Édition Rivages

Quel roman ! Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire toutes les turpitudes humaines, tout cela pour s’enrichir, et, avec quoi ? Le guano ! autrement dit la fiente d’oiseaux. J’ai lu ce roman en vérifiant sans cesse les informations car je ne connaissais absolument pas cette histoire. Nous sommes à la fin du XIX° et grâce aux îles au large du Pérou ce pays connaît une richesse phénoménale. On appelle ce moment « l’ère guano ». Une telle richesse a attiré des convoitises multiples, ce que raconte le roman se situe au moment où le Pérou a chassé les puissances coloniales et exploite à son profit cette ressource. Malheureusement, si les puissances coloniales sont parties ceux qui les avaient chassées sont devenus aussi corrompus que les anciens exploiteurs. La terrible condition des miséreux qui sont sous les ordres des propriétaires des terrains des îles sur lesquelles on exploite le guano est horrible. Pour le roman, l’auteur invente une histoire d’amour impossible et évidemment tragique, cela lui permet de décrire deux personnages un peu moins sombres. Sur terre, en face de ces îles, à trois jours de navigation, la guerre que se livrent les deux ports qui se disputent la vente de la « fiente » est sans pitié, vraiment plusieurs fois on se dit en lisant ce livre « et tout cela pour de la m….. » . De plus cette région est soumise à un climat très particulier, la plupart du temps les gens vivent dans un brouillard opaque qui empêche le soleil d’éclairer un peu la vie celle des riches comme celle des pauvres. Je n’ai pas bien compris pourquoi l’auteur semble faire correspondre ce brouillard à l’exploitation du guano.

C’est un phénomène, que les chiliens appellent « le camancha » , il a existé de tout temps me semble-t-il. (Et il existe encore aujourd’hui : des essais sont fait pour en capter l’humidité pour fertiliser des zones désertiques.)

(Depuis j’ai eu la réponse de l’auteur qui est si pertinente que je m’en veux un peu de ne pas avoir compris toute seule :

Je voulais que le brouillard fasse comme une chape déposée sur l’intrigue, qu’il enferme un peu plus les personnages sur eux-mêmes.
C’est un texte assez métaphorique, donc je trouvais intéressant que le brouillard s’installe concomitamment à la découverte de la ressource, comme si l’exploitation de la fiente allait de pair avec une malédiction céleste…)

Ce récit qui se passe dans la fiente et où on ne voit jamais le soleil et qui ne donne aucun espoir est vraiment terrible. Le pire étant qu’il respecte la réalité historique. Pour la fiction, on suit le parcours du Capitaine Moustache, le seul marin qui ose affronter ce brouillard avec son vieux bateau pour le charger de guano et le livrer aux deux villes concurrentes qui vont bientôt se détruire. Lui, il a un plan et veut fuir cet endroit avec le maximum d’argent, mais ses plans seront contrecarrés par la soif de richesse des gens si peu recommandables avec lesquels il doit traiter. C’est bien connu, il ne faut jamais pactiser avec le diable ! Et dans cette région des diables, il y en a un peu partout. Pour un des personnages la fin se termine un peu mieux mais sinon la mort, le crime, le viol les tortures sont au rendez-vous. Un roman bien mené qui respecte la réalité historique que vous lirez si vous avez envie, comme moi, de découvrir un pan de l’histoire humaine peu glorieux mais que vous éviterez si vous n’aimez pas vous enfoncer dans la m….. jusqu’au cou.

 

Citations

Conseil d’une mère

Vald pensa ce que lui avait murmuré sa mère, il y avait des années, quand son petit frère Igor, cet enfant maladif, s’en était allé : »Tu sais, mon fils, si tu n’accepte pas les épreuves, si tu souffres trop, alors ce monde n’est pas pour toi. »

Portrait du capitaine

Seul marin familier de ces archipels calcaire, unique capitaine à affronter le brouillard, la commercialisation du guano reposait sur son oncle stature. Cela faisait de lui, en cette année 1897, un des êtres les plus importants de la région. Assis sur une rente pour l’éternité, il disposait d’une épouse qui ne l’attendait plus, d’enfants éloignés goûtant une jeunesse confortable, d’une maison en dur sur le littoral au sud d’Arequipa, ainsi que de nombreuses maîtresses parsemées au gré de ses voyages.
 Capitaine :car il était le seul à bord et qu’il n’y avait personne pour lui disputer le titre. Moustache : une trace de suie épaisse sous le nez pour couvrir l’odeur de la fiente.

Les navigateurs et les terriens

Vois-tu, quand on reste accroché comme une huître à un caillou mouillé, on est si heureux de la visite d’un navigateur. Toi, forcément, cela te passe au-dessus de la tête, tu n’es jamais confronté à l’attente. Tu dois savoir, Ernesto, il y a deux types d’hommes, ceux qui se meuvent et ceux qui attendent. Les premiers négligent presque toujours les seconds.

Lorsque le guano valait de l’or

Deux ans auparavant, la loi américaine avait autorisé les citoyens états-uniens à s’emparer des îles, îlots ou rochers déserts disposant de gisement de guano, partout dans le monde. On ne refait pas un peuple de pionniers.

