Édition Nathan . Traduit de l’anglais Anne Guitton

livre lu dans le cadre de la masse critique Babelio

 

Quel roman ! Chaque chapitre est une nouvelle douleur ! La lecture en est une véritable épreuve, bien sûr nous avons entendu les horreurs de la guerre en Syrie, mais une guerre en chasse une autre et nos yeux sont, aujourd’hui, tournés vers l’Ukraine et on a, peut-être, oublié que les Syriens ont tellement souffert. Cette auteure rassemble dans un roman tout ce qui est arrivé à Homs, les bombardements, les tirs des snipers, les missiles sur les hôpitaux, les enlèvements des principaux dirigeants de l’opposition et enfin l’utilisation du gaz contre la population. Pour construire son roman , elle choisit une jeune femme qui est victime d’hallucinations. Un personnage qu’elle sait être le fruit de son cerveau malade lui donne des ordres et lui ordonne de fuir. « Khawf » c’est son nom, n’hésite pas à lui montrer toutes les horreurs qui l’attendent si elle reste en Syrie.

Elle travaille dans l’hôpital qui voit arriver tous les blessés de cette guerre sans pitié. Certains passages sont insoutenables, mais c’est dans ce cadre qu’elle rencontrera l’amour , on va la suivre jusqu’à sa fuite. L’auteure visiblement a hésité entre deux fins, la mort en Méditerranée ou sa reconstruction en Allemagne.

J’ai des réserves sur ce roman car je préfère les témoignages : l’aspect romanesque ne rajoute pas grand chose et même, pour moi, affadit le propos.

Je n’oublierai jamais, par exemple, Akim, le personnage principal de la BD de Frank Toulmé qui m’a beaucoup aidée à comprendre la tragédie Syrienne. Sans doute plus que le récit de cette jeune écrivaine qui met pourtant toute son énergie pour réveiller nos consciences.

Pauvre pays ! toujours sous la botte du même dictateur bien aidé par son allié russe.

 

Citations

 

Quand dès la première phrase on sait que tout va mal.

 Trois citrons fripés posés sur une étagère et un sachet de pains pita plus sec que moisi. 
Voilà tout ce que la supérette a à offrir.

Scène d’horreur.

Je vois un enfant appelé sa mère en pleurant. 

Je vois un garçon aux lèvres crispées, dix ans à peine, blanc comme un linge, un énorme morceau de métal planté dans le bras droit. Il grimace de douleur mais n’émet pas le moindre son, car il ne veut pas effrayer sa petite sœur qui s’accroche à sa main en répétant « te’eburenee. 
 Je vois des médecins, les derniers de Homs, secouer la tête devant des petits corps frêles et sans vie avant de passer au suivant.
Je vois des fillettes aux jambes tordues dans des positions anormales. Leurs yeux expriment déjà toutes les angoisses de ce qui les attend. L’amputation.
Je voudrais que ce spectacle soit diffusé en live sur toutes les chaînes de télé et tous les écrans de smartphones du monde pour que les gens sachent ce qu’on fait aux enfants dans ce pays

 

 

Édition Robert Laffont

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’avais beaucoup aimé « un été au Kansaï » qui m’avait permis de connaître le quotidien des Japonais pendant la deuxième guerre mondiale. Dans ce roman l’auteur raconte les huit jours de « la débâcle » française en juillet 1940 . Il choisit pour cela des personnages qui lui semble typiques de la France de l’époque , un soldat qui va se battre courageusement, et dont la fiancée une superbe mannequin fuit Paris. Sur les routes de l’exode, nous suivrons une famille très riche qui sera plus émue par la mort du petit chien que de leur petite bonne, un couple qui part aussi avec beaucoup d’argent.
Nous verrons les trains bombardés, et qui avancent au grè des déplacement des troupes, nous verrons aussi les avions allemands mitrailler sans relâche la population sur les routes.

Nous entendrons les propos qui dessinent une France tellement divisée , ceux qui pensent que tout est de la faute du « youtre » Blum , ceux qui attendent les troupes russes avec tant d’espoir. Nous verrons l’armée totalement désorganisée et les actes de bravoures absolument inutiles. L’horreur absolue arrive avec le traitement des soldats d’origine africaine, les allemands ont commis des massacres dont on a peu entendu parler après la guerre.

Ce roman est pénible à lire car il y a peu de gestes de simple humanité, il y en a parfois. Il montre trop bien les mesquineries dans une France où aucune valeur ne tient debout. La partie historique est sérieuse mais je n’ai pas compris que pour la partie romanesque l’auteur aille aussi loin dans l’horreur, le père incestueux qui non seulement fait de sa fille son jouet sexuel mais qui de plus a fait assassiner les petites bonnes quand elles étaient enceintes de ses oeuvres, est pour le moins surprenant. Je crois que l’horreur de la guerre me suffisait largement. Les cadavres qui jonchent les routes, la peur des enfants, la soif sous ce mois de juillet trop chaud, l’impression qu’on ne peut fuir nulle part tout cela est bien rendu. Mais les côtés romanesques m’ont semblé plaqués sur le fil de l’histoire, comme la jeune fille de bonne famille de quinze ans qui veut absolument « baiser » avec le premier venu pour connaître le plaisir sexuel . C’est peu de dire que les personnages sont caricaturaux, il le sont à l’excès et de plus la documentation historique semble encombrer l’auteur qui inflige aux lecteurs les détails techniques qui alourdissent bien inutilement le roman.

J’étais très triste en lisant ce livre car j’ai pensé qu’aujourd’hui encore la France était divisée et je me demande si nous serions capables de nous unir pour sauver la République et ses valeurs.

Bref une déception, ou un mauvais jeu de mot une débâcle ! et je ne serai certainement pas aller jusqu’au bout de ce roman sans mon club de lecture.

 

Citations

Humour !

 Un des surveillants Jean Lasne, qui peignait et écrivait des vers, a été tué le seize mai dans les Ardennes au début de la catastrophe. Elle ne le connaissait pas, mais apprenant son sort Jacqueline a fondu en larmes. Très fiere de ses beaux yeux verts, elle pense de toute facon que pleurer la rend plus intéressante. 

C’est un récit que j’ai déjà entendu par mes parents : l’arrivée des Allemands en France .

Comme à la parade défilent des chars légers de combat, et de curieux véhicules, semi-chenillés, sortes d’autobus découverts dans lesquels sont assis cinq par cinq, sur quatre rangs, des fantassins boches casqués se tenant bien droit leur armement entre les jambes ; en tête, des officiers dans des petites voitures plates décapotées, et, en serre-file, les motocyclistes avec des side-cars. 

La guerre.

 Il est frappé un court instant par l’incongruité de la chose : ces types qu’il ne connaît pas, avec qui il aurait pu échanger des propos aimables lors de sa traversée touristique de l’Allemagne, avancent gavés de slogans nazis pour le tuer ou le capturer, lui, Lucien Schraut. Et lui doit les tuer pour se défendre. Parce que c’est la guerre. Parce qu’on ne porte pas le même uniforme. 

L’auteur a fait des recherches donc je pense que c’est vrai !

 Et puis les industriels déteste toujours augmenter le salaire des ouvriers, ça diminue leurs profits et les dividendes de leurs actionnaires. Voilà pourquoi on a regardé de plus en plus du côté d’Hitler qui face à Staline, représente le dernier espoir pour l’Europe Unie ! Notamment dans la manière de traiter les rouges et les syndicalistes. Dès 1933 Schneider-Creusot fournissait au Reich des chars français du dernier modèle, les expédiant en catimini via la Hollande. Et, depuis le début de la guerre, la France a livré des quantités considérables de minerai de fer à l’Allemagne et reçu du charbon en retour. Cette fois le transit s’effectuait par la Belgique … Ce que je te raconte là espt des plus secrets, bien entendu.

Aux hasards des rencontres de l’exode.

 L’officier est inscrit au PPF : durant tout le trajet, il ne cesse de se vanter de ses relations politiques et journalistiques, de critiquer le gouvernement, les juifs, les francs-maçons, les instituteurs, de faire l’éloge de Weygand et de Pétain. 
 La femme hait Daladier, déplore la politique d’apaisement et la reculade de Munich. C’était mal, et en plus idiot d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie, qui en 1938 possédait une armée solide et pouvait nous aider à combattre Hitler.

 


Édition Gallimard NRF – Traduit de l’italien par Danièle Valin

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

« Le voilà donc, se dit Ilaria le familialisme amoral. » Et la famille était la sienne. Son père, l’illettré éthique. Dysfonctionnement, privilège et favoritisme vus comme des moteurs évidents de la société.

