Édition Gaïa livre de poche Grands romans Points

Traduit de l’islandais par Henrý Kiljan Albansson

 

Une saga comme je les aimais beaucoup autrefois. J’avoue préférer les livres plus concis aujourd’hui, mais je ne savais rien de l’Islande et cette plongée dans la réalité féminine de ce pays m’a beaucoup plu.

Dans le tome 1, nous voyons la jeunesse et la formation de Karitas qui sera artiste peintre. Elle doit tout à sa mère qui a eu le courage de s’extraire de son lieu de naissance lors de son veuvage pour aller faire de l’argent dans un port qui vit du hareng. Elle a réussi à donner une formation scolaire à ses six enfants qui ont tous très bien réussi. Karitas est douée pour le dessin et grâce à une femme qui reconnaît son talent elle part se former à Copenhague à l’académie des beaux arts.

Elle y rencontrera l’amour pour le trop beau Sigmar . Sans renoncer au dessin elle le suit dans un village isolé et met au monde son fils Jøn puis un petit qui ne vivra pas et enfin des jumeaux Haldóra et Sumarlidi. Son beau Sigmar est parti faire fortune et elle est seule, sa soeur aînée vient lui prendre sa fille et elle même part chez une cousine d’une femme du village et va vivre treize ans chez elle .

Alors qu’elle a décidé que ses fils doivent aller chez sa mère pour recevoir une bonne instruction son mari revient. Mais elle ne le suivra pas, elle veut reprendre sa vie d’artiste.

À travers ce récit, l’autrice nous dépeint la vie des femmes d’Islande de la première moitié du XX° siècle. C’est une vie très dure mais c’est aussi une vie de solidarité. Sans l’entraide entre femmes cette vie serait un pur cauchemar. J’admire leur énergie et leur détermination. J’ai essayé de trouver des renseignements sur cette coutume qui fait que des gens réduits à la misère peuvent vivre chez d’autres fermiers en échange de travail, j’avais trouvé le même fait dans « les cloches jumelles » qui se passe en Norvège et dans les « Annales de Brukkekot ». Les gens trop vieux pour travailler y trouveront gite et couvert jusqu’à la fin de leur vie.

Nous sommes avec les femmes , donc du côté des lessives, du tricot des broderies du ménage en plus des travaux des champs et des enfants trop nombreux qui arrivent tous les ans. On ne sent pas ces gens exploités mais toujours à la limite de la survie.

C’est parfois compliqué de retenir et surtout prononcer les noms de ce pays : à votre avis comment on prononce un h devant un r pour le prénom Hrefna ?

J’ai bien aimé aussi la façon dont cette écrivaine mélange la réalité et les esprits qui hantent ce pays, certains chapitres très courts sont consacrés à l’inspiration de tableaux que Karitas peint, j’aurais aimé les voir mais c’est un exercice amusant de les imaginer.

Un premier tome très dépaysant et passionnant.

 

Citations

Les nom difficiles et toutes les façons d’écrire le »o »

 Leur mère dormait à poings fermés lorsqu’ils longèrent les Fjords de l’Est qui s’ouvraient les après les autres sous un soleil étincelant. À l’embouchure de Seyõisfjörõur, les filles se résolurent à la réveiller ….

Le malheur de passer de la campagne à la ville.

 La dernière fois où il en était ainsi tous assis autour d’une petite table, le père des enfants venait juste de mourir. Maintenant personne n’était mort mais c’était quand même comme si une petite fleur qui n’avait pas de nom était en train de mourir. Ils n’avaient plus rien à quoi se raccrocher, ils étaient assis dans un petit réduit comme mis aux fers et ne pouvaient aller nulle part même pas gambader dans une cour herbeuse. Karitas brûlait d’envie de pouvoir sortir prendre l’air comme chez eux dans la crique, agiter ses bras, danser avec les oiseaux et se sentir heureuse, et tout d’un coup elle était devenue comme une vieille femme qui ne se souvenait plus pourquoi elle se trouvait justement à cet endroit.

La dureté des travaux à la campagne pour les femmes.

 Ensuite ils s’étendaient sur le dos et se reposaient mais je devais rapiécer leurs chaussures et repriser leurs chaussettes et ravauder leurs vêtements jusque tard dans la nuit. Si je n’étais pas assez rapide dans mes travaux ils me pressaient tous, les ouvriers, le maître et la maîtresse de maison. Moi, j’allais vêtue de guenilles sales car je n’avais jamais le temps de prendre soin de moi-même. Je ne me rappelle pas avoir souri pendant que j’étais bonne à tout faire. On exigeait de nous, les filles, une telle ardeur au travail. J’ai raconté cela à ma mère et elle ne m’a jamais renvoyée faire les foins. Ce que je trouvai le plus terrible était l’injustice. C’était beaucoup plus difficile de ratisser et de lier que de faucher pourtant nous n’avions que la moitié de la paye des hommes et nous devions de plus les servir.

L’appel de l’art .

 Tu partiras vers l’art. Il t’a appelée. Ce sera un long voyage et sur ta route se trouveront trolls et embûches. Et lorsqu’enfin tu atteindras la montagne bleue et qui s’élève, magnifique, au milieu des autres massifs bleu noir tout se refermera derrière toi et tu seras prisonnière à vie. Mais cette captivité t’apportera souvent plus de bonheur que la liberté. 

Une jolie façon de parler du froid .

Après le jour de l’an la famille fut contraint de rester au fond du lit.
 Le froid l’y poussa. Une énorme patte glaciaire venue du nord avait posé ses griffes sur la ville, s’était ruée sur le pays comme une bête sauvage avec un gel et un blizzard tels que la terre gémit. Lorsque le vent se calma quelque peu, elle se coucha comme un jupon blanc sur les hanches du fjord et ferma les voies maritimes.

Premier roman que je lis qui raconte ce qui a, de tout temps, occupé les femmes.

 La lessive bouillait dans la marmite noire sur la cuisinière à crottin dans la vieille cuisine et Karitas la remuait avec un bâton. Elle avait rarement fait bouillir ses serviettes hygiéniques avec autant de plaisir que cette fois. Une appréhension s’était installée en elle après que l’homme du rêve lui fut apparu une nouvelle fois bien qu’elle sache que la conception ne pouvait pas avoir lieu sans la présence d’un homme en chair et en os. L’expérience lui avait appris à ne rien considérer comme universel. Aussi elle fit bouillir ses serviettes avec un sourire de satisfaction sur les lèvres, les pêcha dans la marmite et les mit avec le linge blanc. Descendit lourdement chargée jusqu’au ruisseau, l’âme en paix, parfaitement calme à l’intérieur d’elle même, à partir de maintenant rien ne pouvait entraver son voyage vers le Sud.

