son oncle, son cousin sont tous morts d’alcoolisme . Est-ce que la misère sociale en est responsable ?

Ce portrait m’a permis de comprendre des gens que je ne croise pas souvent et que j’ai tendance à mépriser. Je trouve que ce roman permet effectivement d’ouvrir les yeux sur les ravages de l’alcoolisme car l’auteur ne cache rien sur les faiblesses, mais aussi sur les causes possibles de cette autodestruction, l’auteur n’est donc jamais dans le jugement ni dans la justification : c’est ce que j’ai beaucoup apprécié. Même quand il raconte l’homophobie violente de son frère donc de l’auteur.

Je trouve que pouvoir comprendre des gens qui, tout en étant tout près de moi, je ne vois jamais c’est presqu’aussi exotique que décrire une population au fin fond de l’Amazonie. Et surtout on se rend compte que chez des hommes détruits par l’alcool, il y a aussi une être humain. C’était le cas de son frère qui méritait bien ce roman .

 

Extraits.

 

Début.

 Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors, ou comme on écouterait une personne quelconque nous dérouler le récit de son après-midi au supermarché. Je ne l’avais pas vu depuis presque dix ans. Je ne voulais plus le voir. Certains jours ma mère tentait de me faire changer d’avis, d’une voix hésitante, comme si elle avait eu peur de me froisser ou de créer un conflit entre elle et moi : 
– Tu sais, ton frère peut être que tu devrais lui donner une chance … je crois que ça lui ferait plaisir. Il parle beaucoup de toi…

La haine de ses parents.

 Il les détestait parce que à cause d’eux, il était détruit mais c’était fini maintenant, grâce à ses amis allée se reconstruire.

 Ma mère a raccroché assommée. Elle ne savait pas que mon frère couvait cette haine pour elle à l’intérieur de lui – et je crois qu’elle était sincère, elle ne savait pas il ne faut pas lui en vouloir. À la fin de l’appel téléphonique elle a soupiré et elle a dit à mon père, les yeux grands ouverts et la mine stupéfaite, comme si elle venait d’apercevoir un fou qui poussait des cris dans les rues : « Mais ça va pas bien l’autre à inventer des trucs comme ça. »

Différence entre classes sociales.

... Dans notre monde essayer n’était pas une chose possible, je l’ai vu plus tard dans le monde de ceux qui vivent dans le confort et dans l’argent ou du moins avec plus d’argent et plus de confort, certains de leurs enfants étaient comme mon frère, certains buvaient, certains volaient, certains détestaient d’école, certains mentaient, mais leurs parents essayaient des choses pour les aider et pour tenter les transformer, ils leur offraient une formation de pâtissier, de danseur, d’acteur dans une mauvaise école de théâtre trop chère, ils essayaient, et c’est aussi ça l’Injustice, certains jours il me semble que l’Injustice, ce n’est rien d’autre que la différence d’accès à l’erreur, il me semble que l’Injustice ce n’est rien d’autre que la différence d’accès aux tentatives qu’elles soient ratées ou réussies, et je suis tellement triste, je suis tellement triste.

L’alcool .

 Il buvait de l’alcool pour se sentir mieux et l’alcool l’enfermait dans son destin ; lui-même avait dit à ma mère quelques mois avant de mourir :  » Jai bu pour m’évader et l’alcool est devenu ma prison. »

La famille .

 C’est un phénomène que j’ai souvent observé dans les familles : elle veulent alternativement vous aider et vous noyer.

L’alcool, la violence, les femmes.

