Éditions Pocket, 369 pages, février 2024 (première édition Éditions Escales 16 mars 2023)

 

Femme de marin, femme de chagrin.

J’ai décidé qu’une fois par mois je mettrai sur Luocine un livre pioché dans ma très, très longue liste noté sur la blogosphère. Le 22 juin 2024, j’avais dit à Athalie que je mettais ce roman dans ma liste suite à son billet. Voilà, je vais pouvoir le retirer de ma liste.

Ce livre raconte la tragédie des femmes, veuves ou orphelines qui ont vu leur père ou (et) leur fils périr en mer. Le début est prenant et la façon dont Perrine va injurier la mer de toutes ses forces, lorsque son fils meurt en mer est terrible. Elle a perdu son père, son mari puis son fils. Le début du roman voit comment Perrine a élevé son fils dans l’espoir qu’il ne prenne jamais la mer, lui, Jean ce petit si bon à l’école et qui écrit si bien. Il partira cependant et écrira le plus souvent qu’il le peut à sa mère ce qui permet au lecteur de suivre ses difficultés et ses voyages. Pendant la guerre 39/45, comme si la mer n’était pas assez dangereuse se rajoutent les avions anglais qui tirent sur les bateaux des pêcheurs. Puis, les Allemands qui laissent des mines et qui chassent les résistants. L’approche de la collaboration et de la résistance est bien imaginée, on est loin des récits héroïques où tout le monde trouve immédiatement le bon chemin à suivre. La résistance, c’est plus un hasard et aussi l’atrocité des nazis qui y conduit.

Ensuite, on suit le destin de Paulette la fille d’un homme qui s’est enrichi car il a su travailler avec les « Boches » pour construire le mur de l’atlantique. Cette Paulette au caractère bien trempé ne voudra pas empêcher Jean de partir en mer, hélas pour elle. L’immédiate après guerre est bien racontée et la différence entre Perrine la mère de Jean et Paulette en rivalité pour le même homme est bien vu

La dernière partie est pour moi beaucoup plus faible. Nous suivons Pierre le fils de Paulette et Jean, tous les deux vivent dans le Jura le plus loin possible de la mer qui, évidemment, va se venger et rattraper cette lignée.

Dans ce roman, il est presque dit que si les Bretons n’arrivent pas à vivre leur besoin d’aventures sur l’eau alors, il leur reste l’alcool comme « ptit Louis » le beau frère de Jean. Et les femmes  ?,elles ne peuvent que subir. Ce n’est vraiment pas l’image que j’ai des femmes autour de moi.

Bref j’ai aimé les deux tiers du livre et j’aurais imaginé une fin très différente, que Pierre gagne le « Vendée des globe » par exemple .

Je me sens un peu sévère avec mes trois coquillages mais en ce moment j’ai vraiment du mal à m’enthousiasmer pour un roman, j’ai trouvé celui-ci un peu « gentillet » si j’étais plus positives je dirai tout en nuances.

 

Extraits.

 

Début (beau début).

 Perrine a juré en breton des mots qu’elle ne connaissait pas en français. Elle, si belle dans le temps, était laide pour la première fois, le visage tordu par la colère et par la peine. Elle avait vieilli d’un coup de vingt ans, ou de trente ans, ou même davantage, on ne sait pas. Elle aurait voulu faire plus de mal à la mer, avec ses galets qu’elle lui jetait de toutes ses forces comme on lapide une bête. Parce qu’elle lui en avait encore volé un qu’elle aimait, la salope.
 Cette fois, c’était son fils, elle n’en avait qu’un, dont le curé accompagné du maire avait dit le prénom : Jean.

Les superstitions.

 Les superstitions rassuraient Perrine autant qu’elles lui gâchaient la vie. Tout ty passait, la consternation devant une miche de pain à l’envers, la peur des chats noirs, l’épouvante après le bris d’un miroir, l’agacement à la vue d’un parapluie ouvert à l’intérieur d’une maison, mais aussi les échelles qu’elle évitait soigneusement, la couleur verte qu’elle ne portait pas, le nombre treize qu’elle ne prononçait jamais ni en breton ni en français, les grains de sel qu’elle balançait par-dessus l’épaule à tous les repas, le bois qu’elle touchait dix fois par jour et la quête des trèfles à quatre feuilles pour lesquels elle se cassait le dos à chaque printemps.

Le plaisir des mots spécifiques de la voile.

Monsieur Tournellec m’a expliqué comment construire l’abri de la nuit. Il tenait la technique d’un vieux terre-neuvas. Il faut accrocher un aviron à la drisse et le hisser à la verticale du grand bau. Quand l’aviron est bien calé sur l’amorce de pontage, on y tend la misaine. On fait contrepoids à l’aide de la vergues et ça donne un refuge superbe.

L’après guerre.

Tes raisons, je les sais même s’il ne les dis pas. Il a un peu les chocottes des questions qu’on va bien finir par venir lui poser pour ce qui est du béton qu’il a vendu aux Bosches et des machines qu’il leur a mis à disposition. Alors se mettre bien avec des gens qui vont se pavaner dans le bourg comme s’ils étaient des cousins à de Gaulle et qui ont leur entrée chez les résistants , ça vaut facile le prix d’une charpente et de quelques ardoises. 

 


Édition Métailié, 187 pages, janvier 2023

Traduit de l’islandais par Éric Boury

 

Il est des livres qui se refusent à ma lecture, celui-ci je l’ai commencé au moins dix fois, et puis, des circonstances de salle d’attente m’ont permis de le finir. On suit pendant ce roman, à la fois, le destin d’une jeune Islandaise Sigurlina, fille du conservateur du musée des objets anciens , et d’une boucle précieuse. Ces deux fils se croisent, car la jeune Sigurlina, un soir de déception amoureuse et aussi, un peu lasse de servir de bonne à tout faire à son père et son frère, s’enfuit sur un bateau en partance pour l’Écosse. Elle subit un viol, et à sa grande surprise trouve la boucle ancienne dans les vêtements de son violeur.

L’honnêteté l’obligerait à revenir chez elle pour rendre cet objet, mais continuant son « coup de tête », elle part en Amérique. De multiples aventures l’attendent et l’objet aura la fâcheuse habitude de disparaître au mauvais moment.

L’intérêt de ce roman vient, sans doute, de l’évocation du passé de l’Islande, entre légendes et réalité, comme souvent quand on a peu de traces écrites de civilisations préhistoriques.

Je me suis perdue dans cette histoire rocambolesque, le style ne m’a pas aidée : les phrases trop courtes et hachées. Les personnages sont comme des idées donc, très peu incarnés, je n’ai ressenti aucune émotion et beaucoup de confusion. La confusion vient certainement de moi : au bout d’un moment, je me suis détachée de cette histoire, un peu comme la raconte cette écrivaine qui semble s’amuser à faire « comme si » elle écrivait un roman d’aventure mais n’y croit pas elle même.
Si quelqu’un d’entre vous l’a lu, j’aimerais bien qu’on m’explique le prologue : cette histoire de carte de Noël qui s’anime.

 

Extraits.

 

Début du prologue.

 Le bruit montait du salon. Des sonorités étranges un. Un instant, ne comprenant pas un mot des paroles échangées. je crus que je rêvais. Puis j’entendis les ronflements discrets de grand-mère à mon côté et je compris que j’étais éveillée.

Début du chapitre 1.

 Fin de la réception à Reykjavik mars 1897. 
– Quand à cette boucle de ceinture finement ornementée, elle a souhaité l’acquérir pour la somme de quinze mille dollars américains. Auprès de sa propriétaire une jeune islandaise dénommée Branson. Miss Selena Branson..

Travail d’une femme en Islande en 1890.

