Éditions Dalva (266 pages, août 2025)

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Gambadou, puis Sylire et Claudia Lucia ont déjà parlé de ce livre , il était donc dans ma liste, et grâce à mon club je vais pouvoir le retirer. Je suis plus partagée que l’ensemble des avis que j’ai pu lire. J’ai beaucoup aimé ce que l’on sent de détresse chez ces femmes qui pour un peu d’argent vont devenir nourrices. Plusieurs solutions s’offrent à elles, soit elles vont à la ville et le bébé de la famille a une nourrice pas trop loin de ses parents, mais le bébé de la nourrice, grâce à qui ce bébé de famille aisée pourra bénéficier d’un allaitement adapté à sa santé, restera au village et il vivra sans sa mère à ses côtés. Ou la famille de la ville viendra confier le bébé à la nourrice et celui-ci vivra ses trois premières années loin des siens. La description de la façon dont les nourrices sont traitées à l’arrivée de la ville s’apparente plus à un marché de vaches que d’un accueil pour des femmes qui viennent pour être nourrices. C’est vraiment insupportable, mais le pire c’est le sort des enfants abandonnés là on est totalement dans l’horreur !

Dans ce roman, le « marché » est aux mains d’un homme malhonnête et qui ne cherche qu’à se faire de l’argent sur le dos de femmes sans défense et qui se fiche complètement du sort des bébés.

Alors pourquoi des réserves ? cela vient de ce qui pour beaucoup fait le charme de ce livre, la façon dont l’écrivaine raconte cette histoire, sa langue est superbe (encore un bon point pour elle) mais elle refuse de situer son roman dans un cadre précis et tous ses personnages sont plutôt des symboles de la bonne nourrice aimante pour Sylvaine, de l’horreur du profiteur pour « la chicane » qui recrute les nourrices, la vieille femme la sage du village qui est l’humanité personnifiée, les pauvres filles engrossées par des fermiers violents. Ce qui m’a le plus gênée c’est le mélange des forces de la nature, un peu à la manière des Dieux antiques qui jouent avec les hommes en leur envoyant tempêtes et orages ! Heureusement ce n’est pas seulement la lune qui offrira à Sylvaine le bébé qui remplacera celui que la dame de la ville lui avait confié et qui est mort. C’est là que se situe le drame de cette histoire , mais des drames il y en a d’autres. Entre fantaisie et réalisme, mon côté rationnel préfère que les histoires surtout difficiles sachent s’ancrer dans le réel.

 

Fichier:Rouen hospice general tour.JPG — Wikipédia

 

Extraits

Début.

 C’est nuit de lune pleine.
 Roux, colossal, aussi rond qu’un ventre sur le point d’enfanter, l’astre flotte bas dans le ciel couleur d’ardoise. Une brume épaisse recouvre la plaine comme un châle, se masse dans les replis du relief, s’effiloche à l’orée de la forêt. Dans le creux de la vallée, ce niche le village endormi, masqué par le voile blanchâtre, nébuleux. Seule la ramure imposante d’un chêne centenaire émerge du brouillard, île de verdure entourée par la ronde des toits qui se serrent.

Recrutement des nourrices.

 Un médecin, chargé de déterminer l’heure aptitude à nourrir un nouveau-né les y attends
. Il leur ordonne de s’aligner dos au mur et d’ôter leur corsage. Torse dénudé et bas du corps dissimulé sous des jupes bouffantes, les femmes ressemblent à des clowns grotesques. Elles patientent dans la gêne, la poitrine offerte aux regards et au froid. Sylvaine frémit à la vue de ces chairs étalées. Les seins au large aréoles brunes sont irriguées par des veines saillantes qui dessinent une cartographie étrange, un labyrinthe complexe, dédale de rivières et de rigoles charriant le sang bleu et mauve.
 Le médecin prend son temps, organise des papiers sur son bureau, ajuste ses lunettes, retrousse ses manches, s’approche de Mahaut placée en bout de rangée. Sylvaine a le sentiment d’avoir atterri par erreur dans un marché aux bestiaux. Elle repense à la fête du printemps où se rassemblent tous les ans les éleveurs de vaches, de chèvres, de mouton et elle croit être devenue l’un de ses animaux, dont la bonne santé et la corpulence vont être évaluées.

Pour donner une idée du style.

Sylvaine ressent un plaisir nouveau, inédit à être sucée avec force, mordillée par les puissantes gencives. Il ne s’agit plus seulement d’être soulagée du trop plein de lait. Un nerf souterrain, fil d’argent invisible, relié son mamelon à son bas-ventre qui se contracté agréablement sous l’effet de la succion. Sylvaine plonge dans ces sensations nouvelles, sans gêne ni honte. Repus et satisfaits la mère et l’enfant s’endorment enlacés

Les enfants abandonnés.

 Une femme habillée de blanc ouvre la porte et fait entrer la vieille servante dans le hall. Des cris de nourrissons saturent l’air de leurs vibrations perçantes. L’odeur viciée prend Lucienne à la gorge. La mine dégoûtée, elle se détourne d’une salle dont la porte est entrebâillée. L’employée se justifie :
« Les nouveaux-nés sont installés ici. Ça évite de monter les étages. Il y a beaucoup de passage entre ceux qui arrivent, ceux qui partent et ceux qu’on doit évacuer. « 
Les deux femmes reculent pour laisser passer un homme qui sort de la pièce en poussant une brouette. À l’intérieur se trouve un minuscule cadavre enveloppé dans un linceul.
« Beaucoup ne passent pas l’hiver. Les plus faibles sont emportés en un rien de temps. »

 

 

 


Éditions Gallimard, 206 pages, juin 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je suis vraiment désolée pour ce roman qui a certainement de grandes qualités, mais que je n’ai absolument pas su apprécier. Il y a, quand même, une qualité que je peux mettre en avant, l’auteur parle bien du Périgord une région qu’il a aimé décrire mais aussi, en souligner l’aspect très rude et violent de ses habitants.

Sinon, le mélange de trois temporalités, m’a complètement perdue et fortement agacée. Dans le désordre , il y a une maman Clémence qui fuit des violences conjugales avec son fils qui lui disparaît brutalement. Il y a aussi Guilhem qui aime Marion au point de lui faire découvrir une grotte ornée de fresques, et Fabien et sa fille qui par hasard redécouvrent cette grotte.

Ces trois histoires vont se relier dans une atmosphère confuse, aucun personnage ne semble maître de son destin. J’ai vraiment beaucoup de mal avec le genre de personnages au milieu d’une grotte qui savent leur survie en jeu et qui prennent toujours les décisions les plus risquées mues par une force qui leur vient dont on ne sait où.
Bref, je vois sur Babelio que ce roman a eu des critiques très positives et je lis souvent cette phrase dans les avis :  » ce roman permet de se connecter avec la nature » , et bien voilà je n’ai pas su me connecter ni avec la nature ni même avec le style de l’auteur qui pourtant fait l’unanimité.

