Éditions Points, 309 pages, avril 2025 (première édition 2008)

Traduit de l’hébreu (Israël) par Valérie Zenatti.

 

C’est le troisième roman de cet auteur sur Luocine : « L’histoire d’une vie » et « Des jours d’une stupéfiante clarté« . Cet écrivain a été, à jamais, marqué par son enfance dont il a témoigné dans les trois romans que j’ai lus de lui.

Ici, il s’agit encore une fois d’une famille juive éduquée et qui se sentait très bien acceptée par la population d’une ville qui pourrait être Bucarest. Les parents du jeune Hugo sont pharmaciens, et la mère d’Hugo met tout son courage et son grand cœur au service des plus pauvres de la ville. Lors de l’occupation allemande, les nazis bien aidés par des habitants antisémites, chassent tous les juifs qui ont essayé d’échapper aux rafles. La mère d’Hugo a la bonne idée de demander à la seule femme en qui elle a entièrement confiance de cacher son fils : il s’agit de Mariana une prostituée qui exerce sa profession et vit au bordel de la ville.

Le roman peut commencer, et c’est vraiment très bien construit sur le plan littéraire. Cet enfant qui va passer deux longues années dans un placard voit, à travers, les lames des planches mal jointes du cagibi, la chambre de Mariana. La chambre elle-même, lui apparaît comme un endroit proche du paradis. L’enfant vit de longues journées seul, et lui revient en forme de rêves un peu hallucinés, sa vie d’avant et pour le lecteur c’est le moyen de connaître trois personnages : sa mère, cette femme remarquable qui jusqu’à la fin, elle veut donner les mêmes leçons d’humanisme à son fils. On connaît moins son père, mais très bien son oncle ; un homme brillant qui a malheureusement rencontré l’alcool et qui n’a pas rempli les espoirs que tout le monde a mis en lui.

La vie de l’enfant caché, c’est aussi arriver à comprendre la vie de Mariana, peu à peu il comprendra le rôle des hommes qui visitent cette femme toutes les nuits. Et puis, il apprendra à aimer cette femme au caractère instable, et vivra auprès d’elle l’éveil de sa sexualité. Cette réalité sexuelle d’une femme mûre avec un enfant de 12 ans m’a dérangée et je me suis demandé si la situation avait été inversée le roman aurait-il été accepté. (Si c’était une jeune fille de 12 ans qui aurait vécu ses premières expériences sexuelles avec un homme de 40 ans qui l’aurait cachée ! !) Tout cela est écrit avec l’impression qu’Hugo voit bien que sa survie est de plus en plus menacée par les Nazis et leurs amis qui, jusqu’au dernier jour de l’occupation allemande, ont cherché les juifs qui ont échappé à la déportation pour les assassiner.

Enfin la dernière partie, on voit l’arrivée des Russes et la prise du pouvoir de membres du parti communiste qui se disent stalinien et qui se dépêchent de punir tous ceux qui étaient proches des Allemands donc bien sûr les prostituées, que Mariana ait caché un enfant juif est bien peu de poids face à l’accusation d’être une femme qui a couché avec des Allemands ! Comme toujours les hommes les plus violents sont ceux qui ont été leurs clients et qui ne veulent surtout pas que leur femmes puissent l’apprendre.

Un grand écrivain qui a su expliquer au monde ce qu’il s’est passé dans les pays slaves où toute une population juive a disparu lors du Nazisme.

 

Extraits

Début.

 Hugo aura onze ans demain. Anna et Otto viendront pour son anniversaire. La plupart des amis d’Hugo ont été expédiés dans des villages lointains, et les rares autres le seront bientôt. La tension dans le ghetto est vive, mais personne ne pleure. Les enfants devinent au fond d’eux-mêmes ce qui les attend. Les parents contiennent leurs émotions afin de ne pas semer la peur, mais les portes et les fenêtres n’ont pas cette retenue, elles sont claquées ou poussées nerveusement. Le vent s’engouffre partout.

L’enfant caché.

 En plein jour il pouvait deviner entre les lattes les prairies où les chevaux et les vaches paissaient des champs gris, et deux bâtiments à colombages. Il avait même aperçu des enfants aller à l’école. C’est étrange tous les enfants vont à l’école, et moi j’en suis privé. Pourquoi m’inflige-t-on une telle punition ?
 Parce que je suis juif, se répondit-il. 
Pourquoi sommes-nous punis ?
 À la maison on ne parlait pas de cela. Une fois, il avait demandé à sa mère comment on savait que quelqu’un était juif. 
Elle avait répondu simplement :
– Nous ne faisons pas la différence entre ceux qui sont juifs et ceux qui ne le sont pas.
– Pourquoi chasse-t- on les Juifs ?
– C’est un malentendu. 
Cette explication incompréhensible s’était fichée dans sa tête. Il essayait à présent de retrouver où s’était nichées cette réponse et l’incompréhension qu’elle avait suscitée. 
– C’est la faute des Juifs ?
– On ne doit pas faire de généralités, avait doucement répondu sa mère.

Les derniers mots de la lettre de sa mère ?

J’imagine que l’acclimatation a ta nouvelle vie n’est pas facile. Je t’en conjure : ne désespère pas. Le désespoir est une défaite. J’ai cru, et je crois encore que la bonté et la foi triompheront du mal. Pardonne à ta mère son optimisme en ces heures obscures. Je suis ainsi, tu me connais, il faut croire que c’est ainsi que je serai toujours. 
Je t’aime très fort ,
mam

 

 

 


Éditions Folio, 214 pages, février 2023.

Traduit du néerlandais par Françoise Antoine.

 

Je crois avoir noté toutes celles qui ont dit du bien de ce roman, mais si j’en ai oublié, je les rajouterai : Violette, Keisha, Ingannmic, Eva et enfin, Athalie.  Et je suis ravie d’annoncer que je sors enfin ce titre de ma liste de livres à lire.

 

Je ne peux que rajouter ma voix aux leurs. C’est un roman écrit d’un ton tout en douceur , qui raconte, pourtant, des faits d’une violence absolue : un accident qui rend un enfant de 13 ans aveugle avant d’en mourir.

Mais avant, avec les deux frères jumeaux, Klass et Kees, nous allons remonter le temps, le temps heureux de l’enfance, et des jeux partagés avec un chien, Daan, qui est très attaché à Gerson, le personnage principal de cette histoire. Le père élève seul ses trois fils car sa femme est partie en Italie. Elle envoie quelques cartes aux anniversaires et à Noël.