 Pourtant l’histoire se répétait et s’amplifiait dans sa répétition : avec Géraldine mon frère se comportait comme avec Angélique, mais en pire. C’était comme s’il avait voulu l’aimer mais qu’il était, dans les faits inapte à mettre en pratique ce sentiment. Il buvait toujours plus, certain soir il vomissait dans l’appartement, il renversait les meubles. Les années passées il avait vingt-deux, vingt-trois, vingt-quatre ans et il s’est mis à l’alcool plus tôt dans la journée, d’abord au milieu de l’après-midi, sans occasion particulière, puis le matin. puis directement au réveil.
L’alcool devenait pour mon frère une maladie incontrôlable, et de plus en plus visible pour les autres.
(…)

Il était avec elles dans la chambre -alors moi qu’est-ce que j’ai fait ? Je me suis mis entre lui et mes deux filles et je les ai protégées. J’étais allongée sur mes deux filles, pliée, comme une carapace de tortue, et ton frère il me tapait sur le dos comme s’il aurait voulu me le transpercer.

 Il me tapait tellement fort que mes filles elle sentait des coups à travers moi, elles me l’ont raconté le lendemain, elles m’ont dit maman On sentait ses poings à travers ton corps à toi.
 Un jour, dans la rue,
comme ça,
 sans raison, 
Il m’a mis une grosse claque dans la tête.
Mes lunettes de soleil,
elles ont volé par terre.
 Comme ça, en plein milieu de la rue.


Édition Julliard, 213 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai oublié de noter le blog ou les blogs où j’ai déjà vu passer ce roman. Ce livre est écrit dans un style très prenant auquel j’ai adhéré pourtant souvent je suis gênée par l’accumulation de phrases très courtes, et cet auteur en use et même en abuse. L’ histoire de Youssef est si poignante que je me suis laissée à lire à voix haute son texte qui résonne parfois comme une tragédie classique.

Cela raconte le vie d’un Marocain, qui est professeur à Paris, il a fui son pays sa ville de Sale , car il est homosexuel et en a terriblement souffert. Il revient dans sa ville natale car il doit vendre l’appartement dont il a hérité de sa mère. Toute sa vie lui revient au gré de ses déambulations et de ses souvenirs. D’abord son premier amour, Najib, il avait 16 ans et Najib 24 quand ils se sont rencontrés et aimés. Et Najib lui a permis d’éviter toutes les souffrances auxquelles lui-même a été victime. Najib est devenu un grand trafiquant de drogue qui n’a rien oublié des gens qui l’ont méprisé dans son enfance, il est maintenant un puissant craint et respecté car immensément riche.

Sale c’est aussi la ville ou Youssef a grandi avec ses six sœurs. C’est l’aspect le plus tonique de ses souvenirs, bien sûr la famille a eu faim et était réduite à une misère à peine imaginable, mais c’était aussi un lieu de vie qui a donné des forces au jeune Youssef. Ses six sœurs avaient une énergie incroyable qui s’est dissoute dans leurs mariages respectifs.

Ce roman est une charge incroyable contre la société marocaine. Quelle hypocrisie face à l’homosexualité ! la scène ou un vieux viole un jeune enfant de huit ans au hammam est très dure et le récit des tortures que le jeune Najib a supporté dans son enfance est insoutenable. Les mêmes hommes qui le violaient jusqu’à réduire son anus en sang, étaient les premiers à dire que les rapports homosexuels méritaient la mort !

Najib deviendra l’amant d’un haut gradé militaire et là non seulement, il découvrira que les rapports homosexuels existent dans toutes les tranches de la société, mais aussi que les plus hauts responsables de l’état sont aussi à la tête du plus gros trafic de drogue du Maroc.

Youssef et Najib sont deux aspects contradictoires de la réaction à la même sorte d’enfance : Najib a construit sa vie sur la vengeance, Youssef est toujours à la recherche de l’amour des siens.

On peut reprocher à ce roman de ne faire la critique de la société marocaine qu’à travers l’homosexualité, j’ai été gênée par le fait que l’auteur ne se penche pas plus sur le trafic de drogue qui est aussi pourvoyeur d’horreurs dont l’auteur ne parle absolument pas. Mais il est vrai que la sexualité raconte beaucoup de choses sur une société, surtout en ce qui concerne l’hypocrisie des puissants.

 

Extraits

Début.

