Édition JC Lattès

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman que La Souris Jaune a beaucoup aimé. L’écrivaine grâce à une écriture très énergique décrit tout ce que cette photo ne dit pas. Si on réfléchit à cette photo prise par Robert Capa, on peut se poser des questions sur l’évolution du ressenti face à ce qui s’est passé à la libération. Robert Capa a-t-il eu un moment de compassion pour cette femme et son bébé ? Les gens hilares autour de cette femme, et leurs descendants sont ils fiers de leurs rires aujourd’hui ?

Il ne faut pas oublier que cette femme Simone est accusée de collaboration, mais l’auteure pense que c’est plutôt sa mère qui a fait cela : dénoncer ses voisins à une collabo notoire et puissante, cinq seront arrêtés et deux mourront dans les camps allemands. La vindicte populaire est sûrement injuste mais elle avait un fondement dans ce cas précis. Pour moi, ce que de tout temps j’ai trouvé révoltant, c’est qu’on traite les femmes différemment que les hommes, je n’ai aucune considération pour celles qui ont entretenu des relations avec des soldats allemands mais elles méritent un jugement comme les hommes, pas une humiliation de plus parce que ce sont des femmes.
L’auteure s’empare donc de cette histoire et de cette photo pour retracer le parcours de Simone, elle a changé les noms car elle ne veut pas faire oeuvre d’historienne mais créer un roman avec un fondement historique.
Ce qui ressort c’est l’ambiance familiale complètement délétère car la mère, une forte femme, a fait faillite en voulant tenir une crèmerie à Chartres. Cette femmes est remplie de haine et méprise tous ceux qu’elle rend responsable de sa déchéance sociale : son mari qui n’existe jamais à ses yeux car il ne lui a pas apporté la richesse, ses voisins qui, d’après elle, se réjouissent de sa misère actuelle, tous les hommes politiques qui ne savent pas gouverner la France en particulier les juifs comme Léon Blum.

Dans cette famille deux filles, Madeleine qui sera toujours au côté de Simone, la petite sur qui repose tout le désir de revanche sociale de la mère. Elle va réussir ses études et sera comme sa mère attirée par les théories nazies, et méprisera son père qu’elle appelle le vieux.

C’est un roman terrible, car d’une tristesse infinie, sans la guerre cette enfant serait devenue une professeure respectée sans doute mais aurait-elle réussi à surmonter tous les messages de haine ressassés par sa mère. On n’en sait rien, elle a rencontré pendant l’occupation l’amour d’un soldat allemand. Il faut dire que l’image des hommes qu’elle rencontre avant lui est tellement destructrice pour elle. Là aussi on sent le désaveu social, elle a envie de s’élever et de fréquenter un bourgeois (le fis de son professeur d’allemand) mais elle ne ne sera pour lui qu’une « marie-couche-toi-là ». Bref l’Allemand est le premier homme qui l’a respectée !

Un roman trop triste, mais qui sonne vrai. Lors de la discussion du club, on a bien senti que le passé de la collaboration donnait lieu à des ressentis encore très douloureux. Certaines trouvaient que l’auteure excusait trop cette femme qui s’était engagée auprès des Allemands.

 

Extraits

 

Le début.

 Dans trois jours j’aurai vingt-trois ans. Je vais mourir avant. Ils ne me louperont pas. Une balle dans la tête. Le sang gicle comme un geyser et me barbouille les yeux. Le monde devient cramoisi, puis tout noir. Je m’écroule, la gueule fracassée sur le pavé. Petit tas inerte qu’il faudra charrier dans la fosse commune

La mère de Simone.

 Cette épicerie parisienne représentait beaucoup pour toi, Maman. C’était la possibilité de continuer l’ascension sociale de ton père, modeste serrurier devenu chef d’une entreprise de vingt ouvriers. C’était aussi une revanche. Tu n’avais pas pu faire d’études. Tes professeurs t’avaient jugée trop médiocre pour obtenir le moindre examen. Tes deux sœurs aînées avaient empoché le certificat d’études primaires. Mais toi, la benjamine, tu avais dû te contenter d’une école ménagère. Coudre, cuisiner et briquer. Voilà ce que tu étais censée faire de ta vie. Ça te foutait la rage. Tu voulais prouver au monde, et à toi-même que tu en avais dans la caboche. Tu voulais faire fortune.

Sa mère alcoolique, et son père soumis.

 Elle s’enferme dans les cabinets. Puis, elle revient, les yeux toujours un peu plus vitreux, le pas toujours un peu plus lourd. Le tout dans des vapeurs de Cologne. Pas besoin d’un dessin pour piger son manège : maman picole.
 En revanche, à table, pas une goutte de vin. Maman grogne même contre le vieux qui verse en douce du rouge dans son reste de soupe. « Comme les ploucs, tu me dégoûtes » dit-elle. Et lui comme à son habitude il baisse encore plus le menton dans son assiette. Il se grouille de finir de boulotter pour aller se terrer dans sa chambre. Le lendemain, il s’esquive à l’aube pour ne pas croiser la patronne.

 


Édition Acte Sud . Traduit du Turc par Julien Lapeyre de Cabanes

 

 

Personne ne peut rien contre quelqu’un qui meurt sans mourir.

Depuis ce témoignage inoubliable écrit au fond d’une prison turque dont il ne pensait jamais sortir  » Je ne reverrai jamais le monde » , je suis cet écrivain dont j’ai adoré son roman à la gloire des femmes et de l’amour « Madame Hayat » . C’est beaucoup moins le cas pour ce roman-ci. Pourtant parfaitement écrit, mais à force de torturer les sentiments et la cervelle d’un fanatique : le jeune Ziya, l’auteur m’a perdue en route. Contrairement à un des personnages féminins, je n’ai aucune attirance pour les criminels, et le fait que Ziya aie accompli son premier meurtre à 16 ans me dégoûte et ne me fascine pas du tout. Je pense même, que, plus on est jeune plus c’est simple de tuer. Les Khmers rouges étaient souvent des enfants à peine adolescents. L’auteur qui est, dans son pays, entouré de gens prêts à tuer pour l’honneur, ou par fanatisme religieux a voulu créer un personnage prêt à le faire lui aussi. Le ressort principal de ce genre de fanatique, c’est qu’ils n’ont eux-mêmes aucune peur de la mort. On le voit si bien avec tous ses candidats au Jihad prêts à se faire sauter pour tuer un maximum de gens « impies ou impures » . Ironie suprême Ziya se rendra compte qu’il est le jouet de bien puissants que lui. Ce jeune est totalement enfermé dans un processus qui le définit complètements. La vie ne fait que l’effleurer, il ne peut parler avec personne, et la seule femme qu’il aurait pu aimer, il ne lui a rien dit, il n’a jamais réussi à casser sa carapace de certitudes. L’argent l’attire mais comme un rêve mais sans le motiver assez pour faire attention à sa vie.
Et le titre ? ce n’est que dans le jeu que Ziya oublie sa pulsion de mort. Sans être « la vie » le hasard sur lequel il mise autant d’argent lui montre le côté dérisoire de la mort.