 Est-elle sûre de n’avoir rien oublié ? Vers midi, elle se tenait sur le seuil de la maison, prête à sortir. Elle hésitait. Elle avait fait les trois lits, balayé les chambres, reprisé une chaussette, préparé la pâte à pain, humecté le fromage en le malaxant pour éviter qu’il ne durcisse, lavé le linge qui était à tremper, l’avait essoré et mis à sécher au Soleil du matin avait trier le linge sale et l’avait mis à tremper – en séparant les sous-vêtements de son père-, elle avait mis à dessaler du poisson, mis à tremper des amandes, des pruneaux et des raisins secs, mis à tremper du chou, mis à tremper tout ce qu’on pouvait mettre à tremper dans cette petite maison, puis, pour finir elle avait plongé ses mains mouillées et ses doigts tout fripé dans l’eau chaude et savonneuse. Non elle n’avait rien oublié, pensa-t-elle en claquant la porte avant de se mettre en route d’un pas résolu.

L’industrie fin 19° aux USA.

 Les machines fonctionnaient ainsi dix heures par jour, six heures par semaine dans l’usine de sous-vêtements « Werner and Son » au quatrième étage d’un immeuble en brique de Woster Street en bas de Manhattan. L’entreprise fabriquait un millier de culottes par jour dans un air alourdi par les chutes et la poussière de tissu, dans le bruit assourdissant des machines, sous la présence insupportable du contremaître et des patrons. Des cris permanents et des réprimandes, chacun devant respecter la cadence. La pose de midi se déroulait dans le brouhaha des conversations. Autour d’elle, Sigurlina entendait une kyrielle de langues étrangères. Ses voisines de table étaient originaires d’Ukraine, et, lorsqu’elles se décidèrent enfin à lui adresser la parole dans leur anglais rudimentaire, elle comprit qu’elles n’étaient pas venues en Amérique pour y chercher l’aventure, le dépaysement ou la sophistication. Dina, Marina et Irina étaient arrivées avec leur mère et travaillaient pour gagner de l’argent qu’elles envoyaient dans leur village. Aux parents très âgés de leur maman. Elles lui parlèrent des émeutes, des famines 0et des calamités qui ravageaient leur terre d’origine , ce qui étonnait parfois l’islandaise car ces jeunes femmes s’exprimaient avec une franchise dénuée de misérabilisme. Certaines de leurs histoires étaient à peine croyables : un soir, il y avait bien longtemps une horde de paysans et de villageois s’étaient rués dans l’auberge de leurs parents et y avait tout saccagé en hurlant :  » À bas les Juifs  ! Ce sont eux qui ont assassiné notre tsar » . Puis ils avaient pris ce qui les intéressait, volant toutes les réserves de vodka. Le père des jeunes filles, propriétaire de l’auberge, avait perdu la vie dans la bataille sa hache à la main. 


Éditions « le bruit du monde », 352 pages, janvier 2025

 

Parfois je me dis que 5 coquillages, c’est bien pauvre à côté du plaisir que j’ai éprouvé en lisant un livre. J’ai savouré cette lecture , proposée par ma sœur, et j’ai ralenti le rythme de ma lecture pour ne pas quitter trop vite la famille de Philippe Manevy. J’ai hâte de savoir ce que Dominique la blogueuse lyonnaise a pensé de ce livre. Car en effet pour tous ceux et celles qui connaissent Lyon le plaisir doit être encore plus fort. L’auteur décrit les différents quartiers de cette ville en particulier les quartiers qui autrefois étaient habités par les ouvriers : la croix rousse et ses « traboules ».

Cet auteur vit au Québec , où il enseigne la littérature, cet éloignement a créé en lui une rupture qui lui a permis de se plonger dans sa vie familiale avec le recul nécessaire pour la faire revivre pour nous. Mais plus qu’un roman familial, cet auteur sait aussi expliquer l’acte d’écrire, et c’est absolument passionnant. Sa famille est-elle plus importante qu’une autre ? non. Est- elle pire ou meilleure qu’une autre ? Non . Peut-elle intéresser un lecteur aujourd’hui ? Oui . Parce que nous nous retrouvons dans l’évocation des différentes personnalité des composantes de cette famille. Bien sûr on ne peut pas dire « c’est bien moi ça » , mais on sent que cet éclairage permet de mieux retrouver en nous ce qui a constitué notre vie. Un peu à l’image de l’œuvre si importante pour lui d’Annie Ernaux, cette grande auteure aujourd’hui prix Nobel a permis de cerner ce qu’était un transfuge de classe sociale, Philippe Manevy à travers une famille d’origine ouvrière à Lyon, construit la généalogie de beaucoup de français : sa grand mère Alice a travaillé dans un des dernier atelier de tissage de la soie toute sa vie, et son grand père était imprimeur. Tout en ne faisant pas un livre sur la condition ouvrière, la présentation de ces deux personnalités ont construit une famille dans laquelle chacun peut reconnaître un bout de la sienne. Chaque chapitre est l’objet à la fois d’une évocation d’un personnage de sa généalogie mais aussi d’une réflexion qui entraîne le lecteur dans des remarques intéressantes. C’est encore plus vrai quand il parle des gens qu’il a, personnellement, connus, les sentiments de ce petit fils avec son grand père sont touchants et finement analysés. Par exemple , pour faire le bonheur de ses parents, sa mère a privé son père du seul endroit où il était pleinement heureux (un chalet dans le cantal, « Mordon ») , Alice la grand-mère qui peut sembler insupportable a toujours tendrement aimé de son mari et réciproquement. L’humanité de l’auteur lui permet d’aller toujours un peu plus loin que les apparences.

Mais si j’ai tant aimé ce livre, c’est bien évidemment pour la qualité de son écriture. Il a un style alerte qui se lit bien et qui fait du bien . J’aime ses phrases et les anecdotes qui parsèment son livre , à vous de juger à travers tous les extraits que j’ai recopiés. J’en ai mis beaucoup mais j’aurais parfois eu envie de recopier des chapitres entiers.

Patrice a bien aimé, peut-être moins enthousiaste que moi.

Extraits.

 

Début.

 Nous avons tous pensé que cette tentative serait la bonne.
 Pendant près de dix ans elle avait tout essayé : la volonté d’abord, puis les timbres de nicotine, la médecine douce, l’hypnose, l’acupuncture et les traitements miraculeux qui arrivaient régulièrement sur le marché. Elle avait tenu quelques jours, quelques semaines parfois durant lesquelles elle perdait patiences au moindre incident se supportait à peine, devenait injuste avec nous et plus encore avec elle-même. Puis elle replongeait et c’était presque un soulagement. Bien sûr, que nous savions que la cigarette risquait de la tuer, qu’il n’était pas raisonnable de continuer ainsi au-delà de quarante ans, mais nous avions aussi le sentiment étrange de la retrouver lorsqu’elle déchirait l’enveloppe plastifiée de son paquet de Peter Stuyvesant, puis fouillait avec fracas les tiroirs de la cuisine pour dénicher le briquet qu’elle avait caché quelque part, jamais très loin.

Oral/écrit.

 Je parle trop, trop vite. Je parle mal. À l’oral, j’ai souvent été maladroit, parfois blessant sans le vouloir : les mots m’échappent et s’éloignent de mon intention première au point qu’il devient impossible de les rattraper sans créer de nouveaux dégâts. Quand j’écris, quand je parviens après de longs efforts à construire une phrase qui me semble sonner juste, j’ai l’impression d’atteindre une vérité intérieure qui depuis longtemps, attendait d’être fixée pour exister vraiment.

J’adore ce passage.

 Quand j’ai publié mon premier livre, j’ai connu le sort de bien des écrivains débutants. Ma mère a acheté des dizaines d’exemplaires pour les distribuer autour d’elle. J’ai reçu des encouragements de la part de membres de ma famille, d’amis, de collègues. Mon nom est apparu dans le journal, avec une faute qui le rendait difficilement reconnaissable. Et comme il y avait aussi une erreur sur le titre, c’était fichu pour la postérité. Je n’étais ni surpris ni franchement déçu, car je vis avec une écrivaine depuis près de vingt ans. Je sais donc que les chemins de la littérature sont défoncés, encombrés de ronces, qu’ils relèvent du marathon plus que de la promenade de santé.

