Éditions L’iconoclaste, 247 pages, Août 2022.

Voici l’épigraphe du roman : un proverbe russe que tant d’hommes de toutes nationalités font leur.

« S’il te bat, c’est qu’il t’aime. « 

Ce livre a reçu un coup de cœur, l’an dernier à notre club de lecture, si je l’avais lu et participé au débat, j’aurais émis des réserves. Cette autrice s’est emparée d’un tragique fait divers qui s’est passé en Russie en 2018, les trois sœurs (d’où le titre) ; Krestina, Angelina et Maria ont assassiné leur père : tyran, violeur et tortionnaire  : Mikhaïl Khatchatourian. Dans cet essai, l’auteure raconte aussi son cas personnel, elle a été victime âgée de 15 ans d’un professeur qui se disait fou amoureux d’elle et qui cherchait à ce qu’elle devienne sa maîtresse. Heureusement, elle en parlera à sa mère et cela n’ira pas plus loin, mais cette histoire aura un fort retentissement dans la personnalité de Laura Poggioli. C’est ce professeur qui lui donnera le goût de la Russie et du régime soviétique, ce qui fera qu’à 20 ans, elle ira dans ce pays et y sera d’abord très heureuse puis très malheureuse. Mais aussi à cause de ce professeur, elle aura longtemps des relations toxiques avec des hommes plus âgés, et qui explique peut-être sa relation avec Mitia le Russe dont elle tombera amoureuse. Il deviendra violent et méprisant mais elle restera avec lui jusqu’à ce qu’il la quitte finalement quand elle était revenue en France pour l’été. Son parcours occupe à peu près la moitié du roman, l’autre étant sa recherche sur la vie de martyres des trois sœurs. Voilà d’où vient ma réserve, je trouve le mélange dérangeant sauf son aventure avec un homme Russe qui montre que la violence domestique est monnaie courante , comme le dit ce proverbe qu’elle cite souvent :

« S’il te bat, c’est qu’il t’aime. « 
Sinon, ses déambulations dans Moscou qu’elle a tant aimé et ses aventures toxiques avec des hommes divers et variés n’ajoutent pas grand chose au récit ni à la tragédie de ces trois sœurs. Le récit de la vie de la famille Khatchatourian est à peu près insoutenable : le père est une crapule de la pire espèce, et la mère n’a pas réussi à protéger ses filles. On ne comprend pas tout, en particulier pourquoi le frère aîné n’a pas cherché à protéger ses sœurs. Tous ceux qui ont connu cet homme ont eu peur de lui, il semble avoir été en relation avec la police, et a donc, pu faire absolument tout ce qu’il voulait chez lui. C’est un pervers sexuel, complètement dégénéré. On ne peut imaginer toutes les horreurs dont il a été capable, mais ce qui est sûr c’est qu’en Russie, beaucoup d’hommes ont tendance à boire et à être violent, et que, surtout, les autorités considèrent que ce sont des violences familiales et qu’elles doivent rester dans la sphère privée. Ce n’est pas près de changer, car s’il y a eu quelque associations qui ont voulu aider les femmes, elles sont toutes interdites aujourd’hui car elles étaient soutenues par des ONG de l’étranger. Le roman se termine avec l’espoir que ces trois filles seront acquittées, mais rien n’est moins sûr.

En recherchant sur internet, je vois qu’en 2023 leur témoignage est paru, je pense que leur livre est certainement plus intéressant que ce roman  : »Nous, les 3 sœurs : histoire d’un parricide » auteures : Katchatourian, Maria – Katchatourian, Angelina. – Katchatourian, Krestina.

Extraits

Début du roman.

Un soir d’été 2018, 
Chaussée Altoufieo
 Il n’est pas grand l’appartement. Un salon avec cuisine, deux chambres, une salle de bains, des toilettes. La tapisserie n’a plus de couleur. Jaune- marron, elle n’a pas été changée depuis les années Gorbachev, quand c’était encore un appartement communautaire. Les rideaux en voile accrochés à la baie vitrée du salon aux l’atteinte du ciel blanchâtre des jours d’automne, du ciel qui porte la neige avant de la laisser tout recouvrir de Moscou.

L’attitude des autorités.

 » Biot – zanatchit lioubit- S’il te bat c’est qu’il t’aime », ce n’était donc pas seulement pour l’amoureux, ça valait aussi pour le père. Et surtout il fallait que cela reste calfeutré à la maison. C’était ce que semblait penser tous les fonctionnaires et députés russes qui insistaient régulièrement dans leurs prises de parole sur le fait que les histoires de violence domestique relevaient de problèmes familiaux privés, et devait se régler en famille, parce que si l’État s’en mêlait, y regardait de trop près, ça risquait de mettre en danger l’équilibre même des familles et l’existence des valeurs traditionnelles.

L’auteure raconte sa propre histoire avec un Russe violent : le phénomène de l’emprise

 Mitia me volait, me mentait, me tapait et moi je restais. J’étais sûre qu’il allait changer, redevenir mon prince russe, mon ange blond, je ne pouvais pas m’être trompée. Ses insultes résonnaient, je les entendais, je les comprenais, mais elle n’avait pas le même impact sur moi que leurs équivalents français. Dans ma langue maternelle ces insultes auraient fait écho à des scènes de violence qu’on m’avait racontées dans ma famille, à d’autres que j’avais vues à la télé, et j’aurais eu honte de baisser les yeux de ne pas me révolter. En russe ces mots ne percutaient pas la même mémoire, ne me renvoyaient pas aux mêmes limites : je les comprenais mais je les mettais à distance, ils ne s’imprimaient pas dans mon cerveau, et je restais.

Paradoxe.