Un roman parfaitement écrit mais dont le personnage sur lequel est construit tout le roman est trop prévisible. Je n’ai rien découvert que je ne savais déjà sur un sujet terrible et si démoralisant.

 

Extraits

 

Le début .

 La formation d’une âme comme celle de Ziya, né au monde avec sa part de ténèbres, nécessitait une personnalité qui sorte de l’ordinaire, une admiration dont la violence et le son traçaient les contours, et des coups durs.

L’idéal d’un homme d’honneur .

 Un homme devait-il choisir entre son honneur et sa vie, devait choisir l’honneur. Mourir valait toujours mieux que de vivre dans le déshonneur. Personne ne se moquait d’un homme d’honneur ; le châtiment de ces moqueries était la mort. Arif Bey et ses amis croyaient à ses lois, et vivaient selon elles.

 

Le Fanatisme

 Le désir, l’enthousiasme immenses suscités par l’idée de sa propre mort, sensation si étrange et si rare, le transportaient dans un lieu situé au-delà de la vie et de la mort, un espace infini et sanglant tissé de réalités nouvelles, où il était le seul maître. Il se croyait désormais invulnérable. Personne ne peut rien contre quelqu’un qui meurt sans mourir.

Ahmet Altan sait de quoi il parle !

 Personne ne peut connaître la valeur de solitude, personne ne peut en concevoir le manque aussi bien qu’un homme qui est resté longtemps en prison 

L’amour .

 En réalité, ce qui les rapprochait n’était pas tant leur étrangetés que leur solitude. De tous les sentiments, c’est celui qui porte le plus vite à l’amour. Et tous les d’eux étaient seuls

Je ne crois pas beaucoup à ce genre d’analyse de caractère .

Dès qu’elle eut appris que ce jeune homme qui ne ressemblait à aucun autre était un assassin, quelque chose se mit en mouvement dans l’espèce de puits sans fond invisible où ses sentiments s’empilaient depuis des années dans un ordre immuable.

la gloire de tuer.

La gloire qu’il allait gagner en tuant un homme qu’on croyait intouchable, la gloire qu’il gagnerait par cette prouesse de courage excitait bien plus son âme, cette nuit-là, que tous les espoirs et toutes les craintes. Rien n’avait plus de prix pour lui que le courage et la gloire, or il n’y avait qu’en tuant et en acceptant soi-même de mourir pour cela qu’un homme pouvait obtenir la gloire synonyme du respect unanime.

La peur inspirée par un tueur.

 « Il suffit que les gens s’imaginent que tu peux les tuer, et tu n’auras plus besoin de tuer personne, et tout le monde te respectera. » C’était exactement ce qu’on imaginait désormais : que Zya pouvait tuer n’importe qui.

Édition Babel Acte Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce mois de janvier 2024,le thème du club de lecture, autour des photos, permet à la bibliothécaire de ressortir des romans peu lus et pourtant intéressants. Cette écrivaine Anne-Marie Garat, a été récompensée par des prix littéraires et a connu un succès certain mais pas tellement pour ce roman. Spécialiste de l’image, elle rend hommage aux artistes de la photographie et dans ce roman, elle cherche à faire comprendre le poids de la photo pour celui qui la prend comme pour celui qui la regarde. Évidemment, en 1990, quand elle écrit ce roman, on en est au début du numérique, la photo d’art aujourd’hui existe-t-elle encore ? De toute façon la photographe professionnelle qui est décrite vit en 1986, elle prend donc des photos avec des pellicules et les tire elle-même avec les procédés argentique. Tout le roman tourne autour d’une famille de la région de Blois, qui possède une belle propriété, et le personnage important c’est une certaine Constance, mère de Madeleine (qui fête ses 96 an en 1986), et de Romain qui mourra en 1914, victime de la guerre alors qu’il n’a pas combattu : il est tombé et ne s’est jamais relevé !.
Tout est vraiment bizarre dans cette famille, Constance avait 14 ans en 1885 quand un juge lui a parlé gentiment. Elle déclare qu’il va l’épouser. À partir de là tout va dérailler, elle n’épousera pas le juge mais elle fera tout pour que son fils le devienne (juge !). Elle aura deux filles dont elle ne s’occupe absolument pas, trouvera une technique pour avorter de tous les bébés que son mari lui fera à chaque retour de voyage sauf de ce petit garçon qu’elle aimera d’un amour fusionnel. Celui-ci a une passion prendre des photos de sa maison au même endroit tous les ans. Constance a deux sœurs et Madeleine la plus jeune élèvera son petit neveu Jorge qui est amoureux de Milena la photographe professionnelle. Elle même vient d’un pays communiste et ses parents ne veulent pas lui raconter leur fuite. Fuite qui l’a beaucoup marquée. Ses parents ont été des ouvriers exploités, sa mère en usine et elle mourra d’une infection causée par un outil de l’usine, son père n’a pratiquement pas de retraite car il n’a pas été déclaré correctement. Jorge est le fils de Thérèse, la petite fille de Constance, et elle a sauvé un enfant juif pendants la guerre. Toutes les histoires se mêlent car l’auteure ne respecte pas la chronologie et il y a de quoi se perdre. Je trouve que l’auteur a voulu parler de tous les faits de société qui sont importants pour elle, et l’ont révoltée mais c’est trop touffu : la condition des femmes du début du siècle, la guerre de 14/18, la femme bourgeoisie qui s’ennuie en province, les enfants juifs cachés, l’exploitation des ouvriers, la condition sociale des émigrés, et la création artistique à travers la photographie. (et j’en oublie)

Le livre tient surtout pour son style, Anne-Marie Garat aime faire ressentir l’angoisse et les situations tendues à l’extrême, elle a un style très recherché parfois trop, et, même dans ses phrases, on peut se perdre.

Extraits

Début.

 Constance a rencontré le juge un dimanche de juin dans le parc de Mme Seuvert. Elle a quinze ans à peine et remplit sans effort apparent, avec l’indolence charmante, un peu froide avec la complaisance appliquée des jeunes filles d’alors son rôle de figurante dans les visites de voisinage.

