Édition NRF Gallimard

Comme vous le voyez sur ma photo ce petit livre n’a obtenu que deux coups de coeur à notre club, je ne l’avais pas lu, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu une réserve d’une ou deux lectrices. Pour moi cet essai de Xavier Le Clerc, à la gloire de son père est un petit bijou d’authenticité et courage de la part de ce fils rejeté du cocon familial parce qu’il est homosexuel et très cultivé.

Il a retrouvé l’enfance de son père, Mohand-Saïd Aït-Taleb dans un petit village de Kabylie, grâce aux textes d’Alber Camus, « Misère en Kabylie » écrit en 1939 . Son grand père est mort pour la France à Verdun et son père en 1940 en défendant le sol français contre les nazis. Cet enfant mourait de faim dans son village de Kabylie, mais il ne l’a jamais raconté à son fils. Celui-ci en a compris toute l’horreur en découvrant les articles d’Albert Camus, il s’appuie donc sur ces textes pour nous dévoiler ce que son père a vécu enfant. Pour la suite, il puise dans ses souvenirs pour retrouver qui était ce père ouvrier toute sa vie à la SMN à Caen . Le portrait de son père est très bien rendu : cet homme était la dignité même et l’obéissance personnifiée, jamais un mot de révolte et une lutte incessante pour sortir de la misère sa famille. Les seuls moments de joie, en particulier pour sa mère , ce sont les retours au pays où la famille semble riche aux yeux des plus pauvres qu’eux. Comme tous les immigrés, ils étalent leur soi-disant richesse et cachent toutes les difficultés de leur vie en France.

Puis l’auteur évoque sa propre enfance, complètement séduit par la langue française, il fréquente de façon assidue la médiathèque et écrit des poèmes. Peu à peu sa différence creuse un fossé entre lui et sa famille.

À la préretraite trop tôt arrivée , son père va s’enfermer dans le silence. Et enfin l’auteur explique pourquoi il a traduit son nom en français : grâce à cela il a obtenu un poste de cadre important dans le monde du luxe . Hamid Aït- Taleb malgré ses deux masters n’aurait jamais pu obtenir le poste pour lequel Xavier Le Clerc a été si facilement recruté !

Le titre de cet essai vient du seul papier que son père a gardé toute sa vie : sa carte d’ouvrier à la SMN. Le fils trouve que ce père qui n’a aucun titre les mérite tous tant il a franchi avec une belle dignité les difficulté de sa vie. J’ai tout aimé de ce livre et je ne peux que vous le conseiller.

 

Citations

La misère et la colonisation .

 Avec sa petite sœur Cherifa, ils ont vécu comme les neuf enfants sur dix qui n’allait pas a l’école. Eux auss ont fouillé les détritus du ruissellement des eaux usées. Le code forestier interdisait aux montagnards jusqu’au glanage des pignons, utilisés pour les galettes rudimentaires ou même de ramasser du bois pour se chauffer :  » Il n’est pas rare qu’ils se voient saisir leur seule richesse, l’âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. » (Albert Camus misère de la kabyle 1939)

La formation du futur écrivain .

 Le mercredi matin, alors que la fratrie regardait le « Club Dorothée », j’allais de mon propre chef aux ateliers de langue française. L’école primaire Malfilâtre les dispensait en premiers lieu pour des enfants en difficulté, que l’on appellerait aujourd’hui des « migrants ». L’instituteur volontaire, surpris de me retrouver là, avait sans doute compris que je me sentais à ma place, entouré de dictionnaires, ébahi par la beauté du français. Il n’avait pas mesuré que l’enfant sage que j’étais, et qui chez lui ne parlait que le kabyle avec ses parents, ne s’amusait pas. J’étais au contraire concentré dans une bulle absurde. Je voulais apprendre le français une deuxième fois en quelque sorte, mémoriser sa texture, ses ingrédients et son goût, comme pour emporter une deuxième rations de mot, qui je ne le sais que maintenant devait nourrir un père affamé. 
L’après-midi à l’heure de « Dragon Ball » et de « ken le survivant, je m’asseyais sur la moquette de la bibliothèque municipale. Les mots m’apprenaient non pas à rêver mais à exister. Une vie marginale avec des lectures qui feraient de moi tôt ou tard un étranger dans ma famille. Chez nous, dans ce que nous continuions d’appeler la baraque, il n’y avait pas de livres, hormis les annuaires téléphoniques.

La faim.

Pour survivre tu as dû te nourrir de racines, puis te déraciner. Quant à la tyrannie du ventre vide. Il n’y a guère que l’école pour lui résister. La faim s’arrête-t-elle vraiment une fois le vide de l’estomac comblé ? Ou est- ce un ogre intérieur qui jamais ne sera repu et qui, une fois logée dans nos peurs les plus profondes, finit par nous dévorer l’esprit comme les entrailles ? Je repense à toi qui avalais ton casse-croûte la bouche grande ouverte, ne prenant pas même le temps de mastiquer, à t’en étouffer. Et enfant déjà, je sentais bien que ton empressement compulsif avait une histoire. J’étais aussi né de ton ventre d’homme, ton ventre d’affamé.


Édition Rivages(Plont) 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai adoré la première partie de ce roman, un peu lassée dans la seconde et ennuyée à la fin. Je m’explique le début du roman décrit un homme très oublié : Augustin Mouchot qui croit à l’énergie solaire et qui invente une machine dont il fera la démonstration à Napoléon III à Biarritz. Son enfance est marquée par la maladie , et son père comprendra très vite que ce petit être souffreteux réussira mieux dans les études que dans son atelier. Mouchot devient donc professeur dans un lycée mais sa grande idée c’est d’utiliser le soleil comme source d’énergie. Et ça a presque marché , pour cela il faut du soleil ! et la Touraine n’en est pas toujours pourvue.
Dans la seconde partie on le voit grâce à l’aide d’un homme plus entreprenant que lui réussir à s’imposer comme chercheur et décidé de partir en Algérie pays où le soleil est plus fréquent.

En réalité, ses recherches se heurtent à l’essor du charbon. l’Europe profite alors une source d’énergie si peu chère que le solaire, très compliqué à dompter, intéresse peu les dirigeants de ce monde.
Arrive la troisième partie du livre, la déchéance du presque complètement oublié Augustin Mouchot qui vit avec une mégère alcoolique dans un bouge immonde ! Et là j’aurais volontiers abandonné la lecture sans la motivation de la discussion du club.