 Malgré mon mal de crâne, je me souvenais que l’homme qui m’avait ramenée s’était arrêté plusieurs fois sans broncher pour que je puisse boire sur le bas côté. J’avais vingt ans, j’étais belle, j’étais française, j’étais ivre morte. Cet homme ne m’avait rien fait, il m’avait protégée, il m’avait raccompagné chez moi.
 Dans cette Russie où j’habitais alors, la sécurité que je ressentais dans l’espace public différait en tout point de la violence que je vivais de plus en plus souvent avec le garçon que j’aimais. On ne parlait pas de ce qui se passait au sein du foyer une fois les portes de l’appartement refermées, il existait une frontière étanche entre la sphère familiale où les violences étaient communes et l’espace public au sein duquel les femmes n’étaient que peu agressées.


Éditions Julliard, 121 pages, août 2025.

 

Ce court roman, a plus l’allure d’un conte que d’un témoignage réaliste sur la condition d’une famille palestinienne. L’auteur dans un style très épuré, exprime la souffrance de tout un peuple qui a été victime de la création de l’état d’Israël. La famille doit quitter son village d’origine en 1947 pour arriver dans un premier camp Aqabat Jabr, puis revient à Gaza où elle peut passer quelques années presque heureuses. Mais évidemment on connaît la suite.

Nabib, le vieil homme, la mémoire de ce peuple est un libraire et trouve une vérité dans les livres qui savent exprimer les valeurs humaines. Il raconte sa vie à un photographe français et partage avec lui les valeurs qui sont les siennes. L’auteur se place au delà des clivages qui peuvent tuer, le père de Nabib est chrétien, sa mère musulmane et le livre préféré de Nabib est « Si c’est un homme » de Primo Levy. Je ne suis pas entièrement convaincue par ce roman car je ne le trouve pas ancrer dans le réel, mais en même temps, je comprends la volonté de l’auteur de dépasser le conflit actuel pour mettre le destin des Palestiniens dans la trop longue histoire des souffrances que les hommes s’imposent à eux mêmes.

Ce livre est un cri de douleur, au nom de l’humanité : comment peut-on rester indifférent à ce qui se passe aujourd’hui à Gaza ? Rachid Benzine essaie de mettre des mots sur le sort des Palestiniens. Et pour cela il mérite bien 5 coquillages malgré ma réserve.

Extraits

Début.

 Journée ordinaire. Hier deux frappes ont tué quatre gamins dans le seul crime avait été de jouer au foot sur la plage. Tu te réveilles dans la chambre où tu t’es installé la veille. L’hôtel concentre une partie de la presse internationale. Tu aurais préféré loger chez l’habitant. Mais ton agence t’a convaincu de privilégier la sécurité. Peu de quartiers sont vraiment épargnés. Des familles entières disparaissent parce qu’elles habitent sans le savoir ou en toute conscience, à proximité d’un bureau clandestin. Les frappes chirurgicales relèvent souvent de l’erreur médicale.

Un passage qui dit beaucoup de ce roman .

Après la prise de contrôle de Jabaliya les forces israéliennes ont établi une administration militaire dans toute la bande de Gaza. De là à s’imaginer qu’elle allait durer trente-huit ans… Je crois que nous serions tous devenus fous. On sous-estime toujours combien une occupation peut se substituer à un monde. Il nous fallait survivre en serrer dans un étau omniprésent. L’angoisse était partout. Elle imprégnait l’ère que nous respirions elles pesaient sur nos cœurs elles s’insinuaient même dans nos rêves. Chaos, humiliation, destruction. Toute leur vie bien des Palestiniens n’auront connu que ce traitement. Et toute leur vie également bien des Israéliens ne se seront représenté les Palestiniens que comme des terroristes. Ces images inversées expliquent l’impossible réconciliation. Alors comment a-t-on fait pour tenir ainsi tant d’années ? On s’habitue à tout, peut-être.


Éditions Actes sud, 320 pages, août 2025

 

Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. (Albert Camus)

J’avais été très déçue par un livre de cette auteure qui a pourtant connu un grand succès « Kinderzimmer » , en revanche « l’île Haute » m’avait beaucoup plu. Pour ce livre, mon avis est mitigé, il y a des aspects qui m’ont beaucoup plu et puis j’ai aussi des agacements qui m’ont empêchée de lui mettre plus de coquillages. Gambadou a beaucoup moins de réserves que moi, et elle m’a donné envie de lire ce roman.

Je commence par ce qui m’a agacée : l’accumulation des mots qu’il faut rechercher, j’en donne quelques exemples mais il y en a tellement : « plumbago », « bigaradier »,  » micocou », « benzoate d’émamectine » … ce sont des mots qui ne sont utilisés qu’une seule fois et pour moi ils obscurssissent et alourdissent le récit. En revanche le mot « stipe », mot exact pour ce que j’appelais le tronc du palmier est un mot important pour le récit et je l’ai appris et je comprends que l’écrivaine ait voulu utiliser le mot exact. (Son livre sur ma photo est adossé à un stipe.)

J’ai aussi été agacée par la façon dont les personnages arrivent dans l’histoire, de temps en temps, elle parle de son père, puis de Marco, qui est la même personne sans que le lecteur comprenne pourquoi elle utilise ces deux appellations, sa mère, de la même façon est sa mère ou Annabelle. Les autres personnages arrivent dans la narration sans que l’on sache bien qui ils sont par rapport à la narratrice.

Enfin dans la construction même du récit, je ne comprends pas alors qu’on a fait témoigner cette enfant après l’agression dont elle a été victime à la gendarmerie pourquoi il a fallu autant de temps pour que la famille comprenne que Vive doit absolument aller voir un psychologue alors que depuis ce jour là elle n’a pas pu dormir seule dans sa chambre.