Le jour où je rédige ce billet Violette fait paraitre le sien, voici donc un avis totalement opposé au mien.

Extraits.

Début.

 La maison se fondait parfaitement dans le paysage. Ses murs en pierres sèches, sa toiture en lauze et ses volets en chêne étaient l’agencement discret de ce qu’on retrouvait autour à l’état naturel. Même le lierre courait sur ses façades, comme sur les arbres, avoisinants. 
 Clémence observait l’habitation depuis le fond de la combe. Il lui suffisait de poser les yeux ailleurs quelques secondes pour que la construction disparaisse dans le relief. Elle et son fils auraient pu traverser le vallon sans jamais l’apercevoir. C’était exactement ce qu’il leur fallait.

Franchement, c’est quoi la sensualité d’un tunnel ?

 À travers la poussière soulevée par les impacts et les éboulements consécutifs, on distinguait les formes sensuelles d’un tunnel qui s’enfonçait dans les ténèbres..


Éditions Acte Sud, 412 pages, février 2025

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

 

S’embarquer dans un roman de Richard Powers, c’est toujours un moment de lecture exigeant, je le savais depuis la lecture que je n’ai jamais oubliée  » Le temps où nous chantions » . L’auteur a besoin de temps pour installer son sujet mais aussi à l’image de la vie, de complexité , mais quand on se laisse prendre alors tout s’éclaire et on vogue avec lui sur tant de questions qui traversent notre actualité.

Ici, nous sommes avec trois voix, une est en italique , celle d’un homme immensément riche grâce aux nouvelles performances des technologies connectées, à chaque fois qu’il prend la parole le texte est en italique : Todd Keane est atteint d’une maladie dégénérative du cerveau et il raconte sa réussite dans le monde de l’intelligence artificielle, son enfance, son amitié avec Rafi un jeune noir surdoué et les ravages de sa maladie actuelle.

Rafi ce jeune noir a été élevé dans une famille qu’on dit aujourd’hui « dysfonctionnelle » : son père qui certainement était très intelligent pousse de façon violente son fils à dépasser tout le monde à l’école, ses parents se séparent et sa mère se remarie avec un homme qui la frappe et sera à l’origine de la mort de sa sœur. Rafi ne vivra que, par et pour, la littérature. Il rencontre Todd au lycée puis à l’université, leur amitié se renforce grâce à leur passion pour les jeux de stratégie, les échecs d’abord puis le jeu de Go. Il tombera amoureux d’une artiste extraordinaire polynésienne qui cherchera à l’aider à écrire sa thèse.

Je pense qu’un lecteur plus attentif que moi pourrait lire ce roman comme une illustration des différents coups du jeu de Go. Il se termine par un vote de pierres blanches et de pierres noires qui y fait beaucoup penser.

Il y a aussi une troisième voix très importante, celle de l’Océan, portée par une femme d’exception, Evie, plongeuse émérite qui est à la fois émerveillée par l’océan et effrayée par ce qui lui arrive aujourd’hui.

Tous se retrouvent à Makatea, île de la Polynésie française . Les compagnies minières française y ont exploité le phosphate sans se soucier du bien être de la population ni de la préservation de la nature.

Nous sommes donc au cœur de la littérature et de la poésie grâce à Rafi, au centre de la création de l’IA et toutes ses dérives avec Todd , bouleversés par les révélations sur le mal être de la planète, tout cela sur un petit rocher au milieu du Pacifique, avec une population qui a toujours accueilli les étrangers avec des colliers de fleurs, même ceux qui, comme les français en 1917 , ont exploité les hommes et les ressources naturelles de façon éhontées .

J’ai beaucoup aimé ce roman , mais j’ai vraiment eu du mal au début à m’immerger dans cette histoire : trop de personnages, trop de temporalités , comme je le disais au début, partir dans un roman de cet auteur c’est vraiment faire un effort de concentration que je n’ai pas réussi à faire au début. Mais le dernier tiers du roman, quand j’ai compris ou Richard Powers voulait m’embarquer, m’a complètement séduite.

Extraits.

Début.

Ina Aroita un descendit à la plage un samedi matin enquête de jolis matériaux. Elle emmena avec elle Hariti, sa fille de sept ans
 Elles laissèrent à la maison Afa et Rafi qui jouaient à même le sol avec des robots transformables. La plage n’était pas loin à pied de leur bungalow voisin du hameau de Moummu, sur la petite colline coincée entre falaises et mer de la côte est de l’île de Makatea dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, aussi loin de tout continent qu’une terre habitable pouvait l’être -une poignée de confettis verts, comme les français qualifiaient ces atolls, perdus dans un champ de bleu sans fin.

Un couple parental peu sympathique !

 Mais c’est un jeu de guerre ininterrompu entre eux deux qui a dominé toute mon enfance. Un tournoi mû par le désir autant que la haine, où chacun engageait ses superpouvoirs respectifs. Mon père : la force du maniaque. Ma mère : la ruse de l’opprimée. Enfant précoce je n’avais que quatre ans quand j’ai compris que mes parents étaient pris dans une lutte pour se faire mutuellement autant de mal que possible sans franchir la ligne fatale : juste infliger assez de pures souffrances pour produire cette excitation que seule la rage peut engendrer. Une sorte d’étranglement de l’âme, réciproque et masturbatoire, où les deux parties donnaient généreusement et recevait bienheureusement.

Le sexe et la religion.

 Il y a cent ans, les Makatéens avaient envers le sexe l’attitude la plus saine qui soit. C’était comme l’escalade, la course ou le bodysurf, mais pimenté d’amour. La possession n’était pas un enjeu. On ne pouvait pas plus posséder une personne qu’on ne pouvait posséder la terre, ou le ciel au-dessus de la terre, ou l’océan au-delà du rivage.
Et puis les « Popa’ā » étaient arrivés. Et à présent Didier se signait et s’agenouillait sur le prie-Dieu d’une des deux églises de l’île. Deux églises pour quatrz-vingt-deux habitants ! Une catholique, une mormone, et c’est dans la première que se trouvait le maire, la tête inclinée, priant les anges (parce qu’il n’osait pas croiser le regard de la Vierge Marie dont la perfection l’embarrassait) en disant  : » Ça reste de l’adultère n’est-ce pas ? même si ma femme est d’accord ? »
À sa grande stupéfaction, les anges répondirent :  » C’est de l’adultère de survie ».

Une femme dans un univers d’hommes.

 Evelyne Beaulieu entra à Duke en 1953 , première femme jamais admise en études océanographiques. Elle survécut à quatre ans de cours à Durham et à trois étés de travail de terrain en déployant des trésors de camouflage toujours plus inventifs. Elle dissimulait l’étendue de son expérience de plongeuse, s’abstenait de corriger de nombreuses erreurs de ses professeurs, et riait aux blagues de soudard de ses condisciples mâles. Ce n’était pas si difficile de se faire passer pour ce que les américains appelaient une « bonne camarade ».