 Sœur avait trois jours devant elle pour payer les dettes de notre défunte mère Malika.
Pas un jour de plus.
 Elles ont dit que c’était la tradition marocaine qui l’exigeait.
 Je n’ai jamais entendu parler de cette tradition mais j’étais avec elles, les sœurs, de leurs côté. J’ai proposé de participer moi aussi aux règlements des dettes. Elles ont catégoriquement refusé.
 C’est une affaire de femmes, Youssef. C’est à nous, ses six filles, que reviennent cette charge. Pas à vous nos trois frères. Cela fait partie de notre héritage. Les hommes n’ont rien à voir là-dedans.

J’aime ce passage.

Mes six sœurs sont toutes plus âgées que moi. Elles s’appellent Kamla (la Parfaite), Farida (l’Unique), Hadda ( la Tranchante), Sandra (la Veilleuse) , Ilham (l’inspiration) et Ibtissam (la Souriante) .

Le rejet de l’homosexualité.

 (Kaddour) Kaddoura a vécu dans le péché dans le « haram ». Allah ne pardonne pas ce péché.. C’est parmi les plus grands péchés, l’homosexualité.. Kaddoura ne s’est jamais repentie. Il paraît que Kaddour a continué sa mauvaise vie de pédale à Marrakech, Agadir et Ouarzazat. Quelle honte. Personne ne devait aller au funérailles de Kaddour. C’était un mécréant. Un homme du côté du diable.
 En l’espace de deux heures seulement, la mémoire du quartier de Khabazat accueillait de nouveau kaddour pour le rejeter de nouveau. Même mort, Kaddour n’a pas été accepté L’imam de la mosquée n’a pas voulu s’occuper de sa dépouille. Ni réciter pour lui la prière des morts. Presque personne ne s’est rendu ce soir-là au repas des funérailles de Kaddour.

Le hammam.

 Le monde triste et ses misères n’ont pas le droit de cité ici. Même les hommes ne se comportent plus vraiment comme des hommes. Ils deviennent vulnérables. Ils offrent aux autres leur corps et leurs espoirs les plus secrets. Ils se lavent bien comme il faut et ils n’oublient jamais d’aider les autres à le faire. Le Maroc est un royaume c’est vrai. Mais la véritable démocratie n’existe que dans les hammams.

L’extrême pauvreté.

J’ai immédiatement reconnu l’atmosphère d’autrefois. L’odeur de cette époque. Nous ensemble. Dans les cris et le chaos, mais ensemble. La mère. Le père. Neuf enfants. Entassés les uns sur le autres. Cette odeur est encore là, dans cet appartement. Celle de corps qui passaient l’essentiel de leur temps par terre. Nous vivions au niveau du sol. Assis. Accroupi. Allongés. Endormis. Affamés. Enragés. Envoûtée. Possédés par les djinns. Malades. Sous le poids du « mektoub » .

 

Édition Albin Michel, 419 pages, mai 2024

Traduit de l’anglais par Paul Matthieu

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Prenez tout votre courage pour lire ce roman, vous partirez dans les scènes de saouleries à la bière, de rails de coke à vous exploser le nez, de bars glauques où on a le droit de mettre la main aux fesses des serveuses, des coups de poing qui partent en bagarre sans qu’on sache pourquoi, d’une mère dépassée et d’un père violent et qui a abusé son fils aîné aujourd’hui totalement détruit. Je dois avouer que les scènes d’alcool et de drogue ont fini par me lasser. Le personnage principal avait pourtant fait des études mais il est revenu à Belfast où l’attendait des « amis » qui n’avaient jamais quitté cette ville où, semble-t-il, être à jeun est totalement anormal. Le pire c’est cet effet d’entraînement où personne ne peut résister à celui qu’offrent l’alcool et la drogue. C’est terrible et tellement répétitif . Pourtant, le personnage est attachant et si je n’avais pas été tellement dégoûtée par toutes le scènes de beuveries j’aurais lu plus attentivement ce roman pour mieux comprendre son intérêt : cerner la difficulté d’être vraiment maître de sa destinée sans pour autant renier ses racines.

