Édition Zulma . Traduit de l’islandais par Éric Boury.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Appelés en 2013 à élire le plus beau mot de leur langue, les Islandais ont choisi un substantif de neuf lettres désignant une profession médicale : Ijósmóðirin, sage femme. Dans son argumentaire, le jury souligne qu’il unit deux mots magnifiques : móðir qui signifie mère et Ijós, lumière.

Ce roman m’a fait du bien dans des moments où le monde devenait fou . Partir dans les réflexions d’une sage-femme elle même petite fille et arrière petite fille de sage-femme et découvrir l’Islande ancienne et actuelle m’a permis d’oublier la guerre et toutes ses conséquences. J’ai eu envie de noter beaucoup de phrases qui me plaisaient, ma préférée est sans doute celle que prononçait sa grand-tante à chaque naissance

Bonjour petit être. Tu es le premier et le dernier toi en ce monde.

Le reste du livre est constitué par une recherche pour comprendre ce que la grand-tante a voulu léguer à sa petite nièce. Dans son appartement que l’héroïne devra rénover, elle trouve une correspondance avec une amie Galloise et surtout des textes qui pourraient être publiés. Mais que voulait vraiment dire Frida ? Tout ce que l’on comprend c’est que sa recherche associait la naissance à la lumière. Ce n’est pas très facile de comprendre ce que sa tante voulait dire, d’ailleurs sa petite nièce renoncera à vouloir le faire publier.
Les moments que nous passons dans l’Islande actuelle, nous vivons des accouchements, une tempête d’hiver et une belle ballade vers les aurores boréales . Ce n’est sans doute pas un grand roman car il est trop décousu à l’image de la tentative de sa grand-tante de comprendre l’humanité mais on y est bien, je l’ai lu avec grand plaisir et j’espère retenir ma phrase préférée.

 

 

Citations

Naissance

Le thermomètre sur le rebord extérieur de la fenêtre affiche moins quatre degrés et l’animal le plus vulnérable de la terre repose sur la balance, nu et démuni, il n’a ni plume ni fourrure pour se protéger, ni carapace, ni poils, rien qu’un fin duvet sur le sommet de la tête, un duvet que la clarté bleu du néon traverse. 
Il ouvre les yeux pour la première fois. 
Et voit la lumière. 
Il ignore qu’il vient de naître.
 Je lui dis, bienvenue, mon petit.
 Je lui essuie la tête, je l’enveloppe dans une serviette puis je le donne à son père qui porte un t-shirt avec l’inscription « le meilleur papa du monde ».
Bouleversé, l’homme pleure. c’est terminé. La mère épuisée sanglote aussi.
 Le père se penche avec son bébé dans les bras et l’allonge prudemment sur le lit à côté de la femme. L’enfant tourne la tête vers la mère, il la regarde, les yeux encore emplis de ténèbres venus des profondeurs de la terre.
 Il ne sait pas encore qu’elle est sa mère.
Elle le regarde et lui caressé la joue d’un doigt. Il ouvre la bouche. Il ignore pourquoi il est ici plutôt qu’ailleurs. 
– Il a du roux dans les cheveux comme maman, remarque la parturiente. 
C’est leur troisièmes fils. 
– Ils sont tous nés en décembre, commente le père. 
J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. je suis la mère de la lumière. de tous les mots de notre langue, je suis le plus beau- « Ljómodir » (mère de lumière)

Des phrases que j’aimerais retenir.

 L’homme doit d’abord naître pour pouvoir mourir.
 Il n’y a pas grand chose sous le Soleil 
qui puisse surprendre une femme ayant une si longue expérience du métier. 
Si ce n’est de l’être humain lui-même.
En réalité, l’animal le plus précaire de la terre ne se remet jamais d’être né.

 Présentation de ses parents (je me demande ce que sont des cercueils qui ne sont pas à usage unique ? ? ?.)

 Nos parents dirigeaient et dirigent encore aujourd’hui une modeste entreprise de pompes funèbres avec mon beau-frère, le mari de ma sœur. Comme le dit ma mère, les affaires sont « florissantes » puisque tout le monde doit mourir un jour. C’est mon grand-père paternel qui a fondé cette entreprise, il fabriquait lui-même les cercueils, solides et soignés, avec du bois de qualité. Mais c’est une épopée révolue, désormais les cercueils sont « à usage unique et importés », comme le regrette mon père. C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale, ce que souligne très justement ma mère.

Repas en famille.

 Au dernier repas de familles, ma mère a passé toute la soirée à parler de la mort. Papa hochait régulièrement la tête et mon beau-frère l’écoutait avec attention. Après, il est allé dans la cuisine pour remplir le lave-vaisselle et mes parents ont continué à discuter du prix des cercueils, de leur qualité et des commandes en cours.

Les journées d’hiver en Islande.

 Je tente de lui expliquer que le jour se lève et prend fin très vite après, finalement j’exprime les choses d’une autre manière : le Soleil apparaît à l’horizon peu avant midi et disparait vers trois heures. L’aube s’étire en longueur toute la matinée et trois heures après la parution de la lumière, l’air s’assombrit à nouveau et le soleil s’enfonce dans la mer.

La philosophie de sa grand-tante sage femme comme elle.

 Même si elle ne croyait pas en l’homme, ma grand-tante avait foi en l’enfant. Ou disons plutôt : elle ne croyait en l’homme qu’en deçà de 50 cm. Cela correspond également aux récits de ses collègues de la maternité. selon elle, il y avait d’une part l’être humain et d’autre part, l’enfant. tout ce qui était petit, et de préférence plus petit que petit, vulnérable et faible, suscitait son intérêt et éveillait sa tendresse, que ce soit dans le monde des hommes, dans le règne animal ou végétal.

Point final.

 Là où les manuscrits se contredisaient, c’est que même si ma grand-tante prévoyait la disparition de l’être humain, elle supposait qu’il y aurait dans le monde du futur une place non seulement pour les animaux et les plantes, mais aussi pour les enfants. Et pas uniquement eux puisque deux autres catégories y seraient également représentées . D’une part les gens qui avaient conservé leur âme d’enfant, « qui s’amusaient à souffler sur les graines de pissenlits et savaient s’étonner », et d’autre part – ce qui n’a rien de surprenant, a souligné ma sœur- les poètes.
Voici les listes des mots qui veulent dire brouillard et neige en islandais je les ai pris en photo car c’est trop compliqué à écrire.

 

Édition Belfond. Traduit de l’allemand par Rose Labourie.

J’avais choisi ce gros roman dans ma médiathèque préférée en pensant au mois « les feuilles allemandes » de Patrice et Eva. Mais le choc incroyable que m’a procuré ce livre, est tel que je veux partager avec vous au plus vite cette lecture. Saurais-je rendre toutes la variété des émotions par lesquelles je suis passée en lisant ce roman ?
Cette auteure est d’origine géorgienne et est, d’après la quatrième de couverture, déjà très connue en Allemagne. Le roman commence par l’évocation de la vie dans une région montagneuse en Tchétchénie, avant les deux guerres qui ont détruit à jamais cette région qui n’a pas pu devenir un pays indépendant. En 1999 une jeune fille Nura, cherche à s’extraire de traditions qui l’étouffent, elle décide de fuir son pays et pour cela doit réunir de l’argent. Les pages du prologue qui lui sont consacrées nous permettent de connaître un peu mieux cette superbe région montagneuse et isolée aux mœurs assez rudes très influencées par la religion musulmane et les lois claniques de l’honneur. Nous allons repartir en 1995 avec un jeune Russe qui est élevé par une femme veuve de guerre. Son père officier de l’armée soviétique a été tué en Afghanistan, son fils est élevé dans le souvenir de la gloire du grand héros. Il ne se sent nullement l’âme d’un soldat malgré la volonté de sa mère, lui, il aime la littérature et les doux baisers de Sonia. Ce personnage nous permet de découvrir la vie d’un jeune sous l’ère Brejnev et entre autre, la division très forte entre les classes sociales qui se dissimule sous une égalité de façade. Sa mère et lui appartiennent à la classe des dirigeants communistes avec tous les privilèges qui vont avec dont un niveau culturel très élevé. Sonia est une enfant qui grandit dans l’immeuble d’en face, immeuble occupé par des gens pauvres qui se débrouillent pour survivre, et qui sont violents et le plus souvent délinquants.

