Édition ZOE traduit de l’anglais (Canada par Christian Raguet)

Après « Les Étoiles s’éteignent à l’Aube » et les incitations de Krol et d’Aifelle , j’ai retrouvé avec grand plaisir le talent de Richard Wagamese. On retrouve Franck, celui qui avait permis à son père de mourir en Indien et à nous lecteur de comprendre la beauté de la Colombie-Britannique. Cette fois encore le rapport de l’homme et de la nature est un des ressorts de ce roman que l’auteur n’a pas eu le temps de finir.

Nous retrouvons le thème de la rédemption par le retour sur soi-même qu’offrent la nature et les animaux sauvages. Emmy est une jeune femme violentée par la vie et des compagnons tous plus brutaux et alcooliques les uns que les autres. Elle a une petite fille Winnie, au milieu de tant d’horreurs quotidiennes, il ne lui reste qu’une seule volonté positive : que sa petite fille connaisse une vie meilleure que la sienne. Elle fuit donc les deux hommes qui la brutalisent et la violentent régulièrement pour sauver sa fille. Elle rencontrera Franck et son ami Roth qui travaillent avec lui à la ferme du « Vieil homme » celui qui a sauvé Franck et lui a donné le sens et le respect de la vie. Le roman suit deux traces , l’une terrible et uniquement faite de violence d’alcool et de vengeance : celle des deux hommes qui traquent Emmie pour assouvir leur vengeance, et celle de la reconstruction de Winnie et d’Emmie auprès de Franck dans les montagnes de la Colombie-Britannique.
L’auteur n’a pas eu le temps de terminer son roman, mais, il me semble que la fin est inscrite en filigrane dans ce que nous pouvons lire. Il s’agit de deux chasses, mais l’une est le fait de prédateurs qui ne sentent pas la nature dans toute sa complexité et l’autre celle d’une réconciliation avec le monde dans toutes ses facettes. Parce que ce roman n’est pas complètement fini, on sent aussi, parfois, des dialogues rapidement esquissés qui auraient demandé une relecture. Mais à côté de cela , il y a des moments splendides en particulier sur les rapports possibles entre les animaux et les hommes quand ceux-ci prennent le temps de les écouter. Un très beau livre d’un auteur qu’on aurait aimé lire encore longtemps.

 

Citations

Les loups

Ils étaient couchés sur un rocher pentu qui dépassait de l’extrémité de la saillie. Derrière eux, la lune étincelait comme un œil gigantesque. Le mâle alpha était le seul à être assis, face au disque lunaire scintillant, la tête légèrement relevé, semblable à un enfant empli d’émerveillement. Starlight reprit son souffle rapidement et se releva de toute sa hauteur. Le loup tourna la tête. Il s’observèrent : l’homme se sentit percé à jour, vu dans son intégrité, il n’avait pas de peur en lui, seulement du calme, le même que dans le regard résolu du meneur de la meute. Le loup se dressa. Il balaya du regard l’ensemble du tapis céleste moucheté d’étoiles et Starlight suivit ses yeux. L’univers, profond et éternel, était suspendu au-dessus d’eux, solennel et franc comme une prières.
 Le loup se rassit et sembla étudier le panorama. Puis il souleva son nez et lança un un hurlement glaçant face à la lune et aux étoiles éparpillées autour.

La violence faite aux enfants

Elle ne pouvait se remémorer une seule fois dans sa vie ou des hommes n’aient pas voulu la toucher, la tenir dans leurs bras, la caresser, et pendant un moment elle avait laissé faire parce que ça comblait le vide de solitude qu’elle portait en elle, orpheline placée dans une famille. Elle avait laissé faire jusqu’à ce qu’elle commence à en souffrir. Elle ne voulait pas penser à cette époque-là. Elle avait, une bonne fois pour toute, claquer la porte sur cette noirceur d’une nature particulière. Il y avait là des monstres, à l’affût, furtifs, en embuscade, attendant l’heure avant de se montrer et de s’emparer d’elle de sang-froid, avec leur sauvage mâchoire hargneuse. Elle avait senti leur présence toute sa vie. Il n’y avait jamais eu assez de lumière pour les chasser ou s’il y en avait eu, elle n’avait lui que brièvement avant de devenir l’ombre qu’elle avait connu et à laquelle elle s’était habituée depuis un temps bien trop long. Ce n’est que l’impitoyable cruauté de Cadotte qui avait précipité à la surface la vieille rage couvant en elle. Elle l’avait submergée. Elle avait déferlé sur elle comme une incontrôlable vague de peur, de négligence, d’abandon, d’aspiration, de néant, de faim, de besoin et de haine ; une haine d’un violet pur, insidieuse, furieuse, pour les hommes pour la vie, pour elle-même, pour avoir toléré ce qu’elle avait toléré qu’il lui arrive.

L’alcool

Son monde était circonscrit par la picole. Il buvait constamment. Mais elle aussi avait sa propre alliance avec l’alcool, qui semblait en accord avec celle de Cadotte. La picole permettait aux monstres et à l’obscurité de disparaître. Elle lui permettait presque d’arriver à éprouver un sentiment de joie, de liberté, et Emmy la laissait entrer dans son monde aussi souvent que s’en représentait l’opportunité. Avec Cadotte, elle se présentait tous les jours. Elle fut ivre six semaines d’affilées.

Un lieu à soi

Assister au lever et coucher du soleil est devenue la seule prière que j’aie jamais éprouvé le besoin de prononcer. Voilà mon histoire. Voilà mon chez moi. Cela vit en moi. 
Je vous vois toutes les deux, je vous vois chercher quelque part où vous installer. Très nerveuses et angoissées à l’idée de ne pas avoir de repère fixe. Effrayées, même. Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas à le savoir. Mais le vieil homme m’a appris que si je peux aider quelqu’un je dois le faire. Cette terre m’a donné un endroit où poser mes pieds. Je crois que peut-être je pourrais en donner un aussi à Winnie. 
En vérité, une fois qu’il est en nous, une fois qu’on a fini par le connaître, on ne se sent plus jamais esseulé perdu ou triste. On a toujours un lieu pour porter tout cela, ou le laisser, ou lâcher prise. Et ce lieu est de nouveau en nous. Ce que je pense ? Je pense que Winnie doit avoir besoin de faire le vide. Vous aussi, si vous êtes prête.