Le récit commence par leur jeu préféré : « le noir ». Il s’agit de designer un endroit du jardin, ou de la maison, et à partir d’un arbre, en fermant les yeux, essayer de retrouver cet endroit. Un jour, en allant chez les grands-parents, le père et les enfants, dans un éclat de rire, se moquent de Gerson qui affirme que les fleurs des poiriers sont blanches (d’où le titre !), dans un moment d’inattention, le père brule la priorité à une autre voiture, et c’est l’accident terrible qui blesse gravement celui qui était à droite du chauffeur : Gerson.

Après huit jours de coma, et l’ablation de la rate, le médecin ne pourra malheureusement pas lui sauver les yeux. Définitivement aveugle , l’enfant n’a plus envie de vivre.

Voilà le récit mais je ne dis pas grand chose du charme de ce roman triste mais si beau. L’auteur écrit a la hauteur des protagonistes et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette écriture, la voix du petit Gerson est inoubliable et permet d’entrer de plain pied dans le drame de cette famille.

Je crois que je préfère les voix qui disent de façon douce, des choses terribles, pour moi cela rajoute au drame.

Extraits.

Début.

 Nous y jouions, avant. Nous y avons joué pendant des années. Jusqu’à il y a six mois, où nous y avons joué pour la dernière fois. Après, cela n’avait plus beaucoup de sens. Nous commencions toujours dehors, au pied du vieux hêtre devant la fenêtre du salon. Le hêtre était notre point de départ. Nous posions une main sur l’écorce, puis en général c’était Klaas qui lançait le compte à rebours. Klass est l’aîné d’entre nous. Klass a dix minutes de plus que Kees. Gerson a trois ans de moins que nous et est arrivé seul, sans frère jumeau. Il a des frères jumeaux, nous, Klass et Kees.

Vision de l’Italie du père de famille (leur mère est partie vivre avec un autre homme en Italie) .

L’Italie est un pays très laid, a dit Gérard. Il fait torride là-bas, les Italiens sont des gens pénibles et criards, dont le passe-temps favori est de vous renverser sur leurs scooters ridicules, tu dois t’accroupir pour faire caca, tu attrapes une intoxication alimentaire, ou en tout cas une diarrhée carabinée, ils ne parlent que l’italien et refusent de parler anglais ou néerlandais, il y a toujours des feux de forêt, qu’ils allument en général eux-mêmes les trains sont toujours en retard, tout et tout le monde est toujours en retard, les serveurs aux terrasses sont grossiers, à moins de l’enchaîner à ton corps tu te fais piquer ton portefeuille en moins de deux, et quand tu veux visiter un musée, tu peux être sûr qu’il est fermé pour travaux.
 – Tu es déjà allée en Italie ? a demandé Gerson.
– Très peu pour moi. Je ne suis pas fou.

Devenir aveugle.

 Quand je rêve, je vois. Les rêves s’en moquent que je sois devenu aveugle. Je me demande comment ça se passe chez les aveugles ds naissance.

Détail pratique.

 » Gerson pourquoi tes caleçons sont-ils toujours si sales ? »
 Anna. Heureusement que les autres ne sont pas là pour entendre
 « Je suis aveugle, dis- je.
– Et on a toujours des caleçons sales quand on est aveugle ?
 – Je ne vois plus le papier toilette » dis-je , et je suis vraiment content de ne pas le voir c’est la première fois que je suis content de ne rien voir.
 » Tu ne t’essuies plus le derrière ? »
 Elle ne comprend pas. Et elle dit « derrière » un mot typique de grand-mère.
 » Avant, dis-je, avant je regardais toujours le papier toilette après m’être essuyé (j’aurais voulu ajouter « le cul », mais je préfère quand même tourner autour du pot) pour voir si je devais encore m’essuyer une fois avec un nouveau morceau de papier. Ou deux fois. 
– Ah bon

On le comprend si bien, ce petit Gerson.

Je sais que je me suis montré infect le jour de mon anniversaire. Je n’y peux rien, une fois que je commence il n’y a plus moyen de revenir en arrière. Je sens bien que ça rend les autres tristes. Du coup, je deviens encore plus désagréable, sinon je devrais dire que je suis désolé et ça je n’en suis pas capable pour le moment. Une fois que je commence, il n’y a plus moyen de revenir en arrière.

 

 


Éditions NRF, 283 pages, mai 2025.

 

 La mémoire est un choix, la mémoire est un fantôme patient.

J’ai découvert Nathacha Appanah avec « Le ciel par dessus le toit » , puis j’ai continué avec « les rochers de la poudre d’or« , j’ai moins aimé  » La noce d’Anna« , mais j’ai adoré les deux suivants : « le dernier frère » et « la mémoire délavée« .

C’est compliqué pour moi de mettre des coquillages à un livre aussi douloureux, mais pourtant, je vais le faire car je crois qu’on ne lit jamais assez sur les violences faites aux femmes par des hommes qui prétendent les aimer et qui au fond d’eux pensent que de toute façon « elles l’ont bien cherché ». Nous allons suivre dans cet essai le destin de trois femmes, celui de l’auteure qui est partie vivre avec un homme de plus de 50 ans alors qu’elle en avait à peine 18. Elle restera six longues années à ses côtés et comme elle le dit : des trois, elle est la seule à avoir survécu à un homme violent et pervers. Sa cousine Emma, n’a pas eu cette chance et son mari l’a percutée puis a roulé sur son corps avec sa voiture avant de la jeter dans un fossé, enfin on se souvient tous et toutes, je suppose, de la jeune femme algérienne Chahinez Daoud, assassinée par son mari qui lui a d’abord tiré dessus puis lui a versé de l’essence pour la brûler vive.

Tout son essai, veut expliquer pourquoi ces trois femmes n’ont pas pris immédiatement la fuite. Evidemment celle pour qui elle a le plus de documents c’est elle même. Elle décrit très bien l’emprise de « HC » poète connu de 30 ans son aîné, vis à vis de la jeune fille de 18 ans, qui a alors cru de cette façon se libérer des carcans des traditions familiales de la communautés indienne de l’île Maurice. C’est parce que sa famille était là pour la recueillir qu’elle a échapper à la mort, et elle avait mis sous le tapis ces six années d’horreur. Le meurtre de Chahinez Daoud, réveille en elle ce qu’elle avait enfoui très profondément, mais qui revenait sous forme de cauchemars assez fréquemment, elle se sent alors le droit de parler des deux féminicides qui la hantent, celui de sa cousine et celui de Chahinez en tant que survivante du même processus d’emprise.

