Édition Albin Michel, 301 pages, mai 2015.

Traduit de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Voici donc le premier livre de mon club de lecture 2024/2025. le thème de ce mois Irlande. J’espère que les prochains seront moins tristes !

Ce roman raconte le retour vers son Irlande natale de Barnabas Kane , aux États-Unis, il a réussi grâce à son courage physique et son intelligence à amasser suffisamment d’argent pour acheter une ferme et un troupeau de vaches. Avec sa femme Eskra, et leur fils Billy, ils sont parvenus à une certaine aisance et pensent être à l’abri des soucis. Le roman se passe en 1944.
Le premier chapitre décrit l’incendie qui ravage leur étable alors que le troupeau de vaches étaient à l’intérieur et leur ouvrier, un paysan du coin, y a laissé la vie en essayant de libérer les animaux. Cette catastrophe va entraîner toutes les autres et, surtout, révèle à quel point l’ensemble du village vivait très mal leur réussite . On retrouve ici la dureté du monde paysan, tous leurs voisins les observaient d’un regard jaloux, car même si Barnabas est d’origine irlandaise pour eux c’est un usurpateur et ils se réjouissent de son malheur.

Et cela va continuer, sa femme aurait voulu repartir avec leur fils, mais hélas pour eux Barnabas s’entête à remonter la pente, alors les malheurs continuent, leur chien est tué , les ruches de sa femme vont être détruites, et elle finira par partir, le laissant seul avec son fils qui se suicidera …

Le romancier utilise les trois voix, Barnabas le lutteur qui ne renonce jamais, et qui se fait repousser par tous ses voisins dès qu’il vient leur demander de l’aide, Eskra cette femme qui a tant aimé son mari et qui est impuissante à le faire renoncer à cette lutte, elle comprend immédiatement que cela les amènera à leur perte, et enfin Bill qui écrit sur un cahier toutes les difficultés qu’il rencontre auprès des enfants du village qui le rejettent violemment, malheureusement pour lui, il se liera avec Le Cogneur un jeune un peu retardé et qui sera à l’origine des malheurs de la famille. Et si Bill ne dit pas tout ce qu’il sait c’est qu’il a eu une conduite peu honorable avec une toute jeune fille du village.

Trop c’est trop, même si le style de cet auteur est parfait et décrit très bien l’atmosphère anxiogène de ce village, l’accumulation de tous les malheurs de cette famille m’a lassée. Je vois qu’Athalie est sur la même longueur que moi, et Katell souligne aussi la noirceur de ce roman que je ne vous le conseille pas surtout si vous n’avez pas le moral ou que vous supportez mal le climat ou les malheurs du monde !

Extraits

Début.

Lorsque Matthew Peoples remarque quelque chose, le soir approche déjà. Sa silhouette massive campée au milieu du champ, un simple tricot de corps gris sale sur le dos, une torsion du bras pour se gratter le creux de l’épaule. 

L’incendie.

Abolies les odeurs de l’étable, aussi bien que si elles n’avaient jamais existé. Tour le registre de ses senteurs – herbe, fumier, fourrage- entremêlées pour composer un arôme unique. Les notes plus lourdes du foin. Les relents humides d’une vieille bâtisse. Ne restent plus que l’âcre puanteur des choses consumées et l’air saturé de fumée, qui a l’inconstance d’un rêve. Mais rien n’est plus terrible pour ces deux hommes que le tumulte affolé du bétail. Les vaches prisonnières de leurs stalles, rivalisant de cris pour réclamer leur délivrance.

Les voisins .

Dans le coin personne ne viendra t’aider. Ils ne l’ont jamais fait à moins d’être payés.
Et tu crois que tu me suis fait des illusions, Eskra ? Que je les voyais déjà former un long cortège solidaire avec leurs charrettes, me fournir main-d’œuvre et matériaux et travailler à ma place ? Nous offrir des bêtes pour démarrer notre affaire ? Comme dans les films ? les gens d’ici sont habités par la crainte de Dieu, mais ils n’ont de chrétiens que le nom. Ils ne considèrent que leurs intérêts personnels.


Édition Stock, le Cosmopolite, 378 pages, janvier 2024.

Traduit de l’anglais par Mathilde Bach

 

Voici un livre que j’ai commencé plusieurs fois, et laissé tomber plusieurs fois aussi. Il faut dire que je l’ai lu pendant l’été et que l’ambiance joyeuse des jeux de plage des enfants ne correspondait en rien à l’atmosphère de ce roman. Claire Fuller nous plonge dans une Angleterre que je ne connaissais pas : la pauvreté extrême en milieu rural britannique.

Julius et Jeanie ont plus de cinquante ans, ils vivent dans un cottage avec leur mère Dot. Le récit commence par la mort de crise cardiaque de Dot. Et avec sa mort, le fragile équilibre que Dot avait construit autour d’elle et cette maison s’effondre.

Tout le roman suit alors les raisonnements de Jeanie et parfois de Julius pour faire face à cette disparition et aux énormes difficultés financières dans lesquelles ils sont immédiatement plongés. Ils n’ont pas assez d’argent pour enterrer leur mère, leur solution est pour le moins étrange : ils l’enterreront dans le jardin ! Cela ne peur pose pas tant de problèmes que cela ! en revanche les rapports de leur mère avec le propriétaire du cottage , un certain Spencer Rawson les amènent à prendre des décisions qui vont tourner au désastre pour Julius. Peu à peu, la personnalité de Dot’ par qui tous leurs malheurs sont arrivés, va se découvrir et la vérité qu’elle a si soigneusement cachée à ses enfants va nous permettre de comprendre le pourquoi de leurs difficultés de vie. Je l’ai trouvée terrible cette mère et d’un égoïsme incroyable et elle a fait le malheur de Jeanie à qui elle a interdit tout parcours scolaire simplement pour la garder auprès d’elle !

« Terre Fragile » est une description émouvante d’un milieu social qui apparaît peu dans la littérature contemporaine, on a l’habitude des dérives violentes dans le milieu urbain, mais on oublie souvent que l’isolement du monde rural peut donner lieu à des tragédies silencieuses tout aussi terribles.