Je rédige bien vite cet article car, malgré le talent et l’humour de l »auteur, je sais que je vais tellement vite l’oublier moi aussi ce pauvre Augustin Mouchot.. La seule question que je me pose c’est de savoir ce qu’il aurait fallu pour que les recherches autour du soleil continuent même si l’énergie fossile a été pendant plus de deux siècles très bon marché.
J’avais lu de cet auteur « Sucre noir » que j’avais bien aimé.

 

Citations

 

Un début accrocheur.

 Son visage n’est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d’histoire. Personne n’est présent dans ses défaites, rares sont ceux qui assistent à ses victoires.

L’enfance sous le signe de la maladie en 1826.

 Il attrapa la variole, la scarlatine, la diphtérie, la fièvre, une diarrhée qui dura 14 jours, une forme rare de chlorose qu’on disait réservé aux jeunes filles de la haute société et, longtemps, le voisinage se demanda comment cet être sans force ni résistance avait pu survivre à une telle tempête d’infections.
Il resta ses trois première année au lit. Jamais il ne vit la lumière du jour, muré dans l’ombre de sa chambre, veillé par sa mère à la torche. Cette carence de vitamine s’accentua par la venue de l’été et couvrit sa peau d’une constellation de boutons rouges, de squames sèches, de fétides inflammations en plaques arrondies.

L’art de la formule.

 Il avait cette fragilité endurante qu’on trouve chez les hommes voués à une mort précoce et que pourtant rien ne tue .

Le sort des soldats.

C’était un vieil officier de l’armée, né dans le siècle des philosophes, grand amateur de sciences, qui avait perdu une main lors de la prise d’Alger, un œil pendant le siège de Sébastopol, une jambe à la fin de la bataille de Malakoff et boitait de l’autre depuis qu’un cheval d’une demi-tonne s’était effondré sur son genou et dans les marécages de Crimée.

L’art du portrait.

Abel Pifre avait tout ce qui lui faisait défaut. Il parlait sans hésitation ni tremblement. Il marchait droit le menton haut. Sa veste était toujours serrée à la ceinture, ouverte sur la dentelle de son jabot, retenue par d’élégants boutons de manchette qui laissaient voir la finesse de ses poignets. Son pantalon avait la raie du milieu pliée au cordeau et descendait jusqu’à de luisantes bottines vernies qui le forçaient à marcher lentement avec une distinction délicate. Coquet, intelligent, il ne portait que des cravates de mousseline, des chemises en toile de baptiste et une canne au pommeau orné d’un soleil qui donnait à tout ce qu’il faisait un caractère étincelant. Il parlait comme il faut, en homme ayant vécu. Sa conversation était pétillante parsemée de mots anglais comme s’il revenait de voyage, ornée de plaisanteries savantes et de légèretés pudiques, si bien que lorsque Mouchot le rencontra pour la première fois, il pensa qu’Abel Pifre était ce en quoi le soleil s’il s’était fait homme, ce serait incarné.


Édition Liana Levi.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Mon club de lecture me conduit parfois vers des livres dont je n’avais pas entendu parler. Le thème du mois de février était l’Iran ? j’y ai découvert Négar Djavadi.
Du début jusqu’à (la presque) fin, j’ai suivi avec passion le récit tortueux et pourtant implacable de la vie de la famille Sadr, de grands notables iraniens. La narratrice Kimia Sadr, est dans la salle d’attente de l’hôpital Cochin, nous comprenons peu à peu le sens de sa démarche. Elle est dans le service de la fécondation assistée, elle est seule alors que tous les autres patients sont venus en couple. Elle s’adresse souvent à son lecteur et pour nous faire comprendre pourquoi elle est là, elle sent qu’elle doit dérouler toute l’histoire de sa famille. Nous passons de la famille d’un très riche propriétaire terrien dont le père est à la tête d’un harem, aux soubresauts de l’après guerre. Les intellectuels exilés iraniens sont, pour la plupart d’entre eux, les défenseurs de Mossammad Mossadegh qui a eu le courage de nationaliser le pétrole au dépend de l’Angleterre, le Shah, soutenu par les anglais et les américains l’a exilé sans l’emprisonner, et cela a été fini de la démocratie en Iran. Une répression de plus en plus sanglante, va s’abattre sur ce pays jusqu’à la révolution qui, hélas pour eux, sera captée par les religieux. On voit aujourd’hui que cette autre chape de plomb a bien du mal à se fissurer.
Sara et Darius, les parents de la narratrice sont engagés dans un combat très inégal qui les conduiront à un exil en France. Comment peut on construire une vie à travers tant de violence, Kimia aura d’autant plus de mal qu’elle ne se sent pas être féminine comme le sont ses deux soeurs.
Le mélange des deux temporalités , l’histoire de l’Iran et ce temps d’attente dans la salle de l’hôpital Cochin s’entrelacent et rajoutent à la tension du récit. Kimia, dit être née plusieurs fois, tout ce qui concerne la construction de son identité s’est passée dans la violence et on espère très fort pour elle que cet d’enfant à venir sera enfin une période pleinement heureuse.

Ce roman permet de mieux comprendre ce pays, du point de vue des classes favorisées et éduquées. On sent une coupure très grande entre eux et le peuple qui sans doute s’est plus reconnu dans les mollahs que dans ces intellectuels laïcs, descendants des seigneurs propriétaires de domaines grands comme des provinces. Je me suis laissée « désorienter » dans ce livre au titre tellment bien choisi, il dit si bien ce que la narratrice a dû vivre pour être enfin elle-même ;

 

Citations

Son père Darius et son grand père .

 Darius, je pense détestait son père pour lui même. Parce qu’il incarnait l’aveuglement et la crainte, et la ruine de ce bien précieux qu’est la pensée. Il le haïssait tous autant qu’il haïssait la religion dont Mirza-Ali était le premier des représentants. Toute sa vie, d’abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui, des figures autoritaires/conservatrices dont l’action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l’ignorance absolue dans un autre monde possible. À plusieurs reprises, je l’ai entendu dire que la religion, comme la tyrannie asséchait la capacité d’analyse dans le but d’imposer un unique sentiment : la peur. « La peur est leur seule arme et la révolution consiste à la retourner contre eux » insistait-il avec conviction.

Statut de la femme (pas sûre que ce soit seulement la femme iranienne).

 Je songe à une réflexion de Sarah au sujet de couple de voisins, les Hayavi, mariés de longue date, mais sans enfant. « Bien sûr que c’est lui qui est stérile. Si c’était elle, il aurait divorcé depuis longtemps. » Voilà toute la condition de la femme iranienne esquissée en deux phrases.

J’ai ri.