Extraits

Début

 C’était trois fois rien. J’ai balancé un coup de poing et il s’est écroulé. Une fille s’est précipitée et m’a poussé : Pourquoi t’as fait ça ? Le type était étendu par terre, à mes pieds et il y avait des gens partout autour qui braillaient. Le temps que je réussisse à m’extraire de la mêlée, deux Land Rover sont arrivées. Un flic à l’air blasé et au front dégarni s’est approcher de moi.

Mac do le soir

 Les lumières étaient d’une blancheur impitoyable, tout le monde avait une tête de déterré, et il régnait une ambiance vraiment atroce, cruelle, comme à la cantine du lycée, sauf que là tout le monde est bourré et se croit super marrant. Pour les pauvres clampins derrière les caisses, c’était l’horreur. J’avais sincèrement pitié pour eux. Ce n’est pas comme bosser dans un bar, il n’y a pas la musique pour faire écran, et les gens peuvent vraiment être infects quand ils sont torchés . Ils ne pensent pas à mal, la plupart veulent juste rigoler, mais quand vous êtes debout depuis midi et qu’il est deux heures du mat, la dernière chose dont vous avez envie c’est de vous faire gueuler dessus par un connard ivre mort qui trouve que son Big Mac met trop longtemps à arriver. Rien qu’à voir ça tu en viens à détester le monde entier.

Son frère

 Parce que Anthony selon toute probabilité, se mettrait en quête d’un autre endroit où aller dès que le bar annoncerait que c’était l’heure des dernières commandes, et si vous aviez une piaule à dispo pas loin, sans personne, pas de femme, pas de gamins, il viendrait squatter chez vous. Pas moyen d’y échapper. De sorte que boire avec lui quand vous n’étiez pas au même niveau vous donnait l’impression de subir une forme de torture . Sa mission était de vous faire sombrer aussi bas que lui. Et au bout du compte c’était ce qui rachetait tout ce calvaire, parce que une fois que vous étiez aussi ravagé que lui vous pouviez vous éclater comme jamais.

Le ton du livre et c’est à peu près tout le temps comme ça

 On n’avait pas prévu de boire autant ce jour-là, mais il faisait un temps agréable et il y avait plein de bars dont les terrasses se remplissaient à mesure que l’après-midi avançait, ce qui nous permettait d’économiser quelques billets en finissant les pintes les gens laissaient sur les tables au moment de s’en aller.

 


Édition Calmann Levy, 156 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai lu en une soirée ce très court roman, largement inspiré de la vie de cet auteur. Je l’ai oublié deux jours après donc il faut vite que j’écrive ce que j’en ai pensé pour qu’au moins mon blog s’en souvienne ! C’est un premier roman, et très classique dans le genre : cet auteur a besoin de nous dire d’où il vient. Il le fait avec une grande honnêteté, ce qui n’est pas déplaisant.
Ses parents sont divorcés et ce divorce a entraîné pour un temps un déclassement social. Son père est musicien et complètement asocial mais c’est un père gentil avec son fils, sa mère est courageuse et reprend des études pour sortir sa famille de la misère. Son frère aîné compose du rap et va connaître un certain succès, le roman est scandé par des textes écrits par ce frère. La fêlure sur laquelle se joue le passage à l’écriture de ce jeune homme, c’est sa position de troisième dans la famille il a l’impression de ne pas exister : d’être « l’ombre des choses ».

La description de son passage dans une cité d’urgence qui abrite la misère ordinaire, son dégoût pour sa ville de province d’origine,( Angers son château et sa tapisserie de l’apocalypse) ses rapports avec son frère et ses copains tout cela ne m’a pas beaucoup intéressée , mais attendons son prochain roman, on découvrira peut-être un romancier plus riche que cette première impression.