Les anglais 1871

Impossible de faire comme s’il n’y avait pas eu de colonisation. Certaines puissance tiennent à laisser une trace là où, un jour, elles plantèrent leurs drapeaux. Les possessions britanniques avait été étudiées une à une. Les terres des colons anglais resteraient aux colons anglais, qui deviendraient citoyens à part entière du territoire. Ils garderaient leur langue, leur portrait du souverain sur la cheminée et toutes les coutumes qu’on appelait pour se moquer « le droit au thé ».
 Les bâtiments officiels passeraient sans délai sous la coupe de la nouvelle administration. La couronne avait négocié ensuite quelques terres australes abandonnées, pour conserver une présence maritime et permettre à quelques scientifiques d’observer on ne sait quel phénomène climato-géographique. Elle avait été exaucée. On lui avait cédé des îlots vides, sans homme, richesse, ni guano.

Un personnage important le brouillard appelé par les Chiliens « Camancha »

Le brouillard s’installa progressivement, comme une maladie infectieuse. Par bandes de ciel d’abord, striant un quartier, une île, un littoral, coiffant les pinacles des églises, les faîtes en fer forgé des auberges. Il entra par les fenêtres, engouffra ses filaments par le trou des serrures et sous les chanlattes des toits. Il s’accrocha aux épines des buissons, aux branches de bois jeune, aux mâts des bateaux, au fil pour sécher le linge. Puis il arriva par nuages entiers, des masses célestes humides et stagnantes, comme des monceaux de coton blottis au flanc des collines. Il revint sans cesse, deux, trois fois par semaine, un peu plus, chaque jour.

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Édition Les Éditions de Minuit

Ce roman prend comme point de départ l’installation de deux Parisiens dans une proche banlieue et dans un petit ensemble « écoquartier ». Leur bonheur sera de courte durée car les voisins vont s’avérer plus pénibles à supporter qu’ils ne l’avaient imaginer. De plus, la construction de ce quartier n’échappe pas aux malfaçons habituelles et rendent assez vite la vie de tous les jours fort désagréables. En réalité ce roman est une satyre de tous les comportements à la mode autour de l’écologie et des clichés autour du « mieux vivre ensemble ». Je n’ai pas adhéré au projet de l’auteur qui ne m’a pas embarquée dans son histoire ni dans la description des personnages. Je m’explique assez mal pourquoi car le sujet aurait dû m’intéresser. Le côté décalé sans doute, et, l’accumulation des petits détails signifiants qui m’ont semblé assez lourds. Cela donne souvent cette impression quand on n’adhère pas à un roman. Beaucoup d’avis positifs sur ce livre qui permettront de se rendre compte que je suis passée à côté d’un roman qui a trouvé son public.

Géraldine ,par exemple avait bien aimé (sauf la fin).

 

Citations

La métaphore des soucis qui traverse le roman

Après quoi elle s’est penchée par la fenêtre pour admirer mes soucis. J’avais vraiment la main verte, s’est elle exclamée, il faudrait que je lui donne des conseils.
– Les soucis sont résistants, ai-je répondu, ils se relèvent du pire comme du meilleur.
Et nus avons ri. 

 

Le quartier devient invivable

J’ai laissé mon regard errer vers la fenêtre. Les trouées des canalisations béaient à ciel ouvert. Sous la chaleur, la boue craquelait en plaques assoiffées, pourtant le gazon demeurait irréductiblement vert. Il m’a semblé qu’on pourrait toujours en resté là, à mi-chemin de la résolution sans que la balance penche jamais d’un côté ni de l’autre.

 

 

Édition livre de poche

  1. Livre reçu en cadeau et lu avec attention car j’avais lu beaucoup d’avis positif sur les blogs que je suis, en particulier Krol , qui depuis ne lâche plus cet auteur et bien d’autres lectrices ou lecteurs dont j’ai oublié de noter le nom. Ce roman a reçu le grand prix des lectrices de « Elle », le prix « Psychologie » du roman inspirant, et le premier prix « Babelio ». Une jolie carte de visite pour cet auteur que je découvre donc longtemps après l’engouement pour ce roman. Cet écrivain a une écriture très personnelle et envoutante, on le suit dans tous les tours et détours de son histoire . De plus, quand tous les fils sont dénoués on se rend compte que tous les hasards qui auraient pu rendre cette histoire peu crédible suivait en réalité la logique d’un super prédateur. L’histoire est racontée par les différents personnages de ce drame, ils ne savent qu’une partie de la vérité et Rose qui confie sa vie à des carnets n’a jamais su (ou pu) faire les bons choix. Il faut dire que son père l’a jetée dans la gueule d’un « ogre » qui va la violer et la torturer , elle avait tout juste quatorze ans et n’ose pas faire confiance à Edmond le seul personnage de ce terrible endroit qui semble ne lui vouloir aucun mal . Celle qu’il appelle la Reine Mère fait avec son fils Charles un duo au service du mal, hélas ! Edmond ne pourra pas sauver Rose du destin qui l’attend. Elle aura donc un enfant qui lui sera enlevé et est destinée à finir dans un asile psychiatrique à la merci du docteur troisième élément du trio infernal dans les griffes desquelles la pauvre Rose est tombée. Il y a une lueur d’espoir à la toute fin du roman, qui ressemble à un rêve plus qu’à la réalité.
    J’ai aimé ce roman, son écriture et sa construction. J’ai aimé aussi la difficulté de raisonner des personnages même s’ils ne savent pas prendre les bonnes décisions. Mais c’est ce qui m’a empêcher de mettre cinq coquillages à ce livre c’est ce côté excessif dans l’horreur : trop de fatalités ont nuit à la vraisemblance du récit. Je me disais sans cesse « trop c’est trop ». Mais cette nuance dans le concert d’éloges ne m’empêchera de lire les autres romans de cet auteur.

