Édition ACTES SUD . Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

Je ne sais plus comment ce roman est arrivé chez moi, peut-être l’ai-je trouvé dans une brocante. Et, hélas pour moi, je ne me souvenais pas non plus que j’avais dit à Kathel que ce roman ne m’attirait pas plus que ça. J’ai vraiment peiné à le lire et je n’ai pas compris grand chose à ce que veut nous expliquer cette auteure. Le résumé est simple, un homme photographe publicitaire recueil un petit animal que des voyous essaient de tuer à coups de pied en bas de son immeuble. Cet animal est en réalité un troll auquel Ange va s’attacher et essayer de sauver. Cela nous vaut des digressions sur les légendes autour des trolls qui tentent à prouver l’existence de ces étranges créatures. Aucune réflexion sur les croyances et ce qu’elles représentent dans la mentalité des peuples qui croient à ces créatures. Par exemple en Bretagne, il existe de nombreuses légendes autour des fontaines, les Groac’h , les sorcières peuvent entraîner les imprudents dans l’eau, je pense que bien des accidents ont été évités lorsque les enfants couraient librement dans les campagnes. S’approcher de l’eau reste un danger et le petit enfant est sensible à ce genre d’histoires. Est-ce la même chose avec les trolls finnois. On n’en saura rien dans ce roman. Je me suis même demandé si ce n’était pas plutôt une analyse de l’homosexualité car il s’agit surtout de cela du désir sexuel entre hommes. Une mauvaise pioche pour moi, mais lisez vite l’avis de Kathel, de Keisha qui peuvent complètement vous faire oublier le mien.

Citations

Rapport sexuel avec un troll

La porte grince, Pessi sort de la salle de bain l’air repu et content, sa petite langue rouge pourlèche ses babines telle une flamme. Il bondit droit dans mes bras sur le canapé et se pelotonne sur mes genoux. Son enivrante odeur de baies de genièvre me monte aux narines et son poids chaud sur mes cuisses, rayonnant de l’excitation de la chasse, est à peine supportable. Pessi nettoie paresseusement le sang des commissures de ses lèvres et, sans vraiment savoir ce que je fais, je le tire un peu plus près de moi, à peine et tout doucement et au moment où sont au chaud touche mon ventre, j’explose tel un volcan. 

Mon cœur bat aussi vite et fort qu’un marteau-piqueur. Le dos de Pessi est taché de sperme, comme mes cuisses, et j’essaie de toutes mes forces de ne pas penser à ce qui vient de se passer. Instinctivement, j’éloigne le fragile bouquin jauni et, au même moment, Pessi s’écarte un peu, pas par irritation mais par commodité, il n’a pas fini sa toilette, et je le repousse de mes genoux d’un geste si soudain, presque violent, qu’il prend peur, file dans l’entrée et cherche à grimper sur le porte chapeau. Ses puissantes pattes de derrière battent l’air et heurtent le cadre du miroir, qui tombe avec un bruit sourd sur l’épais tapis au moment où je me rue dans la salle de bain pour laver le liquide honteux.

 

Édition Gallimard NRF (du monde entier)

Traduit de l’italien par Danièle Valin

 

Quand j’ai chroniqué « le poids du Papillon » Dominique m’avait conseillé de lire ce roman. Comme elle, j’ai parfois des lectures moins enthousiastes de cet auteur par exemple « le jour avant le bonheur » et même « le tort du soldat » m’avaient moins convaincue que ces deux derniers romans. Encore un coup de cœur pour celui-ci. Un des sujets du roman c’est le travail du « passeur » artisan (il refuserait le titre d’artiste) qui doit « exposer la nature » du christ c’est à dire son sexe. Oui, j’ai appris grâce à ce roman que les crucifiés étaient nus sur leur croix. Il existe de rares statues du christ nu.

 

Un sculpteur décide au début du XX° siècle de faire une sculpture du crucifié nu, mais l’église a imposé que l’on cache le sexe sous un pagne de pierre. Notre personnage principal est donc chargé d’enlever le rajout et sculpter le sexe du christ.

Le personnage, – voilà l’autre thème du roman- est un habitant des montagnes mais il doit trouver refuge dans une petite ville de bord de mer car il est devenu bien malgré lui trop célèbre dans son village. Habitant des régions frontalières, il est devenu « passeur », pour « des gens » qui veulent continuer leur périple en Europe. Ces immigrés sont, comme il nous le dit, les nouveaux nomades de notre époque. Il s’acquitte avec succès de cette tâche, en acceptant le prix fixé par deux passeurs du village mais lui rend aux immigrés leur argent dès la frontière passée. Cela se sait et tous les médias s’intéressent à lui. Ses anciens amis se sentent trahis et ne veulent plus de lui dans le village. Il part donc et trouvera ce travail dans une église du bord de mer. C’est pour lui, et pour nous, l’occasion de se confronter au travail du sculpteur sur marbre et de réfléchir au sens des trois grandes religions monothéistes. Tout le livre très court -cet auteur écrit souvent de moins de deux cent pages- est plein d’une sagesse, d’humour et de réflexions qui font sourire parfois, nous troublent souvent. J’ai aimé ce roman , j’espère me souvenir de quelques une des citations que j’ai notées -celle sur Charlot a fait éclater de rire mes amis-. À mon tour de vous en recommander chaudement la lecture.

 

Citations

J’adore ….

Je grave des noms pour les amoureux endurcis qui les préfèrent sur des branches et des cailloux plutôt que sur des tatouages. Ils durent plus longtemps sans pâlir. 