Ensuite nous serons en 2016 avec des personnages qui vont se croiser à Berlin, Le Chat est le surnom d’une jeune actrice d’origine géorgienne (comme l’auteure), grâce à elle nous découvrirons la vie des exilés venant des anciennes républiques soviétiques et vivant à Berlin. C’est passionnant, j’ai rarement lu des pages qui racontent aussi bien la nostalgie du pays que les exilés ont dû fuir. Puis nous découvrirons la Corneille qui est un ancien journaliste allemand et qui semble fuir un passé très lourd. Enfin le personnage appelé le Général, celui qui tire les ficelles de toute cette histoire .

Nous retournerons en Tchtchénie car c’est bien là que l’intrigue de cet incroyable roman se noue. L’auteure décrit la conduite de l’armée soviétique, certaines scènes sont absolument insoutenables, en particulier celle qui sera le coeur du roman et amènera le dramatique dénouement.
Je ne veux pas vous en dire plus car cette écrivaine de très grand talent sait mêler les différents fils de l’intrigue et la découverte peu à peu des différents périodes de la décomposition de l’ancien régime soviétique et ce qui s’est passé dans les anciennes républiques. Depuis ma lecture de Svetlana Alexievitch je sais que l’armée soviétique est une horreur pas seulement pour ses ennemis mais aussi par sa façon de traiter ses propres soldats. La destruction des familles en particulier des pères à cause de ce qu’ils ont vécu pendant la guerre est un des fils conducteur de ce roman.

La misère du peuple russe et l’enrichissement d’une petite poignée d’hommes qui ont su mettre la main basse sur les oripeaux du régime soviétique est très bien raconté, ainsi que celle de la montée en puissance de truands capables de toutes les atrocités que l’on peut imaginer et même pire !

Enfin ce livre nous pose le problème de notre bonne conscience, c’est si facile lorsque nous n’avons pas eu à nous confronter à une guerre civile, à la faim, à la peur. Le confort d’une vie sans soucis peut nous rendre si facilement intransigeants et si sûrs de nos principes moraux.

Le souffle qui parcourt tout ce roman nous entraine sans nous laisser une minute de répit, Nino Haratischwili donne à tous ses personnages une profondeur et une complexité qui correspond aux lieux dans lesquels ils évoluent, pour une fois je comprends et j’accepte que cela ne puisse s’exprimer que dans un pavé de six cent pages que j’ai avalé d’une traite. Le long désespoir dans lequel elle nous fait entrer nous oblige à nous souvenir de l’indifférence avec laquelle nous avons entendu parler de guerres qui se déroulaient dans des pays que nous imaginions si loin de nous. Les chars de Poutine ont de nouveau envahi un pays de l’ex-union soviétique, j’imagine que tous les exilés qui ont connu les méfaits de cette armée doivent suivre avec rage et fatalisme le renouveau de la fierté du grand frère russe.

Je trouve que ce roman (bien qu’écrit par une auteure allemande) a sa place dans « le mois de l ‘ Europe de l’Est » initié par Patrice Eva et Goran

 

Citations

Je préfère que l’on traduise les mots étranger !

 Ils étaient considérés comme trop tendre et trop efféminé pour les montagnes, un genre de dommage collatéral pour le « taip« , inéluctable et à l’utilité minimale, il n’y avait pas long de guerriers en lui, il était donc pas à un véritable « nochtso« .

Passage intéressant .

Liouba vient de fêter ses vingt ans, elle est née à Oufa en 1942, autant dire sur une autre planète, en pleine misère des arrière où s’entassent les évacués, à mille cinq cents bornes de Moscou. Là-bas, sa maman a servi de traductrice d’appoint à un éminent français, qu’elle devait surveiller par la même occasion -Monsieur Maurice, on l’appelait. Maurice Thorez. Déserteur de l’armée française, déchu de sa nationalité, le dirigeant du PCF n’en restait pas moins homme. Dans ce trou à rat qu’était Oufa, où l’on mangeait des corneilles et sucer les racines, il bénéficia de rations augmentées réservées à l’élite du NKVD, ce qui le rendait encore plus charmant.

Dans les montagnes du Caucase.

 Les villageois causaient, mais personne ne s’en était mêlé, ce n’était pas une « nochtscho, » c’était une étrangère, une socialiste athée venue du nord, -comment aurait-elle su ce qu’était un vrai deuil, la manière dont il convenait de pleurer un homme ? Oui, oui, les gens de la ville étaient dépravés, ils étaient sortis du droit chemin, les communistes les avaient corrompus, mais il y avait de l’espoir -c’était ce que chuchotaient les anciens-, depuis peu, il était de retour, cet espoir lancinant, depuis que le géant était tombé comme un éléphant malade, depuis que le parti démocratique vaïnakh avait été fondé, depuis que la dépendance avait été proclamée ! Il y avait de l’espoir qu’Allah accorde à nouveau sa bénédiction au pays !

Une mère soviétique

 Sa mère affichait toujours la même expression pour raconter ses faits d’armes, chose qu’elle avait faite inlassablement tout au long de l’enfance de Malich, comme si elle avait prêté serment et s’était engagée, après la mort de son mari, à ne vivre plus que pour raconter aux survivants et surtout à leur fils unique le titan que son mari avait été, venu au monde au moins pour sauver l’humanité -sauf qu’en Afghanistan, cette dernière n’avait aucune envie d’être sauvée.
Parfois, il se demandait si Chouïev n’avait pas connu son père et si sa mère ne se cachait pas derrière tout ça. Ce qui aurait signifié que c’était à elle qu’il devait d’avoir été envoyé au combat dès sa première mission, sachant qu’il était l’un des moins expérimentés et des moins chevronnés. Ou peut-être l’avait-on embarqué à Grosny pour faire office de chair à canon ? Quoi qu’il fasse, il y resterait de toute façon, permettant ainsi à sa mère, selon la logique guerrière, d’obtenir enfin le statut tant convoité de double veuve de guerre.

L’effondrement de l’URSS.

Le pays se morcelait de plus en plus, il régnait partout une odeur de fruits pourris et de papier anti-mites. Optant pour une thérapie par électrochoc, le premier président élu par le peuple de l’histoire russe décida qu’en l’espace d’une année, le capital public devait être privatisé et les prix (à l’exception de l’énergie, du lait et de la vodka) libéralisés. D’après un rapport du quotidien Izvestia, l’inflation était supérieure à deux cent pour cent. L’offre des grands magasins et des « gastronom », qui n’était pas spécialement fourni auparavant se trouve en un rien de temps réduite à la portion congrue, et quand les rayonnages se remplissaient enfin, ils se vidaient aussitôt, car les citoyens, paniqués, faisaient des réserve. Le prix du pain fut multiplié par six.

La force des mafieux russes.

 Un an plutôt, j’étais pourtant fermement convaincu que je ne me retrouverai plus jamais, au grand jamais, dans les griffes d’Orlov, qu’au cours de ma vie, j’éviterai désormais tout ce qui risquait de me rappeler son nom. Mais peut-être, au fond de moi, avais-je toujours su qu’il était impossible de lui échapper : il se prenait pour Dieu depuis tellement longtemps qu’à force, les autres lui vouaient un culte, le suivaient aveuglément, acceptaient sa colère comme un juste châtiment. Peut-être n’étais-je malgré tout rien d’autre que l’un de ses disciples ? Peut-être savais-je déjà, au moment où je m’étais aventuré dans sa vie, que mon histoire de pouvait être racontée que dans ces conditions -ses conditions à lui ?