C’est si facile de caricaturer les situations en disant par exemple « mais elles pouvaient partir » et non, elles ne peuvent pas, toujours, partir. Pourtant toutes les trois ont essayé, mais si le pervers a tissé autour de sa proie de tels filets qu’en se débattant, les femmes ne font que les resserrer autour d’elle, elles ne peuvent plus fuir ou seulement au dernier moment et souvent c’est à ce moment là qu’elles sont assassinées.

Je vous laisse découvrir pourquoi ces trois femmes ont été victimes alors qu’aucune d’entre elles n’auraient dû l’être, et je vous laisse aussi apprécier l’immense courage de l’auteure qui est d’une honnêteté remarquable sur son propre cas.

Je dois avouer que j’ai lu rapidement les pages du meurtre de Chahinez Daoud, ce n’est pas supportable. Le courage de ses parents est incroyable, j’espère que la force de leur amour suffira à élever les enfants de Chahinez dans des valeurs de respect de la vie humaine. Sachez enfin, que c’est une lecture plombante qui ne peut que vous rendre profondément tristes.

Extraits.

Début. Très bon début.

 Ils ne sont pas entièrement mauvais.
 S’il existait une manière de les presser pour en extraire un jus, ce jus ne serait pas tout à fait imbuvable, non, parfois sous son amertume empoisonnée il y aurait un arrière-goût de douceur. S’il existait une manière de les passer entre deux rouleaux compresseurs pour qu’ils se transforment en feuilles plates, ces feuilles ne seraient pas totalement opaques et inquiétantes comme le fond des mers, non elles auraient ici et là des transparences et des veines fines qui leur donnerait un semblant de vulnérabilité. S’il existait une manière de les broyer en fine poussière, cette poussière ne serait pas complètement toxique, non certaines particules flotteraient dans les rais du soleil et à les regarder on pourrait croire à un ballet innocent.

Vraie question.

Je ne sais pas ce qui pousse un homme de cinquante ans à séduire une jeune fille de dix-sept ans, à l’amener à rompre avec toute sa famille et ses amis, à la garder des années avec lui, à faire en sorte qu’elle se contente de bien peu, à l’isoler, la domestiquer, à l’asservir, puis le jour où elle voudra le quitter, à lui faire peur, la terroriser, la surveiller, la frapper. la menacer. Je me demande s’il y a préméditation à dresser lentement, brique après brique, un mur autour d’elle afin qu’elle soit inatteignable -physiquement bien sûr également moralement, spirituellement. Je me demande si tous les jours, pendant des années où elle reste avec lui, je me demande si tous les jours il vérifie la solidité de ce mur-là. Je me demande s’il le pense vraiment quand il dit, parfois, pour rire : » Si tu me quittes, je te tue. » Je voudrais savoir si ce genre de pouvoir d’emprise est inné, si ce genre d’ascendance est acquis ou s’il faut être au bon endroit, au bon moment, trouver une sorte de victime idéale .
Ai-je été une victime idéale ?

La mémoire.

La mémoire est un choix, la mémoire est un fantôme patient. Dans les mois qui ont suivi, je pensais à Emma, je pensais à sa mort horrible, je me demandais où était ses enfants, mais j’effleurais son souvenir avec précaution seulement comme on trouve une boîte à souvenir et je la refermais très vite, les mains tremblantes. Je ne voulais pas retourner là-bas.
 Là-bas : ce trou qui est devenu à la fois un puits auquel je viens ma brevet et un habile dans lequel je ne veux pas tomber.
 Là-bas cet angle mort de ma vie que j’évite à tout prix

Lorsque Nathacha Appanah se questionne sur le fait d’écrire sur ce sujet .

 Le mot « littérature » en créole, peut avoir dans certaines situations une connotation ironique. Mensonges, simagrées, bêtises, salades, perte de temps. Je ne sais pas à qui exactement appartient cette voix mets elle s’adresse à moi. Peut-être vient-elle de cette partie de moi-même que j’ai volontairement effacée et qui sait combien cette « literatir » a été pour moi un miroir aux alouettes, combien je l’ai confondu avec tous les sentiments glorieux du monde  : l’amour, la bonté, la générosité, l’altruisme, le courage, le dépassement de soi, alors qu’en réalité il n’en était rien.

 


Éditions Les Presses de la Cité (Terres sombres) , 199 pages, janvier 2022

 

Un roman policier sur Luocine avec trois coquillages, et pourtant ! Je vais d’abord expliquer ce qui m’a plu, cette écrivaine connaît très bien Saint Malo et ma ville en face, Dinard. Elle décrit bien cet endroit, elle a choisi de situer son roman en hiver et a donc évité de traiter du tourisme, voire le sur-tourisme en ce qui concerne Saint-Malo. Les impressions d’hiver sont bien rendues dans cet endroit qui parfois est sublime.

Le Môle des Noires, prolongement de la ville fortifiée de Saint-Malo

 

Marie Rivalain est attachée de presse et doit aider l’écrivain fétiche de la maison d’édition Brodin, Pierre Le Guellec, à se préparer pour rejoindre Stockholm, où il va recevoir le prix Nobel de littérature. Pierre Le Guellec est un écrivain attaché à Saint-Malo car il est descendant des Terre-Neuvas et a su faire aimer la vie de ces marins à la France entière. Il n’arrivera jamais à Stockholm, le lecteur sait assez vite pourquoi, mais il restera à trouver tout ce que cette disparition cache.

C’est un roman d’ambiance, qui permet de découvrir une région à laquelle je suis attachée personnellement ( mon père était malouin, et ma mère de Dinard , où je vis aujourd’hui) . Ce qu’elle dit sur la différence entre les deux villes est très juste : Saint Malo, une ville de granit austère pleine de secrets et Dinard la ville balnéaire aux villas riantes et souvent tarabiscotés parfaite pour les vacances en famille.

La pointe de la Malouine et ses villas

 

Le roman se situe dans le monde de l’édition et le travail d’un écrivain : c’est un intérêt de plus. Enfin, l’écrivaine est professeur de français et ses références littéraires sont un réel plaisir.

