Édition les presses de la cité
Traduit de l’anglais (Irlande) par Valérie Bourgeois
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Seriez-vous prêtes à partir trois jours dans une maternité à Dublin en 1918, avec la sage-femme Julia Power qui fait office de cheffe de service pour les futures mères atteintes de la terrible grippe qui, comme vous le savez sans doute, a fait plus de morts que la deuxième guerre mondiale.
Je vous préviens ce ne sera pas un séjour de tout repos, chaque (long) chapitre porte le nom d’une couleur : les couleurs qui suivent l’inexorable avancée d’une maladie que l’on ne savait pas soigner.
Rouge : comme les prémices de la grippe qui donne effectivement cette couleur aux joues .
Marron : lorsque la malade a encore une infime chance de s’en sortir.
Bleu : comme la couleur des ongles quand hélas la fin s’annonce.
Noir : quand la mort est définitive.
Et entre ces moments , vous comprendrez combien la guerre 14/18 a brisé des vies dont celle du frère de Julia qui est revenu tellement traumatisé qu’il est totalement mutique. De plus en Irlande, le patriotisme est mis à mal par les indépendantistes qui trouvent que cette guerre sert plus les intérêts des Anglais que ceux des Irlandais. Le personnage du docteur Lynn qui est historique permettra à Julia Power d’ouvrir les yeux sur le rôle des Anglais dans son pays. Cette femme de bonne famille protestante s’est engagée dans les rangs du « Sinn Fein » tant elle était révoltée par la misère dans laquelle on maintenait des populations pauvres catholiques irlandaises.
Vous découvrirez aussi le triste sort des enfants nés hors mariage ou des orphelins remis aux institutions catholiques.
Le roman est soutenu par des sentiments d’amitié (et même plus ) qui se tissent entre une jeune bénévole , Bridie Sweeney et Julia. C’est grâce à cette fille de 19 ans que nous découvrons toute l’horreur des conditions des enfants livrés aux bonnes sœurs . Vous vivrez aussi une épidémie qui par certains aspects rappellent celle que nous connaissons : les mêmes rumeurs, les mêmes conduites irrationnelles. Et les limites de la science. Et surtout vous vivrez la souffrance des accouchements des femmes quand si peu d’aides pouvaient leur être apporté.
C’est un roman qui se lit facilement même si on est parfois rempli d’effroi face ce que nous découvrons sur ce pays ces horribles traditions catholiques et la misère des conditions des femmes qui à 25 ans pouvait avoir huit enfants mais plus une seule dent et un corps si affaibli que la grippe n’est qu’une petite secousse qui les précipite dans la tombe. Je vous ai prévenu vous passerez trois jours dans le sang, les odeurs de pisse, la peur de la mort qui rôde et qui ne fait aucun cadeau, mais je pense que vous admirerez le courage de ces femmes. Oui, il s’agit bien de combattantes même si le titre original était plus poétique : « the pull of the stars » et est plus proche d’un beau moment du récit celui ou Janet et Bridie passe une nuit sur le toit de l’hôpital à regarder les étoiles. Et plus proche aussi du mot « fluenza » dont je ne connaissais pas la signification avant ce roman.
Je ne me suis adressée qu’aux femmes dans ce billet mais je suis certaine que les hommes pourraient aussi aimer ce roman pour peu qu’ils acceptent d’entendre parler de ce qui le dégoûtent parfois dans la maternité. et l’accouchement, en tout cas, je l’espère.
Citations
Portrait physique d’une femme pauvre irlandaise.
J’aurais été tentée d’inscrire « Usée jusqu’à l’os ». Mère de cinq enfants à 24 ans, descendante sous-alimentée de générations d’Irlandais sous-alimentés, le teint livide, les yeux rouges, la poitrine presque inexistante, les pieds plats et les membres maigrelets, avec des veines semblables à un entrelacs de ficelle bleue, Eileen Devine a marché toute sa vie d’adulte au bord d’un gouffre. Au fond, cette grippe l’a juste fait basculer dans le vide.
Le saviez-vous ?
– Bien sûr, on peut toujours accuser les étoiles, commente-t-elle.
– Pardon ?
– C’est le sens du mot « influenza », l’autre nom de la grippe. » Influenza delle stelle » : l’influence des étoiles. Pour les italien du Moyen-âge, cette maladie prouvait que le ciel gouvernait leur existence et que certaines personnes avaient littéralement une mauvaise étoile.
Rumeurs en cas de pandémie.
– J’ai fait si attention, mademoiselle. Je me suis même gargarisée avec du vinaigre de cidre et je suis allée jusqu’à le boire.
J’acquiesce en gardant pour moi mon opinion. certains se reposent sur la mélasse pour échapper à la pandémie, d’autre sur la rhubarbe. comme s’il y avait forcément un remède maison capable de nous sauver tous. J’ai même rencontré des imbéciles persuadés de ne rien avoir à craindre parce qu’ils portaient du rouge.
Le retour des soldats dans le contexte irlandais.
Drôle d’époque pour les vétérans invalides de Dublin. Dans la même journée, Tim peut serrer la main d’un vieillard qui le remerciera de s’être engagé, puis se faire traiter de tire au flanc par une veuve au motif qu’il est rentré sain et sauf de la guerre, ou entendre un passant lui crier que ce sont des vermines de soldats qui ont rapporté la grippe chez nous. Mais quelque chose me dit qu’un prétendu rebelles nationalistes lui a reproché d’être un pion à la solde de l’empire et lui a jeté des ordures à la figure.
Une femme médecin qui a défendu l’indépendance irlandaises .
Il y a cinq ans encore, je portais à peu près le même regard que vous sur la question nationale, mademoiselle Power, dit-elle d’un ton très courtois qui me déconcerte. J’ai d’abord défendu la cause des femmes, puis le mouvement des travailleurs. J’espérais une transition pacifique vers une Irlande autonome qui traiterait avec davantage de bienveillance les ouvriers, les mères et les enfants. Mais au bout du compte, j’ai compris que même s’ils faisaient semblant depuis quarante ans de s’intéresser aux principes du « Home Rule », les Britanniques entendaient bien continuer à nous envoyer promener. Ce n’est qu’à ce moment la, après m’être beaucoup interrogée, je vous assure, que je suis devenue ce que vous appelez une terroriste.
Les « bonnes » sœurs et les filles mères.
Pour avoir commis le crime de tomber enceinte, Honor White loge dans une institution caritative qui la punit en exigeant qu’elle prenne soin de son bébé et de celui d’autres femmes. Elle doit aux bonnes sœurs une année entière de sa vie afin de rembourser ce qu’elle dépense pour l’emprisonner durant tout ce temps. C’est là une logique bizarre et fallacieuse.
-Et au bout d’un an …. est-ce que les mères peuvent repartir avec leur enfant ?
Sœur Luc ouvre de grands yeux.
– L’emmener ? pour en faire quoi ? la plupart de ces filles ne veulent sûrement rien tant que d’être débarrassées de ce fardeau et de la honte qui l’accompagne.