Édition Le tripode, 234 pages, avril 2024.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
J’ai pensé à ce clan si actif des « antidivulagâcheuses » en lisant les premières pages du livre qui raconte la fin de l’histoire : la plumeuse meurt pendue au croc où, d’habitude, elle suspend les oies avant de les plumer . c’est d’ailleurs cette morte qui va nous raconter son histoire.
Vous connaissez donc la fin, est-ce que cela vous empêchera d’apprécier ce roman ? En tout cas certainement pas pour cette raison. Au cas où ce roman vous séduirait ce sera par son écriture si particulière. Il faut souvent le lire à haute voix pour entendre celle de l’auteure-narratrice. J’ai, parfois, été touchée par son propos mais agacée aussi par des procédés que je trouve bien inutiles : l’auteure ne met aucun point ni aucune majuscule. Mais va souvent à la ligne ce qui permet au lecteur de suivre le souffle de la narration. Elle ne dit jamais, non plus, qui prend la parole ni même s’il s’agit de dialogues.
Ce roman raconte l’histoire d’une femme libre de son corps et qui pense que si les hommes et le femmes avaient accès au plaisir, ils vivraient tous mieux . Cela se passe dans un village isolé au Canada à une époque indéterminée, cette femme vit en dehors de la petite ville de Kangoq entourée d’une nature habitée par des animaux sauvages qui fournissent plumes et fourrures à une petite industrie d’édredon. L’ambiance de la plumerie faite de chaleur et d’érotisme troublent les hommes et éduquent les femmes. Les femmes dignes épouses de ces hommes qui fréquentent la femme lui en veulent bien sûr mais auront-elles le courage de tuer la « plumeuse » ? Ce roman raconte aussi la misère des petites ouvrières, et évoque aussi les pauvres jeunes filles qui sont enfermées et meurent peu à peu à l’abri des regards de ceux qui ne veulent pas les voir.
Mes réserves sur l’histoire viennent surtout de mes propres limites, rien de rationnel dans le fil narratif, on ne sait jamais qui fait quoi, je ne risque pas vous dévoiler qui a assassiné « la plumeuse » car je ne suis pas certaine d’avoir bien compris qui a fait ce geste atroce.
Mes extraits vous donneront une idée du style, si vous y êtes sensibles, n’hésitez pas car vous aimerez ce roman. Je ne peux pas vous pousser plus à choisir de lire ce roman qui est très clivant. Certains aimeront et d’autres, comme moi seront déroutées par l’absence d’informations concrètes pour tout comprendre.
Je respecte le point de vue de cette auteure : face aux duretés de la condition de vie des plus pauvres, elle a choisi de nous les faire comprendre comme dans un conte plutôt que de façon réalistes.
Ce n’est pas ce que je préfère et malgré le réel talent de cette écrivaine pour manier la langue, j’ai eu bien du mal à me retrouver dans ce récit : à vous de vous faire votre idée.
Je vais mettre à la fin des extraits un lien pour l’écouter au « Festival des grands voyageurs » elle donne des clés qui peuvent aider à la lecture.
Et l’avis d’Athalie qui a beaucoup aimé
Extraits
Début et idée du style
Longtemps j’ai enseigné ma finà l’heure de ma mort, je pends entre mes bêtes, cheveux et corps et mains, mon visage basculé vers le plafond, mes yeux avalés par la pénombre ; dans la rue, les hommes– combien ?– ils ne se comptent plus– et les femmes, compte-les– conte aussi les femmesse demandent s’ils sont ouverts ou fermés, mes yeux ; personne ne les voit ; tout ce qu’on distingue dans la lumière du quinquet, ce sont mes côtes, mes seins élongés, ce qu’il reste d’une jupe de soie blanche ; du sang tombe en gouttes noires sur les viscères empilés, sur les carcasses des oies, sur le cou mince des jars qui s’amoncellent près de l’étal– c’est la saison-le carnage de la chasse achèveAu-dessus de mon comptoir, je tiens accroché par la gueule et par les poignets : celui qui m’a hissé là n’a pas su comment bien s’y prendre, il a d’abord percé mon menton pour le bec du cane puis, se ravisant, a étiré mes bras plus haut, jusqu’aux traverses du toit
Ce n’est pas simple à comprendre .
en février, il neige, dedans l’air est touffu et moite ; depuis trois jours, j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, là femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos
Mélange d’érotisme et du travail pour récupérer la peau de la renarde.
– elle observe de tous ses yeux le chasseur qui se retourneLe drap se perd dans son sillage, il dort désormais toute nudité offerte, sa verge posée sur sa cuisse droite, assoupie, détendue : Philomène découvre ce qu’elle voulait ; elle se presse contre l’orphelin, pendant que je tire en douceur la fourrure de la renarde, de son flanc à sa gorge, une main agrippée ferme à la base de la queue, l’autre à la peau de l’abdomen
La misère évoquée à travers ce passage.
Pierre les appelle des poupées-mauvais-sort– c’est à cause de leurs yeux mauves, des vêtements arrachés au dos de bébé morts trop tôt, en ville et utiliser pour habiller les corps de porcelaine
La petite l’ignore, bien sûr ; elle coiffe la chevelure noire– lisse, lisse ma crinière, belle enfant– peine et tresse et soigne ma déchéance– les marchands de la ville ne disent pas que les cheveux ont été cultivés à même vos crânes d’adolescentes– belles indigentes qui ne faites rien d’autre qu’être là, chevelures et corps disponibles– dans des pièces grises, enfermées à quinze, vingt– trop de poupées, pas assez filles– le recel d’adolescentes est un problème lointain– un problème de ville qui ne concerne pas les enfants– ni leurs grands-mères qui achètent des cadeaux en versant toutes les pièces rondes qu’il fautle notaire, lui, sait : il se souvient de ses années d’études, de la chambre close, terrifiante où des camarades l’avaient entraîné un soir ; il n’a pas oublié les filles chauves, gémissantes sur le sol, qui tendaient des bras de sirènes et l’attiraient vers elles, vers les couches jetées par terre ; il se souvient de l’odeur– sperme, urine, vomissure et sueur masqués par la puanteur entêtante des lys et du jasmin pendu au plafond
A lire les extraits, je pense que je ne prendrai n plaisir ni intérêt à lire ce roman. Mais un roman qui commence par la fin, c’est vraiment fait pour toi !
et oui mais ça ne suffit pas ! c’est un livre très étrange.
Merci pour le billet, les précisions, la video, les extraits. Cela m’a l’air de demander quelqu’effort.
Cela ne me dérange pas de connaître ce début, après tout c’est le choix de l’auteure.
c’est un livre très particulier personne au club n’a réussi à accrocher mais toi peut-être ?
Ce n’est pas un livre pour moi et pas parce que la fin est racontée dès le début (quand c’est l’auteur qui dévoile des éléments, ça ne me gêne pas ), mais le style et le sujet ne m’attirent pas.
Visiblement jusqu’à présent personne n’a l’air attiré par ce roman.
Je l’avais noté, suite à l’avis d’Athalie, qui a beaucoup aimé, mais en le feuilletant en librairie, j’ai craint de ne pas accrocher à cette forme singulière, qui ne semble en effet pas toujours très accessible…
je vais revoir le billet d’Athalie je ne m’en souviens plus
Je ne vais pas être originale ; je ne pense pas que j’accrocherais à ce livre. Si je le voyais en bibliothèque, je pourrais tenter, mais sans plus.