Édition « le bruit du monde », 229 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a un un vrai talent pour faire vivre devant nos yeux des personnages populaires qui sont souvent les oubliés de la grande Histoire. Rose est une enfant née d’une femme qui l’a abandonnée sur le seuil d’une famille qui l’a élevée comme le veut la tradition Corse. Sa naissance se passe en 1908, elle sera heureuse de pouvoir quitter cette famille où elle a eu peu de place pour épouser un homme frustre mais qui ne la rendra pas malheureuse. Dès qu’ils le pourront, ils partiront à Toulon où Paul Dominique, son mari, et leurs trois enfants se bâtiront une vie de labeur, son mari sera ouvrier à l’arsenal. Après la guerre 39/45, Rose va connaître Farida, une Algérienne qui va l’éveiller à la vie, à la lecture, et à la vie politique. Toute cette première partie qui représente les deux tiers du livres m’ont vraiment enchantée, Farida vit dans un bidonville pas très loin de la maison de Rose, peu à peu, Rose connaîtra tous les habitants de ce bidonville. Les habitants sont surtout des Algériens et parfois des Portugais. Après la guerre d’Algérie et le départ de Farida, j’ai trouvé que le roman s’est essoufflé.

La vie de Rose n’est pas racontée de façon linéaire, elle parle de sa fille, Nonciade, on sent qu’il lui est arrivé quelque chose de terrible. On comprendra pourquoi Rose est si éteinte quand elle rencontre Farida, la mort de Nonciade est une des clés pour comprendre Rose. Mais sa naissance et son enfance explique bien des traits de son caractère. Son mari, ses enfants sont plus difficiles à comprendre, ils restent en arrière plan. Pourtant son mari, a une belle personnalité et j’aurais aimé en savoir plus sur lui.

L’amitié entre Farida et Rose, est la partie la plus riche du roman. Cela permet au lecteur de comprendre la situation des Algériens en France, et qui permettra à Rose de sortir de son deuil. L’auteur a voulu aller au-delà de cette période, pour élargir l’engagement de Rose vis à vis de tous les émigrés si mal accueillis en France. Ça ne marche pas vraiment, car d’une relation intimiste d’amitié de deux femmes qui se libèrent de carcans différents, on arrive à une dimension sociale contemporaine où leur histoire se dilue .

Je ne peux que vous conseiller cette lecture au moins pour les trois quarts et peut-être, que vous serez même conquis par la fin. Le style de l’auteur est très particulier sans aucune fioriture, il semble parfois brutale à force de simplicité.

 

Extraits

Début.

 » Tu verras aucun homme ne peut résister à la couleur du henné », me dit Farida. Je souris.
 Je suis la danse de ses doigts au-dessus de ma tête, séparant chaque mèche du reste de ma chevelure, avant de l’enduire d’une couche épaisse depuis sa racine. De son visage je ne vois que ses lèvres charnues, colorées de carmin, son menton rond, la courbe ample de son cou. De son corps, ses épaules pleines, sa poitrine généreuse que je lui envie tant, sous la gandoura.

Naissance.

Février 1903 commune de Belgodère, Haute-Corse. Je rentre brutalement dans le monde – la date exacte de ma naissance jamais établie. Simplement arrêtée par notre maire, quelques jours plus tard, au dix-huit du mois après observation des fontanelles de mon crâne, et examen de la peau fripée de mes mains et de mes pieds.
 Depuis plusieurs semaines, le froid s’est installé. Le gel s’attarde sur les chemins jusqu’à tard dans la matinée. Il n’y aurait jamais eu autant de fractures au village que cet hiver là. On m’a langée d’un linge de drap. Enroulée dans un châle de laine grise. Passée un bonnet trop large qui me descend jusque sur les yeux. Déposée au petit matin sur le pas de la porte d’une maison qui allait devenir la mienne. Et la femme qui y habitait, ma mère adoptive par la force des choses. Désignée ainsi par la main innocente et anonyme qui m’a abandonné là, quelques heures plus tôt. Contrainte bon gré, mal gré d’en accepter la charge. Comme le voulait alors la coutume dans nos villages.

 

Le titre.

Heureusement je suis protégé par l’œil de la perdrix.
– L’œil de la perdrix ?
Elle a pointé du doigt son front où était tatoué ce petit losange dont chaque extrémité renflée ressemblait à une croix. Il m’intriguait. Depuis notre première rencontre. Mais je n’avais pas osé lui en demander l’origine ni le sens. J’avais toujours pensé que les marques sur les corps, qu’elles soient rituelles ou de naissance – je me souviens de cette tâche de vin qu’avait notre voisin au village, sur tout un côté du visage, de la base de données à la naissance du cou -, ne justifiait aucune indiscrétion.
– C’est ma mère qui me l’a fait tatouer. Elle avait le même sur son front est sur ses joues. C’est nous dans le Mzab, la perdrix est le signe de la beauté et de la grâce. Mais surtout elle préserve du mauvais sort.

La place de la femme .

Je repense au mari de ma mère adoptive, à la naissance de son premier fils. Sa mine des bons jours, son air guilleret, se frappant la cuisse de joie. Buvant des canons. Invitant autour de lui. Faisant venir tout exprèsde Bastia un daguerréotypeur pour immortaliser l’évènement, sacrifiant un agneau pour le dédommager – les photos encadrées au-dessus de la cheminée. Reproduisant la chose à l’identique pour le suivant. Ses fils. Mes frères. Princes attendus. Comme venus du ciel. Prenant toute la place qu’on leur laisse. Sans partage ni brutalité. Donation de droit divin. Nous à leurs côtés, ma mère adoptive et moi, réduites aux restes. Étrangères à leur solidarité d’hommes. Cantonnées aux rôles des grandes muettes.

4 Thoughts on “L’œil de la perdrix – Christian ASTOLFI

  1. Je n’avais été qu’à moitié convaincue par le premier roman de l’auteur « De notre monde emporté »… sur le monde du travail et la fin des chantiers navals. Peut-être en raison du style, ou d’une impression de déjà-lu.

  2. Tes réserves et le commentaire de Kathel sur le roman précédent me font hésiter. Je vais attendre le prochain ..

  3. keisha on 24 janvier 2025 at 14:15 said:

    Pas convaincue? Bon, rien ne presse…

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