 

tome 2
Nous retrouvons les personnages qui ont constitué la vie de Karitas. Celle-ci est maintenant une artiste peintre et le thème principal du livre décrit combien il est difficile pour une femme de s’imposer comme créatrice. Elle a décidé de vivre de son art même si parfois ses tableaux ont du mal à se vendre. Elle ne veut pas accepter l’argent de Sigmar, son richissime mari. Leurs rapports sont compliqués elle lui en veut de n’être pas rentré de la pêche le jour où elle a accouché de ses jumeaux. Cette trahison sera à l’origine de la plus grande tragédie de sa vie, elle n’a pas pu s’opposer à ce que sa terrible sœur Bjarghildur lui enlève la fille Halldõra . Mais elle éprouvera toute sa vie une attirance pour le si beau Sigmar.
Ses fils sont adultes maintenant et elle pense enfin être libre pour son art mais le plus jeune le jumeau Sumarlidi lui impose de s’occuper de sa fille Silfà.
le second tome est riche en rebondissements familiaux parfois tragiques : il y a un personnage odieux, violeur et qui détruit autour de lui. Sinon tous les autres s’installent dans l’histoire de leur pays de façon assez positive. Mais pour moi, c’est moins dépaysant que le début de la Saga. En revanche les difficultés de la création artistique sont très bien décrites. On comprend ce qui motive Karitas et comment elle est amenée à concevoir des tableaux très originaux.
Et pour cela, j’ai aussi lu avec grand intérêt ce deuxième tome.
Je ne sais pas exactement quelle artiste a inspiré cette écrivaine et cela m’a manqué.

Édition l’avant scène Gallimard NRF 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un premier roman d’une jeune auteure de vingt quatre ans qui se met dans la peau d’une femme très âgée en maison de retraite. Ce roman est surprenant et a su souvent retenir mon attention, sans pour autant être un coup de coeur.

Les quatre saisons vont permettre à Isadora Abberfletch, cette vieille femme en fin de vie de faire revivre sa Maison. Chaque saison lui a apporté son lot de joie et de souffrances. la Maison avec ce M majuscule est le personnage central du roman. Isadora, croit lors de sa jeunesse que cet endroit est indispensable à sa propre vie. Elle ne peut s’en détacher , elle y a toujours vécu, avec sa famille puis qu’avec son père et enfin seule jusqu’à ce qu’elle comprenne, enfin, que sa Maison la tuera si elle y reste encore un an de plus.. Elle y a connu les moments les plus heureux de son enfance avec sa petite soeur Harriet et son frère Klaus. Les rapports avec Louisa, la soeur aînée de la narratrice sont plus compliqués on comprendra pourquoi lors de la scène importante du printemps. Chaque saison, même si elles ont été des moments heureux de sa vie se terminent par une catastrophe, l’été verra la mort de sa mère, l’automne celui de la mort d’Harriet sa petite soeur, l’hiver celui où elle se décide à partir en maison de retraite et le printemps celui où Louisa lui montrera l’envers du décord qu’elle ne voulait pas voir.

J’ai beaucoup aimé la description de l’attachement à la maison d’enfance, l’autrice sait exactement de quoi elle parle car elle encore proche de sa propre maison d’enfance , en revanche son personnage d’Isadora est peu incarnée et on a beaucoup de mal à l’imaginer mais Perrine Tripier a beaucoup de talent , elle vieillira, elle aussi et saura peut-être mieux comprendre le détachement progressif aux biens de ce monde qui sont l’apanage de la vieillesse.

 

Citations

Les romans qui débutent par la météo m’agacent peu.

 Pluie fraîche sur pelouse bleue. Herbes d’été humide, relents de terre noire. Toujours ces averses d’août sur les tiges rases, brûlées d’or.les lourdes gouttes ruissellent sur la vitre, situent, serpentent, et s’entrelacent en longs rubans de lumière liquide.

Le but de sa vie.

J’avais compris que le passé était la seule chose qui valait la peine que ma vie soit vécue. Moi, la Maison et nos souvenir, nous ferions de grandes de choses car les choses familières ne sauraient mourir. 

L’été .

La liberté absolue des jours d’été, c’est cela qui distinguait cette saison du reste de l’année. Quel délice ces soirs bleus où nous mangions dehors, sous le grand cèdre. La tablée se trouvait baignée par les effluves de résine.

Vieillir.

Vieillir n’est ce pas troquer son être vivant pour un être préparé à mourir ? Échanger le fluide vital, les idées folles, l’ivresse du monde contre une douce langueur, un cocon de morphine salutaire et lénifiant.

L’oncle alcoolique .

« Ne touche pas à l’alcool en revanche », disait Petit Père en coulant un regard appuyé vers Bertie et ses joues incarnadines, quand il remontait de la cave où il était allé « vérifier les stocks ». Nous savions tous que Bertie avait un problème, mais cela faisait partie du personnage, de bon vivant, le trublion, Le grand dévoreurs de chair. Nous le laissions tranquille, sans doute à tort, n’est-ce pas, les ogres ne font jamais de vieux os, ils font bien rire tout le monde repas de famille et puis ils disparaissent, et personne n’est surpris, mais le rire manque cruellement.

Les photos.

Les morts n’ont aucune humilité, ils s’affichent là, figés à jamais sur du papier glacé, et sont à jamais chez eux dans les lieux qu’ils ont habités On a peur de les déranger, on refuse de jeter le service d’assiettes de la vieille Léodagathe, parce qu’elle l’aimait beaucoup, la sainte femme ; pourtant ce service enquiquine tout le monde, et il est ébréché et de mauvais goût, mais ça personne ne le dit, parce que la veille Léodagathe, dont les os reposent quelque part, entassés dans le cimetière du village, rongés par la vermine était, avant tout, « une sainte femme ».

Jolie formule !