-Ton oncle lui a acheté un billet d’avion et ouste partie à l’autre du monde …
– Quel bout du monde ?
– Celui qu’on dit qui s’appelle « Amirika » !
– Il est parti en Amérique ? !
– C’est ce que je viens de dire.
– Et il fait quoi là-bas ?
– Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse, c’est un Sadr… Il secoue son petit tuyau et fabrique des enfants.

La paternité.

 Si je devais utiliser une comparaison pour tenter de définir le rapport de Darius avec la paternité, je dirais qu’elle se révéla comme une de ces attractions qui excite la foule à la Foire du trône (Luna Park pour les Iraniens), mais qui d’emblée ne vous tente pas. Pourtant on vous y traîne de force et vous cédez. Vous en descendez plutôt enthousiaste, admettant que vous vous étiez trompé, cela valait vraiment le coup mais de là à y retournez… D’autant que si vous êtes Darius Sadr, des attractions autrement plus stimulantes vous interpellent de toute part. La guerre du Viêt Nam et l’intensification des bombardements sur le Nord, la réélection de Nasser et la chasse aux frères musulmans ; et en Iran rien de moi que l’assassinat du premier ministre Hassan Ali Mansour devant le Parlement et l’accession au pouvoir de « l’homme à la pipe » Amir Abbas Hoveyda. 

D’habitude je n’aime pas ce genre de clin d’œil au lecteur mais j’ai bien aimé ce bavardage avec cette auteure .

 Le tabou était telle que, même en son absence personne n’osait en parler (vous remarquerez que tous les tabous famille bisous avait un lien avec onze numéro 2). Pourtant patiente encore un peu cher lecteur, et je te révèlerai ce qu’aucun des Sadr n’a jamais su. Pour l’instant, il y a un bébé et sa mère a sauver.

Les filles iraniennes.

 Les filles étaient élevés pour être le ciment de la famille, la colle qui maintient ensemble des générations, les maisons et les traditions. Elles étaient façonnées pour rester auprès des parents vieillissants et s’accommoder de la vie comme d’un pont à traverser. La preuve en est que, cet été là, aucun des cousins adolescents n’étaient présents. Ils avaient tous été envoyés en « Amerika », loin des manifestations et des arrestations, poursuivent leurs études et se tailler un destin. L’un après l’autre, ils avaient laissé leurs sœurs derrière eux et avaient disparu de nos vies pour ne plus jamais réapparaître. Eux non plus n’ont pas eu le choix, mais au moins ils ont pu avoir des aventures et épouser qui ils voulaient.

Explication du titre.

 Tandis que tout en bas à l’orient rétrécit, devient anecdotique, puis disparaît, assise près du hublot Kimiâ Sadr, telle que vous l’avez connue, subit le même sort. Bientôt, je vais naître pour la seconde fois. Habituée à venir au monde dans le sang et la confusion, à réveiller la Mort et la convoquer à la fête, cette renaissance de la traversée du territoire indompté et violent du Kurdistan à la chambre d’hôtel de Karakoy – est indéniablement digne de la première. Bientôt, mon prénom ne sera plus prononcée de la même manière le « â » final de viendra « a » dans les bouches occidentales, se fermant pour toujours. Bientôt je serai une « désorientale ».

 

 


Édition Belfond. Traduit de l’anglais (Irlande par Jean-Luc Piningre

 

C’est ma troisième lecture de cet auteur irlandais, et si ce n’est pas mon préféré j’en ai, cependant, beaucoup aimé une grande partie. Cet auteur sait mieux que quiconque décrypter l’horreur de la tyrannie qu’elle soit soviétique ou américaine comme dans les saisons de la nuit, mais il est surtout, pour moi, l’auteur d’Apeirogon qui m’a tant bouleversée l’été dernier.

Dans ce roman Colum McCann va faire revivre Rudolph Noureev, il prend un partie pris intéressant. Ce sont tous les gens qui l’ont connu et côtoyé de près qui vont faire son portrait. Peu à peu, nous aurons une idée assez précise de son parcours et de sa vie. La partie que je trouve passionnante se passe Oufa dans l’Oural. Le premier chapitre est consacré à la guerre 39/45 et les ravages dans l’armée soviétique. Puis l’enfant grandit et il a la chance de rencontrer une danseuse exilée à Oufa avec son mari et originaire de Léningrad, elle reconnaîtra son talent exceptionnel. Cette danseuse fait partie des gens « relégués » c’est à dire qui ont été jugés mauvais soviétiques par Staline et les habitants d’Oufa le lui font bien sentir..

Son père est un homme rude et bon communiste, il souffrira de voir son fils devenir danseur. Le jour de sa mort alors que Rudolph Noureev est un danseur étoilé mondialement connu, son fils pensera que son père ne l’a jamais vu danser.
En 1961,(on connaît l’histoire) Noureev choisit de rester à Paris, sa famille et tous ceux qui l’ont connu sont alors soumis en Union Soviétique à des interrogatoires sans fin. Et ses parents seront obligés de le renier, même sa mère qui adorait son fils.

La deuxième partie du récit montre le danseur étoile dans sa vie de prince en occident. J’avoue que cela m’a beaucoup moins intéressée. C’est une suite de soirées avec au programme, sexe, alcool, drogues… Ce n’est vraiment pas ce que je préfère dans la vie.

Gorbatchev l’autorisera à venir 48 heures en Russie pour voir sa mère mourante, on ne sait pas si elle a pu le reconnaître.

Quelque soit la vie folle, que mène le danseur, il a toujours envers lui-même cette incroyable discipline qu’exige la danse classique pour devenir ce spectacle défiant la loi de la gravité. Je pense que pour bien aimer ce roman il faut s’y connaître, plus que moi, en danse classique.
Je conseille donc ce livre pour la partie soviétique et la description de l’exigence de la danse classique sinon j’ai eu beaucoup de mal avec l’aspect orgiaque de la vie du prince de la danse, surtout quand on sait qu’il y trouvera la mort car finalement Noureev sera emporté par le SIDA à 54 ans.

 

Citations

La guerre 39 45 côté soviétique .

 Dans les bâtiments éventrés à la périphérie des villes, ils trouvaient d’autres morts dans des ravages de sang. Ils voyaient leurs camarades pendus aux réverbères, décoration grotesque, la langue noircie par le gel. Lorsqu’ils coupaient les cordes, des poteaux gémissaient, se courbaient, et la lumière changeait d’empreinte au sol. Ils tentaient de capturer un Fritz, vivant, pour l’envoyer au NKVD. On lui trouerait les dents à la chignole, on l’attacherait au pieu dans les congères, ou on le laisserait simplement mourir de faim, dans un camp, comme on faisait chez les Chleuhs.