En 1957 !

On était en l’an 1957. Pepsi proposait d’aider la ménagère moderne dans la lourde tâche de rester mince. Alcoa lançait un bouchon de bouteille que même une femme pouvait ouvrir « – sans couteau, sans tire-bouchon, sans même un mari ! »

Jusqu’à quand ?

Mais comme dirait l’autre, les neurones c’est comme l’amour, ça ne s’achète pas.

La révolution internet.

 On n’a rien vu venir. Ni Rafi, ni moi, ni personne. Prédire que les ordinateurs allaient envahir nos vies ? OK. Mais prévoir qu’ils allaient faire de nous des êtres différents ? Saisir dans toute son ampleur la conversion de nos cœurs et de nos âmes ? Même les plus éclairés de mes collègues programmant « RESI » ne pouvaient s’en douter. Bien sûr, ils prophétisaient les versions portatives de l’Encyclopédia Britannica, les téléconférences en temps réel, les assistants personnels qui pourraient vous apprendre à écrire mieux. Mais imaginer, Facebook, WhatsApp, TikTok, le bitcoin, QAnon, Alexa, Google Maps, Les publicités ciblées fondées sur des mots-clés espionné dans vos mails, les likes qu’on vérifie même aux toilettes publiques, le shopping qu’on peut faire tout nu, les jeux de farming abrutissants mais addictif qui bousillent tant de carrières, et tous les autres parasites neuronaux qui aujourd’hui m’empêchent de me rappeler comment c’était de réfléchir, de ressentir, d’exister à l’époque ? On était loin du compte.

 

 


Éditions Actes Sud, 258 pages, mars 2025.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une déception pour cet auteur dont j’ai tant aimé « La Rivière » et un peu moins « La constellation du Chien » . Ce roman raconte l’enfance de Firth élevée par sa mère une traductrice de poètes Chinois anciens et qui s’est réfugiée avec sa fille de 6 ans dans une maison, à peine plus confortable qu’une cabane au bord d’un lac dans le Vermont. La narratrice est cette Firth maintenant adulte qui se souvient au gré des poèmes traduits ou écrits par sa mère de son enfance. Elle même attend un enfant et c’est ce qui la pousse à revenir sur son passé. Les revenus de cette étrange famille vient des pommes (d’où le titre) et la récolte du sirop d’érable. Sa mère se lie d’amitié avec une artiste locale Rose, qui gardera la petite fille au décès de sa mère.

Plusieurs fils tissent ce roman, celui auquel j’ai été le moins sensible : les poèmes de la poétesse chinoise des temps anciens, je n’ai pas pu déceler si c’est un personnage réel ou une création littéraire du romancier. J’ai trouvé les poèmes d’une platitude totale, mais je suis rarement sensible à la poésie traduite. Grâce au métier de sa mère on découvre une des raisons de leur installation dans cet endroit reculé. Hayley est une traductrice reconnue et encore célèbre dans le monde universitaire, elle accepte une invitation à un colloque et se fait descendre en flamme par la « féministe » de service qui trouve que cette poète chinoise de la dynastie des Tangs est l’incarnation de la soumission de la femme. Elle se promet de ne plus jamais répondre à aucune invitation. L’autre raison de cette fuite, elles le doivent au père de Firth, un homme qu’elles ont dû fuir car il était de venu violent à cause de la drogue.
Mais le thème principal c’est le retour vers la vie « naturelle » et l’amour qui lie cette mère à sa fille.

Adulte la fille aura du mal à aimer mais elle est enceinte d’un homme qui s’épile entièrement … vous vous demandez pourquoi je vous donne ce détail, la raison en est simple , je me suis demandé pourquoi l’auteur nous a donné ce détail.
C’est un roman « gentil » qui ne fait pas de mal mais que je n’ai pas trouvé très intéressant.

 

Extraits

 

Début

Début du prologue

 Le dossier se trouve dans un petit coffre en bois d’érable qui, pendant des années a servi de soc à une lampe dans l’angle de ma bibliothèque. Le coffre appartenait à ma mère. Hayley. Je me souviens que la boîte avec son assemblage à queue d’aronde contient d’autres souvenirs : le titre de propriété donne cabane dans le Vermont ; un ruban pour attacher les cheveux ainsi qu’un petit bouquet de fleurs de mariage en soie qui n’est pas celui de son mariage ; de la cire pour planches de surf ; un stylo plume ; un bracelet tout simple en jade. Un. petit rouleau de papier avec la silhouette d’un héron au milieu de bambous et quelques mots en chinois tracés à l’encre dans un coin.

Début du roman

 Ma mère faisait partie du mouvement des néoruraux. Elle avait cette idée : s’installer avec moi, sa fille de six ans , dans une cabane au milieu d’une pommeraie en déshérence à quelques kilomètres d’une large rivière du Vermont.

Le sirop d’érable.

La saison boueuse, mi-mars, qui est aussi la saison des sucres, quand les nuits sont glaciales et que les arbres font des bruits grinçants de vieux gonds, avant le dégel, avant que les ruisseaux ne grossissent, que la neige ne fonde et que la sève n’irrigue les érables. Comme nos voisins nous avons procédé à l’entaillage. Nous avons entrepris de récolter l’eau légèrement sucrée en accrochant des seaux aux troncs, à l’ancienne. Nos voisins, eux, utilisaient des tubulures en plastique courant d’un arbre à l’autre et formant une horrible toile 

Le féminisme totalitaire dans les universités américaines.

 – À l’heure du féminisme, pourquoi devrait-on lire d’anciens poèmes chinois qui mettent en avant le regard masculin ?
– Quoi ?
– Je sais a murmuré maman. J’étais abasourdie. J’ai répondu :  » Ils ne mettent pas en avant le regard masculin. Li Xue est une femme. À tous les égards. Ces poèmes sont écrits par une femme, l’une des plus grandes poétesses de la dynastie Tang. Elle a rétorqué :  » Bien sûr mais ne pensez-vous pas que malgré ses grands talents de styliste, elle ne fait que représenter et renforcer un fantasme masculin ? À savoir : se tenir à la fenêtre et pleurer en attendant que son homme rentre à la maison  ?  » Un truc comme ça je n’en revenais pas. Je voyais que tout ça était préparé que c’était le but de cet entretien elle m’a mené à cet endroit et vlan. »

Extrait du poème : Nuages noirs.

Les nuages noirs s’accumulent sur la montagne Tsu
Les vagues blanches déferlent sur la rivière. 
Une paire d’ailes de cormorans filent vers l’aval,
Font la course aux ténèbres. 
….

