Éditions Dalva (266 pages, août 2025)
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Gambadou, puis Sylire et Claudia Lucia ont déjà parlé de ce livre , il était donc dans ma liste, et grâce à mon club je vais pouvoir le retirer. Je suis plus partagée que l’ensemble des avis que j’ai pu lire. J’ai beaucoup aimé ce que l’on sent de détresse chez ces femmes qui pour un peu d’argent vont devenir nourrices. Plusieurs solutions s’offrent à elles, soit elles vont à la ville et le bébé de la famille a une nourrice pas trop loin de ses parents, mais le bébé de la nourrice, grâce à qui ce bébé de famille aisée pourra bénéficier d’un allaitement adapté à sa santé, restera au village et il vivra sans sa mère à ses côtés. Ou la famille de la ville viendra confier le bébé à la nourrice et celui-ci vivra ses trois premières années loin des siens. La description de la façon dont les nourrices sont traitées à l’arrivée de la ville s’apparente plus à un marché de vaches que d’un accueil pour des femmes qui viennent pour être nourrices. C’est vraiment insupportable, mais le pire c’est le sort des enfants abandonnés là on est totalement dans l’horreur !
Dans ce roman, le « marché » est au mains d’un homme malhonnête et qui ne cherche qu’à se faire de l’argent sur le dos de femmes sans défense et qui se fiche complètement du sort des bébés.
Alors pourquoi des réserves ? cela vient de ce qui pour beaucoup fait le charme de ce livre, la façon dont l’écrivaine raconte cette histoire, sa langue est superbe (encore un bon point pour elle) mais elle refuse de situer son roman dans un cadre précis et tous ses personnages sont plutôt des symboles de la bonne nourrice aimante pour Sylvaine, de l’horreur du profiteur pour « la chicane » qui recrute les nourrices, la vieille femme la sage du village qui est l’humanité personnifiée, les pauvres filles engrossées par des fermiers violents. Ce qui m’a le plus gênée c’est le mélange des forces de la nature, un peu à la manière des Dieux antiques qui jouent avec les hommes en leur envoyant tempêtes et orages ! Heureusement ce n’est pas seulement la lune qui offrira à Sylvaine le bébé qui remplacera celui que la dame de la ville lui avait confié et qui est mort. C’est là que se situe le drame de cette histoire , mais des drames il y en a d’autres. Entre fantaisie et réalisme, mon côté rationnel préfère que les histoires surtout difficiles sachent s’ancrer dans le réel.
Extraits
Début.
C’est nuit de lune pleine.Roux, colossal, aussi rond qu’un ventre sur le point d’enfanter, l’astre flotte bas dans le ciel couleur d’ardoise. Une brume épaisse recouvre la plaine comme un châle, se masse dans les replis du relief, s’effiloche à l’orée de la forêt. Dans le creux de la vallée, ce niche le village endormi, masqué par le voile blanchâtre, nébuleux. Seule la ramure imposante d’un chêne centenaire émerge du brouillard, île de verdure entourée par la ronde des toits qui se serrent.
Recrutement des nourrices.
Un médecin, chargé de déterminer l’heure aptitude à nourrir un nouveau-né les y attends. Il leur ordonne de s’aligner dos au mur et d’ôter leur corsage. Torse dénudé et bas du corps dissimulé sous des jupes bouffantes, les femmes ressemblent à des clowns grotesques. Elles patientent dans la gêne, la poitrine offerte aux regards et au froid. Sylvaine frémit à la vue de ces chairs étalées. Les seins au large aréoles brunes sont irriguées par des veines saillantes qui dessinent une cartographie étrange, un labyrinthe complexe, dédale de rivières et de rigoles charriant le sang bleu et mauve.Le médecin prend son temps, organise des papiers sur son bureau, ajuste ses lunettes, retrousse ses manches, s’approche de Mahaut placée en bout de rangée. Sylvaine a le sentiment d’avoir atterri par erreur dans un marché aux bestiaux. Elle repense à la fête du printemps où se rassemblent tous les ans les éleveurs de vaches, de chèvres, de mouton et elle croit être devenue l’un de ses animaux, dont la bonne santé et la corpulence vont être évaluées.
Pour donner une idée du style.
Sylvaine ressent un plaisir nouveau, inédit à être sucée avec force, mordillée par les puissantes gencives. Il ne s’agit plus seulement d’être soulagée du trop plein de lait. Un nerf souterrain, fil d’argent invisible, relié son mamelon à son bas-ventre qui se contracté agréablement sous l’effet de la succion. Sylvaine plonge dans ces sensations nouvelles, sans gêne ni honte. Repus et satisfaits la mère et l’enfant s’endorment enlacés
Les enfants abandonnés.
Une femme habillée de blanc ouvre la porte et fait entrer la vieille servante dans le hall. Des cris de nourrissons saturent l’air de leurs vibrations perçantes. L’odeur viciée prend Lucienne à la gorge. La mine dégoûtée, elle se détourne d’une salle dont la porte est entrebâillée. L’employée se justifie :« Les nouveaux-nés sont installés ici. Ça évite de monter les étages. Il y a beaucoup de passage entre ceux qui arrivent, ceux qui partent et ceux qu’on doit évacuer. «Les deux femmes reculent pour laisser passer un homme qui sort de la pièce en poussant une brouette. À l’intérieur se trouve un minuscule cadavre enveloppé dans un linceul.« Beaucoup ne passent pas l’hiver. Les plus faibles sont emportés en un rien de temps. »


Il vient d’arriver à la bibliothèque du village, je pense le lire… je note cependant tes bémols.