J’ai des réserves par rapport à cette lecture, mais elles sont l’expression de ma difficulté à me plonger dans cette narration, je m’ennuyais ferme avec Jeanie, je me doutais dès le départ qu’elle ne pouvait pas prendre les bonnes décisions et son cerveau embrumé ne m’aidait pas à m’attacher à elle.

 

Extraits

Début comme tant de romans celui-ci débute par des considérations météorologiques.

 Le ciel du matin se dégage la neige tombe sur le cottage. Elle tombe sur le chaume, recouvre la mousse et les trous de souris, lisse les ondulations, comble les creux et les fissures, fond en se posant sur les briques de la cheminée. Elle se dépose sur les plantes et la terre nue du jardin de façade, dessine un monticule parfait comme moulé sous une tasse au-dessus du portail moisi. Elle dissimule le toit du poulailler, ainsi que ceux des cabinets et de l’ancienne laiterie, laisse une fine couche sur l’établi et le sol, à l’aplomb d’une fenêtre dont la vitre est brisée depuis longtemps.

La mort de Dot et le mensonge.

 Dans un dernier éclair de lucidité, le cerveau de Dot s’inquiète : le fracas de la poêle et de la brosse métalliques risque d’avoir perturbé les battements réguliers du cœur de sa fille, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que c’est bien là le plus gros mensonge de tous. Le tisonnier, tombé lui aussi, roule sous la table, oscille une fois, deux fois, puis s’immobilise.

La pauvreté extrême.

 À mesure qu’elle s’affaire, elle ne cesse de se demander pourquoi Dot ne leur avait pas dit qu’elle était malade. Elle était têtue et fière, c’est vrai. Elle leur avait appris à ne jamais accepter de cadeau de quiconque parce que d’un jour à l’autre ils -en particulier si ce « ils » était le gouvernement- pouvait revenir frapper à la porte et réclamer qu’on le leur rende avec des intérêts. Jeanie n’est pas étonnée que sa mère ne soit pas allée chercher ses médicaments gratuits, elle n’est pas non plus choquée outre mesure qu’il y ait si peu d’argent dans la boîte, mais elle ne peut s’empêcher de calculer les dépenses encore et encore dans sa tête : l’enterrement ou la crémation, un cercueil, les croque-morts, le corbillard, les fleurs. Qu’est-on censé faire quand on ne peut pas se permettre toutes ses chose -enterrer sa mère dans le jardin ?

 


Édition Grasset, 594 pages, janvier 2022.

Traduit de l’islandais par Eric Boury

 

Ma sœur aime beaucoup les atmosphères des pays du grand nord, et en me prêtant ce livre, elle m’a confié qu’elle avait aimé passer du temps avec tous les habitants des Fjords de l’Ouest en Islande. J’ai partagé ce plaisir même s’il faut vraiment prendre son temps pour aimer et comprendre tous les aspects du roman et se retrouver dans toutes les histoires de chaque personnage. C’est un gros pavé et on peut se perdre dans la construction romanesque, d’ailleurs le narrateur dit lui même qu’il ne sait pas trop où il va. Le Narrateur est un homme qui a perdu la mémoire et qui est le scribe de tous les témoignages des gens qui vont se réunir pour une fête où tout le monde est convié.

Pour une fois je suis allée voir sur Babelio les avis des lecteurs, et je n’ai pas été surprise de voir que certains (peu nombreux) avaient détesté ce roman, en particulier tous ceux qui s’attendaient à ce que le personnage retrouve la mémoire. J’ai lu, aussi une critique injuste, à mon avis, un lecteur a vu dans ce livre des leçons de vie un peu à la manière de Paolo Coelho, qui a tant plu aux lecteurs il y a une dizaine d’années (ou plus !) , je ne suis pas du tout d’accord : il n’y a aucun message dans ce roman. Et certains avis sont très enthousiaste, un peu comme moi.

On peut se perdre dans le nombre de personnages qui sont évoqués et toutes les histoires d’amour qui sont racontées. Et puis, ce narrateur qui se confie à un pasteur chauffeur de car, qui est-il vraiment ? Comme l’auteur rassemble les vivants et les morts, je me suis souvent demandé où il se situait . L’auteur qui s’appelle Jon comme l’enfant d’un amour adultérin entre le pasteur et une femme mariée Gudridur qui a dû partir au Canada pour résister à cet amour qui aurait détruit son couple, est-il lui aussi le résultat de toutes ses histoires. En tout cas ce qui est certain, c’est qu’il est le passeur entre nous et la civilisation islandaise. Il nous confie aussi ses doutes sur ses efforts de mémoire et en discutant avec « le pasteur » ou le « diable », il en arrive même à changer le sens de son récit et à faire revivre un personnage qu’il avait tué quelques pages auparavant. À la fin du roman de presque 600 pages, j’ai souri quand le Narrateur dit qu’il ne nous a pas encore tout raconté – l’auteur pouvait donc rajouter quelques centaines de pages !-, car il est vrai que nous ne savons pas ce qu’il devient de la mère d’Eirikur, ni si celui-ci fera de la prison pour avoir tiré sur des camions. C’est étrange cette façon que l’auteur a de réfléchir sur la création même de son roman.
La vie dans ce pays est très rude, la subsistance des hommes est due à l’élevage des moutons et pour certains à la pêche. Pendant six mois, le pays est dans l’obscurité, le froid et la pluie ou la neige, pendant l’été les jours sont longs mais il faut sans cesse travailler auprès des brebis et des agneaux. L’alcool permet souvent de supporter cette vie sans lumière , mais on connaît aussi les ravages de l’alcool. La communauté du Fjord ne s’arrête pas aux vivants, chacun porte en lui la lignée des morts qui a rendu sa vie possible

Ce roman est aussi un roman d’amour, des amours très forts et décrits avec un réalisme qui m’a étonnée. De ces amours vont naître des enfants adultérins dont le destin sera compliqué, évidemment. Et puis deux personnages importants Halldor et son fils Eirikur sont des musiciens l’auteur parsème son récit de grands classiques de la chanson surtout américaine et anglaise mais pas que . C’est étonnant aussi de voir des événements hors de leur frontière prendre de l’importance dans cette région reculée : la condamnation de Zola, par exemple. En revanche aucune allusion aux guerres du XX° siècle. Le récit n’est jamais linéaire, on commence avec un personnage, on le laisse puis on revient vers lui, il faut vraiment accepter de se promener au gré de la mémoire défaillante du narrateur . Certaines histoires sont étonnantes, comme celle de Gudrigur qui a écrit un article remarquable sur … le vers de terre ! La première histoire d’amour entre Haraldur et Aldis la jeune fille de la ville (Reykjavik), est superbe et en même temps un peu comme à l’image de toutes les histoires d’amour de ce roman, le coup de foudre du premier regard me laisse toujours un peu septique, mais je ne suis pas Islandaise ! Il y a aussi un récit d’amour homosexuel mais si tragique, le monde rural, quel que soit le pays, bien du mal à accepter ces amours là.