Un portrait (et un peu d’humour , c’est rare).

 Et puis maigre, très propre, toute lustrée de deuil soyeux, et le front encore jeune et perdu sous sa mantille de dentelle noire armée par coquetterie de la canne à pommeau de feu Seuvert ; la figure fraîche, rose de joue, l’œil comme un grand café et l’oreille très fine, affectant un air de complaisance détachée, d’indulgente ignorance pour les liens et les plans qui se trament chez elle.

La vieille dame de 96 ans.

 « Alors tu es venue juste pour me souhaiter mon anniversaire. Tu fais bien, c’est le dernier. Je dis ça tous les ans, remarque. Je finirai par avoir raison. »

J’ai du mal avec ce genre de phrases poétiques (sans doute) mais que je ne comprends pas !

 Elle a froid , elle a mal au ventre, là où sont entrées les photographies, comme d’une déchirure froide. Elle a mal des images qui se fixent lentement dans sa chambre noire.

Les ronces.

 Le roncier semble inerte, cependant il est mû d’une puissance de guerre souveraine qui arme les rameaux d’épines redoutables, les allonge et les déploie en tous sens, hors de toute logique, dans une ignorance insultante de son désir enfantin. Planté là, le roncier pousse. Il puise dans la terre noire sa force vitale, sa méchanceté native. Il dresse devant l’enfant le mur de sauvagerie incompréhensible, la vésanie* hostile, insensée des choses qui existent. Indépendantes, naturelles. Indestructibles, insensibles, qui le rejettent à sa solitude impuissante.
(vésanie* veut dire folie)

L’importance du titre.

 Rendue à ce seuil, elle se souvient d’une image de porte noire ouverte sur les cris, l’indicible souffrance. Celle dont ni le père ni la mère ne révèlent ce qu’on trouve au delà. Parce que chacun a sa chambre noire. Apprends à y entrer, jusqu’au plus profond de son obscurité. Dans une totale solitude à en admettre l’obscurité. À y survivre.

Édition NRF Gallimard

 

Un roman où il ne se passe rien ou presque mais qui décrit bien l’ambiance au Cameroun en 1959 parmi les Français.

Le roman commence bien : à partir d’une photo d’une jolie femme à Douala en 1959, la narratrice veut comprendre qui est sa tante Madeleine qu’elle a connue mariée avec son oncle Guy et formant un couple qui s’entendait bien.

Sa cousine Sophie lui apportera quelques éléments de la vie de sa mère. Et à partir de rien ou presque, la narratrice imagine que cette femme a aimé un certain Yves Prigent mort dans un accident d’avion au Cameroun.

C’est un roman vide et les personnages n’ont aucune consistance, mais l’essentiel n’est pas là mais dans l’atmosphère qui régnait dans les ex-colonies à cette époque. Les Français vivaient entre eux, comme dans un petit village où tout se sait. Donc, même les longues promenades de Madeleine et d’Yves arriveront aux oreilles de son mari.

Un roman que j’oublierai vite malgré son charme désuet et les chansons de l’époque qui accompagnent le récit.

 

 

Extraits

 

Début .

En faisant la vaisselle, ma mère chantait souvent « la vie conjugale «  :
Les histoires sages
finissent souvent
par un beau mariage 
et beaucoup d’enfants. 
Guy Béart. On avait le disque à la maison, un 45 tours.

 

Souvenirs .

 L’original est une photographie carrée à bord dentelé qui tient dans le creux de la main ; une photo prise avec un appareil kodak. Les photos de l’époque m’ont toujours fait penser aux petits beurres Lefèvre- Utile. Est-ce à cause de leur format, ou de nos origines nantissement ? Les deux sans doute. Ou parce que grand-mère avait l’habitude de ranger les photos de famille dans une vieille boîte de biscuits LU, une ancienne boîte d’assortiment dont le couvercle représentait un genre de sirène Art-déco à cheveux roux entourée de guirlandes de fleurs.

Difficultés de communication entre mère et fille.

Elle n’a jamais su s’y prendre avec Madeleine, à cause de son mutisme et de son caractère bizarre (ce tempérament « renfermé », « Le Tellec »). Comme Comme la plupart des mères de cette époque, elle pense qu’on ne devrait pas aborder ce genre de sujet entre deux femmes dont l’une est le produit de l’autre. Ça ne se fait pas, c’est tout. C’est assez difficile comme ça. La vie est bien assez difficile. Déjà, elles sont sorties de la guerre.
(…)
 Oui on doit s’estimer heureuse, a pensé grand-mère en regardant sa fille. Heureuse de vivre ; il faut passer par les étapes ; c’est pareil pour tout le monde. Une fois que c’est commencé, on ne peut pas s’en extraire : on ne peut pas reculer ; on peut pas revenir en arrière, regarder toujours en arrière. Le mariage est « une loterie « . La vie est une loterie.

Le milieu européen à Douala.

 Le milieu européen de Douala gravitait autour du Délégué et de sa femme Jacqueline. L’administration du territoire en dépendait. Comme tous les milieux d’exilés où les gens vivent les uns sur les autres, c’était un lieu d’intrigues. Pour les questions pour les querelles d’avancement, rien de pire que la colonie. Les épouses des fonctionnaires se démenaient beaucoup pour obtenir des avantages, des postes, et des invitations aux fêtes qui égayaient les longues soirées. On se fréquentait, on dînait, les uns chez les autres on s’épiait. Pour le reste, c’était comme partout : il y avait des types bien qui avaient fait leur vie dans ce pays, et des brutes qui traitaient mal les ouvriers noirs, qui ne leur parlaient pas correctement, qui se croyaient supérieurs.

 


Édition Albin Michel. traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff

 

C’est chez la Souris Jaune que j’ai trouvé cette lecture (je remarque que peu d’entre vous allez sur ce blog, j’espère que vous irez voir, il y a beaucoup de bonnes idées à piocher.)