La Géorgie.

 Nodar était parti, et la liberté était arrivée -liberté sanglante, à l’odeur de rouille, dont les gens ne savaient que faire. Car ils l’avaient payer le prix fort : elle leur avait coûté tout ce qu’il possédait, jusqu’à la vie pour un certain nombre d’entre eux.
 Les chars russes sillonnaient la capitale et, la nuit, des chiens errants affamés aboyaient parce que des balles fusaient à chaque coin de rue. Tout s’effondrait comme un château de sable emporté par une vague inattendue, et les structures en vigueur jusque là était remplacées par l’anarchie et la confusion, par les ténèbres et un froid qui n’en finissait pas .

Un superbe passage.

Puisqu’il leur était possible de faire ce qu’ils avaient fait, puisqu’il lui était possible de faire ce qu’il avait fait sans que personne ne l’en empêche, sans que personne ne le retienne, puisqu’il était possible qu’Aloicha appuie simplement sur la détente et que la gorge de Nura soit serrée jusqu’à ce que son dernier souffle s’en échappe, puisqu’il a été possible à tous de trancher entre la vie et la mort sans devoir en payer le prix, puisqu’il était possible de se défaire de son humanité d’une seconde à l’autre, comme d’un vieux manteau alors l’humanité ne valait rien. Un homme qui cherchait la vérité se faisait abattre de trois balles sur un parking de la plus indigne des manières -toute tentative de morale ou d’action morale étaient dérisoires. Chaque chose qu’il avait faite dans sa vie jusque-là en estimant que c’était le bon choix n’avait été que perte de temps. dans un monde où on se retrouvait forcée de choisir entre devenir un meurtrier et se tirer une balle dans la tête, dans un monde où l’on violait parce que l’occasion se présentait, il n’y avait plus de bonne option. Il ne restait qu’une seule aspiration, l’aspiration au pouvoir. Un pouvoir qui ne connaissait ni compassion ni miséricorde et était sa propre fin. 
À compter de maintenant, il n’y avait plus qu’une voie, une voie qui allant tout droit dans une direction, est cette direction était la mauvaise, mais dans ce monde, elle semblait bien être la seule possible

 

Jorj Chalandon est un habitué sur Luocine avec parfois d’excellent romans et parfois des déceptions.

Retour à Killiberg, le Quatrième Mur, Profession du père, sont pour moi de grands romans , un peu déçue par Le jour d’avant, et un petit flop par La Légende de nos pères, celui-ci rejoint mes préférences . Le sujet était particulièrement compliqué, Sorj Chalendon est journaliste et doit couvrir le procès Barbie en 1987 à Lyon où habite son père qui lui demande un passe droit pour suivre ce procès. C’est aussi l’occasion de rouvrir le dossier de son père qui a passé son temps à mentir à son fils sur son passé pendant la deuxième guerre . A-t-il été résistant ? Soldat SS ? Engagé dans la division Charlemagne ? a-t-il suivi les divisions allemandes pour lutter contre le communisme ? Son attitude lors du procès de Barbie est tellement désagréable, que son fils part à la recherche du procès pendant lequel son père a été condamné à un an de prison et à cinq ans d’indignité nationale.

Le roman débute par la visite du journaliste à Izieu, il visite cette colonie de vacances où des enfants juifs étaient cachés et semblaient en sécurité, ces pages sont d’une intensité rare et l’écrivain sait rendre ces enfants présents dans nos mémoires. Ce sera aussi un des moments les plus émouvants du procès.

Son père se comporte comme à son habitude, méprisant et bernant toutes les autorités : il se fait passer pour un héros de la résistance et obtient une place au procès car il veut absolument voir Barbie. Il méprise tous les témoignages des gens qui selon lui, ne sont bons qu’à pleurnicher. En revanche Barbie et Vergès lui plaisent bien ainsi que Klarsfeld car ces hommes lui semblent être d’une autre trempe. Son fils est excédé par son attitude et essaie de le confronter à son passé car il a pu obtenir le dossier judiciaire de son père grâce auquel il espère enfin le confronter à la réalité.

Les deux histoires se développent au rythme du procès officiel de Klaus Barbie, celui de son père est plus embrouillé mais implacable contre les mensonges de celui qui a gâché son enfance. Le procès de Barbie, ne permet pas d’obtenir la moindre repentance du bourreau de Lyon, mais la succession des témoignages de ceux qui ont eu à souffrir des conséquences de ses actes est à peu près insoutenables. Cela fait sourire son père , il ne voit le plus souvent qu’une machination d’une justice qui de toute façon condamnera Barbie. Son fils est écœuré, les bravades et rodomontades de son père ne l’ont jamais fait rire quand il était enfant, mais la différence c’est qu’il n’en a plus peur. La dernière scène est terrible laisser ce vieil homme face à toutes ses lâchetés lui qui s’est toujours présenté comme un héros sent la catastrophe possible. Le roman se termine là face à la Saône que son père veut traverser à la nage mais l’auteur tient à nous préciser que finalement son père est mort en 2014, Barbie en 1991 et que lui même a obtenu le dossier de son père en 2020. Donc ce livre est bien une fiction et pas une autobiographie, ce qui ne lui enlève aucune valeur à mes yeux, je dirai bien au contraire.

 

Citations

 

Conversation avec son grand-père qui donnera le titre à ce livre.

– Ton père, je l’ai même vu habillé en Allemand, place Bellecour.
À l’école primaire, pendant un trimestre, mon père m’avait obligé à porter la Lederhose la culotte de peau bavaroise, avec des chaussettes brunes montées jusqu’à la saignée des genoux. C’était peut-être ça, habillé en Allemands ? 
-Arrête donc avec ça ! a coupé ma marraine. 
Mon grand-père a haussé les épaules et rangé la pelle le long de la cuisinière. 
-Et quoi ? il faudra bien qu’il apprenne à jour ! 
– Mais qu’il apprenne quoi, mon Dieu, c’est un enfant ! 
– Justement C’est un enfant de salaud, et il faut qu’il le sache ! 
C’était en 1962, et j’avais dix ans.

Petite Remarque sur la personnalité de son père.

 Il a regardé autour de lui. Toujours, il cherchait à savoir si on le remarquait, entre la crainte d’être écouté et l’espoir secret d’être entendu.

Le personnage son père

 -Mon père a été SS. 
J’ai revu mon père, celui de mon enfance, son ombre menaçante qui n’avait jamais eu pour moi d’autres mains que ses poings. Depuis toujours mon père me frappait. Il avait soumis son enfant comme on dresse un chien. Lorsqu’il me battait, il hurlait en allemand, comme s’il ne voulait pas mêler notre langue à ça. Il frappait bouche tordue, en hurlant des mots de soldat. Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tous vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. Qui se moquait de ceux qui n était pas lui. Qui les cassait par ces mêmes mots :
– Je suis bien placé pour le savoir !

La repentance qui ne vient pas.

 Il n’avait pas payé et je lui en voulais. Payer, ce n’était pas connaître la prison, mais devoir se regarder en face. Et me dire la vérité. Il a comparu devant des juges, pas devant son fils. Face à eux, il a hurlé à l’injustice. Face à moi, il a maquillé la réalité. Comme s’il n’avait rien compris, rien regretté jamais.

Éditions Fleuve. Traduit dujaponais par Diane Durocher.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Toujours dans le thème  » du Japon » du club de lecture, ce roman décrit un homme en proie à la souffrance de voir sa mère s’en aller dans le pays si étrange de la maladie d’Alzheimer. J’écris cet article alors que la France est secouée par un livre reportage sur les EHPAD. À La fin de ce roman, Izumi laissera sa mère Yuriko dans une maison où nous aimerions tous finir nos jours ou y laisser ceux que l’on a tant aimés.

