Édition le livre de poche , 347 pages, septembre 2021

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques

Un roman chaudement recommandé par la blogosphère (par exemple Ingannmic , Je lis je Blogue ) et je comprends pourquoi. Nous allons suivre douze personnes indiennes ou ayant du sang indien, qui doivent se retrouver pour un grand « Pow-Wow » à Oakland. Je ne connaissais pas ces manifestations qui permettent aux Indiens de se retrouver entre eux en chantant et en dansant. Visiblement, ces manifestations ne sont pas uniquement folkloriques, elles font du bien aux participants qui ont si peu l’occasion de se sentir fiers de leurs origines.
Bien loin des images habituelles d’Indiens vivant dans les réserves en peine nature, nous sommes avec des urbains qui ont tous connu des graves difficultés. L’alcool, la drogue, la violence sont le quotidien des ces gens. À aucun moment, l’auteur ne cherche à simplifier les problèmes que ces êtres mal dans leur peau créent ou qu’ils rencontrent. Le passé est comme un poids énorme qui pèse sur leurs personnalités, cela permet à l’auteur de raconter les différentes exterminations dont les tribus indiennes ont été les victimes, et de faire prendre conscience que leurs difficultés actuelles, même si ces gens font parfois des actes violents cela est si peu de choses à côté de ce dont ont été victimes leurs ancêtres.

Mais si tous viennent à cette cérémonie dans un esprit de communion, malheureusement certains ont d’autres projets, et auront comme projet d’arriver avec des armes pour voler l’argent qui doit récompenser les participants aux différents concours de chants et de danses.

On suit au plus près le destin des jeunes qui souvent sont élevés sans père, ou avec des pères violents, des femmes qui ne sont pas capable d’être mères mais qui ont quand même des enfants. Comme Tony qui a été porté par une mère alcoolique et qui souffre donc du Syndrome d’Alcoolisation Fœtale, sa mère est en prison et hélas il va essayer de gagner de l’argent avec la drogue.

Chaque chapitre porte le nom d’un personnage qui va participer au « pow-wow » , positivement ou pour détruire. Tout le roman monte vers la catastrophe qui était annoncée dès le début. Un très beau roman, pour lequel j’ai une réserve car c’est compliqué de passer d’un personnage à l’autre puis de le retrouver. On passe, non seulement d’un personnage à l’autre, mais d’une histoire à une autre, cet éparpillement est à l’image de la façon dont vivent les Indiens d’aujourd’hui qui ne sont plus une communauté, ils vivent en effet en ville et le plus souvent dans des situation marginales ou la limite de la marginalité. Cet éparpillement ne facilite pas la lecture. J’ai dû faire de gros efforts pour garder à l’esprit l’engrenage fatal dans lequel l’auteur plonge son lecteur. Mais j’ai beaucoup aimé la façon dont chaque personnage est décrit.

 

 

Extraits

Début.

 Il y avait une tête d’Indien la tête d’un Indien, le dessin de la tête d’un Indien aux longs cheveux parée d’une coiffe de plumes d’aigle, dessinée par un artiste anonyme en 1939 et diffusée jusqu’à la fin des années soixante-dix sur tous les écrans de télé une fois les programmes terminés. Cela s’appelait la Mire à tête d’Indien. Si on laissait la télé allumée, on entendait le son d’une fréquence de 440 hertz -celle servant à accorder les instruments- et on voyait cet Indien, entouré de cercles pareils à ceux de la lunette de visée d’un fusil. Il y avait ce qui ressemblait à une cible au sens de l’écran, et des chiffres comme autant de coordonnées.

Exemple de massacres.

 En 1637 entre quatre cents et sept cent Pequots se rassemblèrent comme chaque année pour la Danse du Maïs vert. Les colons encerclèrent leur village l’incendièrent et abattirent tout Pequot qui tentait de s’échapper. Le lendemain, la colonie de la baie du Massachusetts organisa un banquet pour fêter l’évènement, et le gouverneur proclama un jour d’action de grâce. Ce type d’action de grâce survenait partout, chaque fois qu’il y avait ce qu’il fallait bien appeler « un massacre couronné de succès ». On raconte qu’au cours d’une de ces fêtes à Manhattan, les habitants célébrèrent l’évènement à travers les rues en donnant des coups de pied dans les têtes d’Indiens, comme s’il s’agissait de ballons.

Le Syndrome d’Alcoolisation Fœtale.

 Devant la télé juste avant de l’allumer, j’ai vu le reflet sombre de mon visage. C’est là que je l’ai vu pour la première fois. Mon vrai visage, celui que voyaient tous les autres. Quand j’ai posé la question à Maxine, elle m’a dit que ma mère buvait quand j’étais dans son ventre, et m’a dit très lentement que j’avais le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Le titre.

 Cette citation est importante pour Dene. Ce « là, là ». Il n’avait pas lu Gertrude Stein en dehors de cette citation. Mais mais pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie le verre, le béton, le fer faire et l’acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n’y a pas de là, là :ici n’est plus ici.

Réflexion sur le temps.

 On ne l’a pas, le temps mon neveu. C’est le temps qui nous a. Il nous tient dans son bec comme le hibou tiens un rat des champs. On frissonne. On se débat pour qu’il nous relâche, et lui nous picore les yeux et les intestins pour se nourrir, et on meurt de la même mort qu’un rat des champs.

Réflexion sur le suicide des Indiens

Des jeunes sautent par la fenêtre d’immeuble en flamme et trouvent la mort. Et nous pensons que le problème c’est qu’ils sautent. Voilà ce que nous avons fait : nous avons tâché de trouver un moyen de les empêcher de sauter. Nous les avons convaincus qu’il vaut mieux brûler vif que s’en aller dès que les ennuis deviennent trop brûlants. Nous avons condamné les fenêtres et installer de meilleurs filets de protection pour les rattraper, nous avons trouvé de meilleures façons de les convaincre de ne pas sauter. Ils décident qu’il vaut mieux être mort et enterrer que vivant dans ce monde que nous avons façonné pour eux et dont ils ont hérité. 

Les pow-wows.

 Nous avons organisé des pow-wows parce que nous avions besoin d’un lieu de rassemblement. Un endroit où cultiver un lien entre tribus, un lien ancien, qui nous permet de gagner un peu d’argent et qui nous donne un but, l’élaboration de nos tenues, nos chants, nos danses, nos musiques. Nous continuons à faire des pow-wows parce qu’il n’y a pas tant de de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.


Édition 10/18, 402 pages, septembre 2013 

traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié

Je sais que j’ai acheté ce roman après avoir lu un billet sur un de vos blogs , j’espère que vous me direz dans les commentaires si vous l’avez lu. Le roman raconte l’histoire tragique d’une famille qui vit la disparition d’une petite fille de cinq ans. Son grand frère et sa grand soeur, l’ont laissé se baigner dans une carrière remplie d’eau pendant qu’ils allaient chercher des baies dans la forêt. Les deux aînés se sentent responsables de la disparition de leur petite soeur.
Leur père a disparu en même temps, mais il l’a fait souvent, seulement cette fois il ne revient pas. La mère des enfants est incapable de réagir la famille s’enfonce dans le désespoir. L’auteure raconte cette tragédie en mêlant plusieurs temporalité, la plus ancienne, le temps où les esclaves ont creusé cette carrière au prix de tant de souffrance et de leur vie pour construire des belles maisons aux propriétaires blancs . Elle est maudite cette carrière, car elle connaît un drame qui a marqué la jeunesse du père de Willet et de Roberta les aînés qui ont laissé seule leur petite soeur. Le lien de toute ces vies meurtries c’est celle qui pense être leur grand-mère Clémentine qui aide les femmes à accoucher ou à avorter. Les enfants partiront dans le sud de la Floride où enfin ils trouveront des réponses.