J’ai eu au début du roman un peu de mal à me mettre dans ce récit car l’auteure a décidé d’utiliser le dialogue pour nous faire comprendre ce qui arrivait à Nicola qui vient de se faire plaquer sèchement par Jonathan après plusieurs années de vie commune. Elle était heureuse avec lui et cette nouvelle lui arrache le coeur . Peu à peu, ce roman, m’a touchée sans doute pour quelques résonnances personnelles. Cette femme qui pleure tous les jours, pendant un moi, sans comprendre le fameux « Pourquoi ? » « Qu’ai-je fait ? » est très bien décrite et peu à peu reprend vie. Madeleine St John décrit bien aussi ses amies et la vie londonienne. Le portrait de l’ami radin et profiteur est sans doute très proche de la réalité. Mais c’est surtout le chemin de Nicola qui est prenant on espère qu’elle arrivera à prendre conscience de sa propre valeur. Jonathan est moins intéressant on ne le comprend pas bien, et la fin est très insatisfaisante , en tout cas pour moi. Pour créer une tel séisme chez une personne qu’on a aimé il faut avoir des raisons très forte or il semble complètement incapable d’expliquer sauf par la peur de s’engager. Je n’ai absolument pas vue le côté jubilatoire que décrit La souris Jaune, l’ensemble est plutôt triste et peu réconfortant sur la nature humaine.

Une excellente analyse de la rupture vue du côté de la femme moins du côté masculin.

Extraits

Incipit.

 Nicola était encore sur le seuil quand Jonathan commença à parler : elle n’avait même pas eu le temps d’enlever son manteau. C’était un soir de printemps plutôt froid : on avait encore besoin d’un manteau quand on sortait après la nuit tombée.

Portrait.

Ce n’est qu’un juriste de plus. Un de ces crétins bien conventionnels et surpayés qui se la pètent et qui ne veulent surtout pas se mouiller. Pas mon genre mais c’est pas grave … je boirai volontiers son pinard chaque fois que l’occasion se présentera.

Sexe et amour.

 Il avait toujours été évident pour Nicola que l’on ne pouvait pas avoir de rapports sexuels avec quelqu’un qu’on n’aimait pas. C’était une impossibilité physique et spirituelle, et plus elle constatait l’empressement d’autres êtres humains à infirmer cette assertion, plus son incrédulité augmentait, au point qu’elle ne pouvait que hausser les épaules en se disant : Soit ! Elle n’arrivait même pas à imaginer comment – physiquement spirituellement – on pouvait oser enlever tous ses vêtements devant, c’est-à-dire pour, un homme (ou le cas échéant une femme) qu’on ne connaissait pas, en qui on ne croyait pas et qu’on aimait pas sincèrement, profondément et de tout son cœur.

 

 

 

Éditions Pocket . traduit de l’anglais par France Camus-Pichon

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Voilà un livre dont la critique est pour le moins compliquée. Je vous explique pourquoi : la plupart de mes critiques négatives sont tombées lors du dernier chapitre. Et évidemment le clan des anti-divulgâcheuses va me tomber dessus à bras raccourcis si je vous en explique davantage.

Alors tant pis je suis la chronologie du récit, sinon vous ne le lirez pas ce billet !

Sachez quand même qu’à la page 153 vous lirez ceci :

En un sens c’est là que l’histoire commença, lorsque je pénétrai dans ce bureau et que l’on me l’expliqua en quoi consistait ma mission.

Pauvre lecteur ! 153 pages où il ne se passe pas grand chose , enfin si, la vie de Serena une jeune fille de la classe moyenne Britannique qui aurait voulu étudier la littérature anglaise, pour assouvir sa passion de la lecture. Mais sa mère, une maîtresse femme, qui gère sa famille de main fer, son mari pasteur anglican puis évêque et ses deux filles décide que, puisque Serena est très bonne en mathématiques, elle ira étudier cette matière à Cambridge. Elle y passera une licence sans prestige mais rencontrera, d’abord Jeremy qui s’avérera préférer les hommes aux femmes et son premier grand amour un professeur plus âgé qu’elle qui la fera rentrer au service du contre-espionnage anglais.

la voici donc espionne et c’est particulièrement ennuyeux jusqu’à ce qu’on lui propose de participer à l’opération « Sweet Tooth » qui consiste à encourager des auteurs à écrire si possible des livres anti-communistes. Nous sommes en pleine guerre froide. Elle rencontrera alors Tom Haley à qui elle proposera de l’argent d’une fondation (qui est en réalité une officine des services secrets britanniques) pour écrire un roman. Elle en tombera follement amoureuse et sera tourmentée par le fait de dévoiler ou non son appartenance au service secret. Malheureusement à l’intérieur du service un homme est aussi amoureux d’elle et cherchera à lui nuire.

C’est donc un roman qui parle beaucoup du plaisir de la lecture et de la création littéraire. Serena est une dévoreuse de livres, on peut se retrouver dans ses réactions face aux personnages de romans. Il permet aussi de décrire les services secrets et la misogynie qui y règne.

Classer ce roman dans la catégorie roman policier (comme il l’était dans une bibliothèque que je fréquente parfois) risque d’induire les amateurs du genre en erreur. La création littéraire, voilà le thème principal. D’abord à travers les lectures de Serena qui décortique un roman et nous en fait comprendre les ressorts très rapidement, et à travers le travail de Tom Haley qui s’attelle à l’écriture de son premier grand roman.

Et c’est aussi un roman d’amour, car une des clés de l’intrigue ce sont les sentiments amoureux de Serena pour Tom Haley. Bien sûr le cadre dans lequel cela se passe c’est le contre espionnage, et l’auteur en fait une description qui n’est pas à l’honneur des services britanniques. Les femmes sont tenues à des rôles de subalternes quelles que soient leurs diplômes ou leur qualité. Qui enverra-t-on faire le ménage dans une planque qui a été occupée pendant des mois par un homme qu’on voulait cacher ? Serena et son amie bien sûr !
Pourquoi est ce que j’ai des réserves sur ce roman ? Même si j’en ai l’explication au dernier chapitre, je n’ai pas réussi à oublier l’impression d’ennui que m’a procuré les cent cinquante trois premières pages. Les personnalités des membres de la famille de Serena sont plus esquissées que réelles, on verra à la fin que c’est tout à fait normal. Mais bon, c’est aussi un procédé et je n’aime pas trop qu’un livre se construise de cette façon.

Je suis certaine que ce romans sera chaudement défendu à notre club de lecture, je suis souvent toute seule à ne pas aimer le suspens. Ici il n’y en a pas vraiment mais un superbe renversement de situation. J’espère ne pas en avoir trop dit pour vous.

 

 

 

Extraits.

Début.

 Je m’appelle Serena Frome (prononcer « frume » comme dans plume) et, il y a près de quarante ans, on m’a confié une mission pour les services secrets britanniques. Je n’en suis pas sorti indemne. Dix-huit mois plus tard j’étais congédiée, après m’être déshonorée et avoir détruit mon amant, bien qu’il eût certainement contribué à sa propre perte.