Les frontières dans les montagnes

Ils sont cocasses ces États qui mettent des frontières sur les montagnes, ils les prennent pour des barrières. Ils se trompent, les montagnes sont un réseau dense de communication entre les versants, offrant des variantes de passage selon les saisons et les conditions physiques des voyageurs.

Le personnage principal doit sculpter le sexe du Christ qui a été enlevé et caché par un linge en granit

Il m’apprend que je suis le dernier d’une longue liste d’artistes, confirmés ou non, qui ont été consultés. L’un d’eux a dit que l’enlèvement traumatique de la couverture suffirait déjà à représenter la nudité et son histoire censurée. Ceux qui ont accepté d’essayer ont proposé des solutions bizarre. À la place de la partie détachées, quelqu’un a imaginé un oiseau, plus précisément un coucou, parce qu’il met ses œufs dans le nid des autres. Un deuxième à penser à une fleur. Un jeune artiste a eu l’idée d’un robinet.

Le vin

Le curé continue à m’écouter tout en prenant une bouteille de vin et deux verres. Il remplit le mien à ras bord. C’est l’usage chez les ouvriers. Si on offre du vin, on remplit le verre. Ce sont les riches qui en verse peu. Eux, ils ne boivent pas ils sirotent. Si on en offre à un ouvrier, on en verse jusqu’à ce que le verre déborde.

Vous la portez à droite ou à gauche ?

Il est curieux de connaître celui qui a finalement été chargé de restaurer la gêne. Son père qui était tailleur, l’appelait ainsi quand il prenait les mesures pour un pantalon. Il demandait au client de quel côté, droit ou gauche, il portait la gêne. 

Traverser la place de la gare à Naples

J’observe ce que font les passants pour atteindre la rive opposée du trottoir. Le courant d’automobiles est continu.
Ils font comme ça, ils descendent du bord tandis que le flux s’écoule indifférent à eux. Ils l Ils avancent dans le gué , frôlés et contournés par les voitures comme des rochers qui affleurent. Ils avancent rapidement jusqu’à la berge d’en face. Il ne faut pas croire que la mer Rouge s’ouvre en deux pour eux, mais c’est une mer rouge locale, élastique, qui coule en évitant le peuple en marche. Elle l’incorpore et le repose indemne de l’autre côté. Je regarde sans bouger. Je prends des notes visuelles étonné sur la dynamique du lieu, sans me décider à tenter l’expérience. Il est impératif de ne pas hésiter une fois dans le courant. La mer Rouge s’adapte à l’intrus si son pas est décidé, mais devient coléreuse et impétueuse s’il hésite ou change d’avis.

Charlot

Charlie Chaplin a participé au concours des imitateurs de Charlot et il est arrivé troisième. 

Le prix et la langue des passeurs

Les voyageurs paient comptant, forcé de faire confiance. On utilise un anglais de dix mots, le jargon des déplacements.

Destins d hommes

J’écoute les histoires de destins bizarres, des façons nouvelles de mourir : dans une soute asphyxié par les gaz du moteur, gelé dans le compartiment du train d’atterrissage d’un avion, étouffé dans un camion garé l’été en plein soleil.

Cruauté des hommes

Nous parlons de tout le mal que l’espèce humaine a inventé pour elle-même. Aucun animal ne se rapproche de notre pire. Aucune autre créature vivante n’a imaginé le supplice de l’emballement. L’habileté du bourreau consistait à prolonger l’agonie.

Nous cessons de manger pendant un moment, nous nous regardons, nous baissons les yeux. Il y a peu de temps encore, nous aurions assisté à ces exécution dans la rue sans détourner le regard. Décidé par les autorités : cela suffit à leur donner force de loi.

Édition Slatkine&compagnie. Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

 

Voici donc ma troisième et dernière participation au challenge d’Éva. Un livre de langue allemande que j’ai lu grâce à la traduction d’Isabelle Liber. Mes trois coquillages prouvent que je n’ai pas été complètement conquise. Pourtant je suis sûre de l’avoir acheté après une recommandation lue sur le blogosphère. Ce roman m’a permis de me remettre en mémoire l’horrible accident du ferry Estonia entre l’Estonie et la Suède, accident qui a causé la mort de 852 personnes en 1994. Mais si ce naufrage est bien le point central du roman, celui-ci raconte surtout la difficulté de rapports entre un fils et ses parents. Laurits Simonsen rêvait d’être pianiste, mais son père d’une sévérité et d’un égoïsme à toute épreuve l’a forcé à devenir médecin. Le jour où Laurits comprendra l’ampleur des manœuvres de son père, il fuira s’installer en Estonie.
De ruptures en ruptures, de drames en drames, il est, à la fin de sa vie, redevenu pianiste sous l’identité de Lawrence Alexander, loin d’être un virtuose, il anime les croisières et tient le piano-bar. C’est ainsi que nous le trouvons au deuxième chapitre du roman, le premier étant consacré à l’appel au secours de l’Estonia le 28 septembre 1994. Les difficultés dans lesquelles dès l’enfance le narrateur s’est trouvé englué à cause de l’égo surdimensionné d’un père tyrannique nous apparaît peu à peu avec de fréquents aller et retour entre le temps du récit et le passé du narrateur.

Le récit est implacable et très bien mené mais alors pourquoi ai-je quelques réserves, j’ai trouvé le récit un peu lourd, très lent et trop démonstratif pour moi. J’ai vraiment du mal à croire au personnage du père mais peut-être ai-je tort ! Il existe, sans doute des êtres incapables à ce point d’empathie ! Je pense, aussi, que je lis beaucoup de livres et que j’en demande peut être trop à chacun d’entre eux. Mais, à vous, donc de vous faire une idée de ces quelques « feuilles allemandes ».