Klaus et Louise ne m’ont jamais semblé avoir du mal à partir, au contraire ; ils ont la valise aisée, la route facile. Ils partent et reviennent sans douleur, la Maison leur est toujours ouverte et toujours douce, jamais violente comme l’amour et immodéré que je lui porte et qui me rend folle loin d’elle, comme une amante jalouse.

Les déménagements.

 On s’attarde moins sur des lieux qu’on doit quitter souvent, parce qu’on se force sans doute à moins s’y attacher, comme pour atténuer la rupture que chaque déménagement provoque. Les déménagements nous brisent. On fiche dans les murs des morceaux de soi partout où l’on passe, et l’on se désagrège en partant. Mon frère s’est désagrégé au fil du temps, c’est sans doute pour ça qu’il n’est heureux nulle part 

L’autre version de la Maison.

 Elle murmura que j’étais malsaine, accrochée au passé, accrochée à une enfance que j’avais idéalisée. Elle ne s’arrêtait plus de vomir des horreurs, elle disait que Petite Mère n’avait jamais été heureuse avec Petit Père, que cette Maison avait été un calvaire pour elle, une charge écrasante. Je pensais qu’elle avait fini mais Louisa se mit à cracher de nouveau « Petite Mère n’a jamais eu d’initiales brodées sur son linge, elle ; elle avait les serviettes blanches des épouses. La maison lui pesait comme la dalle d’un tombeau, elle suffoquait sous l’effroyable pression qui lui appuyait sur le ventre, là, un ventre où se tordait l’angoisse de la ruine, l’angoisse de la mort. »

Édition, Quebec-Amérique

Merci Aifelle pour cette superbe suggestion. Quel beau roman ! sur un sujet si triste ! Tout vient de l’écriture de cet écrivain que je connais grâce à toi Aifelle et donc, j’ai aussitôt acheté « le jour des corneilles » et cela permet de voir l’étendue du talent d’écrivain de Jean-François Beauchemin.

Dans le roitelet l’auteur évoque la vieillesse d’un écrivain qui doit beaucoup lui ressembler, il aime sa femme son jardin, ses promenades dans une nature dont il savoure les différents aspects et surtout son amour pour son frère. Celui-ci est schizophrène, il souffre beaucoup, surtout quand ses démons l’envahissent. Sa souffrance bouleverse le narrateur et on comprend si bien pourquoi. L’auteur a choisi d’exprimer son affection pour ce frère blessé par une maladie que l’on de sait pas soigner (ou si mal : en abrutissant le malade de médicaments), il le fait grâce à de cours chapitres qui sont autant de petits poèmes en prose. J’ai adoré ce livre, et comme Aifelle je ne peux que vous inciter à le lire, j’espère mes extraits vous en donneront envie.

 

Citations

Début de la maladie de son frère.

 Mon frère n’était pas aussi confiant. Je sentais la présence en lui d’une menace, d’un traumatisme naissant. L’adolescence est une période de remodelage du cerveau : le programme de maturation qui bientôt fournira les codes de l’âge adulte fait l’objet d’importants bouleversements. De nouvelles connexions neuronales se mettent en place, tandis que d’autres s’évanouissent. Des accidents se produisent, paraît-il, lors de cette grande période de reconfiguration qui rendent certaines jeunes personnes particulièrement fragiles inaptes à gérer les situations émotionnellement éprouvantes.

Première scène traumatisante et titre du livre.

 Passant en quelques secondes de l’optimisme le plus vrai à une sorte de neurasthénie prophétique, il a eu cette formule à vous glacer les os :  » Je suis de moins en moins réel. C’est atroce. » Un fulgurant éclair de compréhension semblait le traverse. Accablé tout à coup, pleurant presque, il s’est ensuite appuyé sur un arbre et a prononcé ces mots funestes : « J’ai cessé d’être tout à fait dans cette vie. Je sens que s’ouvre devant moi les portes d’un pays terrible, et que j’y suis repoussé comme à la périphérie des choses et du Monde. »
 A ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête.

Humour .

 Il est venu ce matin encore frappé à ma porte. Je n’avais pas versé le café dans les tasses que déjà il me disait ces mots. « Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n’arrive. » J’ai trouvé l’idée d’autant plus séduisante que j’ai sous la main, avec ma vie très banale, une grande quantité de matière à partir de laquelle travailler.

Souffrance du schizophrène.

Je notais cependant que la lumière changeait, et devinais que, de l’autre côté des feuilles d’aluminium, le soleil lentement commençait à descendre. J’ai senti petit à petit mon frère reprendre le dessus sur les démons qui depuis cinquante heures l’assaillaient. Puis je l’ai vu se détendre enfin, se défaire de l’emprise terrible de son angoisse, s’allonger et s’endormir, épuisé, comme s’il venait de combattre à mains nues un fauve, ou un dragon crachant le feu par les narines. 

Confidences de son frère schizophrène.

 Toi, si tu es pourchassé par un malfaiteur tu as toujours la possibilité de courir te mettre à l’abri. Moi je ne le peux pas. Le malfaiteur est dans mon cerveau et je ne peux pas m’enfuir..

Les questions sur Dieu.

 Pourquoi Dieu ne m’aime il pas ? Après tout c’est son métier d’aimer les gens
 Je crois en Dieu. Je n’ai d’ailleurs pas le choix : dans cette vie il n’y a pas moyen de faire autrement. Mais lui ne me paraît pas tellement croire en moi.

Le sens de la vie.

« À quoi sert l’art, aujourd’hui, dans ce monde où nous vivons ? » Elle achevait d’enfiler sa robe lorsqu’elle m’a dit : « Il me semble que c’est une sorte d’acte de résistance. Rien de prodigieux. Pour tout dire, je crois que la peinture, la littérature, la photographie, la musique ou le cinéma, de toutes ces choses-là, pour la plupart, ne contribuent que très modestement à la bonne marche du Monde. Les œuvres d’art de sont qu’un signal, un phare émettant une faible lueur au milieu de la nuit. Faible, oui. Mais c’est la seule dont nous disposions. »
Édition, libretto
Toujours recommandé par Aifelle,  j’ai enchaîné avec cette lecture complètement différente pour l’écriture. Mais pas tant que ça pour le thème. Parlons d’abord de l’écriture, dans un style absolument original qui rappelle la langue du XVI° siècle, (Rabelais ou Montaigne), un jeune raconte à des juges que nous entendrons jamais sa vie incroyable avec un père maltraitant et malade mental. Et voilà la schizophrénie qui revient. Car son père est habité par des démons qui le pousse à torturer son fils. Si on raconte l’histoire cela ne vous conduira peut-être pas à lire ce texte et ce serait dommage. je raconte rapidement, l’histoire : un père vivant dans une forêt canadienne avec son petit garçon. La raison de cet homme a sombré quand sa femme est morte en couche et il n’arrive pas à aimer cet enfant qui lui recherche sans cesse l’amour de son père. Son père déteste aussi les habitants d’un village pas si loin de leur forêt. On comprendra plus tard ce qui a poussé cet homme à fuir le village avec sa femme. On situe mal cette histoire dans le temps et on ne lui demande pas non plus d’être vraisemblable. Tout l’intérêt du livre vient du style et de la façon de raconter. J’ai adoré ce livre pourtant aux limites du fantastique ce qui d’habitude me fait fuir.
J’espère que mes extraits vont vous plaire.