Citations

Remarque qui ne concerne pas seulement les prêtres

Faut-il vieillir pour voir grandir le doute de n’avoir pas été à la hauteur de ma mission ?
Vieillir, est-ce la seule façon d’éprouver durablement la foi ?

Les femmes dans le monde paysan

 On était quatre filles, nées à un an d’écart. J’étais l’aînée. Les filles valent pas grand-chose pour des paysans, en tout cas, pas ce que des parents attendent pour faire marcher une ferme, vu qu’il faut des bras et entre les jambes de quoi donner son nom au temps qui passe, et moi et mes sœur, on a jamais rien eu de ce genre entre nos jambes. Si j’ai pas entendu mille fois mon père dire que les filles c’est la ruine d’une maison, je l’ai pas entendu une seule.

Les hommes

Même à l’âge que j’avais, je savais à quoi m’en tenir avec les hommes, il y en avait deux sortes, ceux avec un pouvoir sur les autres, venu de l’argent du sang, ou même les deux à la fois, et puis les lâche. Lâche, comme Edmond. Parce qu’être lâche, c’est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange. À ce qui me semblait, Edmond, l’avait toujours fait des pas de côté, alors, je voyais pas bien pourquoi il se mettrait d’un seul coup en travers du chemin du maître, surtout pour une fille comme moi. Malgré son boniment et ses regrets, j’y croyais pas une seconde.

La folie

J’imagine que pas vouloir laisser souffrir quelqu’un qu’on aime, c’est être fou, aller contre la souffrance que Dieu aurait décidé de nous faire subir. Ici, il y a que des gens bloqués dans une souffrance qu’ils ont jamais acceptée, c’est la seule vérité, c’est pour ça qu’ils se réfugient de l’autre côté de cette souffrance, dans un temps qui file à l’envers, alors crois pas que je suis folle …

 

 

Édition Gallimard. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle découverte que cette auteure qui a un style très particulier, entre poésie et réalisme.
L’histoire se résume en peu de mots, une femme d’abord prénommé Éliette et qui deviendra Phénix, est trop, mais, mal aimée par ses parents et ne saura pas, à son tour, aimer ses deux enfants : sa fille Paloma et son fils Loup. Éliette était une enfant d’une beauté incroyable et un début de talent de chanteuse, ses parents d’un milieu populaire en font, naïvement et sans penser la détruire, une petite poupée qui chante en public en particulier au Noël de l’usine devant tout le village. Ce corps trop beau et vieilli avant l’âge attire les convoitises des hommes, et détruira l’âme d’Éliette. Paloma, sa fille quittera, à 18 ans, le domicile de sa mère, un garage pour pièces détachées dans une zone péri-urbaine, pour se construire une vie plus calme mais elle abandonne son frère Loup à ce lieu sans amour. Loup prendra la fuite en voiture sans permis et blessera d’autres automobilistes, il fera huit jours de prison. Il y a bien sûr un incident qui peut expliquer la conduite d’Éliette, mais l’auteur n’insiste pas, elle montre à quel point l’enfant était mal dans sa peau d’être ainsi montrée en public à cause de sa beauté et de sa façon de chanter. Pour punir ses parents elle s’enlaidira au maximum, et sa voix deviendra désagréable. Bref de trop, et mal aimée elle passe au stade de rebelle et entraîne dans cette rébellion ses deux enfants. Le roman se situe quand Loup est en prison et que Paloma et sa mère essaie de comprendre leur passé respectif. Tout le charme de ce texte tient à la langue de Natacha Appanah, on accepte tout de ce récit car elle nous donne envie de la croire, elle ne décrit sans doute qu’une facette de la violence sociale et la poétise sans doute à l’excès mais c’est plus agréable de la lire comme ça, cette violence sociale, que dans le maximum du glauque et du violent qui me fait souvent très peur. Et pour autant elle n’édulcore pas la misère du manque d’amour maternel et des dégâts que cela peut faire.

 

Citations

L’art du tatouage

Son biceps gauche est encerclé de trous lignes épaisse d’un centimètre chacune, d’un noir de jais. Sur son poignet droit, elle porte trois lignes du même noir mais aussi fine qu’un trait de stylo. Une liane de lierre, d’un vert profond, naît sous la saillie de la malléole, entoure sa cheville gauche, grimpe en s’entortillant le long de sa jambe et disparaît sur sous sa robe. Entre ses seins, que l’ouverture de sa chemise de nuit laisse entrevoir, il y a un oiseau à crête aux deux ailes déployées, à la queue majestueuse. C’est le premier tatouage qu’elle s’est fait faire à dix huit ans, pour inscrire à jamais le prénom qu’elle a qu’elle s’était choisi : Phénix. 

Impression que je partage même si, moi, j aime la ville

Georges n’a jamais aimé la ville mais il aime bien les gares. Celle-ci n’est pas trop grande, pas encore en tout cas. Il a l’impression que tous ce qui était à taille humaine, reconnaissable, inoffensif, est aujourd’hui cassé, agrandi, transformé. Les cafés, les cinémas, les magasins, les stations services, les routes, à croire que tout est fait pour que les hommes se sentent mal à l’aise, tournent en rond et se perdent.

Portrait amusant

D’habitude, elle est de ces femmes à ne jamais cesser de bavarder, grandes histoires, petits détails,un véritable moulin à paroles, et le docteur Michel soupçonne que c’est le genre de femme à commenter, seule chez elle, sa vie.

Bien observé

Il y a donc ce gâteau dont l’emballage précisait « transformé en France et assemblé dans nos dans nos ateliers »

 

 

 

Édition Le cercle.Belfont. Traduit de l’anglais par Muriel Levet.