Tous les personnages vivent en marge de la légalité, leur père fabrique des faux billets, et Willet gagnera de l’argent trop facilement dans des trafics de drogue. La grand-mère Clémentine soigne par les plantes des gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas aller voir des médecins officiels, et fait des avortements pour aider des femmes ou aide les femmes à confier leur bébé à des familles d’adoption. Ce roman décrit bien l’ ambiance si particulière du sud des USA, et bien sûr ce qui sous tend ce roman c’est le racisme contre les noirs et des gens qui ont du sang noir, ils ont si peur que les traits physiques des noirs réapparaissent chez leur enfants, car ils connaissent le rejet dont ils seront alors victime.

J’ai eu du mal à me plonger dans ce roman mais peu à peu j’ai été prise par le rythme du récit, un de mes freins pour aimer complètement ce roman, c’est le personnage de Roberta qui semble toujours être à côté de la plaque, deux exemples : elle ne dit pas ce qu’elle a vu le jour de la disparition de la petite soeur, elle veut absolument annoncer la découverte que son père est vivant alors que son frère veut lui annoncer son mariage. Elle semble une éternelle enfant ou adolescente ! En revanche, la description de la nature rend ce roman très beau même quand celle-ci est inhospitalière .

 

Extraits :

Début.

White Forest, Mississipi 
1976
 On était en août et il faisait plus chaud, bizarrement, qu’en juillet ; une chaleur lourde, étouffante qui nous laissait poisseux et nous empêchait de dormir même au plus noir de la nuit. Il pleuvait presque tous les après-midi dans le delta du Mississipi, de violents orages dans des ciels gris tendre. La pluie aurait dû nous soulager, mais dès que les nuages se dispersaient, laissant poindre le soleil, une vapeur s’élevait de l’herbe desséchée, du bitume craquelé et des champs bruns et il faisait encore plus lourd.

Portrait du père.

 Il apparaissait et disparaissait sans prévenir. Nous étions censés être content de le voir, et en général nous l’étions. Papa était charmant, comme les hommes malhonnêtes sont obligés de l’être, et trop beau pour son propre bien. Il ressemblait à si méprendre à Paul Newman. Il le disait lui-même.

Après l’appel à la télévision .

 Tous les jours des gens appelaient chez nous pour dire qu’ils avaient vu Pansy dans une supérette à Shreveport ou un centre commercial en Alabama. Un homme a appelé pour dire qu’il détenait Pansy et qu’elle allait bien, il ne fallait pas s’inquiéter. Une gamine, jouant une farce cruelle, a voulu se faire passer pour notre sœur elle criait dans le téléphone : « Maman viens me chercher ! je suis toute seule ici ! » Willet a arraché le combiné des mains de maman et à jurer à son adresse jusqu’à ce que l’enfant à l’autre bout du fil éclate en sanglots et raccroche.
 Une femme se prétendant médium a affirmé que Pansy se trouvait entre les mains d’un méchant homme. Elle disait qu’elle pouvait la trouver et la libérer de son emprise si maman lui envoyait trous cent trois-trois dollars dans les trente-trois heures le chiffre 3 avait une importance particulière mais je n’ai pas retenu les explications. Maman a voulu s’exécuter, mais Willet l’en a dissuadée. Les policiers l’ont félicité.
 » C’est une arnaque, à expliquer le maigrichon. Ça loupe pas chaque fois qu’une personne disparaît. »

Un des drames du roman.

 Lui et Fern avaient huit ans quand leur père les abandonna sur le bord de la route. On l’appelait Junior à l’époque, le premier des nombreux surnoms qui lui colleraient à la peau toute sa vie.  » Prend soin de ta sœur », lui avait recommandé son père avant de monter dans un train en direction du nord. Ils ne se désolèrent pas de son départ. Ils en étaient encore à se faire à la perte de leur mère.

Le caractère de leur mère .

 Et la vérité n’avait jamais intéressé maman. Elle couvrait la part sombre de notre père d’un joli glaçage comme elle l’aurair fait avec un gâteau au ccaramel. Elle ne pouvait pas supporter de regarder tout ce qui était laid ou douloureux.

Les paysages de Floride.

 Les palétuviers poussaient de travers malgré leurs hauteurs et, dans les zones où l’eau était moins profonde, je voyais que les racines formaient une masse enchevêtrée comme des lianes. Nous avons flotté pendant un moment dans une mare stagnante bordée d’herbe. Il faisait chaud pour une mi-janvier. Les moustiques sifflaient constamment. Un poisson a fait un bon en l’air. Un oiseau a lancé un appel dans les arbres. Une araignée tissait sa toile dorée sur une souche. Partout où je regardais, l’atmosphère était dense lourde et grouillante de vie. Nous avons traversé une nuée de moucherons et j’ai manqué laisser échapper ma pagaie en tentant de les écarter. Les feuilles, les branches et les fragments de mousse qui pendouillaient semblaient s’avancer pour nous caresser au passage. Les troncs d’arbres étaient recouverts de plaques de mousse vert fluorescent.

 

 


Éditions Voix autochtones Seuil 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Elie Mestenapeo est un Innus , c’est à dire un Autochtone qui vivait dans l’immense forêt canadienne. Il a commis l’irréparable : le meurtre de son père, un homme ultra violent qui battait sa femme. Elie est définitivement banni de son clan et fait 10 ans de prison. Sa seule solution c’est de venir à Montréal vivre au milieu des Autochtones qui pour des raison variées deviennent SDF dans cette grande ville. Ils peuvent être Chris, Atikamekw, Anishinabe, Innus, Inuit, Mikmaks, Mohawks tous ont en commun un parcours fait de douleurs, d’alcool, de drogue et de violences subies ou exercées. Ce roman décrit avec une délicatesse surprenante le parcours d’Elie au milieu de ceux qui vont l’aider à se reconstruire. Les horreurs traversées par ces adultes qui, enfants, ont été arrachés à leur famille pour être élevés dans des pensionnat religieux où ils ont connu tant de sévices sont sous-entendues mais jamais décrites.
C’est la force de ce roman, c’est un livre tout en douceur mais c’est au lecteur de supposer (et ce n’est pas si difficile ! ) ce qui s’est passé pour que le père d’Elie devienne alcoolique et si violent. Un jour, le grand père d’Elie lui raconte que son fils était un chasseur remarquable avec lequel il avait un grand plaisir à se promener dans la forêt immense. Mais hélas le gouvernement lui a enlevé son fils, pour le mettre pendant de longues années dans un pensionnat tenu par des frères. Il lui est revenu tellement triste et alcoolique. C’est tout ce que nous saurons sur ce père tué un soir de beuverie par un fils qui le hait profondément. Mais il en veut à sa mère aussi, car elle buvait autant que son père et surtout n’a jamais cherché à le revoir. On comprendra à la fin du roman pourquoi.