Les portraits comme je les aime.

 Elle représentait la quintessence ou la caricature de l’épouse de pasteur, puis d’évêque anglican : une mémoire phénoménale des noms, visages et tourments des paroissiens, une façon bien à elle de descendre une rue en majesté avec son foulard Hermès, une attitude à la fois bienveillante et inflexible envers la femme de ménage et le jardinier. Une courtoisie sans faille qui s’exerçait à tous les échelons de la société dans tous les registres.

Encore un portrait comme je les aime.

Il était mal habillé intelligent sans ostentation, et d’une politesse extrême. J’avais remarqué plusieurs spécimens du genre dans mon entourage. Tous semblaient descendre d’une seule et unique famille et venir d’école privée du nord de l’Angleterre, où on leur avait fourni les mêmes vêtements. Ils étaient les derniers hommes sur terre à porter des veste de tweed avec des parements et des coudières en cuir. J’appris mais pas de sa bouche, qu’il aurait sûrement sa licence avec mention très bien et avait déjà publié un article dans une revue universitaire sur la Renaissance.

Comparaison amusante.

 De même qu’à l’armée on initie les jeunes recrues à l’heure nouvelle vie en leur faisant éplucher des pommes de terre et récurer la cour avec une brosse à dents avant un défilé, je passai mes premiers mois à compiler les liste des membres de toutes les sections du parti communiste de Grande-Bretagne et à créer des dossiers sur ceux qui n’apparaissaient pas encore sur nos fichiers.

On entend souvent le même genre d’arguments.

 C’est un déshonneur collectif de n’avoir pas localisé ces cellules terroristes ni démantelé leurs circuits d’approvisionnement. Et – thèse principale du général- cet échec s’expliquait avant tout par le manque de coordination entre les différents services de renseignement. Trop d’agences, trop d’administrations défendant leurs prérogatives, trop de conflits d’attributions, un commandement insuffisamment centralisé.

Portrait de la sœur ex- hippie.

 Elle pointait au chômage, fumait du haschich, et, trois heures par semaine, elle vendait des bougies arc-en-ciel sur le marché du centre ville. Lors de ma dernière visite chez nos parents, elle évoqua ce monde névrosé, concurrentiel, « formaté » qu’elle avait laissé derrière elle. Quand j’indiquais que c’était également le monde qui lui permettait de mener une existence oisive, elle avait ri et répondu :  » Ce que tu peux être de droite, Serena ! »

L’heure d’hiver.

 Avec la fin du mois d’octobre revint le rite annuel de la mise à l’heure d’hiver des pendules, qui referma le couvecle de l’obscurité sur nos après-midi, assombrissant encore l’humeur de la nation

Regard sur une génération.

 Luke tombait dans le travers inexcusable des fumeurs de cannabis, qui ne parlent de rien d’autre et donnent tous les détails une résine célèbre provenant d’un petit village de Thaïlande, la terrifiante descente de police à laquelle ils avaient échappé de justesse un soir, la vue sur un lac sacré au coucher du soleil après avoir fumé, un malentendu désopilant dans une gare routière et autres anecdotes assommantes. Qu’arrive-t-il à notre génération ? Nos parents nous avaient ennuyé avec la guerre. Pour nous, voilà ce qui la remplaçait.

 

 

 


Édition Héloïse-D’Ormesson. Traduit de l’allemand par Nicolas Véron

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ma deuxième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 organisé par Eva 

 

Voici un livre qui ne tient que par le talent de conteuse de cette écrivaine allemande. Je suis partie dans son histoire sans difficultés car j’aime les contes mais je me suis sans cesse demandé pourquoi elle voulait ne raconter que le pire des comportements humains.

Seuls trois personnages : Martin le garçon au cœur pur, le peintre, et Franzi l’amoureuse du garçon sont vraiment positifs. Dans une Allemagne d’autrefois, ravagée par les guerres, les épidémies, les croyances obscurantistes, des hommes stupides et sans cœur règnent sur un village où vit Martin et son coq noir qui reste toujours avec lui, sur son épaule le plus souvent, et qui, parfois, lui parle. Martin est orphelin car son père, pris de folie, a massacré tous ses frères et sœurs à la hache avant de se tuer lui-même. Un jour arrive un peintre que Martin suivra car il veut rechercher le cavalier à cape noire qui enlève de très jeunes enfants que l’on ne revoit jamais. Peu à peu, nous aurons toutes les clés de cette histoire mais je sais que vous ne voulez pas que je vous les donne (pourtant quand vous écoutez Barbe-bleu vous savez la fin, non ?), d’ailleurs de clés, il en est question dans ce récit. Cela commence justement par la clé de la porte de l’église que les abrutis de chefs du village ne retrouvent plus. Martin sait où elle est mais ne le dira qu’à la fin du récit.

On saura pourquoi son père a massacré à coups de hache toute sa famille et aussi ce que deviennent les enfants enlevés par les cavaliers à cape noire.

Pourquoi ne suis-je pas plus enthousiaste : j’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi l’écrivaine a utilisé le conte pour nous raconter toute la noirceur des comportements humains. Pas grand chose nous est épargné et ce n’est pas la fin un peu moins triste qui peut compenser la succession de crimes tous plus affreux les uns que les autres qui change grand chose à la teneur de ce récit. Vraiment, pourquoi ?

Le personnage positif, Martin, est paré de toutes les qualités, bonté, compassion, intelligence au point de se dire qu’il n’est pas vraiment humain.
C’est un conte, d’accord, donc on peut tout accepter et il est vrai que, le style de Stefanie vor Shulte, emporte les lecteurs dans un monde onirique et que j’ai lu ce livre sans m’ennuyer en me demandant quand même pourquoi une telle noirceur

 

 

Citations

Le conte très sombre

 En éclair, le cavalier a dépassé Martin, l’instant d’après il est à la hauteur de Godel, il abaisse le bras vers la fille, la soulève comme un fétu de paille et la foule sous sa cape, pan d’obscurité dans le givre laiteux. L’enfant est maintenant au cœur des ténèbres, elle n’a pas laissé échapper le moindre cri. Tout est allé si vite. La main de la mère est encore suspendue en l’air toute pleine de la chaleur du corps de sa fille. Sa fille qui n’est plus là.
 Le cavalier l’a cueillie comme une pomme, et déjà le voilà sur la crête où l’on voit son cheval se cabrer.
 Un hurlement déchirant jaillit de Godel. Elle se met à courir. Le bébé pleure, ballotté contre sa poitrine. Martin court derrière elle, la rattrape, la dépasse, se lance à la poursuite du cavalier.
 Le cavalier. Martin connaît depuis toujours l’histoire de ce cavalier à la capuche noire qui enlève les enfants. Toujours une fille et un garçon. Qui plus jamais ne reparaissent. Et voilà qu’ils le rencontrent et qu’ils le pourchasse.