 

 

Citations

l’alcool et le chagrin

J’ai vidé dans le lavabo ce qui restait de la bouteille de whisky. Ce truc n’a fait qu’empirer les choses. Ça n’avait que le goût du chagrin.

 

Le titre

J’étais heureux d’arriver dans le port de Venise après un long voyage -cette ville est la seule que j’arrive à supporter plus de trois jours, elle est un entre deux, ni terre, ni mer.

 

Le naufrage

1h48. Au plus noir de la nuit, dans les lotissements de la tempête, le bateau bleu et blanc dressa une dernière fois sa proue vers le ciel et, moins d’une heure après son appel de détresse, disparut dans les eaux avec un profond soupir. Avec lui sombraient les rêves et les espoirs, les désirs, les inquiétudes, les peurs et les lendemains de tout ceux qui était restés à bord.

Édition Gallimard (Du Monde Entier)

Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Après « Le liseur » que j’ai beaucoup apprécié (mais pas chroniqué), j’ai bien aimé ce roman. Cet auteur allemand, Bernhard Schlink, sait raconter la vie de gens simples. On sent aussi chez lui, un grand intérêt pour les femmes et une confiance dans leur bon sens venant sans doute de l’amour maternel. Olga a eu le malheur de ne pas connaître cet amour, trop tôt orpheline, elle sera élevée par une grand mère qui ne l’aimait pas. Intelligente, elle deviendra institutrice. Très vite, elle rencontrera Herbert fils du notable de son village. Voilà le premier (et le seul en tant que femme) amour de sa vie, elle aimera Herbert de toute la force dont elle est capable, sans vouloir pour autant l’empêcher de vivre sa vie d’aventurier pour le garder près d’elle. Elle souffrira de tous ses départs, et ne partagera pas ses certitudes. Ses combats contre les Heréos lui semblent peu glorieux mais son amour est plus fort que tout. Quand Herbert, en 1913, part en Artique, elle a peur et commence à l’attendre. Elle lui écrit et par un tour de passe passe romanesque l’auteur retrouve ses lettres. On a ainsi plusieurs voix et plusieurs moments de la vie d’Olga qui se rejoignent dans ce roman que l’on peut qualifier de roman choral. Pour Olga tout le mal de l’Allemagne vient de Bismarck qui a appris à son peuple à se voir et se croire trop grand.

Ce personnage historique aura une très grande importance dans la vie et la mort d’Olga.
Cela a fait remonter en moi, un souvenir personnel : en 1960, mes parents m’avaient envoyée en Allemagne, j’étais très jeune et la famille chez qui j’étais m’avait fait rencontrer une femme très âgée qui parlait bien le français et comme Olga, elle m’avait dit que toutes ces guerres c’était la faute faute de Bismarck, plus tard quand j’ai étudié l’histoire je me suis rendu compte qu’elle ne disait pas n’importe quoi. Cette femme aurait peut-être pu prononcer les mêmes paroles qu’Olga :

Elle estimait que c’était avec Bismarck que le funeste malheur avait commencé. Depuis qu’il avait assis l’Allemagne sur un cheval trop grand pour qu’elle pût le chevauchée, les Allemands avaient tout voulu trop grand.

Ce roman est une façon de revisiter le passé de l’Allemagne et de comprendre ses habitants pendant ce si douloureux vingtième siècle sans, pour une fois, le faire de façon trop tragique. Dans ce jour du 11 novembre cela fait du bien de se replonger dans toutes les méandres des erreurs de ce grand pays et de tout faire pour être définitivement à l’abri des guerres fratricides en Europe et coloniales hors de nos frontières. Et une bonne façon de participer au challenge d’Eva.

 

Citations

L’amour de deux êtres séparés, hier et aujourd’hui.

Nous étions plus patients que vous autres. Beaucoup de couples, à l’époque, étaient séparés pendant des mois et des années, et se trouvaient réunis pour peu de temps seulement. Nous étions forcés d’apprendre à attendre. Aujourd’hui, vous téléphonez, vous prenez le train, la voiture, l’avion, et vous pensez que l’autre est à votre disposition. En amour, l’autre n’est jamais à disposition.

Le manque d’amour

J’ai senti l’aversion que grand-mère avait pour moi, comme je l’avais toujours sentie. Parfois elle me frappait, et souvent elle me criait dessus. Mais même quand elle n’en faisait rien, l’élevait même pas la voix, son aversion était dans l’air comme une odeur. 

Tel père tel fils (le père disparu en Artique en 1913 et le fils nazi en 1936)

Je me suis souvent demandé, ces dernières années, quelle position tu aurais prise, par rapport à tout ça. Je n’ai pas l’impression que les nazis rêvent de colonies ou de l’Arctique, et peut-être que ça te sauverait d’eux. Mais tout est trop grandiose, avec eux, et quand on est dans le grandiose, les rêves chimériques ne sont pas loin. Peut-être que tu voudrais leur apprendre à rêver de colonie et d’Arctique.
Je suis plein d’amertume, contre Erik et contre toi. C’est la chair de ta chair et le sang de ton sang. Il est aussi bête que toi et aussi lâche que toi. Il également capable d’être aussi gentil que toi. Mais la gentillesse ne saurait compenser la bêtise et la lâcheté.