Mépris pour les relégués.

J’avais pour voisins, dans la chambre à côté, un vieux couple de Leningrad. Elle avait été danseuse, et lui venait d’une famille aisée – c’était des exilés, je les évitais. Seulement, un après-midi, cette femme a frappé à ma porte et m’a dit que les volontaires faisaient honneur au pays, pas étonnant qu’on gagne la guerre. Elle m’a demandé si elle pouvait aider. Je l’ai remercié en déclinant, nous avions bien assez de volontaires. J’ai menti, et elle parut embarrassée, mais qu’étais-je censé faire ? C’était après tout une indésirables. Elle a baissé les yeux. Le lendemain matin, j’ai trouvé quatre miches de pain devant ma porte : « S’il vous plaît donnez les aux soldats ». J’ai jeté ça aux oiseaux du square Lénine, tiens. pas question de frayer avec ces gens-là.

Homosexuels à Leningrad .

 Dehors, le soir, dans le square Ekaterina, dans la poussière antique de Leningrad, une fois la ville et les réverbères éteint, nous arrivions, épars, silencieux et furtifs, des différents quartiers pour longer les arbres alignés du côté du théâtre. En cas d’interpellation par la milice, nous avions nos papier, un motif de travail, l’insomnie, nos épouse, et nos enfants chez nous. Parfois des inconnus nous faisait signe, mais nous n’étions pas fous et disparaissions vite. Les voitures de la perspective Nevski nous prenaient dans leurs phares, oblitéraient nos ombres, et il nous semblait un instant que celles-ci partaient à l’interrogatoire. nous nous imaginions déjà sur le strapontin du panier à salade, puis dépêchés dans les camps, car nous étions des « goluboy », des « bleu clair » des pervers. Toute arrestation serait forcément rapide et brutale. Nous gardions chez nous, au cas où, un petit sac prêt, caché.

Cet auteur sait rendre l’émotion .

 Il y avait à l’intérieur une minuscule soucoupe de porcelaine, de la taille d’un le cendrier. Très fine, d’un bleu pâle, avec un décor bucolique sur le bord, de paysans et de chevaux de trait. Je fus d’abord déçue, c’était une petite chose légère, fragile, qui semblait sans aucun rapport avec l’un ou l’autre de mes parents.
Elle a cent ans, me dit-il. Elle appartenait à ton arrière grand-mère maternelle. Ta mère l’a récupérée à Pétersbourg, après la révolution lui dans la cave où elle était cachée. Il y avait de nombreuses autres pièces. Elle voulait garder ce service. 
Qu’est-ce qu’il est devenu ? 
Il s’est cassé au fil de nos voyages. 
C’est tout ce qu’il en reste ? 
Hochant la tête il dit misère luxure maladie jalousie espoir. 
Pardon ?
Il répéta la misère la luxure la maladie la jalousie l’espoir. Elle a survécu à tout ça.
 Je gardais dans mes mains le minuscule objet de porcelaine et me mis à pleurer jusqu’à ce que mon père déclare, souriant, qu’il était temps que je grandisse.

Un petit moment de danse.

 Pirouettes enchaînées. Il respire à l’aise, le corps sculpté par la musique, une épaule à la recherche de l’autre, orteil droit distingue genou gauche, stature, profondeur, forme, contrôle, la souplesse du poignet, la courbure du coude, l’inclinaison du cou, les notes qui fouillent dans ses artères, et il est soudain suspendu en l’air, pousse ses jambes au delà des mémoires gestuelles, un dernier développé des cuisses, prolongement de figure dansée galbe humain dénoué, il vole plus haut encore et le ciel le retient. 


Édition Stock

J’ai trouvé cette tentation de lecture chez Athalie , je lui avais dit que je lirai ce livre car j’ai des amis libanais, leur histoire me rend si triste et pourtant ils ne se plaignent jamais. Je ne regrette absolument pas cette lecture, je les retrouve dans tellement de détails et surtout dans l’humour dont ils font preuve en beaucoup d’occasions. Mais là où le récit est le plus proche d’eux c’est dans la façon dont ils reçoivent tous les gens qu’ils aiment avec un repas digne des plus grandes tables avec des plats préparés pour 10 même si nous sommes 4 autour de la table.

Je n’ai mis que quatre coquillages alors que j’ai beaucoup aimé ce livre car je le trouve un peu désordre, l’auteur part dans tous les sens, j’ai bien aimé le suivre même si parfois, je me suis un peu perdue. Visiblement les lycéens de 2002 ont été plus enthousiastes que moi, bravo à eux !

Sabyl Ghoussoub veut comprendre la vie de ses parents et en même temps comprendre les conflits qui ont bouleversés le Liban et cela depuis si longtemps, c’est peut-être pour ça que son récit est compliqué car franchement comprendre pourquoi des chrétiens se sont assassinés entre eux, sont allés tuer des palestiniens pour ensuite se faire assassiner par le Hezbollah, c’est incompréhensible. À la fin du livre, l’auteur fait la liste des gens connus assassinés et c’est une liste qui semble sans fin.

En partant à la recherche des membres de sa famille, l’auteur est d’une honnêteté implacable, il nous parles de ses cousins qui ont été des assassins et ce doux pays qu’il a tant aimé en particulier le village de sa mère qui se teinte alors d’une cruauté sans nom.

Ce n’est pas les moment que je préfère même s’ils sont indispensables à la compréhension du Liban, ce que j’ai adoré c’est le portait de ses parents, son père qui a besoin d’aller boire son café tous les jours en faisant son tiercé et qui a fait tant de métiers car il ne pouvait plus vivre de sa plume ni devenir le poète qu’il aurait aimé être. Sa mère qui passe sa vie au téléphone ou sur Whatsapp et qui veut absolument que son fils réponde au téléphone à toute la famille quand il vient la voir. J’adore aussi quand il raconte son agacement vis à vis des gens qui parlent du Liban, soit des Libanais qui n’y vivent plus depuis très longtemps soit des Français qui y ont passés quelques jours de vacances.

L’auteur explique très bien tous les problèmes auxquels sont confrontés le Liban, pays que l’auteur adore autant qu’il en déteste certains aspects . On peut dire qu’aujourd’hui ce pays qui est dirigé par une mafia criminelle aux mains pleines de sang . En revanche, il exprime bien toute sa tendresse pour ses parents qui habitent donc Beyrouth sur Seine, comme toute sa famille, sauf un frère et une soeur qui essaient de vivre au Liban. Si ce récit n’est pas totalement autobiographique, il suit de très près la destinée familiale de l’auteur. Un superbe hommage à des gens courageux et qui ont gardé leur plaisir de vivre et leur humour quelles que soient les difficultés auxquelles ils ont dû faire face.

