Traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard
Avant les camps, nous ne savions pas discerner l’éphémère de l’immuable. À présent nous avons eu notre compréhension des choses.
J’ai déjà lu, et j’avais été très touchée par l’Histoire d’une Vie, le décès de Aharon Appenfeld en janvier 2018 a conduit notre bibliothécaire à mettre ce livre au programme de notre club. Cette lecture est un nouvel éclairage sur la Shoah. L’auteur y rassemble, en effet, ses souvenirs sur les quelques mois après la libération des camps de concentration. Nous suivons Théo Kornfeld qui veut retrouver sa maison familiale en Autriche. Dans des chapitres très courts, le jeune homme raconte son errance à travers une Europe ravagée par la guerre, et sa volonté de retrouver son père et surtout sa mère, il est peu à peu envahi par ses souvenirs d’enfance. Avant la guerre, sa mère, visiblement bipolaire, entraîne son fils dans tous les lieux où l’on peut écouter des concerts de Bach en particulier les monastère chrétiens et petites chapelles isolées même si elle en est parfois rejetée comme « salle juive ». Elle entraîne aussi son mari vers une faillite financière, lui qui travaille comme un fou pour satisfaire tous les besoins de sa trop belle et fantasque épouse. L’errance de Théo à peine sorti de son camp, lui fait croiser les « rescapés ». Chaque personne essaie de retrouver une once de dignité pour repartir vers d’autres horizons. C’est terrible et chaque vie révèle de nouvelles souffrances, je pense à cette femme qui s’installe sur le bord de la route pour apporter des soupes chaudes et réconfortantes aux personnes qui viennent d’être libérées et qui sont sur les routes. Elle ne peut pas se remettre d’avoir empêché sa sœur et ses deux nièces de s’exiler en Amérique avant l’arrivée des nazis, elles sont mortes maintenant et en nourrissant les pauvres ères échappés à la mort elle essaie d’oublier et de revivre.
Entre rêve et hallucination, Théo livre un peu les horreurs dont il a été témoin, et surtout il redonne à chacune des personnes dont il se souvient une personnalité complexe qui ne se définit pas par le numéro gravé sur son bras, ni par sa résistance ou non aux coups reçus à longueur de journée. Tout ce que raconte Théo se passe dans une atmosphère entre rêve et réalité, il est trop faible pour avoir les idées très précises et les souvenirs de l’auteur viennent de si loin mais ils ne se sont jamais effacés c’est sans doute pour cela qu’il dit de ses journées qu’ils sont « d’une stupéfiante clarté ». Un livre qui vaut autant par la simplicité et la beauté du style de l’auteur que par l’émotion qu’il provoque sans avoir recours à un pathos inutile, ici les faits se suffisent à eux mêmes.
Citations
L’enfance du narrateur avant la Shoah
Tandis que ses camarades de classes étaient rivés à leur banc dur, sa mère et lui voguaient sur des rails lisses, avalant de longues distances dans des trains luxueux. Le père était inquiet, mais il n’avait pas la force de stopper un désir si puissant. Il enfouissait sa tristesse dans la librairie, jusque tard dans la nuit.Il essayait parfois d’arrêter la mère. » Le petit n’est pas allé à l’école depuis une semaine. Ses notes sont catastrophiques. »– Ce n’est pas grave, ce qu’il perçoit durant le voyage est plus important et l’armera pour la vie. »-Je baisse les bras, concluait Martin en reconnaissant sa défaite
Passion ou folie de sa mère
La vieille Matilda dispensait bon sens et quiétude. Considérant d’un œil réprobateur la passion de la mère pour les églises les monastères, elle la sermonnait : »Tu dois aller prier à la synagogue. Les prières atteignent leur destinataire lorsqu’on suit le rite de ses ancêtres. »Mais la mère rétorquait que dans les synagogues il n’y avait ni sérénité, ni musique, ni images bouleversantes, le plafond était nu et le cœur ne pouvait s’exalter.
L’après guerre
Le lendemain il s’engagea sur une route large et lisse, en direction du nord. Un camion était couché après un virage, moteur pointé vers le ciel, donnant à l’habitacle une expression de mort veines. Théo le contempla un instant avant de se dire qu’il trouverait sûrement de dans un briquet des cigarettes fines.Des accessoires militaires étaient éparpillés au milieu de boîte en carton et de bouteilles de bière qui avait été projeté de toutes parts.
La langue des camps
Au camps, on parlait une autre langue, une langue réduite, on utilisait que les mots essentiels, voire plus de mots du tout. Les silences entre les mots était le vrai langage. Un jour, un compagnon de son âge, pour qui il avait de l’estime, lui avait confié : « J’ai peur que nous soyons muets lorsque nous serons libérés. Nous n’avons presque plus de mots dans nos bouches. »
Très intéressant J’ai lu plusieurs livres d’Appelfeld et celui-ci semble tout aussi tentant.
Oui,il est très intéressant et son style est unique.
Les extraits que vous donnez sont de bonnes raisons de s’engager dans cette lecture. Aharon Appelfeld a écrit beaucoup de livres, tous traduits en français semble-t-il.
Je pense qu’il a toujours été traduit et ses livres sont toujours bien reçus en France.
Je n’ai pas lu celui-ci, mais trois autres de l’auteur, il revient souvent sur les épisodes marquants (c’est un euphémisme) de sa vie, et comment pourrait-il en être autrement ? Comme tu le soulignes, son style ne cherche pas à susciter l’émotion à tout prix, bien au contraire.
Il semble y avoir comme un brouillard sur ses souvenirs, ce brouillard de l’incompréhension du mal absolu. En revanche des souvenirs très précis hantent sa mémoire.
Une lecture que j’ai beaucoup appréciée, c’est une voix qui compte et qui restera.
j’en suis sûre aussi. Quelle pudeur! et aussi quel style.
un auteur que j’ai très peu lu, vu le sujet je ne peux que noter
Cet auteur, c’est un style et un témoin de l’histoire tragique du XX siecle
Le sujet a déjà été tellement traité en littérature qu’il m’attire de moins en moins. Alors même si le roman est de qualité, je ne vais pas me précipiter.
Cest un temoin particulier et j’apprécie son style. Mais bien sûr, on ne peut jamais tout lire.
Bonsoir Luocine, c’est bien écrit (et traduit) mais je m’attendais à autre chose. Je n’ai pas eu le coup de foudre d’ailleurs je n’ai pas écrit de billet. Bonne fin de soirée.
On ne peut pas avoir de coup de foudre pour ce livre, mais il apporte à sa façon un éclairage sur les souvenirs de ceux qui sont revenus de l’horreur. Il vaut surtout pour le style de l’auteur.
Merci pour ce joli billet. Je trouve l’extrait sur la langue des camps très fort.
Merci pour ce commentaire. Les extraits me permettent de mieux me souvenir des livres.