Ce n’est pas le sujet du roman mais cette dernière demeure donne une idée de ce que peut être un lieu d’accueil réussi pour ceux qui n’ont plus leurs facultés cognitives. Cela ressemble à des endroits où au lieu de séparer les gens âgés, ou handicapés on les fait vivre au milieu des enfants ou de gens bien portants.
Mais partons dans la vie d’Izumi qui marié à Kaori, va bientôt être père. Il doit l’annoncer à sa mère qui l’a élevé seule sans jamais lui dire qui a été son père. Cet adulte s’est donc construit sans image paternelle et il est très angoissé à l’idée d’être père. Kaori et lui travaillent dans le monde de l’image et de la musique. Ils ne sont pas eux-mêmes musiciens mais il sont dans une grande agence qui « fabrique » les carrières des artistes. Cela nous vaut une plongée assez intéressante dans ce monde artificiel des « communicants » de ce monde du spectacle, les rivalités, l’argent, le pouvoir, mais à la mode japonaise, où tout l’art est de garder pour soi ses réactions et ne jamais rien laisser paraître de ses propres sentiments. Izumi est très absorbé par son travail et, s’il n’a pas abandonné sa mère, il va de moins en moins souvent la voir, et surtout refuse de se rendre compte que celle-ci a des problèmes de mémoires.

L’originalité de ce texte et qui l’a rendu très touchant à mes yeux, c’est le renversement de ce à quoi on s’attend. C’est sa mère qui est farouchement attachée à des souvenirs que lui a oubliés. Et en remontant dans les souvenirs de la vieille dame Izumi se rend compte combien il a été aimé et quelle force il a fallu à sa mère pour lui donner l’éducation dont il profite aujourd’hui. Pourtant, il y a une année où il a vécu seul vaguement surveillé par sa grand-mère. Pour découvrir cette année, l’auteur aura recours au cahier intime de sa mère. Il découvre une femme passionnément amoureuse d’un homme marié à une autre. Cette parenthèse amoureuse se terminera par le séisme de 1995 Kobé

(le décompte officiel des conséquences de ce séisme se chiffre à plus de 6 437 morts, 43 792 blessés et des dégâts matériels se chiffrant à plus de dix-mille milliards de yens, soit 101 milliards d’euros. On dénombre 120 000 bâtiments détruits ou endommagés et 7 000 brûlés, la destruction des polders du port de Kobé et plus de 250 000 déplacés pendant plusieurs mois. extrait de l’article de Wikipédia )

Cette plongée dans le Japon a toujours, pour moi, un exotisme qui m’empêche d’être totalement enthousiaste -c’est pourquoi je ne lui attribue pas cinq coquillages. Par exemple je n’arrive pas à comprendre comment cette mère si attentive peut laisser son fils collégien (12 ou 13 ans) vivre seul pendant un an sans même prévenir sa propre mère, c’est Izumi qui doit le faire. On ne saura jamais qui est le père d’Izumi cela perd de son importance dans le roman sans que je comprenne pourquoi. Pas plus qu’on ne saura c’est qu’est devenu l’homme qu’elle a suivi à Kobé fait-il partie des 6437 morts ? Elle ne cherche pas à le savoir, son histoire avec lui s’arrête là et elle revient vers son fils qui visiblement fait comme elle : tous les deux mettent cette année entre parenthèses.
Comme souvent dans les romans japonais la cuisine est très importante et chaque souvenir est parfumé par l’odeur d’un plat particulier : la soupe miso, le boeuf au nouilles sautées, du shiruko ….

J’ai passé un bon moment avec ce roman, malgré mes quelques réserves.

 

Citations

Comparaisons tellement japonaises.

Izumi n’en pouvait plus de cette histoire et souhaitait en venir aux choses sérieuses mais il eut le bon goût de retenir sa langue. Il lui semblait qu’ils jouaient une partie de mikado, où le moindre geste trop empressé pouvait faire rouler toutes les baguettes. Kaori continuait de poser des questions sans montrer la moindre impatience, comme si elle essayait d’amadouer un chat.

Façon légère de décrire une scène émouvante.

 -Je me fatigue vite. Un ou deux élèves par jour, et je suis éreintée. 
-Tu pourrais arrêter. Tu as ta retraite, et puis je peux envoyer plus d’argent.
– Si je ne travaille plus, je ne suis plus utile à rien.
 Il ne sut que répondre. Se pouvait-il que les humains, telles des machines ou des jouets, deviennent inutiles ? Les mains de sa mère étaient recroquevillées l’une sur l’autre, comme pour cacher leur rides. 

Sujet du roman, paroles du médecin.

 Autrefois, notre espèce ne pouvait espérer atteindre les cinquante ans. Cette limite dépassée, nous avons commencé à voir apparaître les cancers. Maintenant que nous réussissions à les combattre et à rallonger d’autant nos espérances de vie, c’est Alzheimer qui nous rattrape… À chaque victoire, l’humanité doit se mesurer à une nouvelle menace.

Souvenirs qui vont constituer la trame du roman.

 « Pardon, maman. j’avais oublié. »
Elle l’avait embrassé, en pleurs, en le retrouvant à la fête foraine. Elle avait passé la nuit à lui coudre un sac pour ses vêtements de sport, alors qu’elle avait travaillé toute la journée. Elle lui donnait toujours la moitié de son omelette. Elle avait cherché avec la force du désespoir sa pochette fleurie, offert pour son anniversaire. Elle l’avait encouragé plus fort que n’importe quel autre parent lors d’un match (même si, sur le coup, c’était un peu embarrassant). Elle l’avait emmené au restaurant pour fêter ses réussites scolaires. Elle l’avait emmené au stade de baseball à vélo, le dos trempé de sueur. Elle lui avait préparé un délicieux « shiruko ». Elle lui avait fait la surprise de lui offrir une guitare électrique. Ce n’était pas vraiment la marque qu’il voulait, mais ça l’avait rendu heureux. Elle l’avait emmené en vacances au lac, et il avait pêché un gros poisson pour la première fois de sa vie. Elle non plus, d’ailleurs, n’avait encore jamais tenu de canne à pêche…
« Comment ai-je pu oublier tant de bonheur ? »

 

Édition Albin Michel Traduit de l’anglais (Canada) par Sarah Gurcel

Je dois cette lecture passionnante à Krol et je la remercie du fond du coeur. Je pense que toutes celles et tous ceux qui liront ce livre en resteront marqués pour un certain temps. À la manière des cernes concentriques d’une coupe transversale d’un arbre, le roman commence en 2038 avec Jacke Greenwood, guide dans une île préservée du Nord Canadien qui a gardé quelques beaux spécimens de forêts primitives. Puis nous remontons dans les cernes du bois avec son père Liam Greenwood, en 2008 charpentier, lui même fils de Willow Greenwood militante activiste écologique de la cause des arbres, élevée par un certain Harris Greennwood un puissant exploitant de bois en 1974, nous voyons la misère causée par la crise de 29 en 1934 et la naissance de Willow puis le début du récit en 1908. Ensuite nous remonterons le temps pour comprendre les décisions que devra prendre Jacke Greenwood en 2038.

