Jorj Chalandon est un habitué sur Luocine avec parfois d’excellent romans et parfois des déceptions.

Retour à Killiberg, le Quatrième Mur, Profession du père, sont pour moi de grands romans , un peu déçue par Le jour d’avant, et un petit flop par La Légende de nos pères, celui-ci rejoint mes préférences . Le sujet était particulièrement compliqué, Sorj Chalendon est journaliste et doit couvrir le procès Barbie en 1987 à Lyon où habite son père qui lui demande un passe droit pour suivre ce procès. C’est aussi l’occasion de rouvrir le dossier de son père qui a passé son temps à mentir à son fils sur son passé pendant la deuxième guerre . A-t-il été résistant ? Soldat SS ? Engagé dans la division Charlemagne ? a-t-il suivi les divisions allemandes pour lutter contre le communisme ? Son attitude lors du procès de Barbie est tellement désagréable, que son fils part à la recherche du procès pendant lequel son père a été condamné à un an de prison et à cinq ans d’indignité nationale.

Le roman débute par la visite du journaliste à Izieu, il visite cette colonie de vacances où des enfants juifs étaient cachés et semblaient en sécurité, ces pages sont d’une intensité rare et l’écrivain sait rendre ces enfants présents dans nos mémoires. Ce sera aussi un des moments les plus émouvants du procès.

Son père se comporte comme à son habitude, méprisant et bernant toutes les autorités : il se fait passer pour un héros de la résistance et obtient une place au procès car il veut absolument voir Barbie. Il méprise tous les témoignages des gens qui selon lui, ne sont bons qu’à pleurnicher. En revanche Barbie et Vergès lui plaisent bien ainsi que Klarsfeld car ces hommes lui semblent être d’une autre trempe. Son fils est excédé par son attitude et essaie de le confronter à son passé car il a pu obtenir le dossier judiciaire de son père grâce auquel il espère enfin le confronter à la réalité.

Les deux histoires se développent au rythme du procès officiel de Klaus Barbie, celui de son père est plus embrouillé mais implacable contre les mensonges de celui qui a gâché son enfance. Le procès de Barbie, ne permet pas d’obtenir la moindre repentance du bourreau de Lyon, mais la succession des témoignages de ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de ses actes est à peu près insoutenables. Cela fait sourire son père , il ne voit le plus souvent qu’une machination d’une justice qui de toute façon condamnera Barbie. Son fils est écœuré, les bravades et rodomontades de son père ne l’ont jamais fait rire quand il était enfant, mais la différence c’est qu’il n’en a plus peur. La dernière scène est terrible laisser ce vieil homme face à toutes ses lâchetés lui qui s’est toujours présenté comme un héros sent la catastrophe possible. Le roman se termine là face à la Saône que son père veut traverser à la nage mais l’auteur tient à nous préciser que finalement son père est mort en 2014, Barbie en 1991 et que lui même a obtenu le dossier de son père en 2020. Donc ce livre est bien une fiction et pas une autobiographie, ce qui ne lui enlève aucune valeur à mes yeux, je dirai bien au contraire.

 

Citations

 

Conversation avec son grand-père qui donnera le titre à ce livre.

– Ton père, je l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour.
À l’école primaire, pendant un trimestre, mon père m’avait obligé à porter la Lederhose la culotte de peau bavaroise, avec des chaussettes brunes montées jusqu’à la saignée des genoux. C’était peut-être ça, habillé en Allemands ? 
-Arrête donc avec ça ! a coupé ma marraine. 
Mon grand-père a haussé les épaules et rangé la pelle le long de la cuisinière. 
-Et quoi ? il faudra bien qu’il apprenne à jour ! 
– Mais qu’il apprenne quoi, mon Dieu, c’est un enfant ! 
– Justement C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! 
C’était en 1962, et j’avais dix ans.

Petite Remarque sur la personnalité de son père.

 Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Le personnage son père

 -Mon père a été SS. 
J’ai revu mon père, celui de mon enfance, son ombre menaçante qui n’avait jamais eu pour moi d’autres mains que ses poings. Depuis toujours mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tous vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. Qui se moquait de ceux qui n était pas lui. Qui les cassait par ces mêmes mots :
– Je suis bien placé pour le savoir !

La repentance qui ne vient pas.

 Il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaître la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la réalité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais.

18 Thoughts on “Enfant de salaud – Sorj CHALANDON

  1. J’adore Sorj Chalandon ! Avec parfois, des petites déceptions. Mais son écriture est tellement puissante…
    Ce livre, je l’ai emprunté, l’ai rendu sans le lire. Je le réemprunterai. Ta dernière phrase me rassure…

    • Tu le liras donc un jour et tu retrouveras avec plaisir son écriture, au service d’une recherche sur le passé de son père qui a tant détruit l’enfance de cet auteur.

  2. Ce n’est pas le genre de lecture qui me tente. Le passage de l’auteur à la Grande Librairie ne m’avait pas convaincue. J’ai eu l’impression qu’il courait encore derrière la reconnaissance de son père.

  3. J’ai presque tout lu de cet auteur que j’adore, j’ai beaucoup aimé celui-ci mais il était très éprouvant à lire, il me fallait faire des pauses régulières.

  4. Ce père m’avait tellement « hérissée » dans Profession du père que j’ai hésité à la sortie de celui-ci, mais je le lirai, c’est sûr !
    Mon préféré reste Le quatrième mur, et j’ai une certaine tendresse pour Le petit Bonzi et bien aimé Mon traître…

    • je suis d’accord pour le « quatrième mur » mi j’ai bien aimé aussi « retour à Killiberg »
      celui là m’ a beaucoup plu pourtant j’ai beaucoup de réserves d’habitude pour les autofictions

  5. keisha on 14 mars 2022 at 09:41 said:

    Jamais lu cet auteur, crainte sans doute du mélange réalité et fiction. Mais o na pris un bus ensemble (avec d’autres ^_^) lors d’un salon, et il est absolument fascinant à écouter!

    • Madame prend son bus avec Sorj Chalandon … excusez du peu! (je blague) si tu n’aimes pas les auto-fictions ce que je peux comprendre lis le « quatrième mur » ou ses livres sur l’Irlande.

  6. Comme Keisha, je ne connais pas cet auteur, et je dois dire qu’il ne me tente pas vraiment, malgré ton enthousiasme..

    • il a une palette très large entre ses livres inspirés par les guerres qu’il a suivies en tant que journaliste et son enfance , tu as le choix mais … comme on ne peut jamais tout lire, va où tes intérêts te portent!

  7. J’ai été touchée par le procès et le rapport du père au fils, mais j’ai trouvé qu’il y avait quelques longueurs.

  8. pas envie de lire ce livre, depuis le passage de Chalandon à LGL où j’ai eu l’impression que tout avait été dit sur le roman. et puis quelque part, je suis lassée de la colère à fleur de peau et perpétuelle de l’auteur

  9. J’ai tout lu de l’auteur (que j’adore!) et n’ai pas aimé ses deux derniers… Celui-ci, je suis restée en dehors tout le long, l’impression qu’il avait des comptes à régler et que ça ne me regardait pas. Non, vraiment.

    • C’est le problème quand on raconte sa vie avec un tel père, je ne peux pas expliquer pourquoi j’aime ses romans alors que souvent j’ai la même réaction que toi pour d’autres auteurs.

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