À travers l’histoire de son père, j’espère vous faire comprendre comment est construit ce récit, on sait peu de choses sur les difficultés qui ont amené ces êtres à choisir la rue plutôt qu’une vie plus agréable mais on le comprend trop bien. Et aujourd’hui ? ce qui est terrible c’est que ce n’est guère mieux. Les jeunes s’ennuient souvent dans les réserves. Car les territoires des Autochtones se réduit sans cesse , et surtout ce qui faisait la valeur de la transmission c’était le fait de savoir chercher la nourriture dans un lieu hostiles. Aujourd’hui tout le monde fait ses courses au supermarché du coin mais, alors, que peuvent transmettre les pères à leurs enfants ?

L’histoire d’Elie se termine bien, trop peut-être ? pour la réalité mais un peu de bonheur m’a fait du bien.

Ce même jour Kathel faisait paraître un billet sur ce roman

 

Extraits

 

Début .

L’odeur. Toujours pareille. Peu importe les veines dans lesquelles le sang court, son parfum âcre rappelle à ceux qui vivent leur vulnérabilité. Il y avait dans ce cœur trop de haine pour que ça se termine autrement. 
-Tu dis rien maintenant ? Hein ?
Élie soulève le corps et le plaque contre le mur puis approche son visage. Les yeux noirs de son père n’ont plus rien de menaçant.

La vie dans la rue.

 Dix ans de prison vous libèrent à tout jamais de l’emprise du temps qui s’écoule. Et il vit au jour le jour en retournant chaque nuit avec Geronimo au village.
 Les premiers gels frappent sans prévenir, comme une lame enfoncée dans le flanc. Élie se réveille en sursaut au beau milieu de l’obscurité. Le froid mort sa chair et il enfile des vêtements supplémentaires. La fragilité de son abri lui saute alors au visage.

Les saumons et les hommes.

 Les scientifiques ignorent ce qui pousse des poissons à quitter l’eau douce pour l’océan salé. Ces mondes ne se mêlent pas. Pourtant le poisson retrouve l’exact endroit où il est né comme si cela était inscrit en lui.
 Ce destin à la fois magnifique et tragique a toujours fasciné les hommes. Peut-être parce que, comme les poissons, ils sont souvent eux aussi épris d’un irrésistible désir de partir dans leur jeunesse, pour revenir à leur lieu d’origine plus tard.

 

 

 

 


Édition Philippe Ry

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent

Deux énormes coups de cœur à suivre c’est rare et cela fait du bien !

Ce roman est absolument magique et très prenant. Il s’agit d’une histoire d’amour au sein d’une famille traditionnelle chrétienne de grands notables égyptiens. Tarek, fils d’un médecin reconnu du Caire, suit les traces de son père et obéit aux injonctions familiales en se mariant et en essayant de fonder une famille. Sa vie va être bouleversée par la rencontre d’Ali, un jeune prostitué musulman qui lui demande de soigner sa mère. Atteinte, on le comprendra petit à petit, d’une maladie dégénérative terrible, la maladie de Huntington. Un amour très fort unira les deux hommes, mais hélas, Ali disparait, et Tarek fuit au Canada. Il ignorait que sa propre femme était enceinte, il a un fils Rafik qui veut savoir, comprendre et connaître ce père dont personne ne lui parle dans sa propre famille.
La force du roman tient, bien sûr, à l’écriture absolument superbe et à la construction du récit. Dans la première partie nous suivons Tarek, on comprendra à la fin du roman l’utilisation du « tu » comme si Tarek se parlait à lui-même, on sent que ce personnage se cherche et on découvre tout le poids de l’Égypte, les notables, la misère et les traditions. Mais aussi la chaleur de cette famille qu’il va trahir en assumant d’abord sa sexualité puis en fuyant à l’autre bout du monde. Ensuite nous entendons, Farik son fils qui, par petites touches, essaye de comprendre cette histoire. Mais celle qui sait tout la mère de Tarek et grand mère de Farik, ne dit rien, elle sait trop de choses pour pouvoir parler. Heureusement, il y a la bonne Fateya, celle qui, par sa cuisine apporte de la douceur dans cette famille si raide, celle qui sait tout car elle écoute aux portes. Et enfin, nous saurons tout au sujet d’Ali qui a vraiment aimé Tarek, mais qui, s’il était resté près de lui entraînait toute cette famille dans l’opprobre du « quand dira-ton » égyptien qui fait qu’on peut utiliser les services d’un prostitué mais jamais au grand jamais avouer son homosexualité.

Un roman qui m’a emportée et j’espère que vous le lirez vous aussi

Extraits

Début.

Le Caire 1961
– Quelle voiture voudrais-tu plus tard ?
Il avait posé cette simple question, mais tu ignorais alors qu’il fallait se méfier des questions simples.

La mort de son père.

 Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, et le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.

Le métier d’Ali.

 – Tu veux dire que toi… et lui… ?
 Il fit une moue faussement outrée.
– Tu crois que tu fais le seul métier où les gens acceptent qu’on les palpe ?
 Tu n’arrivais plus à contenir ton rire. L’image de ce magnat de coton craint dans tout pays et surpris par son amant au moment d’évoquer ces problèmes d’impuissance, était plus savoureuse que toutes les « nokats » égyptiennes que l’on avait pu te raconter.

La rumeur.

 Le bruit se répandit qu’un garçon de mauvaise vie t’assistait dans ta pratique médicale. Les gens aiment parler de « mauvaise vie  » : cela revient à dire en creux que la leur est irréprochable. Il est toujours commode de laver son âme au vice des autres. Tu n’aurais pas su dire les chemins que cette rumeur avait empruntés mais son origine était claire : elle portait la signature de d’Omar. Lui qui avait reconnu Ali dans ton cabinet quelques semaines au paravent connaissait bien cette règle élémentaire : qui n’est pas le chasseur devient rapidement la proie. Il avait donc tiré le premier coup

Ce que Tarek , médecin, sait de l’homosexualité.

 Tu ne savais pas grand chose de l’homosexualité. Il s’agissait pour les uns d’un motif de plaisanterie, pour les autres d’une perversion venue de l’Occident, mais rarement de thème dont on discute.

Un joli mot « déchagriner ».

 Tu faisais mine de t’attendrir de ses récits de jeune mère, d’avoir hâte de rencontrer celui qui partageait sa vie. Ce n’est pas tant que ses histoires t’importaient mais tu étais heureux de retrouver ta sœur d’entendre cette voix familière déchagriner son quotidien. Ce que vous vous disiez était finalement secondaire.

 

 


Édition Héloïse-D’Ormesson. Traduit de l’allemand par Nicolas Véron

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ma deuxième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 organisé par Eva 

 

Voici un livre qui ne tient que par le talent de conteuse de cette écrivaine allemande. Je suis partie dans son histoire sans difficultés car j’aime les contes mais je me suis sans cesse demandé pourquoi elle voulait ne raconter que le pire des comportements humains.

Seuls trois personnages : Martin le garçon au cœur pur, le peintre, et Franzi l’amoureuse du garçon sont vraiment positifs. Dans une Allemagne d’autrefois, ravagée par les guerres, les épidémies, les croyances obscurantistes, des hommes stupides et sans cœur règnent sur un village où vit Martin et son coq noir qui reste toujours avec lui, sur son épaule le plus souvent, et qui, parfois, lui parle. Martin est orphelin car son père, pris de folie, a massacré tous ses frères et sœurs à la hache avant de se tuer lui-même. Un jour arrive un peintre que Martin suivra car il veut rechercher le cavalier à cape noire qui enlève de très jeunes enfants que l’on ne revoit jamais. Peu à peu, nous aurons toutes les clés de cette histoire mais je sais que vous ne voulez pas que je vous les donne (pourtant quand vous écoutez Barbe-bleu vous savez la fin, non ?), d’ailleurs de clés, il en est question dans ce récit. Cela commence justement par la clé de la porte de l’église que les abrutis de chefs du village ne retrouvent plus. Martin sait où elle est mais ne le dira qu’à la fin du récit.