Citations

Style de l’auteur et folie du père.

 Après l’enfouir de mère et mon breuvement de lait, père, moulu par le chagrin, s’allongea pour la nuit, non sans avoir bien refait le capiton de ma propre paillasse et établi ci-dessus. C’est à l’aube suivante que ces gens parurent en son casque pour la première fois. Après déjeuner, à peine avions-nous avalé le gruau de joubarbe que voilà père qui gesticule et commence de se débattre avec ses visiteurs cependant aussi invisibles que pet de mosquée Ça dure, ça dure, la sueur ruisselle sous la liquette de père, car il arpente la cabane, et s’agite et grogne et semonce, et rouspète et menace ses gens. Puis vient un moment d’allumettes, et père s’établit sur le taboureau. Sa conversation, toutefois, persévère. Quoique fort-vert, j’avais déjà l’œil ouvert et l’aptitude agile. Aussi traduisis-je vivement le sens de cette émeute : quelque part sur le chemin séparant la tombe de mère et le seuil de la cabane, père avait égaré l’entendement.

J’accepte facilement les mots que je ne comprends pas car j’aime cette façon d’écrire.

 Il nous tardait, en effet, non seulement d’assurer le repas du soir, mais aussi de regarnir notre magasin d’accoutres. Car nos cache-esgourdes, excuse-train, mitaines, godillots-de-poil, tapisse-parties,escorte-blair et pousse-cuisses habituels menaçaient d’usure

 Je le talonnai long de temps, le pied rêveur, le casque résonnant de ses paroles. Surtout, je remuai la question posée par grand matin. En effet que contenait donc le cœur de mère ? Plus tard lorsque je perçais notre première bête puis que j’en retirais discrètement la flèche, je crus concevoir le répons que j’appelais. Oui, mère était ainsi que le déchirement de l’aube ; son corps pourrait bien passer et tomber sous la brossée de la mort. Mais son cœur ne se résignait guère au trépas. 

La question que le lecteur se pose pendant tout le livre.

 D’où me venait que malgré ses cruels mouvement à mon endroit, je le chérissais cependant plus que l’existence même ? Était-ce là l’effet puissant et impénétrable de la lignée ? Le sang qui courses dans nos veines est-il à ce point porteur de sentiment ? Mystère de nos jours ! Diableries de la naissance, de la souche et de la famille !


Édition la brune

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Quelle tristesse ! quel ennui ! Pourquoi un écrivain se donne tant de mal pour raconter une histoire dont il s’évertue à gommer la moindre aspérité ?

Si je ne mets pas qu’un seul coquillage à ce roman c’est que je lui reconnais une qualité : l’écrivain met son talent d’écriture (car oui, il écrit bien) au service d’une absence totale de séduction vis à vis de son lecteur.

Bon, c’est dit, je n’ai pas aimé du tout ce roman et je ne vois pas non plus ce que cela peut apporter à quelqu’un d’écrire un tel livre ni à quel lecteur ça peut plaire. Je raconte rapidement le sujet, une femme qui n’a jamais été bien dans sa vie, et qui a voulu franchir ce fameux pont qui sépare la ville en deux, les nantis d’un côté et de l’autre ceux qui rament pour l’être, nanti, part à la recherche des épisodes qui l’ont empêchée de s’épanouir et de vivre pleinement.

Toutes les souffrances de cette femme sont gommées par son peu d’intérêt pour la vie, elle est comme dans miroir qui lui permet de se contempler et de se raconter mais pas de vivre. Elle est née alors que sa soeur ainée meurt à la fin de la guerre, elle aura toujours l’impression que sa naissance n’a pas été souhaitée. Sa mère était en deuil de son aînée. Elle sera anorexique, puis se mariera avec un homme avec qui elle n’aime pas faire l’amour. Elle aura un bébé qu’elle appelle « le fils » et qu’elle ne saura pas aimer, au point de faire (peut-être) un geste très violent quand il était bébé mais elle ne sait pas trop si elle l’a fait ou non. Elle a failli faire une très belle carrière dans les assurances mais finalement termine à l’accueil après avoir été secrétaire de direction. Le roman commence par la fin, elle va bientôt partir en retraite et doit déménager dans un nouveau bâtiment. L’auteur annonce sans arrêt qu’en remontant dans le passé on la comprendra et que nous allons assister à des révélations. mais finalement même le fameux ‘geste » est raconté de telle façon qu’il perd toute sa force. Et sa soeur Solange ne nous est d’aucun secours pour comprendre cette petite soeur.

On voit notre société évoluer de 1945 à 2006, les voitures, le logement, la nourriture, les chansons, les opinions politiques, les commerces. Mais rien n’est passionnant tout est terne et gris, je me suis rendu compte que je m’en fichais complètement de savoir en quelle année j’ai mangé de l’avocat pour la première fois et si Greg Lemond a remporté le tour de France ! Et je n’avais pas besoin de ce roman pour savoir que vouloir « être une femme sans blouse » ne suffisait pas à remplir une vie !

Citations

Statut social.

« Je ne partirai pas l’année prochaine. Je vais rester là. J’ai trop voulu y être. Parce que je ne voulais pas porter de blouse. Ma mère en portait pour faire le ménage chez le chanoine du quartier. Ma sœur pour travailler dans son atelier de farces et attrapes. Mes tante à la ferme. Moi, j’ai voulu être une femme sans blouse. Mon bureau, mon fauteuil, mon téléphone délimitent mon territoire. Le seul que j’aie jamais senti à moi

Tout est « normal ».