J’ai déjà lu et apprécié les deux premiers romans de cette écrivaine italienne que Dominique m’avait amenée à lire . Eva dort (mon préféré) et Plus haut que la mer . Je me souviens bien de ces deux romans ce qui est un gage de qualité pour moi. Comme dans ses précédents romans Francesca Melandri, mêle l’histoire de l’Italie à une histoire d’une famille fictive pour nous la rendre plus humaine. Le reproche que je fais à ce dernier roman, c’est qu’elle a voulu cette fois couvrir une très large période de l’histoire italienne et que son roman est donc très dense voire un peu touffu.

La famille d’Iliaria Profeti est compliqué car son père, Attilio Profetti a eu deux épouses , trois enfants d’un premier mariage et un fils avec sa maîtresse qu’il a fini par épouser. De son passé, éthiopien, sa fille Iliaria n’aurait rien su si un jeune éthiopien du nom de son père n’était venu un jour frapper à sa porte lui apprenant de cette façon que son père était le grand père d’un jeune immigré en situation irrégulière. Ce sera un autre aspect du roman le parcours semé de souffrances à peine inimaginables, d’un jeune éthiopien, qui sans le recours à un ressort romanesque aurait été renvoyé en Ethiopie et à une mort certaine. L’inventaire de tous les thèmes abordés vous donnerait sans doute une impression de « trop », mais l’auteur s’en sort bien même si, parfois, j’ai eu besoin de faire des pauses dans ma lecture.

  • L’interdiction du divorce en Italie et les doubles vies que cela entrainait.
  • L’engagement dans le mouvement fasciste d’un jeune diplômé.
  • Le parcours d’un prisonnier italien aux USA pendant la guerre 39/45
  • L’injustice d’une mère qui dévalorise un enfant au profit d’un autre.
  • Le parcours des immigrés arrivés clandestinement en Italie.
  • Les théories racistes reprises par le mouvement fascistes.
  • La corruption en politique.
  • La construction à Rome.
  • Les marchands de sommeil.
  • Les malversations de Berlusconi.
  • Et le plus important la guerre en Éthiopie menée par les fascistes Italiens avec son lot d’horreurs absolument insupportables.

Et peut-être que j’en oublie, mais on comprend sans doute mieux quand je dis que ce roman est touffu, car L’écrivaine veut aussi montrer que tout se tient . En particulier, que de ne pas avoir voulu regarder en face le passé fasciste entraîne de graves conséquences sur les choix politiques actuels en Italie. Elle a pour cela créé le personnage d’Attilio Profetti, un homme à qui tout sourit dans la vie. « Tous, sauf moi » c’est lui. Il sait se sortir de toutes les situations car il a de la chance. Sa première chance : avoir été l’enfant préféré de sa mère, Viola qui en sous main oeuvre pour la réussite de son fils adoré jusqu’à dénoncer anonymement un supérieur dont une grand-mère est juive ! Ensuite, il sait grâce un charisme indéniable aider les supérieurs militaires à gagner du terrain dans la guerre coloniale en se faisant aider par une partie de la population éthiopienne. Cela ne l’empêchera pas de participer aux actions les plus horribles de la conquête comme le gazage des derniers combattants avec le gaz moutarde et ensuite de les brûler au lance flamme. Il a su partir à temps du parti Fasciste et se refaire une dignité dans la politique d’après guerre. Et finalement, comme tous les politiciens de cette époque, il a vécu et bien vécu de la corruption.

Sa fille, Ilaria, se sent loin de tout cela sauf quand elle comprend que l’appartement qu’elle occupe, cadeau de son père, est certainement le fruit de la corruption.

Le personnage le plus intègre, c’est le frère aîné d’Attilio, Othello, qui a été prisonnier pendant la guerre . On voit alors un fait que je n’ignorais complètement. Les Américains ont demandé à partir de 1943 aux Italiens, de combattre pour eux. La situation était complexe puisque l’Italie était alors en partie occupée par les Allemands, donc l’autre partie s’est déclarée alliée des États Unis. Les prisonniers italiens qui ont accepté ont eu une vie très agréable et ont retrouvé leur liberté. Othello qui n’était pas fasciste n’a pas réussi à comprendre comment il pouvait après avoir combattu pendant deux ans les Américains et les Anglais devenir leur allié. Il paiera cette décision au prix fort, d’abord le camps de prisonniers devient très dur et ensuite en revenant il aura l’étiquette fasciste, ce qu’il n’avait jamais été, contrairement à son frère qui lui a réussi à faire oublier son passé. Et il ne pourra pas faire carrière comme ingénieur alors que lui avait eu tous ses diplômes (son frère non !)

Voilà un roman dans lequel vous apprendrez forcément quelque chose sur le passé italien. Quant à moi je n’oublierai jamais les pages sur la guerre en Éthiopie (même si je n’ai pas noté de passages sur cette guerre tout est trop horrible !).

 

Citations

Le frère d’Ilaria ,accompagnateur d’excursions pour voir des gros poissons sur son bateau à voile.

 Puis il y a ceux qui à la fin veulent une réduction parce que le rorqual est resté trop loin ou que les cabrioles des dauphins n’étaient pas assez spectaculaires, peut-être parce qu’ils n’ont pas danser des claquettes comme dans les dessins animés. Ce sont en général des pères qui passent toute excursion à accabler leur malheureuse famille de leurs connaissances sur les manœuvres de bateaux à voile, en gênant sans arrêt le travail d’Attilio. Il gagnerait sûrement de l’argent en écrivant un livre sur les expressions de la navigation à la voile dites au petit bonheur par ses passagers, en commençant par « borde la grand-voile ». Ils croient ainsi restaurer leur autorité sur leur progéniture adolescente qui, en réalité, nourrit déjà un sévère mais juste mépris pour eux.

Scène tellement plausible en Éthiopie actuelle.

 Un matin alors qu’il était avec elle, un policier s’approcha de lui et murmura à son oreille  » : « Rappelle-toi qu’elle elle s’en va, mais que toi tu restes. » Le jeune homme ne traduisait pas la phrase à la journaliste. Mais il lui demanda : « Laisse-moi partir avec toi. » Elle regretta beaucoup, mais non, malheureusement elle ne pouvait pas l’emmener au Danemark. Elle lui donna pourtant son adresse mail et lui dit une dernière fois «  »Amaseghenallõ » avec un sourire qui était l’orgueil de l’orthodontie occidentale. 

Visions de Rome.

 Piégés dans leur voiture les Romains se défoulaient en klaxonnant. Ailleurs, cette cacophonie aurait terrorisé et fait fuir au loin les étourneaux, mais ceux de Rome y étaient habitués. Massés en de frénétiques nuages noirs face aux magnifiques couleurs du ciel, ils bombardaient de guano les voitures bloquées. « Voilà ce qu’est devenue cette ville pensa rageusement Ilaria, une beauté démesurée d’où pleut de la merde. »
Celle qui avait été une des plus belles places de la nouvelle Rome capitale grouillait maintenant de rats gros comme des petits chiens, de dealers et de toute substance chimique et végétale, de putains dont à la différence de celles du bon vieux temps (« Bouche de la vérité », « Mains de fée », « La Cochonne »), personne ne connaissait le nom : elles restaient dans les recoins de stands mal fermés le temps d’une pipe, puis elle disparaissaient remplacées par d’autres encore plus droguées et meurtries.

Régime éthiopien .

 En Éthiopie les journalistes sont mis en prison quand ils ne sont pas assassinés, de même que quiconque protestent contre la corruption et les déportations dans les villages tribaux ; pourtant les occidentaux disent que l’Éthiopie est un rempart de la démocratie. Et pourquoi le disent-ils si ce n’est pas vrai ? Parce que l’Éthiopie leur est indispensable dans la guerre contre les terroristes.

Berlusconi et la pertinence sémantique du verbe voler …

 « Moi j’ai confiance en lui dit Anita quelqu’un d’aussi riche n’a pas besoin de voler. « 
Atilio ressentit une de ces nombreuses pointes d’irritation provoquées par sa femme qui ponctuant ses journées. Comme si en politique l’essentiel était de ne pas voler ! Et puis, que signifiait exactement cette expression présente dans toutes les bouches à la télé, dans les journaux, dans les dîners ? Lui, par exemple avait-il volé ? Non. Il avait pris mais seulement à ceux qui lui avaient donné. À ceux qui étaient d’accord. Comme d’ailleurs était d’accord Casati, l’homme dont il était le bras droit depuis des dizaines d’années. Et Anita aussi  : vivre dans cet immeuble liberty avec vue sur la Villa Borghèse ne lui déplaisait surement pas. Bref, ils étaient tous d’accord sur le peu de pertinence sémantique du verbe « voler ».