On sent dans tout le roman que tous les personnages ont soif d’apprendre et de lire. Aujourd’hui tous les Islandais doivent pouvoir satisfaire ce besoin.

J’ai aimé me perdre dans tous les méandres de ces histoires, même si je me suis souvent égarée : je ne savais plus avec qui j’étais, et puis je retrouvais les personnages que je connaissais un peu. Un livre à lire si vous avez du temps et de la patience. S’il n’a pas 5 coquillages, c’est que certains aspects ne m’ont pas convaincue : les histoires d’amour au premier regard, et surtout les allées et retour avec des personnages, on peut s’y perdre vraiment.

 

Extraits

Début.

Titre du chapitre : IL SE TROUVE TOUJOURS UNE CONSOLATION
C’est sans doute un rêve :
Je suis assis au premier dans une église de campagne, il fait froid : une profonde quiétude règne à l’extérieur, à peine troublée par les bêlements des moutons et les cris lointains des sternes, les vitre du bâtiment encadrent le bleu du ciel, la mer, une bande d’herbe verte et une montagne presque nue.

Le récit est ponctué de chansons :

Je roule lentement heureux d’entendre The Train Song de Nick Cave qui a pris le relais de Damien Rice sur l’autoradio. Nickel Cave est né en Australie en 1957, il entame donc la seconde partie de sa vie, parce que toute chose vieillir et que, pour finir, tous ceux qui sont aujourd’hui de ce monde sont condamnés à disparaître. Y compris les enfant. La mort est l’impeccable immobile, pourtant elle ne s’arrête jamais lit-on quelque part. Elle balaie des humains, les arbres, les empires, les présidents, les montagnes et les aveux les plus incandescents. Elle ne s’arrête jamais sauf peut-être l’espace de quelques chansons et de quelques poèmes :
Tell me how long’s thé train bien gone ? (…) And was she there ?
 Difficile de faire plus simple comme texte quelques apostrophes répétées à l’infini.
Dites-moi depuis combien de temps le train est-il parti ? Et ce qu’elle était là -est-ce qu’elle était à bord ?

Une autre chanson :

Son tee-shirt est noir est à l’effigie d’Édith Piaf, chanteuse de la douleur, née au pied d’un réverbère au début du siècle dernier, qui vomissait du sang sur scène, pas plus grande qu’une bouteille de vin rouge, mais dotée d’une voix plus vaste que la mort laquelle venait d’ajouter à l’instant le morceau  » Non je ne regrette rien » à sa compilation. La chanteuse regardait droit devant elle, l’air habité comme si elle venait d’entonner :  » Avec mes souvenirs, j’ai allumé le feu, mes chagrins, mes plaisirs, balayé mes amours, ni le bien, ni le mal, car ma vie, aujourd’hui ça commence -avec toi !
 Non ! je ne regrette rien, je ne regrette rien …

Le personnage principal, narrateur.

 J’ai l’impression d’avoir oublié tout ce qui se rapporte à ma personne, j’ignore quelle profession j’exerce, je ne sais rien de mes aptitudes, je ne sais pas s’il y a quelqu’un qui m’aime, je ne sais pas si j’ai des enfants – comment oublier tout ça ? Mes souvenirs ont disparu sans laisser de traces, il ne reste que cette douloureuse nostalgie. J’ai l’impression… qu’on avait effacé mon identité et que quelqu’un a comblé le vide ainsi laissé avec le monde, son histoire, ses agacements, sa nostalgie, son désir d’équilibre … une question se pose dans quel but ?

J’aime ce genre de description sans savoir expliquer pourquoi, les chiens d’Eirikur.

 Les chiens d’Eirikur apprécient plus que tout d’être assis dans la jeep aux côtés de celui qu’ils aiment et qui a leur confiance, c’est une expérience fascinante de se tenir immobile tandis que le paysage qui jamais ne bouge et qui est la chose la plus statique de toutes, défile sous vos yeux à grande vitesse. C’est là un prodige dont ils ne se lassent pas.

L’amour et le couple.

Mais cela n’expliquait pas pourquoi l’amour qu’il portait à son épouse avec commencé à faiblir en lui.. à faiblir si lentement que, pendant longtemps, il ne s’en était pas rendu compte, qu’il n’en avait rien soupçonné. Et quand enfin, il en avait pris conscience, il avait d’abord cru que c’était de la simple lassitude, peut-être parce que la vie à Copenhague lui manquait tout comme les opportunités qu’offrait la grande ville, peut-être que la monotonie de la campagne lui pesait ou peut-être qu’il vieillissait et se désolait de n’avoir pas encore réussi à accomplir ses rêves de jeunesse.

Dureté de la vie.

 Il suffit que le printemps soit tardif et capricieux, que gèle l’herbe neuve et fragile, pour qu’ils soient forcés de nourrir le troupeau de foin y compris pendant l’agnelage et que leur subsistance ne tienne qu’à un fil. Et là, on compte jusqu’au moindre brin de fourrage. Et leur nombre dépend entièrement impitoyablement, du travail acharné qu’on a fourni l’été précédent, sans jamais se perdre dans ses rêveries, quitte à se priver de sommeil et à tout délaisser en dehors de sa tâche elle-même. Il n’y a alors pas de place pour la lecture. Pas de place pour réfléchir à ce qui se trouve loin d’ici. Parce que si le printemps est tardif et capricieux, on a besoin de foin bien plus que de pensées profondes.

L’ailleurs.