Mais malgré ces remarques, j’ai beaucoup aimé la façon dont l’auteure entre dans la pensée de Vive, la petite fille, qui est passionnée par les odeurs, et est éduquée grâce à son père parfumeur. Il lui apporte régulièrement des flacons d’odeurs rares et surtout lui raconte comment on a réussi à extraire ces parfums.
La vie de cette petite fille qui vit au paradis des plantes, dans une famille aimante est très bien rendue, les descriptions nous entraînent dans un monde d’odeurs, de couleurs de travail dans les jardins. On sent que sa mère est plus à l’écoute de sa petite fille, mais son père voudrait qu’elle oublie et qu’elle se tourne vers l’avenir.
Si j’ai été agacée par les mots difficiles, j’ai bien aimé la volonté de la petite fille de vouloir nommer les choses exactement. Le gendarme à qui elle a parlé après son agression, sait que si on ne nomme pas les choses correctement, la personne victime garde une plaie ouverte. (C’est lui qui cite Camus, citation que j’ai mise en début de mon billet). Vive passe son temps à collectionner les mots difficiles et veut apprendre tous ceux qu’elle ne connaît pas, on peut supposer que ce besoin lui vient de la violence qu’elle a subie.
Et puis ce sont les moments de bonheur, quand la famille part dans une forêt de mimosas, quand elle est invitée en Camargue loin des lieux qui l’empêchent de dormir seule. Mais surtout ce roman est un voyage olfactif, on apprend vraiment beaucoup de détails sur la façon de prélever les odeurs et d’en faire des parfums.
La photo de couverture du roman correspond très bien au roman et m’a permis de découvrir une photographe anglaise spécialiste de photos de jardins : Siân Davey.

Extraits.

Début.

L’herbe courte est cassante poinçonne ses plantes de pied, elle n’y prête aucune attention. Pas plus qu’à la mèche collée en travers de son front ou qu’à la grosse mouche qui vibrionne dans sa nuque. La paume refermée sur le poil de la chienne elle regarde l’homme casqué, ganté de fer, caparaçonné de rouge et noir fendre la fixité de ce matin d’août, se hisser vingt mètres au-dessus du sol une tronçonneuse fichée dans le do. Elle l’accapare entière, l’enfant, cette reptation lente et silencieuse. L’homme rehausse cran à cran la longe enlaçant le stipe, un demi-mètre à la fois. On n’entend rien que les chocs sourds de la corde, l’enfoncement des griffes d’élagage dans le faux tronc et les halètements de Jujube.

Le plaisir de la langue.

 Le père ne pense plus au charançon, ça se voit. C’est fini le charançon. Le père va partir pour l’usine, il a d’autres chats à fouetter comme il dit, pourquoi des fouets pourquoi des chats, mystère.
 Les arbres d’usine le captivent plus qu’un palmier mort.
Elle s’est jurée de n’appeler Dieu qu’en dernier recours, l’a réservé pour une situation extrême : ne pas brûler ses cartouches, dirait Marco pourquoi brûler, pourquoi les cartouches, mystère.

Une odeur sans image est orpheline.

Une odeur sans images est orpheline.
 Il explique : ce qu’on ne voit pas on a du mal à le reconnaître. Nous sommes si habitués aux imagesque sans image, même les odeurs les plus évidentes nous échappent. Il refait passer des mouillettes face à la mosaïque de photos, cette fois toutes les réponses sont juste. Il dit qu’on rééduque l’anosmie, la perte de l’odorat, en invitant les gens à imaginer la forme et les couleurs des ingrédients qu’ils respirent. Sentir de l’eau de rose et visualiser une rose. Respirer du poivre et visualiser du poivre. Et le cerveau, tout doucement recommence à établir le lien à reconnaître les odeurs perdues. Il dit que les apprentis parfumeurs notent les images que leur veut évoque chaque essence dans un quai spécial pour les mémoriser.

Amusant.

 Ce qui manque, chez Alia c’est les arbres. Sur la façade de son immeuble on peut lire « Les mimosas » en grandes lettres brunes, entre deux autres inscriptions « Les pins » et « Les oliviers », trois blocs de béton parfaitement identiques posés sur une dalle grise. Devant, quelques carrés d’herbe, deux arbrisseaux éthiques bardés de tuteurs, quatre cyprès rectangles en guise de parc à chiens.


Éditions Albin Michel, 425 pages, mai 2025.

 

J’avais beaucoup aimé « la carte postale » donc quand ma sœur m’a prêté ce roman, j’étais très impatiente de le lire. Mais j’avais senti sa légère réticence qu’après ma lecture, j’ai bien comprise. J’ai aimé cette lecture, et j’ai lu certains passages avec beaucoup de plaisir, mais ce récit est beaucoup moins fort que son roman à propos de la famille juive de sa mère.

Anne Berest s’est fait une spécialité du roman familial, dans « la carte postale » elle explore la branche maternelle, et ici, la branche paternelle. Son père est natif de Brest et son arrière grand père a fondé une coopérative à Saint-Pol de Léon pour défendre les intérêts des maraichers de cette région productrice d’oignons, de choux-fleurs, de pommes de terre et un peu plus loin, des fraise. Son grand-père a fait de longues études, il est passé par la classes préparatoires d’Henry IV à Paris, mais a raté Normal sup, il est devenu professeur de lettres classiques et aussi maire, puis député de Brest, son père est scientifique et a été reçu à Polytechnique et est un chercheur en mathématiques.