Dans mon club de lecture, il y a quelques lectrices de romans policiers, elles sont très exigeantes si bien que, lorsqu’elles décernent un coup de cœur, je suis volontiers leurs recommandations. Souvent, c’est qu’au delà de l’intrigue policière, il y a un intérêt historique, sociologique ou la découverte d’une autre civilisation. Rien de tout cela ici, c’est un polar dans la plus plus pure des traditions. Et pourtant, je l’ai lu sans pouvoir m’arrêter pendant deux jours. L’intrigue est bien ficelée et le suspens très bien dosé. Evidemment, j’ai lu d’abord (ou presque) le dernier chapitre parce que je ne pouvais pas supporter que mes personnages préférés meurent. Je ne vous dirai rien, puisque vous êtes capables de supporter la mort des gentils en attendant la dernière page pour savoir s’ils seront sauvés des griffes des méchants. Non seulement vous en êtes capables mais en plus vous aimez ça ! Je ne sais pas si j’aimerai vous rencontrer dans les tunnels sombres et mal famés de Manchester … Oui, parce que dans la banlieue de cette grande ville industrielle traîne une faune qui se livre à des trafics en tout genre. Ce qui est assez invraisemblable c’est que de nombreux enfants sans liens avec des adultes sont livrés à des mafieux qui les utilisent comme mule pour la drogue et les prostituent, je me demande ce que font les services sociaux britanniques, cela ressemble plus à la vision de Dickens qu’à la Grande Bretagne d’aujourd’hui. Comme je ne peux pas vous raconter l’histoire, je peux au moins dire comment elle commence. Un soir d’hiver une maman et sa fille Natasha âgée de six ans sont victime d’un accident de la route, la maman est tuée sur le coup, mais la petite fille a disparu (d’où le titre en français). Six ans plus tard, le mari de cette femme, David a refait sa vie avec Emma et ensemble ils ont un bébé Ollie. Un jour Natasha revient chez son père et le roman peut commencer, car, si elle est revenue, cela semble surtout pour détruire la nouvelle vie de son père. On ne saura que peu à peu ce qu’elle a vécu pendant ces six années qui sont des années d’horreur absolue. Et nous ne saurons qu’au moment du dénouement pourquoi elle en veut tant à son père au point de mettre en danger la vie d’Ollie, ce bébé rieur.

Je crois que, pour ne rien divulgâcher, j’en ai assez dit, il me reste à évoquer les policiers En particulier d’un certain Tom qui mène l’enquête et qui est très malheureux de la mort de son frère Jack un hacker victime d’un accident quelques temps auparavant. Mais ce roman est plutôt centré sur les victimes et les malfrats, les policiers font leur travail mais à part Tom n’ont pas une personnalité très marquée .

PS

Je crois que si j’ai lu cette auteure c’est aussi que j’ai vu qu’elle habitait soit en Italie soit à Aurigny qui est mon île anglo-normande préférée. Comme quoi, on peut être très irrationnelle dans ses choix. Et voici deux images pour comprendre pourquoi Rachel Abbot a quitté Manchester !

 

Citation

Travers masculin

David lui faisait parfois penser à une autruche enfonçant sa tête dans le sable pour se forcer à croire que tout finirait par s’arranger. C’était l’une des rares choses qu’elle trouvait agaçante celui. Non pas son optimisme, mais son incapacité pas à regarder la réalité en face et sa tendance à privilégier les solutions de facilité

Édition Acte Sud

 

J’avais beaucoup aimé le roman d’Emmanuel Dongala « Photo de groupe au bord du fleuve », et ce roman-ci avait été chaudement défendu à une de nos rencontre au club de lecture. Cet auteur est un grand conteur et excellent écrivain. Il raconte cette fois, la vie du jeune George Brigetower, celui-ci vient en France au printemps 1789, avec son père . En suivant les traces de Léopold et Wolfgang Mozart, le jeune George va se faire connaître à la cour du roi Louis XVI parce que, à 9 ans, il joue déjà comme un grand virtuose. George et son père sont noirs, son père a connu esclavage dans les îles des Caraïbes, a réussi à venir en Grande Bretagne puis en Europe à la cour d’un prince polonais. Il a épousé une jeune Polonaise. George est donc métissé et malgré la couleur de sa peau, son talent va lui permettre de s’imposer en France, en Angleterre puis en Autriche où il rencontrera Ludwig Van Beethoven . Il se lie d’amitié avec Beethoven qui lui dédiera dans un premier temps une sonate … qui deviendra « la Sonate à Kreutzer ». Cette époque incroyablement féconde et violente traversée par le père et le fils permet à Emmanuel Dongala de faire revivre l’esclavage mais aussi la condition des femmes. Cet auteur sait parler des femmes et cela le rend très sympathique à mes yeux.
J’ai aimé cette lecture mais j’ai été un peu plus réservée que pour son premier roman, j’ai trouvé que le prétexte du roman se noyait un peu dans toutes les histoires diverses et variées que l’auteur nous raconte. Entre Olympe de Gouge, Lavoisier, la révolte de Toussaint Louverture, le sort des esclaves irlandais avant l’utilisation de la main d’oeuvre africaine, la révolution française…. Bref ce n’est pas un roman mais une dizaine qui se côtoient dans ce roman. Cela n’enlève rien au talent de l’auteur, mais par moment George et son père semblent moins intéressants que les événements qu’ils traversent.

