Éditions Gallimard, 185 pages, février 2025

 

C’est un indigné médiatique qui vomit le système en oubliant combien le système est généreux avec lui (je crois qu’il confond les mots subversion et subvention).

Benaquista est un des auteurs qui me plaît depuis si longtemps, sur Luocine on trouve : « Homo Erectus » , « Romanesque » (dont j’ai oublié l’intrigue, je l’avoue) , une BD qui m’a fait sourire « le guide mondial des records« , « Porca Misera » où l’auteur raconte ses origines. Mais il manque mes préférés lus, avant Luocine : « Malavita », « Saga », « Malavita encore » ….

Comme toujours chez cet auteur, j’adore la façon dont il s’amuse avec les mots et les expressions, d’ailleurs le titre est lui-même tout un programme. Benaquista décrit dans ce roman le monde de l’édition aujourd’hui, pour cela nous suivons les difficultés de Bertrand Dumas, qui va vers une liquidation de sa maison d’édition. C’est l’occasion pour l’auteur de nous plonger dans l’énorme production de livres qui s’apparentent si peu à la littérature. Les portraits des auteurs sont souvent drôles, la façon dont ils font tout pout se faire connaître est pathétique. La description des prix littéraires, des séances de signatures, des festivals et des dîners entre gens « cultivés » tout cela est mené de main de maître et comme toujours chez cet auteur agrémenté de tant de phrases que l’on aimerait retenir tant elles sont bien dites et sonnent si vraies. La façon dont certains écrivains usent de « google » pour aller plus vite dans la rédaction de leurs roman, (et encore l’IA n’est qu’à ses début !) m’a permis de comprendre pourquoi si souvent j’ai l’impression de relire dix fois les mêmes histoires.

Le début est absolument jouissif, Benoit Clerc qui raconte tous ses malheurs personnels à travers ses romans, m’a fait penser à tous ceux que j’ai lu et qui racontent leurs blessures , à chaque fois j’ai pensé si cela peut réparer la personne tant mieux, mais c’est un peu lassant. Pourtant, parfois dans cette veine il y a des livres qui m’ont bouleversée, tout dépend de la façon dont c’est raconté, certains diraient du style. J’ai aimé aussi rencontré des personnages si différents comme ce Reynald qui passe son temps au jardin du Luxembourg et qui décrit avec tant de précisions les différents habitués du jardin. C’est avec lui que va commencer l’arrivée dans le récit du deuxième Bernard l’auteur omniscient qui est différent mais combien proche du Bernard éditeur qui va faire faillite ?

Mais, il y a un mais, j’ai vraiment été perdue entre tous les personnages et le dédoublement de l’auteur avec son double : Bernard qui écrit sur Bernard ! et j’ai difficilement compris la fin. Ce n’est pas si grave car à chaque moment différents du roman, je m’amusais aux descriptions des auteurs et des réunions autour des auteurs avec les différents médias et autre influenceurs, ou plus souvent, influenceuses.

Extraits

Fin du prologue et début du roman.

 Dieu créa la littérature.
 C’est sans doute pour ces raisons là que je suis devenu éditeur.
Demain pour bien d’autres raisons, je ne le serai plus.
Mais pour l’heure, je déjeune avec Benoît Clerc, venu m’entretenir de ses indignations du moment, comme il le fait avec une belle constante depuis vingt ans que je le publie. Que dire de Benoît sinon qu’il existe ?

Une des raisons de l’effroyable augmentation du nombres de livres publiés .

Ses pages constellés de mes notes ou feutre rouge. Ses phrase jetées, verbeuses, une faconde feignante que j’avais qualifiée d' »hyper-oralité » afin de ne pas le vexer, ce qu’il avait pris pour un compliment stylistique. Son ordinateur chauffait comme une machine à coudre dans un atelier clandestin, car il était de cette toute première génération d’auteurs qui n’auraient jamais écrit sans le traitement texte, et qui en aucun cas n’auraient retapé un feuillet à cause d’une faute de frappe.( Ô, déesse de l’informatique combien de graphomanes nous te devons).

Socrate et les livres.

Socrate en personne nous a mis en garde contre la lecture. Les livres selon lui nous donnent l’illusion d’être des sachants alors que nous nous contentons d’une pensée morte et retranscrite, du prêt-à-penser en boîte. Seule la conversation aiguise la conscience, met notre esprit à l’épreuve, nous confronte à la parole de l’autre dans une quête commune du beau et du vrai. En d’autres termes la lecture, et la fabrique de l’ignorance

Le banquier.