Ne croyez pas vous perdre dans ce récit aussi dense qu’une forêt profonde. L’auteur a besoin de tout ce temps pour nous faire comprendre les catastrophes écologiques qui se sont passées dans son pays dont la nature semblait résister à tous les prédateurs, l’homme aura raison de ses résistances. On suit avec passion l’histoire de la filiation de Jacke Grennwood, mais ce n’est vraiment pas aussi important que l’histoire des arbres canadiens que Michael Christie raconte sur plus d’un siècle. Les récents incendies de forêts et les inondations de la région de Vancouver prouvent que l’écrivain n’écrit pas tant un roman du futur mais plutôt ce qui se passe aujourd’hui. Dans un article de Wikipédia voilà ce que vous pourrez trouver :

Facteurs aggravants

Les scientifiques sont d’avis que les coupes à blanc et les feux de forêts des dernières années ont joué un rôle dans les inondations dans l’intérieur de la Colombie-Britannique. La coupe à blanc a tendance à faire augmenter le niveau de la nappe phréatique et la perte des arbres par les deux phénomènes conduit à un plus grand ruissellement. Une étude par l’université de la Colombie-Britannique constate que la suppression de seulement 11 % des arbres d’un bassin versant double la fréquence des inondations et en augmente l’ampleur de 9 à 14 %93.

 

Tout commence donc par l’installation des colons au Canada qui chassent sans aucune pitié les habitants de cette région boisée. Dans cet univers très violent certains (très peu) font fortune et exploitent la misère de ceux qui ont cru trouver dans ce nouveau monde un pays accueillant. Puis nous voyons l’argent que l’on peut se faire en exploitant des arbres qui semblent fournir une ressource inépuisable, c’est vraiment le coeur du roman et qui peut s’appliquer à toutes les ressources que la terre a fournies aux hommes. Bien sûr, au début tout semble possible, il s’agit seulement d’être plus malin que les autres pour exploiter et vendre le bois dont les hommes sont si friands. Et puis un jour, des pans entiers de régions aussi grandes que des départements français sont rasés et rien ne repousse. La fiction peut s’installer : et si les arbres qui restent étaient tous en même temps atteint d’un virus mortel ? Alors comme dans le roman nous serions amenées à ne respirer qu’à travers un nuage de poussière de plus en plus dense ? Tous les personnages acteurs de ce grand roman, ont des personnalités complexes même si parfois, ils enfouissent au plus profond d’eux-mêmes leur part d’humanité.
Avec Keisha et Kathel je vous le dis : lisez et faites lire ce roman je n’ai vraiment aucun autre conseil à vous donner.
Et si, encore un conseil, je me permets de faire de la publicité pour une petite entreprise bretonne (Ecotree) qui vous permettra d’offrir un arbre comme cadeau. L’idée est originale et a plu à tous les parents à qui j’ai fait ce cadeau pour la naissance d’un bébé qui sera donc propriétaire d’un arbre dans des forêts françaises.

 

 

Citations

La catastrophe planétaire sujet de ce roman.

Dans l’absolu, Jake est libre de mentionner les orages de poussières endémiques, mais la politique de la Cathédrale est de ne jamais en évoquer la cause : le Grand Dépérissement – la vague d’épidémies fongiques et d’invasions d’insectes qui s’est abattue sur les forêts du monde entier dix ans plutôt, ravageant hectare après hectare.

Formule percutante.

Il n’y a rien de tel que la pauvreté pour vous faire comprendre à quel point l’intégrité est un luxe

Je pense souvent à ce paradoxe lorsque je vois la jeunesse écologique partir en vacances en avion aux quatre coins de la planète.

 Y en a-t-il seulement un parmi vous, poursuit Knut, pour apprécier « l’indicible ironie » de voir les membres de l’élite dirigeante est des célébrités venir jusqu’ici se revigorer spirituellement avant de pouvoir retourner, ragaillardis, à des vies qui, directement ou indirectement, portent notre planète à ébullition, condamnant un peu plus encore les merveilles de la nature auxquelles appartiennent les arbres sacrés qu’ils prétendent vénérer ?

Époque où on pense la ressource en bois éternelle.

Le papier lui-même a la couleur des amandes grillées. Il s’en dégage une robustesse qui date d’un temps où les arbres, en nombre illimité, étaient une ressource inépuisable. Un temps où l’on épongeait ce qu’on venait de renverser avec un rouleau entier d’essuie-tout et où l’on imprimait l’entièreté de sa thèse (ce fut son cas à elle) sur les seuls rectos d’une grosse pile de papier blanc comme neige.

1934.

Au cours de sa carrière, Harris Greenwood a présidé à l’abattage de plus de deux cent cinquante millions d’hectares de forêts primaires. certains arbres parmi les plus larges, les plus beaux, que la planète ait jamais portées sont tombés sur son ordre.
Sans les journaux et le papier, Greenwood Timber aurait déjà sombré. Harris fournit tous les périodiques canadien et la moitié de l’édition américaine. Il sera bientôt obligé de réduire en pâte à papier des arbres qui, jadis, auraient servi de colonne vertébrale à des palais, ce qui pour un homme du métier, revient à faire des saucisses avec un filet de choix. Tout ça pour que les gens puissent faire leurs mots croisés idiots et lire des romans de gare.

L’installation des colons en 1908.

 Quand le couple arriva au « Pays des Arbres », ils découvrirent que les trente arpents densément boisés qu’ils avaient demandés au Bureau du cadastre canadiens étaient déjà occupés par une bande d’Iroquois nomades, chassés des territoires où ils posaient d’ordinaires leurs pièges par une entreprise locale exploitation forestière. Malgré ses façons charitables James Craig acheta un fusil et monta une milice de gens du coin pour chasser les Indiens de sa propriété un acte brutal mais nécessaire auquel beaucoup d’entre nous avaient déjà été contraints. Certains ont refusé de partir, montrant tant d’arrogance qu’il n’y eût eu d’autre choix que de les exécuter pour l’exemple et de brûler leurs femmes et leurs enfants.

En 1934 des Américains vendent du bois aux Japonais.

Je ne suis toujours pas convaincu qu’il soit dans notre intérêt de conclure ce contrat. le Japon a envahi la Mandchourie et s’est retiré de la Ligue des Nations. Kes gens parlent de cette Hirohito comme si c’était le frère aîné de Jésus et on ne pourrait pas jeter une balle de baseball dans le port sans toucher un navire de guerre. À mon avis ils n’ont qu’une envie c’est se battre. Et devinez avec qui ?

Réflexions sur le Canada

S’il est vrai que les États-Unis se sont construits sur l’esclavage et la violence révolutionnaire, songe-t-elle en regardant les hommes travailler, alors assurément son propre pays, le Canada, est né d’une indifférence cruelle, vorace, envers la nature et les peuples autochtones. « Nous sommes ceux qui arrachent à la terre ses ressources les plus irremplaçables et les vendent pour pas cher à quiconque a trois sous en poche, et nous sommes prêts à recommencer le lendemain » telle pourrait être la vie la devise de Greenwood et peut-être même du pays tout entier.

 

 

Édition Métallier, Traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Sur Luocine, de cette écrivaine, vous trouverez » le territoire des barbares » « Le roi transparent » « L’idée ridicule de ne jamais te revoir » et mon grand coup de coeur : « La folle du logis« . « La bonne chance » m’a fait passer un très bon moment et pour une fois je recopie une phrase de la quatrième de couverture avec laquelle je suis d’accord :

La plume de Rosa Montero est un heureux antidote contre les temps qui courent.

J’aime que l’on me raconte des histoires et Rosa Montero fait partie des auteurs qui les racontent parfaitement. Je ne cherche pas à être objective, donc, je la remercie de m’embarquer dans son imaginaire.

Le récit démarre de façon magistrale et très accrocheuse : un homme dont on ne sait rien achète comptant un appartement qui longe la voie ferré, sur laquelle roule les trains à grande vitesse. Cet appartement est dans un immeuble crasseux dans une petite ville Pozonegro, autrefois riche d’une exploitation minière et complètement à l’abandon. Que fait cet homme dans cet endroit sinistre ? Quel lourd secret cache-t-il ? Que fuit-il ? Toutes ces questions trouveront leur réponse et peu à peu se mettra en place une intrigue romanesque qui oppose la gentillesse de Raluca la jeune fille d’origine roumaine, la bêtise des voyous du villages, en particulier l’homme qui a vendu l’appartement à Pablo car il soupçonne celui-ci d’avoir largement les moyens de leur donner encore beaucoup plus d’argent, mais surtout à la cruauté absolue de militants nazis qui planent comme une grave menace au-dessus de la tête de Pablo.