Avec tout cela, pourquoi pas plus de coquillages ? Parce que franchement l’histoire ne tient pas la route. Qui pourrait accepter la disparition d’un homme aussi célèbre sans que la police s’en mêle et découvre ce que l’auteure veut nous présenter comme possible à dissimuler alors que personne ne peut y croire ? Les trois coquillages sont donc pour l’écriture, l’ambiance, le monde de l’édition, la création littéraire et surtout la description de Saint-Malo et de sa région.

Extraits.

Début (je connais bien ce train).

 Il pleuvait. Elle regardait les gouttes d’eau s’écraser sur la vitre, puis s’étirer et suivre sur le carreau des chemins incertains – ralentissements suivis de brusques accélérations-, loupes ductiles les fugitives où s’enflaient la campagne, les vaches, l’ardoise des toits. Combourg, trois minutes d’arrêt puis Dol de Bretagne, La Fresnais, La Gouesnière- Cancale. Elle interrogeait son reflet dans la vitre : est-ce qu’elle aurait dû envoyer un message à son père  ? Il vivait à Saint-Coulomb à même distance de Cancale et de Saint-Malo, trop loin des ours à huitres pour attirer les amateurs et des remparts pour attirer les touristes, une bourgade de choux-fleurs et de malouinières secrètes où passaient parfois des retraités avec des bâtons de marche et des sacs à dos bicolores.

Opposition Dinard Saint Malo.

 Elle sourit. Ils étaient arrivés à l’extrémité du môle. De l’autre côté du barrage, Dinard exhibait ses palmiers, ses villas à encorbellements, la séduction de sa ligne Belle Époque. Il lui sembla que tout ce qui lui lestait le cœur aurait fondu sur ces plages-là, si elle avait pu passer le barrage de la Rance et rejoindre la rive riante de la station balnéaire. Atteindre l’insouciance interdite. Mais elle se sentait empêchée, prisonnière de la ville corsaire, de son géant rugueux, de l’âpreté de son histoire. 

On sent que l’auteure connaît bien cette ville.

 Arrivée au phare rouge, elle fit volte-face. La ville se dressait au bout de la jetée, comme à l’extrémité d’une laisse de pierres qui la tirait vers le large. Jamais la citadelle ne lui avait semblé aussi mystérieuse, des secrets qui fermentaient derrière ses remparts. Elle devinait qu’il y avait là, au-delà de l’affaire Le Guellec, des énigmes jamais résolues, des frégates jamais rentrées, des capitaines disparus, des fortunes cachées où évanouies. Ce n’était pas seulement la mérule qui mangeait les charpentes des hôtels d’amateurs, c’était cette culture du secret qui liait les pêcheurs et les explorateurs, les fils de négrier et les vieux marins, les capitaines et les mousses. Elle les devinait tous solidaires, unis par ce que leurs ascendants avaient vécu à bord, sur les mers du globe, des siècles de courses, d’attaques, de naufrages, qu’on taisait une fois rentrés dans la cité corsaire, selon la formule séculaire que rappelait Pierre Le Guellec quand on l’interrogeait sur la vie des terre-neuves :  » Ce qui se passe à bord reste à bord » .


Éditions J’ai lu, 406 pages, juillet 2025.

J’avais adoré « l’art de perdre« , et je n’ai donc pas hésité à choisir ce roman. Je me suis accrochée de toutes mes forces à ce récit, et puis quand je suis arrivée au moment où une re-visitation du passé de ce territoire à travers une expérience magique qui permet au personnage principal de retrouver tous ses ancêtres , l’auteure m’a complètement perdue. Je pense que pour comprendre ce qu’il se passe en Calédonie et écrire un roman sur ce sujet, il ne suffit pas de travailler sérieusement sur la partie historique. Il faut pour cela comprendre de l’intérieur ce pays, et sans doute, on attend encore le grand écrivain Kanak, qui réveillerait la mauvaise conscience française. Pour la Nouvelle Calédonie, la colonisation se double de la présence du bagne. Et à ce moment là je me suis sentie une nouvelle fois flouée : Alice se sert de son origine Kabyle, pour s’approprier l’histoire de la Nouvelle Calédonie. En effet, des rebelles arabes ont été déportés sur cette île au bagne qui a existé de 1864 jusqu’en 1924.

 

Tass le personnage principal est à la recherche d’elle même et se remet difficilement d’une rupture amoureuse en France. En retournant vers ces racines, elle cherche à comprendre les Kanaks et leur volonté de s’approprier leur territoire. Au bout de 200 pages assez laborieuses, elle part enfin à la recherche de deux de ses élèves jumeaux qui ont disparu. Et c’est là qu’elle rencontre un petit groupe qui cherche à faire prendre conscience aux Blancs de Nouvelle Calédonie qu’ils leur ont volé leur île et leur façon de vivre en harmonie avec la nature. C’est dans cette démarche qu’elle retrouvera ses racines « arabes » et que le personnage principal du roman rejoint la vie de l’auteure. J’ai déjà dit en introduction ce que j’en pensais.

Bref, ce roman ne m’a pas appris grand chose sur ce pays et la façon dont l’auteure le raconte m’a vraiment déçue. Je ne suis pas la seule (à être déçue) Géraldine me rejoint et son avis est très intéressant.

Extraits

Début.

 C’est une distance qui ne s’avale pas. D’ailleurs aucune distance ne s’avale. Il faudrait qu’elle arrête d’utiliser cette expression, elle ne sait pas d’où elle vient, elle ne sait pas à qui elle l’emprunte quand elle pense dans ces termes – peut-elle même prétendre qu’elle pense ? Au mieux, elle fait du patchwork avec des vieux chiffons de mots qui lui traînent dans les coins du crâne.

La nouvelle Calédonie et la destruction de la nature.

Quand son père racontait la vie de la Grande Terre, elle paraissait inépuisable. Tass est persuadée qu’il n’aurait pas supporté de la découvrir si fragile, menacée, au bord de l’extinction. La lenteur nécessaire à l’écosystème ne s’est révélé que récemment, elle a été lente à se montrer où peut-être que les humains ont été lents à comprendre  :
pour qu’une tortue atteigne la maturité sexuelle, il lui faut trente ou trente-cinq ans,
pour qu’une forêt repousse, ces forêts-là, celles qui peuvent croître dans des sols saturés de fer et de métaux lourds, il faut sept cent cinquante ans,
pour qu’une espèce évolue de manière à se défendre contre des prédateurs, il faut un temps si long et si aléatoire que personne ne peut vraiment l’estimer. 

