Éditions Actes Sud,134 pages, juin 2025.
Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux

Je suis souvent à la recherche d’auteurs allemands pour participer au mois de « feuilles allemandes » de novembre, je n’ai donc pas hésité à candidater à Masse critique de Babelio pour ce roman. Mais …

 Voici le fil narratif : un homme d’affaire d’aujourd’hui, très occupé, rencontre à côté de sa maison de campagne, Karl, un homme amoureux de la nature qui vit totalement différemment de lui et du monde moderne, il sait, en effet, profiter de tous les instants que lui offre la vie dans la nature et cultive des pommes de terre à qui il parle pour les aider à combattre les mauvaises herbes !
Les deux hommes éprouvent un fort lien d’amitié, chacun ayant une souffrance à surmonter : le narrateur, quand il était enfant, a été enfermé quelques heures, dans un placard à balais par une animatrice de ski, et Karl le cultivateur de pommes de terre à une maladie auto-immune inguérissable ce qui donne à sa vie un tout autre sens. (Le parallèle entre les deux malheurs ne m’a pas semblé du même ordre !)
Franchement, c’est peu de dire que je n’ai pas adhéré à l’histoire, j’ai même failli lâcher ce court récit de 135 pages, quand Karl explique qu’il parle à ses plants de pommes de terre.
Le retour aux valeurs de la nature avec des personnages si peu incarnés m’a laissée de marbre et parfois frise le ridicule.
Bref, une énorme déception.

Extraits

Début.

5h12. Tous les matins je me réveillais à la même heure. Depuis plusieurs mois, déjà. Peu importait le jour de la semaine. Peu importait l’heure à laquelle j’allais me coucher, ou quelle tisane « nuit tranquille » je buvais. Ce samedi matin de juin n’a pas fait exception. J’étais parti seul à la campagne – ma femme suivait une formation, et nous enfants avaient des plans avec leurs amis.

L’homme moderne très occupé .

 Il y avait tout ce qu’il fallait : la rosée du matin sur les prés verdoyants, le chant d’un merle, le sol souple de la forêt sous mes pas. Mais il y avait aussi ce mur invisible entre moi et le monde.
 Et ainsi, à chaque pas ce n’est pas de la nature que je me rapprochais, de ce sentiment de légèreté auquel j’aspirais, mais de mon bureau mental. Et comme d’habitude, il était bien encombré : la conférence de rédaction de mardi prochain, la discussion d’hier vendredi, cette personne à qui je devais absolument écrire un mail après le petit-déjeuner, cette autre que je devais absolument réussir à joindre. Sans parler du cadeau d’anniversaire de ma tante que je devais encore acheter, si tant est que je trouve une idée.

Description « cucul » (pour moi) de la femme de Karl .

 Une fois la visibilité devenue meilleure la femme de Karl se tenait devant moi. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Heidi, l’héroïne des livres de mon enfance. C’était peut-être ses joues rouges comme deux pommes, ses yeux rieurs, son charme nature. On aurait dit un champ de fleurs. Cette femme respirait la fraîcheur et la joie de vivre. Elle a immédiatement trouvé une place dans mon cœur.

Quand j’ai failli lâcher le livre !

Chaque année, il mettait 77 000 plants en terre, qui donnaient 770 770 pommes de terre. Et son rituel le plus important se déroulait le jour de son anniversaire, le 30 avril. Une fois qu’il avait soufflé ses bougies, il se rendait seul sur son champ, et parcourait chaque rangée en disant un mot gentil mais ferme à chaque plant. Il les exhortait, cette année encore, à ne pas le laisser tomber, à vaillamment lutter, en un combat sacrificiel, végétal contre végétal, contre les mauvaises herbes, mais aussi contre les champignons. Et il leur disait que même s’il les vendait, le cœur gros, juste après leur naissance, il les aimait beaucoup. 


Éditions Robert Laffont, 251 pages, Décembre 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai commencé ce roman en étant persuadée qu’il allait fortement me déplaire : pendant la période du confinement une jeune femme rencontre un homme avec qui elle va tromper son mari. Elle sent qu’elle reproduit l’histoire de sa mère qui, elle aussi, a trompé son mari, et qui a avoué à sa fille qu’elle n’est pas la fille de son père mais d’un autre homme que sa mère a aimé avec passion.

Mais j’ai été happée par l’histoire de Luis ce médecin uruguayen, qui a fui la dictature, pour se réfugier à Lille aidée par Mathilde la mère de la narratrice. J’avais oublié que l’Uruguay avait connu une période de dictature militaire et la description de ce qu’il se passe dans les prisons du pouvoir est insoutenable.

Luis est médecin et il doit signer les constats de mort dans les prisons sans parler des tortures que ces pauvres gens ont subies. Cela le mine si fort qu’il finit par s’enfuir en France mais il est détruit par le poids de la culpabilité et la peur que le régime s’en prenne à sa femme et ses enfants.

Mathilde, mariée à un clerc de notaire dont elle a une fille, Sophie, aide cet homme à se reconstruire et emportée par sa passion, ils feront ce bébé , Lucia-Maria (Lucia pour la lumière et Maria du nom de la jeune femme torturée à mort, dans la prison de Montevideo, la dernière dont Luiz signera l’acte de décès par arrêt cardiaque) .

Luis ne sera jamais un père pour cette enfant née en France alors que, lui, est retourné dans son pays pour lutter et rétablir la démocratie. Il occupe maintenant un poste important, La rencontre avec ce père permet à la jeune femme de confronter l’histoire de sa mère avec celle de cet homme, mais c’est tout.

Un roman très classique et pas passionnant si ce n’est pour le rappel du passé tragique de l’Uruguay et j’ai trouvé que Laetitia de Luca le racontait très bien.

Extraits

Début

Paris, avril 2020
 Toutes les familles ont leurs traditions. La nôtre, manifestement, est de tromper son mari. J’ai longtemps cru pouvoir y échapper, mais j’ai présumé de mes forces. Pourtant chacun le sait les chiens ne font pas des chats. D’ailleurs c’est en allant promener le mien que c’est arrivé.

Passage obligé sur le statut de la femme secrétaire d’un grand patron de médecine.