 

 

Éditions Actes Sud,134 pages, juin 2025.
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux

Je suis souvent à la recherche d’auteurs allemands pour participer au mois de « feuilles allemandes » de novembre, je n’ai donc pas hésité à candidater à Masse critique de Babelio pour ce roman. Mais …

 Voici le fil narratif : un homme d’affaire d’aujourd’hui, très occupé, rencontre à côté de sa maison de campagne, Karl, un homme amoureux de la nature qui vit totalement différemment de lui et du monde moderne, il sait, en effet, profiter de tous les instants que lui offre la vie dans la nature et cultive des pommes de terre à qui il parle pour les aider à combattre les mauvaises herbes !
Les deux hommes éprouvent un fort lien d’amitié, chacun ayant une souffrance à surmonter : le narrateur, quand il était enfant, a été enfermé quelques heures, dans un placard à balais par une animatrice de ski, et Karl le cultivateur de pommes de terre à une maladie auto-immune inguérissable ce qui donne à sa vie un tout autre sens. (Le parallèle entre les deux malheurs ne m’a pas semblé du même ordre !)
Franchement, c’est peu de dire que je n’ai pas adhéré à l’histoire, j’ai même failli lâcher ce court récit de 135 pages, quand Karl explique qu’il parle à ses plants de pommes de terre.
Le retour aux valeurs de la nature avec des personnages si peu incarnés m’a laissée de marbre et parfois frise le ridicule.
Bref, une énorme déception.

Extraits

Début.

5h12. Tous les matins je me réveillais à la même heure. Depuis plusieurs mois, déjà. Peu importait le jour de la semaine. Peu importait l’heure à laquelle j’allais me coucher, ou quelle tisane « nuit tranquille » je buvais. Ce samedi matin de juin n’a pas fait exception. J’étais parti seul à la campagne – ma femme suivait une formation, et nous enfants avaient des plans avec leurs amis.

L’homme moderne très occupé .

 Il y avait tout ce qu’il fallait : la rosée du matin sur les prés verdoyants, le chant d’un merle, le sol souple de la forêt sous mes pas. Mais il y avait aussi ce mur invisible entre moi et le monde.
 Et ainsi, à chaque pas ce n’est pas de la nature que je me rapprochais, de ce sentiment de légèreté auquel j’aspirais, mais de mon bureau mental. Et comme d’habitude, il était bien encombré : la conférence de rédaction de mardi prochain, la discussion d’hier vendredi, cette personne à qui je devais absolument écrire un mail après le petit-déjeuner, cette autre que je devais absolument réussir à joindre. Sans parler du cadeau d’anniversaire de ma tante que je devais encore acheter, si tant est que je trouve une idée.

Description « cucul » (pour moi) de la femme de Karl .

 Une fois la visibilité devenue meilleure la femme de Karl se tenait devant moi. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Heidi, l’héroïne des livres de mon enfance. C’était peut-être ses joues rouges comme deux pommes, ses yeux rieurs, son charme nature. On aurait dit un champ de fleurs. Cette femme respirait la fraîcheur et la joie de vivre. Elle a immédiatement trouvé une place dans mon cœur.

Quand j’ai failli lâcher le livre !

Chaque année, il mettait 77 000 plants en terre, qui donnaient 770 770 pommes de terre. Et son rituel le plus important se déroulait le jour de son anniversaire, le 30 avril. Une fois qu’il avait soufflé ses bougies, il se rendait seul sur son champ, et parcourait chaque rangée en disant un mot gentil mais ferme à chaque plant. Il les exhortait, cette année encore, à ne pas le laisser tomber, à vaillamment lutter, en un combat sacrificiel, végétal contre végétal, contre les mauvaises herbes, mais aussi contre les champignons. Et il leur disait que même s’il les vendait, le cœur gros, juste après leur naissance, il les aimait beaucoup. 

 


Édition Zulma, 241 pages, septembre 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

J’avais tellement aimé « La vérité sur la lumière » je savais que je lirai celui-ci, comme tous les autres romans de cet auteur . Il se trouve qu’à mon club de lecture j’ai proposé un thème : « Au bonheur des langues », et ce roman a, évidemment, toute sa place dans ce thème. Le personnage principal, narrateur, Alba est une linguiste professeur d’Université qui s’intéresse en particulier aux langues qui sont parlés par si peu de locuteurs qu’elle risque de disparaître. J’ai souvent pensé au livre que j’ai tant aimé « la poésie du Gérondif » de Jean-Pierre Minaudier. Elle est aussi traductrice, et relectrice des romans qui paraissent en Islande. Toutes les remarques sur la langue islandaise (et elles sont nombreuses) , montrent que cette langue est incroyablement difficile à apprendre et aussi à écrire, un moment la narratrice se demande si cette langue ne fera pas un jour partie des langues qui vont disparaître.

La façon dont l’auteure construit son intrigue me plaît beaucoup. Car il s’agit bien d’un roman et pas d’un essai sur la traduction ou la langue islandaise, cela sert d’arrière plan à son intrigue qui est comme une esquisse posée sur un décor. Et quel décor ! pour des raisons que nous comprendrons peu à peu, Alba a acheté une maison isolée dans la campagne islandaise, elle décide d’y planter des arbres. Dans le petit village qui est à côté de chez elle, elle découvre un épicier incroyable qui l’aide à trouver des artisans pour remettre sa maison en état. Grâce à lui, elle découvrira une famille d’émigrés qui a bien du mal à s’adapter à la rudesse du climat islandais. Un adolescent jouera un rôle important dans ce roman, il permet au lecteur de comprendre à quel point il est difficile pour des gens qui viennent de pays ensoleillés de se plaire en Islande, quant à la langue c’est un véritable casse-tête. Alba va mettre ses compétences aux services des émigrés qui ne parlent pas la langue et des liens plus forts vont se tisser avec Danyel l’adolescent qui fait tout pour rester dans ce pays qu’il ne veut plus quitter.

Et il y a aussi son père qui est une présence si affectueuse pour sa fille et qui grâce à son meilleur ami qui est un amoureux des arbres aide sa fille dans le choix des arbres à planter, dans sa propriété ? Et il y a sa sœur, qui commence toutes ses phrases par « Et » .
Et moi ? je ne vous ai encore rien dit de l’intrigue, Alba, a eu une relation d’un étudiant dont elle dirigeait la thèse . Cet étudiant a écrit un recueil de poèmes racontant son amour désespéré, on se rend compte que c’est pour cela qu’Alba a démissionné de son poste à l’université.

Tout me plaît dans ce roman, l’arrière plan linguistique, la description de la nature mais par dessus tout la richesse des personnages, son père, l’ami de son père, l’épicier du village, son voisin qui ne sera pas un allier pour elle et j’allais oublier l’incroyable humour de l’auteure. J’aime aussi la façon dont elle parle des gens sans donner l’impression de les juger , et de ne pas faire son intrigue le centre même de son récit, c’est un peu comme si elle nous offrait une super balade dans ce pays qui est aujourd’hui une des destination préférée des touristes français .