Vision horrible de ce temps là…

 Ces hommes savent pourtant bien que le temps leur est compté, que bientôt ils seront impotents et n’auront plus qu’à se pendre à une poutre du toit pour ne pas peser sur leur famille. Et que, s’ils ratent leur coup, ou si le courage leur fait défaut, ils macéreront jusqu’au bout dans leurs excréments. Attachés au lit, car il faut bien aller aux champs et au moulin, tout comme ils l’étaient, déjà, enfants quand leurs parents devaient aller aux champs et au moulin.


Édition Sabine Weispieser . Traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Voici ma première participation au mois « des feuilles allemandes » organisé par Eva 

Voici le troisième livre sur Luocine de cet écrivain autrichien, mon préféré reste « le tabac Triesnek« , j’ai un peu moins aimé « une vie entière » et celui-ci ne m’a pas, non plus, passionnée. L’auteur nous fait revivre les derniers jours de la vie de Gustave Mahler, il focalise notre attention sur la dernière traversée de New York en Europe du créateur de tant de chefs d’œuvres. Bercé par les flots et le roulis du bateau , le compositeur laissent arriver ses souvenirs et son besoin de tout mettre en musique. Nous vivons donc son amour pour Alma qui devra toute sa vie soutenir son époux à la santé chancelante. Sa rencontre avec Freud quand Alma a failli partir, ses luttes avec les orchestres qui ne voulaient pas donner le meilleur d’eux mêmes. L’antisémitisme autrichien ordinaire, Mahler était juif mais il a dû se faire baptiser catholique pour diriger l’orchestre de Vienne, Cossima Wagner lui interdira (parce que, pour elle, il est toujours juif même baptisé !) de venir à Bayreuth. Nous revivons la terrible tragédie de la mort de sa fille aînée de six ans. L’écrivain décrit bien toutes les souffrances physiques de cet homme qui a été malade presque toute sa vie. Mais on ne ressent guère de sympathie pour ce musicien de la part de l’auteur sans doute était-il peu sympathique.
Tout cela n’importe quelle biographie rapide vous l’apprendra, l’intérêt du livre s’en trouve donc amoindri mais ce que veut nous faire sentir l’écrivain c’est la façon dont un compositeur est totalement habité par son oeuvre. J’avoue être un peu passé à côté . J’ai trouvé ce roman très court(116 pages) assez plat.

 

Citations

Conduite magique.

De minuscules feuilles brunes flottaient dans la théière, alors qu’il avait commandé du russe blanc. Il tenait d’on ne savait qui l’idée que le thé blanc apaisait l’âme. C’était une ânerie, bien entendu, mais il était parfois utile de croire à ce genre de choses.

La mer.

 « La mer n’est jamais ton amie, lui avait dit un vieux marin, elle ne veut ni bien ni mal, elle ne veut strictement rien. Elle n’a pas l’ombre d’une intention, quand elle te tue d’une seule lame… « 

Le chef d’orchestre .

 Le pupitre l’avait vu mûrir, il avait été le compagnon de son évolution de chef d’orchestre.
Jeune, il n’était que mouvement, les caricatures de presse le représentaient alors comme une espèce de singe juif brouillon ou de diable à ressort. Les gazetiers l’affublaient de la danse de Saint-Guy, ils le comparait à un de ces aliénés habités par un dibbouk qui esquissent des mouvements grotesque, apparemment incohérents. Mais, en prenant de l’âge, il avait gagné en sérénité et sa gestique en sobriété, il dirigeait pratiquement sans bouger, à l’exception de sa main droite, qui traçait dans l’air des lignes ténues, et de ses yeux, dont on disait qu’ils étaient comme charbons ardent pendant les concerts et semblaient lancer des éclairs aux applaudissements, quand les lumières de la rampe s’y réfléchissaient.

La musique.

La musique avait toujours laissé loin derrière elle tout être humain et n’avait enfin compte pas plus besoin de musiciens que d’auditeurs. La musique n’avait besoin de rien ni de personne, elle était là tout simplement 

 

 

Édition Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Elle ne lui avait pas dit que le salaire ne vaut rien qu’il représente pour un mois et cent-quatre-vingt-douze heures de travail le prix auquel on vend un seul carton de fleurs

Un livre choc écrit de façon volontairement détachée, ce qui pour moi enlève beaucoup de poids à son propos. Nous suivons trois personnages autour de la culture de l’importation puis de la vente des fleurs coupées.
Au début était Nana une jeune éthiopienne qui va laisser sa santé dans une serre où on cultive des roses, puis il y a Jan un hollandais de mère française qui achète sur un ordinateur des milliers de fleurs le moins cher possible dans le plus énorme marché aux fleurs du monde et enfin Ali, un réfugié du Bangladesh qui en vend à la sauvette aux terrasses des cafés parisiens.

La description du travail dans les serres est plus proche du bagne que du travail. Et surtout la santé des employés est gravement menacée mais Nana continuera ce travail comme une fatalité qui s’abat sur elle, Ali a voulu gagner un peu d’argent pour aider sa femme qui s’abime elle aussi la santé dans une usine de T-Shirt au Bangladesh, mais la vente des roses lui rapporte à peine de quoi survivre. Ali connaît le sort des exilés sans défense et sans papier lui permettant de travailler correctement en France .

Et puis il y a Jan cet homme que rien n’intéresse et qui ne s’intéresse à rien. Il n’aura qu’une réaction un peu vivante : celle d’acheter trop cher un lot de rose « Sorbet avalanche » le jour où il apprend que son ex-petite amie , dont il n’a jamais été tellement amoureux est enceinte et pas de lui (heureusement pour elle ! -remarque toute personnelle).

Nana et Ali sont représentatifs de deux destinées misérables et sans solution pour s’en sortir tout cela permettre à quelqu’un comme Jan de vivre sans bonheur apparent mais sans autre soucis que de mal vivre : quelle tristesse !

Et au dessus de tout cela des compagnies hollandaises qui se font beaucoup, mais alors vraiment beaucoup d’argent sur la misère du monde.

 

Citations

Début du roman.

 Nana s’en souvient. Quand elle était enfant, elle ne pouvait pas passer une journée sans aller le voir. Depuis combien de temps, aujourd’hui, ne l’a-t-elle pas aperçu ? Six mois, peut-être huit. Le pire, se dit-elle, c’est qu’avant ce matin, le lac vert ne lui a pas manqué.