Elle savait que Björg serait tellement contente et impatiente qu’elle risquait d’en perdre le sommeil. Mais elle savait aussi que si sa fille acceptait, elle la perdrait. Parce que celui qui quitte une ferme pauvre et isolée a deux pas de la lande pour faire des études, n’y revient jamais sauf en tant qu’invité.

Le message du miroir.

 Elle se revoit devant ce miroir avec son père, elle presque nue, et Eirikur tout habillé, souriant le nez fin, les cheveux bruns et épais, le regard bouillonnant et chaleureux, qui l’encourageait à s’admirer, à explorer son corps, parce que le corps humain était une merveille, à la fois simple et complexe, et parce qu’il nous a été donné pour nous rappeler que nous ne sommes pas des dieux. Nous rappeler que nous supportons mal le passage du temps et que nous avons donc le devoir d’en faire bon usage.

La mort d’être cher.

 Tu sais jeune homme reprend Elias en balayant le fjord du regard, on ne voit aucune trace de vie sur Terre depuis la Lune, quant à la plupart d’entre nous, nous sommes des phénomènes tellement éphémères par rapport à l’histoire géologique que dans une centaine d’années, plus personne ne se souviendra de nous et que toutes nos traces auront disparu. Malgré ça, l’existences est parfois difficile, extrêmement difficile. Tu sais à quel point il me manque ?

Édition J’ai lu 381 pages, 2018, première édition 2015.

 

C’est ce qu’il y a de plus universel ça, l’envie de parler, dès lors qu’on se propose sincèrement d’écouter l’autre, alors on tient le monde.

 

Voilà enfin un roman que je peux enlever de mes listes et cette lecture va aussi réduire ma pile. J’avais bien aimé « l’idole » et j’ai retrouvé avec plaisir le style de cet écrivain, cette façon de ne pas se prendre au sérieux, tout en nous décrivant un phénomène de société qui nous concernent nous particulièrement : les lectrices qui cherchent à rencontrer nos écrivains préférés dans des salons ou autres manifestations littéraires.

Car c’est de cela qu’il s’agit un écrivain est invité par des libraires dynamiques dans une petite ville dans le Morvan, pour animer une résidence littéraire pendant un mois. Il doit se rendre dans de nombreuses communes et répondre à des questions de lectrices passionnées sur son oeuvre et animer des ateliers d’écriture. Notre écrivain a ceci de particulier : il est toujours au mauvais endroit au mauvais moment, il aura bien du mal à ne pas se mettre à dos l’ensemble de la population. Le maire qui l’a fait venir pour s’assurer une nouvelle élection, les défenseurs de l’implantation de la grande scierie ont peur qu’ils soient du côté des écolos, les gendarmes qui épluchent sa vie lui voient un profil d’agitateur politico-écolo. Bref, un panier de crabes comme on n’en connaît parfois dans les petites villes et avec ça un vieil homme original qui a disparu. Il y a aussi Dora, une jeune femme superbe qui entraîne l’auteur dans des combines pas très nettes mais qui a un corps splendide.
Voilà le cadre, et dans tout cela l’écrivain raconte aussi sa façon d’écrire et cela donne au lecteur un peu l’impression de mise en abime, est ce l’écrivain qui raconte la fiction ou la fiction qui crée le processus d’écriture ?

J’ai bien aimé ce roman pour les trois quart, il se trouve que je l’ai perdu pendant deux jours puis retrouvé et la fin m’a semblé top longue et sans grand intérêt. Cela vient sans doute de la coupure entre les deux moments de lecture. Il reste que, tout ce qu’il dit sur la création romanesque et le pouvoir des livres m’a beaucoup intéressée

Extraits

 

Début.

 Ce séjour promettait d’être calme. C’était même l’idée de départ, prendre du recul, faire un pas de côté hors du quotidien. En acceptant l’invitation je ne courais aucun risque, la sinécure s’annonçait même idéale, un mois dans une région forestière et reculée, un mois dans une ville perdue avec juste ce qu’il faut de monde pour ne pas craindre d’être seul, tout en étant royalement retiré, ça semblait rêvé.

La chambre d’hôtel.

 À l’intérieur régnait le calme douillet d’une chambre sans âme mais, augmentée de mon bazar précoce, je me sentais chez moi. Je me sens toujours pleinement à l’aise dans une chambre d’hôtel. La chambre d’hôtel, c’est la sphère idéale, dégagée de toute histoire, de toute contrainte, de tout passé. La chambre d’hôtel, c’est le territoire parfait pour croire de nouveau en soi, avoir l’impression d’être neuf, réinventé.

Les fait divers.

 Au-delà de l’indéniable voyeurisme, le fait divers distrait de l’actualité conventionnelle, on y éprouve les affres d’un bien intime spectacle auquel on se sent soulagé de ne pas participer. Il y a une vertu expiatoire à plonger dans ces paragraphes incandescents, ces chroniques terribles qui entraînent vers une toute autre histoire que la sienne et la rend chanceuse par comparaison.

Numéro de portable .

Chaque fois que je découvre le numéro de portable de quelqu’un, j’ai toujours un regard esthétique sur cette séquence de chiffres, lui trouvant parfois une harmonie évidente, une élégance dans la combinaison ou, au contraire, une complexité antipathique, comme s’il y avait un message possible derrière chacun de nos numéros, un sens caché, comme s’il s’agissait d’un code qui révélait quelque chose de son propriétaire. Le numéro de Dora n’était fait que de chiffres pairs, et de quatre zéros, quatre zéros et des chiffres pairs ça lui donnait une rondeur sensuelle, une consonance inoffensive.

L’amour.

 Tomber amoureux, c’est voir l’autre comme un mystère dont on ne supporte pas d’être exclu, c’est redouter de ne pas l’atteindre, ne plus penser qu’à une chose : le revoir, le côtoyer. Plus je me disais que cette fille était un danger et plus elle en devenait désirable.

 

 

 


Édition Gallimard janvier 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Voici un livre vite lu et vite oublié. Est-ce une très critique très grave ? Non pas tant que ça, car le temps que l’on passe avec Marion Fayolle est agréable. Elle raconte bien d’où sa narratrice est originaire. D’une ferme en montagne, où des générations de paysans se sont succédées en soignant avec amour leur bêtes.