 

Citations

Portrait de sa mère (humour).

 Je me lève pour accrocher le micro à la chemise de nuit de ma mère. J’essaie de l’attraper entre deux activités. Ma mère est petite, très petite et, comme souvent avec les gens de petite taille, elle est hyper active. Elle me rappelle Nicolas Sarkozy. Là, elle cherche son iPhone qui résonne dans tout l’appartement  » Je t’aime ô mon Liban. Ô ma patrie, je t’aime. Par le nord,. par le sud vers les plaines je t’aime. » Sa sonnerie n’est rien d’autre que « Bhebbak ya Lebnan, je t’aime ô mon Liban » de la diva libanaise Fairouz, Longue plainte nostalgique qui nous agace au plus haut point mon père et moi.

Une mère inquiète de savoir son fils au Liban.

 Mes parents sont à Paris, inquiets. Mon père ne veut pas m’appeler pour partager avec moi son inquiétude mais ma mère le fait très bien pour deux.  » T’es où ? » écrit-elle toutes les heures comme si dans sa tête elle détenait la cartographie des explosions à venir. Comme si me savoir dans cette rue ou une autre la rassurait.

Humour libanais.

 Une idée saugrenue m’est venu en tête : demander à mes parents le top 3 des évènements qui les avaient le plus affecté pendant la guerre. Bien après, je me suis rendu compte qu’il fallait vraiment ne pas l’avoir vécue pour poser une question aussi sotte. 
Le top 3 de ma mère :
– les massacres de Sabra et Chatila.
– Le massacre de Damour.
– Le blocus de Beyrouth.
 Le top trois de mon père :
-Ma naissance.
– La naissance de Yala.
– Son mariage avec ma mère qui, selon lui, a eu les mêmes effets néfastes sur le Liban que les accords du Caire.

Jugement de Frida Khalo sur le milieu de l’art contemporain à Paris.

Tu n’as pas idée comme ces gens sont des putes. Ils me font vomir. Ils sont si foutrement intellectuels et si pourris que je ne les supporte plus. C’est vraiment trop pour mon caractère. J’aimerais mieux rester assise par terre à vendre des tortillas sur le marché de Toluca qu’avoir affaire à ces salopes artistiques de Paris.

J’adore cet humour.

 Tandis que mes parents attendent pour obtenir leurs papiers, Antenne 2 réalisait un reportage.
 -Madame, monsieur est-ce possible de vous poser une question ? 
– Oui, bien sûr. 
– Est-ce que vous vous sentez français ? 
-Vous nous donnez quand même les papiers si je vous réponds ? dit mon père. 
Le journaliste rit. 
-Oui, bien sûr monsieur. où vous floutera ne vous inquiétez pas. 
– Vous savez comment je m’appelle ? Kaïssar Ghoussoub ! Comment voulez-vous que je me sens français ? Même libanais je ne me suis jamais senti. Je suis né au Ghana 
– Au Ghana ? vous ? 
-Oui ! Et même si je n’ai presque pas vécu, mon père m’a transmis le passeport anglais. Je suis anglais voyez-vous ! Comme beaucoup de libanais, mon père est parti en Afrique pour s’enrichir et je dois vous avouer que c’est le seul à avoir raté son coup ! Complètement raté. Mais pour en revenir à votre sujet, peut-être au cimetière du Père-Lachaise je me sentirai enfin chez moi


Édition Corti

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un tout petit roman d’une centaine de pages à la gloire de Jean Sebastian Bach et son immense admiration pour Buxtehude. L’auteur imagine une rencontre entre ces deux serviteurs de la musique sacrée qui sentent entre eux et Dieu un lien qui se concrétisent dans leurs œuvres. L’auteur imagine que Bach part à pied l’hiver de Arnstadt où Bach est organiste jusqu’à Lübeck ville du maître Buxtehude. Cette marche d’une centaine de kilomètres est l’occasion pour l’auteur de montrer à quel point le compositeur est imprégné de musique. Il s’agit d’une vision mystique de la musique qui le rapproche de Dieu. On peut se demander pourquoi Simon Berger écrit un tel livre sur un sujet dont on ne sait rien ou presque. Que Bach ait admiré Buxtehude, c’est certain tout le monde l’admirait à l’époque ; que ces deux génies de la musique se soient rencontrés on n’en sait rien mais c’est possible ; que des grands compositeurs reconnaissent le talent de leur prédécesseurs c’est souvent vrai. Il ne faut pas oublier que c’est grâce à Mozart que Bach n’a pas totalement été oublié après sa mort. Mais ce qui nous frappe et qui transparaît un peu dans ce texte très court c’est la modestie de la vie de Bach et de Buxtehude. Tous les deux attachés à leur orgue dont ils jouaient tous les jours, ils ont composé pour un public pieux et des notables qui avaient si peur que la trop belle musique entraîne les fidèles vers des pensées impies. Ils ont été l’un et l’autre d’une modestie totale au service de leur Dieu et de la musique.

Citations

Les notables de Arnstadt.

Rien qu’à les imaginer, Bach se lassait déjà. Et dire que sa vie dépendait de quelques bien-nés qui resteraient jusqu’à leurs morts infoutus de faire la différence entre le son d’une bombarde et celui d’un pet rentré !

La musique de Buxtehude.

 Alors un début de cantate s’éleva du chœur. Ce fut beau à mourir. Les yeux de Johann Sebastian Bach s’emplirent de larmes. Il ne voyait plus qu’à travers une pitoyable buée ! 

C’était beau. La musique se déroulait comme un phylactère du ciel. Bach la comprenait, aurait pu en tracer l’architecture dans les moindres détails, et cela n’enlevait rien à ce miracle, et cela participait même à ce miracle, miraculeux encore après son décodage. Herméneutique divine, qui n’ajoute rien, qui ne retranche rien et laisse les prodiges advenir. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Rien qu’à les imaginer, Bach se lassait déjà. Et dire que sa vie dépendait de quelques bien-nés qui resteraient jusqu’à leurs morts infoutus de faire la différence entre le son d’une bombarde et celui d’un pet rentré !

La musique de Buxtehude.