Daller a toutes les raisons d’être satisfait du travail de Mathilde. Elle le materne du matin au soir avec une application de chaque instant qui flatte son égo boursoufflé. Elle range son bureau, trie ses papiers, vide sa poubelle et débarrasse son cendrier qui déborde comme un volcan. Elle s’enquiert de son sommeil quand il a l’air fatigué, s’inquiète pour sa santé à la moindre toux, le sermonne gentiment quand il travaille trop. Elle fait tout ça naturellement, parce que c’est dans l’ordre des choses. Parce que c’est un homme et elle, une femme. À la moindre difficulté le doyen crie « Mathilde » et elle accourt.
 Elle planifie chaque minute de son temps, lui annonce ses prochains rendez-vous, tape à la machine des lettres qu’il lui dicte.trop vite, pour la mettre au défi, parce que la possibilité de son échec est amusante pour lui. Parce qu’il n’a jamais su ce que c’est que de risquer sa place. Elle cale ses déjeuners et ses déplacements professionnels. Elle lui rappelle l’anniversaire de ses enfants, envoie le plombier à son domicile en cas de fuite. La femme du doyen ne travaille pas mais elle n’aurait « ni l’idée ni le temps » de s’en charger elle-même. Mathilde connaît bien madame Daller une très belle femme, grande mince, blonde, elle doit avoir quinze ans de moins que son mari….

Dernière lâcheté avant la fuite.et l’exil

Je ne signerai pas, murmure-t-il en s’effondrant, en larmes. Je ne signerai pas répète-il pour rattraper sa volonté qui déjà l’abandonne.

 Alors qu’il impose finalement son nom sur cet apocryphe, coulent sur sa roue joue, mélangées à la sueur et au filet de sang qui descend sur sa tempe, des larmes d’impuissance, des larmes de honte, et pour la 1re fois des larmes de haine.

Le poids du passé.

 Par son envolé lyrique, il a touché dans le mille les cœurs gonflés d’idéaux de ces jeunes gens. Le professeur se réjouit un instant de leur transmettre ce qu’ils considèrent comme le fondement même de la médecine moderne. Pour un instant seulement, car la seconde d’après sonne l’heure du retour au réel, du retard, des horaires, des contraintes. Il range ses feuilles de cours dans son cartable en cuir et prend congé de ses disciples. En descendant de l’estrade, il se revoit signer les constatations de décès des torturés de Montevideo, la plupart ayant le même âge que ses élèves, des enfants, et il se demande :  » Il était où à ce moment-là le grand professeur humaniste ? »

 

 


Éditions Zulma, 223 pages, novembre 2015

Traduit du portugais par Dominique Nédellec.

 

Enfin, voilà un roman qui va sortir de ma pile, je l’avais noté et acheté grâce à Keisha , il y a un certain temps ! C’est un récit assez farfelu, et souvent très drôle, mais qui évite un écueil, il ne tombe pas dans le surnaturel. J’ai du mal avec la littérature d’Amérique latine qui aime jouer avec les forces obscures de l’au-delà. Ici finalement tout aura une explication rationnelle, même la mort d’Ada qui aurait pu être évitée si le courrier des résultats de ses analyses lui étaient parvenu.

Plus que l’enquête menée par le pauvre Otto qui sent bien qu’il s’est passé quelque chose, mais ne sais pas quoi ! ce roman m’a plu pour la galerie des personnages du voisinage. C’est Ada, qui savait entretenir les liens sociaux , et qui parlait à Otto du préparateur en pharmacie qui est fan des notices de médicaments, du facteur qui se trompe toujours de destinataire du courrier qu’il doit remettre, de Iolanda spécialiste des sciences occultes et qui emploie depuis la mort d’Ada une jeune fille rousse pour faire du repassage alors qu’elle ne sait pas se servir d’un fer à repasser, de Teresa et ses chiens chiwawas qui aboient sans cesse… et du japonais Taniguchi atteint d’un Alzheimer et qui n’a terminé sa guerre contre les américains en … 1978 ! bien caché dans une forêt aux Philippines.

Les portraits de ce voisinage sont drôles et bien racontés, et puis, il y a l’enquête menée par Otto si peu capable de relations sociales mais qui sent bien qu’il s’est passé quelque chose, peut être le soir ou la tisane à base de laitue a réussi enfin à le faire dormir ? Pendant cette fameuse nuit, celle de la laitue s’est-il passé quelque chose qui expliquerait l’arrivée en masse des cafards chez Iolanda .. Ce n’est pas l’aspect que je retiens tout en reconnaissant que l’autrice a très bien su semer les indices pour qu’un amateure du genre se dise « Ah mais bien sûr, j’aurais dû m’en douter ! » . Je ne me suis doutée de rien, car j’avais oublié qu’on le présentait comme un roman policier, ce qui est abusé car il n’y a aucun policier dans ce roman ! Mais , il y a bien une enquête et même une mort. J’espère avoir respecté la règle de ne jamais dévoiler la fin d’un roman policier. Et, je le redis ce roman ne tient que grâce à l’humour de cette écrivaine qui m’a fait rire plusieurs fois.

Extraits

 

Début.

 Lorsque Ada est morte, le linge n’avait même pas eu le temps de sécher. L’élastique du jogging était encore humide, les grosses chaussettes, les T-shirts et les serviettes toujours sur le fil. C’était la pagaille : un foulard trempant dans un seau, des bocaux à recycler abandonnés dans l’évier, le lit défait, des paquets de gâteaux entamés sur le canapé – en plus, Ada était partie sans arroser les plantes. Les objets ne respiraient plus, ils attendaient. Depuis qu’Ada n’était plus là, la maison n’était que tiroirs vides.

Problème de traduction :Je me demande si on dit aussi vachement en portugais.