 Quand ils m’ont dit que je ne serai plus l’assistant du directeur et que j’ai été nommé à l’accueil, j’ai fait semblant que c’était normal. J’aurais pu leur dire que j’exerçais ma mission depuis vingt ans, que je connaissais mon métier à la perfection, je pouvais réciter par cœur la liste des agents généraux, je savais réserver les salles de congrès pour les séminaires, les chambres d’hôtel pour les cadres convoqué au siège, je rappelais au directeur d’aller chercher ses enfants à l’école et ses rdv chez le dentiste, on ne m’avait jamais prise en défaut. Mais je n’ai rien dit et j’ai laissé faire. J’ai prétendu trouver cela normal. J’ai toujours procédé ainsi faire comme si tout était normal. C’est la seule façon qu’on ait aucune prise sur moi. Si vous vous plaignez, il ne faut pas croire que les autres nous porterons secours.

Portrait de famille.

On ne rit pas dans la maison du quartier du fleuve. Pas comme ça. Pas ce rire franc comme une fanfare. Et maman ne riait pas là-bas, rivée à son bout de table. Elle observait Bernard, l’air de penser que le rire était un vice à ranger sur la même étagère que l’intempérance où l’addiction au jeu. S’y adonner était source de danger. Une fantaisie que nous n’avions pas les moyens de nous autoriser. Celui qui rit sa vigilance se relâche, et des gens comme nous étaient condamnés pour survivre à demeurer sans cesse sur nos gardes. Le moindre faux pas nous était interdit.

 

 


Édition F Deville

J’ai découvert cette auteure grâce à Yv à propos d’un autre titre « l’autre côté du bocal ».

Pour ce roman Verena Hanf, change de narrateur à chaque chapitre pour décrire un drame qu’Adriana n’arrive pas à oublier et qui lui donne des pulsions de violence bien compréhensibles. Elle ressent une boule dans la poitrine qui la glace complètement mais qui, parfois, l’empêche d’avoir des réactions raisonnables. Elle a fui la Roumanie où a eu lieu ce drame pour vivre en Belgique au service de Nina psychologue alcoolique mariée à Stefan, avocat d’affaire. Elle doit s’occuper de Mathilde, une petite fille trop seule et malheureuse, donc capricieuse comme beaucoup d’enfants de milieu riche mais en manque d’amour de ses parents.
Adiana a laissé chez ses parents, paysans en Roumanie, Cosmos son fils. Elle commence à aller mieux grâce à Gaston un métisse belgo-congolais.

Le titre dit bien l’ambiance du livre tous les personnages sont comme des « funambules » et s’ils font le moindre écart tout peut s’effondrer sous eux. Certains personnages sont plus positifs et plus solides que d’autres. La grand-mère Bunica, par exemple, qui aime son petit fils et sait qu’il est mieux auprès d’elle qu’à Bruxelles où sa fille est trop fragile pour s’occuper d’un enfant. Et surtout Gaston cet homme au grand cœur qui essaie d’apprivoiser Adriana malgré son côté sauvage et froid. Il sent ses blessures qu’il voudrait guérir, il en est amoureux et est prêt à adopter Cosmos.

J’ai bien aimé cette lecture, même si j’ai trouvé un côté un peu « convenu » aux différents personnages et même à l’histoire. Pas d’enthousiasme donc mais un moment de lecture agréable. Cela ferait un support parfait pour une mini-série télévisée.

Citations

Rapport difficiles avec sa mère.

 Elle sait que Mamă lui fera son fameux reproche, à deux mots sur un ton glacé : « Toi. Enfin. » La froideur de sa voix perce à travers les 2200 kilomètres qui les séparent. Elle se transmet sans filtrage entre l’appareil des parents, des années 70, gris est lourd, avec cadran et fil, déposé sur le buffet de la cuisine à côté du cygne en porcelaine et le sien, un portable rosé, léger et égratigné, de seconde main.

Différences entre riches et pauvres.

 Il faut dire que selon Nina et Stefan Jung, presque tout est mauvais pour la santé. Le sucre, le sel le pain blanc, le saucisson. La bonne humeur sans doute aussi, il faut tirer la gueule, se plaindre, gémir. Mais bon, peut-être est-ce juste typiquement allemand : grincher, bien que tout aille bien. Heureusement que chez les Roumains, c’est autre chose. Ils rient même si tout va mal.

La maison de la réussite.

 Chaque meuble, chaque peinture a été placé avec minutie. Stefan n’a rien laissé au hasard, rien au désordre. Il y a une structure en filigrane dans leur maison, un design cohérent, original tout en restant sobre. Il est fier du résultat. Si Nina n’était pas si réticente à recevoir des gens (elle devient de plus en plus paresseuse lui semble-t-il), il en inviterait chaque samedi, juste pour se réjouir de leur admiration pour la composition des meubles, des couleurs et des (rares) décors.

Édition Acte Sud Traduit de l’anglais par Christine Leboeuf 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’aimerais discuter avec la traductrice pour comprendre toute la difficulté de sa traduction, elle arrive à nous faire saisir toutes les difficultés du passage du persan au français en sachant que le roman est écrit en anglais. Ce roman met en scène la diaspora iranienne de la première génération d’exilés : celle qui vivait bien sous le régime du shah et qui est partie au moment où la révolution leur a fait peur (la prise d’otages à l’ambassade des États-Unis) . Le personnage central est Bibijan une femme de presque 80 ans, veuve d’un général corrompu, mais dont l’apparente richesse cachait des magouilles qui provoqueront la ruine de sa famille. Elle est dévastée par la disparition de son fils Ali lors de la guerre Iran Irak.
Elle arrive chez sa fille à Los Angeles et se sent malheureuse même si cette fille semble vivre dans l’opulence. Elle n’est pas bien non plus chez son autre fille, la révoltée artiste qui vit dans un petit appartement parisien dans le marais.

Tous les rapports entre les différents personnages sont sous-tendus par l’argent, en Iran comme à Los Angeles la pauvre Bibijan est victime d’escrocs qui en veulent à ses revenus et son gendre celui qui lui « offrira » la carte ventre pour résider aux USA est une vraie crapule, car il utilisera l’argent qu’elle s’était toujours refusée à obtenir de la part du régime des Mollahs.