C’est le squelette de cette famille, mais la chair vient de ce qu’Anne Berest nous raconte : l’engagement de son arrière grand père dans le monde agricole, pour que les paysans soient payés correctement pour les produits qu’ils cultivent, la vie de son grand-père qui, élevé chez les frères découvrira que son éducation lui a caché un certain nombre de richesses culturelles. Au passage, j’ai appris que chez les frères on pouvait lire l’Illiade mais pas l’odyssée , car les émois amoureux d’Ulysse pouvaient troubler les jeunes lycéens. Son arrivée à Henry IV sera pour lui un choc culturel terrible et il n’arrivera jamais à combler son retard en philosophie, d’où son échec à Normal sup. (Et c’est aussi à cause de la philo qu’Anne Berest n’a pas réussi le concours de Normal sup.)

Pour présenter son père, Anne Berest peut questionner une personne vivante, mais hélas atteinte d’un cancer qui le fera mourir prématurément. Ce roman familial se construit, donc, avec deux temporalités : la maladie de son père, et la construction de ce jeune homme scientifique de grande qualité.

J’ai vécu cette époque et l’engagement de son père, je le connais bien. D’abord la lutte pour la paix au Vietnam, puis la rencontre de gens plus politisés qui voyaient dans cet élan de la jeunesse française un moyen de les amener vers des postions révolutionnaires. Son père a choisi les trotskystes et a soutenu Alain Krivine aux élections présidentielles et ce n’est pas son score de 1,3 % qui le fera renoncer à ses convictions mais qu’un jeune ouvrier, Pierre Overney, trouve la mort dans une manifestation le fera douter des appels aux actions violentes.

C’est un livre qui se lit facilement, mais sans beaucoup de passion. Le chagrin d’Anne Berest est sincère et tous ceux et celles qui ont connu la perte d’un parent ou d’un proche d’un cancer reconnaîtront des moments qu’ils ont vécus. La plongée dans sa propre famille permet de revisiter la Bretagne depuis le début du XX° siècle, et en particulier suivre le parcours de ceux qui ont réussi grâce aux études. On sait depuis l’étude d’Edgar Morin que la Bretagne a fourni un des plus fort taux d’agrégés à la France.

Pourquoi ai-je des réserves sur ce roman ? Je trouve que, soit cette famille n’est pas très intéressante, soit elle n’a pas su la rendre intéressante. On sent qu’elle veut absolument être objective et ne rien rendre sensationnel, mais elle n’a pas évité un aspect froid à son récit.

 

Extraits.

 

Début.

 Chaque été nous quittions notre banlieue parisienne pour la Bretagne, le pays de mon père, celui où il était né, ainsi que son père, et le père de son père avant lui.
 Le voyage débutait gare Montparnasse, sous les fresques murales de Vasarely, leurs formes répétitives, leurs motifs cinétiques, dont les couleurs saturées s’assombrissaient sous une couche noire de pollution.

Chapitre 1.

 Au début du XX° siècle la France connut deux grandes modes : le chapeau canotier et l’artichaut breton, un chardon gros comme une pomme, qu’il faut d’abord déshabiller de ses feuilles et du foin dru de sa barbe avant de pouvoir le porter à ses lèvre. Soudain le « camus » s’imposa sur les tables des restaurants parisiens, dans la cuisine des ménagères, éclipsant son principal concurrent, plus petit, plus précoce aussi : le malheureux violet provençal.

Portrait de son père.

 

 Mon père était un homme qui ne faisait jamais rien comme les autres. Il avait du mal avec le côté pratique des choses, avec la vie matérielle en général.
 En revanche ils pouvaient contempler, des jours entiers, la grâce de certains calculs. C’était un homme vivant dans un monde parallèle, mathématique, le seul dans lequel il semblait se sentir pleinement heureux, méditant intérieurement des relations d’égalité entre des valeurs.
 Il parlait peu, mais glissait sans effort des équations arithmétiques au récit des grands matchs de football, évoquant la grâce fulgurante d’un geste sportif, à la manière dont un corps s’élance dans l’espace ou sur un terrain de jeu, comme un très parfait porté par une intention plus vaste que lui.

Cela me rappelle de vieux souvenirs.

 Les combattants du Vietnam sont là pour rappeler aux étudiants des nations opulentes que leurs conforts trouvent son fondement dans l’exploitation impérialiste des pays ex-coloniaux. Nous avons la chance de ne pas subir de guerres dans notre pays. Le combat a lieu ailleurs, par conséquent nous devons être les résistants d’une guerre qui a lieu sur un autre territoire, et notre participation au monde implique un engagement et une lutte active en France. Nous devons être en quelque sorte le véhicule à travers lequel l’histoire se manifeste.

Le couple de ses parents.

 

 Je n’avais jamais vu mon père planter un seul clou avec un marteau, ni monter un meubles en kit. Aussi croyais-je que le bricolage, comme la conduite était une activité réservée aux femmes. Je me souviens exactement du jour où ma mère a reçu sa perceuse commander par correspondance dans le catalogue de la CAMIF, la centrale d’achat pour les enseignants.
Lorsque Lélia leva le bras pour la brandir comme un pistolet, je ressentis une émotion, une épiphanie brutale et lumineuse. Ma mère fit pénétrer la mèche dans le mur, sans sourciller avec une détermination qui ne demandait aucune permission.
Le monde était ainsi fait. Notre monde Celui des femmes qui bricolant. Et des hommes qui rêvent.

 

 


Éditions NRF, 283 pages, mai 2025.

 

 La mémoire est un choix, la mémoire est un fantôme patient.

J’ai découvert Nathacha Appanah avec « Le ciel par dessus le toit » , puis j’ai continué avec « les rochers de la poudre d’or« , j’ai moins aimé  » La noce d’Anna« , mais j’ai adoré les deux suivants : « le dernier frère » et « la mémoire délavée« .