La visite de Kadhafi à Berlusconi .

 Il est accompagné de deux gardes du corps des femmes comme toujours. Elles ont des corps massifs moulés dans des treillis, des lèvres étrangement gonflées, un double menton. Elles cachent leur regard derrière des lunettes encore plus noires que leurs cheveux et identiques à celles de leur patron. Qui l’est dans tous les sens du terme, disent les gens bien informés. Dans les cercles diplomatiques, on raconte que les fameuses amazones du colonel font partie du vaste harem d’esclaves sexuelles qu’il choisit lui-même parmi les étudiantes libyennes, avec de sombres menaces contre les parents qui envisagent de s’y opposer, pour des pratiques telles que le « bunga bunga ».  » Drôle d’expression, pense Piero, jamais entendu en Italie. » Il l’a entendue à Tripoli en accompagnant Berllusconi lors de sa première visite il y a deux ans, celle du fameux baise-main. L’ambassadeur italien en Libye lui avait expliqué qu’il s’agissait d’une pratique de groupe incluant le sexe anal, de très loin le préféré de Kadhafi.

Rapport d’enquête au sénat italien (on pourrait le dire pour d’autres pays).

 La coopération italienne n’a pas été un instrument de grands développement pour les pays du tiers-monde, mais simplement une occasion de prédation, de gaspillages et de bénéfices pour les entreprises italiennes, protégées et garantie par l’État aux dépens du contribuable. L’ aide aux pays tiers était un résultat marginal, s’il tant est qu’il y en ait eu. Le secteur des grands travaux a été le secteur des vols.

L’Italie et son passé fasciste.

 Et tout ce qui, à tort ou à raison était associé au fascisme était considérés comme un corps étranger, une parenthèse, une déviation du vrai cours de l’histoire de la patrie celui qui reliait l’héroïsme du Risorgimento à celui de la Résistance. L’Italie était un ancien alcoolique qui, comme tout nouvel adepte de la sobriété, ne voulait pas être confondu avec le comportement qu’il avait eu lors de sa dernière et tragique cuite. Elle ne désirait que les petits progrès quotidiens du bien-être moderne qui germait comme les pissenlits de mars sur les décombres.

Le mépris de classe.

 « Récapitulons donc, lança Edoardo Casati pour finir, je vous offre un bon salaire et d’excellentes perspectives de carrière ; en revanche je ne vous offre pas ma gratitude et encore moins ma confiance. Celle-ci se donne entre pairs, et nous deux, nous ne le sommes pas. Vous êtes le fils d’un chef de gare, moi j’ai dans les veines le sang de sept papes. Vous comprenez bien que ni vous ni moi ne pourrons jamais l’oublier. » 

Les bordels en temps de guerre.

 Au bordel de Bagnacavello maintenant, il y avait beaucoup de femmes d’origine moins populaire : veuves de soldats au front, fille de parents exterminés tous les deux par un seul bombardement orphelines des ratissages nazis. La tenancière les avait toutes accueillies dans un esprit d’œcuménisme, sans distinction. Et on peut dire bien des choses horribles sur la guerre, mais pas qu’elle enlève du travail aux putains.

On peut imaginer ce genre de propos de quelqu’un qui lit « Physiologie de la haine » de Paolo Mantegazza.

« Vous êtes jeune et compétent. Mais vous avez encore beaucoup de choses à comprendre. Il y a des peuples qui ont l’esclavage dans le sang. D’autres comme le peuple italien ont la civilisation dans le sang. Et nul ne peut changer ce qui coule dans ses propres veines. »

Edition Gallmeister traduit de l’Américain par Stéphanie Levet

Ce livre est absolument stupéfiant, l’auteur américain a fait la guerre 14/18, il en est revenu et a mis 10 ans à écrire ce livre. C’est la première fois que je lis un récit vu du côté américain, par quelqu’un qui a fait cette guerre. Il a pris l’identité de 113 de ses camarades, ceux de la compagnie « K » et, à travers des récits parfois très courts, il nous raconte mieux que bien des roman, la guerre dans toute son horreur. La lecture est éprouvante car l’auteur ne cherche pas à édulcorer la cruauté de ce qui s’est passé dans les tranchées, dans les assauts, sous les bombardements au gaz, dans les hôpitaux et au moment du retour dans des foyers. Aujourd’hui on n’ en parle plus souvent mais que savait-on alors du choc post-traumatique ? Bien sûr, ne pas savoir nommer cette douleur, ne l’empêchait pas d’exister. Et les derniers textes où l’on voit toute la souffrance de ces hommes blessés dans leur chair et ayant perdu leurs repères de valeurs humaines sont bouleversants.

Nous les verrons monter à l’assaut et mourir, pour la simple raison qu’un capitaine n’a pas su revenir par orgueil sur un ordre qu’il savait absurde. Nous les verrons râler sur la nourriture jamais suffisante, le plus souvent froide. Nous les verrons aller se divertir dans des cafés y rencontrer des prostitués et ramener les maladies qui vont avec. On trouve aussi un moment étrange de paix en pleine guerre sur les bords de la Moselle. On suivra un poète qui n’a jamais su à quel point il a marqué un simple soldat qui n’a pas osé lui dire combien il aimait l’entendre réciter des poèmes. On sera avec ceux qui rêvent d’être blessés pour échapper à cette horreur. On suivra même un petit malin qui réussira à faire cette guerre sans trop souffrir. Mais le coeur du récit, le plus insoutenable, c’est cet acte de barbarie : tuer des prisonniers sans défense. Cela marquera à jamais les hommes de la compagnie K. Et rendra fous ceux qui ont participé à ce crime de guerre, mais à l’époque on ne parlait pas de crime de guerre. C’était la guerre !

Ce livre est une réflexion sur la guerre absolument implacable et chacun des 113 témoignages sont autant de réflexions sur le fait qu’on n’a pas le droit de jouer ainsi avec la vie des hommes.

 

Citations

Le bien et le mal en temps de guerre.

 – J’enlèverai le passage sur l’exécution des prisonniers.
– Pourquoi ? je lui ai demandé
– Parce que c’est cruel et injuste de tirer de sang-froid sur des hommes sans défense. C’est peut-être arrivé quelques fois, d’accord, mais ce n’est pas représentatif. Ça n’a pas pu se passer souvent.
– La description d’un bombardement aérien, ça serait mieux ? Ce serait plus humain ? Ce serait plus représentatif ?
– Oui, elle a dit, oui. Ça, c’est arrivé souvent on le sait. 
– Alors c’est plus cruel quand le capitaine Matlock ordonne l’exécution de prisonniers, parce qu’il est tout simplement bête et qu’il estime que les circonstances l’exigent, que quand un pilote bombarde une ville et tue des personnes qui ne se battent même pas contre lui ?
– Ce n’est pas ausi révoltant que de tirer sur des prisonniers, s’est entêtée ma femme.
 Et puis, elle a ajouté :
– Tu comprends le pilote ne peut pas voir l’endroit où tombe sa bombe, ni ce qu’elle fait, il n’est donc pas vraiment responsable. Mais les hommes de ton récit, eux, les prisonniers étaient sous leurs yeux … Ce n’est pas la même chose du tout. 
Je suis parti d’un rire amer 
– Tu as peut-être raison, j’ai dit. tu as peut-être formulé là quelque chose d’inévitable et de vrai.

Héros ou pas

 J’ai attrapé mon téléphone pour avertir les canonniers et les mécaniciens qu’il y avait un périscope dissimulé sous un cageot. Le navire a viré d’un coup et au même moment l’artillerie a ouvert le feu. Aussitôt on a vu un sous-marin remonter en surface, vaciller puis se retourner dans un jet de vapeur. 
Tout le monde m’a fait la fête et m’a demandé comment j’avais pu repérer que le cageot à tomates camouflait un périscope. Je n’en savais rien, en fait, j’avais simplement deviné juste, c’est tout. Alors comme j’étais un héros intelligent, on m’a donné la Navy cross. Si je m’étais trompé, s’il n’y avait rien eu sous le cageot, j’aurais été une ordure et le dernier des couillons, un déshonneur pour la troupe et, à tous les coups, ils m’auraient envoyé au trou. On me la fait pas à moi.