 Ada s’était entichée du mot « vachement » que du jour au lendemain elle s’était mise à utiliser à tout bout de champ. Cette nouvelle manie avait le don d’horripiler Otto, qui tint à s’informer sur la signification les origines du mot en question. Ada s’en alla d’un pas résolu consulter sa voisine Mariana, qui après tout avait étudié à l’université. Elles émirent ensemble deux hypothèses étymologiques. La première de nature kilométrique : dans « c’est vachement loin », il s’agit de traduire l’idée d’une distance excessive, au point que même une vache serait épuisée avant de l’avoir parcourue. Et quand on dit :  » il y a vachement à manger » c’est pour évoquer une quantité de nourriture qui suffirait à rassasier un bovin.

Humour macabre.

Un jour, il avait plongé la tête sous l’eau et, de retour à la surface, s’était mis à rire comme un tordu. « Tout le monde a trouvé ça amusant, racontait Ada. Il a replongé, il est remonté à recommencé à se bidonner. Ça faisait marrer tout le monde. Puis il a plongé encore une fois,mais n’est pas réapparu. Moralité  : mieux vaut ne pas faire la même tête quand on rit et quand on se noie. »

On ne sait jamais pourquoi on rit mais là j’ai éclaté de rire :

 Il se leva et, en traînant les pieds alla se brosser les dents et se laver le visage avec deux types de savons antibactériens -l’un éliminant 99,8 % des bactéries et l’autre 99,7 %. À eux deux, ils feraient donc mieux qu’exterminer les micro-organismes nocifs : sa peau afficherait un solde créditeur

La passion du pharmacien.

Nico avait une passion pour les notices de médicaments. En théorie, toutes les maladies du monde pouvaient s’abattre sur un patient avalant un malheureux comprimé pour en finir avec un bête rhume de cerveau, et le nombre de combinaisons possibles étaient infini. « Les plus fascinants , c’est ceux qui peuvent provoquer des états paradoxaux, comme somnolence et insomnie, accroissement et diminution de la libido, et, évidemment, les antidépresseurs entraînant des dépressions. Un antigrippal qui donne le hoquet » détaillait il accoudé au comptoir de la pharmacie.

Les médicaments, exemple de notice.

Mais la varénicline, on ne fait pas mieux : elle peut occasionner infections fongiques, infections virales, frustrations, bourdonnements, myopie, écoulement post-nasal, éructations (rots), flatulences (pets), prurits et sensation de mal-être.
– Sensation de mal-être…
– Autres effets secondaires, constipation, convulsion, anxiété, instabilité émotionnelle, syncope et collapsus.
– J’aime bien quand il parle de mal être, releva le gérant de la pharmacie, avec un léger temps de retard. C’est comme s’il disait. « Quoi que vous ressentiez, il se peut que ce soit notre faute. Mais ce n’est pas notre faute », compléta t-il tout en rangeant l’étagère des compléments vitaminés. Frustration, c’est pas mal non plus.

La poste comme danger mortel.

 Mais Ada n’avait reçu pas les résultats de ses examens et, par conséquent ne sut pas qu’elle souffrait d’une arythmie pouvant lui être fatale. Elle mourut des suites d’un dysfonctionnement de la poste.

 

 

 

 

 

 

 


Éditions du sous sol, 388 pages, février 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Je voulais lire ce roman pour son titre, comme tant d’Élisabeth , le personnage principal a supporter un dimunitif toute sa vie, pour elle c’était Betsy. Je connais bien ce phénomène. Peut-on être la même personne quand on vous vous appelez Élisabeth, mais que votre entourage déforme en Betsy, Babeth, Zabou ou Zabeth ?

Cette remarque, toute personnelle, a peu de choses à voir avec ce roman qui raconte encore, une fois, une souffrance familiale scrutée par une écrivaine qui sait que son arrière-grand-mère, Betsy a été lobotomisée pour la « guérir » de sa schizophrénie. Cette maladie mentale plane dans toute la famille, cela procure en particulier chez les femmes une peur sourde et latente de porter en elles, cette folie.

Adèle Yon part à la recherche de ce qu’il s’est passé pour Betsy, jeune femme fiancée à André, séparée de son fiancé par la guerre 39/45 , puis mariée, accouchant de six enfants, et faisant des dépressions gravissimes et des crises de « folie ». À la demande de son mari, elle finit par subir une lobotomie et est internée loin de sa famille dans la Sarthe. Avec l’évolution de la psychiatrie, elle ressortira de ce mouroir pour « fous », et reviendra non pas auprès de son mari et de ses enfants mais dans sa propre famille maternelle.

L’autrice tape à toutes les portes pour faire la lumière sur la vie de Betsy. Le livre raconte tout et cela donne un aspect un peu fouillis, pas désagréable mais qui demande au lecteur une certaine vigilance. Le récit de l’écrivaine est en caractères graphiques habituels, les interviews, les lettres, les mails sont dans une autre typographie. On passe par tous les moments de cette enquête pas toujours passionnante, les archives des hôpitaux psychiatriques m’ont carrément ennuyées . L’autrice semble vouloir abandonner son enquête et part travailler en boucherie industrielle, elle le raconte bien , mais franchement la comparaison entre la lobotomie et le découpage du porc m’a semblé pour le moins inutile voire déplacée !

Il apparaît de façon évidente que le mari de Betsy n’a pas voulu prendre en charge sa femme et que, les six grossesses n’ont pas aidé cette pauvre femme à aller mieux. Le plus dur pour elle , c’est de n’être pas retournée vivre avec son mari quand les psychiatres plus humains l’ont déclarée apte à vivre en dehors de l’hôpital.

Les recherches que l’auteure a menées autour de la lobotomie m’ont beaucoup intéressée. C’est la raison pour laquelle j’ai mis quatre coquillages, alors que pour l’ensemble j’aurais plutôt mis 3 coquillages. La lobotomie est une pratique qui a eu beaucoup de succès aux USA, un peu moins en France et qui n’est toujours pas interdite. 85 % des personnes lobotomisées étaient des femmes, et c’était une pratique dangereuse qui n’a jamais guéri personne mais qui, dans le meilleur des cas, calmait les malades.

Pour l’écrivaine qui a ouvert tous les placards à secrets de sa famille, elle décrit le père de Betsy comme autoritaire et harceleur si ce n’est incestueux, le mari comme quelqu’un incapable d’aider sa femme et responsable de cette lobotomie qui a empêché tout progrès pour la santé de son épouse qu’il a abandonnée dans un hospice sordide.