 

Extraits

 

Début

 J’étais donc là.
 Un enfant moyen dans une ville moyenne. Avec, au cœur de la ville, un château fort. Un vieux truc du XIII°siècle moyenâgeux. Dix-sept tours, hautes d’une trentaine de mètres. Mais les touristes n’avaient d’yeux que pour la tenture de l’Apocalypse, un ensemble de tapisseries médiévales, uniques au monde. Ça donnait un peu de fierté à la vie moyenne.
Ici, vu de l’extérieur, tout était parfait.

Honte de son père

 « T’as vu ? il y a un clochard devant l’école », me disait Dorian d’un air méprisant. « Non, c’est mon père. » Deux mois plus tard pendant la récréation, j’avais fini par frapper Dorian d’un coup de poing dans le ventre. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine avec une intensité inhabituelle qui semblait vouloir le faire sortir de mon corps. Les battements s’accéléraient et mes mains tremblaient de nervosité. Je découvrais la chaleur de la violence. Dorian pleurait de douleur et j’avais envie de pleurer avec lui.

un Rap , je suis vraiment incapable d’apprécier un tel texte

C’est tout pour la famille, tout pour la déter’

 Petit, laisse les parler, ils parleront jamais
des gens qu’y à derrière
 Et vas-y, fait un deux, c’est morts pour les ingrats 
Protégés par Dieu, j’peux assurer les fins de mois 
 Quand j’pense à ma vie, c’est abusé
 J’suis peut-être miraculé comme Santa Maria
D’ Guadalupe

 


Édition Albin Michel, 301 pages, mai 2015.

Traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Voici donc le premier livre de mon club de lecture 2024/2025. le thème de ce mois Irlande. J’espère que les prochains seront moins tristes !

Ce roman raconte le retour vers son Irlande natale de Barnabas Kane , aux États-Unis, il a réussi grâce à son courage physique et son intelligence à amasser suffisamment d’argent pour acheter une ferme et un troupeau de vaches. Avec sa femme Eskra, et leur fils Billy, ils sont parvenus à une certaine aisance et pensent être à l’abri des soucis. Le roman se passe en 1944.
Le premier chapitre décrit l’incendie qui ravage leur étable alors que le troupeau de vaches étaient à l’intérieur et leur ouvrier, un paysan du coin, y a laissé la vie en essayant de libérer les animaux. Cette catastrophe va entraîner toutes les autres et, surtout, révèle à quel point l’ensemble du village vivait très mal leur réussite . On retrouve ici la dureté du monde paysan, tous leurs voisins les observaient d’un regard jaloux, car même si Barnabas est d’origine irlandaise pour eux c’est un usurpateur et ils se réjouissent de son malheur.

Et cela va continuer, sa femme aurait voulu repartir avec leur fils, mais hélas pour eux Barnabas s’entête à remonter la pente, alors les malheurs continuent, leur chien est tué , les ruches de sa femme vont être détruites, et elle finira par partir, le laissant seul avec son fils qui se suicidera …

Le romancier utilise les trois voix, Barnabas le lutteur qui ne renonce jamais, et qui se fait repousser par tous ses voisins dès qu’il vient leur demander de l’aide, Eskra cette femme qui a tant aimé son mari et qui est impuissante à le faire renoncer à cette lutte, elle comprend immédiatement que cela les amènera à leur perte, et enfin Bill qui écrit sur un cahier toutes les difficultés qu’il rencontre auprès des enfants du village qui le rejettent violemment, malheureusement pour lui, il se liera avec Le Cogneur un jeune un peu retardé et qui sera à l’origine des malheurs de la famille. Et si Bill ne dit pas tout ce qu’il sait c’est qu’il a eu une conduite peu honorable avec une toute jeune fille du village.

Trop c’est trop, même si le style de cet auteur est parfait et décrit très bien l’atmosphère anxiogène de ce village, l’accumulation de tous les malheurs de cette famille m’a lassée. Je vois qu’Athalie est sur la même longueur que moi, et Katell souligne aussi la noirceur de ce roman que je ne vous le conseille pas surtout si vous n’avez pas le moral ou que vous supportez mal le climat ou les malheurs du monde !

Extraits

Début.