C’est compliqué pour moi de mettre des coquillages à un livre aussi douloureux, mais pourtant, je vais le faire car je crois qu’on ne lit jamais assez sur les violences faites aux femmes par des hommes qui prétendent les aimer et qui au fond d’eux pensent que de toute façon « elles l’ont bien cherché ». Nous allons suivre dans cet essai le destin de trois femmes, celui de l’auteure qui est partie vivre avec un homme de plus de 50 ans alors qu’elle en avait à peine 18. Elle restera six longues années à ses côtés et comme elle le dit : des trois, elle est la seule à avoir survécu à un homme violent et pervers. Sa cousine Emma, n’a pas eu cette chance et son mari l’a percutée puis a roulé sur son corps avec sa voiture avant de la jeter dans un fossé, enfin on se souvient tous et toutes, je suppose, de la jeune femme algérienne Chahinez Daoud, assassinée par son mari qui lui a d’abord tiré dessus puis lui a versé de l’essence pour la brûler vive.

Tout son essai, veut expliquer pourquoi ces trois femmes n’ont pas pris immédiatement la fuite. Evidemment celle pour qui elle a le plus de documents c’est elle même. Elle décrit très bien l’emprise de « HC » poète connu de 30 ans son aîné, vis à vis de la jeune fille de 18 ans, qui a alors cru de cette façon se libérer des carcans des traditions familiales de la communautés indienne de l’île Maurice. C’est parce que sa famille était là pour la recueillir qu’elle a échapper à la mort, et elle avait mis sous le tapis ces six années d’horreur. Le meurtre de Chahinez Daoud, réveille en elle ce qu’elle avait enfoui très profondément, mais qui revenait sous forme de cauchemars assez fréquemment, elle se sent alors le droit de parler des deux féminicides qui la hantent, celui de sa cousine et celui de Chahinez en tant que survivante du même processus d’emprise.

C’est si facile de caricaturer les situations en disant par exemple « mais elles pouvaient partir » et non, elles ne peuvent pas, toujours, partir. Pourtant toutes les trois ont essayé, mais si le pervers a tissé autour de sa proie de tels filets qu’en se débattant, les femmes ne font que les resserrer autour d’elle, elles ne peuvent plus fuir ou seulement au dernier moment et souvent c’est à ce moment là qu’elles sont assassinées.

Je vous laisse découvrir pourquoi ces trois femmes ont été victimes alors qu’aucune d’entre elles n’auraient dû l’être, et je vous laisse aussi apprécier l’immense courage de l’auteure qui est d’une honnêteté remarquable sur son propre cas.

Je dois avouer que j’ai lu rapidement les pages du meurtre de Chahinez Daoud, ce n’est pas supportable. Le courage de ses parents est incroyable, j’espère que la force de leur amour suffira à élever les enfants de Chahinez dans des valeurs de respect de la vie humaine. Sachez enfin, que c’est une lecture plombante qui ne peut que vous rendre profondément tristes.

Extraits.

Début. Très bon début.

 Ils ne sont pas entièrement mauvais.
 S’il existait une manière de les presser pour en extraire un jus, ce jus ne serait pas tout à fait imbuvable, non, parfois sous son amertume empoisonnée il y aurait un arrière-goût de douceur. S’il existait une manière de les passer entre deux rouleaux compresseurs pour qu’ils se transforment en feuilles plates, ces feuilles ne seraient pas totalement opaques et inquiétantes comme le fond des mers, non elles auraient ici et là des transparences et des veines fines qui leur donnerait un semblant de vulnérabilité. S’il existait une manière de les broyer en fine poussière, cette poussière ne serait pas complètement toxique, non certaines particules flotteraient dans les rais du soleil et à les regarder on pourrait croire à un ballet innocent.

Vraie question.

Je ne sais pas ce qui pousse un homme de cinquante ans à séduire une jeune fille de dix-sept ans, à l’amener à rompre avec toute sa famille et ses amis, à la garder des années avec lui, à faire en sorte qu’elle se contente de bien peu, à l’isoler, la domestiquer, à l’asservir, puis le jour où elle voudra le quitter, à lui faire peur, la terroriser, la surveiller, la frapper. la menacer. Je me demande s’il y a préméditation à dresser lentement, brique après brique, un mur autour d’elle afin qu’elle soit inatteignable -physiquement bien sûr également moralement, spirituellement. Je me demande si tous les jours, pendant des années où elle reste avec lui, je me demande si tous les jours il vérifie la solidité de ce mur-là. Je me demande s’il le pense vraiment quand il dit, parfois, pour rire : » Si tu me quittes, je te tue. » Je voudrais savoir si ce genre de pouvoir d’emprise est inné, si ce genre d’ascendance est acquis ou s’il faut être au bon endroit, au bon moment, trouver une sorte de victime idéale .
Ai-je été une victime idéale ?

La mémoire.

La mémoire est un choix, la mémoire est un fantôme patient. Dans les mois qui ont suivi, je pensais à Emma, je pensais à sa mort horrible, je me demandais où était ses enfants, mais j’effleurais son souvenir avec précaution seulement comme on trouve une boîte à souvenir et je la refermais très vite, les mains tremblantes. Je ne voulais pas retourner là-bas.
 Là-bas : ce trou qui est devenu à la fois un puits auquel je viens ma brevet et un habile dans lequel je ne veux pas tomber.
 Là-bas cet angle mort de ma vie que j’évite à tout prix

Lorsque Nathacha Appanah se questionne sur le fait d’écrire sur ce sujet .