On sent aussi que l’autrice veut raconter cela sans s’impliquer, l’enfant s’appelle « la gamine » et c’est un personnage comme « la ferme » , « la mémé » , « les buissons », « les bêtes » …

On feuillette un livre d’images avec des personnages qui passent dans un beau décor.

Difficile d’en dire plus, sauf que ce monde n’existe plus et qu’il valait bien sans doute ce témoignage.

Extraits

Début .

La bâtisse est tout en longueur, une habitation d’un côté, une de l’autre, et au milieu une étable. Le côté gauche pour les jeunes, ceux qui reprennent la ferme, le droit pour les vieux. On travaille, on s’épuise, et un jour on glisse vers l’autre bout.

La gamine qui ne mange pas.

 On n’a jamais vu une gamine comme ça, qui ne veut rien avaler, à qui aucun plat ne fait plaisir, même ceux avec des patates, avec du fromage fondu, avec du sucre. Pour la mémé, manger c’est qu’il y a de plus important ; cuisiner c’est une preuve d’amour. Alors ça la désole de voir la gamine rester des heures devant son assiette, à tout trier, à tailler les bords de sa viande parce qu’elle le trouve trop durs, à retirer chaque minuscule nerf. Une bonne viande comme ça, des bêtes de la ferme, qui ont grandi là, qui ont tout un paysage à brouter, une vie de travail.

La jeunesse .

Au lycée, les jeunes apprennent l’anglais et l’espagnol. C’est pas facile d’ailleurs, avec des gènes qui n’ont jamais quitté le village, de réussir à prononcer les sons d’un autre pays. Ils ont envie de partir, de débrider leur mobylette, de connaître ce qui existe derrière les montagnes, après les vallées, de l’autre côté des frontières. Ils ont eu un paysage entier pour grandir mais ça ne leur suffit pas. Au delà de la ligne d’horizon, ils sont convaincus que c’est mieux. Ils n’auront pas de bêtes. Les bêtes, ils le savent ça emprisonnent. Regardez les parents, ils ne peuvent pas bouger, il faut qu’ils soient là chaque matin, chaque soir, pour nourrir les vaches, les poules, les chiens et les chats. Même les week-ends.


Édition Robert Laffont, 361 pages, février 2024.

 

J’ai failli arrêter la lecture de ce roman au premier chapitre, j’ai eu beaucoup de mal à croire au coup de foudre qui y est décrit : une jeune fille de 17 ans, croise sur un trottoir de son village, un jeune homme très sale mais son sourire lui soulève le coeur. Et paf ! elle est amoureuse et lui aussi et cela pour toute la vie. Evidemment la famille de la jeune Victoria est très dysfonctionnelle, sa mère sa tante et son cousin son morts dans un accident de voiture. Son père est muré dans un silence douloureux, son oncle revenu blessé de la guerre est complètement aigri et se déplace dans un fauteuil roulant , son frère Seth est la méchanceté incarnée. Son grand amour s’avère être un Indien, dont elle aura un enfant. Et lui sera assassiné par le frère de son amante et un ami de celui-ci .
Dans la deuxième partie, on voit cette jeune Victoria accoucher seule dans la montagne et confier son bébé à une jeune femme qui est en train de pique niquer dans une clairière avec son mari et son propre bébé. Ensuite on suivra Victoria d’abord dans son retour dans son village qui doit être inondé par un barrage hydraulique, elle acceptera l’argent du gouvernement pour déménager et reconstruire une ferme dans une autre vallée. Elle sera aidée pour déménager ses merveilleux pêchers par un ingénieur agronome. La vie reprend donc des couleurs pour elle, il lui restera à retrouver son fils. Mais non, je ne vous dévoilerait pas la fin.

L’histoire s’étale de 1948 à 1971, et permet à l’auteur d’évoquer les différentes tragédies ou seulement différentes façon de voir le monde qui ont traversé les USA pendant cette longue période : le retour des hommes blessés pendant la deuxième guerre mondiale, le racisme contre les indiens, la protection de la nature, la guerre du Vietnam , le poids de la religion, la place des femmes …

À aucun moment, je n’ai pu croire croire à « l’héroïne inoubliable » que me promettait le « Sunday Express », pas plus qu’à son abruti de frère Seth qui est le diable incarné. Il y a tant de rebondissements (souvent très invraisemblables) dans ce récit que cela peut peut-être plaire à un certain public, je n’en sais rien. L’évocation de notre « mère  » nature est tellement américaine ! Bref une énorme déception pour un livre que je vais très vite oublier.

À ne lire que si vous voulez bien que je divulgâche ce roman

Lorsque Victoria a accouché seule dans sa cabane dans la forêt, elle réussit à réanimer son bébé puis part et se retrouve dans une clairière où un couple pique nique et la femme donne le sein à un bébé. Elle dépose son nouveau né sur la banquette arrière de la voiture. Cette femme avait elle même accouché, à l’hôpital deux jours avant dans des conditions terribles et n’aura pas d’autres enfants, or son mari voulait avoir deux fils.. Attendez, ! ce n’est pas fini, par le plus grand des hasards le couple n’avait pas encore déclaré la naissance, ils vont donc déclarer la naissance de jumeaux…

 

Extraits

Début .

 Le garçon ne payait pas de mine.
Du moins à première vue
 » Excusez-moi, dit-il, portant des doigts sales à la visière d’une vieille casquette rouge. C’est par là la pension ? »
Aussi simple que ça. Une question banale posée par un inconnu crasseux remontant la Grand-Rue, juste au moment où j’arrivais au croisement avec la rue North Laura.

Le coup de foudre.

 En quittant la ferme ce matin-là, j’étais une fille ordinaire un jour ordinaire. Si je n’étais pas encore capables d’identifier quelle nouvelle carte s’était dépliée en moi, je savais que je n’étais plus la même en rentrant à la maison. Je ressentais ce que devaient ressentir les explorateurs dont on nous parlait à l’école, lorsqu’ils apercevaient un rivage lointain et mystérieux dans une mer qu’il croyait sans fin. Devenu le Magellan de mon voyage intérieur, je m’interrogeais sur ce que je découvrais. La tête posée sur la large épaule de Will, je me demandais d’où il venait, qui il avait quitté, et s’il arrivait à un vagabond de rester longtemps au même endroit. 

Les femmes.

 Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de toute temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.

L’amour…

 Une fille de dix sept ans peut être idiote, surtout si elle ignore tout du pouvoir extraordinaire de l’amour jusqu’à ce qu’il la submerge telle une crue soudaine. Mais mon intuition selon laquelle Will était proche et ma certitude de le trouver en train de m’attendre dans la propriété voisine où Ruby-Alice recueillait ses étranges créatures étaient parfaitement fondées.

Fin de son amoureux pas de son amour .

 Et pourtant… Je connaissais la vérité : le monde était trop cruel pour protéger un garçon innocent ou pour évaluer ce que l’on ait ou non capable d’endurer ; Will avait trouvé la mort au fond de Black Canyon parce qu’il était resté pour m’aimer. 

La survie dans la nature .

 Je scrutai la forêt où vie et mort se superposaient dans l’immobilité froide et la pénombre, et où seuls les chants d’oiseaux rompaient le silence. Des arbres abattus gisaient entre les rochers au milieu des branches tombées et de pommes de pins. Des troncs bruns et massifs se dressaient vers la voûte de feuillages. Des dizaines de jeunes tiges luttaient pour exister, certaines à peine assez hautes pour pointer leur tête hérissée au dessus du charme et de la neige, d’autres émergeant au centre de bûches en décompositions comme des bébés sortie de ventres ouverts. Il y avait de la beauté dans ce chaos. Chaque élément avec son rôle a jouer dans le cycle éternel de la vie. Je me sentais toute petite et inutile, mais pas complètement malvenue.

 


Édition Actes Sud

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une lecture qui m’a embarquée dans la nature, dans les Pyrénées françaises, à la suite de l’animal détesté par les éleveurs et protégé par les écologistes : l’ours . Je suis d’habitude peu intéréssée par ce genre de lecture, et pourtant j’ai lu avec passion ce roman. Cette écrivaine a un vrai talent pour nous faire vivre les émotions des différents protagonistes de cette histoire. Avec Jules, le montreur d’ours de la fin du XIX°, j’ai eu une peur terrible quand il s’est introduit dans la tanière de l’ourse pour lui voler un petit ourson. J’ai sué sang et eau, avec Gaspard, le berger qui garde les brebis l’été dans les estives, à la recherche des bêtes effrayées par l’ourse, et j’ai aimé la façon dont Alma, la chercheuse en éthologie, pose toutes les questions à propos de la réintégration du plantigrade dans la montagne pyrénéenne.

Vous l’avez compris, il y a trois voix dans ce roman, et ce qui les unit c’est leur attitude vis à vis de l’ours. On comprend à quel point le sort de l’animal, quand on avait le droit de les maltraiter pour leur faire faire des tours qui amusaient les hommes, était une pure horreur. Le berger voit son travail très compliqué par ce prédateur qui se joue si bien des hommes. Pourtant, lui aussi, pense qu’il faudrait trouver un moyen de faire cohabiter les paisibles ovins avec l’animal qui aime tant se nourrir de leur viande. Enfin toutes les questions que se posent Alma sont bien celles que nous nous devrions nous poser. C’est grâce à elle que j’ai découvert la complexité des problèmes pour les bergers et aussi aux écologistes raisonnables de la réintégration de l’ours dans les Pyrénées. Bien sûr, il y a, aussi, un personnage abruti qui ne veut que la mort de l’ourse, mais il est en réalité bien seul, et la romancière ne décidera pas que c’est lui qui a tiré sur l’ourse et l’a finalement tuée, mais nous sommes certains que c’est quelqu’un qui lui ressemble !

 

Bref, la cohabitation des hommes et des animaux sauvages, qu’il s’agisse des loups ou des ours méritait bien un si beau roman. Tout en subtilité.

(Un roman que Lecturissime a aimé, voici le billet d’Aifelle et de Kathel)

 

Extraits

Début.

 Elle s’éloigne lentement de ce pas suspendu, quelque peu léthargique de la sortie d’hibernation. Malgré les restrictions alimentaires et la perte de poids qu’impose le demi-sommeil hivernal, elle lui semble toujours aussi grande, aussi puissante que la première fois qu’il l’a vue, un an plus tôt, sa grosse tête balançant au rythme de ses pas, du mouvement de ses épaules ourlées de fourrure.

Excellente description de la peur dans l’action .

Comme un grand vide dans le ventre soudain, le pouls qui s’emballe, les mains qui tremblent. Il respire à pleins poumons et il glisse d’un coup dans le goulot d’étranglement qui sert de couloir à l’animal, il rampe le plus vite possible, s’aidant de ses coudes. Le souffle court, la conscience aigüe du danger. Et une excitation qu’il n’a jamais ressentie auparavant. Si elle revient trop vite, il est mort. Si elle revient. Il respire fort, se concentre.

Une amitié de gens de la montagne .

Le vieux lui avait confié ses bêtes, qu’il garderait désormais, les clés de la cabane, les secrets de sa montagne, et puis sa dernière chienne. Et Jean avait beau être d’un monde bourru où on ne dit pas que l’on s’aime, leurs vies étaient liées.

Métier de berger.

Et Gaspar avait peu à peu compris qu’être berger n’était pas réductible à un métier, il s’agissait d’une façon de vivre qui mobilisait des connaissances botaniques, topographiques, météorologiques, vétérinaires à toute épreuve. Jean incarnait une sorte d’homme complet, un danseur qui crapahutait à flanc, un philosophe distillant entre deux jurons des vérités brutes, un marcheur infatigable.

Être berger.

 Monter, c’était s’adonner à une vie de solitude et de frugalité. On ne s’embarrasse de rien, là-haut : de quoi manger, dormir au chaud, du sel pour les brebis, des croquettes pour les chiens et quelques produits vétérinaires. On y était vite ramené à sa place, un corps parmi la roche, les bêtes, les cieux, les champignons et les bactéries. La vie de cabane relevait presque d’un manifeste politique. La communauté des pâtres comptait d’ailleurs nombre de marginaux, d’anarchistes, de rêveurs que le refus de la sédentarité, une réticence à la dictature de la consommation avaient poussé à prendre la montagne comme on prend la route.

La griserie de la montagne .