Une fois encore, l’autrice pense que ce lire l’a aidée à guérir de sa peur de la folie et elle le dédie à toute celles qui ont la même peur qu’elle :

Je remercie enfin toutes les femmes qui, au cours de ce voyage et au-delà, m’ont fait part de leur expérience de la maladie mentale, de la peur, de la menace, du découragement, du poids familial, du silence, de la colère. Je remercie toutes celles et ceux qui apercevront leur histoire dans le creux de celle-ci. Ce livre est pour nous : qu’il nous libère.

 

Extraits

Première page

Objet : Jean-Louis Important 
Date : 4 janvier 2023 à 02:18:49
À : LA FILLE CADETTE
Quand tu liras ces mots, j’aurai fini mes jours après avoir basculé dans le vide depuis le balcon de l’appartement que j’ai loué au 7° étage. 

Début du chapitre 1.

 L’inventeur devenu millionnaire du Minitel rose préparait l’opération depuis plusieurs mois. Il a mis en ordre ( jeté, donné, brûlé) ses affaires, vendu sa maison du sud de la France, loué un appartement au septième étage d’un immeuble de la rue d’Aligre, rédigé son testament, réglé ses obsèques, écrit un mail à trois personnes, téléphoné à la police pour l’avertir qu’il s’apprêtait à sauter du septième étage d’un immeuble de la rue d’Aligre et, le 4 janvier 2023 à trois heures du matin, il a sauté du septième étage de l’immeuble de la rue d’Aligre, laissant derrière lui en évidence sur la table de la cuisine, les clés d’une voiture de location Honda 245AWD32 garée dans le parking de l’immeuble. 

La peur d’être folle.

 Il y a pour moi un risque génétique : tout le monde sait que c’est à la sortie d’adolescence que le risque de développer une maladie mentale est le plus fort. Il n’y a aucun doute c’est ce qui est en train de m’arriver. Ai-je moi-même induit que mon arrière-grand-mère était schizophrène en une confusion qui n’était pas sans précédent entre la folie en général et la schizophrénie en particulier ?

Travail de boucherie

En boucherie, le couteau se tient comme un poignard que l’on s’apprêterait à plonger dans un corps de dos, le poing serré vers l’extérieur, la lame vers soi. Toute la force est concentrée dans le poignet. Pour cette raison, les apprentis bouchers se revêtent d’une cotte de mailles : un geste manqué finirait sans hésiter dans nos entrailles. En boucherie, on est soi-même son propre ennemi, son meurtrier potentiel. 

Façon de soigner la maladie psychiatrique.

 Le développement de la chirurgie gynécologique rendent soudain possible de la guérison du mal à la racine, ils permettent de l’extraire comme un vulgaire kyste, une excroissance sans laquelle le corps demeure parfaitement intact. Découper, sectionner, exciser, curateur, ablater, amputer : je suis frappée par la manière dont la psychochirurgie fait fond sur une théorie de l’excès selon laquelle l’ablation de certaines parties du corps, comme de tumeurs malignes, permettrait au sujet malade de retrouver son équilibre initial. D’abord, utérus, clitoris ; ensuite lobe frontal des parties « en trop ». La banalisation des violences envers les parties génitales des femmes ouvre naturellement la voie à la banalisation des violences envers leurs cerveaux. Découper l’utérus, découper le cerveau : il n’y a qu’un pas.

Je partage cela avec cette écrivaine.

 J’ai une piètre maîtrise de la marche arrière, mes roues se dirigent toujours à l’opposé de ma pensée

 


Éditions Zulma, 285 pages, février 2022.

traduit du Hongrois par Judith et Pierre Karinthy

 

(Je me suis demandé si les traducteurs avaient un lien de parenté avec l’auteur.) Cette histoire avait vraiment tout pour me plaire  : Budaï est un linguiste de renommée internationale (l’auteur est lui même linguiste et ça se sent), il est attendu pour une conférence à Helsinki. Mais il atterrit dans une ville qu’il ne connaît pas et dont surtout il ne comprend pas un seul mot. Lui, qui parle une dizaine de langues, n’arrive absolument pas à se faire comprendre. J’avais espéré que le roman se pencherait surtout sur cet aspect comment décrypter une langue que l’on ne comprend absolument pas. Mais visiblement en ce Hongrois se cache un Kafka et l’absence de communication se double d’un monde comment absurde et dangereux. Budaï va de mauvaise décision en mauvaise décision, jusqu’à agresser un policier en espérant trouver là une personne qui chercherait qui il est . Le personnage cherche à comprendre comment fuir cette ville, mais tous ses essais l’enferment un peu plus dans un monde où il risque sa vie. Je me demande si ce livre ne représente pas le cauchemar des linguistes et des professeurs qui vont de colloque en colloque sans pour autant comprendre les sociétés où ils sont accueillis.

 

Extraits .

Début.

En y repensant, ce qui a dû se passer c’est que dans la cohue de la correspondance, Budaï s’est trompé de sortie, il est probablement monté dans un avion pour une autre destination et des employés de l’aéroport n’ont pas remarqué l’erreur. 

Comment lire une langue sans aucun repère.

 Il en revient donc à son journal, le tourne, le retourne, cherchant ce qu’il pourrait en tirer. Ce faisant il fait une découverte aussi surprenante que des agréable. Jusqu’à présent il croyait en effet qu’ici aussi les signes se suivent de gauche à droite les lignes de haut en bas comme dans toutes les écritures européennes, latines ou non. En témoigne la facture, le règlement de l’hôtel ou encore l’annuaire de téléphone emprunté à la réception qui avait disparu de sa chambre par la suite. Mais un examen plus approfondi de ce journal éveille des doutes dans son esprit. Il y a bien un gros titre imprimé en caractères gras et nettement plus grand que le reste sur la première page, mais tout autant sur ce qu’ils croyaient être la dernière. Où faut-il commencer la lecture ? devant ? derrière ? en haut ou en bas ? À moins qu’il ne faille le lire en allers et retours, comme dans l’ancienne écriture grecque quand les lignes se lisaient d’abord de droite à gauche puis à la suite se renversaient en miroir de gauche à droite.