Édition Acte Sud, Traduit de l’allemand par Isabelle Liber

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Et quand je pense que j’ai hésité à choisir ce livre et cela parce que j’avais vu qu’il s’agissait de Tchernobyl …
C’est un grand bonheur ce roman, jusqu’à la dernière ligne. On regrette d’être arrivé à la page 150 aussi rapidement. Mais pourquoi donc cet enthousiasme ?
– D’abord à cause du personnage de Baba qui vit aussi bien avec les vivants que les morts, elle est si attachante dans sa simplicité et son naturel. Son ancien métier d’aide soignante lui a permis de se faire une idée assez précise de la nature humaine : ni trop idéalisée ni trop pessimiste.
Elle a un sens de la répartie à toute épreuve, et cela parce qu’elle n’a plus peur de rien puisqu’elle est une morte en sursis depuis si longtemps.
Comme elle parle assez régulièrement à Yégor son mari mort depuis un certain temps, Elle nous fait aussi connaître la vie avant l’explosion de la centrale nucléaire. On retrouve, alors, les hommes russes alcooliques violents et de bien mauvais pères. Mais aussi le plaisir de vivre dans un petit village avec la nature accueillante et nourricière autour de chaque maison.
– Les autres habitants du village sont tous des zombies rescapés de la catastrophe de Tchernobyl mais ils préfèrent mourir là que loin de chez eux dans des villes peu accueillantes et dans des immeubles vétustes.
– Le village va se souder autour d’un meurtre d’un homme qui avait décidé pour se venger de sa femme de venir dans ce village y faire mourir sa petite fille.
– Notre Baba va y tenir un rôle important mais son vrai soucis c’est de réussir à lire la lettre que sa petite fille Laura lui a envoyée. Comme Baba ne lit que Le russe elle ne peut même pas deviner en quelle langue est écrite cette lettre.
Évidemment je ne peux divulgâcher tous les ressorts de l’intrigue romanesque mais ce roman est si bien agencé que cela contribue au plaisir de la lecture.
Je suis ravie de participer avec ce roman au mois de novembre de la littérature allemande comme l’avait suggéré Eva, car ce livre tout en légèreté et humour tranche complètement avec ce que je reproche aux auteurs allemands. Je les trouve souvent trop didactiques et un peu lourds. Si, ici, le sujet reste tragique le caractère de Baba Dounia qui nous permet de sourire souvent le rend pourtant beaucoup plus proche de nous.

Citations

Son mari Yégor

Autrefois, mes pieds étaient fins et délicats, poudrés de la poussière qu’ils soulevaient dans la rue, magnifiques dans leur nudité. Yégor les aimaient. Il m’a interdit de marcher pieds nus parce qu’à la seule vue de mes orteils, les hommes avaient déjà le sang qui leur montait à la tête.
Maintenant, quand Yégor passe me voir, je montre du doigt les deux boudins ficelés dans des sandales de marché et je dis : Tu vois ce qui reste de la splendeur d’antan ? 
Alors il rit et il affirme que mes pieds sont toujours aussi jolis. Depuis qu’il est mort, il est très poli, l’hypocrite.

Les vieux journaux

Dans le « Paysanne » que je feuillette, il y a des recettes à faire avec de l’oseille, un patron de couture, une brève histoire d’amour dans un kolkhoze et une liste d’arguments contre le port du pantalon pour les femmes, sauf au travail. Le magazine date de février 1986.

Maria sa voisine

Je me dis que Maria n’aurait jamais dû venir ici. Ce ne sont pas les radiations. C’est le calme qui lui fait du mal. Maria a sa place en ville, où elle peut tous les jours avoir son lot de querelles chez le boulanger du coin. Ici, comme personne n’a envie de se disputer avec elle, elle ne se sent plus exister , et son corps gonfle tandis que son âme rétrécit.

Le conducteur de bus

Boris raconte ce qu’il a vu à la télé. De la politique, encore et toujours ; l’Ukraine, le Russie, l’Amérique. Je n’écoute que d’une oreille. Bien sûr, c’est important la politique, mais si on veut manger de la purée un jour, c’est quand même à nous de biner les pommes de terre.

C’est bien vrai ….

Mon travail m’a enseigné que les gens n’en font toujours qu’à leur tête. Ils demandent des conseils, mais en réalité, ils n’ont que faire de l’avis des autres. De ce qu’on leur dit, ils ne retiennent que ce qui leur convient, et ils ignorent le reste. J’ai appris à ne pas donner de conseils, à moins qu’on ne me le demande expressément. Et à ne pas poser de questions.

Un soir de la vie d’une femme aide-soignante en Russie

Je ne retrouve mes esprits que le soir venu. Il est dix heures , les enfants dorment dos à dos dans le grand lit et je sors leur cahier de leur cartable pour contrôler leurs devoirs. La vaisselle est lavée , les chaussettes reprisée. Je suis loin d’exceller dans les tâches ménagères, mais je fais de mon mieux. Je vais à la cuisine et je bois un verre d’eau du robinet. Elle a un goût salé, le goût de mes larmes. Au fond, je ne suis qu’une femme comme des millions d’autres, mais ça ne m’empêche pas d’être malheureuse. Quelle imbécile je fais.

