Éditions Allary. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Au fond elle voudrait arrêter de mourir.

Cet auteur, médecin, se penche sur les malheurs des gens qu’il soigne. Tout son livre est construit sur une première expérience traumatisante : la mort d’un tout petit enfant car avec le SAMU, il est arrivé 10 minutes trop tard, et cela parce que sa maman, totalement paniquée, a dit habiter le numéro 42 au lieu de 24 . D’où les dix minutes supplémentaires. Ce jour là, devant tant d’injustice ni le médecin ni l’homme n’ont pu reprendre une vie normale. Depuis ce jour, le narrateur, et sans doute l’auteur n’a plus jamais pleuré (mais il a pris beaucoup de kilos !). Ce livre est aussi un plaidoyer pour toutes les femmes, il travaille, en effet, avec un centre d’aide aux femmes maltraitées par leurs conjoints et cela lui donne la conviction que beaucoup d’hommes sont de véritables ordures, ce qui est certain c’est qu’il est beaucoup mieux avec les femmes. Il nous explique aussi que son homosexualité lui vaut la confiance des femmes et le fait réfléchir à la façon dont d’autres médecins hommes se conduisent avec le corps des patientes. À travers différents cas de malades, il aborde beaucoup d’aspect de notre société, évidemment plutôt du côté de ce qui ne va pas. J’ai bien aimé le passage de consacré à une femme atteinte de plusieurs cancers qu’il sait être incurables, elle se fait soigner par un naturopathe qui prend 90 euros la demi heure quand lui est payer 25 euros l’heure et qui oblige cette pauvre femme à manger des légumes cuits à l’eau pour se guérir. Il enrage, mais il reste auprès d’elle jusqu’à la fin.
Une tranche de vie de ce médecin qui nous fait plonger dans la nôtre et celle de nos semblables

Ma seule réserve, c’est sa façon d’écrire, j’avais du mal à être bien dans ses récits et puis je suis allée l’écouter, et là surprise ! il racontait à une journaliste les mêmes histoires, mais il les racontait avec exactement les mêmes mots . Et j’ai alors compris ce qui me dérangeait dans son style, on sent que l’auteur raconte sa version des histoires et qu’il les raconte toujours de la même façon. Je ne sais pas si je me fais comprendre, mais on sent ce médecin sûr de son effet et qui a trouvé un procédé plus qu’un style pour raconter ses différents patients. Mais je pense, aussi, que cela ne gênera pas grand monde pour apprécier ce roman.

Lors de la discussion de notre club, plusieurs lectrices se sont demandé ce qu’il en était du secret médical. Espérons qu’il a obtenu le consentement des patientes avant de raconter leurs histoires, car elles sont parfaitement reconnaissables. (Et personne ne lui a attribué de coup de cœur.)

 

Extraits.

Début.

 C’est un petit cabinet médical. On y accède après avoir traversé un couloir en crépi beige, très beige, puis longé un patio fleuri, très fleuri. Parfois, ça sent les fleurs séchées, parfois rien du tout.
 Treize chaises grises et noires vous attendent dans une salle d’attente qui ne paie pas de mine.

Désespoir du médecin.

 Extirper. Vider. Déloger. Nettoyer. Désobstruer. Et pour quoi ? Pour le plaisir de regarder le corps revenir à la normale. Le sentir sous mes mains retrouver son intégrité. Quel frisson délicieux !
 Car notre ordinaire, à nous soignants, c’est l’échec. Une dépression, ça ne se videra jamais comme un abcès :  » je vais appuyer très fort ici, monsieur Soare, la tristesse va sortir, ça vient bien, je vois un peu de désespérance, j’appuie, encore, j’espère que ça ne fait pas mal ! »

Mme Chahid.

 « À la maison, ça va, mon deuxième fils, il m’a massé les jambes, c’est un bon garçon. J’ai aussi rendez-vous avec le médecin du travail, la dernière fois elle m’a affirmé :  » À trente ans on n’a pas mal au dos », ça tombe bien moi j’ai cinquante huit ans, j’ai tous les examens qui montrent que je mens pas, j’ai la scanner et la IRM. Sinon, j’ai failli vous amener mon deuxième fils, il a pris la pluie hier, mais il n’avait rien aujourd’hui, j’ai trouvé ça bizarre, c’est pas normal quand on a pris la pluie on devrait être malade, alors je vous l’amène si jamais il continue d’aller bien . »

Josette et son naturopathe.

En tout cas, je ne suis pas son naturopathe. Il prend 90 EUR la demi-heure, le cochon ! Josette paie, et puis elle paie, plus elle se persuade de pouvoir guérir de sa saloperie, pour une raison très simple, bête comme chou : il ne lui ferait pas payer une telle somme sans savoir de quoi il parle, le naturopathe, non ? Comme quoi, le cancer n’est pas un drame pour tout le monde.