Mais lisez aussi l’avis de Géraldine qui n’a pas aimé du tout.

 

Extraits

Début.

Iss
L’avion s’élance sur la piste et décolle, la tête penchée vers le hublot, j’aperçois une femme qui sort de son domicile en banlieue et pousse vers la voiture ses deux enfants chargés de leurs cartables, elle est étonnamment proche, étonnamment nette, puis l’appareil s’élève à grande vitesse dans les airs et tout rapetisse, je vois le sol soigneusement quadrillé et la ville en contrebas qui se mue en un chapelet de lumières scintillantes.

Les colloques des linguistes.

« Quel est le nombre minimum de locuteurs nécessaires pour sauver une langue et quel en est le coût ? (Ce sont des sujets que nous abordons à chacun de nos colloques sans jamais parvenir à la moindre conclusion).

Une linguiste cherche à acheter une maison.

Je ralentis à la vue de deux perdrix des neiges immaculées sur l’accotement. « Berangur » est le premier mot qui me vient à l’esprit pour qualifier ce lieu désolé où l’on est à découvert, et comme la pensée fonctionne par association, je pense aux adjectifs « berskjaldaďur », vulnérable, et « ber » nu.

La vie dans un village d’Islande.

C’est par la boulangerie qu’on accède à la supérette de Karla Dis dont un coin est occupé par l’agence bancaire où la caissière tricote, sur sa chaise, derrière une paroi en verre. Le motif qu’elle réalise semble identique à celui des productions artisanales locales et des chandails vendus à l’épicerie, des chevaux qui piaffent. Je suppose qu’elle tricote lorsqu’il n’y a pas de clients à la banque et qu’elle s’occupe ensuite de vendre ses ouvrages dans la boutique.

De l’autre côté de la rue, un magasin de la Croix-Rouge pique ma curiosité. Il est « Fermé » comme l’indique le panneau lumineux qui clignote au-dessus de la porte. À en juger par la vitrine, c’est à la fois une brocante, une librairie d’occasion et une feuille d’occasion et une boutique de vêtements de seconde main. Une feuille scotchée sur la porte mentionne qu’il est ouvert le mercredi et que :  » Nous prenons TOUT ce dont vous souhaitez vous débarrasser, lampadaires, images d’anges, vases, commodes, services à café, robes, livres … »

Le silence et les Islandais.

Un des programmes les plus écoutés à la Radio nationale est l’interruption des émissions, les quinze minutes de silence qui précédent l’office de dix-huit heures à la cathédrale le 24 décembre. 

La ponctuation.

Je me demande tout de même parfois si l’auteur n’a pas oublié des virgules ou si c’est un choix stylistique délibéré. Pourquoi recourir à la virgule ? L’enseignante en moi répondrait : pour sortir de sa torpeur et respirer. Regarder autour de soi. Décider de la prochaine étape du voyage.

Je suis toujours ravie de lire ce genre de faits sur les langues.

 Autrefois les femmes de la province de Jiangyong dans le sud de la Chine parlaient entre elles le « nüshu », une langue comprise d’elles seules, hermétique pour les pères, les époux et les fils. Cet idiome s’écrivait en vers, sept idéogrammes par ligne, parfois proches de maximes telles « Qui a une sœur à ses côtés ne saurait désespérer ».

Apprendre l’islandais.

J’hésite à lui signaler que je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée d’enseigner à des gens qui ont fui leur pays dévasté par la guerre, et qui rêvent pour la plupart de vivre ailleurs, une langue minoritaire dotée d’un système complexe de déclinaisons et de conjugaisons, une langue où « comprendre » quelqu’un et « divorcer » s’expriment en recouvrant au même verbe -« skilja »- , une langue qui n’est parlée que dans le troisième pays le plus venteux de la planète.

Les poèmes des réfugiés .

J’ai emporté 
une bouteille d’eau 
et mon téléphone
la mer est salée comme des larmes.
(D16 ans)
J’ai emporté 
l’essentiel 
une bouteille d’eau 
mon téléphone 
j’abandonne 
ma maison 
la tombe de maman 
mon chat
le poirier du jardin
la mer est salée comme les larmes 
(Version corrigée par l’éditeur)

 

 

Édition du seuil, 281 pages, aout 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Pour ce roman, j’ai fait ce que je m’étais promis de ne jamais faire : abandonner la lecture ! Si je le mets sur Luocine, c’est que j’espère que l’un ou l’une d’entre vous l’avez lu et que vous viendrez m’expliquer qu’il est beaucoup mieux que ce que je vais en dire.

Cette écrivaine tenait un bon sujet de roman : une famille rom vivait en Roumanie dans un delta, fait de lac et de nature sauvage. Malheureusement pour eux , cet endroit est très proche de Bucarest et le gouvernement décide d’en faire une réserve naturelle et chasse cette famille.
Voilà le sujet, la belle nature sauvage, les pauvres roms, chassés de leur habitat pour plaire à des riches touristes
J’i trop senti dès le départ la démonstration , et puis pas de chance pour moi Corinne Royer est aussi une poétesse et s’exprime en vers qui m’ont laissée totalement indifférente.
Bref j’ai calé, ça m’arrive, je serai ravie de lire que je me suis trompée et que je suis passée à côté d’un roman qui a intéressé quelqu’un !

Extraits

Début

 De loin, on aurait pu croire que c’était un chien. Une masse sombre. Une tête émergeant au ras de l’eau, mais pas une tête entière, seulement un crâne, ou plus exactement l’arrière d’un crâne couvert d’une toison noire ; et la toison noire flottait sur un large cercle tronqué par les courants et elle paraissait démesurée par rapport à la taille du crâne.
 Un chien donc. Voilà tout ce qu’on voyait.

L’instruction et leur père

 Les connaissances que tante Marta lui avait enseignées, la géographie, les mathématiques, le français, l’histoire et les ravages du communisme considérés comme une matière à part entière, il en avait à son tour instruit ses frères et sa sœur, malgré la désapprobation du père affirmant que les foutaise écrites dans les livres allaient leur raboter le cerveau de la même façon qu’une varlope sur une planche vermoulue. On pourra allumer le poêle avec les copeaux de votre cervelle ! disait-il. La menace avait longtemps effrayé Naya.

La réserve naturelle

 Elle avait ajouté qu’en tout temps et partout on avait créé des réserves naturelles au détriment des indigènes qui y vivaient. Marta avait donné pour exemple parc national de Kaziranga, en Inde, où les habitants avaient été expulsés ; ceux qui se déplaçaient encore dans le parc pour cultiver la terre ou chasser du petit gibier s’exposaient au tir à vue, et plus d’une centaine de paysans étaient tombés sous des balles des gardes.
 C’est comme ça, avait dit tante Marta on ferme les yeux aux pauvres pour donner à voir aux touristes !