Les grands immeubles peu adaptés au pays.

 L’état français a répondu au problème local de manière automatique, comme chaque fois qu’il a fallu traiter en urgence une question de logement social depuis la Seconde Guerre mondiale : avec des tours (il aurait aussi pu proposer des barres, bien sûr, mais pour des raisons que Tass ignore la Calédonie n’a hérité que des tours). Les immeubles de Magenta beiges ou gris en fonction de la lumière, ressemblent à un petit morceau de banlieue française qu’on aurait planté là, tout seul, en rase campagne, en ignorant qu’il ne répond à aucune des caractéristiques d’un mode de vie océanien. Les premières années, les tours avaient au moins le charme de la modernité, l’attrait du neuf. Mais depuis des décennies, les associations d’habitants se plaignent de leur dégradation, les jeunes désœuvrés qui y mettent le bazar et des appartements vacants dont les balcons sont pris d’assaut par des oiseaux diarrhéiques et bruyants.

Introduction de l’écrivain dans son propre roman.

 Imaginons ici que Tass, en tombant dans le trou d’eau, soit non seulement entrée dans une version du temps qui lui permette de voir ses ancêtres, mais qu’elle soit aussi entrée dans une dimension qui lui permette de basculer hors de ce roman. Imaginons que, chaussures mouillées et peau fripé, elle puise entrevoir les raisons pour lesquelles le livre qui la raconte, elle, a été écrit.
 Elle me verrait alors, moi, à Bouraï ou à Nouméa, en 2019, rencontrant à plusieurs reprises des hommes ou des femmes qui me disent  : nous sommes peut-être cousins. Elle me verrait rire de façon un peu embarrassée trop aiguë ou trop fort, comme une personne qui n’est pas sûre de comprendre la blague. J’ai appris, deux jours avant seulement, que des Kabyles avaient été déportés, transportés et relégués en Nouvelle-Calédonie.
 Mais la question est posée est-ce que nous pourrions être cousin ?

Éditions Philippe Rey, 205 pages, août 2025.

J’ai entendu cet écrivain à la radio, et sa façon de parler de son roman m’a donné très envie de lire son livre. Et je le remercie de me faire renouer avec un grand plaisir de lecture.

Le personnage principal, Salmane a 36 ans, il vit encore chez ses parents dans une cité de banlieue qu’il appelle la « caverne, son père Hédi est à la retraite et a été toute sa vie un ouvrier courageux et sa mère Amani a fait une carrière dans les ménages. Un jour les deux hommes de la maison se réveillent et Amani n’est plus là. Commence alors une recherche où chacun devra se retrouver. Et le voyage promet d’être long car tous les trois se sont perdus dans les méandres d’une vie qu’ils ont subie plus que choisie.

Salmane a eu une enfance heureuse et a fait de brillantes études, pour finir au RSA et travailler à temps partiel dans un restaurant marocain tenu par un Chinois et qui vend des sushis et des merguez, il traîne avec ses amis dans son quartier en particulier avec son copain de toujours Archie, qui est toujours là pour lui, l’inverse est moins vrai. Son père Hédi est l’ouvrier parfait qui a toujours soutenu son fils et qui ne comprend pas pourquoi celui-ci n’est pas allé jusqu’au bout de sa réussite scolaire et donc sociale. Il n’exige qu’une chose pour sa présence dans la maison : 500 euros par mois, on verra à la fin l’importance de ce loyer et le projet de ses parents. Enfin Amani, la femme et mère, qui fait tout dans la maison et que ni son mari ni son fils ne semblent voir. C’est son départ qui va provoquer une tempête qui met les deux hommes de la maison face à leurs insuffisances. J’allais oublier un personnage important de ce récit : La caverne. Ce quartier de banlieue et ses tours qui sont des endroits qui peuvent faire peur. On parle souvent de ce genre de quartiers aux actualités pour des histoires de violences, de drogues et misère sociale. Assez loin de ces clichés, la galerie de portraits de cette banlieue est un vrai régal d’humanité, Archie le copain au grand cœur, les amis du père d’Hédi qui fréquentent tous le café le Mascara, et qui se soutiennent en cas de coups durs.

On comprend dès le début qu’Amani a eu bien raison de partir pour réveiller ces deux égoïstes qui profitent d’elle sans lui rendre la pareille, ils ne l’ont pas aidée à rechercher son chat et ont même oublié son anniversaire.

Lors de la recherche de sa mère, Salmane revient sur sa vie et découvre les raisons des silences de ses parents sur leurs origines tunisiennes. Et on sent qu’il va reprendre sa vie en main avec le tout début d’un amour.

Un vrai beau roman qui soulève tant de problèmes de notre société, problèmes et richesses humaine aussi. Je dois aussi parler de la langue, au début le langage « jeune » m’a agacée et puis finalement je l’ai accepté mais surtout grâce à l’humour qui m’a souvent fait sourire .

Extraits

Début (pas mal)

Quatre heures se sont écoulées entre le moment où Hédi a raccroché et celui où il est venu m’avertir du coup de téléphone vers minuit. Mon père sait où me trouver. Après le turbin, je m’amuse au même endroit lugubre, dernière escale avant la forêt. Sa peau couleur pain d’épice a viré blanc, comme si un fantôme scandinave le possédait. La surprise réchauffe mon corps. Lui ? Ici ? Mes fesses sont aplaties sur le capot d’une voiture déglinguée, dont le toit sert de comptoir. Café, jus d’orange, Coca vodka. Hédi s’approche, mais pas trop. Avec sa paume, il m’ordonne de me redresser. Des noix de cajou m’échappe chape des mains. J’essuie mes doigts salés sur mon jeans et ma veste en cuir qui ne se ferme plus.

Première soirée de retraite de sa mère. Et humour triste de son fils.

Amani était restée devant la télé, jambes croisées sous une couette, avec son pull à capuche violet.
– Fils, on a le DVD du film de Clint Eastwood, quand l’autre blond allume une cigarette sur le dos d’un bossu ?
– Il est dans ma chambre…
– Ramène-le, je prépare deux cafés et on le regarde ?
Si c’était à refaire, j’aurais dit oui. Au lieu de ça, j’avais rejoint Archie et deux pote dans une voiture. On avait fumé et bu jusqu’au petit matin en écoutant les génériques des dessins animés du Club Dorothée.
Je suis un sous-fils.