 Alors un début de cantate s’éleva du chœur. Ce fut beau à mourir. Les yeux de Johann Sebastian Bach s’emplirent de larmes. Il ne voyait plus qu’à travers une pitoyable buée ! 

C’était beau. La musique se déroulait comme un phylactère du ciel. Bach la comprenait, aurait pu en tracer l’architecture dans les moindres détails, et cela n’enlevait rien à ce miracle, et cela participait même à ce miracle, miraculeux encore après son décodage. Herméneutique divine, qui n’ajoute rien, qui ne retranche rien et laisse les prodiges advenir. 

 

 


Édition J’ai lu

Ce livre est la biographie des deux grand-mères de l’auteure qui sont toutes les deux nées en 1902 et meurent en 2001. Elles ont été amies toute leur vie depuis l’âge de six ans jusqu’à leur mort. elles ont réalisé leur vœu le plus cher : le fils de Martha épousera la fille de Mathilde et elles seront donc non seulement liées par des liens amicaux mais aussi familiaux.

Je sais, ce livre est écrit par une auteure française mais le sujet concerne tellement les rapports de l’Allemagne et de la France que je le propose pour ce mois de novembre 2022 si vous l’acceptez.

Ce récit se passe en Alsace à Colmar (Kolmar) et quand on voit les dates on comprend tout de suite que nous allons connaître cette région sous la domination allemande jusqu’en 1918 puis française et de nouveau allemande en 1940 sous le joug nazi jusqu’en 1945.

Tout l’intérêt de cette biographie vient de l’amitié de ces deux femmes que beaucoup de choses opposent. Marthe est originaire d’une famille alsacienne classique et pour Mathilde c’est plus compliqué : son père Karl Georg Goerke est allemand et est venu s’installer en Alsace, son épouse est Belge leur première fille Mathilde est née en Allemagne.

Jusqu’en 1914, les deux petites filles grandissent dans des familles à qui tout réussit, elles cultivent une amitié sans faille, elles habitent dans le même immeuble et fréquentent les mêmes écoles. La guerre 14/18 vient compliquer les choses car les Allemands se méfient de l’absence de patriotisme des Alsaciens. Nous suivrons la guerre de Joseph le futur mari de Mathilde, il est enrôlé dans l’armée allemande et est envoyé d’abord loin du front de l’ouest, il n’a le droit à aucune permission tellement les autorités craignent les désertions des alsaciens.

Et puis arrive 1918 et le retour de l’armée française triomphante et commence alors dans ce moment de liesse pour une grande partie de la population le drame qui marquera à tout jamais Mathilde. Son père souhaite devenir français et vit alors jusqu’en 1927 année où il le deviendra, une période de peur : il craint à tout moment d’être chassé du pays qu’il s’est choisi . C’est la petite histoire mais cela a dû concerner un grand nombre d’alsaciens d’origine germanique. Du coup Mathilde aura tendance à s’inventer une famille extraordinaire en maltraitant parfois la vérité historique. La période nazie est une horreur pour toutes les deux Marthe est veuve d’un officier français et Mathilde est mariée avec Joseph Klebaur fabriquant de porcelaine. Elles seront séparées pendant quatre longues années mais se retrouveront après la guerre.

La façon dont leur petite fille fouille à la fois leur passé et leur caractère est très intéressant , avec comme toile de fond la grand histoire qui a tant bouleversé les vies des familles alsaciennes. On comprend peu à peu à quel point Mathilde a été déstabilisée par le fait qu’elle a dû cacher ses racines germaniques et la peur que son père lui a transmis de pouvoir être expulsé. Marthe a un caractère plus heureux et c’est elle qui construit ce lien amical qui les soutiendra toutes les deux malgré les périodes lunatiques de Mathilde . Tous les personnages qui gravitent autour d’elles sont aussi très intéressants : la tante Alice confite en religion et qui a peur de tout, le père de Matilde qui a transmis à sa fille la peur d’être expulsé, Georgette la soeur tant aimée de Mathilde institutrice dans un quartier populaire de Berlin qui prendra partie pour les spartakistes en 1920 et tant d’autres personnages qui croisent leur vie. Une lecture que je vous recommande : cela fait du bien de retrouver la vie de gens ordinaires traversant les tragédies de la grande histoire sans pour autant avoir connu une vie dramatique.

 

Citations

Le revers de la médaille de la victoire.

 Mon arrière-grand-père allemand en veut aux alsaciens de ne pas reconnaître que la période du Reichsland a été pour eux une grande phase d’expansion économique. Oubliées les lois sociales de Bismarck qui comptent parmi les plus progressistes d’Europe. Le chancelier allemand a doté l’Alsace du premiers système complet d’assurances sociales obligatoires. Oublié le grand degré d’autonomie octroyée à l’alsace. En 1911 Alsace lorraine devient un vingt-sixième état confédéré. L’Alsace-Lorraine a sa Constitution et son parlement comme les autres Länder du Reich. L’Alsace a ses lois propres. Jamais plus elle ne sera aussi autonome. Oublié aussi le formidable essor urbain que connaissent les villes alsaciennes. Strasbourg devient une véritable capitale régionale. Henri Réling doit aux Allemands le quartier Saint-Joseph, la nouvelle gare, les canalisations toute neuves, l’eau potable, l’électricité et ses deux belles maisons.

Lettre du grand père 19 août 1918.

 Chère maman, un de mes amis lorrains vient de partir pour sa permission. Et j’ai été pris soudain d’un tel cafard que j’ai besoin de bavarder un peu avec toi à distance. Bientôt ce sera mon tour, peut-être déjà au début du mois de septembre. tous ceux qui m’écrivent me demandent quand je pars en permission. Après toutes ces aventures en Russie et dans le nord de la France, comme je serais heureux de vous revoir, toi, ma chère mère, et vous, mes sœurs adorées ! Les jours de temps clair j’aperçois les belles Vosges au loin. Et je pense avec nostalgie à toi, ma chère petite mère. Vous allez trouver un peu ridicule qu’un jeune homme de vingt deux ans ans écrivent des choses aussi sentimentales. Mais quand on sait la vie que nous avons eue sur le champ de bataille, quand on sait les horreurs dont nous avons été témoins, il est facile de comprendre notre état d’esprit. Prie pour que Dieu me protège, pour que nous puissions bientôt mener ensemble une vie heureuse.

Portrait d’une femme d’une autre époque

 Cette sœur craintive avait peur de tout : de l’orage, des voleurs, des dépenses inutiles, des courants d’air, des chiens, de l’imprévu, de la vie toute entière. Elle avait toujours habité au rez-de-chaussée de l’immeuble de l’avenue de la liberté dans l’appartement de ses parents. À leur mort, elle avait simplement quitté sa chambre de jeune fille au bout du couloir pour occuper la chambre conjugale, plus spacieuse, sur le devant.