La famille source d’écriture.

 Ordinaires, toutes les familles le sont, pourtant. Les rois et les reines, les héros et les tyrans ont des souvenirs d’enfance qui n’ont d’intérêt que pour eux. S’ennuient lors des déjeuners du dimanche. Disent à leurs parents des paroles blessantes qu’ils ne regretteront pas vraiment. Disent à leurs enfants des paroles anodines qui leur seront reprochées des décennies plus tard. Sont en rivalité avec leurs frères et sœurs pour des motifs futiles et insurmontables. Ne seront jamais suffisamment aimés par ceux qui les connaissent le mieux. Ou jamais de la bonne manière, avec les mots qu’il faudrait. Ou bien ces mots tend attendu arrive trop tard, lorsque tout est depuis longtemps déjà, irréparable.
D’un autre côté, les familles les plus banales peuvent dissimuler des secrets dignes des Atrides, des blessures et des haines qui se transmettent d’une génération à l’autre comme une maladie héréditaire c’est bien que, soudain, la violence explose comme un coup de tonnerre dans le ciel bleu, que l’on se surprend à vouloir tout détruire dans un mouvement de rage. On est prêt à mettre le feu à cette somme de petits bonheurs patiemment accumulés, trop bien rangés trop propres.

Le poids du passé de la collaboration.

 Ainsi, dans le village de mon enfance, qui avait été une zone de maquis, certains de mes camarades payaient encore pour les actions de leurs ancêtres. Une réprobation muette entourait leurs familles : ils étaient les descendants de ceux qui avaient tiré profitent de la guerre, collaboré avec l’ennemi, ou pire dénoncé. On ne parlait jamais de ces actes, mais ils étaient dans toutes les mémoires, et les petits enfants, les arrière-petits enfants, portaient encore le poids de la honte. Les descendants des héros, eux, affichaient une tranquillité supériorité morale ou croulaient sous le poids d’une couronne trop lourde. À certains, on avait légué la haine, comme cet ami qui refusait d’apprendre d’allemand parce que les boches avaient tué son arrière-grand-mère. (…)
 Moi je suis convaincu d’une chose : notre sens moral n’existe pas dans l’absolu, en dehors des circonstances particulières où nous devrons en faire usage, lorsque la réalité cessera d’être ce milieu invisible dans lequel nous nous déplaçons avec une illusoire facilité, et qu’elle deviendra un mur en apparence infranchissable.

Retour des expatriés.

 Tous ceux qui ont mis des océans entre eux et leurs proches le savent : les retours au pays ne sont pas seulement l’occasion de joyeuses retrouvailles. Ils impliquent aussi une comptabilité impossible : combien de temps consacré à la famille, aux amis ? Dans quel ordre classer oncles et tantes ? Combien de kilomètres suis-je prêt à parcourir pour rejoindre Untel ? Puis-je me dispenser de retrouver cette année ceux que j’avais vus l’été dernier ? Un ami d’enfance cela vaut-il autant qu’un cousin ? Et autant, cela veut dire quoi, exactement : un café ? un après-midi ? un repas ? un week-end entier, plusieurs jours, une semaine ?
 Les expatriés doivent quantifier leurs affections.

Sa mère.

 En faisant les études qui lui ont donné une « bonne situation », en épousant mon père, ma mère est entrée en bourgeoisie. Elle garde pourtant de ses origines une méfiance instinctive pour tout ce qui relève du snobisme ou de l’entre-soi. Elle préfère les brasseries aux restaurants gastronomiques, les simples hôtels aux quatre étoiles, les plages bondées aux domaines privés, et une élégance ostentatoire provoquera invariablement de sa part, ce commentaire assassin :  : C’est m’as-tu-vu ».
Elle fait partie de plusieurs associations caritatives mais a toujours fui les clubs, les dîners mondains, les cercles de notables, tous les lieux inventés par l’élite sociale pour se rassembler à l’écart du monde. Elle aime mieux les repas de famille et les fêtes de village, les réunions enflammées.

Le Québec et la France.

 La glorification de la classe moyenne n’a pas de sente dans mon pays d’origine, alors qu’elle est frappante ici, au Québec, où rien n’est si recherché que de paraître commun, dans la norme : ni plus riche, ni plus intelligent, ni plus cultivé, surtout que les autres. La familiarité vaut même comme stratégie politique : souvenir du « Bonjour tout le monde ! » par lequel François legault ouvrait ses conférences de presque quotidienne au temps de la Covid, comme s’il arrivait à un party de famille, tandis qu’Emmanuel Macron semblait à chacune de ses rares apparitions, rejouer l’appel du 18 juin 1940.

Les films super 8.

 Je n’ai aucun souvenir personnel de « Mordon ». Tout ce que je raconte ici provient de photographies qui commencent à jaunir et de films en super-huit, ces séquences qui, par leur brièveté l’absence de son et le tressautement de l’image, sont la nostalgie même, matérialisée. La bobine est précaire – la plupart des nôtres ont d’ailleurs été détruites, brûlées par le projecteur dans des autodafés involontaires, et nous n’osons plus les regarder. Et il faut imaginer ce qui précède le film, ce qui le suit, ce qui s’y dit : l’image reste, mystérieuse, nimbée d’une lumière jaune et diffuse, mais les voix chères se tues. Le super-huit est de l’ordre du rêve, plus que de la trace.

Son grand père et la conduite .

 Faire des courses avec lui, par exemple, était une véritable épreuve qui commençait sur la route, où il fallait accepter sans broncher son interprétation toute personnelle de la signalisation. II considérait que les flèches dessinées au sol avaient une vocation décorative. Aussi passait-il librement d’une voie à l’autre gratifiant d’un puissant « couillon de la lune » tous ceux qui osaient se mettre sur son chemin.

Éditions Buchet-Chastel, 142 pages, juin 2005.

On s’attache, même aux pires endroits, c’est comme ça. Comme le graillon au fond des poêles.

 

Sur la blogosphère, j’ai lu un billet à propos de « les féroces soldats » qui n’est pas encore dans ma médiathèque, mais celui-ci y était. Cet écrivain a reçu le pris du livre Inter, pour ce court récit, qui fait partie des livres qui me désolent pour le contenu et m’enchantent pour l’écriture.

Dans un style incroyable, mêlant rythme , humour et poésie, Joël Egloff exprime son désespoir de grandir dans une région industrielle totalement polluée. Ce n’est pas une description réaliste, mais cela ne l’empêche pas non plus d’être vraie. Et le seul lieu d’embauche qui assure un salaire stable c’est un énorme abattoir. Donc le personnage gagne « sa vie » parce qu’il sait donner la mort !

Aujourd’hui que cette région n’est plus industrielle, l’air y est peut-être plus sain ? Deviendra-t-elle une région touristique ?

Je ne regrette pas cette lecture et je lirai certainement son récit autobiographique qui raconte le passé de son père dans les « malgré nous ».

 

Extraits

Début.

Quand le vent vient de l’ouest, ça sent plutôt l’œuf pourri. Quand c’est de l’est qu’il souffle, il y a comme une odeur de soufre qui nous prend à la gorge. Quand il vient du nord, ce sont des fumées noires qui nous arrivent droit dessus. Et quand c’est le vent du sud qui se lève, qu’on n’a pas souvent, heureusement, ça sent vraiment la merde, y a pas d’autre mot.

Humour sarcastique.

Pour découvrir le paysage, pour mieux se rendre compte, le plus simple c’est encore d’aller faire un tour au syndicat d’initiative. Là-bas quand c’est ouvert le premier samedi du mois, de dix heures à midi, on peut trouver un petit plan mal photocopié, un itinéraire pédestre qu’ils donnent pour rien en faisant la gueule. 