Ce roman est compliqué à lire car l’écrivaine change de narrateur suivant les portraits qu’elle nous décrit et ce n’est pas du tout évident de comprendre qui s’adresse à nous. C’est dommage car cela rend la lecture difficile alors qu’il y a de purs moments de bonheur. J’ai beaucoup ri au chapitre « mariage » je vous laisse deviner comment s’est terminé celui qui a voulu imiter blanche neige et le sort de la jeune mariée dans son cercueils de verre attendant le baiser de son prince charmant !

Peu à peu, j’affine ma perception de l’exil. Ce roman apporte sa pierre à un sort qui touche tant de gens : l’exil. On découvre que l’argent n’est pas un facteur de réussite, il semble que seul un travail dans le pays d’accueil permet aux femmes de sortir de leur nostalgie ; cela je le croirai volontiers.

 

Citations

 

La façon de raconter.

 Non que les sœurs fussent si proches, elles non plus l’une si acharnée à s’américaniser qu’elle s’était passé la cervelle à l’eau oxygénée et l’autre devenue française ou lesbienne, ou je ne sais quoi. Fameuse réunion de Nouvel An que ce sera là : père mort, frère disparu, et deux cinglées de sœurs qui ne se parlent quasiment plus.

J’aime bien la création du nom « Téhérangeles ».

 Les festivités du Nouvel An était importante à L.A. : toutes sortes d’évènements avaient lieu au mois de mars à Téhérangeles, toutes sortes de concerts et de fêtes célébrant le passé préislamique de la Perse, l’équinoxe de printemps.

Un exil trop long .

 Mais bientôt nous avons commencé à nous impatienter. Combien de temps cela allait-il durer  ? Nous nous irritions des restrictions à l’immigration dans nos soi-disant pays d’accueil, de l’humiliation d’être interrogés aux frontières lors de nos arrivées et départs comme si nous étions corrompus et vénaux nous aussi. Nous fulminions contre l’ignorance des étrangers incapables de nous distinguer des Arabes et des Afghans, comme si nous étions à la source potentielle de chaque acte de terrorisme.

Les arbres parisiens.

Les arbres en donnaient la preuve songeait-elle en parcourant des yeux la place des Vosges. La liberté de la presse n’existait pas ici pour les arbres. Ils étaient élagués férocement chaque année, en dépit de leur silence. Leur ombre était réduite à un cercle étroit sur le gravier des allées. Leurs troncs étaient entravés par des piques en métal. Aucun n’était autorisé à devenir plus haut, plus large, plus grand, plus ample, ou plus épais de tronc que les autres, et tous étaient taillés en forme de cube ou de rectangles dans toutes les rues. Avoir trop de branches ou trop peu, s’étendre trop loin ou pas du tout m’était un arbre en danger imminent. Bibijan se sentait étrangement oppressée en France, a cause des arbres. Elle se sentait enfermé dans l’appartement de sa fille, mais la sortie au parc était, elle aussi, une contrainte. Elle espérait ne pas mourir en France.

La déchéance .

 Elle détestait faire la lessive. Ce qu’il y avait de pire avec cette Révolution, c’était que ça l’avait forcée à faire sa lessive elle-même. Lily avait célébré les fondements de l’ancien régime avec toute la ferveur d’une jeune marxiste, mais dès l’instant où elle avait balancé l’argent de son père à côté du comptoir à huitres rue Saint-Antoine et abandonné son luxueux appartement des Champs-Élysées, elle n’avait jamais pu s’offrir ni machine à laver ni sèche linge.

Les belles filles, occidentales ou persanes.

 Les occidentales sont celles qui se tiennent au courant de tout nos rendez-vous, dentiste, occultiste, examen cardiologique. Alors s’il arrivait quelque chose, elles seraient exactement quoi faire. Elles voleraient à notre secours. Elles nous traîneraient à l’hôpital. Laisseraient les médecins nous fourrer des tubes partout. Vous savez ce que sont les hôpitaux dans ces pays occidentaux. Ces « farangi » de nous laisserai pas mourir.
 Mais nous chers compatriotes, nos bien aimés belles-filles persanes pleureraient, se mettraient dans tous leurs états, feraient naître une palabre grandiose, mais, que Dieu les bénisse, elles nous laisseraient partir.

Un portrait qui a plus de sens pour les Iraniens ?

Lorsqu’il avait épousé Goli, sa révérence envers son beau-père le rendait concave, le général ayant manifesté tout à fait clairement qui tenait les cordons de la bourse dans la famille. Il était alors l’un de ces jeunes Persans maigrichons, la tête inclinée d’un côté et les mains jointes sur le sexe qui restait muet les yeux modestement tournés vers le sol quand on lui adresser la parole, et ne murmurait compliments et politesses insipides que si on l’invitait à parler.

La vieille dame iranienne, dégoûtée parce que son gendre trop gros porte un bermuda.

 Une loi qui vous fait cacher votre visage, et une autre qui vous le fait montrer, pensa-t-elle vaguement. Et, toujours c’étaient des hommes qui décidaient, des hommes qui péroraient sans fin à propos de ce que les femmes devaient porter ou ne devaient pas faire Bibi aurait aimé que les femmes imposent une loi forçant les hommes à porter des pantalons longs en présence de leur belle-mère.

La folie de l’argent dépensé lors des mariages .

 Et nous m’ont montré aux autres que nous avons largement de quoi faire cela, que nous lésions pas, que nous ne sommes pas regardants. En fait, tel est le véritable enjeu de nos mariages : montrer notre richesse au monde.
Mais ils peuvent aussi représenter un réel gaspillage, en toute honnêteté. À croire que nous n’avons rien de mieux à faire de notre argent que le jeter à des gens qui s’apprêtent à commettre l’erreur de leur vie. Nous avons assisté à des mariages ou des milles et des cents avaient été dispensés pour la robe de mariée et pour celle des demoiselles d’honneur, des cents et des milles pour le traiteur et les boissons de plus d’un million pour la salle et la réception le service de sécurité l’assurance. Parce que, bien entendu on ne sait jamais ce qui pourrait mal tourner dans un mariage.