Le bilinguisme.

 Ma grand mère avait attribué à chacune de ses de langue une fonction bien définie. L’allemand était la langue des émotions graves et des jugements définitifs. Une langue morale et sombre chargée de toutes les misères du monde. le français était la langue légère des petits sentiments affectueux. Mathilde m’appelait « Ma chérie » et jamais « Mein Schatz » ou « Mein kind » Jamais, avant mon arrivée en Allemagne, elle ne m’avait d’ailleurs adressé la parole en allemand. jamais elle ne m’avait aidé à faire mes devoirs. Jamais elle ne m’avait fait réciter les « Gedichte », les poèmes que nous apprenions au lycée. Je n’ai compris que bien plus tard combien elle était heureuse de m’entendre parler allemand.

 

 

 

 

Édition J’ai lu

Est-ce que je peux vraiment remercier Krol de m’avoir conseillé ce roman ? j’en ressors tellement pessimiste sur la nature humaine et si effrayée par les conduites des hommes pendant la guerre que celle qui frappe à notre porte me fait encore plus peur ! À mon tour, je vais vous dire qu’il faut lire ce roman même si comme moi vous serez horrifié par ce que vous allez découvrir sur cette guerre au Cambodge qui semble si lointaine dans le temps.

Saravouth est un jeune Cambodgien élevé par un père intègre fonctionnaire de l’état cambodgien et d’une mère dont le père était français, il a une petite soeur, Dara. Sa vie est harmonieuse, c’est un enfant à l’imagination débordante nourrie de la lecture de « Peter Pan » et « L’Odyssée ». Il se construit un monde intérieur imaginaire qui le protège de toutes les horreurs du monde de l’extérieur.

Hélas ! la guerre commence et la corruption du régime de Lon Nol sera bien incapable d’arrêter les Khmers Rouges qui gagnent du terrain par des méthodes d’une barbarie incroyables. Je ne résiste pas à citer le journal du « Monde » la veille de la prise de la capitale par les Khmers rouges. (Je cite l’auteur, je ne peux en vérifier la vérité de chaque mot, mais en revanche je peux témoigner de l’ambiance générale de la gauche bien-pensante française)

Les journaux anglais sont formels : le Cambodge n’en a plus pour longtemps. Phon Penh va tomber. Le peuple sera libéré écrit Philippe Saintes dans les pages du « Monde ».

« Libération » qui a couté deux millions de morts

La famille de Saravouth n’est pas victime des Khmers mais de la lutte du clan Lon Nol contre les habitants qui étaient suspectés d’être d’origine Vietnamienne ou comme son père d’être incorruptible. Ils sont emmenés en forêt et là commence la deuxième partie de la vie de Saravouth. Il est recueilli par une vieille femme qui le soigne grâce à des plantes, il est persuadé que ses parents et que sa soeur sont vivants et il veut absolument les retrouver. Dès qu’il le peut il repart à Phnom Penh pour retrouver sa famille. Mais ce parcours à travers le Cambodge dévasté, c’est une horreur absolue, il arrivera quand même dans la ville où évidemment il ne retrouvera pas ses parents.

Un jour l’horreur envahira complètement son monde intérieur et il perdra toute son innocence. Une dernière partie très courte c’est la vie de Saravouth aux USA, on peut le voir sur un très court reportage que l’auteur nous conseille de regarder. Sa tragédie et ses multiples blessures l’empêcheront de vivre normalement mais la prédiction de la la première femme qui lui a sauvé la vie dans la forêt cambodgienne, les gens auraient toujours envie de l’aider. D’ailleurs pour faire connaître son histoire Guillaume Sire dit qu’il l’a rencontré pendant trois ans et qu’il bénéficiait de l’aide de nombreuses autres personnes.

Citations

La tragédie.

Saravouth se souvient clairement de tout ce qui s’est passé jusqu’au moment où son père s’est mis à courir. Après, il a vu les palmiers devant lui s’effondrer. Il n’a pas senti la balle lui percuter la tête, mais une pression sur ses poumons, depuis l’intérieur, la langue de Shiva. La dernière chose dont il se souvient c’est d’avoir lâché la main de Dara.

La fuite dans les marais.

 Ils ont de la vase jusqu’au genou. Les moustiques se posent sur leurs fronts, près des paupières enflées, sous leur menton. Rida et Thol respirent par la bouche, fort, sûrement à cause du paludisme qui le jour est contrôlable mais la nuit grattent par l’intérieur des nerfs. Après une heure de marche, éclairés à la seule lumière d’un croissant de lune visqueux, ils sentent enfin la présence de l’eau. Derrière une ligne d’arbres abondants, les marécages débouchent sur une étendue de clarté.

Saravouth cherche ses parents.

 Quand il a l’idée de l’envoyer chez ce libraire français que Phusati aime tant, et qui est pour elle une espèce de confident, il reprend espoir, parce que c’est logique, depuis le début ses parents étaient cachés dans une librairie, à l’abri sous les ficelles des mots. Où est ce que sa mère aurait pu se cacher sinon chez Monsieur Antoine, le libraire avec son sourire gêné et ses lunettes au bout du nez ? Mais non, ils n’y sont pas. Vanak apprend à Saravouth que la librairie est fermée depuis un an. Monsieur Antoine a laissé un mot « Fermé à de la folie des hommes, les livres sont en vacances ».

Philosophie de Vanak.

– Tu es orphelin maintenant, dit Vanak en choisissant le cirage et la graisse de phoque.
-Qu’est-ce que tu racontes ? 
-Les adultes, quand ils volent, c’est parce que ce sont des voleurs. Les enfants, c’est parce que ce sont des orphelins.

Fin du livre.

 Saravouth a survécu à la guerre, mais rien en lui de ce qui était davantage que lui-même n’a survécu, sinon dix-neuf éclats d’obus. 
« Je ne suis pas mort, m’a-t-il dit un soir, mais la mort grâce à moi est vivante ».
Le cheval est entré à l’intérieur de Troie. 