Édition « le bruit du monde », 229 pages, août 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cet auteur a un un vrai talent pour faire vivre devant nos yeux des personnages populaires qui sont souvent les oubliés de la grande Histoire. Rose est une enfant née d’une femme qui l’a abandonnée sur le seuil d’une famille qui l’a élevée comme le veut la tradition Corse. Sa naissance se passe en 1908, elle sera heureuse de pouvoir quitter cette famille où elle a eu peu de place pour épouser un homme frustre mais qui ne la rendra pas malheureuse. Dès qu’ils le pourront, ils partiront à Toulon où Paul Dominique, son mari, et leurs trois enfants se bâtiront une vie de labeur, son mari sera ouvrier à l’arsenal. Après la guerre 39/45, Rose va connaître Farida, une Algérienne qui va l’éveiller à la vie, à la lecture, et à la vie politique. Toute cette première partie qui représente les deux tiers du livres m’ont vraiment enchantée, Farida vit dans un bidonville pas très loin de la maison de Rose, peu à peu, Rose connaîtra tous les habitants de ce bidonville. Les habitants sont surtout des Algériens et parfois des Portugais. Après la guerre d’Algérie et le départ de Farida, j’ai trouvé que le roman s’est essoufflé.

La vie de Rose n’est pas racontée de façon linéaire, elle parle de sa fille, Nonciade, on sent qu’il lui est arrivé quelque chose de terrible. On comprendra pourquoi Rose est si éteinte quand elle rencontre Farida, la mort de Nonciade est une des clés pour comprendre Rose. Mais sa naissance et son enfance explique bien des traits de son caractère. Son mari, ses enfants sont plus difficiles à comprendre, ils restent en arrière plan. Pourtant son mari, a une belle personnalité et j’aurais aimé en savoir plus sur lui.

L’amitié entre Farida et Rose, est la partie la plus riche du roman. Cela permet au lecteur de comprendre la situation des Algériens en France, et qui permettra à Rose de sortir de son deuil. L’auteur a voulu aller au-delà de cette période, pour élargir l’engagement de Rose vis à vis de tous les émigrés si mal accueillis en France. Ça ne marche pas vraiment, car d’une relation intimiste d’amitié de deux femmes qui se libèrent de carcans différents, on arrive à une dimension sociale contemporaine où leur histoire se dilue .

Je ne peux que vous conseiller cette lecture au moins pour les trois quarts et peut-être, que vous serez même conquis par la fin. Le style de l’auteur est très particulier sans aucune fioriture, il semble parfois brutale à force de simplicité.

 

Extraits

Début.

 » Tu verras aucun homme ne peut résister à la couleur du henné », me dit Farida. Je souris.
 Je suis la danse de ses doigts au-dessus de ma tête, séparant chaque mèche du reste de ma chevelure, avant de l’enduire d’une couche épaisse depuis sa racine. De son visage je ne vois que ses lèvres charnues, colorées de carmin, son menton rond, la courbe ample de son cou. De son corps, ses épaules pleines, sa poitrine généreuse que je lui envie tant, sous la gandoura.

Naissance.

Février 1903 commune de Belgodère, Haute-Corse. Je rentre brutalement dans le monde – la date exacte de ma naissance jamais établie. Simplement arrêtée par notre maire, quelques jours plus tard, au dix-huit du mois après observation des fontanelles de mon crâne, et examen de la peau fripée de mes mains et de mes pieds.
 Depuis plusieurs semaines, le froid s’est installé. Le gel s’attarde sur les chemins jusqu’à tard dans la matinée. Il n’y aurait jamais eu autant de fractures au village que cet hiver là. On m’a langée d’un linge de drap. Enroulée dans un châle de laine grise. Passée un bonnet trop large qui me descend jusque sur les yeux. Déposée au petit matin sur le pas de la porte d’une maison qui allait devenir la mienne. Et la femme qui y habitait, ma mère adoptive par la force des choses. Désignée ainsi par la main innocente et anonyme qui m’a abandonné là, quelques heures plus tôt. Contrainte bon gré, mal gré d’en accepter la charge. Comme le voulait alors la coutume dans nos villages.

 

Le titre.

Heureusement je suis protégé par l’œil de la perdrix.
– L’œil de la perdrix ?
Elle a pointé du doigt son front où était tatoué ce petit losange dont chaque extrémité renflée ressemblait à une croix. Il m’intriguait. Depuis notre première rencontre. Mais je n’avais pas osé lui en demander l’origine ni le sens. J’avais toujours pensé que les marques sur les corps, qu’elles soient rituelles ou de naissance – je me souviens de cette tâche de vin qu’avait notre voisin au village, sur tout un côté du visage, de la base de données à la naissance du cou -, ne justifiait aucune indiscrétion.
– C’est ma mère qui me l’a fait tatouer. Elle avait le même sur son front est sur ses joues. C’est nous dans le Mzab, la perdrix est le signe de la beauté et de la grâce. Mais surtout elle préserve du mauvais sort.

La place de la femme .

Je repense au mari de ma mère adoptive, à la naissance de son premier fils. Sa mine des bons jours, son air guilleret, se frappant la cuisse de joie. Buvant des canons. Invitant autour de lui. Faisant venir tout exprèsde Bastia un daguerréotypeur pour immortaliser l’évènement, sacrifiant un agneau pour le dédommager – les photos encadrées au-dessus de la cheminée. Reproduisant la chose à l’identique pour le suivant. Ses fils. Mes frères. Princes attendus. Comme venus du ciel. Prenant toute la place qu’on leur laisse. Sans partage ni brutalité. Donation de droit divin. Nous à leurs côtés, ma mère adoptive et moi, réduites aux restes. Étrangères à leur solidarité d’hommes. Cantonnées aux rôles des grandes muettes.

Édition Presse de la Cité

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Mon père, Roger Alphonse Franc était maçon. Il avait les mains courtes, dures. Et militant, il avait le verbe haut, ne laissait personne parler à place. Et poète, il écrivait des vers interminables dans la langue du Sud, cette merveille oubliée qui m’embrumera toujours les yeux.

Un fils vit à Londres loin de Montpellier où habite son père , il veut à travers ce texte le faire revivre alors qu’ils ont toujours eu du mal (et c’est peu de le dire !) à se comprendre.

Le drame initial, c’est le fait que sa mère est morte quelques jours avant que la maison que son mari, maçon, a construite pour elle. La famille ne s’en remettra pas, le narrateur qui ressemble si fort à l’auteur deviendra un enfant difficile et un mauvais élève. La petite sœur semble aller bien mais son silence aurait dû inquiéter sa famille. Le père est fou de douleur et comprendra encore moins son fils. Il y a une scène émouvante, l’enfant est tellement compliqué que son père décide de l’envoyer dans une école militaire pour le « redresser ». Au dernier moment son père le prend dans ses bras et l’enfant continuera sa scolarité plutôt mal que bien dans sa famille.

Si on remonte dans le passé de son père, on voit un enfant qui aurait dû faire des études, mais pour cela il fallait accepter qu’un « Monsieur » les aide, l’enfant de 12 ans travaillera dans la vigne. Très vite, il deviendra un ouvrier avec une conscience prolétaire et deviendra communiste. Pendant la guerre de 1940, il réussira à revenir et ensuite il s’installera comme maçon à son compte.

Cet homme sera amoureux de sa femme qui vient d’un milieu catholique, ils auront deux enfants, l’auteur et une petite fille. Quelques bons souvenirs à la plage avec des cousins.

Après la perte de sa femme il mettra du temps à retrouver une compagne qui l’aidera à vivre. Malheureusement, sa fille la jeune sœur de l’auteur était neurasthénique et se suicidera.

Voilà à peu près les faits mais cela ne dit pas tout, loin de là ! Tout vient de la façon dont l’auteur s’exprime, il a ce talent particulier de faire sourire souvent, mais aussi il raconte si bien la tristesse de l’enfant. Et enfin il rend un bel hommage à son père, cet homme, ouvrier maçon qui écrit des poèmes en langue occitane .