On saura pourquoi son père a massacré à coups de hache toute sa famille et aussi ce que deviennent les enfants enlevés par les cavaliers à cape noire.

Pourquoi ne suis-je pas plus enthousiaste : j’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi l’écrivaine a utilisé le conte pour nous raconter toute la noirceur des comportements humains. Pas grand chose nous est épargné et ce n’est pas la fin un peu moins triste qui peut compenser la succession de crimes tous plus affreux les uns que les autres qui change grand chose à la teneur de ce récit. Vraiment, pourquoi ?

Le personnage positif, Martin, est paré de toutes les qualités, bonté, compassion, intelligence au point de se dire qu’il n’est pas vraiment humain.
C’est un conte, d’accord, donc on peut tout accepter et il est vrai que, le style de Stefanie vor Shulte, emporte les lecteurs dans un monde onirique et que j’ai lu ce livre sans m’ennuyer en me demandant quand même pourquoi une telle noirceur

 

 

Citations

Le conte très sombre

 En éclair, le cavalier a dépassé Martin, l’instant d’après il est à la hauteur de Godel, il abaisse le bras vers la fille, la soulève comme un fétu de paille et la foule sous sa cape, pan d’obscurité dans le givre laiteux. L’enfant est maintenant au cœur des ténèbres, elle n’a pas laissé échapper le moindre cri. Tout est allé si vite. La main de la mère est encore suspendue en l’air toute pleine de la chaleur du corps de sa fille. Sa fille qui n’est plus là.
 Le cavalier l’a cueillie comme une pomme, et déjà le voilà sur la crête où l’on voit son cheval se cabrer.
 Un hurlement déchirant jaillit de Godel. Elle se met à courir. Le bébé pleure, ballotté contre sa poitrine. Martin court derrière elle, la rattrape, la dépasse, se lance à la poursuite du cavalier.
 Le cavalier. Martin connaît depuis toujours l’histoire de ce cavalier à la capuche noire qui enlève les enfants. Toujours une fille et un garçon. Qui plus jamais ne reparaissent. Et voilà qu’ils le rencontrent et qu’ils le pourchasse.

Vision horrible de ce temps là…

 Ces hommes savent pourtant bien que le temps leur est compté, que bientôt ils seront impotents et n’auront plus qu’à se pendre à une poutre du toit pour ne pas peser sur leur famille. Et que, s’ils ratent leur coup, ou si le courage leur fait défaut, ils macéreront jusqu’au bout dans leurs excréments. Attachés au lit, car il faut bien aller aux champs et au moulin, tout comme ils l’étaient, déjà, enfants quand leurs parents devaient aller aux champs et au moulin.

 

Édition Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Elle ne lui avait pas dit que le salaire ne vaut rien qu’il représente pour un mois et cent-quatre-vingt-douze heures de travail le prix auquel on vend un seul carton de fleurs

Un livre choc écrit de façon volontairement détachée, ce qui pour moi enlève beaucoup de poids à son propos. Nous suivons trois personnages autour de la culture de l’importation puis de la vente des fleurs coupées.
Au début était Nana une jeune éthiopienne qui va laisser sa santé dans une serre où on cultive des roses, puis il y a Jan un hollandais de mère française qui achète sur un ordinateur des milliers de fleurs le moins cher possible dans le plus énorme marché aux fleurs du monde et enfin Ali, un réfugié du Bangladesh qui en vend à la sauvette aux terrasses des cafés parisiens.

La description du travail dans les serres est plus proche du bagne que du travail. Et surtout la santé des employés est gravement menacée mais Nana continuera ce travail comme une fatalité qui s’abat sur elle, Ali a voulu gagner un peu d’argent pour aider sa femme qui s’abime elle aussi la santé dans une usine de T-Shirt au Bangladesh, mais la vente des roses lui rapporte à peine de quoi survivre. Ali connaît le sort des exilés sans défense et sans papier lui permettant de travailler correctement en France .

Et puis il y a Jan cet homme que rien n’intéresse et qui ne s’intéresse à rien. Il n’aura qu’une réaction un peu vivante : celle d’acheter trop cher un lot de rose « Sorbet avalanche » le jour où il apprend que son ex-petite amie , dont il n’a jamais été tellement amoureux est enceinte et pas de lui (heureusement pour elle ! -remarque toute personnelle).

Nana et Ali sont représentatifs de deux destinées misérables et sans solution pour s’en sortir tout cela permettre à quelqu’un comme Jan de vivre sans bonheur apparent mais sans autre soucis que de mal vivre : quelle tristesse !

Et au dessus de tout cela des compagnies hollandaises qui se font beaucoup, mais alors vraiment beaucoup d’argent sur la misère du monde.

 

Citations

Début du roman.

 Nana s’en souvient. Quand elle était enfant, elle ne pouvait pas passer une journée sans aller le voir. Depuis combien de temps, aujourd’hui, ne l’a-t-elle pas aperçu ? Six mois, peut-être huit. Le pire, se dit-elle, c’est qu’avant ce matin, le lac vert ne lui a pas manqué.

Jan et les produits du supermarché.

Jan aime bien les poissons panés aussi, mais pas n’importe lesquels, il faut que la chapelure ne s’effrite pas, qu’elle reste bien attachée à la chair du colin, qu’on puisse couper le bâtonnet sans que l’ensemble se ratatine. Jan a souvent été déçu par les grandes marques de poissons panés. Il opte aujourd’hui pour la boîte de dix-huit, distributeur Coop. Dix-huit, c’est assez mal foutu parce qu’il les mange par quatre, alors il en reste toujours deux au fond de la boîte et on ne sait pas quoi en faire.

Ali. et ses colocataires.

 Oui, Ali, ça a le faisait bien poiler qu’il ait embarqué un objet aussi idiot dans sa fuite. Juste comme ça, pour faire un peu chier. Pour qu’on se souvienne de lui aussi, sûrement, toutes les fois où on ferait chauffer le thé. S’il n’avait pas déjà attendu aussi longtemps pour son titre de séjour, Ali serait parti à Rome lui aussi, en piquant le Butagaz. Mais il a déjà galéré deux ans. Il a dû monter sur les listes de l’administration depuis le temps. Ce serait stupide de filer maintenant est de tout reprendre à zéro.

La vraie misère de l’exploitation au Bangladesh.

 Avec l’usine, Dina s’était éteinte. Pas totalement, elle retrouvait un semblant d’âme quand elle rentrait le soir, mais un peu, du moins suffisamment pour que ses pensées soient plus lentes et plus poreuses.
 Et puis il y avait la trouille, de se faire virer, de se faire engueuler, qu’on déduise sur son salaire. La peur aussi rend les idées poreuses. C’est une tétanie sournoise. Elle se manifeste, elle est forte, on la comprend et on l’observe. Il y a tous ces moments où on croit qu’elle est terrée quand en réalité elle vous caresse la nuque.
Ali, alors, a tant vu Dina avoir la trouille et souffrir en cadence qu’il a décidé de partir pour espérer pouvoir un jour l’arracher à l’usine

Le marché des fleurs d’Amsterdam.