 

 

 

 

Édition Buchet-Castel

La liste de livres de cet auteur sur Luocine

Au rebond, G229, Juke box, Un minuscule inventaire, Rester vivant , La Grande Escapade 

Allez, un petit coup de baisse de moral, un petit roman de Jean-Philippe Blondel. C’est incroyable comme cet auteur me fait du bien, il raconte si bien la ..dépression ! Oui, vous avez bien lu, cet auteur est mon dépressif préféré, (comme Bacri était mon acteur dépressif préféré). Son roman décrit très bien les gens que je connais, il n’est jamais méchant mais est un fin observateur des comportements de ceux qui nous entourent. Corentin est donc dépressif et aussi cinéaste pour les mariages. Quoi de mieux qu’une cérémonie de mariage pour saisir l’essence même des relations intra humaines. Il a un autre projet, en dehors des mariages demander aux gens qui sont proches de lui de dire face à la caméra ce qu’ils pensent de lui. Cela nous permet de mieux cerner Corentin. Sinon pour les mariages, on a le droit à tout, la mère envahissante qui régente tout le monde et surtout son fils , mais elle tombera sur une résistance du côté d’un curé qui veut faire de la messe de mariage un moment religieux et pas un spectacle, les allusions grivoises , le mariage homosexuel qui aurait pu mal tourner sans la présence d’esprits de Corentin, l’attaque raciste contre une femme qui avait épousé en première noce un Sénégalais.

Ils sont à deux Yvan le parrain et ami des parents de Corentin . Yvan se charge des photos et son filleul des films, mais leur petite affaire ne fonctionne que » la saison des mariages » donc de mai à septembre. Il faudrait donc que Corentin arrive à trouver autre chose à faire.

Un bon moment passé au milieu de mes contemporains.

 

Citations

J’aime la façon de raconter de cet auteur .

Yvan n’a de cesse de pester contre les années 1980, les tenue bleu électrique, les poses étudiées des jeunes gens post-modernes, et cette musique mon Dieu, cette musique qui vous donne envie de vous rendre chez le premier disquaires venu avec une batte de baseball pour tout détruire. « Quand on pense, poursuit souvent Yvan, qu’ aujourd’hui ils nous ressortent toutes ces niaiseries vintage et délicieusement sucrées, qu’ils rêvent tous d’avoir eu vingt ans à cette période-là, parce que c’était l’âge d’or, je vais te les renvoyer tous illico presto au temps de Reagan et Thatcher, de l’apparition du SIDA, de Tchernobyl est des premiers traders tu verras qu’ils feront moins les fiers. Les années 1980, c’était la même merde que maintenant point à la ligne.

Portrait du maire.

 Il récitait des poèmes des  » Fleurs du mal » qui faisaient partie de sa liste imposée, elle le trouvait terriblement romantique. Beaucoup moins, quand, le lendemain des épreuves écrites elle l’a vu embrasser à pleine bouche une fille de terminale. Le maire était séduisant et beau parleur. Il n’est plus que parleur. Et encore, avec difficulté. Il bafouille -le mariage n’est pas sa spécialité. Il y en a de moins en moins dans cette commune rurale. Quant à lui il a divorcé trois fois.

Paris.

 Paris a absorbé Corentin. Il ne s’y sent jamais seul -même s’il est conscient que l’agitation de la capitale est un alcool lourd qui se digère mal

 


Édition Liana Levi.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Mon club de lecture me conduit parfois vers des livres dont je n’avais pas entendu parler. Le thème du mois de février était l’Iran ? j’y ai découvert Négar Djavadi.
Du début jusqu’à (la presque) fin, j’ai suivi avec passion le récit tortueux et pourtant implacable de la vie de la famille Sadr, de grands notables iraniens. La narratrice Kimia Sadr, est dans la salle d’attente de l’hôpital Cochin, nous comprenons peu à peu le sens de sa démarche. Elle est dans le service de la fécondation assistée, elle est seule alors que tous les autres patients sont venus en couple. Elle s’adresse souvent à son lecteur et pour nous faire comprendre pourquoi elle est là, elle sent qu’elle doit dérouler toute l’histoire de sa famille. Nous passons de la famille d’un très riche propriétaire terrien dont le père est à la tête d’un harem, aux soubresauts de l’après guerre. Les intellectuels exilés iraniens sont, pour la plupart d’entre eux, les défenseurs de Mossammad Mossadegh qui a eu le courage de nationaliser le pétrole au dépend de l’Angleterre, le Shah, soutenu par les anglais et les américains l’a exilé sans l’emprisonner, et cela a été fini de la démocratie en Iran. Une répression de plus en plus sanglante, va s’abattre sur ce pays jusqu’à la révolution qui, hélas pour eux, sera captée par les religieux. On voit aujourd’hui que cette autre chape de plomb a bien du mal à se fissurer.
Sara et Darius, les parents de la narratrice sont engagés dans un combat très inégal qui les conduiront à un exil en France. Comment peut on construire une vie à travers tant de violence, Kimia aura d’autant plus de mal qu’elle ne se sent pas être féminine comme le sont ses deux soeurs.
Le mélange des deux temporalités , l’histoire de l’Iran et ce temps d’attente dans la salle de l’hôpital Cochin s’entrelacent et rajoutent à la tension du récit. Kimia, dit être née plusieurs fois, tout ce qui concerne la construction de son identité s’est passée dans la violence et on espère très fort pour elle que cet d’enfant à venir sera enfin une période pleinement heureuse.

Ce roman permet de mieux comprendre ce pays, du point de vue des classes favorisées et éduquées. On sent une coupure très grande entre eux et le peuple qui sans doute s’est plus reconnu dans les mollahs que dans ces intellectuels laïcs, descendants des seigneurs propriétaires de domaines grands comme des provinces. Je me suis laissée « désorienter » dans ce livre au titre tellment bien choisi, il dit si bien ce que la narratrice a dû vivre pour être enfin elle-même ;

 

Citations

Son père Darius et son grand père .

 Darius, je pense détestait son père pour lui même. Parce qu’il incarnait l’aveuglement et la crainte, et la ruine de ce bien précieux qu’est la pensée. Il le haïssait tous autant qu’il haïssait la religion dont Mirza-Ali était le premier des représentants. Toute sa vie, d’abord par ses lectures, puis par son engagement politique et son réveil révolutionnaire, il combattit des êtres comme lui, des figures autoritaires/conservatrices dont l’action principale consiste à protéger leur pouvoir en maintenant les peuples dans une hiérarchie sociale sclérosée et l’ignorance absolue dans un autre monde possible. À plusieurs reprises, je l’ai entendu dire que la religion, comme la tyrannie asséchait la capacité d’analyse dans le but d’imposer un unique sentiment : la peur. « La peur est leur seule arme et la révolution consiste à la retourner contre eux » insistait-il avec conviction.