C’est le sens de tout le roman : que peut la gentillesse face à la bêtise et à la méchanceté ? La fin trop heureuse du roman m’a gênée et m’a empêchée de mettre 5 coquillages à ce roman. Je ne crois pas hélas que la gentillesse puisse lutter contre la cruauté, mais comme l’auteure j’aimerais le croire. La culpabilité de Pablo face aux choix de son fils, l’entraîne à inventer des histoires où il se donne à chaque fois le mauvais rôle , sans doute car il ne peut que s’en vouloir de la dérive ultra-violente dans laquelle s’est enfoncé celui-ci . J’ai bien aimé aussi l’évocation de la vie dans une petit ville autrefois ouvrière et où, aujourd’hui, le seul point vivant et le moins triste est un supermarché !

Sans doute pas le roman du siècle, mais un bon moment de détente et un écriture qui permet de comprendre un peu mieux la vie des espagnols d’origine modeste.

 

Citations

le cadre.

Pozonegro, une petite localité au passé minier et au présent calamiteux, à en juger par la laideur suprême des lieux. des maisons miteuses aux toitures en fibrociment, guère plus que des bidonvilles verticaux, alternant avec des rues du développement urbain franquiste le plus misérable, aux inévitables bloc d’appartements de quatre ou cinq étages au crépi écaillé ou aux briques souillées de salpêtre.

L’autocar arrive enfin à Pozonegro, qui confirme ses prétentions de patelin le plus laid du pays. Un supermarché de la chaine Goliat à l’entrée du village et la station-service qui se trouve à côté, repeinte et aux panneaux publicitaires fluorescents, sont les deux points les plus éclairés, propres et joyeux de la localité ; seuls ces deux endroits dégagent une fière et raisonnable d’être ce qu’ils sont, une certaine confiance en l’avenir. Le reste de Pozonegro est déprimant, sombre, indéfini, sale, en demande urgente d’une couche de peinture et d’espoir.

Une façon étonnante d’interpeller le lecteur.

L’AVE (train à grande vitesse espagnole) tremble un peu, il se balance d’avant en arrière, comme s’il éternuer, il s’arrête enfin. Surprise : cet hommes a levé la tête pour la première fois depuis le début du voyage et il regarde maintenant par la fenêtre. Regardons avec lui : un aride bouquet de voies vides et parallèles à la notre s’étend jusqu’à un immeuble collé à la ligne de chemin de fer.

La beauté.

Ou peut-être simplement parce qu’il est grand et mince et assez séduisant, ou que jeune il l’était. Pablo trouve ridicule cette valeur suprême que notre société accorde à l’aspect physique. C’est étudié par les neuropsychologues : les individus grands, minces et au visage symétrique sont considérés comme plus intelligents, plus sensibles, plus aptes, et comme de meilleures personnes. Quel arbitraire.

Vision du monde.

 Tu sais, à mon âge j’en suis venu à la conviction que les gens ne se divisent pas entre riches et pauvres, noirs et blancs, droite et gauche, hommes et femmes, vieux et jeunes, maures et chrétiens, dit-il finalement. Non. Ce en quoi se divisent vraiment l’humanité, c’est entre gentils et méchants. Entre les personnes qui sont capables de se mettre à la place des autres et de souffrir avec eux et de se réjouir avec eux, et les fils de pute qui cherchent seulement leur propre bénéfice, qui savent seulement regarder leur nombril.

Une personnalité heureuse et l’explication du titre.

 Par contre, j’ai été inconsciente tout le temps, à ce qu’on m’a raconté. C’est merveilleux, non ? tu imagines si j’avais été consciente de tout, tu imagines si je m’étais rendu compte que ce bout de ferraille s’était planté dans mon œil, quelle horreur super horrible, j’en ai la chair de poule rien que d’y penser ! Mais au lieu de ça je me suis évanouie et, quand je me suis réveillé, il m’avait déjà vidé l’orbite et ils avaient fait tout ce qu’ils avaient à faire. Quelle chance ! C’est que moi, tu sais, j’ai toujours eu une très bonne chance. Et heureusement que je suis aussi gâtée par la chance, parce que, sinon, avec la vie que j’ai eue, je ne sais pas ce que je serais devenue.

Remarque sur le pouvoir d’une belle voiture.

 Et puisque on en parle, à quel instant démentiel a-t-elle eu l’idée de s’acheter une lexus etc ? Elle a toujours aimé les voitures, mais s’infliger une telle dépense, commettre un tel excès… Elle a fait comme ces pathétiques vieux croûton bourrés d’argent qui s’achètent une décapotable pour draguer. Même si, à vrai dire, elle ne l’a pas tant acheter pour draguer que pour se sentir un peu moins minable que ce qu’elle se sent réellement. Les voitures donnent du pouvoir, et les vieux croûtons le savent bien.

Felipe a décidé de se suicider à 82 ans.

 Les mois de sa dernière année s’écoulaient et Felipe ne trouvait pas le jour pour se tuer, tantôt parce qu’il était fatigué, tantôt parce qu’il était enrhumé et d’autres fois encore parce qu’il se sentait plus ou moins à son aise. Et ainsi, bêtement, le temps avait passé, et il avait eu quatre-vingt-trois ans, puis quatre-vingt-quatre, et il a maintenant quatre-vingt-cinq ans et il est toujours là sur ses pieds, sans avoir la force de prendre la décision finale, bien qu’ils dépendent désormais complètement des bonbonnes d’oxygène et qu’il ait été pris en otage par un vieillard qu’il ne reconnait pas. Car vieillir, c’est être occupé par un étranger : à qui sont ces jambes des décharnées couverte d’une peau fragile et fripée, se demande l’ancien mineurs, hébété. Eh bien, même comme ça Felipe n’est pas capable de se tuer. Trop de lâcheté et trop de curiosité. Et la fascination de cette vie si âpre et si belle.

 

 

 

 

 

Éditions Gallimard

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Après « Chevrotine » et « Korsakov » voici un livre d’amour filial qui se brise sur un suicide. C’est peu dire qu’Eric Fottorino à aimé son père, celui qui lui a donné son nom en l’adoptant à 9 ans alors qu’il était le fils d’une mère célibataire. Le mariage de Michel Fottorino avec la mère d’Éric a été le plus beau cadeau que l’on pouvait faire à cet enfant qui à son tour a adopté cet homme en trichant parfois sur ses propres origines : il lui arrivait de faire croire qu’il était né à Tunis plutôt qu’à Nice, et que sa graphie était influencée par l’écriture arabe qu’il n’a jamais apprise (évidemment !). Dans cette autobiographie, l’auteur nous fait revivre ce père et tout ce qu’il a su donner à son fils. C’est un livre très touchant et écrit de façon très simple. Nous partageons toutes les interrogations et la tristesse de l’écrivain : pourquoi son père s’est-il suicidé ? Et est-ce que Éric, aurait pu empêcher ce geste terrible ?

Michel, celui qu’Éric a appelé « papa » même quand il a réussi à reprendre contact avec son père biologique n’a peut-être pas réussi à faire de son fils un champion cycliste mais il lui a donné assez de force et d’amour pour écrire un très beau livre qui respecte l’homme qu’il a été.

Citations

 

Comme je comprends !