 

Extraits

 

Début.

 C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un un léger effroi m’a saisi.

La maison de retraite .

À son arrivée au « chenil » -il appela ainsi la maison de retraite où il avait choisi de terminer sa longue course-, il ne s’émut pas. Sans se retourner, il venait de quitter sa chère maison, sa vie d’avant, toute sa vie, emportant dans un sac plastique à 20 centimes, spécialité de Carrefour un de ces pauvres pyjama rayé dont les vieillards ont si souvent le goût. Il avait ajouté quelques chemises repassées.
 » Au cas où le soir où il y aurait dancing » précisa-t-il .
J’ai toujours aimé chez lui cette fausse tranquillité. Son humour.

 Bien raconté.

Quand il plâtrait une pièce vide, il chantait « …. et je vous aime mon amour… ». Dans la pièce à côté, le carreleur aussi chantait. Et plus loin, le plombier chantait. L’électricien ne chantait pas, impossible pour lui qui avait toujours une vis dans le bec et des doigts trop gros pour de si petits écrous.

Les désillusions de la politique .

 Les voyous du Parti, les braves gens amateurs de lendemains qui chantent, sont les cocus de l’histoire. Et oui ça sentait de plus en plus le chaud. Et derrière tous ceux là se lèveront, se sont déjà levés, d’autres apprentis cocus, crapules à la petite semaine, sans compter les saints, les vertueux puants, prêts à en découdre, les amis éternels autoproclamés, de la classe ouvrière.
Dont nous ne sommes plus. 
Dieu merci. 

Les silences père fils.

Je ne sais pas parler avec lui.
C’est ainsi.
Trop de silences ont sédimenté entre nous.
Parler. De quoi ? De nous ? Des tempêtes que nous avons traversées, qui nous ont faits tels que nous sommes.

 

 


Édition Babel Actes Sud

 

On a si peu de raison de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer ni la tour Eiffel, ou Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end.

 

J’ai lu beaucoup d’avis positifs sur ce roman qui me tardait de découvrir. J’avais bien aime « leurs enfants après eux » et donc j’avais hâte de me plonger dans cette lecture. Ce ne fut pas chose aisée, car plusieurs fois j’ai laissé tomber la lecture pour y revenir et finalement je suis ravie de m’être accrochée à cette histoire.

Nicolas Mathieu ne juge pas ses personnages, ils les laissent grandir et évoluer dans la région qu’il connaît bien autour de Nancy. Hélène et Christophe sont de la même petite ville, l’une a été une élève brillante et fait une carrière exceptionnelle dans un cabinet d’audit. L’autre après avoir été un hockeyeur reconnu (et la coqueluche des lycéennes) est resté dans sa ville et est commercial pour une boîte d’aliment pour animaux de compagnie.

Aucun des deux n’est vraiment heureux, Christophe voit sa femme qui l’a déjà quittée partir loin de son lieu de vie et donc le séparer de son petit garçon Gabriel qu’il adore. Hélène n’aime plus son mari et après avoir fait une dépression (dans ce milieu on dit » burn-out ») a demandé de revenir vivre près de son lieu de naissance. Son cabinet d’audit est chargé de réorganiser la région « Grand- Est » qui résulte de la fusion de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne. C’est une femme de dossiers et qui connaît parfaitement son affaire, elle espère devenir associée dans son cabinet d’audit.

À travers leur enfance, l’auteur décrit la classe moyenne qui s’en sort tant bien que mal, plutôt mal pour le père de Christophe à la tête d’un magasin de sport. Des vacances à la Grande Motte pour Hélène et ses parents, et un été à l’île de Ré avec son amie de coeur dont le père a les mains baladeuses.

Ils sont adultes maintenant et le travail d’Hélène nous permet de plonger dans les rouages de l’administration et le roman est alors très intéressant et très bien documenté. C’est pour moi la grande réussite de ce livre. On sent très bien d’où viennent les cadres qui ont entouré Emmanuel Macron. D’ailleurs si je me souviens bien , on lui a reproché d’avoir usé et abusé de cabinet de conseils. L’auteur n’en fait nullement une caricature, mais on sent très bien que ces hommes très compétents sont peu solubles dans la réalité française et laisse une place confortable au Rassemblement National de Marine Le Pen.

Christophe et Hélène auront une histoire commune qui leur fera du bien même si elle ne dure pas très longtemps.

C’est un roman sérieux et bien construit mais je m’y suis souvent ennuyée, mais, paradoxalement, à cause de ses qualités. Comme l’auteur veut rester objectif et ne pas embraquer son lecteur dans des jugements trop facile, cette neutralité empêche l’empathie de s’installer entre moi et ses personnages. Mais quand je vois le nombre de passages que j’aimerais retenir je me dis qu’il y a beaucoup d’excellentes choses dans ce roman et de trois je suis passé à quatre cooquillages.

 

Citations

Début.

La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qu’il attendait, de toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut.
Hélène était pourtant une femme organisée. 

Le problème du couple.

 Depuis qu’ils étaient revenus vivre en province, Philippe semblait considérer qu’on n’avait plus rien à lui demander. Après tout, il avait laissé tombé pour elle un poste en or chez Axa, ses potes du badminton et, globalement, des perspectives sans commune mesure avec ce qui existait dans le coin. Tout ça, parce que sa femme n’avait pas tenu le coup. D’ailleurs, est-ce-qu’elle s’était seulement remise d’aplomb ? Ce départ forcé restait entre eux comme une dette. C’est en tous cas l’impression qu’Hélène avait.

Une quadragénaire qui va mal.

Pourtant, sur le papier elle avait tout, la maison d’architecte, le job à responsabilités, une famille comme dans « Elle », un mari plutôt pas mal, un dressing et même la santé. Restait ce truc informulable qui la minait, qui tenait à la fois de la satiété et du manque. Cette lézarde qu’elles se trimballait sans le savoir.

Les illusions de l’amour .

 Elle avait eu quinze ans, et comme n’importe qui, sa dose de lettres et de flirts hésitants. On lui avait tenu la main, on l’avait emmenée au ciné. On lui avait dit je t’aime, je veux ton cul, par texto et à mi-voix dans l’intimité d’une chambre à coucher. À présent Jenn était grande. Elle savait à quoi s’en tenir. L’amour n’était pas cette symphonie qu’on vous serinait partout, publicitaire et enchantée.
 L’amour c’étaient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l’autre bleu dans la salle de bain.

Le point de vue des parents.

 Ils sont pris dans cette tenaille des parents qui encouragent leurs gosses et sans bien que chaque pat accompli les laisses un peu plus loin derrière. Sur le quai de la gare, ils voient le train rapetissé au loin et prendre de la vitesse. Parfois c’est plus fort qu’elle, Mireille a envie de mettre un coup d’arrêt à cette épouvantable accélération.

L’adolescence .

 L’adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu’elle fut gît déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rôles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille mais ce qui existait, l’enfance et ses tendresses évidentes, le règne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon est la ouate, les vacances à la Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On y reviendra plus.

Portrait peu flatteur.

 Elle connaissait vaguement le premier, un jeune type déjà chauve qui portait des Church’s et une veste cintrée. Aurélien Leclerc. II prétendait occuper le poste de dircom adjoint. Les mauvaises langues assuraient qu’il n’était en réalité qu’adjoint du dircom. Quoi qu’il en soit, il avait fait Sciences Po. Il ne fallait en général pas attendre dix minutes avant qu’ils le rappelât.

L’informatique et une municipalité.

 Après tout, elle n’avait jamais eu besoin que de cent cinquante heures pour remettre à plat l’épouvantable imbroglio des services informatiques de cette ville, un bordels digne d’un roman russe ou l’argent et l’énergie se perdaient dans d’invraisemblables circuits de décisions qui superposaient pas moins de trois organigrammes distincts. Tout au long de son audit, elle s’était étonnée de voir cette Babel tenir encore debout. Les paresses empilées, le flou des hiérarchies, les haines immémoriales entre chefferies administratives avaient accouché d’un véritable Tchernobyl digital. Quand on pensait que les habitants confiaient leur numéro de carte bleue à ce système digne des soviets pour payer la cantine des gosses ou leur carte de résident, ça laissait songeur.