L’absurdité .

 On a été momentanément détaché de notre division et rattachés aux Français, et pendant six jours et six nuits on a combattu sans sommeil et sans trêve. Comme on se battait sous les ordres des Français, c’étaient eux aussi qui nous donnaient le ravitaillement et les vivres. Quant le premier repas est arrivé, il y avait du vin rouge et une petite ration d’eau de vie pour chacun d’entre nous. On avait faim et froid, on était extrêmement fatigués, l’eau-de-vie nous a réchauffé les sangs et nous a rendu les longues nuits supportables.
 Mais le deuxième jour, quand ils ont apporté le repas, le vin et l’eau-de-vie avaient disparu des rations des soldats américain. Les œuvres de bienfaisance françaises s’étaient élevées contre le fait qu’on nous distribue de l’alcool : on craignait que la nouvelle ne parvienne jusqu’aux États-Unis, où elle risquait de contrarier l’Union des femmes chrétiennes pour la tempérance, et le bureau des méthodistes pour la tempérance, la prohibition et les bonnes mœurs.

Un moment de paix pendant la guerre .

 La nuit où on a pris la relève, les Français nous ont expliqué les règles du jeu et nous ont demandé de les respecter : le matin les Allemands pouvaient descendre au bord de l’eau pour nager, faire la lessive ou ramasser des fruits dans les arbres de l’autre côté du fleuve. L’après-midi, ils devaient disparaître et on avait toute liberté de nager, de jouer ou de manger des prunes de notre côté à nous. Ça marchait impeccablement.
 Le matin les Allemands nous ont laissé un mot où il s’est excusé de devoir nous informer qu’on allait être bombardé dès ce soir là, à 10 heures, et que le tir de barrage allait durer vingt minutes. Et ça n’a pas raté, l’artillerie a ouvert le feu mais tout le monde s’était repliée d’un kilomètres vers l’arrière et était allé se coucher, et il n’y a pas eu de mal. On a passé douze jours magnifiques stationnés près de la Moselle et puis à notre grand regret, on a levé le camp. Mais on avait tous appris une chose : si les hommes de rang de chaque armée pouvaient simplement se retrouver au bord d’un fleuve pour discuter calmement, aucune guerre ne pourrait jamais durer plus d’une semaine.

La fin et l’oubli.

 J’étais là à réfléchir , à essayer de me rappeler le visage des hommes avec qui j’avais servi, mais je n’y arrivais pas. Je me suis rendu compte, alors, que je ne me serai pas rappelé la tête de Riggin lui-même si je n’avais pas su avant qui il était. J’ai commencé à me sentir triste, tout ça s’est passé il y avait tellement longtemps, il y avait tellement de choses que j’avais oubliées . Je regrettais d’être venu au camp. Pig Iron et moi, on restait plantés là, à se regarder. On avait rien à se dire finalement. On a refermé l’ancien bâtiment et puis on est sortis.

 

 

 

Édition Seuil

 

Dicton syrien

 « En chaque personne que tu connais, il y a quelqu’un que tu ne connais pas. »

 

Je vais finir par croire que les apiculteurs sont des humains supérieurs après « les abeilles grises » et « les abeilles d’hiver » voici l’histoire de deux apiculteurs pris dans la tourmente de la guerre en Syrie. Le portrait de ces apiculteurs ont des points communs, ils résistent tous à l’ambiance totalitaire ou à la guerre. est-ce le fait qu’ils sont amenés à mieux comprendre le comportement des abeilles qui les conduit à relativiser les engagements politiques extrémistes ?

J’avais déjà bien aimé de la même auteure « Les oiseaux chanteurs » sur un drame se passant à Chypre le pays dont elle est originaire.

En tout cas le portrait de Nuri et de son cousin Mustapha, les deux apiculteurs d’Alep est de la même trempe que celui de Sergueï – héros involontaire ukrainien ou celui d’Egidius Arimond – cet homme qui cachaient des juifs dans ses ruches. Les deux cousins, non seulement récoltent le miel de leurs abeilles mais ils ont également crée une petite entreprise autour de l’exploitation des ruches : miel, cire et autres produits dérivés, leur affaire marche très bien. La guerre va hélas tout détruire et comme les deux cousins tardent à partir – pour ne pas abandonner leurs abeilles- leurs deux fils vont être tués. La douleur est trop intense, en particulier pour Afra, la femme de Nuri qui en état de sidération et ne veut plus quitter la Syrie alors que c’était encore assez facile de le faire. Elle finira par accepter et avec Nuri les voilà sur le chemin de cet exil si douloureux pour les syriens qui ne sont pas partis assez vite. Ils connaîtront la traversée vers la Grèce dans un canot pneumatique, les camps en Grèce. C’est d’ailleurs là que tous les deux rencontreront l’horreur absolue. On sent que l’écrivaine y a elle même séjournée longuement , car elle sait nous rendre palpable l’insoutenable. Puis finalement ils arrivent en Grande Bretagne où les attend le cousin Mustapha.
Ne vous inquiétez pas je ne divulgâche rien du récit , car Chrsty Leftery commence son récit en Grand Bretagne, dans la pension où Afra et Nuri attendent de recevoir un statut de réfugiés politiques. Cette écrivaine mêle avec talent les trois temps forts du récit : Alep et la guerre, les destructions par les bombardements russes, les meurtres gratuits de l’état islamique, et le parcours des exilés via la Grèce. Afra est devenue aveugle de trop de souffrance et Nuri a des crises de panique totale pendant lesquels il revit les horreurs de son passé récent.
Je ne dis rien d’un petit Mohammed de l’âge de leur fils (7 ans ) qui va les accompagner pendant leur fuite car je ne veux pas enlever l’effet de surprise que vous aimez tant.

Un livre d’une beauté totale grâce à une écriture très en finesse. On sent bien la retenue de Christy Lefteri face aux horreurs qu’elle a rencontrées en Grèce.

 

Citations

J’ai tout de suite aimé le style de cette écrivaine .

 Il y avait notamment un tableau du Qouiiq que j’aimerais revoir. Elle en avait fait un pauvre caniveau traversant le parc de la ville. Afra avait don. Elle révélait la vérité des paysages. Cette toile et sa rigole dérisoire représentent à mes yeux notre combat pour rester en vie. À une trentaine de kilomètres au sud d’Alep. Le Qoueiq renonce à lutter contre l’impitoyable steppe syrienne et s’évapore dans les marais.

Destruction d’Alep.

Je lui avais pourtant dit que le souk était vide, une partie des allées bombardée et incendiée. Ces ruelle qui grouillaient naguère de marchands et de touristes étaient devenues le territoire de l’armée, des chiens et des rats. Tous les étals étaient abandonnés, hormis un, où un vieil homme vendait du café aux soldats. La citadelle convertie en base militaire était entourée de chars.

Procédé de mise en forme , je n’ai pas trouvé le pourquoi de ce procédé sauf peut être que tout s’enchaîne ?

Chaque chapitre se termine avec un mot en moins
Qui est à la fois le nom du prochain chapitre
Exemple :
Mes yeux restent ouvert dans le noir, car j’ai peur de
Le Chapitre suivant s’appelle :
la nuit
et débute ainsi :
tombait ; nous étions à Bab al-Faradj, dans la vieille ville.

La mer, l’attente .

 Le bateau parti la veille avait chaviré et la plupart des gens à bord avaient disparu. Seules quatre personne avaient été repêchées et on avait retrouvé huit cadavres. Voilà le genre de conversations que j’entendais autour de moi.

Genre de pensées qui torturent les survivants.

 Souvent, je regrette d’être resté à Alep, de ne pas être parti avec ma femme et ma fille, car, alors, mon fils serait encore parmi nous. Cette pensée me donne envie de mourir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, changer les décisions que nous avons prises. Je n’ai pas tué mon fils. Je m’efforce de m ‘en souvenir pour ne pas errer à jamais dans les ténèbres.

Les camps de réfugiés.