 Voilà un immense hangar, le deuxième plus grand bâtiment au monde après le Pentagone. Il y a même à système de voies ferrées qui transporte les fleurs. On dirait un mini-métro qui charrie les bacs, toutes ces tiges et ces pétales prêts à être expédiés. La première fois qu’il est arrivé ici ,Jan a été impressionné. Un million de mètres carrés, 12000 travailleurs, une fleur sur trois vendue en Europe qui transite par là, une course perpétuelle, tout livrer, si vite, si loin.

Conditions de travail en Éthiopie dans les serres.

Elle ne lui avait pas dit que sous les serres, il fait une chaleur insoutenable, que les cueilleuses s’écroulent à cause des températures et de l’air moite. Elle ne lui avait pas dit que les produits qui font pousser les plantes détraquent les corps, pourrissent en quelques mois la vue et les organes, que les filles font toutes des fausses couches ou enfante des bébés tarés. Elle ne lui avait pas dit que le salaire ne vaut rien qu’il représente pour un mois et cent-quatre-vingt-douze heures de travail le prix auquel on vend un seul carton de fleurs, que seuls les étrangers en jouissent, qu’ils condamnent la terre qu’ils l’assèchent et que les autres cultures dépérissent. Elle ne lui avait pas dit que les gardes vous traitent comme des bêtes, avec toute la violence des hommes armés. Que les femmes s’écroulent, que les corps essaient de tenir pour survivre.

 

 

Édition La Peuplade Roman

Traduit du roumain par F et JL Courriol

 

Quel roman ! c’est un mélange de passages superbes et de moments très pénibles, c’est très difficile d’en venir à bout et ceci pour plusieurs raisons :

 

  • la mise en page : c’est écrit en petits caractères, il n’y a pratiquement pas de paragraphes et les phrases peuvent être très longues.
  • La chronologie : le récit n’est pas linéaire et c’est très difficile de trouver les repères pour comprendre quand se passe le récit.
  • Le peu d’explications pour comprendre car le narrateur s’efface et nous voyons tout à travers le regard de gens qui parlent très peu.
  • Les exagérations qui parfois m’ont gênée.

Malgré cela il y a de très beaux passages qui m’ont permis d’aller jusqu’au bout de ce gros pavé, mais j’avoue avoir parfois lu en diagonale.

Il s’agit donc de la vie de cet homme Iochka qui est né en Roumanie avant la guerre 39/45 et qui finit sa vie dans une vallée peu accessible comme fabriquant de charbon de bois. Il a tout connu cet homme : la guerre, le goulag, mais aussi le plus beau des amours avec Ilona, la naissance de son petit garçon, et la mort de cette femme tant aimée. Dans cette vallée , Iochka a trois amis, le pope, le contremaître, et le docteur de l’asile, tous ces gens boivent à longueur de temps et se donnent du courage pour surmonter les difficultés de la vie, et, il y en a beaucoup. Une autre femme, celle qui partagera la vie du contremaître, Iléana, va devenir l’amie de Iochka et d’Ilona. Cette vallée est loin des turbulences de la société roumaine, ensemble ils font tout pour que cette vallée reste loin des autres hommes. Parfois les crimes arrivent jusque dans la vallée, comme cet homme qui a été tellement torturé qu’il finit dans l’asile du docteur. Les souvenirs des horreurs de la guerre qui ont traumatisé les différents protagonistes. hantent ce récit.

Il y a une telle pénétration de la nature dans la vie des habitants de la vallée que cela, m’a gênée comme cet amour physique entre Iléana et un loup . L’amour de Iochka et d’Ilona est superbe mais complètement hors de la réalité et évidemment la mort de la femme a plongé Iochka dans une forme de folie mais on sait qu’il va survivre puisque le roman débute par cet homme presque centenaire qui circule dans sa vieille voiture. J’ai noté beaucoup de passages pour ne pas oublier ce qui m’a plu dans ce roman. Mais je redis que cette lecture était parfois un pensum et je n’arrivais pas à retenir mon attention : je lisais mais ne retenais rien. Un roman étrange que je ne peux pas vraiment vous conseiller, à vous de voir.

 

 

 

Citations

La première phrase.

 Avec un vieux moteur de voiture allemande et une carriole à essieu renforcé, un volant de tracteur et une boîte de vitesses de camion, beaucoup de patience et non moins d’ingéniosité, Iochka s’était fabriqué une espèce de camionnette qui lui servait à monter dans les bois au-dessus de Roudaritsa pour en rapporter des chutes de branches de hêtres et de bouleau laissées sur place par les ouvriers de l’exploitation forestière.

La boue si célèbre depuis la guerre en Ukraine.

 Puis lorsque arrivait l’automne et que la steppe se transformait en une mer de boue qui engloutissait tout, chevaux, hommes, camions, canons et tanks, il ne sortait plus, des jours de suite, de sous sa bâche, restait là à contempler le brouillard épais et humide, une terrible nostalgie du pays montait en lui et que rien ne pouvait apaiser ni les doïnes entonnées par les soldats au coucher du soleil ni les maigres rations fumantes qu’on leur servait deux fois par jour, matin et soir.

Le destin d’un soldat Roumain fait prisonnier par les Soviétiques.

C’était dans un lieu tout pareil que la botte l’avait frappé en pleine tête, lui avait brisé le nez, mis les lèvres en compote le jour où, sans force après une semaine d’errance, il s’était assis sur une souche pour reprendre haleine et que le Russe, avec une haine qu’il n’avait jamais pu vraiment comprendre, l’avait violemment battu et l’avait obligé, couvert de sang, boitant le dos en capilotade, à rejoindre la colonne de prisonniers qui se dirigeaient vers un lieu inconnu à l’est où ils ne parviendraient qu’après une semaine de marches forcées, un camp de concentration où il passerait d’années dix année de sa vie, une sorte de village où régnait la famine et où les hommes travaillaient du matin au soir et dormaient entassés comme des bêtes sur des planches qui leur servaient de lit.

La terreur.

 Il se sentait de nouveau comme dans le camp, terrorisé, impuissant, jouet de bois entre les mains d’un destin impénétrable, il n’attendait plus que la petite détonation et de voir l’homme à genoux s’effondrer tête la première dans le lit du ruisseau, dans son esprit naissait l’image d’une flaque de sang s’écoulant du crâne pulvérisé par la balle, il serrait de toutes ses forces le cadre de la fenêtre et comme sur un signe, l’étranger et les deux soldats se sont tournés et ont regardé exactement du côté de Iochka. Il s’est glacé le sang s’est figé dans ses veines, il a retenu son souffle comme un animal pourchassé dont la fin est proche, la main qui tenait le pistolet s’est levé, est resté en l’air quelques secondes avant de descendre à une vitesse terrible pour frapper l’homme à la nuque

L’avenir radieux.

 Parfois dans la vallée arrivaient aussi des gens qui n’y tenaient guère, on les voyait descendre des camions avec l’aie penaud, mesurant de leurs regards perdus l’endroit comme si c’était une prison toute neuve, un beau lieu où on les aurait mis de force et d’où, même si on ne les obligeait pas vraiment à trimer, ils ne pouvait sortir qu’avec une autorisation spéciale et une heure de retour imposée. On leur disait, racontait-il, qu’ils devaient construire un avenir radieux.

Les grands chantiers sous le régime communiste.