 Le mot « littérature » en créole, peut avoir dans certaines situations une connotation ironique. Mensonges, simagrées, bêtises, salades, perte de temps. Je ne sais pas à qui exactement appartient cette voix mets elle s’adresse à moi. Peut-être vient-elle de cette partie de moi-même que j’ai volontairement effacée et qui sait combien cette « literatir » a été pour moi un miroir aux alouettes, combien je l’ai confondu avec tous les sentiments glorieux du monde  : l’amour, la bonté, la générosité, l’altruisme, le courage, le dépassement de soi, alors qu’en réalité il n’en était rien.

 


Éditions Les Presses de la Cité (Terres sombres) , 199 pages, janvier 2022

 

Un roman policier sur Luocine avec trois coquillages, et pourtant ! Je vais d’abord expliquer ce qui m’a plu, cette écrivaine connaît très bien Saint Malo et ma ville en face, Dinard. Elle décrit bien cet endroit, elle a choisi de situer son roman en hiver et a donc évité de traiter du tourisme, voire le sur-tourisme en ce qui concerne Saint-Malo. Les impressions d’hiver sont bien rendues dans cet endroit qui parfois est sublime.

Le Môle des Noires, prolongement de la ville fortifiée de Saint-Malo

 

Marie Rivalain est attachée de presse et doit aider l’écrivain fétiche de la maison d’édition Brodin, Pierre Le Guellec, à se préparer pour rejoindre Stockholm, où il va recevoir le prix Nobel de littérature. Pierre Le Guellec est un écrivain attaché à Saint-Malo car il est descendant des Terre-Neuvas et a su faire aimer la vie de ces marins à la France entière. Il n’arrivera jamais à Stockholm, le lecteur sait assez vite pourquoi, mais il restera à trouver tout ce que cette disparition cache.

C’est un roman d’ambiance, qui permet de découvrir une région à laquelle je suis attachée personnellement ( mon père était malouin, et ma mère de Dinard , où je vis aujourd’hui) . Ce qu’elle dit sur la différence entre les deux villes est très juste : Saint Malo, une ville de granit austère pleine de secrets et Dinard la ville balnéaire aux villas riantes et souvent tarabiscotés parfaite pour les vacances en famille.

La pointe de la Malouine et ses villas

 

Le roman se situe dans le monde de l’édition et le travail d’un écrivain : c’est un intérêt de plus. Enfin, l’écrivaine est professeur de français et ses références littéraires sont un réel plaisir.

Avec tout cela, pourquoi pas plus de coquillages ? Parce que franchement l’histoire ne tient pas la route. Qui pourrait accepter la disparition d’un homme aussi célèbre sans que la police s’en mêle et découvre ce que l’auteure veut nous présenter comme possible à dissimuler alors que personne ne peut y croire ? Les trois coquillages sont donc pour l’écriture, l’ambiance, le monde de l’édition, la création littéraire et surtout la description de Saint-Malo et de sa région.

Extraits.

Début (je connais bien ce train).

 Il pleuvait. Elle regardait les gouttes d’eau s’écraser sur la vitre, puis s’étirer et suivre sur le carreau des chemins incertains – ralentissements suivis de brusques accélérations-, loupes ductiles les fugitives où s’enflaient la campagne, les vaches, l’ardoise des toits. Combourg, trois minutes d’arrêt puis Dol de Bretagne, La Fresnais, La Gouesnière- Cancale. Elle interrogeait son reflet dans la vitre : est-ce qu’elle aurait dû envoyer un message à son père  ? Il vivait à Saint-Coulomb à même distance de Cancale et de Saint-Malo, trop loin des ours à huitres pour attirer les amateurs et des remparts pour attirer les touristes, une bourgade de choux-fleurs et de malouinières secrètes où passaient parfois des retraités avec des bâtons de marche et des sacs à dos bicolores.

Opposition Dinard Saint Malo.

 Elle sourit. Ils étaient arrivés à l’extrémité du môle. De l’autre côté du barrage, Dinard exhibait ses palmiers, ses villas à encorbellements, la séduction de sa ligne Belle Époque. Il lui sembla que tout ce qui lui lestait le cœur aurait fondu sur ces plages-là, si elle avait pu passer le barrage de la Rance et rejoindre la rive riante de la station balnéaire. Atteindre l’insouciance interdite. Mais elle se sentait empêchée, prisonnière de la ville corsaire, de son géant rugueux, de l’âpreté de son histoire. 

On sent que l’auteure connaît bien cette ville.

 Arrivée au phare rouge, elle fit volte-face. La ville se dressait au bout de la jetée, comme à l’extrémité d’une laisse de pierres qui la tirait vers le large. Jamais la citadelle ne lui avait semblé aussi mystérieuse, des secrets qui fermentaient derrière ses remparts. Elle devinait qu’il y avait là, au-delà de l’affaire Le Guellec, des énigmes jamais résolues, des frégates jamais rentrées, des capitaines disparus, des fortunes cachées où évanouies. Ce n’était pas seulement la mérule qui mangeait les charpentes des hôtels d’amateurs, c’était cette culture du secret qui liait les pêcheurs et les explorateurs, les fils de négrier et les vieux marins, les capitaines et les mousses. Elle les devinait tous solidaires, unis par ce que leurs ascendants avaient vécu à bord, sur les mers du globe, des siècles de courses, d’attaques, de naufrages, qu’on taisait une fois rentrés dans la cité corsaire, selon la formule séculaire que rappelait Pierre Le Guellec quand on l’interrogeait sur la vie des terre-neuves :  » Ce qui se passe à bord reste à bord » .


Éditions J’ai lu, 406 pages, juillet 2025.