 C’était sale et, même à l’air libre, l’odeur était pestilentielle : un mélange de pourriture et d’urine. Mais notre guide poursuivit son chemin sans s’arrêter. Plus on s’enfonçait dans le parc, plus les sentiers étaient défoncés et envahis de mauvaises herbes cassantes. Quelques personnes promenaient leur chien, des retraités bavardaient sur des bancs. Plus loin des drogués préparaient leur dose. Enfin, nous débouchâmes sur un autre campement. Neil nous trouva un espace sur des couvertures entre deux palmiers. En face se dressait la statue d’un ancien guerrier. Un homme émacié était assis sur le piédestal. Ses yeux me rappelèrent ceux des jeunes dans la cour de l’école la veille.
 Cet endroit avait quelque chose de malsain, mais je ne m’en aperçu que bien plus tard, après le départ de Neil lorsque la nuit se referma sur nous . Les hommes se regroupaient en meutes, comme des loups. Les Bulgares, les Grecs, les Albanais. Ils regardaient et attendaient quelque chose : ça se voyait dans leurs yeux. Des yeux de prédateurs intelligents.
 Il faisait froid. Afra frissonnant. Elle n’avait quasiment rien dit depuis notre arrivée. Elle avait peur. Je l’enveloppais de couvertures. Nous n’avions pas de tente, seulement un grand parapluie qui nous protégeait du vent du nord. Quelqu’un avait allumé un feu à côté. Il nous réchauffait un peu mais pas assez pour nous procurer du confort

 

Édition belfond. Traduit de l’anglais (Royaune-Uni) par Diane Meur

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

 La honte, ce n’est pas comme la culpabilité ; elle n’admet pas de réparation. Les juifs dont je parle sont morts. Ceux qui avaient mon âge à l’époque n’auront jamais donné le jour à des enfants, à des petits enfants. La honte ne s’expie pas ; elle est une dette impossible à s’acquitter

 

Ce roman, que j’ai lu avec un grand intérêt, se présente comme une longue lettre d’un grand-père allemand à son petit fils écossais. Le grand père était soldat de la Wehrmacht et a fait toute sa guerre sur le front de l’Est. Il raconte surtout la débâcle allemande de 1944 avec son lot d’horreurs insoutenables. Ce long récit est interrompu par les souvenirs du petit fils de ce grand-père qu’il a tant aimé.

Le grand-père a besoin de dire tout de suite qu’il n’a rien vu de la Shoa et explique très peu son adhésion au nazisme qui semble anecdotique par rapport à son engagement dans l’armée. Le nazisme est représenté par un des membres du petit commando dont nous allons suivre la progression à travers les plaines de l’Ukraine et de la Pologne, et c’est le personnage le plus odieux.
Ce roman, car c’est un roman, même si l’auteur a lui-même une ascendance allemande, on ne peut pas savoir s’il s’agit vraiment de son propre grand-père. En revanche tout ce qu’il décrit, comme horreurs du comportement de l’armée sur le front de l’est est véridique. Le grand père pense qu’à l’Est tout était permis et que rien n’était là pour arrêter la barbarie de l’armée. Il décrit aussi comment jusqu’au dernier moment la police militaire allemande tuait les déserteurs, aujourd’hui où cette région est de nouveau la proie de la guerre il y a des points communs si tristes, cela m’a fait penser au sort des déserteurs Russes de la divisions Wagner.

Un livre qui permet de comprendre la barbarie de l’armée mais pas l’adhésion au Nazisme, on pense quand même que ce bon soldat s’il avait dû assassiner des Juifs, il l’aurait fait par obéissance. D’ailleurs il décrit un épisode dans un café de Varsovie où il a eu une attitude peu glorieuse. Pour mieux comprendre l’engagement de toute une population dans le nazisme, je recommande deux livres qui m’ont bien aidé à ouvrir les yeux  : « un bon allemand » de Horst Krüger, et surtout « l’histoire d’un Allemand » de Sebastian Haffner.

 

Citations

Son grand père .

 Je n’ai pas été un nazi. Aucun tribunal, même omniscient, ne me jugerait coupable de quoi que ce soit. Ce que je peux te raconter ne concerne ni des atrocités, ni un génocide. Je n’ai pas vu les camps de la mort et je ne suis pas qualifié pour en dire un seul mot. J’ai lu le livre de Primo Levi sur ce sujet, une comme tout le monde. Sauf qu’en le lisant, nous les Allemands, nous sommes obligés de penser : Nous avons commis cela.

La boue, en Ukraine.

 Plus ils avançaient sur la pente, plus le camion s’embourbait dans la glaise mouillée, de sorte que les perches n’étaient plus qu’à la hauteur de leurs genoux. Les roues ont fini par se bloquer. Alors le lourd engin a commencé de glisser à reculons vers la file de véhicules massés derrière lui.
 Un cadavre était resté pris dans la glaise au bas de la pente, un des nôtres, un Allemand. Personne n’avait le temps ni le loisir de le retirer et chaque fois que le camion dans son va et vient passait sur ses jambes en partie enfouies, le torse raide se relevait au dessus du sol. Le camion allait, venait. Et à chaque passage, le visage gris à la peau fendue et le torse meurtri émergeait de la boue. Je me souviens d’avoir pensé : Nous sommes en enfer. C’est l’enfer ici, et nous sommes des damnés.

La responsabilité des Allemands.

 Il est difficile de séparer les circonstances et l’homme. Mais dire que j’ai été à la merci des circonstances serait trop simple. L’époque à laquelle je vivais m’a conduit dans ces potagers, la faim au ventre, une barre à mine dans la main, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas agi ou que je n’ai pas mangé.
Quand je me pose la question de savoir si nous étions tous immoraux, ou si nos actes répréhensibles faisaient de nous des êtres mauvais, je me dis que nous avons été flétris par les conséquences de décisions prises par d’autres (…)
Et moi à titre personnel ? Telle est la question à laquelle je m’efforce ici de répondre.

Guerre à l’est .

Même aux moments dont je te parle, à l’automne 1944, quand le vent avait déjà tourné et que les Allemands en France fuyaient sous les bombardements américains comme des poux sous la flamme d’un briquet, il valait sans doute mieux se trouver à l’Ouest. Les lois de la guerre, ce paradoxe raffiné, y avaient encore cours. Des atrocités étaient commises aussi, mais c’était une violation des règles et non leur pure et simple abolition 
(…)
 Mais nous les Allemands nous savons dans notre chair -et les Polonais, les Ukrainiens, les Juifs et les Russes- le savent aussi que la guerre à l’Est était la seule vraie : nue, impitoyable, affranchie de toute loi, exempte de toute compassion, une pure affaire de haine et d’annihilation. Sur huit soldats allemands tués, sept l’ont été à l’est et à l’échelle des pertes russes on peut à peine dire que les puissances occidentales ont fait la guerre.
 Pendant de première année à l’Est, nous les Allemands, avons sciemment laissé mourir de faim un demi-million de prisonniers russes. Il m’est arrivé d’observer un homme dépérir ainsi, d’avoir été moi-même affamé, et cet état n’est pas indolore. Cela ne vous met pas dans un état de léthargie hébété. Cela vous rend fou. Cela seul, parmi tous les actes que nous avons commis était déjà un crime qui exigerait des monuments, des discours et des journées commémoratives, mais, parce qu’il a été perpétré à l’Est on s’en souvient à peine.

Essayer de comprendre.

Mais qu’est-ce qui au départ nous a fait commettre ce que nous avons commis, voilà ce qu’ils n’expliquent pas. Car enfin, le communisme s’est développée partout en Europe ; le nazisme, lui, ne s’est vraiment développé que chez nous.

 Je pense qu’il s’agissait en partie d’obéissance, que nous avons consentie pour nous laisser mener à l’abîme. Et je pense aussi qu’il y avait à l’œuvre une violence, quelque chose de dément. Une aspiration de puristes à la « tabla rasa ». Une fêlure dans notre psyché nationale sur laquelle nous avons réglé nos actes avec calme et méthode, je dirais même avec humanité. Je suis sûr que les Feldgendarmen se trouvaient très humains de pendre nos soldats plutôt que de les crucifier eux aussi.


Édition Feryane (gros caractères) traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Ce roman a eu un tel succès que je n’ai pu le trouver qu’en gros caractère dans une petite bibliothèque assez loin de chez moi. Ce n’est ni agréable ni gênant de lire ainsi. (Je me demande si cela aide vraiment les gens qui ne voient pas très bien). J’avais déjà lu « le pingouin » du même auteur, je me souviens que l’aspect déjanté du roman ne m’avait qu’à moitié plu.

Mes cinq coquillages disent que pour ce roman je n’ai aucune réserve. Et ceci pour plusieurs raisons :

  • Que savions nous vraiment de l’Ukraine avant que les Russes ne décident d’envahir ce pays ?
  • En 2014, certaines provinces sont tombées sous la coupe de « pro » russes et la Crimée a été rattachée à la Russie, mais qu’en était-il des populations ? Se sentaient-elles russes ou ukrainiennes ?
  • Comment vivent les citoyens ordinaires dans des villages coupés du monde sans électricité la plupart du temps ?
  • Que peuvent apporter les abeilles aux hommes ?