Lorsque Matthew Peoples remarque quelque chose, le soir approche déjà. Sa silhouette massive campée au milieu du champ, un simple tricot de corps gris sale sur le dos, une torsion du bras pour se gratter le creux de l’épaule. 

L’incendie.

Abolies les odeurs de l’étable, aussi bien que si elles n’avaient jamais existé. Tour le registre de ses senteurs – herbe, fumier, fourrage- entremêlées pour composer un arôme unique. Les notes plus lourdes du foin. Les relents humides d’une vieille bâtisse. Ne restent plus que l’âcre puanteur des choses consumées et l’air saturé de fumée, qui a l’inconstance d’un rêve. Mais rien n’est plus terrible pour ces deux hommes que le tumulte affolé du bétail. Les vaches prisonnières de leurs stalles, rivalisant de cris pour réclamer leur délivrance.

Les voisins .

Dans le coin personne ne viendra t’aider. Ils ne l’ont jamais fait à moins d’être payés.
Et tu crois que tu me suis fait des illusions, Eskra ? Que je les voyais déjà former un long cortège solidaire avec leurs charrettes, me fournir main-d’œuvre et matériaux et travailler à ma place ? Nous offrir des bêtes pour démarrer notre affaire ? Comme dans les films ? les gens d’ici sont habités par la crainte de Dieu, mais ils n’ont de chrétiens que le nom. Ils ne considèrent que leurs intérêts personnels.


Édition Stock, le Cosmopolite, 378 pages, janvier 2024.

Traduit de l’anglais par Mathilde Bach

 

Voici un livre que j’ai commencé plusieurs fois, et laissé tomber plusieurs fois aussi. Il faut dire que je l’ai lu pendant l’été et que l’ambiance joyeuse des jeux de plage des enfants ne correspondait en rien à l’atmosphère de ce roman. Claire Fuller nous plonge dans une Angleterre que je ne connaissais pas : la pauvreté extrême en milieu rural britannique.

Julius et Jeanie ont plus de cinquante ans, ils vivent dans un cottage avec leur mère Dot. Le récit commence par la mort de crise cardiaque de Dot. Et avec sa mort, le fragile équilibre que Dot avait construit autour d’elle et cette maison s’effondre.

Tout le roman suit alors les raisonnements de Jeanie et parfois de Julius pour faire face à cette disparition et aux énormes difficultés financières dans lesquelles ils sont immédiatement plongés. Ils n’ont pas assez d’argent pour enterrer leur mère, leur solution est pour le moins étrange : ils l’enterreront dans le jardin ! Cela ne peur pose pas tant de problèmes que cela ! en revanche les rapports de leur mère avec le propriétaire du cottage , un certain Spencer Rawson les amènent à prendre des décisions qui vont tourner au désastre pour Julius. Peu à peu, la personnalité de Dot’ par qui tous leurs malheurs sont arrivés, va se découvrir et la vérité qu’elle a si soigneusement cachée à ses enfants va nous permettre de comprendre le pourquoi de leurs difficultés de vie. Je l’ai trouvée terrible cette mère et d’un égoïsme incroyable et elle a fait le malheur de Jeanie à qui elle a interdit tout parcours scolaire simplement pour la garder auprès d’elle !

« Terre Fragile » est une description émouvante d’un milieu social qui apparaît peu dans la littérature contemporaine, on a l’habitude des dérives violentes dans le milieu urbain, mais on oublie souvent que l’isolement du monde rural peut donner lieu à des tragédies silencieuses tout aussi terribles.

J’ai des réserves par rapport à cette lecture, mais elles sont l’expression de ma difficulté à me plonger dans cette narration, je m’ennuyais ferme avec Jeanie, je me doutais dès le départ qu’elle ne pouvait pas prendre les bonnes décisions et son cerveau embrumé ne m’aidait pas à m’attacher à elle.

 

Extraits

Début comme tant de romans celui-ci débute par des considérations météorologiques.

 Le ciel du matin se dégage la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait comme moulé sous une tasse au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l’ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l’établi et le sol, à l’aplomb d’une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps.