J’avais adoré « l’art de perdre« , et je n’ai donc pas hésité à choisir ce roman. Je me suis accrochée de toutes mes forces à ce récit, et puis quand je suis arrivée au moment où une re-visitation du passé de ce territoire à travers une expérience magique qui permet au personnage principal de retrouver tous ses ancêtres , l’auteure m’a complètement perdue. Je pense que pour comprendre ce qu’il se passe en Calédonie et écrire un roman sur ce sujet, il ne suffit pas de travailler sérieusement sur la partie historique. Il faut pour cela comprendre de l’intérieur ce pays, et sans doute, on attend encore le grand écrivain Kanak, qui réveillerait la mauvaise conscience française. Pour la Nouvelle Calédonie, la colonisation se double de la présence du bagne. Et à ce moment là je me suis sentie une nouvelle fois flouée : Alice se sert de son origine Kabyle, pour s’approprier l’histoire de la Nouvelle Calédonie. En effet, des rebelles arabes ont été déportés sur cette île au bagne qui a existé de 1864 jusqu’en 1924.

 

Tass le personnage principal est à la recherche d’elle même et se remet difficilement d’une rupture amoureuse en France. En retournant vers ces racines, elle cherche à comprendre les Kanaks et leur volonté de s’approprier leur territoire. Au bout de 200 pages assez laborieuses, elle part enfin à la recherche de deux de ses élèves jumeaux qui ont disparu. Et c’est là qu’elle rencontre un petit groupe qui cherche à faire prendre conscience aux Blancs de Nouvelle Calédonie qu’ils leur ont volé leur île et leur façon de vivre en harmonie avec la nature. C’est dans cette démarche qu’elle retrouvera ses racines « arabes » et que le personnage principal du roman rejoint la vie de l’auteure. J’ai déjà dit en introduction ce que j’en pensais.

Bref, ce roman ne m’a pas appris grand chose sur ce pays et la façon dont l’auteure le raconte m’a vraiment déçue. Je ne suis pas la seule (à être déçue) Géraldine me rejoint et son avis est très intéressant.

Extraits

Début.

 C’est une distance qui ne s’avale pas. D’ailleurs aucune distance ne s’avale. Il faudrait qu’elle arrête d’utiliser cette expression, elle ne sait pas d’où elle vient, elle ne sait pas à qui elle l’emprunte quand elle pense dans ces termes – peut-elle même prétendre qu’elle pense ? Au mieux, elle fait du patchwork avec des vieux chiffons de mots qui lui traînent dans les coins du crâne.

La nouvelle Calédonie et la destruction de la nature.

Quand son père racontait la vie de la Grande Terre, elle paraissait inépuisable. Tass est persuadée qu’il n’aurait pas supporté de la découvrir si fragile, menacée, au bord de l’extinction. La lenteur nécessaire à l’écosystème ne s’est révélé que récemment, elle a été lente à se montrer où peut-être que les humains ont été lents à comprendre  :
pour qu’une tortue atteigne la maturité sexuelle, il lui faut trente ou trente-cinq ans,
pour qu’une forêt repousse, ces forêts-là, celles qui peuvent croître dans des sols saturés de fer et de métaux lourds, il faut sept cent cinquante ans,
pour qu’une espèce évolue de manière à se défendre contre des prédateurs, il faut un temps si long et si aléatoire que personne ne peut vraiment l’estimer. 

Les grands immeubles peu adaptés au pays.

 L’état français a répondu au problème local de manière automatique, comme chaque fois qu’il a fallu traiter en urgence une question de logement social depuis la Seconde Guerre mondiale : avec des tours (il aurait aussi pu proposer des barres, bien sûr, mais pour des raisons que Tass ignore la Calédonie n’a hérité que des tours). Les immeubles de Magenta beiges ou gris en fonction de la lumière, ressemblent à un petit morceau de banlieue française qu’on aurait planté là, tout seul, en rase campagne, en ignorant qu’il ne répond à aucune des caractéristiques d’un mode de vie océanien. Les premières années, les tours avaient au moins le charme de la modernité, l’attrait du neuf. Mais depuis des décennies, les associations d’habitants se plaignent de leur dégradation, les jeunes désœuvrés qui y mettent le bazar et des appartements vacants dont les balcons sont pris d’assaut par des oiseaux diarrhéiques et bruyants.

Introduction de l’écrivain dans son propre roman.

 Imaginons ici que Tass, en tombant dans le trou d’eau, soit non seulement entrée dans une version du temps qui lui permette de voir ses ancêtres, mais qu’elle soit aussi entrée dans une dimension qui lui permette de basculer hors de ce roman. Imaginons que, chaussures mouillées et peau fripé, elle puise entrevoir les raisons pour lesquelles le livre qui la raconte, elle, a été écrit.
 Elle me verrait alors, moi, à Bouraï ou à Nouméa, en 2019, rencontrant à plusieurs reprises des hommes ou des femmes qui me disent  : nous sommes peut-être cousins. Elle me verrait rire de façon un peu embarrassée trop aiguë ou trop fort, comme une personne qui n’est pas sûre de comprendre la blague. J’ai appris, deux jours avant seulement, que des Kabyles avaient été déportés, transportés et relégués en Nouvelle-Calédonie.
 Mais la question est posée est-ce que nous pourrions être cousin ?

Éditions Philippe Rey, 205 pages, août 2025.

J’ai entendu cet écrivain à la radio, et sa façon de parler de son roman m’a donné très envie de lire son livre. Et je le remercie de me faire renouer avec un grand plaisir de lecture.