Les ragots du quartier.

 À la minute où il est passé à table au Mascara le café du quartier) Hédi s’est téléporté dans ce qu’il a toujours dépeint comme son enfer sur terre : devenir le personnage principal des cancans, un objet de pitié, plaint, épié et moqué. C’est pour ça qu’il est si méconnaissable au milieu de tous nos meubles démontés. Mon père est en enfer et, une certaine façon, il a disparu aussi.

Un fils adulte dont la mère a toujours tout fait pour lui.

 Je classe mes affaires pour le voyage en suivant les consignes d’un tuto sur YouTube : je ne sais pas plier des sapes. Pour cinq cents euros par mois, j’étais épargné de toutes les responsabilités et de toutes les tâches. Je ne fais pas la vaisselle et j’ignore comment fonctionne une machine à laver. Je ne cuisine pas, ne fais ni mon lit ni les courses, ne repasse pas. Pendant cinq minutes j’ai essayé de plier un pull. Mais rien à faire les manches sont toujours de travers. De dépit, j’envoie un coup de coude dans le matelas. Je regarde mon bureau, mon lit et mes Schtroumpfs sur le sur le papier peint. Même si je revenais habiter ici pour toujours, rien ne serait comme avant. Reconstruire ma bulle serait impossible après tout ça – c’était un modèle unique. Le parfum de ma mère s’est dissipé. Je n’ai jamais connu ma chambre sans la mandarine. La nature à horreur du vide l’odeur de renfermée et de tabac l’a remplacée.

Je vois la scène.

 Archi prépare le gueuleton de nuit à base de pain grillé, de Chaussée aux Moine et de noix.


Éditions Pocket, 369 pages, février 2024 (première édition Éditions Escales 16 mars 2023)

 

Femme de marin, femme de chagrin.

J’ai décidé qu’une fois par mois je mettrai sur Luocine un livre pioché dans ma très, très longue liste noté sur la blogosphère. Le 22 juin 2024, j’avais dit à Athalie que je mettais ce roman dans ma liste suite à son billet. Voilà, je vais pouvoir le retirer de ma liste.

Ce livre raconte la tragédie des femmes, veuves ou orphelines qui ont vu leur père ou (et) leur fils périr en mer. Le début est prenant et la façon dont Perrine va injurier la mer de toutes ses forces, lorsque son fils meurt en mer est terrible. Elle a perdu son père, son mari puis son fils. Le début du roman voit comment Perrine a élevé son fils dans l’espoir qu’il ne prenne jamais la mer, lui, Jean ce petit si bon à l’école et qui écrit si bien. Il partira cependant et écrira le plus souvent qu’il le peut à sa mère ce qui permet au lecteur de suivre ses difficultés et ses voyages. Pendant la guerre 39/45, comme si la mer n’était pas assez dangereuse se rajoutent les avions anglais qui tirent sur les bateaux des pêcheurs. Puis, les Allemands qui laissent des mines et qui chassent les résistants. L’approche de la collaboration et de la résistance est bien imaginée, on est loin des récits héroïques où tout le monde trouve immédiatement le bon chemin à suivre. La résistance, c’est plus un hasard et aussi l’atrocité des nazis qui y conduit.

Ensuite, on suit le destin de Paulette la fille d’un homme qui s’est enrichi car il a su travailler avec les « Boches » pour construire le mur de l’atlantique. Cette Paulette au caractère bien trempé ne voudra pas empêcher Jean de partir en mer, hélas pour elle. L’immédiate après guerre est bien racontée et la différence entre Perrine la mère de Jean et Paulette en rivalité pour le même homme est bien vu

La dernière partie est pour moi beaucoup plus faible. Nous suivons Pierre le fils de Paulette et Jean, tous les deux vivent dans le Jura le plus loin possible de la mer qui, évidemment, va se venger et rattraper cette lignée.

Dans ce roman, il est presque dit que si les Bretons n’arrivent pas à vivre leur besoin d’aventures sur l’eau alors, il leur reste l’alcool comme « ptit Louis » le beau frère de Jean. Et les femmes  ?,elles ne peuvent que subir. Ce n’est vraiment pas l’image que j’ai des femmes autour de moi.

Bref j’ai aimé les deux tiers du livre et j’aurais imaginé une fin très différente, que Pierre gagne le « Vendée des globe » par exemple .

Je me sens un peu sévère avec mes trois coquillages mais en ce moment j’ai vraiment du mal à m’enthousiasmer pour un roman, j’ai trouvé celui-ci un peu « gentillet » si j’étais plus positives je dirai tout en nuances.

 

Extraits.

 

Début (beau début).

 Perrine a juré en breton des mots qu’elle ne connaissait pas en français. Elle, si belle dans le temps, était laide pour la première fois, le visage tordu par la colère et par la peine. Elle avait vieilli d’un coup de vingt ans, ou de trente ans, ou même davantage, on ne sait pas. Elle aurait voulu faire plus de mal à la mer, avec ses galets qu’elle lui jetait de toutes ses forces comme on lapide une bête. Parce qu’elle lui en avait encore volé un qu’elle aimait, la salope.
 Cette fois, c’était son fils, elle n’en avait qu’un, dont le curé accompagné du maire avait dit le prénom : Jean.

Les superstitions.

 Les superstitions rassuraient Perrine autant qu’elles lui gâchaient la vie. Tout ty passait, la consternation devant une miche de pain à l’envers, la peur des chats noirs, l’épouvante après le bris d’un miroir, l’agacement à la vue d’un parapluie ouvert à l’intérieur d’une maison, mais aussi les échelles qu’elle évitait soigneusement, la couleur verte qu’elle ne portait pas, le nombre treize qu’elle ne prononçait jamais ni en breton ni en français, les grains de sel qu’elle balançait par-dessus l’épaule à tous les repas, le bois qu’elle touchait dix fois par jour et la quête des trèfles à quatre feuilles pour lesquels elle se cassait le dos à chaque printemps.

Le plaisir des mots spécifiques de la voile.