 Le livre n’étant pour lui ni un outil d’émancipation, ni même un objet récréatif, je veille à ne jamais employer le mot « littérature » de peur de provoquer l’ennui ou la gêne d’un individu s’étant construit contre celle-ci, qui n’engendre ni profit ni épargne, du moins dans le sens où il l’entend. Lors de notre rendez-vous d’hier, celui de la dernière chance, j’ai lu dans son regard la condescendance du gestionnaire ultralibéral, lucide sur les crises d’aujourd’hui mais prêt pour les défis de demain, face à un résidu fossile de l’air Gutenberg. Dans son sabir financier, il s’est lancé dans des phrases de plus de cent mots qu’il aurait pu ainsi résumer s’il avait le sens du resserrage : »Passe la main papa. ». On peut certes étudier la demande de prêt d’une boîte à burgers végans, d’un bar à ongles, d’un incubateur pour start-up dans le management, mais celle d’un éditeur de romans lui faudrait les sanctions de sa hiérarchie. À se chiffres, je n’ai pas su imposer mes lettres. Que n’ai-je suivi naguère un stage de management au lieu de lire Goethe ? Soulagé d’être de s’être débarrassé d’un insolvable, il a tenu à me raccompagner jusqu’au seuil de sa banque.

Les auteurs bons communicants.

Ils parlent comme des livres pour vendre leurs livres, écrits comme ils parlent.

Dialogue d’une soirée mondaine parisienne.

 –Tu te souviens de José, qui nous bassinait avec son petit paradis thaïlandais ? Il a eu une attaque cardiaque pendant qu’il se baignait dans un lagon. Six heures pour atteindre le premier hôpital. Il est revenu vivre à Paris. À cent mètres de l’hôpital Cochin…

Le pouvoir des mots.

 Au moment où l’auteur, venu faire ses services de presse, le découvre à mes côtés, voilà qu’en relisant la quatrième de couverture il pousse un cri d’effroi ! À cause d’une coquille le mot « nocive » est devenu « novice ». « Une créature dangereusement novice ». Tous sur le pont ! Branle-bas de combat ! (…) L’inversion de deux petites lettres ! Auriez-vous, comme moi, cessé toute activité pour calmer l’auteur épouvanté, pour consoler Hélène, la correctrice qui pourtant n’y était pour rien, et surtout pour prendre ou non la décision de pilonner dix mille exemplaires soit une perte de trente mille euros ? Avez-vous idée des trésors de sang-froid et de psychologie dont il faut faire preuve en pareil cas ? Vous seriez vous lancé, comme moi dans une démonstration sémantique totalement improvisée et d’une redoutable mauvaise foi ? Car après tout ce « dangereusement nocive » n’ était-il pas redondant ? Et tout à l’inverse ce « dangereusement novice » n’ajoutait-il pas un surcroît de sens comme seule la contingence en a le pouvoir ? L’innocence et la candeur n’était-elle pas dans ce monde qui tourne à l’envers, des dangers bien plus à craindre que la décadence ou la corruption ? Dans « novice », n’entendons-nous pas « no vices » ? (…) Non seulement nous n’avons pas pilonné, mais tout le monde a trouvé dans ce « dangereusement novice » la tournure d’un véritable styliste.

Un point de vue original sur Proust.

–  Quelle chance nous avons eue que la maladie ait frappé cet homme-là, l’obligeant à s’aliter tant d’années sans lui laisser d’autre choix que de travailler.
– Il faut se méfier de la dangerosité des médicaments. Si la Ventoline avait existé du temps de Proust, jamais nous n’aurions eu la « Recherche ».

Beaucoup trop de livres.

 Un jour viendra ou les manifestations littéraires remettront les choses à leur vraie place et dans leurs justes proportions, quand une poignée de lecteurs assis derrière des stands, verront défiler dans les allées une cohue d’écrivains venus les convaincre d’acheter leur dernier opus.

L’art de la formule.

 C’est un indigné médiatique qui vomit le système en oubliant combien le système est généreux avec lui (je crois qu’il confond les mots subversion et subvention).

 

 

 

2 Thoughts on “Tiré de faits irréels – Tonino BENACQUISTA

  1. J’aime beaucoup les extraits que tu as choisis ! J’ai aimé Saga, mais me suis ennuyée avec Malavita et je ne suis pas revenue à cet auteur depuis cette déception. Ce roman-ci est court, ça pourrait être l’occasion de lui redonner une chance.

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