Statut de la femme (pas sûre que ce soit seulement la femme iranienne).

 Je songe à une réflexion de Sarah au sujet de couple de voisins, les Hayavi, mariés de longue date, mais sans enfant. « Bien sûr que c’est lui qui est stérile. Si c’était elle, il aurait divorcé depuis longtemps. » Voilà toute la condition de la femme iranienne esquissée en deux phrases.

J’ai ri.

-Ton oncle lui a acheté un billet d’avion et ouste partie à l’autre du monde …
– Quel bout du monde ?
– Celui qu’on dit qui s’appelle « Amirika » !
– Il est parti en Amérique ? !
– C’est ce que je viens de dire.
– Et il fait quoi là-bas ?
– Qu’est-ce que tu veux qu’il fasse, c’est un Sadr… Il secoue son petit tuyau et fabrique des enfants.

La paternité.

 Si je devais utiliser une comparaison pour tenter de définir le rapport de Darius avec la paternité, je dirais qu’elle se révéla comme une de ces attractions qui excite la foule à la Foire du trône (Luna Park pour les Iraniens), mais qui d’emblée ne vous tente pas. Pourtant on vous y traîne de force et vous cédez. Vous en descendez plutôt enthousiaste, admettant que vous vous étiez trompé, cela valait vraiment le coup mais de là à y retournez… D’autant que si vous êtes Darius Sadr, des attractions autrement plus stimulantes vous interpellent de toute part. La guerre du Viêt Nam et l’intensification des bombardements sur le Nord, la réélection de Nasser et la chasse aux frères musulmans ; et en Iran rien de moi que l’assassinat du premier ministre Hassan Ali Mansour devant le Parlement et l’accession au pouvoir de « l’homme à la pipe » Amir Abbas Hoveyda. 

D’habitude je n’aime pas ce genre de clin d’œil au lecteur mais j’ai bien aimé ce bavardage avec cette auteure .

 Le tabou était telle que, même en son absence personne n’osait en parler (vous remarquerez que tous les tabous famille bisous avait un lien avec onze numéro 2). Pourtant patiente encore un peu cher lecteur, et je te révèlerai ce qu’aucun des Sadr n’a jamais su. Pour l’instant, il y a un bébé et sa mère a sauver.

Les filles iraniennes.

 Les filles étaient élevés pour être le ciment de la famille, la colle qui maintient ensemble des générations, les maisons et les traditions. Elles étaient façonnées pour rester auprès des parents vieillissants et s’accommoder de la vie comme d’un pont à traverser. La preuve en est que, cet été là, aucun des cousins adolescents n’étaient présents. Ils avaient tous été envoyés en « Amerika », loin des manifestations et des arrestations, poursuivent leurs études et se tailler un destin. L’un après l’autre, ils avaient laissé leurs sœurs derrière eux et avaient disparu de nos vies pour ne plus jamais réapparaître. Eux non plus n’ont pas eu le choix, mais au moins ils ont pu avoir des aventures et épouser qui ils voulaient.

Explication du titre.

 Tandis que tout en bas à l’orient rétrécit, devient anecdotique, puis disparaît, assise près du hublot Kimiâ Sadr, telle que vous l’avez connue, subit le même sort. Bientôt, je vais naître pour la seconde fois. Habituée à venir au monde dans le sang et la confusion, à réveiller la Mort et la convoquer à la fête, cette renaissance de la traversée du territoire indompté et violent du Kurdistan à la chambre d’hôtel de Karakoy – est indéniablement digne de la première. Bientôt, mon prénom ne sera plus prononcée de la même manière le « â » final de viendra « a » dans les bouches occidentales, se fermant pour toujours. Bientôt je serai une « désorientale ».

 

 


Édition l’avant scène théâtre 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Il faut vraiment un club de lecture pour que je lise du théâtres,(ou l’aide scolaire que j’apporte à mes petits enfants quand ils me le demandent). Cette pièce est facile à lire et à comprendre, il s’agit d’un réquisitoire contre la famille bourgeoise. Depuis le « famille je vous hais » de Gide on sait que la famille peut être le lieu de tant de violence. Récemment j’ai revu le film « Festen » et là le cri de souffrance du fils qui a été violé par son père a tout son sens ; oui c’est de la haine qu’il a pu éprouver surtout face au silence de toute sa famille parfaitement au courant des conduites du père. « Famille je vous hais » peut être aussi le cri d’un Hervé Bazin élevé par une mère qui le détestait, tous les enfants malheureux, violentés abusés peuvent lancé ce cri. Mais de quoi souffre donc Mathieu, le personnage principal de la pièce fils de Laurence et Jean-Marc ? D’avoir raté sa vie, d’être marié avec une femme trop grosse, et de travailler à la SNCF.

Ses ignobles parents lui ont fait donner des leçons particulières pour qu’il réussisse à décrocher son bac. Ses tortionnaires de parents l’ont envoyé faire un IUT à Grenoble, Grenoble vous vous rendez compte ? Alors qu’ils auraient dû deviner qu’il voulait aller en Bretagne faire de la voile.

Je suis ravie d’avoir lu cette pièce car je sais ainsi que je n’irai certainement pas voir tant les personnages m’ont énervée. La mère qui n’a jamais rien fait de sa vie que de tenir une galerie d’art qu’elle ouvre quand elle a du temps mais qui était une riche héritière. Tout le long de la pièce elle veut être celle qui comprend son fils et dénigre son mari. Mathieu j’ai déjà tout dit pour rendre encore plus antipathique le personnage je rappelle qu’il appelle sa femme « la baleine, », sympa non ? Le père a plus de consistance et, comme il est tout le temps sur le gril on a envie de le défendre. Et tout ça pour finir par ces mots

 

Tu sais la famille, c’est toujours comme ça … Ça tire un peu dans tous les sens, on se file des coups, c’est brutal, et dans le fond on s’adore. Hein, mon chéri ? Dans le fond on s’adore.