 

Édition Albin Michel. Traduit de l’italien par Dominique Vittoz.
A obtenu un coup de cœur au club de lecture de la médiathèque de Dinard

Le point de départ de ce roman écrit par une jeune auteure italienne est un fait véridique Margot Wölk a bien été recrutée parmi dix autres femmes pour goûter les plats d’Hitler , quand celui-ci était dans ce qu’on appelait alors « la tanière du loup » et qui est aujourd’hui en Pologne. À partir de ce récit que vous pouvez entendre si vous cliquez sur ce lien, vous saurez ce qui a déclenché l’envie pour l’auteure de raconter cette histoire et d’en faire un roman. Les lectrices du club étaient très élogieuses, je le suis un peu moins. C’est compliqué pour une femme jeune et étrangère de rendre avec précision l’ambiance entre des femmes sous le régime nazi. Elle a imaginé des rapports plus proches de la camaraderie de lycéennes et puis comme elle est italienne elle y a mêlé une histoire d’amour. Pour faire plus véridique et plus tragique, il y a, aussi, une jeune fille juive parmi les goûteuses. Tout ce que l’auteure a imaginé est plausible mais cela en dit davantage sur la façon dont les Italiens se racontent le nazisme . Quand on écoute Margot Wölk on sent que ses souvenirs sont surtout marqués par les viols des soldats russes, plus que par son rôle de goûteuse des plats d’Hitler. Tout ce qui concerne ce criminel psychopathe intéresse les gens, et ce roman doit son succès à cela mais il n’est pas pour autant racoleur. Disons qu’il n’est pas indispensable à la connaissance de ce qui s’est passé en Allemagne et surtout, j’ai plus tendance à croire les auteurs germaniques qui, eux ou leurs ancêtres, ont vécu cette période.

Citation

Son mari lui écrit cette lettre du front russe

« Ils sont deux à ne pas avoir compris qu’il fait froid en Russie, m’avait-il écrit. L’un est Napoléon. » Il n’avait pas mentionné l’autre par prudence.

Édition Belfond

Traduit de l’anglais Sarah Tardy

Repéré, d’abord, chez Céline et vu ensuite chez Moka, puis sur d’autres blogs dont j’ai oublié de noter le nom, je me demandais si j’allais apprécier cette auteure dont j’avais lu et aimé « L’étrange disparition d’Esme Lennox« . Je partage les avis que j’ai lus, je lui trouve un grand talent, la suite de ces récits où elle creuse son rapport à la maladie est aussi poignant que triste. Les réflexions qu’elle déteste entendre, je me les suis faites plusieurs fois : comment peut on avoir si peu de chance. Et elle me répondrait que non elle aurait dû tant de fois mourir qu’elle trouve avoir, finalement, beaucoup de chance d’être en vie. Si vous ouvrez ce livre, sachez que vous partez pour dix huit récits où la mort a souvent le premier rôle, elle la frôle, la menace ou cherche à atteindre les siens. Chaque récit porte le nom d’une partie du corps qui est alors l’objet du danger mortel. Si vous ne lâchez pas ce livre c’est que tout vient de son style et de de sa façon de raconter ce qui lui arrive, par exemple son accouchement : elle doit s’opposer au grand ponte de l’hôpital londonien qui méprise les mises en garde de son confrère du pays de Galle, cela sonne tellement vrai. Savoir le raconter comme cela doit faire du bien à tous ceux et toutes celles qui ont un jour senti ce regard méprisant sur leur corps souffrant. Elle a failli y rester mais elle a survécu et nous le raconte avec talent. Toutes les nouvelles sont intéressantes, et pour celles ou ceux qui comme moi n’aime pas trop que les auteurs se racontent sachez que le talent littéraire vous fera, encore une fois, passer au-delà de tous vos a priori

 

Citations

C’est tellement vrai mais comment faire ?

Quand vous serez plus grands et que vous sortirez, je leur dis, il y aura des fois où quelqu’un proposera quelque chose que l’on ne doit pas faire, et ce sera à vous de prendre la décision de le suivre ou pas. De faire comme le groupe ou de vous opposer à lui. De parler, d’élever la voix, te dire non, je ne pense pas que ce soit bien. Non je ne veux pas faire ça. Non non, je préfère rentrer chez moi.

Je n’aime pas l’avion mais cette expérience me tente :

Passer ainsi de fuseau horaire en fuseau horaire peut vous faire percevoir le monde avec une lucidité troublante distordue. Que faut-il blâmer ? L’altitude, l’inactivité prolongée, le confinement physique, le manque de sommeil, où les quatre à la fois ? Se déplacer à cette vitesse, à des milliers de pieds au-dessus du sol, dans une cabine d’avion modifie votre état d’esprit. Des choses que vous ne parvenez pas à expliquer se résolvent, comme si la bague d’un objectif avait été tournée. Dans vos pensées s’insinue soudain la réponse à des questions qui, depuis longtemps vous tourmentaient. Tandis que votre regard se pose sur les montagnes d’altostratus , étendues irréelles, vous vous surprenez à penser : Ah, mais bien sûr, et dire que je ne m’en étais jamais aperçu.

Pour moi l’avion c’est ça :

Personne ne voit rien venir, il y a juste un bruit de choc puis le froid qui envahit la cabine. Tout à coup, l’avion pique, décroche, tombe comme une pierre d’une falaise. L’accélération est inouïe, l’attraction la vitesse donnent la sensation de se retrouver sur le pire manège du monde, de plonger dans le néant, de se faire attraper par les chevilles et tirer vers les abîmes de l’enfer. La douleur éclôt dans mes oreilles, sur mon visage, tandis que ma ceinture me lacère les cuisses au moment où nous sommes projetés en l’air.
 La cabine est secouée comme une boule à neige : des sacs à main, des canettes de jus de fruits, des pommes, des chaussures, des sweat-shirt s’élèvent du sol des masques à oxygène se balancent du plafond comme des lianes et des êtres humains sont projetés en l’air. Je vois l’enfant qui était assis de l’autre côté du couloir percuter le plafond, pieds en avant, pendant que sa mère voltige dans l’autre direction, cheveux noirs défaits, l’air plus outré qu’apeuré. Le prêtre assis à côté de moi est lui aussi projeté vers le plafond, hors de son siège, vers son chapelet de perles. Deux nonnes qui ont perdu leurs cornettes volent comme des poupées de chiffon vers les lumières de l’appareil.