Édition Flammarion. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Vous connaissez certainement « Balzac et la Petite Tailleuse Chinoise », mais aussi « L’évangile selon Yong Sheng » . Ici dans trois nouvelles plus tragiques les unes que les autres Dai Sijie raconte trois destins pratiquement ordinaires dans ce terrible pays. Cela se passe dans une région entièrement polluée par le recyclage des appareils tels que les ordinateurs , téléviseurs ou électro-ménagers. Les gens deviennent fous, soit par la pollution soit par l’extrême pauvreté qui les réduisent à des gestes contre nature. C’est terrible et à peine supportable, la cruauté des hommes est sans limite, j’ai détesté le sort réservé à la femelle pangolin. Animal protégé qui a peu près disparu de Chine et cela parce qu’on lui attribue des vertus aphrodisiaques. La femelle pangolin a lutté de toutes ses forces car elle portait un petit sans pouvoir sauver sa vie. Le feu aura raison de sa résistance. (Peut-être cette race s’est-elle vengée en transmettant à l’homme le trop fameux virus !)

Trois destins tragiques marqués par l’extrême pauvreté , la pollution et la cruauté humaine. J’avoue avoir été saisie par la tristesse et le dégoût de cette humanité et je n’ai pas réussi à me sentir bien dans cette lecture. Dai Sijie écrit en français son pays d’adoption, et il a un goût pour l’imparfait du subjonctif qui rend son texte un peu vieillot mais cela lui donne,aussi, un charme certain.

 

Citations

Propagande maoïste

Seul notre État tout-puissant était capable d’organiser ce type de travaux pharaoniques pour répondre aux nécessités urgentes, indispensables, d’une région agricole moderne, et que le mot « réservoir d’eau », si ordinaire en chinois -et encore plus dans la vie quotidienne de ma famille-, était synonyme, sur le plan politique et économique, de bonheur du peuple. « C’est dans les climats où il pleut le moins que l’eau est le plus nécessaire aux cultures ». À en croire l’auteur de l’article, ce mot était quasi absent du vocabulaire des langues occidentales, des millions et des millions de malheureux Européens ou Américain ne le connaissaient pas, sinon ceux qui étudiaient l’histoire des jardins de Versailles, car il désignait les bassins construits par le roi de France afin de surprendre les dames de la cour par la beauté des jets d’eau.

Médecine chinoise

Il serait impossible de comprendre l’extinction de cette espèce (le pangolin) s’en rendre compte d’une particularité poétique de la médecine chinoise : par exemple, si les chauves-souris volent dans le noir, on peut être certain que leur fiente guériront de la cécité humaine, ; puisque le concombre de mer ressemble à un phallus , on affirme qu’il est aphrodisiaque et que, s’il en consomme, l’homme obtiendra un sexe d’une taille aussi pharaonique que l’est cette plante aquatique. Dans le cas du pangolin, c’est sa capacité à creuser dans la montagne qui fascine les Chinois. Et qu’est-ce qui ressemble plus à une montagne percée de grottes profondes, de ravins sombres, sinon un corps de femme ? Ainsi, manger sa chair est l’assurance de pouvoir pénétrer, aussi profondément qu’un pangolin, les mystérieux tunnels féminins.

Édition P.O.L.Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Ce roman démarre dans la légèreté : Vicente et ses amis, des juifs parfaitement assimilées à la vie en Argentine, regardent de loin ce qui se passe en Europe. Leurs conversations sont marquées par l’humour juif qui leur donnent tant de saveur. Vicente est beau garçon , un peu hâbleur et propriétaire d’un magasin de meubles que son beau-père fabrique. Il est heureux en ménage, et a des enfants qu’il aime beaucoup. Sa mère, son frère médecin et sa sœur sont restés à Varsovie. En 1938, il leur conseille sans trop insister de venir à Buenos Aires. Il est content de son exil et des distances qu’il a mises entre sa mère qu’il juge envahissante et lui qui se trouve bien dans sa nouvelle vie. Et, les années passent, l’angoisse s’installe, il va recevoir trois lettres de sa mère et il prend conscience de l’horreur qui s’est abattue sur les juifs européens. Il se sent coupable de n’avoir pas su insister pour que sa famille le rejoigne, il va s’installer dans un mutisme presque complet. Sa femme comprend le drame de son mari et fait tout ce qu’elle peut pour le ramener vers la vie, mais sans grand succès. Vicente est dans son « ghetto intérieur » , comme son cauchemar récurrent qui l’angoisse tant. Il rêve d’un mur qui l’enserre peu à peu jusqu’à l’étouffer, il se réveille en prenant conscience que ces murs c’est sa peau : il est emmuré vivant en lui-même. (D’où le titre)

L’auteur est le petit fils de ce grand père qui n’a pas réussi à parler. Santiago Amigorena comprend d’autant mieux son grand-père que sa famille a dû quitter l’Argentine en 1973, l’exil et l’adaptation à un nouveau pays, il connaît bien. Cela nous vaut de très belles pages sur l’identité et une réflexion approfondie sur l’identité juive. Le thème principal de ce roman, c’est : la Shoah, qu’en savait-on ? Comment s’en remettre et que transmettre aujourd’hui ?. Rien que nommer ce crime contre l’humanité fait débat , ne pas oublier que pendant des années on ne pouvait pas nommer autrement que « Solution finale » avec les mots que les Allemands avaient eux-mêmes donnés à leurs crimes monstrueux. Crime ? mais ce mot suffit-il quand il s’agit de six millions de personnes ? Génocide ? certes ; mais il y en a eu plusieurs en quoi celui-ci est-il particulier ? Holocauste ? mais ne pas oublier qu’alors il s’agissait d’offrir des victimes innocentes à un dieu. Qui était le Dieu des Nazis ? Et finalement Shoah qui ne s’applique qu’au génocide des juifs par les nazis. C’est si important d’avoir trouvé un mot exact. Un livre très émouvant qui fait revivre l’Argentine dans des années ou ce pays allait bien et qui apporte une pierre indispensable à la construction de la mémoire de l’humanité.