Monsieur Tournellec m’a expliqué comment construire l’abri de la nuit. Il tenait la technique d’un vieux terre-neuvas. Il faut accrocher un aviron à la drisse et le hisser à la verticale du grand bau. Quand l’aviron est bien calé sur l’amorce de pontage, on y tend la misaine. On fait contrepoids à l’aide de la vergues et ça donne un refuge superbe.

L’après guerre.

Tes raisons, je les sais même s’il ne les dis pas. Il a un peu les chocottes des questions qu’on va bien finir par venir lui poser pour ce qui est du béton qu’il a vendu aux Bosches et des machines qu’il leur a mis à disposition. Alors se mettre bien avec des gens qui vont se pavaner dans le bourg comme s’ils étaient des cousins à de Gaulle et qui ont leur entrée chez les résistants , ça vaut facile le prix d’une charpente et de quelques ardoises. 


Éditions Arléa, 103 pages, janvier 2025

 

Un moment de douceur et de tristesse dans un très court roman. L’auteur a une écriture qui m’a beaucoup plu. On peut la qualifier de poétique, mais c’est surtout l’émotion qui, pour moi, la caractérise le mieux. Francis avait sept ans quand son frère François 5 ans a été percuté par une voiture. Sa mort est une violence face à laquelle l’enfant se sent impuissant, il ne sait qu’une chose, ce petit frère lui manquera à jamais. Cela se passe dans le nord de la France, dans une région si plate que les seuls reliefs sont les fermes en briques qui parsèment cette terre fertile. La famille est là en arrière plan mais rien jamais ne consolera cette famille.

Voilà c’est tout, mais l’écriture épouse si bien le propos que j’ai ressenti au plus profond de moi le chagrin de cet enfant qui devenu adulte n’a jamais oublié ces quelques années de bonheur auprès de son jeune frère, veillé par les deux tilleuls à l’entrée de leur ferme.

Extraits.

 

Début.

 Les villages de mon territoire sont au nombre de cinq : Outtersteene, Le Steent’je, Merris, Vieux-Berquin et le Doulieu. D’autres villages, limitrophes, ont également leur importance : Méteren, Strazeeleb et pourquoi pas Saint-Jans. Pour ce qui est des villes -car il faut parfois en parler- elles se nomment Bailleul à l’est et Estaire au sud-ouest. Hazebrouck et Armentières ont été jetées un peu plus loin sur la carte pour les lycées, les médecins spécialisés et le permis de conduire. Quant à Lille et Dunkerque, je n’ose pas même les envisager trop encombrées de rues, de feux rouges et de grands magasins.

La mer pour l’enfant de la campagne.

 De chaque côté du chemin, il y a des champs. Autour de la ferme, il y a des champs, des prés. François et moi vivons dans ces délimitations et c’est un peu comme si nous étions sur une île, ou une presqu’île si on inclut le chemin. Mais sans la mer. La mer, je ne l’ai vue qu’une ou deux fois. Elle ne ressemble à rien, elle est dangereuse et s’étale la perte de vue sans qu’aucune haie ou disposition de briques, de parpaings et de tôles ne viennent déranger sans horizontalité.

L’après.

 À l’impossibilité des enfants morts s’ajoute le processus quasi obligé des avenirs imaginés. Que serais-tu devenu ? Je ne me suis pas souvent posé la question, mais il m’est arrivé à la faveur d’une lumière particulière sur un carré d’herbe, de t’imaginer fermier, parce que ça m’arrangeait. Quoi qu’il en soit, nous aurions vécu des vies où la mise en commun aurait primé sur le reste. Nous aurions partagé des choses. Je ne sais lesquelles. Mais j’aimerais que parmi ces choses il y ait eu le cinéma. Je peux te prêter mes goûts puisque tu n’es pas là pour me contredire. Comme moi, tu aurais été un mordu d’histoires projetées sur le grand écran qui racontent des vies qui auraient pu être les nôtres. Ce désir de vivre une autre vie est une énigme dont nous avons l’audace de croire que nous pourrons un jour la résoudre. 

Metin Arditi est un auteur que j’aime bien retrouver : en 2009 j’ai lu « Loin des bras, en 2012 « Prince Orchestre« , en 2017 « L’enfant qui mesurait le monde » , en 2022 « Tu seras mon père » et en 2024 « le bâtard de Nazareth » et voici « Le Turquetto ». J’ai parfois des réserves pour cet auteur, mais pour ce roman, je n’en ai aucune. J’ai été tellement prise par ce récit que j’ai vérifié que ce personnage était bien un personnage fictif et pas un personnage historique. Metin Arditi nous fait vivre à travers ce roman , la puissance de la création d’un artiste peintre et le foisonnement artistique à Venise au XVI siècle. Il part d’un tableau très célèbre du Titien : l’homme au gant pour construire son roman.

 

Il imagine que ce tableau si célèbre n’est pas l’œuvre du Titien mais d’un peintre totalement ignoré, un jeune juif qui a fui Constantinople à la mort de ses parents pour rejoindre Venise, où il se fait passer pour un chrétien d’Orient, malheureusement il sera découvert et tous ses admirables tableaux seront brûlés sauf un : l’homme au gant.

Ce récit est un prétexte pour que l’auteur nous montre les aspects les plus sombres des trois religions monothéistes : les juifs comme les musulmans , n’ont pas le droit de représenter les humains sans risquer leur vie car c’est pour ces religions une façon impardonnable d’offenser Dieu . La religion chrétienne serait donc plus ouverte, elle qui encourage les peintres à représenter la figure humaine dans les tableaux. Oui mais ! nous sommes à la renaissance et au début du schisme protestant et il ne fait pas bon de ne pas être exactement dans la ligne définie par les puissants de l’église. Et lorsque l’on découvrira que le Turquetto était en réalité juif une seule solution : la condamnation à mort et l’autodafé de son œuvre. Pour parfaire notre révolte à propos de la religion et de l’inquisition, on retrouve un peu l’esprit du « Bâtard de Jérusalem » : l’œuvre qui provoquera la chute du Turquetto, est la cène, peinture scandaleuse où il a représenté les personnages sous les traits de rabbin ou du moins habillé comme l’étaient les sages juifs de l’époque. Pour brouiller les cartes, il leur a donné les traits des plus célèbres peintres vénitiens, pour Juda, il a fait son autoportrait. Ce tableau, la bonne société vénitienne ne pourra pas le laisser passer sans réagir à un tel blasphème : représenter Jésus sous les traits d’un juif quelle horreur !