La mort de Dot et le mensonge.

 Dans un dernier éclair de lucidité, le cerveau de Dot s’inquiète : le fracas de la poêle et de la brosse métalliques risque d’avoir perturbé les battements réguliers du cœur de sa fille, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que c’est bien là le plus gros mensonge de tous. Le tisonnier, tombé lui aussi, roule sous la table, oscille une fois, deux fois, puis s’immobilise.

La pauvreté extrême.

 À mesure qu’elle s’affaire, elle ne cesse de se demander pourquoi Dot ne leur avait pas dit qu’elle était malade. Elle était têtue et fière, c’est vrai. Elle leur avait appris à ne jamais accepter de cadeau de quiconque parce que d’un jour à l’autre ils -en particulier si ce « ils » était le gouvernement- pouvait revenir frapper à la porte et réclamer qu’on le leur rende avec des intérêts. Jeanie n’est pas étonnée que sa mère ne soit pas allée chercher ses médicaments gratuits, elle n’est pas non plus choquée outre mesure qu’il y ait si peu d’argent dans la boîte, mais elle ne peut s’empêcher de calculer les dépenses encore et encore dans sa tête : l’enterrement ou la crémation, un cercueil, les croque-morts, le corbillard, les fleurs. Qu’est-on censé faire quand on ne peut pas se permettre toutes ses chose -enterrer sa mère dans le jardin ?

 

 


Édition le livre de poche , 347 pages, septembre 2021

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques

Un roman chaudement recommandé par la blogosphère (par exemple Ingannmic , Je lis je Blogue ) et je comprends pourquoi. Nous allons suivre douze personnes indiennes ou ayant du sang indien, qui doivent se retrouver pour un grand « Pow-Wow » à Oakland. Je ne connaissais pas ces manifestations qui permettent aux Indiens de se retrouver entre eux en chantant et en dansant. Visiblement, ces manifestations ne sont pas uniquement folkloriques, elles font du bien aux participants qui ont si peu l’occasion de se sentir fiers de leurs origines.
Bien loin des images habituelles d’Indiens vivant dans les réserves en peine nature, nous sommes avec des urbains qui ont tous connu des graves difficultés. L’alcool, la drogue, la violence sont le quotidien des ces gens. À aucun moment, l’auteur ne cherche à simplifier les problèmes que ces êtres mal dans leur peau créent ou qu’ils rencontrent. Le passé est comme un poids énorme qui pèse sur leurs personnalités, cela permet à l’auteur de raconter les différentes exterminations dont les tribus indiennes ont été les victimes, et de faire prendre conscience que leurs difficultés actuelles, même si ces gens font parfois des actes violents cela est si peu de choses à côté de ce dont ont été victimes leurs ancêtres.

Mais si tous viennent à cette cérémonie dans un esprit de communion, malheureusement certains ont d’autres projets, et auront comme projet d’arriver avec des armes pour voler l’argent qui doit récompenser les participants aux différents concours de chants et de danses.

On suit au plus près le destin des jeunes qui souvent sont élevés sans père, ou avec des pères violents, des femmes qui ne sont pas capable d’être mères mais qui ont quand même des enfants. Comme Tony qui a été porté par une mère alcoolique et qui souffre donc du Syndrome d’Alcoolisation Fœtale, sa mère est en prison et hélas il va essayer de gagner de l’argent avec la drogue.

Chaque chapitre porte le nom d’un personnage qui va participer au « pow-wow » , positivement ou pour détruire. Tout le roman monte vers la catastrophe qui était annoncée dès le début. Un très beau roman, pour lequel j’ai une réserve car c’est compliqué de passer d’un personnage à l’autre puis de le retrouver. On passe, non seulement d’un personnage à l’autre, mais d’une histoire à une autre, cet éparpillement est à l’image de la façon dont vivent les Indiens d’aujourd’hui qui ne sont plus une communauté, ils vivent en effet en ville et le plus souvent dans des situation marginales ou la limite de la marginalité. Cet éparpillement ne facilite pas la lecture. J’ai dû faire de gros efforts pour garder à l’esprit l’engrenage fatal dans lequel l’auteur plonge son lecteur. Mais j’ai beaucoup aimé la façon dont chaque personnage est décrit.