 

 


Éditions Emmanuelle Colas, 234 pages, Mars 2024.

Rarement un roman ne m’aura autant touchée, je l’ai aimé de la première ligne à la dernière et pourtant j’ai lu la dernière partie en apnée tant elle décrit l’horreur, mais j’ai eu le courage de ne pas en rater un seul mot.

Le roman cerne trois personnages qui sont tous trois inspirés de personnes réelles, cela sous l’œil au combien bienveillant de l’auteur qui est aussi un personnage du récit.
Le premier personnage est Vitali Klitschko, on le voit au début combattre sur un ring un boxeur qui semblait le vaincre facilement. J’ai vraiment cru que Bruno Doucey était un boxeur ou au moins un amateur des combats de boxe. C’était oublié le talent de certains écrivains qui savent donner une puissance à leur récit tel que l’on se croit dans la réalité.

La seconde est Mira Rai une athlète népalaise, qui a gagné des trails tous plus durs les uns que les autres.

La troisième, Mila, est une enseignante de la ville universitaire de Sartana en Ukraine, elle veut organiser un colloque autour des parcours sportifs exceptionnels et donc rentre en contact avec Vitali qui est maintenant le maire de Kiev et Mira. Hélas la folie russe va s’abattre sur cette région de l’Ukraine et l’auteur nous fera vivre le quotidien des Ukrainiens sous les bombes russes. Il évoquera aussi le crime de guerre qui s’est passé à Marioupol où l’aviation russe a bombardé le théâtre alors que seulement des femmes et des enfants étaient réfugiés à l’intérieur .

Enfin, le dernier personnage est l’auteur lui même qui intervient pour nous dire que tout cela est du roman, et qu’il a puisé dans son imaginaire la force de nous présenter des personnages auxquels nous seront définitivement attachés.

Je me demande si j’ai lu un texte aussi fort sur la guerre en Ukraine, nous respirons avec Mila, nous vivons avec elle ses peurs et ses peines, nous sommes soulagés qu’elle ait pu rejoindre la Grèce où vivent ses parents et son fils. Mais comment se consoler de tous les morts qu’elle a laissés derrière elle, comment refaire vivre la culture et la liberté ? ?

À lire de toute urgence, avant que l’Ukraine ne retourne définitivement sous la botte Russe vendue à Poutine par un Trump qui est fasciné par un dictateur tellement plus efficace que les démocraties européennes.

 

Extraits.

Début

Los Angeles, 26 septembre 2009
En face de lui, ce soir-là, celui que tous surnomment « The Nightmare » . L’homme n’est pas n’importe qui. Vainqueur des « National Golden Gloves » à vingt ans, en 2001, le Mexicano-Americain est précédé de sa réputation. Une pugnacité constante sur le ring. Des coups à terrasser un cheval. Une allonge qui surprend, parce qu’elle provient moins de la longueur des bras que de l’envergure des épaules. 1,93 m de rage, de hargne et de haine. Chris Arreola est de ceux qui préfèrent mourir sur le ring que perdre un combat.

La journée d’une enfant népalaise.

À douze ans, une fille népalaise n’est plus une enfant. Et quand la famille ne peut garantir plus d’un repas par jour, quand la survie de toute une communauté dépend des récoltes et de la bonne santé des bêtes, l’école devient un luxe que peu de paysans peuvent offrir à leurs enfants. Hier elle travaillait avec son père dans les champs, demain elle portera un lourd sac d’orge jusqu’au marché où ses parents espèrent faire de bonnes ventes, et aujourd’hui elle accomplit dans la maison tout ce qui aurait dû être fait les autres jours : ramasser les bouses de vache, les faire sécher en les appliquant contre les murs, nettoyer, ranger, faire bouillir de l’eau, laver du linge couper du bois, balayer devant la porte, et mille autres petites tâches ingrates que sa mère, sa grand-mère, et toutes les générations de femmes avant elles auront accomplies sans jamais se plaindre. 

Tchernobyl.

Il aurait aimé que son père revienne, qu’il rentre à la maison, fatigué mais sûr de lui, qu’il leur dise : Ce n’est rien les enfants, une simple brèche qui a été colmater, un incident technique que les ingénieurs du département de l’énergie atomique sont en train de régler. Soyez tranquilles, vous n’avez rien à craindre.
Mais ce lundi 28 avril, tandis que la nuit tombeur Kiev, Vladimir Rodionovitch Klitschko n’est pas encore rentré et n’a donné aucune nouvelle. 

Féminité.

Il n’en reste pas moins que ce corps là trahit , une fois par mois, quand le sang coule entre ses cuisses. Mira en a honte. Les taches. La gêne. Le manque d’intimité. Les bandes de tissu qu’il lui faut laver dans un ruisseau deux fois par jour. Le regard des guérilleros de son âge. Cette impression soudaine de souillure, de dégringolade, comme si les femmes redevenaient périodiquement inférieures aux hommes.

La création littéraire.

Le débat est vieux comme le monde de l’écriture. En matière de création littéraire, on pense communément qu’il faut maîtriser son sujet, connaître à fond ce dont on parle ou se fonder sur une expérience vécue, crédible, avérée, des faits que l’on relate. Personnellement, je ne le crois pas. Je n’ai jamais enfilé de gants de boxe et les seuls rings que je connaisse sont ceux que j’ai vus à la télévision, Quant à l’ultra-rail, autant dire qu’il est devenu pour moi un horizon inaccessible puisque je serai, en l’état, bien incapable de courir en montagne. Mais cela ne m’empêche pas d’écrire. 
Je me souviens de ce que Varlam Chalamov écrit au seuil de ses « Souvenirs de la Kolyma  » :  » L’écrivain est l’espion de ses lecteurs ». Alors, disons que, faute de mieux, j’espionne simultanément deux mondes qui me sont en grande partie étranger. 

Le moral de vainqueur de Mira après le séisme du Népal.