 

Citations

Le genre de dialogue qui me font sourire

– Les Juifs me font chier. Ils m’ont toujours fait chier. C’est lorsque j’ai compris que ma mère allait devenir aussi juive et chiante que la sienne que j’ai décidé de partir.
-Comparée à la mienne, ta mère n’est pas si chiante, lui avez répondu Sammy, un œil toujours rivés sur les tables de billard. (…)
 – Le pire, c’est que quand elle avait 20 ans, elle rêvait d’une seule chose, quitter le shtetl pour aller vivre en ville. Elle trouvait ma grand-mère chiante pour les mêmes raisons que moi, je la trouve chiante aujourd’hui…
-Et pourtant, chiante ou pas chiante, tu lui as fait traverser l’Atlantique pour l’avoir à tes côtés.
– Oui… même les pires choses nous manquent.

Leçon de vie

C’est ce qu’on fait depuis la nuit des temps, non ?
– On aime nos parents, puis on les trouve chiants, puis on part ailleurs… C’est peut-être ça être juif…
– Oui… Ou être humain.

La culpabilité

Mais Vicente n’avait rien fait . Il avait même avoué que depuis qu’il était arrivé en Argentine, il avait compris que l’exil lui avait permis , aussi , de devenir indépendant, et qu’il n’était pas sûre de vouloir vivre de nouveau avec elle. S’éloigner de sa mère, en 1928, l’avait tellement soulagé-être loin d’elle, aujourd’hui, le torturait tellement.

Être juif

Une des choses les plus terribles de l’antisémitisme est de ne pas permettre à certains hommes et à certaines femmes de cesser de se penser comme juif, c’est de les confiner dans cette identité au-delà de leur volonté -c’est de décider, définitivement qui ils sont.

Édition Notabila . Traduit de l’italien par Lise Chapuis. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Deux enfants d’un quartier de Palerme se soutiennent pour vivre et rester joyeux malgré la pauvreté dans laquelle ils vivent. Mimmo et Cristofaro passent leur temps à éviter tous les pièges que tend la vie aux miséreux. Mais Cristofaro est en grand danger car son père lui cogne dessus tous les soir comme le dit l’auteur « Il pleure la bière de son père ». Dans ce quartier de Palerme personne ne peut garder une quelconque intimité car tout se sait, puisque tout s’entend même le nombre de coups que reçoit le malheureux Cristofaro. Le héros du quartier c’est Toto le voleur insaisissable qui court si vite qu’il laisse sur place tous ceux qui veulent le rattraper, en se faufilant dans les ruelles qu’il connaît mieux que tout le monde.

Il est amoureux de Carmela la prostituée et un moment de bonheur semble arriver quand il organise son mariage avec elle et ainsi donne un père à Céleste l’enfant qui n’a pas de père. Lorsque sa mère reçoit ses clients, Céleste passe ses journées à lire ses livres de classe sur le balcon du domicile de sa mère. Elle s’instruit aussi en regardant par le trou qu’elle a réussi à creuser dans le volet de la chambre, et connaitre la longueur de le « bite » de chaque père du quartier lui permet de tenir à distance tous ceux qui auraient aimé la mépriser.

 

Mais évidement quand la misère vous colle à la peau le drame n’est pas loin, et ce livre ne pouvait pas finir par un « Happy-End » de mauvais goût .

En vous racontant l’histoire, je passe à côté de l’essentiel : le style extraordinaire. Giosué Calaciura réussit à nous entraîner dans les rues Palerme . Nous sentons physiquement les odeurs, le rythme de chacun, les peurs des uns et des autres. Toutes les scènes sont à la fois précises et oniriques. Le passage où l’auteur décrit l’odeur du pain qui envahit les rues est un moment délicieux. Les courses éperdues de Toto pour échapper aux policiers sont époustouflantes : on court avec lui. Toute la vie est scandée par la sirène du ferry qui annonce son arrivée – avec les marins clients de Carmela- et la sonnerie de son départ -qui invite ceux qui veulent fuir Palerme à monter à bord. Ce n’est pas facile de décrire la misère sans la rendre si glauque et si violente qu’elle nous fait peur où si lointaine qu’elle ne nous touche pas. L’auteur la connaît bien, cette misère, et sait nous la faire vivre presque physiquement, l’horreur est là, la violence aussi mais les moments de bonheur aussi. Bref c’est l’humanité dans sa totalité. Bravo monsieur Giosué Calaciura.

Vous pouvez aussi lire le billet de « lire au lit » qui en dit beaucoup de bien

 

Citations

La prostituée

À l’entrée, elle rencontra le client paralysé qui, ne voulant pas être reconnu, était resté là à attendre que la foule s’éparpille ; pour le tranquilliser, elle promit de lui faciliter une sortie discrète en attirant sur elle tous les regards et les méchancetés. Lorsqu’elle ouvrit la porte d’entrée de l’immeuble chaussée de ses claquettes bleues, couverte seulement de son peignoir bleu enfilé après le travail, et qu’elle se présenta dans la lumière du dimanche après-midi, elle apparut à tous très belle et exempte de toute faute. Les femmes même qui, par habitude, se signaient chaque fois qu’elle la voyait, se figèrent, le bras levé à la hauteur de « au nom du Père », pressentant dans leur geste le blasphème de ne pas avoir reconnu, au milieu de ses cheveux déliés des étreintes de la luxure, le visage de la Vierge au Manteau. Alors elle reprirent leur signe de croix non pour demander le châtiment et pour participer au pardon

Le père violent

Au Borgo Vecchio tout le monde savait que Cristofaro pleurait chaque soir la bière de son père. Après le dîner, assis devant la télévision, les voisins entendaient ses hurlements qui couvraient tous les bruits du quartier. Ils baissaient le volume et écoutaient. Selon les cris, ils pouvaient deviner où il le frappait, à coups de poing secs, précis. À coups de pied aussi, jamais au visage. Le père de Cristofaro tenait à l’honneur de son fils : personne ne devait voir l’outrage des bleus.