La scène avec le grand chef de service de l hôpital est criante de vérité

Les yeux plissés, monsieur C. s’est mis à taper sur son bureau avec le bout de son stylo. Puis il a décidé qu’il en avait assez. Il s’est levé et m’a adressé un petit signe de la main avant de lâcher sa réplique de fin :
« Si vous étiez venue me voir en fauteuil roulant, j’aurais peut-être accepté de vous faire accoucher par césarienne. »
Dire une chose pareille à quelqu’un était extraordinaire -surtout à quelqu’un qui avait réellement passé une partie de sa vie en fauteuil roulant. Ce qui m’horrifiait, ce n’était pas tant son refus de discuter -sans même parler du refus de m’accorder une césarienne programmée- , mais plutôt le fait qu’il sous-entende que j’étais une sorte de lâche perfide, qui me mentait pour tenter d’obtenir un accouchement facile. Ça, et sa tentative d’intimidation odieuse, et ça effarante. Me rendais-je compte que la césarienne était un acte chirurgical lourd ? Pas du tout, je pensais que c’était une promenade de santé.
Si je marche aujourd’hui, je le dois à l’unité de kinésithérapie ambulatoire, et son équipe et aux patient que j’ai rencontrés là-bas. Le fait qu’il ne m’aient jamais laissé tomber, qu’ils aient cru, contrairement aux médecins, que j’étais capable de bouger, de me déplacer, de guérir , a permis que cet espoir devienne réalité. Quand une personne vous affirme que vous êtes capable de faire quelque chose, quand vous voyez qu’elle croit vraiment en ce qu’elle dit, la possibilité que cela se réalise devient tangible.

Les bons conseils, sa fille est gravement allergique et fait des chocs anaphylactique

J’ai appris à hocher la tête avec calme quand les gens me disent qu’ils savent exactement ce que je ressens parce qu’eux’mêmes souffrent d’une allergie au gluten et se retrouvent avec le ventre gonflé dès qu’ils mangent du pain blanc. J’ai appris à être patiente et diplomate quand il me faut expliquer que, Non, on ne peut pas apporter de houmous à la maison. Non, ce n’est pas une bonne idée de lui en donner un tout petit peu juste pour l’habituer. Oui, il faut vous éloigner d’elle pour ouvrir si ou ça. Oui, le déjeuner que vous avez préparé pourrait lui être fatal.
 J’ai appris à son frère, à l’âge de 6 ans, comment composer le 999 et dire dans le combiné, c’est pour une urgence, un choc anaphylactique. Ana-phy-lac-tique. Mon fils est entraîné à le prononcer. Ma vie avec ma fille comporte un grand nombre de courses effrénées dans les couloirs des hôpitaux. Aux urgences, les infirmières l’appelle par son prénom. Son allergologue nous a répété plusieurs fois qu’elle ne devait être soignée que dans de très bons hôpitaux.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition Albin Michel

Encore la guerre 14/18 ? Non, pas tout à fait ! Il s’agit ici de la fin de cette guerre et le fait qu’elle a engendré celle qui a suivie, et que, d’après l’auteur, rien n’a été fait pour l’éviter. Antoine Rault mêle à son roman des pages très précises d’analyses historiques, et le lecteur revit avec précision la signature du traité de Versailles.

 

Il sera ressenti comme un « Diktat » humiliant pour tous les allemands. Peu d’entre eux verront dans les années qui suivent l’occasion de fuir la guerre et on connaît la suite l’esprit de vengeance et la folie du National-Socialisme.
Côté romanesque : le personne de Charles-Albert, un soldat amnésique, il sera utilisé par les services de renseignement français pour espionner l’Allemagne, il est à la fois crédible, tragique et attachant. On suit, donc, son parcours, d’abord dans les centres de soins français qui n’ont qu’un seul but dépister les simulateurs. Puis à travers son engagement dans ce qui reste de l’armée allemande, la montée inexorable vers un nationalisme qui va bientôt détruire ce qui reste de la nation allemande. L’état de l’Allemagne après cette guerre que l’armée n’a pas eu la sensation de perdre est parfaitement raconté et même si j’ai trouvé parfois que l’auteur est trop didactique, ses arguments sont imparables et ses démonstrations très convaincantes. Les horreurs de la guerre sont insoutenables et j’avoue avoir découvert ce qui s’est passé, grâce à ce livre, en Lettonie ? Dans les temps actuels, où beaucoup de gens doutent de l’Europe, ce roman permet d’ouvrir les yeux sur les dangers des guerres guidées par le nationalisme c’est donc une lecture que je ne peux que recommander même si la nature humaine apparaît comme bien cruelle qu’il s’agisse des puissants de ce monde qui se jouent de la vie des populations, que des simples soldats qui deviennent des tortionnaires et des bouchers à la première occasion lorsque le droit de tuer leur est donné.