Sortir de son milieu social.

 Quand ses parents font l’apologie de la simplicité, lui donne ses cousins en exemple, quand ils critiquent les ambitieux, les parvenus, ceux qui exhibent leur réussite, quand ils vantent le mérite des bosseurs, des manuels, des bricolos, des débrouillards, de ceux qui passent entre les gouttes, mamailleurs et autres contrebandiers du jour le jour. Quand ils lui disent on va t’envoyer à la campagne, ça t’apprendra à vivre, quand ils mettent l’article défini devant un prénom, le Dédé, la Jacqueline, le Rémi, alors Hélène sent un câble se tendre en elle. D’instinct, sans savoir, elle refuse tout cela en bloc. Chaque signe de cette manière d’être la gifle. Elle préfère encore crever que vivre comme ça, modeste et à sa place. Elle a la grosse tête. Une petite bêcheuse.

La création du grand Est.

 Car avant que n’advienne ce Grand Est qui devait faire la fortune des cabinets de consulting en général et d’Elexia en particulier, les anciennes régions disposaient naturellement de leurs propres organisations, lesquelles résultaient d’années d’usage , de replâtrages divers et de particularismes indigènes. Surtout, au sommet de chacune des dites organisations trônait un chef qui n’entendait pas céder sa place. Au départ, nul n’avait jugé utile de solliciter une expertise extérieure pour pour mener à bien cette fusion ordonnée depuis Paris, les ressources étant évidemment disponibles en interne. Mais après si mois de réunions improductive, de coups fourrés entre comités directeurs, et face à la menace une reprise en main par l’autorité administrative,le recours à un tiers avait fini par s’imposer.
Hélène débarquait donc en pleine guerre picrocholine et trouvait dans chaque organisme où elle intervenait des équipe irréconciliables et une poignée de cadres au bord de la crise de nerf 

Le monde des cabinet d’audit.

 Depuis qu’elle est rentrée chez WKC, Hélène a parfois l’impression que la planète toute entière est aux mains de ces petits hommes en costume bleu qui viennent dans chaque entreprise, dans les grands groupes et les administrations, pour démonter à coups de diagnostics irrévocables l’inadéquation des êtres et des nombres, expliquer aux salariés ce qu’ils font, comment il faudrait le faire mieux, accompagner les service du RH toujours à la ramasse et apporter leurs lumières à des décideurs invariablement condamnés aux gains d’efficacité, forçats de la productivité, damnés du résultat opérationnel.

 


Édition 10/18 traduit de l’anglais (Irlande) par Marie-Claude Peugeot

 

Dans les commentaires de « Route One » Dominique disait que ce roman lui rappelait « Les saisons de la nuit ». Je pensais trouver un billet sur son blog mais rien . Peu importe, j’ai lu avec grand intérêt ce roman (grâce à elle) qui, en partie, raconte la construction du métro de New York en 1916. Mais c’est aussi un roman qui raconte la vie des exclus aujourd’hui qui trouvent dans le métro le moyen de survivre. Un personnage en particulier qui est un véritable acrobate et qui a trouvé un lieu inaccessible au commun des mortels car il faut escalader des poutres au dessus des voies ferrés
Bien sûr ces deux histoires vont se rejoindre, car cet homme, Treefrog, complètement détruit et qui s’automutile sans cesse , s’appelle en vérité Clarence-Nathan Walter et est le petit fils d’un des constructeurs du métro. Cela on le sait petit à petit, mais ne vous inquiétez pas , je ne divulgâche pas la fin qui est étonnante.

la base du roman se fonde sur un accident (réel ?) quatre hommes creusaient sous la rivière de l’Hudson quand tout à coup trois d’entre eux ont été aspirés par l’eau et sont sortis au dessus d’un geyser dans la rivière de l’Hudson. Hélas, le quatrième est mort enseveli dans la boue de la rivière. Walter un travailleur noir va régulièrement voir la veuve de cet ouvrier et il élève sa fille. Quelques années plus tard, les deux personnages vont s’aimer et se marier. Cela nous vaut des passages bouleversant sur le racisme au États-Unis et la difficulté de vivre un couple mixte et encore, à New York, ils ne sont « que » victime du racisme dans le Sud ils auraient été tués. Comme le sera son fils Clarence qui a eu le malheur de vouloir découvrir la région natale de son père.

Son petit fils ne connaît pas le vertige donc il travaillera à la construction des buildings, on retrouve « Ciel d’Acier » de Michel Moutot mais ce n’est qu’une petite partie du roman , la partie la plus heureuse car le petit fils est amoureux de sa femme très agréable et a une petite fille qu’il adore, ensemble ils font au vieux Walter une fin de vie souriante malgré les souffrances que celui-ci éprouvent à cause des travaux trop durs qu’il a effectués dans sa jeunesse. Hélas, un drame dont je ne dirai rien, va bouleverser ce fragile moment de bonheur. On retrouve le personnage dans la lutte pour la vie dans ce qui est certainement le pire endroit sur terre pour survivre : les tunnels du métro de New York avec sa faune d’alcooliques drogués hyper violente.

C’est un roman très riche, centré sur le métro : sa construction et la population qui aujourd’hui y trouve refuge. Les personnages sont attachants même lorsqu’ils sont complètement détruits par le malheur et ce qui va avec : l’alcool, la drogue, la solitude. Merci à Dominique pour cette tentation de lecture qui complète très bien les deux romans de Michel Moutot.

 

Citations

La démocratie dans le travail.

Walker gagne la première partie, et Power donne au jeune noir une tape sur l’épaule.
– « Dis-donc, noiraud, tu t’es vu ? le roi de pique ! » mais Walker ne le prends pas mal. Il sait qu’ici sous le fleuve, on est en démocratie. Dans l’obscurité, tout le monde a le sang de la même couleur -ritals, nègres, polaks où rouquins irlandais c’est du pareil au même- alors il se contente de rire virgule empoche ce qu’il vient de gagner, et fait une deuxième donne.

Mariage mixte en 1930 à New York.

 Une série de briques leur arrive par la fenêtre de la chambre, laissant des éclats de verre sur le plancher et ils n’ont plus qu’à coller une feuille de plastique qui claque au vent. Une de ces briques est enveloppée dans un papier qui dit : INTERDIT AUX PINGOUISNS . Sur un autre, on peut lire : ARLEQUINS DEHORS. sur une troisième simplement : NON. 
 William paie les dégâts et loue un autre logement, ou dessus hors de portée des pierres et des cailloux lancés de la rue. Il sait qu’ailleurs, ce serait bien pire, dans d’autres parties de la ville, ils seraient déjà morts. Il a l’impression de s’être exilé dans les airs, mais cet exil est une sécurité pour Eleanore. 

Toujours le racisme.

 Deux soirs par mois, la diseuse de bonne aventure garde les petits, et Eleanore va rejoindre Walker au Loews sur la Septieme avenue, un cinéma pour gens de couleur. Il arrive en avance -après avoir pointé à la sortie de son travail- , et Eleanore descend discrètement le retrouver dans la salle. Quand elle arrive au bon grand, elle pose le doigt sur les lèvres d’un vieux Noir, qui la regarde passer devant lui avec étonnement. Il lui touche la main en souriant : « Allez-y m’dame. »
Elle lui rend son sourire et se fraie un chemin jusqu’à son époux. 
L’obscurité et les dérobe aux regards bien que mariés, ils vivent une histoire d’amour illicite.

Le désespoir d’un père dont des policiers ont tué le fils.