L’initiation de Toto, et la corruption de la police

« Tu la vois , cette voiture, là ? Les pneus , les quatre , et puis tu files. »

 C’était l’utilitaire d’un employé de l’hôtel de police en charge des passeports : il n’avait pas encore compris et s’occupait avec un zèle excessif des papiers entachés d’antécédents judiciaires , il entravait le cours naturel des autorisations et délivrances de documents , et faisait de l’obstruction à travers l’intransigeance de la loi et les temps longs de la bureaucratie . Certaines personnes , par contre , avait un besoin urgent de casiers judiciaires immaculés et d’autorisations permettant de mettre en route des dossiers de chantiers et de travaux . S’il n’avait pas compris la manière douce , étant donné qu’il avait renvoyé à l’expéditeur une invitation pour une semaine de vacances tous frais payés avec femme et enfants à l’hôtel de la mer , il allait à présent comprendre la manière forte.

Le vendeur du marché aux puces le plus malheureux

Mais parmi tous ces vendeurs de fortune, le plus synthétique était celui qui vendait la solitude d’une chaussure. L’autre avait été volée par pure méchanceté, parce que c’était la plus belle,brillante, en cuir noir, la paire de chaussures de son mariage, celle qui l’avait accompagné à chaque pas dans toutes les occasions de fêtes et aussi au repas de Noël, même si c’étaient des chaussures d’été.

 

Édition Intervalles ; Traduit du grec par Françoise Bienfait. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un très beau roman qui traite si bien de toutes les questions qui hantent les hommes et pas seulement ceux de notre époque. Gazmend Kapplani pose de façon lumineuse la question de l’identité grâce à un dialogue entre deux frères. L’un, Karl, a quitté l’Albanie, et est confronté à l’exil et son frère, Frédérick, qui est resté auprès de son père, un pur communiste qui a défendu « le grand dirigeant » Henver Hodja.. Les deux prénoms sont déjà porteurs de l’engagement du père  : Karl, le prénom de Marx et Frédérick, celui d’Engels . Comme il y a beaucoup d’humour dans ce récit, on verra que, si Karl en albanais est trop proche du mot signifiant « bite », en revanche en exil avoir un prénom qui ne soit pas musulman lui a été favorable pour l’obtention de papiers (vrais ou faux). On apprendra petit à petit pourquoi Karl est si viscéralement hostile à son père, à l’Albanie à son village et si loin de son jeune frère. Au fur et à mesure qu’il décrit son exil et ses difficultés, on entend la voix de Frédérick qui pense que rien ne vaut la peine de s’exiler, que l’on est toujours de son village, de son pays, de sa langue et de ses morts. Il faut dire que Gazmend Kapllani sait bien de quoi il parle, lui qui a vécu vingt-quatre ans en Grèce sans jamais avoir obtenu la nationalité. Karl, comme l’auteur, vit et enseigne en ce moment aux USA car il a fui la violence raciste des néo-nazis grecs qui le menacent de mort . Il a révélé dans ce roman (et dans la vie réelle), les meurtres horribles contre les minorités albanaises » les Tchames. Toutes ces questions autour de l’identité de l’exilé nous interpellent aujourd’hui, mais si ce livre est un coup de cœur, c’est aussi que la trame romanesque est bien menée, on suit avec étonnement Karl qui n’arrive pas à être triste de la mort de son père, et qui semble distant avec son frère que l’auteur rend attachant. Et puis, au fil des chapitres, le passé revient et avec lui les attitudes des uns et des autres aux pires moments de la dictature communiste. Alors certes, l’exil est compliqué, et la cruauté des hommes ne connaît pas de frontières, mais quand on est exilé dans sa propre famille, je crois que rien ne peut retenir celui qui, comme cet écrivain, est capable d’apprendre, de parler et d’écrire une petite dizaine de langues.

PS. Je ne suis pas complètement certaine d’avoir compris le titre. Mais est-ce le même en grec ?

Citations

Les mœurs de village

 Il était allé déposer un bouquet de fleurs et une bougie sur la tombe de sa mère. Elle était morte un an avant le départ de Karl. La version officielle avancée par la famille était qu’elle avait succombé à une attaque. Mais tout le monde savait qu’elle s’était suicidée. Un geste aussi grave ne pouvait rester secret dans une ville où les commérages allaient si bon train qu’ils n’épargnaient pas même les trous de culotte des voisins .

Les rituels

La participation au mariage avait lieu sur invitation, alors que pour les décès, les maisons restaient ouvertes à tous, riches et pauvres, puissants et mendiants. Dans cette petite ville où les gens naissaient inégaux, vivaient et mouraient inégaux, la mort était en quelque sorte une patrie qui les accueillait tous sans discrimination.

La langue de l’exil

Karl fut surpris que son père ne disent rien quand il lui annonça qu’il émigrait de nouveau. Ce n’est qu’en quittant la table à la fin du repas qu’il brisa Le silence en lui demandant tout à coup : « Tu n’en as pas assez de passer ta vie à parler la langue des autres ? »
Karl se sentit comme quelqu’un à qui l’on enlève les vêtements par un tour de passe-passe et qu’on laisse complètement nu.

L’exil

Ma patrie est celle où sont enterrés mes morts. Chaque fois qu’on s’éloigne d’eux, on perd un peu plus de son énergie, de sa vie, de son identité.

Déboulonner la statue

Lorsque la statue du dictateur bougea un peu, tout ceux qui étaient autour se mirent à la couvrir d’insultes avec leur voix enrouée. : « Abattez ce fils de putain ! », « Niquez sa mère ! » (Parce que même lorsqu’il s’agit des dictateurs, ce sont toujours les mères qui prennent, on n’a jamais entendu quelqu’un injurier le père d’un dictateur.)

La tragédie de Smyrne

La famille de Clio avait disparu dans l’enfer des flammes qui avait recouvert la ville de Smyrne. Seules sa mère et elle, qui était âgée de neuf ans à l’époque, s’en étaient sorties vivantes. Elles arrivèrent au port du Pirée après avoir traversé la mer Égée sur une barque de pêche pourrie, surchargée de réfugiés qui avaient tout perdu. Ils laissaient derrière eux les tombes de leurs ancêtres et les corps de leurs parents carbonisés dans l’incendie, piétinés à mort par la foule qu’on pourchassait, ou tout simplement disparus. Ils espéraient revenir dans quelques jours, voire dans quelques semaines, pour les rechercher ou au moins enterrer leurs morts. Ils n’étaient jamais revenus. Devant eux se présentait une terre inconnue, rempli remplie d’autochtones qui ne cachaient pas leur méfiance et leur hostilité.