À travers un personnage étonnant Sergueï Sergueïtch, apiculteur, qui est resté vivre dans son village sur la zone de front, Starogradivka, j’ai mieux compris que par les multiples reportages ce qui ce passait dans cette région de l’Ukraine. Son village ne compte plus que deux habitants : lui et son pire ennemi Pachka . Sergueï n’est pas un héros ni un personnage très sympathique, il va le devenir au cours de ce roman. Sa femme l’a quitté et on devine parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme si casanier qui ne supportait pas que l’on puisse appeler une petite fille Angélica (trop original pour le village !). La solitude lui pèse, mais pas tant que ça, il va devoir se rapprocher de son ennemi d’école primaire et une forme d’entente va se créer entre eux. Tous les deux vivent au grès des bombardements qui passent au dessus de leur tête, ils sont habitués ! ! De temps en temps, Sergueï va dans un village un peu plus loin et prend du ravitaillement. Il va essayer aussi d’enterrer un soldat tué sur cette ligne de front, il ne pourra que le recouvrir de glace. C’est un véritable acte de bravoure car il sait que les deux camps observent cette zone où personne ne doit passer.

L’été arrive et avec l’été, il lui faut trouver un endroit propice pour ses abeilles. Il trouve d’abord un lieu parfait dans la campagne ukrainienne , mais sans s’en rendre compte, il va attiser la jalousie des hommes du villages car il plait beaucoup à l’épicière du village. La guerre le rattrape, un des villageois, revenu complètement traumatisé de la guerre, a des accès de violence incontrôlés et vandalise la voiture de Sergueï à coups de hachette, il décide donc de partir en Crimée.

Là encore le quotidien de la guerre va le rattraper. Il doit passer différentes « frontières » et ça prend beaucoup de temps et d’interrogatoires très pénibles. En Crimée il ne connaît qu’un homme apiculteur, c’est un Tatar et ses ennuis vont s’aggraver.
En voulant aider cette famille, il va réveiller les vieux démons racistes des autorités russes et la famille tatar paiera très cher sa présence ainsi que ses abeilles. Il ne pourra que s’enfuir en aidant la fille de la famille à franchir la frontière pour se rendre en Ukraine faire des études.

Voilà pour la trame du récit, en ne vous inquiétez pas pour le « divulgachâge » ce ne sont pas les événements qui font la puissance de ce récit. C’est la compréhension que, peu à peu, se fait Sergueï de ce qui l’entoure et l’impossibilité d’agir sur la vie lorsque ceux qui ont le pouvoir sont complètement corrompus et qu’aucune logique ne semble être à l’oeuvre dans leur conduite. On peut trouver que cet homme est trop passif et limité intellectuellement, mais je pense que rester à ce niveau du personnage permet à l’écrivain de faire comprendre aux lecteurs ce que vit exactement la population. Je pense que la Russie va obtenir exactement le contraire de ce que voulaient les dirigeants à savoir créer un sentiment national qui était loin d’exister en 2014. Les habitants n’avaient aucune envie de se sentir Russes ou Ukrainiens mais ils voulaient simplement vivre tranquillement dans leurs villages. Déjà, l’esprit de clocher ne portait pas à l’ouverture d’esprit mais les pires sentiments vont être exacerbés par la guerre et donc le nationalisme semble une solution toute simple.

Un roman qui sert de base pour comprendre le conflit actuel et est servi par un grand écrivain ukrainien russophone qui doit être bien triste de voir son pays détruit de fond en comble par des Russes persuadés qu’ils sont dans leur bon droit.

 

Citations

Sergueï et Pachka.

En un instant, il s’était rappelé les vacheries commises par l’autre, ses coups par en dessous, ces cafardages auprès des profs, ses refus de laisser copier. Dites : après 40 ans, il aurait pu avoir déjà pardonné et oublié tout ça ! Eh bien, pardonner, ça oui ! Mais comment les oublier quand leur classe comptait sept greluches et seulement deux gamins : Pachka et lui ? Et qu’en conséquence Sergueï n’avait jamais eu d’amis à l’école, mais seulement un ennemi. Même si le mot « ennemi » avait quelque chose de trop sérieux et pesant. Au village on aurait dit qu’il était « chtit » le terme convenaient mieux un « petit ennemi » en somme, dont personne n’avait peur. 

La vie et la mort dans un village.

 Quand on vit longtemps dans un endroit, on a toujours plus de familles enterrées qu’en bonne santé à côté de soi.

Le poids du silence et de la solitude.

 Cinq jours passèrent, tous identiques, tels des corbeaux. Pareille comparaison ne serait pas venue à l’esprit de Sergueïtch si au cours de ces journées tranquilles et monotones, le seul bruit à remplir de temps à autre les alentours n’eût été le croassement de ces oiseaux. 
« Peut-être annoncent-ils le printemps ? » songeait l’apiculteur tendant vainement l’oreille en quête d’autres bruits dans le monde environnant.

Humour.

 « Et vous avez fabriqué ce grand coffret spécialement pour des chaussures ? 
– Bon, ce n’est pas tout à fait un coffret, c’est un chaussurier, corrigea Sergueïtch. Un coffret, c’est plus petit.
– Un chaussurier ? répéta Petro. Ça existe un mot pareil ?
– Il y a bien des cendriers, non ? des sucriers ? répondit l’apiculteur. pourquoi il n’y aurait pas des chaussurier ?

Le sort des abeilles.

 Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains.

 


Édition « La belle étoile. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Pavcoñ)

 

Quand j’ai compris que ce roman se situait au Liban , j’ai immédiatement répondu à Babelio que j’avais très envie de le lire. Il a bien pour toile de fond ce pays qui m’est cher, avant la terrible crise économique qui a réduit à la misère tous mes amis universitaires. On sent dans ce roman à quel point ce pays est incapable de renaître de ses cendres, les feux dont il s’agit dans le titre sont ceux qui sont provoqués par la population qui n’en peut plus de vivre dans les ordures jamais ramassées .
Les trois coquillages montrent ma déception, je pensais connaître un peu mieux ce pays, en réalité je connais tout sur l’histoire d’amour contrariée de Mazna une jeune fille syrienne qui a un talent certain pour le théâtre mais qui n’arrivera pas à devenir actrice aux États-Unis car elle a suivi un homme dont elle n’était pas amoureuse, Idris un jeune libanais qui vient d’une famille plus riche que la sienne. Mazna était follement éprise de Zakaria un réfugié palestinien et ami presque frère d’Idriss. Zakaria est tué car il a lui-même tué des chrétiens et Idriss et Mazna s’enfuient. Ensemble ils auront trois enfants dont nous allons suivre le parcours.
l’aînée, Ava chercheuse en biologie et mère de deux enfants, est mariée à un américain, son couple subit quelques turbulences. Marwan le fils préféré de sa mère, doit choisir entre une carrière de chanteur ou la cuisine et sa vie avec sa fiancée Harper, et enfin Najla homosexuelle et chanteuse à succès qui est revenu vivre et faire carrière au Liban.

Ils se retrouvent tous à Beyrouth car Idriss a décidé de vendre la maison de sa famille. Ce sera l’occasion de raviver les souvenirs que les parents préfèrent oublier. Il faut 420 pages à cette auteure pour faire émerger tous les secrets autour de Zakaria. Ma déception vient de ce que histoire si classique ne fait pas revivre le Liban, à cette nuance près que certaines décisions pouvaient entraîner la mort plus facilement qu’ailleurs. On sent aussi le poids des traditions dans l’éducation des filles et aussi la façon dont la proximité de la mort et de la guerre fait que la jeunesse fonce dans tout ce qui peut lui faire oublier les duretés de la vie et à quel point elle peut être brève : on boit beaucoup, on fume sans cesse et toutes les drogues sont possibles et la musique est toujours à fond.

Donc, une déception pour moi. Je lis sur la présentation de cette écrivaine qu’ « Hala Alyan américo-palestinienne est clinicienne spécialisée dans les traumatismes, les addictions et l’interculturalité ». Je crois que j’aurais préféré que son roman se passe aux USA et qu’elle me fasse découvrir les difficultés pour une jeune américano-palestinienne d’assumer deux cultures. Car, pour ce qui est du Liban, je n’ai vraiment rien appris et je ne l’ai pas senti vivre contrairement par exemple aux roman de Charif Majdalani que j’aime tant.