Voici un portrait de George Bridgetower :

 

Citations

Le public parisien 1789

Ici, les amateurs de musique, en particulier les habitués du Concert Spirituel, venaient autant pour se montrer que pour apprécier la musique. En grande tenue, ils ne se gênaient pas pour jaser pendant l’exécution d’un morceau ou même pour exprimer leur opinion à haute et intelligible voix.

Portrait des Viennois

Ne te fais pas d’illusions sur les Viennois. Ces gens-là sont superficiels. Tant qu’on leur donne de la bière et de la saucisse, ils se tiennent tranquilles.

Dispute à propos du violon

Et cette vogue du violon ! Un instrument au son criard, dur et perçant. Qui n’a ni délicatesse ni harmonie et contrairement à la viole, à la flûte ou au clavecin, est fatigante autant pour l’exécutant que pour celui qui écoute. 
-Désolé, monsieur, lui rétorqua son jeune contradicteur, cette prédominance du violon est là pour rester. Vous savez pourquoi ? Parce qu’à lui tout seul, il peut être l’instrument principal d’un orchestre.

Portrait d’Olympe de Gouge

Elle est folle, celle-là. Je ne vois pas vraiment pourquoi Etta l’admire tant ! Trouvez-vous normal qu’elle demande l’abolition du mariage, qu’elle qualifie de « tombeau de l’amour » ? Qu’elle prône sans vergogne le vagabondage sexuel en demandant de prendre en compte les penchants naturels des partenaires à nouer des liaisons hors mariage ? Qu’elle exige que la loi institue un droit au divorce ? Pas étonnant qu’elle demande aux enfants nés hors mariage, je veux dire les bâtards, soient octroyés les mêmes droits qu’aux enfants légitimes. Rendez-vous compte ! Une femme qui ignore l’ordre naturel des choses et veut politiquer comme un homme, voilà l’Olympe de Gouge qu’admire tant notre cher Etta .

Un des aspects de l’esclavage

Avant de les vendre, on castrait les garçons et les hommes dans des conditions effroyables. L’opération était si barbare que très peu y survivaient : pour un rescapé, une douzaine trépassait (… ) 
Frédérick de Augustus était médusé. Il connaissait les horreurs de l’esclavage transatlantique, mais personne auparavant ne lui avait raconté l’esclavage arabo-musulman, tout aussi horrible, pire peut-être, sur certains aspects. Surtout, il ne trouvait aucun sens économique à cette castration qui provoquait la mort de tant d’esclaves. Il avait posé la question à Soliman qui lui avait répliqué :
– Vois-tu, ces esclavagistes-là ne raisonnent pas comme ce que ton père a connu dans les Caraïbes. Pour ces derniers, que les esclaves se reproduisent est souhaité et même encouragé car essentiel pour leur prospérité. C’est comme avoir du cheptel ; plus il se multiplie, plus le propriétaire devient riche. Cette logique économique n’existe pas chez les négriers arabo-musulmans, obnubilés qu’ils sont par la crainte de voir ces Noirs prendre souche et avoir des relations sexuelles avec les femmes des harems dont ils sont les gardiens et les serviteurs. Il fallait donc en faire des eunuques, c’est-à-dire les castrer. Pire encore, comme eux-mêmes ne se privaient pas de violer les esclaves noirs, les enfants qui en résultaient étaient systématiquement éliminés ! (…)
Pose-toi la question mon cher Frédérick, comment expliques-tu aujourd’hui la présence d’une population noire aussi nombreuses dans les Amériques alors que dans les sultanats et les candidats, malgré la masse innombrable qui y a été importée, ce n’est pas le cas ? Où sont passés tous ces Noirs qui ont traversé la mer Rouge en direction de la péninsule arabique, entassés dans des boutres dans les conditions les plus atroces ? Crois-tu qu’ils ont tout simplement disparu comme ça dans un immense trou noir ? Non. C’est le résultat de ces pratiques ignominieuses. Castration et infanticide !

 

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claude et Jean Demanuelli. Édition Cherche midi.

 

Livre critiqué dans le cadre du programme Masse Critique de Babelio

Ouf ! j’ai terminé cet énorme pavé de 560 pages ! Énorme : car je n’ai absolument pas apprécié cette lecture que je m’étais engagée à lire dans le cadre d’une masse critique de Babelio. Le sujet m’intéressait, j’avais compris que c’était un roman historique et qui devait me permettre de revivre la peste de Londres au XVII ° siècle – en période de pandémie cela me semblait une bonne idée que de se plonger dans des épidémies meurtrières du passé. Le roman se situe dans le milieu juif qui commençait tout juste à se réinstaller en Angleterre après les horreurs de l’inquisition en Espagne et au Portugal. Mais ce n’est pas du tout le thème le plus important du roman. L’auteure a voulu cerner ce qui aurait pu se passer à cette époque si une femme avait voulu se mêler d’écriture et de philosophie. Il s’agit donc d’une oeuvre d’une féministe qui veut faire comprendre la condition de la femme. D’ailleurs elle le dit clairement dans son interview que l’on peut lire à la fin du livre :