Un petit trésor que cette BD, à lire avec la musique jouée par cet incroyable interprète . La vie de ce musicien hors du commun a déjà inspiré de nombreux ouvrages, le talent de Sandrine Revel nous plonge dans l’univers mental de Glenn Gould à celui qui disait :

Je tenais pour acquis que tout le monde partageait ma passion pour les ciels nuageux. J’ai eu tout un choc en apprenant que certaines personnes préféraient le soleil.

elle a répondu par ces dessins absolument magiques de nuages

Elle raconte très bien à la fois son obsession pour la pureté du son et le respect de la musique. C’est une vie triste mais aussi merveilleuse car habitée par la musique la seule chose qui pour lui avait de la valeur et était sa seule lumière. On retrouve tout ce que l’on sait de cet homme et quand on referme cette BD on pense que c’est si triste qu’il soit disparu trop tôt . Il ne s’est jamais épargné et il a tout le temps mis sa vie en danger par des peurs réelles ou imaginaires.

La BD vaut autant pour ce qu’on découvre de la vie de cet artiste si original que par le talent de la dessinatrice.

Une BD à regarder et un artiste à écouter encore et encore

Édition Pocket 

Je dois à Dominique cette lecture qui n’a pas été simple pour moi. Il faut dire que « le théorème de l’incomplétude » même expliqué par le génial Kurt Gödel, je dois m’accrocher aux branches pour seulement imaginer que j’effleure le début d’une compréhension.

Ce qui tombe bien, c’est que ces brillantissimes découvertes, nous sont expliquées par Madame Gödel, qui pour toute formation a étudié la danse de cabaret à Vienne à la belle époque. Elle, comme moi, nous avons quelques difficultés à suivre les discussions entre Kurt, Albert (Einstein), Robert (Oppenheimer), Wolgang (Pauli), et la bataille autour de la physique quantique me laisse sur le côté de la route. Adèle Gödel a sacrifié sa vie pour que son génial mari ne meure pas trop jeune d’anorexie ou de dépression gravissime. Car les mathématiques du côté des génies cela ne réussit pas à tout le monde. On ressort de ce roman avec quelques interrogations, sont-ils tous, ces médaillés Fields, géniaux en mathématiques parce que fous, ou le deviennent-ils à cause des mathématiques ? En tout cas Kurt Gödel mourra de faim dès que sa femme sera hospitalisée car elle seule arrivait à le nourrir parfois à la petite cuillère !

J’ai plus de réserves que Dominique à propos de ce roman, car je n’ai pas aimé le mélange des deux temps de la narration. Autant la vie d’Adèle et de Kurt Gödel m’a beaucoup intéressée, autant celle d’Anna Roth la documentaliste chargée de récupérer les documents de Kurt Gödel auprès de sa veuve ne m’a pas du tout passionnée. Le parallèle entre ces deux destins de femme m’a même fortement agacée . L’une a compris que son mari était un génie et a sacrifié sa vie pour lui permettre d’exprimer toute sa pensée. L’autre est coincée dans une vie trop confortable et a du mal à trouver un homme avec qui elle aimerait faire l’amour.

Mais ce n’est pas le plus important loin de là, on vit au plus près des gens qui ont à la fois souffert du nazisme et du McCarthysme, on suit l’évolution intellectuelle des ces années auprès des gens les plus brillants à Princeton et on comprend tellement les frustrations d’Adèle qui aimait Kurt pas seulement pour ces théorèmes ! Ils sont enterrés ensemble à Princeton et cette femme par amour, son courage et sa ténacité mérite bien la célébrité que Yannick Grannec lui a donné à travers ce roman. Je sais depuis qu’Aifelle a laissé un commentaire sur mon blog qu’elle avait également recommandé cette lecture même si elle trouvait quelques longueurs (je suppose que comme moi elle n’est pas trop à l’aise avec le théorème de la complétude ni avec son corollaire !) .

 

Citations

Humour

Pour moi, la religion était un souvenir de famille vouer à prendre la poussière sur la cheminée. En ce temps-là, on entendait tout au plus cette prière dans la loge des danseuses. « Marie, vous qui l’avez eu sans le faire, faites que je le fasse sans l’avoir. » On avait toutes peur de se faire refiler un locataire, moi la première. Beaucoup finissaient dans l’arrière-cuisine de la mère Dora, une vieille tricoteuse.

Une blague juive.

Un psychiatre, c’est un Juif qui aurait voulu être médecin pour faire plaisir à sa mère mais qui s’évanouit à la vue du sang.

Le couple des parents d’Anna Roth.

Georges, doctorant bien peigné, avait rencontré Rachel, dernière pousse d’un arbre généalogique cossu, à la réception des nouveaux étudiants en histoire à Princeton. La jeune fille frissonnait, il lui avait prêté son gilet. Elle avait été impressionnée par sa décapotable et son accent bostonien. Il avait admiré son corps de déesse hollywoodienne et sa détermination encore raisonnable. Il lui avait téléphoné le lendemain. Elle lui avait présenté sa famille. Ils s’étaient mariés, avaient appris à haïr leurs différences après les avoir aimées, s’étaient trahis pour le sport, puis par habitude, avant de se séparer avec fracas.

Une façon originale de juger les hommes politiques.

Je préfère croire aux hommes plutôt qu’aux idées . Reagan ne m’inspire pas confiance. Trop de dents. Trop de cheveux.

La jeunesse et les math.

L’expérience ne peut remplacer les fulgurances de la jeunesse. L’intuition mathématiques s’évanouit aussi vite que la beauté. On dit d’un mathématicien qu’il a été grand comme d’une femme qu’elle fut belle. Le temps est sans justice, Anna. Vous n’êtes plus tout jeune pour une femme, où le sourire encore moins pour une mathématicienne.

Humour d’Einstein.

Seules deux choses sont infinies, Adèle. L’univers et la stupidité de l’homme. Et encore, je ne suis pas certain de l’infinité de l’univers !

Humour.

Pourquoi le génie arrive-t-il si jeune ? Comme chez les poètes. Les portes d’accès du royaume des Idées se referment-elles avec la maturité ?
Gladys opina du chef :
– Ça doit être hormonal. Après, ils prennent du ventre et s’inquiètent uniquement du dîner.

De l’importance de la colère.

La colère vous purge. Mais qui peut la vivre à long terme ? La colère rentrée vous consume. Puis elle finit par s’échapper par petits pets fielleux qui ne font qu’empuantir un climat déjà délétère. Que faire de toute cette colère ? À défaut, certains la font rejaillir sur leur progéniture. Je n’avais pas cette malchance. Je la réservais donc aux autres : aux fonctionnaires incompétents ; aux politiciens véreux ; à l’épicière tatillonne ; à la coiffeuse intrusive ; à la météo ingrate ; à tous les empoisonneurs dont je n’avais rien à faire. J’étais devenue une mégère par mesure de sécurité. Je ne m’étais jamais mieux portée.