L’expression poétique.

C’est l’hiver.
Nous partons.
Si loin.
ÇA ne peut-être que l’hiver.
Le tremblement sous mes pieds
court jusque dans mes doigts
et ma salive est comme une pâte
épaisse sur la langue.
Goût amer.
Sang dans la bouche, chaud
comme une lave.
(et ça continue sur 10 pages !)

 


Édition Albin Michel . Traduit de l’allemand Dominique Autrand

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Les enfants font naître en toi des sentiments et puis ils s’en vont et te laissent en plan avec tes sentiments 

Un roman très surprenant : je pourrai écrire deux billets différents, je vais commencer par le positif. Je suis partie ailleurs grâce à cette écrivaine et jamais un pays ne m’a semblé plus étranger dans un roman (sauf peut-être le Japon). Elle raconte le parcours d’une femme de cinquante ans qui décide d’aller vivre sur la mer baltique au nord de l’Allemagne. Elle a laissé dans sa ville son mari, Otis, avec qui elle reste en contact, sa fille Ann est partie dans un grand voyage à travers le monde.

Nous sommes dans un pays de Landes, de vent et de paysages infinis. De gens tristes et porteurs de déséquilibres qui les empêchent de bien vivre habitent cet endroit (sans doute la Frise). Son frère qu’elle appelle « un imposteur » est tombé amoureux d’une jeune fille de 20 ans alors que, lui, en a 58. Cette fille est complètement déjantée et lui totalement amoureux ce qu’il n’a jamais été auparavant. Le personnage principal, va commencer une relation avec l’éleveur de 1000 porcs. Alrid est le frère de Mimi une femme fantasque qui sera la relation amicale de la narratrice. Cette Mimi se sent libre de ses choix de vie et elle permet à la narratrice de s’adapter à cet étrange pays .

Le talent de cette auteure c’est de nous embarquer dans un monde étrange de gens habités par des histoires très tristes.

 

J’aurais pu aussi écrire un tout autre billet. Dans un beau décor bien décrit, un monde de vent et de paysages très ouverts sur le grand large , des gens tous plus bizarres les uns que les autres se baladent sans que l’on comprenne bien leurs relations. La narratrice a bien fait de laisser son mari qui remplit son appartement d’objets les plus divers au point de ne garder qu’un lit pour pouvoir dormir. Leur fille Ann ne s’est pas trompée, elle a fui ce couple mortifère. La narratrice a été employée dans une usine de cigarettes, ce qui lui permettait de fumer gratuitement en volant des cigarettes. Elle a été marquée par une proposition de magicien qui voulait la découper tous les soirs dans une boite sur une scène de spectacle. La boîte, on la retrouve avec la petite amie de son frère : elle y aurait été enfermée par une mère maltraitante. Dans une scène de beuverie, on verra la narratrice faire une fellation à l’éleveur de porcs sous les yeux de Mimi sa sœur. Mimi qui se ballade toute nue, soit pour se baigner dans les eaux marronasses du port soit dans son jardin. Elle racontera à la narratrice une horrible histoire mythique d’Ondine violée et massacrée par les gens du village.

On ne comprend jamais la nature des liens des gens entre eux, c’est difficile d’admettre que cette fille de la ville ait une relation avec un éleveur de porcs d’une porcherie industrielle, peut être parce qu’il sait installer des pièges pour attraper une fouine qui l’empêchait de dormir, dans un geste que je n’arrive pas à comprendre elle finira par fermer le piège et le rendre inutilisable , il est vrai qu’elle n’avait attrapé qu’un merle et un chat Son frère semble vraiment amoureux mais d’une fille totalement barge.

Bref trop de bizarreries et aucune explication pour comprendre tous ces gens fou-dingos. Lors de la séance de notre club de lectures deux lectrices ont exprimé leur dégoût total de ce roman, elles ont tout trouvé « laid » c’était leur mot surtout les personnages et elles n’ont même pas été sensibles aux paysages. De plus elles ont souligné les maladresses de style : la répétition des « il me dit …je lui ai dit .. « , que je n’avais pas vraiment repérée.

 

 

Extraits

Début.

 Cet été là, il y a presque trente ans, j’habitais dans l’ouest et très loin de l’eau. J’avais un studio dans les nouveaux quartiers d’une ville moyenne et un travail dans une usine de cigarettes. Le travail était simple, je devais veiller à ce que la tige de tabac se présente bien dans l’axe du module de découpe, c’est tout ; en fait la machine le faisait, elle avait un capteur, la tige de tabac passait en ronronnant et quand elle n’était pas dans l’axe la machine s’arrêtait.

Son lieu de vie aujourd’hui.

 J’ai loué une maison à l’extérieur du village. Elle est isolée, elle est délabré et minuscule, dans une rue non pavée, sablonneuse, qui se termine dans le polder. Devant la maison s’étendent des champs et des pâturages jusqu’à l’horizon, derrière coule un étroit cours d’eau. Un canal. Le canal achemine l’eau de l’intérieur du pays vers le polder, du polder elle rejoint la mer, l’eau est brunâtre et vaseuse, mais il y a toutes sortes d’oiseaux dans les roseaux, il y a des foulques des rats musqués et des libellules

Portrait de son frère.

 Autant que je sache, mon frère ne s’était jamais vraiment intéressée à quoi que ce soit de toute sa vie, il ne s’était jamais investi dans rien, n’avait rien appris, ne savait à peu près rien faire. C’était un imposteur, il était très douée pour faire semblant de savoir tout faire, et la restauration semblait une bonne solution dans ce cas de figure

Son ex mari accumulateur d’objets .

Pourtant il continue à accumuler. De temps en temps il vend ou il donne tel ou tel objet, mais il en trouve beaucoup plus qu’il n’en cède. Il sait exactement ce qu’ils possède. Si tu lui demandes une lampe de poche, ça prendra du temps, mais tu l’auras. Avec des piles, intacte et en état de marche. Si tu lui demandes une bâche pour un bateau, il te la sort de sous son matelas. Tu as besoin d’une canne à pêche. Une hache. Une lampe à pétrole. Une seringue à insuline, une trousse de secours, une boussole et un livre où on dit quels champignons sont comestibles ou pas. Une carte géographique. Du bois de chauffage. Tout ça. Otis l’a, et il te le donne. Et pourtant me dis-je cette accumulation est l’expression du chagrin, et il regarde passer la vie

 

Se baigner en mer baltique.

 Mini me précède à grands pas, elle a hâte d’atteindre l’eau. Elle va nager dans le bassin portuaire à partir du môle, elle dit qu’enfant déjà elle nageait dans le port. En mer il n’y a pas assez de profondeur à son goût, il faut patauger un quart d’heure pour avoir de l’eau au niveau du genou à marée haute.

Élevage de porcs.