La mort.

 Josette, elle, s’accroche, donne même le change, tient de petits discours tragiques comme quoi la mort ne l’effraie pas « c’est le terminus du train de la vie, de tout le monde descend ». Mais je sais à quoi elle pense secrètement : il y a encore une chance. Alors elles continuent la guerre.
 C’est indicible, ce qu’elle traverse en ce moment final où le corps et l’existence nous font comprendre qu’il va bientôt falloir rendre les clefs.
 Au fond elle voudrait arrêter de mourir.

26 Thoughts on “Où vont les larmes quand elles sèchent – Baptiste BEAULIEU

  1. keisha on 29 février 2024 at 08:13 said:

    Je n’ai lu que sa BD, et j’ai bien aimé.
    Les montants des consultations des médecins ne sont pas vraiment élevées, le mien disait que dans 26.50, ce qui faisait mal, c’était les 50. On était d’accord, c’est mesquin. est-ce à 30 maintenant?
    Dans mon désert médical, on ne râle pas, on est déjà content quand on a un médecin, et pour les spécialistes hé bien faut se déplacer assez loin, si on trouve!

    • oui c’est vrai que les salaires se sont tassés mais on ne peut pas réclamer l’égalité sociale et s’en étonner
      L’heure d’un garagiste c’est 50 euros je viens de lire ma facture du garage !!! mais est ce comparable ? Le garage ne reçoit rien de la Sécurité Sociale c’est à dire de nos impôts le médecin si .

  2. Bonjour,
    Impossible pour moi un tel livre, j’ai besoin d’échapper à la maladie, bien trop présente autour de moi, mais je comprends qu’il puisse être utile et toucher des lecteurs.
    Anne

  3. Violette, du blog Doucettement, a exprimé les mêmes bémols que toi. Dommage, le sujet est vraiment intéressant.
    Et je récupère ton lien pour l’activité sur le Monde du travail !

  4. Je l’entends parfois sur France-Inter et même s’il dit souvent des choses intéressantes, je n’accroche pas à sa manière de raconter. Ce qui me fait penser que ses livres ne sont pas pour moi.

  5. J’ai lu une adaptation en BD (pas trop ta tasse de thé me semble-t-il) d’un autre de ses romans et c’était visiblement plus réussi sous cette forme. Ses chroniques radio sont en effet toutes sur le même schéma et si elles me paraissent souvent bien vues, je n’accroche pas moi non plus à sa facon de les dire.

  6. Nos avis se rejoignent, je crois. J’ai adoré d’emblée, très emportée par le ton et le contenu et je me suis lassée aussi vite, trouvant le tout un peu caricatural.

  7. Je n’ai jamais lu l’auteur mais j’en ai beaucoup entendu parler. Dommage pour le style, l’écrit n’étant pas le parlé mais tu m’as néanmoins intriguée avec ce roman….

  8. Un côté bien rôdé et artificiel du coup … Je ne pense pas avoir envie de lire un médecin qui se sert des histoires de ses patientes pour en faire un « procédé » … Pas très respectueux comme démarche !

  9. Ton club (et toi aussi) semblez assez mitigé sur cette lecture.

  10. J’ai aimé l’écouter dans un podcast qui lui était consacré mais ça m’a suffit et tu confirmes.

  11. Melanie on 8 mars 2024 at 19:19 said:

    J’ai lu récemment cet auteur car j’ai reçu en cadeau son roman « Alors vous ne serez plus jamais triste » ; c’est une sorte de fable, toujours sur un médecin, veuf inconsolable déterminé à mettre fin à ses jours et sauvé par une vieille dame indigne. On peut dire que ça se lit, mais sur la forme ça n’a rien d’extraordinaire et il y a un côté répétitif un peu lassant.

  12. Melanie on 8 mars 2024 at 19:22 said:

    Sur l’aspect du secret médical que tu soulèves pour son dernier roman, je pense qu’il a dû suffisamment modifier les histoires pour qu’on ne puisse pas reconnaître les situations, ou alors qu’il a obtenu l’accord de ses patientes, car je le vois mal enfreindre ce secret.

    • je l’espère aussi mais la personne qui est morte ne pouvait guère donner son avis. Pour la langue, je dirais plutôt pour son style, j’aime sa pudeur.

  13. J’avais lu le billet de Violette à propos de ce roman, il m’avait bien tentée malgré ses bémols. maintenant, je ne sais plus et c’est peut-être mieux comme ça !

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