 Elle comprenait, petit à petit, cette griserie des hauteurs, la difficulté à redescendre. Elle comprenait que ce pût passer avant tout, qu’on pût aimer la montagne à en mourir. Son père n’avait vécu dans le monde des hommes que par défaut, il vibrait pour la verticale des abysses et des montagnes. Et plongeant dans les pas de l’ours, s’immergeant des jours et des nuits dans son territoire, dormant contre la roche, il lui semblait enfin décoder l’énigme qu’avait été cet homme sans cesse dérobé. 

Les enjeux de la réintégration de l’ours.

 L’équipe était prise dans la spirale d’un débat politique qui dépassait les enjeux liés à l’ours. L’animal était un bouc émissaire commode dans une guerre vaine qui opposait les ruraux et les urbains, ou plutôt différentes visions de la ruralité, ceux d’ici et les autres, les éleveurs et le reste du monde ; guerre dont personne ne sortirait gagnant, qui poussait chacun à devenir une caricature de lui-même. Et ce conflit tantôt larvé tantôt ouvert ne reflétait rien de la complexité des rapports de la plupart des gens entretenait avec l’ours : chacun était sommé d’être « pour » ou « contre », le dialogue n’avait plus de place.

 


Édition Héloïse-D’Ormesson. Traduit de l’allemand par Nicolas Véron

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ma deuxième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 organisé par Eva 

 

Voici un livre qui ne tient que par le talent de conteuse de cette écrivaine allemande. Je suis partie dans son histoire sans difficultés car j’aime les contes mais je me suis sans cesse demandé pourquoi elle voulait ne raconter que le pire des comportements humains.

Seuls trois personnages : Martin le garçon au cœur pur, le peintre, et Franzi l’amoureuse du garçon sont vraiment positifs. Dans une Allemagne d’autrefois, ravagée par les guerres, les épidémies, les croyances obscurantistes, des hommes stupides et sans cœur règnent sur un village où vit Martin et son coq noir qui reste toujours avec lui, sur son épaule le plus souvent, et qui, parfois, lui parle. Martin est orphelin car son père, pris de folie, a massacré tous ses frères et sœurs à la hache avant de se tuer lui-même. Un jour arrive un peintre que Martin suivra car il veut rechercher le cavalier à cape noire qui enlève de très jeunes enfants que l’on ne revoit jamais. Peu à peu, nous aurons toutes les clés de cette histoire mais je sais que vous ne voulez pas que je vous les donne (pourtant quand vous écoutez Barbe-bleu vous savez la fin, non ?), d’ailleurs de clés, il en est question dans ce récit. Cela commence justement par la clé de la porte de l’église que les abrutis de chefs du village ne retrouvent plus. Martin sait où elle est mais ne le dira qu’à la fin du récit.

On saura pourquoi son père a massacré à coups de hache toute sa famille et aussi ce que deviennent les enfants enlevés par les cavaliers à cape noire.

Pourquoi ne suis-je pas plus enthousiaste : j’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi l’écrivaine a utilisé le conte pour nous raconter toute la noirceur des comportements humains. Pas grand chose nous est épargné et ce n’est pas la fin un peu moins triste qui peut compenser la succession de crimes tous plus affreux les uns que les autres qui change grand chose à la teneur de ce récit. Vraiment, pourquoi ?

Le personnage positif, Martin, est paré de toutes les qualités, bonté, compassion, intelligence au point de se dire qu’il n’est pas vraiment humain.
C’est un conte, d’accord, donc on peut tout accepter et il est vrai que, le style de Stefanie vor Shulte, emporte les lecteurs dans un monde onirique et que j’ai lu ce livre sans m’ennuyer en me demandant quand même pourquoi une telle noirceur

 

 

Citations

Le conte très sombre

 En éclair, le cavalier a dépassé Martin, l’instant d’après il est à la hauteur de Godel, il abaisse le bras vers la fille, la soulève comme un fétu de paille et la foule sous sa cape, pan d’obscurité dans le givre laiteux. L’enfant est maintenant au cœur des ténèbres, elle n’a pas laissé échapper le moindre cri. Tout est allé si vite. La main de la mère est encore suspendue en l’air toute pleine de la chaleur du corps de sa fille. Sa fille qui n’est plus là.
 Le cavalier l’a cueillie comme une pomme, et déjà le voilà sur la crête où l’on voit son cheval se cabrer.
 Un hurlement déchirant jaillit de Godel. Elle se met à courir. Le bébé pleure, ballotté contre sa poitrine. Martin court derrière elle, la rattrape, la dépasse, se lance à la poursuite du cavalier.
 Le cavalier. Martin connaît depuis toujours l’histoire de ce cavalier à la capuche noire qui enlève les enfants. Toujours une fille et un garçon. Qui plus jamais ne reparaissent. Et voilà qu’ils le rencontrent et qu’ils le pourchasse.

Vision horrible de ce temps là…

 Ces hommes savent pourtant bien que le temps leur est compté, que bientôt ils seront impotents et n’auront plus qu’à se pendre à une poutre du toit pour ne pas peser sur leur famille. Et que, s’ils ratent leur coup, ou si le courage leur fait défaut, ils macéreront jusqu’au bout dans leurs excréments. Attachés au lit, car il faut bien aller aux champs et au moulin, tout comme ils l’étaient, déjà, enfants quand leurs parents devaient aller aux champs et au moulin.

Édition inculte

J’avais dit à « lireaulit » que je lirai ce livre, il ne faut pas être trop pressé car c’est chose faite en 2023 , (son article date du 11 avril 2020), j’ai enfin pu rayer dans ma liste ce livre auquel elle avait attribué un « énorme » coup de coeur. J’ai aimé aussi , mais un peu moins qu’elle vous pourrez comparer nos deux points de vue.

C’est un roman qui raconte un drame en milieu rural montagnard. La famille Anfosso se sent propriétaire non seulement de chez eux, ce qui est normal après tout, mais aussi de la montagne environnante qui est leur terrain de chasse au sens propre, mais aussi des consciences de tous les villageois car il ne fait pas bon s’opposer aux Anfosso, surtout quand ils lâchent leurs chiens ou qu’ils sont armés de leurs fusils toujours chargés.

Guillaume, un beau jeune homme, fils de gens qui sont venus à la retraite dans ce village, décide d’y construire une bergerie.