 Mais, le plus clair du temps, la vallée ressemblait à une station de villégiature où les gens s’adonnait à la boisson et à ne rien faire, activités élevées avec le temps au rang de l’art. Il y avait une centaine d’ouvriers et normalement cette voie ferrée aurait pu être construites en quelques mois, un an maximum, mais le travail durait déjà depuis une dizaine d’années et il n y avait pas le moindre risque que les rails dépassent réellement un jour l’endroit où se trouvait la maison de Iochka et encore moins qu’il avance dans la montagne de derrière et qu’ils en atteignent le bout.

La liberté.

 Ces hommes étaient libérés de ce que lui n’avait jamais connu, personne ne les menaçait plus, personne ne mettait en danger leur vie et celle de leurs familles, ça il le comprenait, il était clair pour lui que, pendant la guerre, par exemple, il n’avait pas été libre de faire ce qu’il voulait, ni plus tard quand il était prisonnier. Des gens haut placés, pouvaient le condamner à tout moment à être fusillé, lui avait dicté ce qu’il devait faire et comment il devait vivre. C’était cela l’absence de liberté aurait dit le vieux Iochka si on le lui avait demandé. La liberté, selon lui, c’était de vivre sans être menacé de mort par les gens qui disposent de votre vie.

La fin des illusions.

 Ils avaient tous les deux milité dans l’illégalité, ils avaient lutté pour un monde meilleur qu’ils ne voyaient nulle part maintenant, ils avaient voulu que les paysans et les ouvriers ne connaissent plus la pauvreté et ils avaient juste réussi à les rendre plus pauvres, ils le savaient parfaitement, ils essayaient de faire le bien autant qu’ils le pouvaient par une bonne action pour un tel ou pour un autre. Impossible d’en faire davantage. Ils vivaient avec cette frustration comme ils respiraient, ils aidaient les gens autant qu’ils le pouvaient, ils défendaient leurs ouvriers chaque fois qu’il y avait un problème, le rêve pour lequel il avait vécu s’était évanoui pour laisser place à une misère plus terrible que celle d’avant. Les pauvres étaient encore plus pauvres, les riches n’avaient pas disparu. Et pourquoi tout ça ? Était-ce pour cette pauvreté qu’ils avaient lutté ?

Un paradis.

 Un paradis d’avant et d’après le désastre qu’est toujours la civilisation, un lieu oublié et pour cette même raison inoubliable, immortel et vivant dans la mesure seule où le vivant, dans ce qu’il a de plus essentiel, échappera toujours à la compréhension humaine. Un paradis qui attendait sa mort, rien de plus. Et les gens qui étaient en lui, vieillissant sans le sentir, attendaient leur mort, eux aussi.

Une idée.

 Est-ce que ce qui n’est pas pensé peut exister ? Y a-t-il au monde une chose vraiment historique si un seul homme ignore son existence ?

L’oppression.

 Car l’oppression ne vient pas que des grands de ce monde, on la trouve aussi à d’autres niveaux, si un satrape est maître absolu de ses ministres, de même ses ministres règnent sur leurs subordonnés et ainsi de suite jusqu’au dernier paysan.

L’alcool accompagne tous les moments du récit.

 Il était harassé, il s’est laissé tomber comme une grosse pierre, puis a attrapé la bouteille devant lui et a bu, avec une grande soif à même le goulot, oubliant l’usage des verres.
 Il a attrapé une autre bouteille dans le placard et deux petits verres propres ….
Le contremaître, le docteur et le pope vidaient verre après verre…

 

 

 

Édition NRF Gallimard

Comme vous le voyez sur ma photo ce petit livre n’a obtenu que deux coups de coeur à notre club, je ne l’avais pas lu, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu une réserve d’une ou deux lectrices. Pour moi cet essai de Xavier Le Clerc, à la gloire de son père est un petit bijou d’authenticité et courage de la part de ce fils rejeté du cocon familial parce qu’il est homosexuel et très cultivé.

Il a retrouvé l’enfance de son père, Mohand-Saïd Aït-Taleb dans un petit village de Kabylie, grâce aux textes d’Alber Camus, « Misère en Kabylie » écrit en 1939 . Son grand père est mort pour la France à Verdun et son père en 1940 en défendant le sol français contre les nazis. Cet enfant mourait de faim dans son village de Kabylie, mais il ne l’a jamais raconté à son fils. Celui-ci en a compris toute l’horreur en découvrant les articles d’Albert Camus, il s’appuie donc sur ces textes pour nous dévoiler ce que son père a vécu enfant. Pour la suite, il puise dans ses souvenirs pour retrouver qui était ce père ouvrier toute sa vie à la SMN à Caen . Le portrait de son père est très bien rendu : cet homme était la dignité même et l’obéissance personnifiée, jamais un mot de révolte et une lutte incessante pour sortir de la misère sa famille. Les seuls moments de joie, en particulier pour sa mère , ce sont les retours au pays où la famille semble riche aux yeux des plus pauvres qu’eux. Comme tous les immigrés, ils étalent leur soi-disant richesse et cachent toutes les difficultés de leur vie en France.

Puis l’auteur évoque sa propre enfance, complètement séduit par la langue française, il fréquente de façon assidue la médiathèque et écrit des poèmes. Peu à peu sa différence creuse un fossé entre lui et sa famille.

À la préretraite trop tôt arrivée , son père va s’enfermer dans le silence. Et enfin l’auteur explique pourquoi il a traduit son nom en français : grâce à cela il a obtenu un poste de cadre important dans le monde du luxe . Hamid Aït- Taleb malgré ses deux masters n’aurait jamais pu obtenir le poste pour lequel Xavier Le Clerc a été si facilement recruté !

Le titre de cet essai vient du seul papier que son père a gardé toute sa vie : sa carte d’ouvrier à la SMN. Le fils trouve que ce père qui n’a aucun titre les mérite tous tant il a franchi avec une belle dignité les difficulté de sa vie. J’ai tout aimé de ce livre et je ne peux que vous le conseiller.

 

Citations

La misère et la colonisation .

 Avec sa petite sœur Cherifa, ils ont vécu comme les neuf enfants sur dix qui n’allait pas a l’école. Eux auss ont fouillé les détritus du ruissellement des eaux usées. Le code forestier interdisait aux montagnards jusqu’au glanage des pignons, utilisés pour les galettes rudimentaires ou même de ramasser du bois pour se chauffer :  » Il n’est pas rare qu’ils se voient saisir leur seule richesse, l’âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. » (Albert Camus misère de la kabyle 1939)

La formation du futur écrivain .

 Le mercredi matin, alors que la fratrie regardait le « Club Dorothée », j’allais de mon propre chef aux ateliers de langue française. L’école primaire Malfilâtre les dispensait en premiers lieu pour des enfants en difficulté, que l’on appellerait aujourd’hui des « migrants ». L’instituteur volontaire, surpris de me retrouver là, avait sans doute compris que je me sentais à ma place, entouré de dictionnaires, ébahi par la beauté du français. Il n’avait pas mesuré que l’enfant sage que j’étais, et qui chez lui ne parlait que le kabyle avec ses parents, ne s’amusait pas. J’étais au contraire concentré dans une bulle absurde. Je voulais apprendre le français une deuxième fois en quelque sorte, mémoriser sa texture, ses ingrédients et son goût, comme pour emporter une deuxième rations de mot, qui je ne le sais que maintenant devait nourrir un père affamé. 
L’après-midi à l’heure de « Dragon Ball » et de « ken le survivant, je m’asseyais sur la moquette de la bibliothèque municipale. Les mots m’apprenaient non pas à rêver mais à exister. Une vie marginale avec des lectures qui feraient de moi tôt ou tard un étranger dans ma famille. Chez nous, dans ce que nous continuions d’appeler la baraque, il n’y avait pas de livres, hormis les annuaires téléphoniques.