Jan et les produits du supermarché.

Jan aime bien les poissons panés aussi, mais pas n’importe lesquels, il faut que la chapelure ne s’effrite pas, qu’elle reste bien attachée à la chair du colin, qu’on puisse couper le bâtonnet sans que l’ensemble se ratatine. Jan a souvent été déçu par les grandes marques de poissons panés. Il opte aujourd’hui pour la boîte de dix-huit, distributeur Coop. Dix-huit, c’est assez mal foutu parce qu’il les mange par quatre, alors il en reste toujours deux au fond de la boîte et on ne sait pas quoi en faire.

Ali. et ses colocataires.

 Oui, Ali, ça a le faisait bien poiler qu’il ait embarqué un objet aussi idiot dans sa fuite. Juste comme ça, pour faire un peu chier. Pour qu’on se souvienne de lui aussi, sûrement, toutes les fois où on ferait chauffer le thé. S’il n’avait pas déjà attendu aussi longtemps pour son titre de séjour, Ali serait parti à Rome lui aussi, en piquant le Butagaz. Mais il a déjà galéré deux ans. Il a dû monter sur les listes de l’administration depuis le temps. Ce serait stupide de filer maintenant est de tout reprendre à zéro.

La vraie misère de l’exploitation au Bangladesh.

 Avec l’usine, Dina s’était éteinte. Pas totalement, elle retrouvait un semblant d’âme quand elle rentrait le soir, mais un peu, du moins suffisamment pour que ses pensées soient plus lentes et plus poreuses.
 Et puis il y avait la trouille, de se faire virer, de se faire engueuler, qu’on déduise sur son salaire. La peur aussi rend les idées poreuses. C’est une tétanie sournoise. Elle se manifeste, elle est forte, on la comprend et on l’observe. Il y a tous ces moments où on croit qu’elle est terrée quand en réalité elle vous caresse la nuque.
Ali, alors, a tant vu Dina avoir la trouille et souffrir en cadence qu’il a décidé de partir pour espérer pouvoir un jour l’arracher à l’usine

Le marché des fleurs d’Amsterdam.

 Voilà un immense hangar, le deuxième plus grand bâtiment au monde après le Pentagone. Il y a même à système de voies ferrées qui transporte les fleurs. On dirait un mini-métro qui charrie les bacs, toutes ces tiges et ces pétales prêts à être expédiés. La première fois qu’il est arrivé ici ,Jan a été impressionné. Un million de mètres carrés, 12000 travailleurs, une fleur sur trois vendue en Europe qui transite par là, une course perpétuelle, tout livrer, si vite, si loin.

Conditions de travail en Éthiopie dans les serres.

Elle ne lui avait pas dit que sous les serres, il fait une chaleur insoutenable, que les cueilleuses s’écroulent à cause des températures et de l’air moite. Elle ne lui avait pas dit que les produits qui font pousser les plantes détraquent les corps, pourrissent en quelques mois la vue et les organes, que les filles font toutes des fausses couches ou enfante des bébés tarés. Elle ne lui avait pas dit que le salaire ne vaut rien qu’il représente pour un mois et cent-quatre-vingt-douze heures de travail le prix auquel on vend un seul carton de fleurs, que seuls les étrangers en jouissent, qu’ils condamnent la terre qu’ils l’assèchent et que les autres cultures dépérissent. Elle ne lui avait pas dit que les gardes vous traitent comme des bêtes, avec toute la violence des hommes armés. Que les femmes s’écroulent, que les corps essaient de tenir pour survivre.

 

 

Édition La Peuplade Roman

Traduit du roumain par F et JL Courriol

 

Quel roman ! c’est un mélange de passages superbes et de moments très pénibles, c’est très difficile d’en venir à bout et ceci pour plusieurs raisons :

 

  • la mise en page : c’est écrit en petits caractères, il n’y a pratiquement pas de paragraphes et les phrases peuvent être très longues.
  • La chronologie : le récit n’est pas linéaire et c’est très difficile de trouver les repères pour comprendre quand se passe le récit.
  • Le peu d’explications pour comprendre car le narrateur s’efface et nous voyons tout à travers le regard de gens qui parlent très peu.
  • Les exagérations qui parfois m’ont gênée.

Malgré cela il y a de très beaux passages qui m’ont permis d’aller jusqu’au bout de ce gros pavé, mais j’avoue avoir parfois lu en diagonale.

Il s’agit donc de la vie de cet homme Iochka qui est né en Roumanie avant la guerre 39/45 et qui finit sa vie dans une vallée peu accessible comme fabriquant de charbon de bois. Il a tout connu cet homme : la guerre, le goulag, mais aussi le plus beau des amours avec Ilona, la naissance de son petit garçon, et la mort de cette femme tant aimée. Dans cette vallée , Iochka a trois amis, le pope, le contremaître, et le docteur de l’asile, tous ces gens boivent à longueur de temps et se donnent du courage pour surmonter les difficultés de la vie, et, il y en a beaucoup. Une autre femme, celle qui partagera la vie du contremaître, Iléana, va devenir l’amie de Iochka et d’Ilona. Cette vallée est loin des turbulences de la société roumaine, ensemble ils font tout pour que cette vallée reste loin des autres hommes. Parfois les crimes arrivent jusque dans la vallée, comme cet homme qui a été tellement torturé qu’il finit dans l’asile du docteur. Les souvenirs des horreurs de la guerre qui ont traumatisé les différents protagonistes. hantent ce récit.

Il y a une telle pénétration de la nature dans la vie des habitants de la vallée que cela, m’a gênée comme cet amour physique entre Iléana et un loup . L’amour de Iochka et d’Ilona est superbe mais complètement hors de la réalité et évidemment la mort de la femme a plongé Iochka dans une forme de folie mais on sait qu’il va survivre puisque le roman débute par cet homme presque centenaire qui circule dans sa vieille voiture. J’ai noté beaucoup de passages pour ne pas oublier ce qui m’a plu dans ce roman. Mais je redis que cette lecture était parfois un pensum et je n’arrivais pas à retenir mon attention : je lisais mais ne retenais rien. Un roman étrange que je ne peux pas vraiment vous conseiller, à vous de voir.

 

 

 

Citations

La première phrase.