La carte de séjour

Il obtint sa première carte de séjour grâce à un cousin de Clio qui travaillait au commissariat central de police d’Athènes. Une carte minuscule, toute fine, du même bleu que le drapeau grec qui flottait au-dessus de la douane quand Karl attendait sur la-terre-de-nulle-part. « Heureusement que tu as un prénom chrétien », lui dit le cousin de Clio. Le faussaire albanais lui avait dit exactement la même chose . Si on ne portait pas de prénom grec, on devait en changer pour obtenir la carte de séjour et en choisir un plus « convenable », qui n’attirerai pas l’hostilité des autorités ni les soupçons des autochtones. Des milliers d’Albanais changeaient aussi rapidement de prénom qu’on se débarrasse d’un vêtement sale après le travail, espérant ainsi obtenir ce talisman que représentait pour eux la carte de séjour.

Le mal de l’état nation

D’après Christos, le nationalisme qui avait atteint ses contrés était une asthénie psychique bien particulière, inoculée par l’Occident qui était réputé pour sa froideur et son avarice, cette maladie incurable de l’Europe avait surtout frappé les petites nations, celles qui, d’après lui étaient nées au forceps du ventre de l’Histoire et se retrouvent est totalement dépourvues de défenses immunitaires. « Nous, dans les Balkans, nous sommes les enfants orphelins de trois empires, l’Empire romain, l’Empire byzantin et l’Empire ottoman », disait-il, planté devant la carte des Balkans qui incluait Constantinople et recouvrait presque tout le mur de son long couloir. Il avait également épinglé au-dessus une large bande de papier sur laquelle il avait écrit en gros caractères : « Chercher des gens ethniquement pures dans les Balkans revient à chercher des femmes vierges dans un bordel. »

Les tabous nationaux

Chaque pays a ses « tabous nationaux ». On les appelle ainsi parce qu’ils sont profondément enfouis dans l’oubli collectif, grâce à une convention tacite établie par la majorité des membres d’une communauté, de sorte que personne ne cherche à savoir la vérité. On peut aussi qualifier « d’ignorance institutionnalisée » ou de « statu quo » ce genre de convention. Pour prendre une comparaison un petit peu triviale, on pourrait dire que cette ignorance institutionnalisé est du même ordre que l’ignorance des usagers sur le fonctionnement des égouts, tout le monde sait qu’ils existent mais personne n’en parle, sauf quand une grande panne se produit et que leur contenu écœurant se déverse dans les rues.

 

Édition Zulma, Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Deux livres qui se suivent sur le même sujet, mais quel livre ! Il faut beaucoup de courage pour lire un livre sur le ghetto de Lodz. On sait dès les premières lignes qu’aucun des personnages que nous rencontrons au premier chapitre ne résisteront à la barbarie nazie. Hamad prend comme fil conducteur un malheureux enfant qui a vu toute sa famille assassinée et en particulier son frère jumeau. De fuite en fuite, ce petit enfant aux boucles blondes, arrive à Lodz. Tel un lutin, il se cache dans les plus improbables recoins d’une ville peu à peu vidée de ses juifs. Nous rencontrons alors l’histoire peu connue de Chaïm Rukovsky qui décida de mettre la mettre la main d’oeuvre juive au service de l’effort de guerre des nazis.

Pour cela, il crée une police juive redoutable. Dans son idée, si les juifs arrivent à se rendre indispensables, ils pourront survivre. C’est tout le paradoxe de ses positions : a t’il été un tyran pour la population au service des nazis ? A-t-il aidé l’effort de guerre des nazis ? Ou a-t-il contribué à en sauver quelques uns ? Bien sûr tous ses efforts n’ont servi à rien, sinon que Lodz n’a été liquidé qu’en dernier. En dehors de ce côté terrible voire insupportable l’auteur fait revivre la culture yiddish. C’est sans doute ce qui donne un charme très particulier à ce livre. Et cela nous rend encore plus triste devant cette perte irréparable, oui cette culture à bien disparu et cela définitivement.

Un livre éprouvant moralement mais qui a le mérite d’avoir su raconter l’indicible.
Un témoignage trouvé sur youtube raconte assez bien le paradoxe de ce ghetto qui lorsque le système de Rukovsky a fonctionné a permis à des juifs une vie moins horrible que dans d’autres ghetto, mais en même temps était au service de ceux qui allaient les assassiner.

Citations

Superstitions

Meryem avait bien assimilé les milles façons d’éviter le mauvais œil : ne jamais regarder par les fenêtres et l’entrebâillure des portes, ne pas convoiter les fleurs du voisin ni jalouser les mariées vêtues de blanc… Mais aussi, être discrète en tout afin de bénéficier de la Providence. Cela, elle n’y parvenait guère Chose aisée aux adultes, la discrétion demande moins de cœur que de raison ; et sa curiosité était comme une volée de moineaux qui s’éparpille et se posent en tout lieu. Pas un museau de souris, pas une mèche folle de fiancée pieuse n’échappaient à son œil de mouche, elle se délectait des innombrables petites ombres qui dénonçaient la fièvre mal cachée des caprices et des vices chez les uns et les autres, Juifs ou goyim de passage.

Vocabulaire recherché

Puis, tournant les talons, il s’était dirigé d’un pas décidé vers une harpaille de chiffonniers qui traînaient les pieds derrière un baudet minuscule attelé à une sorte d’énorme brouette à trois roues surchargée de hardes et de vieilleries.

Lódz

J’ai bien étudié vos propositions, déclara d’emblée Biebow. La rédemption des Juifs par le travail intensif et désintéressé au service du Reich ! C’est fort enthousiasmant ! On y réfléchira peut-être. Mais pour l’heure, l’Obergruppenführer Reinhard Heydrich, le Reichsführer Heinrich Himmler, le bureau principal de tutelle de l’Est et nos experts de l’état-major caressent d’autres perspectives… — – Avec votre agrément Herr Hans Biebow, si la chose était seulement envisageable, je me ferai fort de convaincre Herr Heinrich Himmler en personne des immenses mérites de mon programme pour l’économie allemande… Lódz a toujours été une ville industrieuse, grâce aux Juifs pour une grande part.
– Himler vous rira au nez. Que ferez-vous de vos hébreu maintenant qu’ils n’ont plus rien ?
– Je pourrais créer des ateliers et des usines par centaines avec une main d’oeuvre experte…
Par centaines ! Où donc ? Tous vos biens mobiliers et immobiliers ont été saisis.