 Par un jour de semaine blafard, il enterre Clarence, aux côtés d’Elanore, dans un cimetière du Bronx. 
Ses filles et Louisa sont derrière lui. Il s’agenouille devant la tombe, mais ne dit aucune prière. À présent, les prières, ne sont plus pour lui que paroles atones – supplications inutiles qui, à peine prononcées et sorties de la gorge, retombent dans l’estomac. De la régurgitation spirituelle. Il ne veut pas voir les fossoyeur qui sont là, gras et satisfaits, au dessus du trou qu’ils viennent de creuser. Il saisit une pelle, jette une première motte de terre sur le cercueil de son fils. Il fait un pas en arrière, prend ses filles dans ses bras, ils rejoignent ensemble la voiture qui les attend.

Édition Albin Michel

 

Si vous avez une idée positive de Karl Marx, c’est sûrement que vous avez été sensible aux analyses politico-philosophiques de ce « grand » homme, un peu moins, je suppose, des conséquences de ses « géniales idées ». Mais si vous voulez définitivement vous dégoûter de l’homme, lisez ce livre : Sébastien Spitzer, essaie de retrouver la trace du garçon illégitime de Karl Marx. En exil à Londres, celui-ci « engrosse » la bonne de cette étrange famille d’exilés. Il faut absolument cacher, voire faire disparaître cet enfant. Il vivra, mais aura une vie très misérable comme tous les pauvres anglais de cette époque . Le roman se déroule lors du séjour de la famille Marx en Angleterre, il y arrive en 1850. Nous voyons donc dans cette biographie de Freddy Evans, le fils caché de Marx les deux extrêmes de la société britannique. D’un côte la richesse, dont Engels est un digne représentant et le monde ouvrier qui peut à tout moment tomber dans une misère noire. Au milieu, la famille de Marx une famille d’exilés qui est assez originale, la femme de Marx, Jenny von Westphalen avec laquelle il s’était fiancé étudiant est issue de la noblesse rhénane, son frère aîné deviendra ministre de l’Intérieur de la Prusse au cours d’une des périodes les plus réactionnaires que connut ce pays. Il a un rôle important pour l’intrigue romanesque et dans le destin tragique de l’enfant caché. C’est parfois difficile de démêler la fiction de la réalité. Je pense que l’on peut se fier aux faits historiques, mais l’on sent que l’auteur est dégoûté par son personnage et il en fait un portrait à charge. Il faut dire que pour avoir de l’argent, Karl Marx était peu regardant sur l’origine des finances, peu lui importe par exemple que ce bon argent vienne des plantations esclavagistes du Sud des États-Unis. Derrière le grand homme se cacherait donc un jouisseur peu scrupuleux qui était prêt à tout pour mener une vie confortable sans rien faire d’autre qu’écrire et encore quand il y était poussé par sa femme. Engels est un personnage très ambigu, très riche bourgeois il dirige une usine de filature appartenant à son père, il épouse les thèses révolutionnaires qu’il finance tout en faisant beaucoup d’agent grâce au capitalisme libéral. C’est lui qui sera chargé de faire disparaître le « bâtard » mais il aura quelques difficultés à tuer ou faire tuer un bébé. C’est lui aussi qui entretient à grands frais la famille Marx sans aucune reconnaissance de ce dernier. Le point le plus intéressant du roman, c’est la description de la condition ouvrière en Angleterre, on est en plein dans du Dickens, un rien fait basculer des pans entiers de la population du côté des miséreux et de la famine.

Citations

La misère à Londres 1860

Les tanneurs de Bermondsey exigent une heure de pause. Ils triment quinze heures par jour dans l’odeur méphitique du sang chaud et du jus de tannée. Malte hausse les épaules. Les débats autour des horaires de travail, des temps de pause, de la semaine qui s’arrête le samedi et reprend le dimanche ou des salaires trop bas ne le concernent pas. Il en pâtit seulement. Il habite juste en face. Il les voit qui défilent, vociférant et réclamant. Il sait qu’il s’épuisent a demander l’impossible. Cela fait si longtemps que les injustices existent. Depuis que le monde est monde. Alors à quoi bon s’insurger ? Si seulement ils pouvaient s’écarter de sa route. Il ne peut rien pour eux.

Portrait de Karl Marx par la bonne qu’il a « engrossée »

C’est un vaurien, incapable de mettre un seul penny de côté. L’argent lui brûle les doigts. Il ne sait pas compter. Ni travailler d’ailleurs. Il a bouffé la dot et les dons de sa femme. Il accumule les dettes. C’est tout ce qu’il sait faire, réclamer de l’argent à ses amis. Et quand il refuse, il hurle comme un cochon qu’on saigne. Une bête, je vous dis ! Il fait ça même à sa mère. La pauvre femme. Henriette, qu’elle s’appelle. Il dit que sa mère le vole ! .Vous entendez ! Un homme de son âge qui dit que sa mère le vole ! Saleté de bon à rien ! Et après, c’est moi qui dois faire face au boucher, qui dois le supplier de me faire confiance, comme chez le boulanger ou le marchand de fruits aussi. Ça fait cossu d’avoir une employée. Ah oui ça. Ça fait riche. Mais ils n’ont rien. Que dalle. Que le nom de Madame, usé jusqu’à la corde. Un jour, quand il avait trop faim, il a envoyé une lettre d’embauche à une compagnie des chemins de fer. La première, en 10 ans. Pourtant, il a fait des études. Il est docteur. Faut qu’on l’appelle docteur.

L’argent et la vie d’ Engels et le style lapidaire de l’auteur

Engels paye d’une traite à tirer sur les comptes de l’usine. Le document est signé par lui et par son associé. Peter Ermen était rassuré en le paraphant ce matin. 
L’argent n’a pas d’odeur.
 Tant pis pour les esclaves des plantations du Sud.
Engels voit le document disparaître dans la poche de Dressner. Sa mère est immobile. Ses oiseaux sont figés. Et l’équation de Fourier lui revient à l’esprit, celle qu’il crachait l’été à la face des bourgeois, avec les deux sœurs au bras : deux vices font une vertu. Mary est morte si vite. Le coton le dégoûte. L’argent le dégoûte. Mais c’est un mal nécessaire pour la cause.

Le portrait de Marx (appelé le Maure) lors d’un repas chez Engels

– Je ne sais pas, répond le Maure en s’essuyant les lèvres. La peau de son ventre est tendu. Il a trop mangé. Il ne s’est pas retenu. Il en est incapable. Il a fallu qu’il dévore, tout, très vite comme s’il s’agissait du dernier repas de sa vie.
(Et la fin de la discussion)
-Que faire ? Demande Engels.
– Il faut que je voie avec les autres, ces crétins de choristes, les syndicalistes du Lancashire : Swingkhurst, Mowley et d’autres. 
– Et moi ?
– Toi Engels ? Tu finances ! Débrouille-toi pour trouver de l’argent. Il faudra plus d’argent. Beaucoup plus.

Le pacte sur Le dos de l’enfant illégitime de Karl Marx

. J’ai passé un pacte avec mon frère.
– un pacte ?
– Nous avons passé un accord pour les deux. Si l’existence de ce bâtard était révélé ce serait l’image de mon mari qui serait atteinte. 
Engels acquiesce, sans l’interrompre. 
Elle revient sur ce dîner avec son frère.
 C’était il y a quelques semaines, juste avant qu’ils ne débarquent ici, à Manchester, en famille. Ferdinand avait retrouvé Freddy.
 – Ferdinand est un homme intelligent. Au nom des Westfalen, il a accepté de ne rien dire de l’existence de cet enfant. Pour l’image de notre famille. Pour ma réputation. Il a renoncé ainsi à l’idée de nuire à Carl. Tu sais comme il le hait. Cela n’est pas nouveau. Cette histoire aurais pu lui causer du tort. L’enfant caché de Karl Marx. Son fils caché. Avec la bonne !
. Nous nous sommes mis d’accord, mon frère et moi. Je me suis engagée. Plus d’appel à la grève. Plus de drapeau rouge. Plus de menaces sur Londres ou Berlin ou je ne sais où. J’ai promis qu’il regagnerait son cabinet et se contenterait d’écrire. C’est pour ça que mon frère vous a fait suivre.