 Avec un vieux moteur de voiture allemande et une carriole à essieu renforcé, un volant de tracteur et une boîte de vitesses de camion, beaucoup de patience et non moins d’ingéniosité, Iochka s’était fabriqué une espèce de camionnette qui lui servait à monter dans les bois au-dessus de Roudaritsa pour en rapporter des chutes de branches de hêtres et de bouleau laissées sur place par les ouvriers de l’exploitation forestière.

La boue si célèbre depuis la guerre en Ukraine.

 Puis lorsque arrivait l’automne et que la steppe se transformait en une mer de boue qui engloutissait tout, chevaux, hommes, camions, canons et tanks, il ne sortait plus, des jours de suite, de sous sa bâche, restait là à contempler le brouillard épais et humide, une terrible nostalgie du pays montait en lui et que rien ne pouvait apaiser ni les doïnes entonnées par les soldats au coucher du soleil ni les maigres rations fumantes qu’on leur servait deux fois par jour, matin et soir.

Le destin d’un soldat Roumain fait prisonnier par les Soviétiques.

C’était dans un lieu tout pareil que la botte l’avait frappé en pleine tête, lui avait brisé le nez, mis les lèvres en compote le jour où, sans force après une semaine d’errance, il s’était assis sur une souche pour reprendre haleine et que le Russe, avec une haine qu’il n’avait jamais pu vraiment comprendre, l’avait violemment battu et l’avait obligé, couvert de sang, boitant le dos en capilotade, à rejoindre la colonne de prisonniers qui se dirigeaient vers un lieu inconnu à l’est où ils ne parviendraient qu’après une semaine de marches forcées, un camp de concentration où il passerait d’années dix année de sa vie, une sorte de village où régnait la famine et où les hommes travaillaient du matin au soir et dormaient entassés comme des bêtes sur des planches qui leur servaient de lit.

La terreur.

 Il se sentait de nouveau comme dans le camp, terrorisé, impuissant, jouet de bois entre les mains d’un destin impénétrable, il n’attendait plus que la petite détonation et de voir l’homme à genoux s’effondrer tête la première dans le lit du ruisseau, dans son esprit naissait l’image d’une flaque de sang s’écoulant du crâne pulvérisé par la balle, il serrait de toutes ses forces le cadre de la fenêtre et comme sur un signe, l’étranger et les deux soldats se sont tournés et ont regardé exactement du côté de Iochka. Il s’est glacé le sang s’est figé dans ses veines, il a retenu son souffle comme un animal pourchassé dont la fin est proche, la main qui tenait le pistolet s’est levé, est resté en l’air quelques secondes avant de descendre à une vitesse terrible pour frapper l’homme à la nuque

L’avenir radieux.

 Parfois dans la vallée arrivaient aussi des gens qui n’y tenaient guère, on les voyait descendre des camions avec l’aie penaud, mesurant de leurs regards perdus l’endroit comme si c’était une prison toute neuve, un beau lieu où on les aurait mis de force et d’où, même si on ne les obligeait pas vraiment à trimer, ils ne pouvait sortir qu’avec une autorisation spéciale et une heure de retour imposée. On leur disait, racontait-il, qu’ils devaient construire un avenir radieux.

Les grands chantiers sous le régime communiste.

 Mais, le plus clair du temps, la vallée ressemblait à une station de villégiature où les gens s’adonnait à la boisson et à ne rien faire, activités élevées avec le temps au rang de l’art. Il y avait une centaine d’ouvriers et normalement cette voie ferrée aurait pu être construites en quelques mois, un an maximum, mais le travail durait déjà depuis une dizaine d’années et il n y avait pas le moindre risque que les rails dépassent réellement un jour l’endroit où se trouvait la maison de Iochka et encore moins qu’il avance dans la montagne de derrière et qu’ils en atteignent le bout.

La liberté.

 Ces hommes étaient libérés de ce que lui n’avait jamais connu, personne ne les menaçait plus, personne ne mettait en danger leur vie et celle de leurs familles, ça il le comprenait, il était clair pour lui que, pendant la guerre, par exemple, il n’avait pas été libre de faire ce qu’il voulait, ni plus tard quand il était prisonnier. Des gens haut placés, pouvaient le condamner à tout moment à être fusillé, lui avait dicté ce qu’il devait faire et comment il devait vivre. C’était cela l’absence de liberté aurait dit le vieux Iochka si on le lui avait demandé. La liberté, selon lui, c’était de vivre sans être menacé de mort par les gens qui disposent de votre vie.

La fin des illusions.

 Ils avaient tous les deux milité dans l’illégalité, ils avaient lutté pour un monde meilleur qu’ils ne voyaient nulle part maintenant, ils avaient voulu que les paysans et les ouvriers ne connaissent plus la pauvreté et ils avaient juste réussi à les rendre plus pauvres, ils le savaient parfaitement, ils essayaient de faire le bien autant qu’ils le pouvaient par une bonne action pour un tel ou pour un autre. Impossible d’en faire davantage. Ils vivaient avec cette frustration comme ils respiraient, ils aidaient les gens autant qu’ils le pouvaient, ils défendaient leurs ouvriers chaque fois qu’il y avait un problème, le rêve pour lequel il avait vécu s’était évanoui pour laisser place à une misère plus terrible que celle d’avant. Les pauvres étaient encore plus pauvres, les riches n’avaient pas disparu. Et pourquoi tout ça ? Était-ce pour cette pauvreté qu’ils avaient lutté ?

Un paradis.

 Un paradis d’avant et d’après le désastre qu’est toujours la civilisation, un lieu oublié et pour cette même raison inoubliable, immortel et vivant dans la mesure seule où le vivant, dans ce qu’il a de plus essentiel, échappera toujours à la compréhension humaine. Un paradis qui attendait sa mort, rien de plus. Et les gens qui étaient en lui, vieillissant sans le sentir, attendaient leur mort, eux aussi.

Une idée.

 Est-ce que ce qui n’est pas pensé peut exister ? Y a-t-il au monde une chose vraiment historique si un seul homme ignore son existence ?

L’oppression.

 Car l’oppression ne vient pas que des grands de ce monde, on la trouve aussi à d’autres niveaux, si un satrape est maître absolu de ses ministres, de même ses ministres règnent sur leurs subordonnés et ainsi de suite jusqu’au dernier paysan.

L’alcool accompagne tous les moments du récit.

 Il était harassé, il s’est laissé tomber comme une grosse pierre, puis a attrapé la bouteille devant lui et a bu, avec une grande soif à même le goulot, oubliant l’usage des verres.
 Il a attrapé une autre bouteille dans le placard et deux petits verres propres ….
Le contremaître, le docteur et le pope vidaient verre après verre…