L’autre thème de ce roman , c’est la peinture. L’auteur sait nous plonger dans la création d’un tableau : depuis l’esquisse, puis le dessin, et enfin la peinture tout est remarquablement raconté et c’est vraiment ce qui fait un grand charme de ce roman.

Le troisième aspect, c’est la vie à Venise, avec les jeux de pouvoir et d’argent, tout cela sous la houlette de la religion catholique qui est si tolérante pour ceux qui peuvent lui laisser beaucoup d’argent, et si sévère pour les pauvres. Mais pour les juifs, riches ou pauvres leur sort est vraiment misérable que ce soit sous la domination chrétienne ou musulmane.

Si l’un de ces thèmes vous plaît , n’hésitez pas vous ne serez pas déçu, en plus le récit est très prenant.

Je sais que j’ai vu passer ans la blogosphère mais j’ai un peu oublié où , si vous me le signalez dans le commentaire je mettrai un lien vers votre blog. Athalie est la première à s’être manifestée et comme moi elle a beaucoup aimé ce roman. Kathel en deuxième position. Voici maintenant Sandrine, avec un billet fort élogieux.

Extraits.

Début.

 » Élie ! Ton père s’est arrêté !
 Cette manie qu’avait Ardinée de crier, alors qu’il était sous ses yeux !
 Il se tourna vers son père. Le front baigné de transpiration. Celui-ci pressait sur sa vessie et urinait en pleine rue, comme les portefaix et les mendiants … Depuis qu’ils avaient pris le chemin du Bazar, c’était la troisième fois.

Sort des juifs dans l’empire ottoman.

Sami ferma les yeux.
Endurer…Il ne connaissait que cela. Endurer la pauvreté, la maladie, la honte … Surtout la honte. Vendeurs d’esclaves… Un travail que les Turcs réservaient aux juifs, comme on jette les restes aux cochons… Et son fils qui le déshonorait aux yeux de tous.
Il soupira. Comment pouvait-il estimer un père à qui les gens s’adressait comme à un chien ?
Avec le temps, Sami avait fini par prendre l’habitude de baisser la tête avant même que ne vienne insulte. Son fils n’était pas mauvais. Il était lucide, voilà tout. Il voyait son père tel qu’il était. Un être servile qui vivait dans la saleté…Malade des urines. Malade de honte. Malade de tout.

Venise et Assise.

Gandolfi se tournait vers la gauche. Le doge trônait sur une estrade haute de trois marches. On aurait dit le pape à Saint-Pierre … Décidément, Venise se noyait dans le ridicule. Elle avait trop de tout. Trop d’or, trop de marbre, trop de soies, trop d’ambitions inassouvies. À Assise, les maisons étaient faites de bois ou de torchis. Mais les gens qui les habitaient étaient de vraies gens. Pas des courtisans cruels et vaniteux, dont le regard était sans cesse ailleurs par-dessus épaules de la personne qu’ils avaient en face, à la recherche de quelqu’un qui soit plus important… Plus valorisant … Plus honorant… Les Vénitiens avaient les yeux fuyants. À Assise, les gens sentaient la bête. Mais ils étaient présents. Ils regardaient dans les yeux 

 

 


Éditions aux forges du Vulcain, 424 pages, mai 2025

Traduit de l’anglais (États Unis) par Élisabeth L. Guillerm

 

Je maudis deux fois la jeune vendeuse de la FNAC de Dinard qui m’a fait acheter ce roman ! Deux fois car je cherchais un titre pour ma sœur, qui apprécie toujours de lire des aspects peu connus de la deuxième guerre mondiale, et qu’elle s’est beaucoup ennuyée à cette lecture, et une autre fois pour moi qui s’est encore plus ennuyée qu’elle.

J’ai au moins revisité le mythe de Cassandre, qui comme la mythologie nous l’apprend est affublée de ce curieux pouvoir de prédire la vérité mais que personne ne veut entendre et qui se rend malade à force d’annoncer des malheurs qui n’intéressent personne.

Mildred Groves a ce don et elle est embauchée dans une énorme base américaine en 1940 à Handford , où tout le monde contribue à mettre au point un mystérieux produit . Elle est envahie par ses visions et voudrait arrêter le processus inévitable qui mettrait fin à l’humanité. On n’apprend rien ou presque sur cette base et il faut désespérément se raccrocher aux divagations de Mildred pour avancer dans le roman.

J’essaie de vous raconter mais je n’y arrive pas tant ce roman m’est tombé des mains. Il faudrait sans doute que j’évoque les rapports hommes femmes et le mépris pour les compétences féminines, sans oublier la destruction, et pour longtemps, de la nature autour de la base .. mais tout ce qui me reste c’est une impression d’avoir raté mon cadeau avec un livre sans intérêt.

Extraits

Début .

 J’étais à la merci de l’homme assis derrière le bureau. Il fallait qu’ils voie mon avenir aussi clairement que moi. Il leva quatre doigts roses, son annulaire orné d’une grosse alliance dorée, et énuméra les les qualités de la femme active idéale :
– Chaste. Volontaire. Intelligente. Silencieuse.
 J’avalais ses mots et me forçaient à les intégrer dans ma chair et dans mon sang. Je croisai mes chevilles et joignis mes genoux, me transformant en femme parfaite.

Les hommes.

 Les hommes nous remarquaient lorsque nous les approchions trop. Il levait la tête de leurs assiettes comme des pumas sentant une biche. Quand ils se tournaient et m’observaient avec leurs sourires de prédateurs, je trébuchais maladroitement où hâtais le pas, me disant qu’aucun n’était aussi cruel qu’ils le paraissaient, que leurs mères, leurs sœurs, leurs femmes leur manquaient sûrement. Certains vivaient sur le camp avec leur épouse et leurs enfants, d’autres étaient des hommes de famille intègres, je le savais, des chrétiens qui allaient à l’église du complexe tous les dimanches. C’était de la fascination, pas de la convoitise. Et s’il y en avait un qui me convoitait, qu’est-ce que cela pouvait faire ? N’était-il pas possible que sous cette attitude rugueuse se cache un mari doux et attentionné qui n’attendait que d’être percé à jour ? Les hommes réagissaient à ma nervosité comme s’il s’agissait d’une blessure ensanglantée. Ils me suivaient des yeux, certains que je serais une proie facile.