Les centaines de cochons dans des box, sur un sol en caillebotis nus et clignant des yeux, ils sont couchés les uns sur les autres, trébuchent les uns sur les autres, grimpent dans les mangeoires, se jettent contre les barreaux en acier des enclos. Des paniers métalliques oscillent au dessus des box. Les cochons sont tous absolument identiques, curieusement on ne dirait pas des cochons c’est qu’il y en a beaucoup trop. Presque tous nous regardent. Nombre d’entre eux n’ont plus de queue, leur dos et leurs flancs sont couverts de griffures, un cochon gît tout seul dans un coin, ses courtes pattes écartées, impossible de voir s »ils respirent. La lumière excite les autres leurs cris stridents enflent, le son est atroce.

Fête chez les parents d’anciens paysans.

Onno est assis en face de nous. Il est nettement plus aimable qu’Alrid, carrément ouvert en comparaison, il est débonnaire. Il a un appareil auditif dans l’oreille gauche, il y porte fréquemment la main, tourne la molette, je le soupçonne de couper le son quand il en a marre.
Il me tend sa grande main chaude par-dessus la table.
Une amie de Mimi est venue aussi, c’est bien.
Ce n’est encore jamais arrivé, explique Alrid. Une amie de Mimi, c’est inhabituel, les amitiés c’est pas trop notre truc dans la famille.

 

 

 


Édition Points, 230 pages, 2019/2022.

Quand j’avais chroniqué Tiotha-Ke du même auteur vous aviez été nombreuses à me dire que vous aviez beaucoup aimé Kukum. Alors, je l’ai lu et comme Eva (parmi d’autres avis positifs) j’ai adoré ce roman.

Michel Jean est un indien Innu et il aime raconter ses origines, dans ce roman il raconte la vie de sa grand-mère. Son destin est incroyable, jeune orpheline irlandaise, elle a été élevée par de pauvres paysans du Québec qui, malgré un labeur de tous les instants, arrivaient juste à survivre. Un jeune indien croise sa route, elle comprend immédiatement qu’elle préfère la vie libre des Innus au labeur ingrat de la ferme. Commence alors la première partie du roman , la plus longue et la plus belle, la vie dans une nature rude mais si belle. Almanda et Thomas seront heureux et pensent pouvoir transmettre ce bonheur à leurs enfants. Seulement les hommes d’une autre civilisation, celle que l’on appelle » la civilisation du progrès » prend possession de leurs terres.

Cette seconde partie est tellement triste, on voit le pays se transformer et surtout la sédentarisation forcée des Indiens. Les ancêtres n’ayant plus rien à transmettre à leurs enfants, l’alcool et le désespoir vont leur ôter la fierté d’hommes sachant vivre dans la nature. Le pire arrivera quand le gouvernement leur enlèvera leurs enfants pour les « éduquer » dans des institutions religieuses. Tout est fait pour détruire leur culture et leur mode de vie, mais aussi leur nombre. Des enfants qui ne parlent plus la langue de leurs parents n’auront pas envie de vivre avec eux, et s’ils épousent un « non-indien » : il n’a plus le droit d’habiter dans la réserve.

Cet auteur est étonnant, car il écrit de façon très douce les pires horreurs et cela ne leur enlève pas leur gravité au contraire. La détermination de sa grand-mère est admirable, elle a réussi à rencontrer le premier ministre pour qu’il fasse construire des trottoirs dans leur ville où des enfants mouraient écraser par des voitures ou des camions faute de pouvoir se mettre à l’abri. Mais elle sera aussi bien malheureuse le jour elle viendra voir sa fille et ses petits enfants qui habitent dans un immeuble moderne. Ils ont planté leur tente face au bâtiment et tout le monde s’est moqué d’eux. Elle pense alors aux moqueries que ses petits enfants ont dû supporter.

Un très beau roman que je conseille à ceux et celles qui ne l’ont pas encore lu.

 

Extraits

Début.

Une mer au milieu des arbres. De l’eau à perte de vue, grise ou bleu selon les humeurs du ciel, traversée de courants glacés. Ce lac est à la fois beau et effrayant. Démesuré. Et la vie y est aussi fragile qu’ardente. le soleil monte dans la brume du matin, mais le sable reste encore imprégné de la fraîcheur de la nuit. Depuis combien de temps suis-je assise face à Pekuami ?

La chasse et l’amour.

Cette perpétuelle quête avait quelque chose de grisant. Il est difficile de deviner si un endroit est propice à la trappe. Il faut tenter sa chance et espérer. J’ai appris pendant ces semaines de grande chasse avec Thomas à ménager mon énergie et à poser toutes sortes de pièges. Nous vivions en symbiose et chaque soir nous nous retrouvions dans la tente. Il y avait une forme de candeur dans cet amour pourtant cela ne l’a pas empêché de durer.

Un choix de vie libre.

 Il m’arrivait encore de penser de temps en temps à ma tante et à mon oncle. Chaque heure du jour, où que je sois, quoi que je fasse, je savais où ils étaient et ce qu’ils faisaient. En choisissant la vie en territoire, j’avais choisi la liberté. Certes celle-ci avait un coût et entraînait des responsabilités envers les membres de son clan. Mais j’avais enfin le sentiment de vivre sans chaînes.

Début de la déforestation.

Quand nous tombions sur une coupe à blanc, Thomas, d’ordinaire si calme, semportait.
– Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c’est toute la vie qu’ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent même l’esprit de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ?
Thomas avait raison. Mais son raisonnement était celui d’un Innu qui sait qu’il reviendra toujours sur ses pas. Le bûcheron, lui, marche droit devant sans regarder derrière. Il suit le progrès.

Changement de vie.

Coupés du territoire, nous avons dû apprendre à vivre autrement. Passer directement d’une vie de mouvement à une existence sédentaire. Nous n’avons pas su comment faire et, encore aujourd’hui on ne sait pas toujours. L’ennui s’est infiltré et a distillé son amertume dans les âmes. Ceux qui avaient des maisons s’y sont enfermés, les autres ont monté leurs tentes devant le lac. Le premier hiver à Pointe-Bleue à été terrible. Le vent survolait la surface gelée et s’engouffrait dans le village de cabanes et de tentes. Le gouvernement a distribué des subsides aux familles pour leur permettre de vivre. Nous serions morts de faim, car il n’y avait pas assez de gibier autour de la réserve pour tout le monde. Les Innus sont passés de l’autonomie à la dépendance. Nous n’en sommes jamais tout à fait sortis.

J’aime bien ce mot.

L’eau de la rivière puait la pulpe de l’usine de papier, où François- Xavier, le mari de Jeannette travaillait. Cela lui rapportait un bon salaire et lui permettrait de nourrir sa famille. Jeannette rêvait de quitter son édifice à logements.

La visite chez sa fille qui ne vit pas dans la réserve .