 

Citations

C’est tellement vrai.

Ava se résigne à endurer le tourbillon de circonvolutions maternelles. « Zwarib » est le mot qu’on emploie en arabe pour décrire ces tours et détours qui ne servent qu’à éviter d’aborder le cœur du sujet. Sa sœur Naj appelle ça du terrorisme linguistique.

J’aime bien ce genre de voix.

Najla adorait la musique. Elle avait une voix hors du commun, rugueuse et gutturale légèrement fausse, mais suffisamment hardi pour que personne ne sente soucie.

Explications des guerres libanaises par un metteur en scène de théâtre en 1972.

Les colonisateurs ont pesé, bien qu’indirectement, dans toutes les décisions politiques qui ont été prises depuis l’époque ottomane. Chaque pays a son oppresseur : les Britanniques pour la Palestine, les Français pour le Liban. Les Occidentaux ont redessiné les frontières. C’est la raison pour laquelle les rues de Beyrouth portent des noms français. Ce sont eux qui ont mis sur pied la structure parlementaire qui distribue le pouvoir de manière injuste. C’est leur faute si les Palestinien sont arrivés ici par milliers en 1948, puis en 1977. Je veux que vous gardiez à l’esprit durant les répétitions, les plus grands criminels de guerre sont toujours en coulisse, même s’ils sont à des continents d’ici. 

Un autre point de vue .

 Les gens n’ont pas besoin de prétexte pour se détester. Nous sommes programmés pour blâmer les autres de notre malheur. et quand ton prêtre, ton imam ou Big Brother te fait croire que tout un tas de gens te détestent, tu prends rarement le temps de vérifier s’il dit la vérité. 

Très possible.

Le feu passe au vert. Ava range son téléphone, bien qu’elle doute de risquer une amende ici. Un jour, elle avait vu un homme conduire avec son fils sur les genoux. L’enfant tenait un cendrier.

 

Édition Seuil . Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli

A obtenu un coup de coeur au club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

De la Finlande pendant la deuxième guerre mondiale , j’avais retenu peu de choses. Je savais que les Finlandais avaient repoussé les Russes en 1940 et que la fameuse « finlandisation » voulait dire qu’ils avaient cédé après la guerre une partie de leur territoire contre une paix avec les Soviétiques. Le roman de Petra Rautiainen nous plonge dans une autre réalité qui n’est pas sans rappeler « Purge » traduit aussi par Sébastien Cagnoli. entre les Nazis-racistes et les soviétiques-exterminateurs qui choisir pour rester en vie ?

Ici, se mêle deux moments assez proche 1944 et les camps de prisonniers tenus par les allemands et 1949 la quête d’une femme qui veut connaître le sort de son mari dont le dernier signe de vie se situe dans un de ces camps. Ce qui se passe en 1944 est décrit à travers un journal tenu par un gardien finnois qui décrit au jour le jour le sort réservé aux pauvres hommes sous la coupe de sadiques nazis allemands. Le récit de la femme se heure à une omerta : personne ne veut se souvenir de cette époque. Et cela pour une simple raison c’est qu’il n’y a pas de frontières entre les gentils et les méchants. Au delà du nazisme et des soviétiques il y a donc les Finnois qui ont lutté pour leur indépendance, mais ils ont été eux-mêmes gangrénés par l’idéologie raciale en vigueur et pour bâtir une Finlande de race pure il faut « contrôler » voire « supprimer ? » les Samis ceux que vous appeliez peut-être comme moi les Lapons. (J’ai appris en lisant ce roman que lapon est un terme raciste qui veut dire « couvert de haillons »)

Alors, dans ces camps on fait des recherches sur la forme des crânes et on prend en photos tous les prisonniers et on l’envoie dans un grand centre de recherche pour la race qui bien sûr sera supprimé après la guerre.
C’est cet aspect de la guerre qui rendra muets tous les témoins qui auraient pu expliquer à Inkeri Lindviste ce qui est arrivé à son mari Karloo.

L’atmosphère est pesante, l’angoisse de la mort toujours présente dans le journal du gardien et cela ne rend pas la lecture facile. J’aurais vraiment aimé avoir un petit résumé historique pour m’y retrouver et un détail m’a beaucoup déplu le traducteur ne traduit pas les dialogues quand ils sont dit en Sami. Je n’arrive pas à comprendre l’utilité d’un tel procédé. Autant pour des Finnois cela peut leur montrer qu’ils ne comprennent pas une langue parlée par des populations vivant dans le même pays qu’eux autant pour des français, ça n’a aucune utilité.

Les deux autres reproches que je fais à ce roman, c’est le côté très confus des différentes révélations et le peu de sympathie que l’on éprouve pour les personnages. Mais c’est un roman qui permet de découvrir une époque très importante pour la Finlande et rien que pour cela, je vous le conseille. Mais ayez à côté de vous Wikipédia pour vous éclairer sur ce moment si tragique de l’histoire de l’humanité.

 

 

Citations

Dans des camps prisonniers en Finlande en 1944.

 Lorsque le médecin est ici avec son assistante, les mesures sont de son ressort ; le reste du temps, elles nous incombent aussi. Je n’avais encore jamais fait ce travail, c’est répugnant. On a beau laver et astiquer les prisonniers russes, leur odeur est épouvantable. Nous mesurons la largeur de la tête et vérifions l’état des organes génitaux, en particulier la présence du prépuce.

Un pays aux multiples ethnies appelées en 1944 des races inférieures.

Quelqu’un m’a dit qu’elle est du fjord de Varanger, où de plus loin encore, vestige de temps reculés, apparenté aux Aïnous et aux nègres du Congo. Un autre, en revanche, est convaincu qu’elle ne vient pas du fjord de Varanger : ce serait une Same d’Inary ou d’Utsjoki, ou bien une Skoltec du pays de Petsamo, ou encore une Finnoise de la péninsule de Kola. Un troisième a déclaré que c’est une Kvène du Finnmark. Ou peut-être un peu tout ça, une bâtarde. De race inférieure, en tout cas, m’a-t-on certifié. « Elle est prisonnière, alors ? »ai-je demandé mais personne n’est sûr de rien. De mémoire d’homme, elle a toujours été là.

Les rapports des allemands avec des femmes de races inférieures.

 Pour les nazis, la trahison à la race, c’est encore plus grave que d’appartenir à une race inférieure. Les nazis qui se sont accouplés avec une dégénérée, ils sont exécutés le dimanche matin sur le coup de six heures.

Enfin(page 171)une explication sur ce qu’est une boule de « komsio » car aucune note n’explique ce genre de mots.

 Ensuite, elle a arraché la trachée et l’a mise à sécher pendant deux jours. Elles avait ramassé un bout d’os quelque part, je ne sais pas, s’il venait aussi du cygne. Sans doute. Peut-être. Le dernier soir, elle l’a glissé dans la trachée, puis elle a tordu le tout pour former une petite boule qui tinte lorsqu’on la secoue. 
 C’est un jouet traditionnel same : une boule de « komsio » qui chasse les mauvais esprits. En général, on l’offre au nouveau-né. Selon la légende, un hochet fabriqué à partir d’un os de cygne fait pousser les ailes aux pieds de l’enfant. Ainsi, il pourra s’envoler en cas de danger.

Les recherches pour créer une race pure .

Juin 1944
 On voit encore circuler des brochures sur l’avancement des recherches en vue de la création d’une race aryenne parfaite. Ces écrits ont pour objectif de stimuler l’esprit de groupe, tout particulièrement par les temps qui courent. Un exemplaire à faire tourner passe de gardien à l’autre. Le docteur Mengele a réussi à produire un enfant aux iris parfaitement bleus en lui injectant un produit chimique dans les yeux.
 Il y a une dizaine de globe oculaire juifs qui traînent en ce moment même à l’institut Kaiser-Wilhem, dans des bocaux en verre, dans une petite vitrine blanche.

L’horreur des camps tenus par les nazis .