Maintenant, Mira remonte un à un les coureurs qui se trouvent devant elle. Elle ressent à nouveau la densité de l’effort : le sang qui pulse dans ses veines, son souffle régulier et profond, ses jambes qui répondent à l’appel des pentes. Chaque coureur qu’elle dépasse est un enfant sorti des décombres, chaque spectateur sur le sentier un secouriste venu sauver des vies. Pierre après pierre, elle remonte les « stūpas » qui se sont effondrés les caims qui ont roulé à terre, les temples qui menacent ruine.

L’horreur de la guerre.

Suis remontée à l’appartement alors que beaucoup dormaient encore dans la cave. Électricité revenue, j’ai mis mes appareils en charge. Une douche, la première depuis trois jours. Maintenant, l’eau ruisselle sur mes cheveux, le long de mes seins amaigris par ces premières semaine de guerre, la fatigue et le chagrin. Peut-on laver l’empreinte de l’horreur ? Faire disparaître les traces ce la peur ?
L’eau tourbillonne avant de s’échapper par la bondé. Mes pensées aussi tournent sur elles-mêmes mais elles ne connaissent aucune échappatoire. Le théâtre de Marioupol, où plus d’un milliers de personnes ont trouvé refuge. L’avion qui survolé la ville. La bombe larguée sur la coupole. Des victimes, par centaines. Des mères de famille, des enfants, des vieillards. Et Elpida, mon amie.

 

 


Éditions de l’Olivier,413 pages, octobre 2024, première édition en 1945

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

La France est comme les étoiles qui donnent encore de la clarté la nuit, quand il fait ben noir 

 

Déjà en 2013 le club de lecture m’avait fait lire un roman de cette écrivaine : « la petite poule d’eau« . Ce roman-ci est un grand succès de la littérature canadienne, il paraît la première fois en 1945 . C’est un roman très surprenant pour la lectrice que je suis aujourd’hui, une plongée dans le monde misérable de Montréal, au début de la deuxième guerre mondiale. Surprenant, car c’est un style incroyablement démodé, personne n’écrit plus comme ça, en détaillant par le menu toutes les circonvolutions psychologiques des différents personnages. La misère dans laquelle est plongée les gens pauvres du Québec est vraiment saisissante, nous suivons une famille celle de Rose-Anna et Azarius Latour, qui ont beaucoup d’enfants, dont un petit Daniel qui est atteint de Leucémie, et Florentine une jeune fille décidée et qui rapporte toute sa paye de vendeuse à sa famille. Azarius est un homme bon mais incapable de faire vivre sa trop nombreuse famille, Rose-Anna est désespérée et travaille sans arrêt pour économiser le moindre centime. Les histoires d’amour de Florentine, occupent une grande partie du roman, cela nous vaut de connaître Jean Lévêque un homme sans cœur, mais Florentine tombera follement amoureuse de lui. Cette histoire d’amour racontée dans le moindre détail m’a replongée dans des romans que j’ai lus dans ma jeunesse, sans être mièvre, car les personnages sont complexes, c’est quand même très convenu et en plus il y a le bel Emmanuel un homme bien sous tout rapport avec qui elle finira par se marier sans lui dire qu’elle attend un enfant de Jean.

Raconté comme ça, je doute que vous ayez envie de lire ce roman, mais il y a un charme certain à la langue et aux descriptions des paysages si rudes. J’ai quand même eu du mal à ne pas secouer la pauvre Florentine et ses idées de l’amour, s’attacher à un homme qui vous méprise n’a jamais été mon fort. L’autrice s’attache à rendre chaque personnage complexe et même le fameux Jean Lévêque le séducteur qui méprise les femmes qui s’attachent à lui, a le droit à une présentation nuancée. il a eu le malheur de perdre ses parents alors qu’il avait quatre ans, il a été élevé d’abord dans un orphelinat puis dans une famille d’adoption sans connaître la moindre tendresse. Est ce pour cela qu’il est incapable de se laisser aller à la tendresse ?

J’ai eu aussi du mal à accepter que finalement pour tous les personnages, la guerre les sauvera de la misère ou d’une passion amoureuse si mal partie.

Sur Luocine, deux livres sur la misère et la difficulté de vivre dans des régions inhospitalières, celui de Joël Elgloff fait 147 pages et celui-là 413 pages, dans le premier tout est évoqué dans une langue poétique et envoutante, dans celui-ci vous aurez le poindre détail des hésitations et des disputes amoureuses ou des conversations de bistrots. Je pense que le premier correspond plus à la sensibilité des lectrices et lecteurs d’aujourd’hui.

 

Extraits.

Début.

À cette heure, Florentine s’était prise à guetter la venue du jeune homme qui, la veille, entre tant de propos railleurs, lui avait laissé entendre qu’il la trouvait jolie.

Personnalité de Jean et idée du style .

Le regard du jeune homme effleura le campanile de Saint-Thomas-d’Aquin, la tourelle à colonnade du couvent, la flèche de Saint-Henri, et monta directement aux flancs de la montagne. Il aimait à s’arrêter sur cette voie et à regarder, le jour, les grands portails froids, les belles demeures de pierre grise et rose qui se dégageaient nettement là-haut, et, la nuit, leurs feu qui brillaient lointains, comme des signaux sur la route. Ses ambitions, ses griefs se levaient et l’enserraient alors de leur réseau familier d’angoisse. Il était à la fois haineux et puissant devant cette montagne qui le dominait.
De la rue Saint-Antoine monta de nouveau cet écho de pas scandés qui devenait comme la trame secrète de l’existence dans le faubourg. La guerre ! Jean y avait déjà songé avec une furtive et impénétrable sensation de joie. Est-ce que ce n’était pas là l’événement où toutes ses forces en disponibilité trouveraient leur emploi ? Combien de talent qui n’avaient pas été utilisés seraient maintenant requis ? Soudain il entrevoit la guerre comme une chance vraiment personnelle, sa chance à lui d’une ascension rapide.

Image du Canadien français.

Ce n’était pas que le patron fût bougon ou bien hautain, mais comme la plupart des Canadiens français, il répugnait au service de restaurateur qui exige une déférence tout à l’opposé de leur nature.
Au fond Sam Latour restait toujours comme humilié lorsque son commerce l’entraînait, par exemple, à laisser une belle discussion en plan pour aller dans l’arrière-cuisine réchauffer une tasse de café ou un bol de soupe.