Réflexions

À la fois dubitatif, un peu honteux et débordant d’une commisération mêlée de dédain, Chaïm Rumkowski laissa sa pensée vagabonde s’interroger sur ce qui différentiel le pauvre chaos des Juifs persécutés de la mécanique huilée des persécuteurs. Un chef conclut-il. Les siens ne disposait que d’un Dieu sans visage, les autres avaient un Führer.

Le ghetto

Depuis les massacres de mars dans les rues du centre-ville et les exécutions de masse dans la proche forêt de Zgierz, la majorité des Juifs encore présents à Lódz, par grande désolation, volonté de résistance ou fidélité à leurs mémoires,s’étaient résolu la mort dans l’âme à intégrer la réserve du ghetto, comme leurs tourmenteurs l’avaient conjecturé en usant des procédés de la chasse à courre -pourtant abolie par les nazis pour ce qui concerne les sauvages -, avec ses meute de chiens crieurs, ses trompes et ses rabatteurs ; leur gibier y gagnant somme toute une relative sauvegarde.

Pensée juive

« Ne demandez jamais votre chemin à quelqu’un qui le connaît, car vous pourriez ne pas vous égarer « 

Discours de Chaïm Rumkowski

Nous bâtirons ensemble une cité ouvrière modèle, une ville usine que toute la Pologne nous enviera. Qui puis-je s’il nous faut satisfaire l’Allemagne dominatrice pour obtenir de simple droit de vivre ? Nous créerons une république juive exemplaire forte de dizaines de milliers de travailleuses et de travailleurs tous dévoué et la plupart hautement qualifiés. 

Rapport homme femme ici au théâtre.

Et Poznansky la laisse en paix, dès lors qu’elle met son âme au service de la comédie ; il ne l’importune plus comme à ses débuts, avec cette sournoiserie des hommes qui dédaignent les femmes en les couvrant de louanges.

Le ghetto sous l’autorité de Chaïm Rumkowski

« Travaillez encore et toujours plus, si vous voulez vivre ! » répète à l’envi le roi Chaïm. Biebow comprends assez mal l’individu, son énergie de petit caudillo et sa pusillanimité face aux dignitaires du Reich. Ce judéen négocie la survie des siens contre cent mille pièces de textile pliées et emballés, en chef d’industrie aussi véreux que pugnace dans un marché aux esclaves et aux chiens. Présomptueux, au fond résigné et docile, il accepte les offenses et les restrictions dès lors qu’on lui abandonne la couronne d’Hérode.

La fin d’une culture

On ne pardonne qu’au diable à la fin. On néglige tous ceux que la terre recouvre, les hommes et les femmes partis sans comprendre avec leurs valises vides. Profesor Glusk l’a prévenu dans un rêve, demain les Allemands viendront rire au spectacle. Le clown Chaïm n’y pourra rien. Roi ou esclave, rien ni personne n’a pour eux d’importance. Cache-toi, ne respire plus, c’est bientôt la fin de notre histoire, on ne parlera plus yiddish à Lódz ni ailleurs. Un lait noir sort de la bouche des morts.

Edition Alma Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un livre sur un sujet à propos duquel j’ai beaucoup lu. Mais je pense qu’on ne lit jamais assez pour comprendre tous les aspects de la Shoah. J’ai été très intéressée par le point de vue de cette écrivaine tchèque qui vit en France et écrit en français.
Le roman commence par deux scènes fortes : à Prague, en 1953 Vladimir Vochoc fait face à un tribunal populaire, puis à l’époque contemporaine, toujours à Prague, lors d’une inondation une femme âgée ne veut pas quitter son appartement et impose d’autre part à sa fille que son enfant apprenne le français. Ces deux volontés apparaissent comme des ordres auxquels il est impossible de ne pas de soumettre. Puis nous repartons dans le passé à Strasbourg en 1938, deux femmes juives réfugiées accouchent, l’une perd son bébé, l’autre meurt en couches d’une petite fille bien vivante. La femme qui a perdu son bébé, s’empare de cette petite fille qui deviendra Josépha. Le père de cette enfant confie une poupée qui avait été préparée par son épouse pour l’enfant à naître.

L’originalité du récit vient de cette poupée de chiffon aux yeux de nacre qui suit toute l’histoire de Josépha à travers les fuites successives de la famille qui échappe de si peu à la mort. Mais le récit prend aussi une tournure plus historique grâce à un personnage qui a existé le consul à Marseille de la Tchécoslovaquie Valdimir Vochoc.

 

Celui-ci grâce à l’aide du journaliste américain Varian Fry a sauvé plusieurs milliers de juifs et de réfugiés allemands opposants au nazisme.

J’ai lu et découvert les fondements de la république tchécoslovaque qui voulait faire la place à toutes les minorités et toutes les langues qui se croisaient sur ce nouveau territoire. Si les démocraties avaient défendu cet état, le yiddish n’aurait donc pas disparu de l’Europe. Que d’occasions ratées ! Est ce que cela aurait permis à ne pas avoir à rechercher pourquoi il a fallu sacrifier environ 6 millions de juifs pour qu’enfin chacun se pose les bonnes questions face à l’antisémitisme. Le parcours de la poupée de Josépha raconte à la fois combien le filet qui se resserre un peu plus à chaque fuite est totalement angoissant pour ces pauvres juifs chassés de toute part, et combien seulement un tout petit nombre d’entre eux n’ont dû leur survie qu’à la chance et aux quelques « justes » croisés sur leur chemin. On connait cette fuite et ces angoisses, c’est bien raconté et tout est plausible mais pour moi le plus novateur dans ce récit est la rencontre avec cet ambassadeur Tchécoslovaque et son amour pour son pays.