 Cette phrase qui m’a ravagé, qui a ouvert la vanne des sanglots, disait : « Chapeau Éric, il a fait du chemin le gamin du Grand-Parc », allusion à la cité où j’habitais avec ma mère à la fin des années 1960 à Bordeaux, avant qu’ils se rencontrent et se marient, avant qu’il m’adopte, qu’il nous donne son nom à elle et à moi, ce nom que je porte comme un talisman, qui sentait la Tunisie du sud, les pâtisseries orientales, l’accent de là-bas, la chaleur et le bleu du ciel, Les dunes de Tozeur et le miel, quelque chose d’infiniment généreux qui passait dans sa voix ou dans ses seuls gestes quand il estimait que les mots étaient de trop et qu’il préférait se taire, promenant seulement sur moi un regard d’une tendresse sans fond ou recherchant la complicité d’un clin d’œil.

Quel amour !

Envie de l’appeler, d’entendre sa voix une dernière fois, pour la route, la longue route sans lui. Je ferme les yeux et il apparaît. Ce n’est pas un fantôme mais tout le contraire. Il a passé son chandail couleur corail, nous montons le Tourmalet, j’ai treize ans. Il est d’autant mieux devenu mon père que, de toutes mes forces et de toutes mes peurs, j’ai voulu devenir son fils. 

Et cette question que nous nous posons tous face à un suicide :

 Nous sommes rentrés à Paris, je n’avais pas parlé à mon père. il avait parfaitement donné le change, bravo l’artiste. Nous nous sommes embrassés. C’était la dernière fois. Je ne le savais pas. Lui si.
 Aurais-je pu l’empêcher ? Tous mes proches, la famille, mes amis, me disent « non ». Au fond de moi, je crois que « oui », et c’est horrible de vivre avec cette pensée. Je me dis que si je m’étais montré plus spontanément généreux, plus insistant pour l’aider, malgré sa répugnance à l’être, il aurait peut-être différé son geste, et là dessus le versement d’une retraite venu le dissuader d’en finir ainsi. À quoi bon se le dire ? Je me le dis pourtant. Ce que j’éprouve n’a pas de nom, de nom connu. Quelque chose de moi s’est détaché et flotte dans l’air, invisible et pourtant consistant. Je me sens triste sans tristesse, seul sans solitude, heureux sans joie.

 

Éditions Picquier Traduit de l’anglais par Santiago Artozqui

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Ce roman a obtenu un coup de coeur à notre réunion du mois de décembre, je me suis empressée de l’emprunter et si j’avais réussi à le lire avant notre réunion je l’aurais défendu malgré mes quelques réserves.

Il a tout pour plaire ce roman : sous-tendu par le drame personnel de trois femmes iraniennes réfugiées en Irlande dans le comté de Mayo, le roman dévoilera peu à peu les horreurs qu’elles ont vécues sous la répression aveugle du shah d’Iran et la montée de l’intolérance islamiste. Dans ce petit village de Ballinacroagh, elles ouvrent un restaurant aux saveurs de leurs pays, et sont à la fois bien accueillies par une partie de la population et en butte à ceux qui voient d’un mauvais œil ces femmes venues d’ailleurs. Le style de Marsha Mehran est emprunt de poésie à l’image des contes perses et contribue au charme un peu envoutant de ce récit. Et puis, ce roman est un hymne à la cuisine iranienne, on savoure ces plats (que je me garderai bien d’essayer de reproduire malgré les recettes qui sont généreusement expliquées) tant elles demandent des épices que je ne saurai trouver sur mon marché de Dinard et tant elles me semblent complexes à réaliser. Ce qui est très bien raconté ici, c’est le poids de la cuisine dans l’exil : refaire les plats aux saveurs de son pays, c’est un peu vaincre la nostalgie de la douceur de la vie familiale qui a été détruite par des violences telles que la seule solution ne pouvait être que la fuite.

La description des habitants du village irlandais manque de nuances, il faut l’accepter pour rentrer dans le récit. Le succès du restaurant tient de l’envoutement pour des parfums d’épices venues d’ailleurs. L’amour de la plus jeune des sœurs pour le fils du personnage odieux qui veut racheter leur boutique relève du conte de fée . Cela ne m’a pas empêchée de passer plusieurs soirée en compagnie de ces personnages dans ce petit village arrosé d’une pluie continue ou presque. J’ai aimé le courage de ses trois femmes et de leur volonté de vivre quel que soient les drames qu’elles ont traversés. Évidemment, on pense à tous ceux qui ont essayé de fuir des pays où des répressions sans pitié écrasent toute tentative de vie libre.

La mort tragique de cette jeune auteure d’origine iranienne est un poids supplémentaire à la tristesse qui se dégage de cette lecture qui se veut pourtant résolument optimiste. Le roman se situe en effet à une période où les réfugiés iraniens trouvaient leur place dans un monde qui était plus ouvert aux drames des pays soumis à des violences inimaginables. Ce monde là, appartient au passé car nos civilisations occidentales sont surprises par l’ampleur des drames des pays à nos frontières et se sentent démunies face à l’accueil de pauvres gens chassés de chez eux et prêts à risquer leur vie pour un peu de confort dans un monde plus apaisé. Ce n’est pas le sujet de ce roman mais on y pense en se laissant bercer par le charme des saveurs des plats venus d’orient dans ce village où la viande bouillie arrosée de bière semble être le summum de la gastronomie.

Citations

La voisine malfaisante et médisante

Dervla Quigley avait été frappée d’incontinence, un problèmes de vessie très gênant qui l’avait cloué chez sa sœur -laquelle était dotée d’une patience à toute épreuve- et laissée l’essai totalement dépendante de celle-ci. Incapable de maîtriser son propre corps, Dervla avait bientôt été obsédée par l’idée de manipuler celui de tous les autres. Les ragots n’étaient pas seulement ses amis et son réconfort, mais aussi la source d’un grand pouvoir.

Vision originale de l’acupuncture

Elle était même allée consulter un acupuncteur chinois qui, au plus fort des seventies et de l’amour libre, s’étaient établis dans Henry Street à Dublin. La force de l’âme de ce chinois l’avait impressionnée -Li Fung Tao pratiquait son tai-chi matinal en toute sérénité pendant que les vendeurs ambulants de fruits et de légumes appâtaient les chalands en beuglant tout autour de lui-, mais ses aiguilles n’avaient eu pour effet que de lui donner l’impression d’être un morceau d’anchois plongé dans une marinade d' »alici » à base d’origan et de poudre de piment. 

Les épices

 Dans le livre de recettes qu’elle avait stocké dans sa tête, Marjan avait veillé à réserver une place de choix aux épices qu’elle mettait dans la soupe. Le cumin ajoutait au mélange le parfum d’un après-midi passé à faire l’amour, mais c’en était une autre qui produisait l’effet tantrique le plus spectaculaire sur l’innocent consommateurs de ce velouté : le « siah daneh » – l’amour en action- ou les graines de nigelle. Cette modeste petite gousse, quand on l’écrase dans un mortier avec un pilon, ou lorsqu’on la glisse dans des plats comme cette soupe de lentilles, dégage une énergie poivrée qui hibernent dans la rate des hommes. Libérée, elle brûle à jamais dans un désir sans limite et non partager pour un amant. la nigelle est une épice à la chaleur si puissante qu’elle ne doit pas être consommée par une femme enceinte, de peur qu’il ne déclenche un accouchement précoce.