Des moutons sur leur montagne ! les Anfosso, en particulier Joseph, ne peuvent le supporter. Le roman se situe donc dans cette guerre et cette rancune si tenace et si amer qu’elle monte à la tête de tous les Anfosso . Tout le village le sent et sait que ça va mal se finir mais quand ce genre de conflit arrive dans un village fermé sur ses certitudes rien ne peut arrêter le torrent de la haine.

L’écriture cerne au plus près ce qu’il se passe dans ce genre de situation et nous entrons dans les réflexions les plus intimes de tous les protagonistes et en toile de fond le village qui est plus ou moins d’accord.

Je comprends bien le plaisir des mots et aussi celui que procure une tragédie annoncée au dénouement inéluctable, mais si j’ai un bémol à ce genre de lecture c’est justement que ce côté tragique ne raconte pas assez la diversité du monde. Les parents du beau et jeune berger habitent aussi ce village et ils y semblent heureux, pourquoi n’ont-ils pas réussi à briser ce cercle infernal ?

La jeune femme de Guillaume parle avec le médecin du village et on sait à quel point l’influence du médecin peut peser sur les consciences.
En réalité mon bémol vient de là , je ne crois pas à l’isolement de Guillaume, en revanche je n’ai aucune illusion sur le » bonheur » de vivre à la campagne.

Cela reste un bon moment de lecture et une très belle écriture.

Citations

Les cafés de village.

 Dans ces cafés de villages, les tables sont privées d’autonomie et d’intimité. On s’imagine passer quelques instants avec son employés ou son meilleur ami, mais en réalité on est tous ensemble assis à une immense table imaginaire. Que l’on soit derrière le zinc, juché sur une chaise haute, à une table au fond où qu’on s’abandonne quelques secondes sur le perron avant d’aller arroser les fleurs de la grand-mère, on participe de la même chose, chacun construit le bric-à-brac vacillant de la discussion 

Le chœur des femmes du village

(connaissez vous l’expression « se devoir se devoir de quelqu’un » ?)
 Le chœur sentait qu’il perdait Mireille et ça lui faisait un peu mal parce que tout le monde se devait un peu de Mireille – surtout Denise qui avait toujours tout partagé avec elle- mais on se refusait de sacrifier le collectif millénaire. Et puis, elle était vieille, on ne lui donnait plus très longtemps. Alors on préférait invoquer la dépression, le dérèglement, la sénilité. Il valait mieux se couper une main que laisser passer la gangrène.
Mireille basculait du côté du berger irrémédiablement. Bientôt elle aurait rentré sa chaise, ne participerait plus à aucune discussion Et perdrait de ce fait tous ses droits.

Lorsqu’on a que la haine en partage.

 Dans ces moments de faiblesse, il détestait les chasseurs et il se détestait de les haïr autant. Et les tenant pour responsable de ce dévoiement, il nourrissait une haine de plus en plus effrayante.
 Voilà, il leur ressemblait désormais. Voilà ce que je suis devenu, un Anfosso, se disait-il.
Puis il se reprenait, s’inventait une indifférence, à divertissement. Il se tournait vers sa femme, vers son fils, vers ses bêtes se rassurait, se laissait fondre en quelques instants, quelques heures au mieux.
Mais cela revenait. 
Cela revenait sans cesse.

 

 

 

 

 

 

 


Édition Folio poche . Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

Un auteur qui m’avait déçue avec la douce empoisonneuse et ravie avec le dentier du maréchal , ici je suis à mi route. J’ai bien aimé mais ce récit manque un peu de légereté. Le récit est en deux partie, la première raconte la construction d’un pont par Akseli Jaatinen dans le village de Kuusmäki. (Vous remarquerez le gout des finlandais pour les doubles voyelles ! !) . Tout de suite les notables du village déteste cet ingénieur trop efficace et aux méthodes expéditives. malgré tous le sennuis que la municipalité essaient de lui causer jusqu’à vouloir le mettre en prison il réussit à construire le pont dans le temps imparti.
la deuxième partie raconte sa vengeance contre tos ceux qui lui ont fait du mal. mais contrairement à Edmond Dantes (excusez cette comparaison mais mon petit fils adore Monté Christo) il ne cherche pas à nuire au village bien au contraire il ne cherche qu’à enrichir le village. Il applique des méthodes révolutionnaires pour construire une usine de ciment qui profite à tout le village et réussît à construire en trois mois une voie ferrée que tout le monde attendait depuis des lustres. En revanche le sdeux femmes qu’il honore de ses faveurs sont très heureuses de partager sa vie et de faire de lui « un homme heureux »

Seuls ceux qui continuent à lui nuire auront le spires ennuis mais il faut dire aussi qu’ils le cherchent bien. C’est un roman sympathique et qui se lit bien. J’ai lu ce livre à la suite d’un article sur la blogosphère mais j’ai oublié de noter le nom du blog.

 

Citations

Le coup de foudre.

 C’était une femme. Elle était là parmi les autres, mais ne leur ressemblait en rien. Elle était belle, douloureuses belle. Comment la décrire ? Des boucles brunes, des traits délicats, un nez droit, parfait, des yeux brillant de milliers de secrets … son cou de cygne émergeait de sa robe avec une grâce de déesse, ses seins idéalement placés se balançaient doucement tels de précieux trésors… et son corps ! Il cascadait des épaules aux hanches puis aux cuisses, aux genoux déliés à partir desquels les jambes s’amenuisaient, devenant chevilles, avant de disparaître dans délégants escarpins un ravissement !

Un finlandais amoureux .

 Un ingénieur des ponts, dans ces circonstances ressemble trait pour trait à toute autre Finlandais amoureux : il a un sur le visage une expression d’une incroyable stupidité, sa bouche se tord, un semblant de chansons monte vers le ciel et son regard erre dans les broussailles, et il roule sur sa bicyclette du côté gauche de la route.

Comment reconnaître un artiste.

 On vit arriver par l’autocar de Helsinki un petit moustachu fripé qui se présenta à Manssila et Jaatinen venus l’attendre à la gare routière : Kasurinen, sculpteur. L’homme sentait l’alcool frelaté, ce qui leur sembla prometteur. Kasirnen était de toute évidence un véritable artiste.