Question : Comment vous est venue l’idée de ce roman ? 
Réponse : Dans une chambre à soi, Virginia Woolf pose la question suivante : si William Shakespeare avait eu une sœur aussi douée que lui, quelle aurait été son sort ?
Elle apporte elle-même une réponse succincte à la question. « Elle mourut jeune … Hélas, elle n’écrivit jamais une ligne. « 
Woolf a raison bien sûr. C’était le sort le plus vraisemblable qui pouvait échoir à une femme de cette période douée d’un esprit développé. Les conditions dans lesquelles vivaient alors les femmes leur rendaient virtuellement impossible toute expression artistique ou intellectuelle.
La fiction romanesque commence par une découverte de manuscrits datant des années 1660, dans une très belle demeure du XVII° à Londres. Ensuite les chapitres se succèdent soit à Londres avec Esther au service d’un rabbin rendu aveugle par les tortures de l’inquisition, soit à Londres du XXI° siècle avec Helen Watt et son jeune assistant Aaron Levy. Les deux destinées sont construites en parallèles : Esther doit cacher à sa communauté qu’elle lit et écrit et même trahira son rabbin tant respecté pour pouvoir dialoguer avec Spinoza. Helen Watt est obligée de cacher ses découvertes le plus longtemps possible car personne, aujourd’hui encore, n’est prêt à admettre qu’une femme puisse atteindre un tel degré en matière philosophique. Toutes les deux sont dans l’urgence de la maladie, la peste pour Esther et la maladie de Parkinson qui ronge le cerveau d’Helen. Enfin les deux ont connu un véritable amour qui a bouleversé leurs certitudes. Ce roman décrit aussi l’ivresse de la découverte de vieux documents par des historiens et les rivalités du monde universitaire. Il décrit aussi les différences entre la froideur britannique et l’enthousiasme déplacé des américains.
Tout cela aurait pu m’intéresser mais je n’ai jamais accroché à cette lecture qui a pourtant reçu toutes les louanges de la presse américaine. La « construction étourdissante » dont parle la quatrième de couverture m’a semblé d’une lourdeur incroyable. Je vais peut-être me mettre à dos les féministes américaines mais je trouve le projet malhonnête. Certes, les femmes du XVII° étaient interdites de créations littéraires et artistiques et on peut supposer qu’une jeune fille de religion juive avait encore moins d’opportunités de se libérer des carcans de la tradition pour se permettre de philosopher avec Spinoza. Autant un exemple pris dans la réalité m’aurait intéressée mais inventer un tel personnage me semble vouloir faire correspondre l’idéologie de l’auteure à la réalité historique.
Quant-à la partie XXI° siècle, l’auteure met ses personnages dans des tensions qui rappellent celle des juifs ayant connu l’inquisition et la peste de Londres, et je n’y ai pas cru non plus, évidemment !
Et comme l’auteure essaie d’être dans la précision historique et psychologique la plus proche de ce qu’elle croit être la réalité, il lui faut presque six cent pages pour ne me convaincre ni dans l’histoire ancienne ni dans les conflits universitaires britanniques actuels . À ce roman trop bavard, je préfère et de loin la réponse lapidaire de Virginia Woolf. :
« Elle mourut jeune … Hélas, elle n’écrivit jamais une ligne. « 

 Citation

Les femmes juives au XVII° siècle

Je comprends très bien ton désir de l’étude, mais tu dois réfléchir au choix qui se présente à toi. Je ne peux pas faire comme si Dieu t’avait créée homme, et par conséquent capable de vivre de son esprit et de son savoir. Dieu a mis en nous des désirs innombrables. Mais nous les contrôlons pour pouvoir vivre. J’ai été obligé, pour ma part, de maîtriser mes propres désirs quand la perte de ma vue m’a interdit de devenir le savant que je voulais être, ou de fonder une famille. Je regrette vraiment, dit-il en baissant encore la voix, de t’avoir induite à croire que tu pourrais être une érudite. Tu en avais l’étoffe, cependant.

La fuite du Portugal , parole de la mère juive rebelle.

« Quand ma mère et moi nous sommes enfuies de Lisbonne, c’était pour sauver nos vies. Pas nos vies de juive. Nos vies, tout court. Nous nous sommes enfuies parce que même si nous ne récitions jamais une prière, même si ma mère et mes tantes allaient danser après leur festin du vendredi, même ainsi, les prêtres voulaient nous traîner dans leur chambre de torture. »

Dialogue en Israël au XX° siècle

« Donne-moi le nom d’un pays, n’importe lequel, et je te parlerai de l’époque où il ne pensait qu’à tuer les Juifs. Sais-tu que des nazis allaient recruter des paysans locaux en Russie pour les aider à noyer les Juifs, avant qu’ils aient trouvé des méthodes d’extermination plus efficaces ? Trente mille morts en deux jours à Babi Yar. » Un silence. 
 » Par noyade.
– Dror arrête.
-Je veux que tu essaies d’imaginer ça. 
Elle le regarda effarée.
 » Moi, je l’imagine. On ne peut pas noyer les gens en masse tu vois, il faut procéder individuellement. Peux-tu imaginer ce que c’est que de forcer un enfant, une femme, un homme à garder la tête sous l’eau ? Et pas juste une seconde comme si tu agissais par réflexe avant d’avoir eu le temps de réfléchir. Noyer quelqu’un suppose que tu le maintiennes … Il faut que tu continues jusqu’à l’extinction de toute vie » conclut-il d’une voix brisée.

 

Édition Stock.Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Journaliste écrivain, l’auteur a vécu toute sa vie dans l’ignorance de ce qui s’est passé pour son grand-père Paol, ex-officier de l’Indochine et soldat décoré de la grande guerre 14/18. En 1943, il est arrêté par la Gestapo et partira dans le camp de Dora, là où les nazis ont construit les missiles V2. Son petit fils est obsédé par ce qui s’est vraiment passé pour son grand-père et il part dans une enquête qui essaie d’ouvrir toutes les portes vers la vérité que ni sa grand-mère ni son père n’ont voulu ouvrir.