Citations

Les soins aux traumatisés de la guerre

Les poilus appelaient « le torpillage » pour exprimer qu’après s’être fait mitrailler et pilonner dans les champs de bataille, le soldat traumatisé avait droit, en plus, de se faire torpiller à coups de décharges électriques – mais les médecins, eux, parlaient De réalisation ou de galvanisation, suivant le courant utilisé, ça vous avait tout de suite un petit air régénérant, et, bien sûr, ils prenaient soin de préciser que c’était « pour ainsi dire indolore ».
Derrière toute cette approche, une grande idée en ces temps de patriotisme exacerbé et de chasse aux « lâches » , aux embusqués, aux déserteurs : consciemment ou inconsciemment, les traumatisés simulent pour fuir les combats. Le but n’est donc pas de les soigner mais de les renvoyer là-bas. Petite précision intéressante : en France, les traumatismes psychiques dus à la guerre ne sont reconnus comme des blessures ouvrant droit à une invalidité que depuis 1992.

Les banques

Et puis, de toute façon, une banque ne peut pas être un profiteur de guerre puisque la vocation même d’une banque, c’est de savoir profiter en toute circonstance… Une banque fonctionne de la même manière en temps de paix qu’en temps de guerre. On lui confie des valeurs et elle accorde des crédits et contribuent ainsi à soutenir l’économie. C’est très noble, au fond, très noble, en temps de paix comme en temps de guerre. Parfois, Alfred se représentait en Dieu multiplicateur et redistributeur. Il y avait un côté magique, démiurgique, dans son métier, qui le mettait en joie. La banque était le métier le plus… aérien… oui, c’est ça… le plus sublimement éthéré du monde. Bien plus qu’un peintre qui emploie de vraies couleurs ou qu’un écrivain qui utilise des mots pour raconter une histoire, le banquier, lui, n’a recourt qu’à l’abstraction et au sentiment. Pour créer, il compte sur la confiance, sur la crédulité humaine. Un Dieu, donc, un illusionniste, un grand manipulateur.

Cruautés de la guerre pays balte 1919

Avant d’abandonner Riga, les généraux russes ordonnèrent à leurs troupes de mettre à mort des centaines de Lettons qui avaient été jetés en prison parce qu’il était suspecté d’être hostiles aux Soviets. Les soldats refusèrent de se livrer à cette boucherie mais les femmes bolcheviques fanatisées l’accomplir avec une sauvagerie inouïe. Naturellement, « à titre de représailles », comme ils se justifièrent eux-mêmes, les Allemands ne furent pas en reste. Ils fusillèrent non seulement ces femmes criminelles mais près de mille prisonniers. Sans compter bien sûr les tortures, les viols et des pillages. Alors, en représailles de ces représailles, les nationalistes Lettons se livrèrent à leur tour à des atrocités à l’encontre des soldats qu’ils parvenaient à capturer. C’est la vieille loi de la cruauté humaine. La barbarie des uns nourrit et libère la barbarie des autres.

Cliché sur les femmes

Les Parisiennes ont du charme, c’est certain, mais elles rouspètent tout le temps, elles réclament, elles ont des tas d’exigences. Ça doit être ruineux, une française. Et puis, elles sont adorables, coquettes, amusantes, mais elles n’ont pas la beauté racée des Slaves.

 

Édition Actes Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Avec 68 pages Éric Vuillard, exprime toute sa rage et son désespoir face aux révoltes qui ont traversé le XVI° siècle. On est loin de la vision de l’histoire dont j’ai gardé quelques souvenirs de mes années lycée. Les conditions d’extrême pauvreté engendrent des révoltes très violentes. Et quand en plus, les populations sont soumises à une religion qui dans les textes d’origine demande à ses disciples de reconnaître son frère dans le plus pauvre des humains on comprend que certains se demandent : « Où est le vœu de pauvreté dans l’opulence de l’église de leur époque ? ». Et puis, Gutemberg invente l’imprimerie, alors tout le monde pourra lire la Bible dans le texte et constatera que l’église les trompe lourdement. Il n’est plus besoin alors de se soumettre mais bien plutôt de se révolter et de revenir aux sources du christianisme. Livre incandescent et soutenu par un style incantatoire. Il se lit très vite, mais ne s’oublie pas de sitôt. Si l’imprimerie a permis le schisme protestant, c’est bien l’arrivée de l’internet qui soutient les révoltes actuelles. La soumission et la pauvreté engendrent toujours des mouvements violents, ils sont souvent réprimées énergiquement également mais beaucoup moins qu’au XVI° siècle.

Citations

Un homme révolté

John Wyclif eu l’idée qu’il existe une relation directe entre les hommes et Dieu. De cette première idée découle, logiquement, que chacun peut se guider lui-même grâce aux Écritures. Et de cette deuxième idée en découle une troisième ;,les prélats ne sont plus nécessaires. Conséquence : il faut traduire la Bible en anglais. Wyclif – qui n’était pas, comme on le voit, à court d’idées – eut encore deux ou trois autres pensées terribles : ainsi, il proposa qu’on désigne les papes par tirage au sort. Dans son élan, il n’était plus à une folie prêt, il déclara que l’esclavage est un péché. Puis il affirma que le clergé devait vivre désormais selon la pauvreté évangélique. Enfin, pour vraiment emmerder le monde, il répudia la transsubstantiation, comme une aberration mentale. Et, pour finir, il eut sa plus terrible idée, et prôna l’égalité des hommes.

La haine de l’église

Bien sûr, Rome condamna John Wyclif, et, malgré sa parole profonde et sincère, il mourut isolé. Et plus de quarante ans après sa mort, condamné par le concile de Constance, on exhuma son cadavre, on brûla ses ossements. On avait contre lui la haine tenace.