Le commandant lui avait ordonné, avec l’aide d’un collègues, de ligoter le prisonnier aux barbelés. Nu. Insectes, morve, mouches et moustiques n’avaient pas tardé à recouvrir son corps. Olavi avec cru voir des mouches du renne, un parasites qu’il n’aurait pas cru susceptible de s’intéresser à l’humain. Les animaux dévoraient des yeux, le sang coulait chaque fois que le prisonnier essayait zde les chasser, car au moindre mouvement les barbelés s’enfonçaient davantage dans sa chair. Les détenus et les gardiens, et même le commandant suprême, durent assister à ce spectacle pendant un certain temps avant d’être autorisés à se retirer. 
Le type avait survécu jusqu’au lendemain. le matin on l’avait décroché. Il puait la merde et la pisse, les œufs pondus par les moustiques commençaient à éclore. Sa peau était couverte de bosses, de sang, rongée, sucée. Sa bouche ruisselante d’un rouges brillant était le seul élément encore identifiables sur son visage défiguré. Il fut envoyé aux chantiers à pied, à vingt kilomètres de là. Il avait beaucoup de difficultés à marcher et, avant d’avoir parcouru péniblement une vingtaine de mètres, il s’était affaissé définitivement. L’un des gardiens avait poussé le corps du bout de sa botte. Pas de mouvement. Il avait pris le pouls. Mort.

 

 

 

Édition Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Genre de phrases que j’aimerais retenir :

Pas plus qu’elle n’arrête les guerres, la morale ne désarme la violence.

 

Cet auteur dédie son livre à son professeur de latin de sixième qui lui a donné la passion de cette langue et de la civilisation romaine. J’ai tant souffert sur les versions latines et je n’ai trouvé aucun charme aux textes de Cicéron (le Pois-Chiche) que j’ai commencé ce roman avec une grande envie qu’il me plaise : enfin un homme érudit allait régler son compte à celui qui avait assombri ma scolarité. Effectivement Cicéron n’en ressort pas grandi, c’est le moins qu’on puisse dire : en se donnant l’air de défendre la République il ne cherchait qu’à se remplir les poches de la pire des façons : Provoquant des guerres civiles pour pouvoir jouer des uns contre les autres, offrant ses services de grands orateurs au plus puissant, passant de Pompée à César puis à Marc Antoine sans aucun scrupule. Ce qui finalement créera sa perte (oui pour une fois je peux raconter la fin, elle est dans tous les livres d’histoire !) c’est la première turpitude qu’il a commise : il sera assassiné à son tour pour avoir exécuté sans jugement des patriciens qui avaient soutenu Catalina.

Pour nous faire revivre cette époque l’auteur crée un philosophe grec, Metaxas, ami de Clodius, qui lui a existé. Cet homme le fait venir pour dénoncer les manœuvres de Cicéron et écrire des discours aussi brillants que ceux du « pois chiche » qu’il déteste de toute ses forces. Rome cette superbe, fascinante et si dangereuse cité va revivre pendant trois cent pages. Comme moi, vous serez touchés par le sort des esclaves, vous serez dégoûtés par les orgies romaines, vous serez étouffés par les complots politiques , vous détesterez Cicéron mais, hélas, vous comprendrez pourquoi la civilisation grecque qui est tellement plus belle n’a pas résisté à l’organisation des armées romaines.
J’ai beaucoup aimé ce roman historique, s’il n’a pas reçu cinq coquillages, c’est que je trouve qu’il demande une culture latine très poussée. Je consultais sans arrête Wikipédia pour m’y retrouver, et au bout d’un moment je confondais tous les personnages, et puis, tant de sang versé a fini par me dégoûter.

Je conseille à toutes celles et tous ceux qui ont été intéressés par la civilisation latine et grecque (et qui malgré cela ont eu de mauvaises notes aux version des textes de Cicéron !) de lire ce roman historique et savourer l’érudition de cet excellent écrivain.

 

Citations

Portrait d’un centurion romain.

 Leur chef s’est approché, de la démarche lourde et pesantes d’un cyclope. Un parfait physique de mauvaise nouvelle. Crotté par le voyage, velu et sombre, on aurait dit le fruit du croisement entre un gladiateur et une femelle ourse. Je pense qu’il s’agissait d’un décurion mais je confonds les grades romain et, s’il en affichait un, la poussière l’avait effacé. Sortait-il d’un grenier ou d’un cachot ? Mystère. Quand il s’est planté devant moi, je me suis levé. Seule la table nous séparait. Surtout ne pas faire mon malin. Face à ce spécimen, même Thémistocle aurait frémi. Je lui arrivait à l’épaule. Son cou et ses bras avaient l’épaisseur de mes cuisses. Sa paupières s’abaissait lourde comme un bouclier pour délivrer, excédée, le plus clair des messages implicites : moi, brave romain, vaillant, résolu, simple et intrépide, vais devoir m’adresser à cette petite chose grecque, pensante, jacassante et raisonnant. Ces bêtes mal dégrossies prennent Athènes pour le satin dont Rome double ses cuirasses.

Rien ne change .

Il me tutoyait, en latin bien sûr. Ce genre d’occupant ne se fatigue pas à apprendre la langue des gens qu’il commande. Ni à employer leurs formules de politesse.

Le mauvais goût romain .

Une cohorte de statues encombrait l’immense atrium où l’on me fit entrer. Les romains en font toujours trop. On se serait cru dans le vestiaire des jeux olympiques. Ou, pire, chez un marchand. Il ne manquait que l’étiquette des prix.

Quel humour : les rapports avec sa femme et la religion.

Avant de m’amener à lui ( au capitaine du bateau), Tchoumi à exigé qu’on se rende dans un petit temple dédié à Poséidon. Je n’avais rien à lui refuser et me suis plié au rituel par gentillesse. Les dieux ne m’intéressent pas. S’ils ont voulu les malheurs des hommes ils sont méchants. S’ils ne les ont pas prévus, ils sont incompétents. S’ils n’ont pas pu les empêcher, ils sont impuissants. À quoi servent-ils ? Nul ne le sait et je n’en fais jamais un sujet de cours. Ces histoires de personnages qui se transforment en taureaux, en cygnes ou en nuages, c’est du Homère, de la fantaisie, de la littérature… De là à discuter les ordres de Tchoumi, il y a un gouffre. Avec un courage de lion, je finis toujours par dire oui.

Rome cosmopolite .

 La ville attirait toute la méditerranée. On ne cessait de croiser des burnous, des caftans et des blouses. Dans certaines auberges, personne ne parlait latin, on entendait que de l’hébreu, du grec ou de l’hispanique. Venus du bout du monde, des fleuves de pièces d’or roulaient entre portiques et colonnades, temples et basiliques. Des rues sentaient le safran, d’autres la semoule égyptienne. Où qu’on soit, on était aussi ailleurs.

Le sort des esclaves .

La meilleure chose qui puisse arriver à un esclave est d’entrer dans une écurie de gladiateurs… Mais la plus part des autres, je parle de centaines de milliers d’autres, vivent à la campagne sur les grands domaines de l’aristocratie. Et là, crois moi, c’est l’enfer. On les bat, on les accable de travail, on les humilie et parfois on les affame. L’hiver, il meurt de froid, l’été il grille au soleil. Le sort des gladiateurs les fait rêver.

La richesse.

 La richesse « saisit » ceux qui l’observent. Je ne me lassais pas de cette famille installée à la meilleure place du monde pour y camper naturellement jusqu’à la fin de ses jours. Une sorte de grâce émane de ces fortunes venues de loin dans le passé. Rien de nouveau riche dans leur manière, encore moins d’avare, juste une dilapidation naturelle, permanente, légère et désinvolte de fonds perçus comme inépuisables. Leurs héritiers regardent sans émotion l’or filer comme l’eau dans le sable.

Et c’est toujours vrai non ?

 . Lyannos, mon banquier, est passé. il a expliqué avec candeur son métier : »J’aide les riches à s’enrichir et les pauvres à s’endetter. « 

Portrait de Marc Antoine .

 Et je dois dire que l’homme resplendissait. jeune et souriant, il avait le charme du guerrier joyeux qui vous tranche la tête sans malice, massacre un village comme on récolte un champ, n’en fait pas un drame et rentre au bivouac finir la soirée avec ses camarades.

Fin du roman : portrait de Cicéron .

 Cicéron avait un défaut impardonnable : chez les autres, il voyait d’abord les faiblesses et les défauts. Ensuite les avantages qu’il en tirerait. Quand on lui arrachait son masque, on tombait sur un autre. Le temps malheureusement ne révélera jamais son vrai visage. Au lieu de rester pour ses éreintements et ses flagorneries, il écrasera la postérité sous le poids d’écrits médiocres qu’il prenait pour de la philosophie. On le citera en modèle. Ce sera son plus grand exploit : sous sa plume, l’Histoire aura été écrite par celui qui a perdu. Ce mensonge incarnera pour toujours la vérité. Que c’est triste ! Que c’est injuste !