 La rumeur de notre présence s’était répandue comme une traînée de poudre. Les voisins sortaient la tête des fenêtres. D’autres habitants plus loin venaient en auto. Toute la ville voulait voir les sauvages. Les curieux commentaient nos vêtements, qu’ils trouvaient étranges, nos cheveux longs, nos tentes. Nos manières réservées passaient pour farouches leur méfiance nous effrayait. La couleur de nos peaux tranchait trop avec la blancheur de cette ville.
 Nous sommes repartis le matin à l’aube. Ce qui m’a brisé le cœur, ce ne sont pas ces regards ombrageux – je n’en avais que faire. Mais le malaise des enfants de Jeannette devant cette famille embarrassante m’a chavirée. Je le comprenais et c’est ce qui me faisait le plus mal. Après notre départ, ces enfants devraient vivre avec les quolibets et les moqueries. Même en ville ce n’était pas facile d’être inquiet.


Édition Québec Amérique, 183 pages, février 2024

 

« Le roitelet » et « le jour des corneilles » font partie de mes meilleures lectures de l’an dernier, j’ai reçu ce livre en cadeau et je l’ai lu avec tristesse et aussi un grand plaisir de la langue.

La tristesse vient du thème même de ce roman, six enfants et leur père vont accompagner la fin de la vie de leur mère atteinte d’un cancer dont elle ne peut pas guérir. La présence de plus en plus forte du cancer qui mine toutes les forces de leur mère imprègne tous le texte. Le bonheur que l’on sent quand même surtout grâce à l’amour qui relie tous les membres de cette famille et aussi leur voisin la ferme Bertin, mais aussi grâce à l’observation de la nature, du ciel la nuit, des fleurs dans les jardins, des animaux …

Souvent l’écrivain commence ses courts chapitres par un évènement qui fait l’actualité et cela recentre le récit dans la réalité, beaucoup de chansons aussi qui étaient les grands succès de l’époque. Mais ce qui fait tout le charme des récits de cet auteur c’est son style entre poésie et philosophie .

Bien sûr, c’est un très beau livre mais qui m’a aussi envahie de tristesse, et j’ai eu aussi un peu de réserves sur le caractère des enfants. Ils sont trop uniquement gentils . Je pense qu’il ne faut pas lire ce livre d’une traite mais plutôt lire et relire les chapitres qui sont comme des poèmes qui correspondent à notre sensibilité. La langue de cet auteur ne me laisse jamais indifférente.

 

Extraits

 

Début : le premier chapitre.

Un matin de l’été mille-neuf-cent-soixante-cinq, peu après le passage de la benne à ordures, la verroterie des dernières étoiles a cessé de scintiller et la nuit noire du monde a majestueusement cédé sa place aux rayons poétiques et très anciens du soleil. À peine plus tard, le jardin jouxtant la remise avec ses zinnias aussi colorés que des oiseaux, s’est avancé de quelques pieds, le ciel a pivoté sur lui-même dans un petit bruit d’essieu puis j’ai installé en plein milieu de l’allée la vieille caisse à oranges descendue du grenier. Alors, Enzo, le plus vieux de la famille (onze ans) est monté dessus et a lu pour nous son discours très émouvant, écrit très phonétiquement, sur la beauté des êtres et des choses. Ensuite la vie a passé durant quelques heures et nous avons attendu, petits enfants frétillants et attendris que quelques nouvelles fraîches nous parviennent. Finalement le téléphone a sonné et, quand Enzo a décroché, nous nous sommes agglutinés tous les cinq autour du combiné, c’était papa qui de l’hôpital nous annonçait que notre petit frère Zénon, le dernier d’entre nous, venait de naître. À présent que nous étions enfin tous réunis, notre histoire pouvait commencer.

La joie.

 J’entends encore, des décennies plus tard papa répéter cette phrase pour moi si réjouissante,témoignant d’une profonde compréhension de la vie humaine :  » Il y a l’art, mais attention, il y a la rigolade aussi ! ».

Mélange de l’histoire et de la tragédie familiale.

 En octobre, les gens du Front de Libération du Québec ont kidnappé l’attaché commercial du Royaume-Uni, James Richard Cross, et le ministre provincial du Travail Pierre Laporte. Le matin où monsieur Laporte a été retrouvé mort dans le coffre d’une auto, les globules rouges dans les veines de maman ont atteint pour la première fois un taux si bas que l’anémie s’est mise de la partie, et alors en quelques heures à peine notre mère est devenue d’une pâleur franchement effrayante. Nous étions autour d’elle comme des lampions, pleins d’une matière combustible avec une mèche pour jeter si possible un peu de lumière et de chaleur sur ce visage tout à coup si spectrale.

Chapitre 31 : aggravation du cancer et les chansons de l’époque .

 Au début du mois de septembre mille-neuf-cent-soixante-et-onze René Simard a fait paraître à l’âge de dix ans son disque « l’oiseau » et tout le monde est devenu fou de lui. Nous écoutions nous aussi « l’oiseau, Santa Lucia, et Ange de mon berceau » en boucle à la maison, mais notre entrée dans le fan club a été ratée parce qu’en août maman était arrivé dans la phase de crise blastique du cancer, chose qui nous coupait l’envie de chanter et de célébrer. Qu’est-ce que la phase blastique ? Voici la réponse de papa, formulée dans l’atelier, où nous avons été conviés à soir après qu’il eut mis maman au lit. « C’est en gros l’étape où tout se détraque. Les cellules dysfonctionnelles se multiplient, les globules rouges et les plaquettes diminuent drastiquement. Votre mère pour cette raison développe depuis un mois infection par dessus infection, elle saigne pour un rien, éprouve une immense fatigue elle a le souffle court, des maux d’estomac à cause de la rate qui enfle, des douleurs aux os. »

Le style .

 Je crois que ce que maman aimait particulièrement, c’était cette façon bien à lui qu’avait le fermier Bertin de se souvenir des gens ordinaires, et d’accueillir leurs pensées dans le grand palais vert de son esprit, où se mêlaient, aurait-on dit, les nénuphars de l’avenir et les lianes de la mémoire. En esquissant son faible sourire si tendre, elle disait toujours : « il s’émerveille pour un rien : la lune qui se déplace si méthodiquement au ciel, le vent léger qui fait se pencher les herbes des collines, les haricots qui poussent à l’ombre. C’est merveilleux. »

Après…

 Ça se passait au milieu d’un siècle voisin et cependant très différent de celui-ci, en un temps où il leur semblait plus important que jamais de s’intéresser à ces trucs démodés : la gentillesse, la hauteur de vue, l’humanisme. Ils songeaient à leur vie avec humour, ils s’appuyaient fermement sur leur passé, ils traversaient le temps présent en lisant un vieux traité de sagesse pour se donner du courage, ils croyaient en l’avenir, ils aimaient beaucoup se parler des évènements qui les avaient influencés, de ceux qu’ils provoquaient pour faire encore un peu dévier leurs destins, des vies qui n’avaient pas vécues.