Édition Plon

Un roman historique absolument superbe , je l’avais déjà repéré chez « Aleslire » et Keisha sans pour autant me motiver, et puis, j’ai reçu ce livre en cadeau (et … il fait partie de la sélection de mon club de lecture). Pour moi aussi, c’est un coup de cœur absolu. Tout vient du talent de cet écrivain, Camille Pascal et je me laisserai tenter par ses autres livres tellement celui-ci m’a séduite et embarquée dans une autre époque. Je ne suis pas du tout spécialiste de cette période et si, comme moi les livres d’histoire ont tendance à vous ennuyer, ne soyez pas effrayé par les 646 pages décrivant cet instant où le roi Charle X a dû renoncer à la couronne par pur aveuglement, il faut dire que le prince de Polignac, son ministre l’a bien aidé à tenir fermer des yeux qui ne voulaient pas voir que la monarchie absolue n’était pas possible à restaurer. Pourquoi quatre rois ? Car en quelques jours, la France a vu Charles X abdiquer au profit de son petit fils Le Duc de Bordeaux, mais avant cela, quelques heures seulement son fils, le duc d’Angoulème, aura été le Roi de France le temps de signer son abdication . Et puis, finalement, soutenu par la chambre que Charles X voulait dissoudre, Louis-Philippe deviendra le « roi des français » et acceptera le drapeau tricolore.

Voilà le cadre, mais à l’intérieur de ce décor, on suit pas à pas, les hésitations de Charles X et son départ pour Cherbourg où l’attend le bateau qui l’emmènera en Angleterre. Cet homme est hanté par la mort de son frère Louis XVI. Il est persuadé que ce sont les faiblesses de ce roi qui ont causé sa perte. Hanté par l’image de l’échafaud, il se raidit dans des attitudes qui ne peuvent que l’entraîner vers sa perte. En contre point, à cette cour que rien ne peut éclairer, on voit les très riches bourgeois parisiens manœuvrer pour garder le pouvoir parlementaire même si pour cela il faut libérer les instincts révolutionnaires d’une population miséreuse. À la fin de cet été 1830, Louis Philippe est donc sur le trône de France, grâce à la grande bourgeoisie d’affaires qui effectivement est bien partie pour se développer mais qu’en est-il du peuple ? L’histoire montrera qu’il est plus facile de se débarrasser d’un roi que de la bourgeoisie d’affaires et que des révoltes peuvent être mater plus violemment par les forces de la république que par une armée royale surtout quand celle-ci est composée de mercenaires. Ces journées sont superbement évoquées et il fallait bien 646 pages pour en comprendre toute la portée et sentir l’avenir de la France.

 

Citations

Les odeurs …

 Le roi profita de l’instant pour demander à l’huissier du Conseil d’ouvrir l’une des fenêtres. Aussitôt, l’odeur des orangers vint éteindre celles des parfums de cours, trop musqués.

Motivation de Charles X

L’esprit de la Révolution n’a jamais abandonné une partie de la population. C’est à la monarchie qu’on en veut. Si je cédais, ils me traiteraient comme ils ont traité mon malheureux frère. Sa première reculade a été le signal de sa perte… Ils lui faisaient aussi des protestations d’amour et de fidélité ; ils lui demandaient seulement le renvoi de ses ministres. Il céda, et tout fut perdu … Si je cédais cette fois à leur exigence. Il finirait par nous traiter comme ils ont traité mon frère.

Jolie formule et portrait intéressant

Lui-même n’avait pas été insensible à cette intelligence et à cette vivacité de conversation qui voilait maintenant d’esprit l’affaissement de ses charmes. Cette femme du monde savait être d’excellents conseils et une source inépuisable de renseignements obtenus de première main, qu’elle avait experte. En partageant de temps à autre le lit du duc de Fitz-James, elle tenait la rampe du côté des ultras et des soutiens du ministère Polignac, mais son amitié ancienne avec la duchesse d’Orléans lui ouvrait aussi les portes du Palais-Royal où l’on respire est un air plus libéral. Enfin, sa tendre complicité avec le conseiller Pasquier la plaçait au cœur du juste milieu. Ainsi cette femme de 50 ans, en se tenant à cheval sur les deux Faubourgs, était-elle devenue l’une des plus recherchées et des mieux informées de Paris.

Autre temps autres mœurs

Comment rester un patron digne et respecté aux yeux de ses employés sans droit de vote qui leur permettait de consentir l’impôt et de participer à la vie de la nation ? C’était une honte, un défi au bon sens, un retour à l’ancien régime et à la société d’ordres.

Le luxe en 1830

Casimir Périer salua très aimablement Thiers et Rémuzat qu’il connaissait un peu et fut avec les quatre électeurs d’une amabilité d’homme d’affaires ; il dissimula avec talent le déplaisir qu’il avait à recevoir chez lui des fauteurs de trouble et leur parla comme un livre d’escompte. Ces manières de patricien, le luxe assourdi dont il s’entourait, la coupe parfaite de son habit, l’éclat d’une chemise qui n’avait pu être blanchie qu’à Londres, des souliers glacés au champagne, tout cela émerveillait Thiers et ses amis.

La misère

Jamais le grand référendaire n’avait vu la misère d’aussi près, et elle lui parut bien effrayante. Toute une population d’ouvriers, de gagne deniers, de crève-la-faim, de femmes dépoitraillées , d’enfants morveux, de vieillards édentés toute une gueusaille l’entourait, l’apostrophait, l’agrippait, touchait son beau manteau de velours pourtant taché par la pommade de sa perruque qui n’avait pas résisté à la chaleur et perlait de sa queue de rat sur son col brodé.

Bien dit

À l’hôtel de ville, le marquis de La Fayette s’enivrait de cette popularité qui est à la politique ce que l’encens est au culte des dieux.