 

Citations

Les juifs chassés de partout

Pour lui, il n’y avait pas d’endroit où aller. « Aller », c’était tout ce qui comptait. Ces différents lieux provisoires, tous ces « ici », n’étaient que des haltes de passage, plus ou moins longues, le temps de quelques générations, parfois de quelques années, le temps d’apprendre les lois du pays qui régissaient leur vie, le temps apprendre la langue, parfois le temps d’absorber et de restituer dans sa propre langue les mots et expressions d' »ici », le temps de se bercer de l’illusion d’une durée possible. Puis il fallait déjà repartir, parfois sans avoir le temps de refaire ses valises. « Avec les siècles, se disait Gustav, on a appris à flairer le roussi. Bien avant les autres. »

Conséquences de ces exils successifs

On devait être souple. Une souplesse inscrite jusque dans l’expression populaire : « prenez votre crincrin et tirez-vous. » Voilà pourquoi tous les Juifs de l’Est qui se respectent jouent du violon. C’est facile à transporter. On n’a jamais vu quelqu’un avec son piano sur le dos.

 

 

Édition folio. Traduit de l’anglais (Canada) par Clélia Laventure 

Je cherche désespérément qui m’a donné la mauvaise idée d’acheter ce livre … Ce roman a sûrement de l’intérêt mais il n’est pas pour moi. Cependant, il pose de vraies questions sur le journalisme d’aujourd’hui et le goût pour le sensationnalisme. Mais pauvre petite Luocine ! Plonger dans le glauque et le pervers : tu n’as plus la force de rechercher la substantifique moelle à travers des corps torturés, violés, dévorés .. et j’en passe. J’ai donc lâchement abandonné Nathan et Noémie à la page 100 . L’un avec ses relations sexuelles avec une femme cancéreuse et l’autre à la recherche du philosophe français qui a tué et dévoré sa femme. Si la blogueur ou la blogueuse qui a aimé ce livre au point de me le faire acheter se reconnaît qu’elle ou qu’il me le dise, je mettrai volontiers un lien vers un avis plus courageux que le mien.

 

Citation

L’éthique journalistique

Naomi appartenait en quelque sorte à une autre génération que Nathan, plus récente, bien qu’ils aient le même âge. Nathan semblait avoir façonné son éthique journalistique à partir de vieux film sur les reporter de presse. Pour Naomi, la collecte d’infos et la récupération sur Internet était une forme absolument valable de journalisme, ne présentait aucun nuage déontologique sur son horizon en open source. Ne pas être photographié de manière quotidienne, même par soi-même, ne pas être enregistré ni filmé pour être dispersé dans les vents turbulents du net, c’était s’exposer à la non-existence. Elle savait qu’elle se montrait fourbe vis-à-vis du Dr Trinh en lui parlant de preuves, mais, si elle en étais consciente, sa tromperie avait pour unique effet de la faire se sentir plus professionnelle. Ainsi en allait le net, et c’était libérateur.

Édition Gallimard NRF, Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Je me rends compte que je n’ai noté qu’un passage sur cet essai, c’est le signe du peu d’intérêt que j’ai ressenti à cette lecture. Jérôme Garcin est le gendre de Gérard Philip, toute la famille vit dans le souvenir de cet acteur qui émouvait tant ma grand-mère et ma mère. L’auteur veut nous faire revivre cette émotion. Je me souviens du livre de son épouse que j’avais lu à l’époque. Je m’en excuse mais je vais faire du mauvais esprit mais j’ai pensé en lisant ce livre : sur ce même sujet, on a eu sa femme, on a maintenant son gendre à quand les petits enfants ? Et puis malgré moi j’ai pensé aussi  : voici une mort qui rapporte … Je sais, c’est horrible mais c’est à l’image du vide que j’ai ressenti à cette lecture. J’ai quand même retenu trois choses, je trouve toujours aussi inadmissible qu’on lui ai caché son cancer. Je savais mais j’avais oublié que son père était un riche bourgeois compromis au moment de Vichy, Et j’ai appris aussi, que, pour lui, le plus grand homme du siècle était Lénine…. Une lecture donc tout à fait inutile même si, comme moi, vous avez aimé sa voix lisant « le Petit Prince » et racontant Mozart aux enfants.

Citation

La mort

C’est à Rodrigue, un Rodrigue au visage pâle, presque transparent, que, toute la journée, des visiteurs vont venir dire adieu. Comme si la tragédie de Corneille se prolongeait dans un post scriptum grandiose, il reçoit, couché sur son lit, dans la chambre en hauteur où l’on accède en montant quelques marches, à la manière d’un prince espagnol exposé dans la salle des audiences du palais Sévillan de l’Alcazar. Jamais la mort n’a été plus théâtrale.

Édition Acte Sud Babel traduit de l’allemand par Pierre Foucher

la dernière phrase du livre sonne très juste :

Et je me dis que ce Hitler, nous n’en seront jamais quittes : nous y sommes condamnés, à perpétuité.

Au mois de novembre 2019, Eva a lancé le mois de littérature allemande. Et j’y ai découvert deux essais. Le premier, « Un Allemand de l’Est » de Maxim Leo, a été un coup de cœur. J’ai plus de réserves pour celui-ci, dont comme Patrice , je recommande quand même la lecture. Il a fallu que j’attende le dernier chapitre pour en comprendre toute la portée. En février 1964, Horst Krüger se rend à Francfort en tant que journaliste pour couvrir le procès des Allemands qui avaient travaillé à Auschwitz. Il est sidéré de découvrir que des hommes qui, pendant la guerre, ont commis les pires atrocités sont redevenus des Allemands ordinaires. Et c’est sans doute à partir de cette confrontation qu’il s’est efforcé de retrouver qui il était pendant cette période : « un bon allemand, qui a permis le nazisme sans adhérer complètement à cette idéologie ».

La première partie relate son enfance. Son père est un fonctionnaire qui s’élève peu à peu dans la hiérarchie de son ministère. L’ennuie, la routine, la peur du regard des autres caractérisent son enfance. On pourrait même penser que le nazisme a gagné en Allemagne car c’était un pays où les gens s’ennuyaient et n’avaient rien d’intéressant à faire. Il décrit aussi la domination de la noblesse prussienne qui méprise les gens de basses extractions comme son père. Un ami d’origine juive et russe donne un peu de piquant à sa vie de lycéen. Et puis, il raconte aussi l’horrible suicide de sa sœur qui, ayant avalé des produits toxiques, mourra à petit feu à l’hôpital, ses parents n’ayant qu’un souci maquiller le suicide en mort accidentelle.