Je ne savais pas ça :

Comme des milliers des Irlandais, son oncle s’est engagé comme soldat puis sergent dans l’armée Yankee. Il a suivi les troupes nordistes tout le long de la guerre. Il a cru qu’à l’issue il aurait des terres, lui aussi. De bonnes terres prises aux ennemis sudistes. C’est ce qu’avait promis les colonels, les généraux et surtout le président. Le Nord l’a emporté le Nord a libéré les esclaves. Le Nord a remercié les engagés volontaires pour tout le sang versé. Puis les terres ont été remises aux anciens propriétaires, aux partisans des sudistes. Le Nord a offert quarante acres et une mule a quelques esclave affranchis. Il a offert quarante acres et une mule à ces milliers de conscrits, engagé malgré eux. Et quand il n’y a plus de mule, il a dit à tous les autres, les volontaires, les Irlandais, d’aller se faire foutre.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Seuil

Un essai ? un roman ? ce qui est sûr c’est que cette lecture a été un peu difficile dans le cadre du club de lecture parce qu’il faut l’avaler en quelques jours et que cette oeuvre ne s’y prête guère elle conviendrait mieux à la flânerie littéraire qui permettrait au lecteur de réaliser le vœu de Bernard Chambaz :

Aux morts pour qu’ils vivent. Aux vivants pour qu’ils aiment

Cette citation extraite de l’oeuvre de Joseph Delteil « les poilus », est le fil conducteur de ce roman, les vivants, dans le texte, ils sont deux, les parents de Martin né en 1976 et on peut aussi y rajouter nous, lecteurs et lectrices. Les morts ils sont très nombreux en dehors des deux principaux Jack London mort en 1916 et Martin mort à 16 ans en 1992, il y a aussi la famille quelque peu compliquée de Jack London et tous les écrivains que Bernard Chambaz convoque dans ce voyage qui retrace un itinéraire possible pour mieux connaître l’auteur, entre autre, de Martin Eden . Le livre se divise en chapitres qui sont autant de lieux évoquant la vie du grand écrivain qui, parfois, dialogue avec Martin, et que l’auteur visite avec son épouse. Je pense que si on ne connaît pas l’œuvre de cet auteur extraordinaire qui s’est battu contre tant d’injustices et qui a produit un nombre d’écrits incroyables, on ne peut pas apprécier ce livre. Beaucoup de gens se sont emparés de sa vie car elle se prête aux scandales et aux révélations sulfureuses même sa propre famille y est allée de différentes versions, comme souvent dans ce cas le plus intéressant et sans doute le plus proche de lui est dans ses livres. Je me souviens bien de ma lecture de Martin Eden, c’est un livre que j’ai lu et relu je crois qu’une grande part de lui est dans ce roman. Cela m’a donné envie de relire les livres qui ont enchanté mon enfance comme « l’appel de la forêt » et « Croc blanc » je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui pourraient être sensibles à ces histoires, eux qui peuvent regarder de si nombreux documentaires animaliers de si grande qualité. Jack London est un écrivain de qualité et un homme privé médiocre, comme le prouve les lettres à ses filles dont l’auteur dit qu’il aurait aimé en faire un grand feu de joie tellement il y apparaît comme mesquin. J’ai retrouvé dans ce livre l’engagement de l’auteur face à la misère du monde capitaliste et la fluctuation de sa pensée politique. C’est souvent le cas lorsqu’un homme connaît la misère populaire, il sait souvent très bien décrire d’où il vient mais quand lui-même atteint un niveau de vie très confortable grâce à ses écrits sa mauvaise conscience le taraude et peut le conduire à des positions paradoxales.

Je ne suis pas enthousiaste pour ce livre, parce que je me suis souvent perdue dans les différents point de vue des chapitres : étions nous avec l’auteur et son amoureuse ? avec leur fils, avec Jack London ? et surtout je n’ai pas compris le dialogue entre Martin et Jack . Est-ce-que cela a enrichi pour l’auteur la connaissance de son fils ? et j’avoue que les constantes allusions aux signes astrologiques me laissent perplexe.

Toutes ces réserves viennent aussi, sans doute, du fait que j’ai lu trop rapidement ce livre pour le rendre au club et avoir l’avis des autres lectrices. et pourtant dans ce livre j’ai lu cette phrase qui me touche beaucoup :

Nous sommes aussi, un peu, les livres que nous avons lus.

 

Citations

 

Une mère au caractère sans tendresse.

Toute sa vie, il restera animé par des sentiments contradictoires, partagé entre l’affection naturelle qu’il porte à sa mère et l’irritation instinctive que ses réactions provoquent (…… )
On garde au fond du cœur des épisodes cuisants auxquels nous donnons, quelquefois, trop de relief. Le plus lancinant quand il y repense n’est pas que sa mère ne lui ait dispensé aucune tendresse, c’est son comportement lors de l’épidémie de diphtérie ou une fièvre carabinée faillit les emporter, sa demi-sœur et lui. Ce jour-là, Flora demanda au médecin si elle pouvait les enterrer dans le même cercueil.

L’enfance de Jack London

Il n’y a pas que les livres dans la vie. Dès ses huit ans, Jack doit gagner sa vie ou plutôt contribuer au budget familial, débitant des pains de glace l’été, balayant les pistes d’un bowling le weekend, livreur de journaux, à pied d’ œuvre pour l’édition du matin et pour l’édition du soir, la nuit noire l’hiver, avant et après la journée d’école où il s’est davantage ennuyé qu’il n’a appris.

Ce qui rend difficile le livre : mélange des époques et des lieux

Icefields Parkway -ou la promenade des Glaciers- longe depuis Jasper la rivière Athabasca. En langue crie, on entend tantôt l’herbe éparse tantôt les roseaux que les champs de glace prodiguent à la saison estivale.

Défense de l’assassin du président Garfield

À son procès, l’assassin ne plaida pas la folie mais la volonté de Dieu dont il était l’instrument, convaincu qu’il serait à ce titre innocenté, assurant sa défense avec des arguments spécieux :  » Ce sont les médecins qui l’ont tué. J’ai seulement tiré . »

Londres en 1900…

Avant même d’arriver au cœur des ténèbres, sa première impression de la capitale mondiale et d’une « abjecte pauvreté » bientôt « sans limite ». Jack est saisie par la vision des vieux et des enfants fouillant les ordures dans la boue. …. 
 Dormir est un méchant casse-tête, que ce soit dans une pièce insalubre où s’entassent plusieurs familles, chez des marchands de sommeil qui louent très cher des lits occupés par roulement, dans des logements exigus, sordides des taudis, des galetas, des tanières, parfois sans fenêtre, presque toujours sans lumière.

Une histoire qui lui servira dans ses nouvelles

Un vieux marin lui rapporte son histoire et le hasard une fois encore fait que c’est une histoire pour Jack. Le vieux avait donc frappé un lieutenant qu’il avait insulté, le lieutenant était tombé à la mer, il avait sauté dans l’eau par réflexe, mais j’aurais mieux fait de nous noyer tous les deux, crois-moi, un canot les avais repêchés, on l’avait traduit devant un tribunal, on lui avait enlevé la Victoria Cross gagnée sur les champs de bataille au bord de la mer Noire pour les beaux yeux de la reine, et il conclut d’une voix ferme, laissant Jack sans voix. : « Ne te laisse pas vieillir, mon petit ! Meurs quand tu es encore jeune ! »

Jack en époux

Alors que Bess est enceinte, qu’elle se coltine les tâches ménagères et tape à la machine ses manuscrits, il continue de faire du vélo, boxer, nager, sortir au club avec ses copains, animer des réunions publiques où il retrouve Anna.