L’amour destructeur.

Un instant, un très bref instant, elle fut traversée d’une nostalgie  : elle pensa prier pour que fût extirpé de son cœur cet amour qui la rongeait. Mais penchée jusqu’à toucher de son front le bord du banc, elle revit Jean, de dos, s’en allant. Et alors, elle s’accrocha à son tourment, elle s’y tint comme une noyée à son épave. 

La misère.

Elle, silencieuse, songeait que la pauvreté est comme un mal qu’on endort en soi et qui ne donne pas trop de douleur, à condition de ne pas trop bouger. On s’y habitue, on finit par ne plus y prendre garde tant qu’on reste avec elle tapie dans l’obscurité ; mais qu’on s’avise de la sortir au grand jour, et on s’effraie d’elle, on la voit enfin, si sordide qu’on hésite à l’exposer au soleil.

Éditions Buchet-Chastel, 142 pages, juin 2005.

On s’attache, même aux pires endroits, c’est comme ça. Comme le graillon au fond des poêles.

 

Sur la blogosphère, j’ai lu un billet à propos de « les féroces soldats » qui n’est pas encore dans ma médiathèque, mais celui-ci y était. Cet écrivain a reçu le pris du livre Inter, pour ce court récit, qui fait partie des livres qui me désolent pour le contenu et m’enchantent pour l’écriture.

Dans un style incroyable, mêlant rythme , humour et poésie, Joël Egloff exprime son désespoir de grandir dans une région industrielle totalement polluée. Ce n’est pas une description réaliste, mais cela ne l’empêche pas non plus d’être vraie. Et le seul lieu d’embauche qui assure un salaire stable c’est un énorme abattoir. Donc le personnage gagne « sa vie » parce qu’il sait donner la mort !

Aujourd’hui que cette région n’est plus industrielle, l’air y est peut-être plus sain ? Deviendra-t-elle une région touristique ?

Je ne regrette pas cette lecture et je lirai certainement son récit autobiographique qui raconte le passé de son père dans les « malgré nous ».

 

Extraits

Début.

Quand le vent vient de l’ouest, ça sent plutôt l’œuf pourri. Quand c’est de l’est qu’il souffle, il y a comme une odeur de soufre qui nous prend à la gorge. Quand il vient du nord, ce sont des fumées noires qui nous arrivent droit dessus. Et quand c’est le vent du sud qui se lève, qu’on n’a pas souvent, heureusement, ça sent vraiment la merde, y a pas d’autre mot.

Humour sarcastique.

Pour découvrir le paysage, pour mieux se rendre compte, le plus simple c’est encore d’aller faire un tour au syndicat d’initiative. Là-bas quand c’est ouvert le premier samedi du mois, de dix heures à midi, on peut trouver un petit plan mal photocopié, un itinéraire pédestre qu’ils donnent pour rien en faisant la gueule. 


Éditions Robert Laffont, 270 pages,octobre 2024

Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce roman est un monologue d’une employée de maison qui, dès les premiers mots, parle de la la mort de l’enfant de ses patrons qu’elle veut expliquer à des gens qui l’écouteraient au delà d’une vitre d’un lieu où elle est enfermée. Nous avons donc la description de la vie d’une employée de maison au Chili, une domestique servile qui subit le mépris de classe de ses patrons. Le titre est bien choisi, les patrons n’ont qu’une idée : les apparences doivent être impeccables, propres , beau couple, réussite professionnelle de Monsieur et de Madame, petite fille qui reçoit une éducation élitiste, et une employée discrète et efficace. Derrière cette superbe façade, que de souffrances ! Monsieur et Madame ne s’aiment plus, se détestent carrément, la petite fille ne supporte plus la pression qui s’exerce sur elle, elle est malheureuse et devient méchante en particulier avec l’employée de maison, l’employée ressent très bien le mépris de ses patrons. Ce roman permet de comprendre le statut d’employée de maison. Les patrons se sentent sans reproche, ils la payent plutôt bien, ils l’associent à la fête du nouvel an, ils ont des paroles pleine de compassion lors de la mort de sa mère. Mais elle, Estella Garcia, n’est jamais bien dans la situation, car elle voit tout ce qui va mal dans cette famille, en particulier les souffrances de la petite fille. Elle ne peut jamais être, elle même et doit correspondre à l’image de l’employée discrète et efficace. La routine est cassée par un chien que l’employée aurait voulu adopter, et un braquage dans la belle maison saccagée par des malfaiteurs. Mais rien n’empêche le malheur d’avancer et de tisser un piège dans lequel une enfant de 7 ans trouvera la mort.

Roman surprenant mais qui ne m’a pas convaincue, le personnage est très compliquée à comprendre. Il est plus ou moins évoqué que la situation de domestique au Chili était sans doute plus facile à accepter lorsque les employées étaient des illettrées. Mais Estella est éduquée et comprend sans l’accepter son statut. Elle raconte sa vie et semble n’avoir jamais aimé que sa mère. Elle raconte des épisodes de révolte de son enfance lorsqu’on a voulu la séparer de sa mère. Il semble que sa seule solution c’est de quitter sa région du Sud Chili pour aller travailler à Santiago et accepter ce poste dans une famille de Santiago qui attend un bébé. Mais c’est tellement évident qu’elle ne peut pas accepter cette vie. L’auteure décrit une société très clivée dans laquelle les gens pauvres ont peu de chance de s’en sortir.

Le début du roman est prenant mais la fin est un peu bizarre, l’arrivée des rats, la mort du chien, le père de famille qui confie à l’employée qu’il s’est fait voler ses papiers par une prostituée et qui sera sans doute responsable du braquage de la famille. En réalité trop c’est trop, à force de vouloir démontrer les injustices au Chili, l’auteure charge un peu trop la barque !

 

Extraits

Début.

Je m’appelle Estela, vous m’entendre ? Es-te-la Gar-ci-a.
Je ne sais pas si vous enregistrez, prenez des notes, si il y a quelqu’un de l’autre côté en réalité, mais si vous m’entendez, si vous êtes là, je vous propose un marché : je vais vous raconter une histoire et à la fin, quand je n’aurai plus rien à dire, vous me laisserez sortir d’ici. 