Nous voyons donc le passé glorieux de cet officier de l’armée française à travers ses différentes affectations et aussi son passé de père d’une famille heureuse. Et puis, la guerre le retrouve en Bretagne et toute la famille est bouleversée par son arrestation, le départ en Angleterre du fils aîné et la mort de pneumonie de leur sœur. Le père de l’auteur, Pierre sera à jamais cet enfant blessé par ces morts. Puis nous suivons le trajet de Paol dans les prisons puis de sa mort à Bergen-Belsen. Le principal intérêt est de faire revivre l’horreur de Dora :

 

On apprendra même les raisons pour lesquelles cet homme a été arrêté et qui l’a dénoncé.

J’avoue n’avoir eu que peu d’intérêt pour ce livre même si j’ai bien compris pourquoi l’auteur a eu ce besoin impérieux de l’écrire. Entre ce besoin et l’intérêt du lecteur il y a une grand différence, je suis vraiment restée en dehors de ce livre de mémoires .

 

PS :

Ingannmic m’a fait remarquer qu’Aifelle était plus enthousiaste que moi à propos de ce roman.

 

Citations

Portrait

Il était devenu cet homme fiable, taciturne, mesuré en tout. Un père sur qui on pouvait compter, présent parmi les absents, tenace dans les incertitudes, mais qui ne demandait rien, ne s’apitoyait jamais ni sur les autres ni sur lui-même. Taiseux surtout.

 

Édition ZOE traduit de l’anglais (Canada par Christian Raguet)

Après « Les Étoiles s’éteignent à l’Aube » et les incitations de Krol et d’Aifelle , j’ai retrouvé avec grand plaisir le talent de Richard Wagamese. On retrouve Franck, celui qui avait permis à son père de mourir en Indien et à nous lecteur de comprendre la beauté de la Colombie-Britannique. Cette fois encore le rapport de l’homme et de la nature est un des ressorts de ce roman que l’auteur n’a pas eu le temps de finir.

Nous retrouvons le thème de la rédemption par le retour sur soi-même qu’offrent la nature et les animaux sauvages. Emmy est une jeune femme violentée par la vie et des compagnons tous plus brutaux et alcooliques les uns que les autres. Elle a une petite fille Winnie, au milieu de tant d’horreurs quotidiennes, il ne lui reste qu’une seule volonté positive : que sa petite fille connaisse une vie meilleure que la sienne. Elle fuit donc les deux hommes qui la brutalisent et la violentent régulièrement pour sauver sa fille. Elle rencontrera Franck et son ami Roth qui travaillent avec lui à la ferme du « Vieil homme » celui qui a sauvé Franck et lui a donné le sens et le respect de la vie. Le roman suit deux traces , l’une terrible et uniquement faite de violence d’alcool et de vengeance : celle des deux hommes qui traquent Emmie pour assouvir leur vengeance, et celle de la reconstruction de Winnie et d’Emmie auprès de Franck dans les montagnes de la Colombie-Britannique.
L’auteur n’a pas eu le temps de terminer son roman, mais, il me semble que la fin est inscrite en filigrane dans ce que nous pouvons lire. Il s’agit de deux chasses, mais l’une est le fait de prédateurs qui ne sentent pas la nature dans toute sa complexité et l’autre celle d’une réconciliation avec le monde dans toutes ses facettes. Parce que ce roman n’est pas complètement fini, on sent aussi, parfois, des dialogues rapidement esquissés qui auraient demandé une relecture. Mais à côté de cela , il y a des moments splendides en particulier sur les rapports possibles entre les animaux et les hommes quand ceux-ci prennent le temps de les écouter. Un très beau livre d’un auteur qu’on aurait aimé lire encore longtemps.

 

Citations

Les loups

Ils étaient couchés sur un rocher pentu qui dépassait de l’extrémité de la saillie. Derrière eux, la lune étincelait comme un œil gigantesque. Le mâle alpha était le seul à être assis, face au disque lunaire scintillant, la tête légèrement relevé, semblable à un enfant empli d’émerveillement. Starlight reprit son souffle rapidement et se releva de toute sa hauteur. Le loup tourna la tête. Il s’observèrent : l’homme se sentit percé à jour, vu dans son intégrité, il n’avait pas de peur en lui, seulement du calme, le même que dans le regard résolu du meneur de la meute. Le loup se dressa. Il balaya du regard l’ensemble du tapis céleste moucheté d’étoiles et Starlight suivit ses yeux. L’univers, profond et éternel, était suspendu au-dessus d’eux, solennel et franc comme une prières.
 Le loup se rassit et sembla étudier le panorama. Puis il souleva son nez et lança un un hurlement glaçant face à la lune et aux étoiles éparpillées autour.