La faim.

Pour survivre tu as dû te nourrir de racines, puis te déraciner. Quant à la tyrannie du ventre vide. Il n’y a guère que l’école pour lui résister. La faim s’arrête-t-elle vraiment une fois le vide de l’estomac comblé ? Ou est- ce un ogre intérieur qui jamais ne sera repu et qui, une fois logée dans nos peurs les plus profondes, finit par nous dévorer l’esprit comme les entrailles ? Je repense à toi qui avalais ton casse-croûte la bouche grande ouverte, ne prenant pas même le temps de mastiquer, à t’en étouffer. Et enfant déjà, je sentais bien que ton empressement compulsif avait une histoire. J’étais aussi né de ton ventre d’homme, ton ventre d’affamé.


Édition Babel Acte Sud . Traduit du Norvégien par Françoise Heide

C’est ma soeur qui m’a prêté ce roman et ce livre m’a procuré un grand plaisir de lecture. Cela fait longtemps que je ne suis pas partie grâce à un livre, dans une région lointaine, si hostile et dans le passé. Connaissez vous les églises que les français appelle « église au bois debout » ou « starkike » en danois ou « Starkyrkje » en norvégien ?

 

Lars Mytting décrit avec une grande minutie, la construction de ces églises aux environs du XI° siècle et leur sort à la fin du XIX° siècle. Elles ont failli complètement disparaître car elles étaient sombres et pas assez grandes pour accueillir les nombreux fidèles. Mais surtout ce qui ne se disait qu’à demi-mot, c’est qu’elles avaient été construites au début de la christianisation de la Norvège. Les habitants avaient fait un mélange des forces qu’ils imploraient traditionnellement, les dieux qui les avaient toujours protégés et ce nouveau venu le Christ. C’est pourquoi ses églises sont décorés de serpents monstrueux et de dragons crachant du feu.

Son roman est consacré à une de ces église, un jeune pasteur énergique a le projet de la vendre aux Allemands qui veulent la reconstruire à Dresde. L’architecte allemand qui vient dessiner cette église tombera sous le charme de cette incroyable exploit des bâtisseurs du Moyen-âge et ne sera pas insensible à celui de la jeune Astrid… L’église de la paroisse de Butagen, endroit très isolé de la Norvège, a de plus un charme particulier, liée à une histoire tragique : lors de sa construction, des sœurs siamoises reliées par le bassin ont vécu dans ce village, tout le monde les aimait et à leur mort, leur père désespéré fera fondre deux cloches (d’où le titre du roman) en y ajoutant tout l’argent de la maison, ce qui leur conférera un son très particulier.

Les descendants de cette histoire habitent toujours le village et dans la ferme des Hekne, en 1880, les gens ne sont pas riches mais sont considérés dans le village. La jeune Astrid, la jeune fille de la ferme, mettra toutes ses forces et son intelligence dans la bataille pour garder son église ou au moins les deux cloches. C’est une période très pauvre pour la Norvège et l’hiver tout le monde, est à la limite de la survie, on assistera à la mort de froid d’une vieille femme lors de la messe du nouvel an. Une messe trop longue du jeune pasteur, ce qui le confortera dans son idée qu’il faut démolir cette bâtisse et construire une église plus confortable. Le froid et la faim sont le quotidien des villageois et les idées nouvelles du pasteur ne sont pas les bienvenues, même si c’est pour leur « bien ». Il souhaite que chaque paroissien puisse être enterré, en ayant le droit à une messe, mais que faire des cadavres quand on ne peut pas creuser la terre. Il lutte aussi contre les superstitions mais contre le malheur qui s’abat si souvent sur eux les Norvégiens préfèrent se protéger avec les deux croyances celle de la religion chrétienne et celle des dieux de leurs ancêtres. Tout le roman nous permet de découvrir les mœurs des Norvégiens de cette contrée à la fin du XIX° siècle. C’est passionnant et même si leur vie est dure le roman ne tombe pas dans la tristesse, c’est une lecture qui curieusement reste gaie alors que la réalité est sombre et souvent tragique

Astrid sera aimée par les deux hommes apportant (peut-être) le progrès : le pasteur et l’architecte allemand. Évidemment, ce ne sera pas sans conséquence sur son destin.

Le personnage principal de ce roman reste cette église qui doit être déplacée à Dresde en Allemagne. Je ne sais pas si c’est historique, mais ce que j’ai pensé tout au long de cette lecture, c’est que je regrettais qu’aucun écrivain français, ayant le talent de conteur et d’historien de Lars Mytting , ne se soit penché sur ce qui s’est passé à la même époque en Bretagne : combien de petites églises romanes ont été complètement démolies pour laisser place à de grandes églises triomphantes qui sont complètement vides aujourd’hui. Les rares chapelles anciennes qui ont résisté au renouveau de la foi, après la révolution française, sont si jolies et attirent les touristes contrairement à ces énormes bâtissent sans aucun charme .

Un excellent roman dont j’ai recopié tant de passages pour essayer de ne pas oublier cette lecture qui m’a enchantée, et j’espère que vous apprécierez l’humour particulier de cet auteur.

 

Citations

Les églises traditionnelles.

 Pour les piédroits et la charpente, on avait utilisé les immenses pins qui poussaient alors dans le Gudbrandsdal, et comme le voulait la coutume dans tout le pays, on avait abondamment décoré l’édifice de motifs légués par les vieilles croyances païennes, ce qui donnait une sorte de christianisme repeint, façon demeure de chefs vikings. Il avait fallu aux menuisiers un été entier pour sculpter les serpents de mer, et autres enjolivures qui avaient fait leurs preuves depuis l’époque norroise. L’extérieur du porche était agrémenté sur toute sa hauteur de figures léonines aux longs cous et un énorme reptile se contorsionnait autour de la porte d’entrée. De chaque côté du retable se dressaient des colonnes de bois dont les chapiteaux avaient pris la forme de masque barbus, effigies de vieilles divinités qui roulaient des yeux sans pupilles. Tout ceci avait pour but de défendre la paroisse contre les forces du mal, telles que les Norvégiens les avaient combattus depuis des centaines d’années. Les artisans avaient pris soin d’intégrer tous les dieux à leur œuvre et de leur rendre justice à égalité, pour le cas où Thor et Odin auraient pu conserver quelques pouvoirs

L’idéal féminin norvégien .

 Astrid, elle, était longiligne, osseuse de corps et de visages, avec des cheveux bruns et frisés. Dans une autre contrée, elle eût pu passer pour jolie. « Belle », dirait peut-être celui qu’il lui fallait, qui saurait apprécier l’inclinaison singulière de ses sourcils, sa façon de relever le menton, la couleur dorée dont se teintaient ses bras au soleil. Mais après ses deux refus, l’aîné des Hekne n’était plus dans la rumeur publique qu’une jeunesse têtue et ingouvernable. La sagesse matrimoniale favorisait les filles aux mains grossières qui se taisaient en ployant sous la besogne, mettaient des enfants au monde sans manières, et retournaient droit à l’étable en laissant derrière elle le délivre encore fumant.

Une région en retard.