Pour donner une idée du récit .

Ce matin-là j’avais passé la serpillière et ciré, changé les draps et les serviettes, lavé à grande eau l’entrée. Dans quelques heures les invités arriveraient pour dîner. J’aurais aimé être prévenue avant, c’est tout. Laisser la cire pour plus tard, répartir mon énergie. Mais qu’importe mon énergie ? Discrète et obéissante, je suis partie au supermarché. 

La tonalité du roman.

J’ai aussi compris qu’il n’existait pas de mots pour tout dans ce monde. Et je ne parle pas de mourir ou de vivre , je ne parle pas de phrases comme :  » La douleur n’a pas de mots. » Ma douleur, elle, avait des mots, mais pendant que je râlais la cuvette des toilettes, les moisissures de la baignoire, ou que j’épluchais un oignon, je ne pensais pas avec des mots. Le fil qui unissait les mots et les choses s’était debout et il restait juste le monde, c’est tout. Un monde sans mot.


Éditions Agullo Noir, 394 pages, Septembre 2024

Traduit du Croate par Olivier Lannuzel

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai apprécié ce roman malgré l’enquête policière qui a finalement tellement moins d’importance que l’analyse de la vie en Croatie aujourd’hui à Split. Je lis peu de polars, mais je me demande si beaucoup peuvent à ce point transgresser les règles du genre : Le lecteur connaît très vite le coupable d’un meurtre horrible d’une toute jeune fille, la police préfère choisir un « coupable » idéal qui déjà été condamné pour viol malgré les doutes d’un policier plus tenace que la moyenne.

La construction du roman est originale, car nous sommes avec la famille du véritable coupable, et d’un autre côté avec la police et ses excès de confiance. Bref, un roman pas banal sans happy end .

On le sait la Croatie est une destination touristique ce qui permet de donner du travail aux Croates, dans l’hôtellerie et le commerce. Ines, travaille comme gérante dans l’hôtel de Davor son patron qui est aussi son amant. Elle sera victime de dénonciations sur Facebook de la part de la femme de Davor. Nous la voyons dans la première scène du roman, petite fille sur la plage, les parents sont morts d’inquiétude car Mario le petit frère a disparu. On le retrouvera, mais ce souvenir est resté marqué dans les souvenirs d’Ines.

Sa mère Katja est une femme malheureuse qui ne trouve de consolation qu’à l’église en priant « la mère de toutes les douleurs » (d’où le titre), son mari est mort d’accident de voiture, elle a dû élever seules ses deux enfants et est cordialement méprisée par ses beaux parents. L’église est un facteur de paix sociale, une paix qui s’apparente au  » pas de vague » qui a couté la vie à deux professeurs dans l’éducation nationale française et à tant d’enfants harcelés. Le rôle des personnages lors du communisme influence encore leur comportement aujourd’hui.

Le policier qui aurait dû mener l’enquête Zvone est typique des policiers dans les romans, il a une vie personnelle de raté , il vit avec un père qui a connu la guerre de 1995, il en est revenu traumatisé et peu actif, sa femme est partie respirer avec un autre homme en Australie et Zvone doit donc prendre en charge son père. C’est un bon policier, c’est à dire qui cherchent à vérifier les faits plutôt que de suivre la pente trop facile du coupable idéal. Le roman se termine par une partie de pêche avec son père qui ressemble presque à un moment de bonheur

Et puis, il y a les anciennes usines communistes si polluantes, « pas de vague » non plus sur les conséquences des expositions aux polluants, car si les familles ont aujourd’hui des logements , elles le doivent aussi aux directeur d’usine.

Beaucoup de passe-droit, une police prête à tout pour charger un coupable idéal, des gens mesquins et très ramollis : cela ne donne pas une image sympathique de ce pays, mais, évidemment il ne faut jamais juger un pays à travers les romans policiers, même s’ils donnent une image réaliste de tout ce qui ne va pas dans un pays.

Voici l’avis d’Aifelle

 

 

Extraits

Début.

Inès se rappelle ce jour-là. Le jour où elle a aimé son frère plus que jamais. Ce devait être en 2005 où 2006,. Ils étaient tous les deux des enfants. Elle avait neuf ou fix ans, Mario, pas plus de cinq. Son père était encore vivant. Il était comme il allait mourir : jeune, musclé, avec une mèche de sa crinière indomptable qui lui tombait sur le front.

Les nouvelles technologies.

Katja à peur du nouveau four parce que ce n’est pas des boutons mais un écran . Elle a peur de l’ordinateur à cause des virus. Elle va deux fois par an à l’agence de télécoms pour régler des formalités, et à chaque fois elle en sort désespérée. Quand après avoir longtemps attendu son tour elle se retrouve face à un employé, elle réalise vite qu’elle est incapable d’avoir une conversation avec lui. Il prononce des phrases qu’elle ne comprend pas, même si elle comprend chaque mot séparément. Au bout de quelques questions embarrassantes , elle se rend compte que le regard que l’agent des télécoms pose sur elle change. Il passe d’une serviabilité de façade à de l’ahurissement à peine masqué, mêlé à un sourire en coin moqueur. Katja comprend alors une chose : ce garçon n’est pas particulièrement intelligent, il n’a pas fait les grandes écoles. Mais il la regarde comme si elle était une gardienne de troupeau descendue de sa montagne à la ville dans sa cape de laine. Il la voit comme un fossile antédiluvien, pré technologique, ce que de fait elle est.

Un jeune raté.

Ce Mario à la peau épaisse qui ne laisse percer aucun indice de vie. C’est ce Mario-là qu’elle a devant elle maintenant. Il arrime les citrons et le buis sur le toit de la voiture et rien, absolument rien chez lui suggère qu’il entretient une relation quelconque avec ce qu’il fait : ni attirance, ni irritation, ni détestation. Ce que Mario fait, il le fait comme un âne ferait tourner la roue d’un moulin. Ça va bien finir par passer, voilà tout ce que le visage de Mario semble exprimer. Sauf que ce qui va finir par passer, c’est sa vie.