La violence faite aux enfants

Elle ne pouvait se remémorer une seule fois dans sa vie ou des hommes n’aient pas voulu la toucher, la tenir dans leurs bras, la caresser, et pendant un moment elle avait laissé faire parce que ça comblait le vide de solitude qu’elle portait en elle, orpheline placée dans une famille. Elle avait laissé faire jusqu’à ce qu’elle commence à en souffrir. Elle ne voulait pas penser à cette époque-là. Elle avait, une bonne fois pour toute, claquer la porte sur cette noirceur d’une nature particulière. Il y avait là des monstres, à l’affût, furtifs, en embuscade, attendant l’heure avant de se montrer et de s’emparer d’elle de sang-froid, avec leur sauvage mâchoire hargneuse. Elle avait senti leur présence toute sa vie. Il n’y avait jamais eu assez de lumière pour les chasser ou s’il y en avait eu, elle n’avait lui que brièvement avant de devenir l’ombre qu’elle avait connu et à laquelle elle s’était habituée depuis un temps bien trop long. Ce n’est que l’impitoyable cruauté de Cadotte qui avait précipité à la surface la vieille rage couvant en elle. Elle l’avait submergée. Elle avait déferlé sur elle comme une incontrôlable vague de peur, de négligence, d’abandon, d’aspiration, de néant, de faim, de besoin et de haine ; une haine d’un violet pur, insidieuse, furieuse, pour les hommes pour la vie, pour elle-même, pour avoir toléré ce qu’elle avait toléré qu’il lui arrive.

L’alcool

Son monde était circonscrit par la picole. Il buvait constamment. Mais elle aussi avait sa propre alliance avec l’alcool, qui semblait en accord avec celle de Cadotte. La picole permettait aux monstres et à l’obscurité de disparaître. Elle lui permettait presque d’arriver à éprouver un sentiment de joie, de liberté, et Emmy la laissait entrer dans son monde aussi souvent que s’en représentait l’opportunité. Avec Cadotte, elle se présentait tous les jours. Elle fut ivre six semaines d’affilées.

Un lieu à soi

Assister au lever et coucher du soleil est devenue la seule prière que j’aie jamais éprouvé le besoin de prononcer. Voilà mon histoire. Voilà mon chez moi. Cela vit en moi. 
Je vous vois toutes les deux, je vous vois chercher quelque part où vous installer. Très nerveuses et angoissées à l’idée de ne pas avoir de repère fixe. Effrayées, même. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas à le savoir. Mais le vieil homme m’a appris que si je peux aider quelqu’un je dois le faire. Cette terre m’a donné un endroit où poser mes pieds. Je crois que peut-être je pourrais en donner un aussi à Winnie. 
En vérité, une fois qu’il est en nous, une fois qu’on a fini par le connaître, on ne se sent plus jamais esseulé perdu ou triste. On a toujours un lieu pour porter tout cela, ou le laisser, ou lâcher prise. Et ce lieu est de nouveau en nous. Ce que je pense ? Je pense que Winnie doit avoir besoin de faire le vide. Vous aussi, si vous êtes prête.

Édition Flammarion. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Vous connaissez certainement « Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise », mais aussi « L’évangile selon Yong Sheng » . Ici dans trois nouvelles plus tragiques les unes que les autres Dai Sijie raconte trois destins pratiquement ordinaires dans ce terrible pays. Cela se passe dans une région entièrement polluée par le recyclage des appareils tels que les ordinateurs , téléviseurs ou électro-ménagers. Les gens deviennent fous, soit par la pollution soit par l’extrême pauvreté qui les réduisent à des gestes contre nature. C’est terrible et à peine supportable, la cruauté des hommes est sans limite, j’ai détesté le sort réservé à la femelle pangolin. Animal protégé qui a peu près disparu de Chine et cela parce qu’on lui attribue des vertus aphrodisiaques. La femelle pangolin a lutté de toutes ses forces car elle portait un petit sans pouvoir sauver sa vie. Le feu aura raison de sa résistance. (Peut-être cette race s’est-elle vengée en transmettant à l’homme le trop fameux virus !)

Trois destins tragiques marqués par l’extrême pauvreté , la pollution et la cruauté humaine. J’avoue avoir été saisie par la tristesse et le dégoût de cette humanité et je n’ai pas réussi à me sentir bien dans cette lecture. Dai Sijie écrit en français son pays d’adoption, et il a un goût pour l’imparfait du subjonctif qui rend son texte un peu vieillot mais cela lui donne,aussi, un charme certain.

 

Citations

Propagande maoïste

Seul notre État tout-puissant était capable d’organiser ce type de travaux pharaoniques pour répondre aux nécessités urgentes, indispensables, d’une région agricole moderne, et que le mot « réservoir d’eau », si ordinaire en chinois -et encore plus dans la vie quotidienne de ma famille-, était synonyme, sur le plan politique et économique, de bonheur du peuple. « C’est dans les climats où il pleut le moins que l’eau est le plus nécessaire aux cultures ». À en croire l’auteur de l’article, ce mot était quasi absent du vocabulaire des langues occidentales, des millions et des millions de malheureux Européens ou Américain ne le connaissaient pas, sinon ceux qui étudiaient l’histoire des jardins de Versailles, car il désignait les bassins construits par le roi de France afin de surprendre les dames de la cour par la beauté des jets d’eau.

Médecine chinoise

Il serait impossible de comprendre l’extinction de cette espèce (le pangolin) s’en rendre compte d’une particularité poétique de la médecine chinoise : par exemple, si les chauves-souris volent dans le noir, on peut être certain que leur fiente guériront de la cécité humaine, ; puisque le concombre de mer ressemble à un phallus , on affirme qu’il est aphrodisiaque et que, s’il en consomme, l’homme obtiendra un sexe d’une taille aussi pharaonique que l’est cette plante aquatique. Dans le cas du pangolin, c’est sa capacité à creuser dans la montagne qui fascine les Chinois. Et qu’est-ce qui ressemble plus à une montagne percée de grottes profondes, de ravins sombres, sinon un corps de femme ? Ainsi, manger sa chair est l’assurance de pouvoir pénétrer, aussi profondément qu’un pangolin, les mystérieux tunnels féminins.