 

 

Édition Actes Sud . Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

Il pourrait être un de vos cadeaux de Noël, ce roman. En tout cas, j’espère que ceux et celles qui aiment les romans qui se passent dans la nature encore sauvage vont le noter, même si cette superbe nature est en train de se faire dévorer par un incendie comme ceux qui tous les ans détruisent les somptueuses forêts américaines ou canadiennes.
Ce récit décrit l’aventure de deux jeunes amis , Wynn, et Jack qui ont décidé de descendre le fleuve Maskwa jusqu’à son embouchure dans la baie d’Hudson. Ils ont très bien préparé ces quelques semaines d’aventures dangereuses mais à leur portée car ils connaissent bien tous les deux la vie dans la nature peu ou pas domestiquée par l’homme. Ce sont deux pêcheurs émérites et cela nous vaut de très belles scène dans des cours d’eau sauvages aux rapides imprévisibles.
Et puis, deux événements vont transformer ce voyage de rêve en un vrai cauchemar. D’abord, ils repèrent un incendie d’une force incroyable, ils n’ont donc qu’une solution aller de plus en plus vite pour rejoindre leur point d’arrivée, mais on sent qu’ils en sont capables d’autant que Jack connaît très bien les dangers du feu de forêt. Mais un deuxième danger va donner à cette course contre la montre un aspect de thriller absolument haletant. Will et Jack doivent sauver une femme laissée pour morte par son mari sur une plage et Jack comprend tout de suite cet homme est prêt à les tuer eux aussi.
Face au danger, les deux personnalités des deux amis vont diverger. Wynn, le gentil, ne peut croire à la méchanceté humaine et sans le vouloir, il met en danger la réussite de leur expédition car son premier réflexe est toujours de croire à la bonté. Jack le sait et prend le leadership de leur expédition. La tension entre les deux amis donne une profondeur au récit que j’ai beaucoup appréciée. Et puis la nature toujours présente amicale ou hostile ponctue ce texte de moments inoubliables.

Un grand roman dans lequel a forêt, la rivière, le feu sont des personnages au même titre que les protagonistes de de ce drame.

 

Citations

Le feu

 « Ouais, mais si on est au milieu de la rivière.. »
Jack haussa les épaules.  » Peut-être. L’air devient brûlant. C’est ça qui crée un incendie dévastateur. En fait, les rouleaux de fumée sont chargés de gaz et si le vent est favorable, à la moindre étincelle, tu peux te faire carboniser à quatre cents mètres. »

Les rapides

 Ce devait être des chutes de classe VI, une série de saillies rocheuses englouties sous un volume d’eau gigantesques. On aurait dit un orage en mer du Nord dévalant un escalier. Vingt et un mètres entre le sommet et le fond avec une pente qui s’étendait sur deux cents mètres. Au milieu, un îlot rocheux de la taille d’une barque portait un épicéa tordu et rabougri. Voir cet arbre trembler dans tout ce chaos ne rendait la cataracte que plus terrifiante.
 Le soleil perça un récif de nuages et éclaira les chutes, d’argent ses rayons sur les eaux-vives et neigeuses, mettant étonnamment les sonorités encore plus en relief, et Wynn se dit que ça aussi, c’était magnifique. Que la roche brute des saillies ou les avalanches étaient magnifiques.

Le feu

 Une grosse partie de la région avait été couverte de lichens et de mousses parfois sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur et tout ça avait brûlé dans la nuit, avec les sous-bois, les épilobes et les saules, ne restaient que la terre calcinée et la roche, les pieux noirs et sépulcraux des arbres, et sans la forêt, on voyait beaucoup plus loin, le sol qui s’élevait légèrement et retombait tout autour des eskers quasiment débarrassés de leur arbres, des plis où les ruisseaux avaient coulé, secs comme s’ils s’étaient évaporés.

 

 

 

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Édition Acte Sud

C’est peu dire que j’aime cet auteur, je veux bien partir avec lui dans toutes « ses traversées » à l’origine de la famille Desrosiers sans jamais m’ennuyer. Après, « Victoire » et surtout « La traversée du Continent » qui avait vu la petite Rhéauna, arriver chez sa mère Maria qui l’a fait venir pour s’occuper de son petit frère né d’un autre père, nous voilà avec elle, sa mère et son petit frère en 1914 à Montréal. Rhéauna, a fini par accepter et aimer son sort car son petit frère est adorable et sa mère fait tout pour qu’elle aille à l’école et satisfasse son envie de lecture. Elle ne s’occupe du petit que lorsque sa mère travaille dans le bar le soir. Mais cette enfant écoute les conversations des grands et évidemment, en 1914, on parle de la guerre, comme c’est une enfant courageuse, elle décide de sauver sa mère et son petit frère et d’acheter des billets de train pour rejoindre ses grands-parents et ses deux sœurs à la campagne dans le Saskatchewan. On suit donc le trajet de cette enfant à travers la grande ville de Montréal et tous les dangers qu’elle est capable d’affronter seule. Mais le roman n’est pas construit de façon linéaire, parfois nous sommes en 1912 quand Maria arrive chez son frère Ernest et ses deux sœurs Tititte et Tina et qu’elle explique pourquoi elle est venue les rejoindre : elle est enceinte d’un homme qui n’est pas de son mari et qui a disparu .

Dans « la traversée des sentiments » les enfants sont un peu plus grands et les sœurs ont décidé de revenir à Duhamel. Là où la famille a des attaches racontées dans le roman « Victoire ». Ce roman est l’occasion de plonger dans la vie des trois sœurs dans ce qu’elle a de plus intime. Michel Tremblay est un analyste de l’âme féminine d’une finesse et d’une délicatesse incroyable. Les huit jours de vacances à Duhamel le petit village de campagne vont donner le courage à Maria pour aller chercher ses filles chez ses propres parents dans le Saskatchewan.

Tout le charme de ces romans vient du style de l’auteur et du temps qu’il prend avec chaque personnage pour nous faire comprendre leurs choix de vie. Et puis il y a le charme du québécois qui chante à mes oreilles. C’est un auteur qui me fait du bien alors qu’il ne raconte pas des vies faciles, je préfère largement cette approche par la littérature de la vie très dure aux romans où l’auteur se plaît dans le glauque.

 

Citations

Maria

 Maria marchait vite, s’intéressait peu aux vitrines pourtant magnifiques devant lesquelles elles passaient et n’arrêtait pas de lui dire de se dépêcher alors qu’elle n’étaient pas du tout pressées. Sa mère ne se promènent pas, elle se « rend » quelque part.

Théorie médicale

 Leur mère avait terrorisé ses enfants pendant des années en guettant chez eux le moindre petit symptômes de rhume pendant les vacances estivales. « Un rhume en hiver, c’est normal, il fait frette, on attrape froid au pieds, pis c’est plein de microbes. Un rhume en été, c’est parce que le corps va pas ben, que le sang est pourri, pis on peut attraper des numonies sans même s’en apercevoir ! C’est hypocrite, les numérisés d’été. Ça tue le temps de le dire. »

J’aime cette façon de raconter :

 C’est un drôle de mot succomber. C’est un mot qui fait honte après, qu’on trouve laid après, mais qui est tellement différent pendant que ça se passe. Succomber quand t’es pas marié, ça fait peur avant, t’as honte après, mais si t’es en amour, c’est tellement magnifique pendant.

Le plaisir et le bonheur des femmes

 Les autres femmes n’osent pas intervenir. Elles ne se regardent même pas. Titille à connu un mariage blanc catastrophique avec un Anglais frigide, Tina a aimé avec passion un homme qui l’ a laissé tomber quand il a appris qu’elle attendait un enfant de lui, Maria a quitté deux ans plus tôt un vieux monsieur bien gentil et fort généreux mais qui était loin de combler ses attentes après avoir été marié à un marin toujours absent et qui ne revenait que pour lui faire des enfants. Et voilà que leur cousine disparue de la Saskatchewan des années avant elles, celle qu’on tant conspué dans les soirées de famille, dont elle disait qu’elle était allée s’enterrer dans le fond des Laurentides, dans l’Est Du pays, pour cacher sa vie de misère avec un batteur de femmes, celle qu’on donnait en exemple pour faire peur aux jeunes filles qui voulaient quitter le village à la recherche du grand amour, Rose Desrosiers, qui portait presque un nom de sorcières, se révélait être la seule comblée d’entre elles, sans doute la plus heureuse, en tout cas la plus satisfaite de son sort.