La deuxième partie du livre raconte sa guerre et sa prise de conscience si tardive qui le fera quitter le front et se rendre aux troupes alliées. On voit alors, ce qui a souvent été décrit, à quel point, jusqu’au bout, certains Allemands étaient fanatisés et voulaient se battre à tout prix et surtout punir tous ceux qui essayaient de fuir le système.

Puis enfin cette troisième partie sur ce procès des bourreaux ordinaires qui est vraiment passionnante et sonne très juste. Rien que pour ce moment il faut lire Hörst Krüger et espérer que jamais un tel régime ne revoie le jour .

 

Citations

Le quartier de ses parents

Les journaux parlaient de combats de rues dans le Wedding et de barricades devant la maison des Syndicats : c’était bien loin de nous, comme à des siècles de distance, de détestables et incompréhensibles cas de désordre. À Eichkamp, j’ai appris très tôt qu’un bon Allemand est toujours apolitique.

La clé du livre

Je suis un fils typique de ces Allemands inoffensifs qui n’ont jamais été nazis mais sans qui jamais les nazis ne seraient parvenus à leur fin. Voilà tout le problème.

Je ne connaissais pas le mot avers

Ivresse et extase sont les mots clés du fascisme, l’avers de sa médaille, terreur et mort son envers, je crois que les gens d’Eickamp aimaient bien, eux aussi, qu’on leur procurât cette ivresse et cette extase. Là était la faille leur site, leur talon d’Achille. Subitement on était quelqu’un. On vallait mieux, on était d’une autre espèce que le reste du monde, on était allemand. Il y avait une grande solennité dans l’air, en ce temps-là, au-dessus de la terre d’Allemagne.

Humour

On ne m’a jamais expliqué, chez moi, d’où viennent les enfants. Mes parents étaient non seulement a-politiques, mais encore a-érotiques et a-sexués. Peut-être cela va-t-il de va t-il de pair.

L’éducation sexuelle

Un soir, sur ma table de nuit, je trouvais un opuscule. J’en fus très étonné car jusqu’ici l’imprimé n’avait joué aucun rôle dans nos rapports. Je compris tout de suite qu’il fallait que quelque chose d’exceptionnel fût en jeu. Je me mis à lire : c’était une brochure d’informations sexuelles rédigée avec précaution, onction, bienveillance. Elle commençait par les graminées et les bourdons, elle passait au soleil pour parler ensuite des merveilles de la force divine avant d’en arriver, enfin, à la force virile et à l’éducation de terrifiant péché mortel de consomption : ça nuisait soi-disant, à la moelle épinière. Mais manifestement je ne voyais pas le rapport : sans doute était-ce un peu trop dévot pour moi, à cette époque-là. Ma mère, dans son désarroi, avait acheté cette brochure catholique chez les Ursulines. Elle ne m’en a jamais parlé, ni moi non plus. D’ailleurs, nous n’abordions pas ce sujet à la maison et si, en ce temps-là, la chose ne m’avait pas travaillé dans mon propre corps, à vingt ans j’aurais pu croire encore à la fécondité de la sueur de nos bonnes. Voilà comment c’était chez nous. La maison du petit-bourgeois allemand boute hors ses murs non seulement l’État, mais encore l’amour. Question – d’ordre purement sociologie : que reste-t-il alors, pour vivre, sans politique et sans sexualité ?

Enfin un réveil

Je ne veux plus être allemand. Je veux quitter ce peuple. Je passe en face.
Je sais, il n’y a pas il n’y a pas de quoi se vanter : il est moins cinq et le Reich est en train de se disloquer comme une vieille armoire. Il n’aura tenu que soixante-dix ans. Il y a belle lurette qu’à Yalta on se l’est partagé. Depuis des semaines, à Berlin, les puissants du régime ont sur eux les petites ampoules qu’ils croqueront quand ils auront touché au terme de leur cavalcade infernale à travers l’Histoire : encore quatre semaines.

Prisonnier

Commença alors la merveilleuse et inconcevable liberté de l’état de prisonnier, commença une période de souffrance riche d’espoir. Désormais je ne vivais plus qu’au sein de masses, de foules fatiguées, hébétées, affamées, qu’on poussait de camp en camp, de cage en cage, et pourtant, au milieu de cette grande armée grisâtre de prisonniers, pour la première fois depuis longtemps, je reprenais vie. J’avais le sentiment que les temps à venir seraient les miens, que j’étais en train de me réveiller, de revenir à moi. Hitler vainqueur, jamais ce n’aurait été possible. Maintenant, nous touchons ce fond est riche d’espoir, d’avenir, de chance qui s’offrent. Je vais mal mais je sais que maintenant j’ai des chances d’aller mieux. Ça ira mieux. Pour la première fois de ma vie, je faisais l’expérience de l’avenir : l’avenir, c’est l’espoir que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. L’avenir : jamais, sous Hitler, je n’aurais su ce que c’était.

Auschwitz

On dit qu’à notre époque de lumière il n’y aurait plus de mythe mais chaque fois que j’entends ce nom d’Auschwitz, j’ai la sensation que m’effleure un cryptogramme mythique de la mort en notre temps : danse macabre à l’ère industrielle. C’est ici, à Auschwitz, qu’a pris naissance ce mythe nouveau de la mort bureaucratisée. L’histoire n’accouche-t-elle pas de temps en temps de mythes nouveaux ? Est-ce qu’Auschwitz, ce n’est pas très exactement la vision de Rosenberg : le mythe du 20e siècle

Des hommes ordinaires

Mais je réalise alors que ces bons pépés ne sont pas des assassins ordinaires, des gens qui tuent dans un coup de folie, par dépit amoureux, par plaisir ou désespoir. Tout ça, c’est humain, ça existe. Les gens qui sont ici, ce sont les assassins moderne, d’une espèce jusqu’alors inconnue, les bureaucrates et les ronds-de-cuir de la mort de masse, les comptables et les scribouillards de cette machinerie, ceux qui appuient sur les boutons. Techniciens opérant sans haine ni sentiment, petit rond de cuir du grand Reich rêvé par Eichmann, assassins en col blanc. Ici se manifeste une criminalité d’un genre nouveau ou la mort est acte bureaucratique et où les assassins sont de sympathiques fonctionnaires agissant en toute correction.