 

 

Extraits

Début.

 Il y avait une tête d’Indien la tête d’un Indien, le dessin de la tête d’un Indien aux longs cheveux parée d’une coiffe de plumes d’aigle, dessinée par un artiste anonyme en 1939 et diffusée jusqu’à la fin des années soixante-dix sur tous les écrans de télé une fois les programmes terminés. Cela s’appelait la Mire à tête d’Indien. Si on laissait la télé allumée, on entendait le son d’une fréquence de 440 hertz -celle servant à accorder les instruments- et on voyait cet Indien, entouré de cercles pareils à ceux de la lunette de visée d’un fusil. Il y avait ce qui ressemblait à une cible au sens de l’écran, et des chiffres comme autant de coordonnées.

Exemple de massacres.

 En 1637 entre quatre cents et sept cent Pequots se rassemblèrent comme chaque année pour la Danse du Maïs vert. Les colons encerclèrent leur village l’incendièrent et abattirent tout Pequot qui tentait de s’échapper. Le lendemain, la colonie de la baie du Massachusetts organisa un banquet pour fêter l’évènement, et le gouverneur proclama un jour d’action de grâce. Ce type d’action de grâce survenait partout, chaque fois qu’il y avait ce qu’il fallait bien appeler « un massacre couronné de succès ». On raconte qu’au cours d’une de ces fêtes à Manhattan, les habitants célébrèrent l’évènement à travers les rues en donnant des coups de pied dans les têtes d’Indiens, comme s’il s’agissait de ballons.

Le Syndrome d’Alcoolisation Fœtale.

 Devant la télé juste avant de l’allumer, j’ai vu le reflet sombre de mon visage. C’est là que je l’ai vu pour la première fois. Mon vrai visage, celui que voyaient tous les autres. Quand j’ai posé la question à Maxine, elle m’a dit que ma mère buvait quand j’étais dans son ventre, et m’a dit très lentement que j’avais le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Le titre.

 Cette citation est importante pour Dene. Ce « là, là ». Il n’avait pas lu Gertrude Stein en dehors de cette citation. Mais mais pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie le verre, le béton, le fer faire et l’acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n’y a pas de là, là :ici n’est plus ici.

Réflexion sur le temps.

 On ne l’a pas, le temps mon neveu. C’est le temps qui nous a. Il nous tient dans son bec comme le hibou tiens un rat des champs. On frissonne. On se débat pour qu’il nous relâche, et lui nous picore les yeux et les intestins pour se nourrir, et on meurt de la même mort qu’un rat des champs.

Réflexion sur le suicide des Indiens

Des jeunes sautent par la fenêtre d’immeuble en flamme et trouvent la mort. Et nous pensons que le problème c’est qu’ils sautent. Voilà ce que nous avons fait : nous avons tâché de trouver un moyen de les empêcher de sauter. Nous les avons convaincus qu’il vaut mieux brûler vif que s’en aller dès que les ennuis deviennent trop brûlants. Nous avons condamné les fenêtres et installer de meilleurs filets de protection pour les rattraper, nous avons trouvé de meilleures façons de les convaincre de ne pas sauter. Ils décident qu’il vaut mieux être mort et enterrer que vivant dans ce monde que nous avons façonné pour eux et dont ils ont hérité. 

Les pow-wows.

 Nous avons organisé des pow-wows parce que nous avions besoin d’un lieu de rassemblement. Un endroit où cultiver un lien entre tribus, un lien ancien, qui nous permet de gagner un peu d’argent et qui nous donne un but, l’élaboration de nos tenues, nos chants, nos danses, nos musiques. Nous continuons à faire des pow-wows parce qu’il n’y a pas tant de de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.