 Les temps nouveaux faisaient lentement leur chemin. Butangen était en retard de vingt ans sur les bourgs avoisinants, eux-mêmes en retard de trente sur les villes de Norvège, laquelle marchait cinquante ans en arrière sur les traces du reste de l’Europe.

Différence entre les ports et la campagne.

 Les choses ne se passaient pas comme sur la côte, ou la placidité des mœurs souffrait de dilution. La faute en revenait aux marins des bords de la Méditerranée, débarqués pour cause d’avaries, et qui quittaient le port où ils s’étaient réfugiés en laissant, dans le ventre des jeunes filles, de menus cadeaux d’où sortiraient des gamins coléreux à la chevelure de jais. La vie d’ici se passait dans le périmètre des enclos, au fil de la paisible et régulière valse des saisons.

La sonorité des cloches.

La sonorité des cloches jumelles éveillait ni mélancolie ni angoisse. Dans chaque battement palpitait un cœur vivant, la promesse d’un printemps meilleur, une résonance teintée de longues et noble vibrations. Leurs notes pénétraient les âmes, emplissaient les têtes de chimères, attendrissaient les plus endurcis des hommes. Pour peu que le sonneur fut habile, il pouvait transformer les sceptiques en fidèle paroissiens, et si le timbre de ses cloches avait tant de pouvoir, c’est qu’elles étaient « de bon aloi ». Cette expression désignait alors une coutume dispendieuse, qui consistait à ajouter de l’argent à l’alliage au moment de le couler. Plus on mettait du précieux métal plus le son serait beau.

Bavardages norvégiens !

Malgré son terrain accidenté et ses petites proportions, la vallée était abritée et lumineuse, et ceux qui y séjournaient, s’ils poussaient un peu plus loin vers le nord, pouvaient à l’occasion avoir quelques commerces avec les gens de Brekkom et d’Imsdal, sous la forme d’un signe de tête ou d’un salut de la main, à bonne distance.

La mère du Pasteur .

 Sa mère, cette maîtresse femme, la plus vêtue de noir de toutes les veuves qu’on eût jamais vu dans les réceptions de Noël, lui avait inculqué depuis sa plus tendre enfance l’importance d’une « vie réussie ».

Tout se sait au village.

Kai Schweigaard ne mesurait pas jusqu’où pouvait fouiner l’indiscrétion des gens du village. La rumeur s’emparait avec la rapidité de l’éclair de tout ce qui sortait du rang, observait, soupesait avec autant d’ardeur que s’il se fût agi de trouver l’issue la plus sûre pour fuir un incendie. 

Question intéressante !

Il s’était parfois posé une question inavouablement déplaisante : comment il se faisait qu’il pût trouver intéressantes les odeurs sécrétées par son propre corps – sueur, pets matière fécale-, ou du moins ne pas en être dégoûté sur le coup, quand les miasmes d’autrui le faisait reculer.

Bien vu… !

Astrid, il le savait n’était pas faite pour devenir épouse de pasteur. Trop spontanée, trop féminine, trop exigeante. Il lui manquait la qualité principale qu’on attendait d’une femme de tête : savoir obtenir ce qu’elle voulait en faisant croire aux homme que l’initiative venait d’eux .

Les enfants sans père .

 « Eh bien tu nous as mis dans de beaux draps », s’exclama la mère et elle eut tout dit. Les enfants sans père était mal venus, mais les gens du commun parmi tous les maux du monde, y voyait un accident moins grave que si le cheval fût mort de coliques. 

Amusant.

 On avait réuni les attelages près de la grange. Des hommes en paletot de fourrure se mettaient au travail. La plupart affichait la marque universelle de la compétence chez les transporteurs au long cours : une barbe fournie.

La tristesse.

 « Tout ira bien, lui dit-il. S’il arrive quelque chose, la sage-femme ou moi, nous prendrons des décisions pour vous. Nous vous délivrerons et de la mort et des souffrances.
– Mais pas du chagrin.
 – Non. Contre le chagrin, nous ne gagnons jamais, nous ne pouvons même rien contre lui.

Les paroles de son grand père .

 Demande toi quelle remembrance tu aimerais laisser de toi Astrid. Quand on conte la vie de quelqu’un et que les ans ont passé, la place manque pour en dire long. De moi, je ne crois pas qu’on se ressouvienne. Sauf pour m’être efforcé d’avoir bon cœur, peut-être, mais ça ne donnera guère une histoire. Ce que les gens gardent en mémoire est coulé dans le métal ou fabriqué en bois, ou bien tissé ou peinturé, ou bien écrit. La mauvaiseté et la sottise aussi peuvent rester, quand on les étale en grand.
Édition Les Escales. Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 
Le portrait du père violent et dominant sa famille de toute ses colères et de ses mots assassins est criant de vérité. Il s’agit certainement d’une part de l’enfance de l’autrice qui par se livre se libère du poids de son enfance à Bari capitale des Pouilles italiennes. On sent tout le poids de la souffrance des femmes italiennes qui subissent leur sort avec courage. La petite Rosa vit dans l’amour de sa mère et la terreur que son père éclate d’une colère incontrôlée. Elle s’éveille à la sexualité dans un quartier où règne la prostitution. Elle reproduira , hélas le schéma familial et son Marco s’avèrera un homme dur et violent. Mais à la différence de sa mère elle réussira à s’en séparer.
Le roman décrit bien la pauvreté des villes du Sud de l’Italie et la difficulté de mener une vie correcte quand la misère vous tient dans ses filets. C’est vraiment le meilleur aspect du roman.
Mais je suis peu sensible au côté « rédemption par l’écriture », cette impudeur me gêne surtout dans la deuxième partie quand on voit cette jeune femme s’accrocher à un homme qui ne lui apporte rien. L’écrivaine n’a pas réussi à m’intéresser , mais cela vient du peu de goût que j’ai pour l’auto -apitoiement sur son propre sort. C’est sans doute vrai que c’est compliqué de ne pas reproduire le schéma parental mais cela ne justifie pas pour autant le fait d’en faire le récit. Je sauve de ce roman toute la première partie de son enfance à Bari dans les quartiers miséreux, on vit au plus près de ces familles qui cherchent par tous les moyens de s’en sortir. C’était mon dernier roman italien proposé par mon club de lecture, j’ai lu de bien beaux romans même si celui-ci m’a moins intéressée.

Citations

J’aime bien ce passage :

 Il s’est bien habillé pour l’occasion il a plaqué ses cheveux en arrière pour dégager son front large et il porte un parfum agréable, nouveau. Moi aussi, j’ai fait un effort, j’ai sorti une vieille robe à fleurs qui me serre un peu, je me suis coiffée et j’ai mis des chaussures neuves. Sans véritable raison, en réalité. Peut-être que les amours terminées méritent encore une belle tenue.

Alors que son père vient d’être cruel avec son amoureux :

Ne t’inquiète pas Rosa. S’il t’aime il ne se laissera pas impressionner par les discours de papa, m’as-tu dit. 
T’en souviens-tu maman ? Moi, très bien, de même que de la douceur de ta main qui me caressait les cheveux d’un geste prudent et léger ; peut-être avais-tu peur que je te repousse. Tu parlais toujours avec une émotion qui te ramenait aux mêmes sujets : le mauvais caractère de papa,  » Il est comme ça on y peut rien », le sort inéluctable du quartier, « C’est comme ça, on ne peut pas le changer « . Tu tressais les fils de notre destin dans un mouvement circulaire auquel on n’échappait jamais