Le personnage principal, Salmane a 36 ans, il vit encore chez ses parents dans une cité de banlieue qu’il appelle la « caverne, son père Hédi est à la retraite et a été toute sa vie un ouvrier courageux et sa mère Amani a fait une carrière dans les ménages. Un jour les deux hommes de la maison se réveillent et Amani n’est plus là. Commence alors une recherche où chacun devra se retrouver. Et le voyage promet d’être long car tous les trois se sont perdus dans les méandres d’une vie qu’ils ont subie plus que choisie.

Salmane a eu une enfance heureuse et a fait de brillantes études, pour finir au RSA et travailler à temps partiel dans un restaurant marocain tenu par un Chinois et qui vend des sushis et des merguez, il traîne avec ses amis dans son quartier en particulier avec son copain de toujours Archie, qui est toujours là pour lui, l’inverse est moins vrai. Son père Hédi est l’ouvrier parfait qui a toujours soutenu son fils et qui ne comprend pas pourquoi celui-ci n’est pas allé jusqu’au bout de sa réussite scolaire et donc sociale. Il n’exige qu’une chose pour sa présence dans la maison : 500 euros par mois, on verra à la fin l’importance de ce loyer et le projet de ses parents. Enfin Amani, la femme et mère, qui fait tout dans la maison et que ni son mari ni son fils ne semblent voir. C’est son départ qui va provoquer une tempête qui met les deux hommes de la maison face à leurs insuffisances. J’allais oublier un personnage important de ce récit : La caverne. Ce quartier de banlieue et ses tours qui sont des endroits qui peuvent faire peur. On parle souvent de ce genre de quartiers aux actualités pour des histoires de violences, de drogues et misère sociale. Assez loin de ces clichés, la galerie de portraits de cette banlieue est un vrai régal d’humanité, Archie le copain au grand cœur, les amis du père d’Hédi qui fréquentent tous le café le Mascara, et qui se soutiennent en cas de coups durs.

On comprend dès le début qu’Amani a eu bien raison de partir pour réveiller ces deux égoïstes qui profitent d’elle sans lui rendre la pareille, ils ne l’ont pas aidée à rechercher son chat et ont même oublié son anniversaire.

Lors de la recherche de sa mère, Salmane revient sur sa vie et découvre les raisons des silences de ses parents sur leurs origines tunisiennes. Et on sent qu’il va reprendre sa vie en main avec le tout début d’un amour.

Un vrai beau roman qui soulève tant de problèmes de notre société, problèmes et richesses humaine aussi. Je dois aussi parler de la langue, au début le langage « jeune » m’a agacée et puis finalement je l’ai accepté mais surtout grâce à l’humour qui m’a souvent fait sourire .

Extraits

Début (pas mal)

Quatre heures se sont écoulées entre le moment où Hédi a raccroché et celui où il est venu m’avertir du coup de téléphone vers minuit. Mon père sait où me trouver. Après le turbin, je m’amuse au même endroit lugubre, dernière escale avant la forêt. Sa peau couleur pain d’épice a viré blanc, comme si un fantôme scandinave le possédait. La surprise réchauffe mon corps. Lui ? Ici ? Mes fesses sont aplaties sur le capot d’une voiture déglinguée, dont le toit sert de comptoir. Café, jus d’orange, Coca vodka. Hédi s’approche, mais pas trop. Avec sa paume, il m’ordonne de me redresser. Des noix de cajou m’échappe chape des mains. J’essuie mes doigts salés sur mon jeans et ma veste en cuir qui ne se ferme plus.

Première soirée de retraite de sa mère. Et humour triste de son fils.

Amani était restée devant la télé, jambes croisées sous une couette, avec son pull à capuche violet.
– Fils, on a le DVD du film de Clint Eastwood, quand l’autre blond allume une cigarette sur le dos d’un bossu ?
– Il est dans ma chambre…
– Ramène-le, je prépare deux cafés et on le regarde ?
Si c’était à refaire, j’aurais dit oui. Au lieu de ça, j’avais rejoint Archie et deux pote dans une voiture. On avait fumé et bu jusqu’au petit matin en écoutant les génériques des dessins animés du Club Dorothée.
Je suis un sous-fils.

Les ragots du quartier.

 À la minute où il est passé à table au Mascara le café du quartier) Hédi s’est téléporté dans ce qu’il a toujours dépeint comme son enfer sur terre : devenir le personnage principal des cancans, un objet de pitié, plaint, épié et moqué. C’est pour ça qu’il est si méconnaissable au milieu de tous nos meubles démontés. Mon père est en enfer et, une certaine façon, il a disparu aussi.

Un fils adulte dont la mère a toujours tout fait pour lui.

 Je classe mes affaires pour le voyage en suivant les consignes d’un tuto sur YouTube : je ne sais pas plier des sapes. Pour cinq cents euros par mois, j’étais épargné de toutes les responsabilités et de toutes les tâches. Je ne fais pas la vaisselle et j’ignore comment fonctionne une machine à laver. Je ne cuisine pas, ne fais ni mon lit ni les courses, ne repasse pas. Pendant cinq minutes j’ai essayé de plier un pull. Mais rien à faire les manches sont toujours de travers. De dépit, j’envoie un coup de coude dans le matelas. Je regarde mon bureau, mon lit et mes Schtroumpfs sur le sur le papier peint. Même si je revenais habiter ici pour toujours, rien ne serait comme avant. Reconstruire ma bulle serait impossible après tout ça – c’était un modèle unique. Le parfum de ma mère s’est dissipé. Je n’ai jamais connu ma chambre sans la mandarine. La nature à horreur du vide l’odeur de renfermée et de tabac l’a remplacée.

Je vois la scène.

 Archi prépare le gueuleton de nuit à base de pain grillé, de Chaussée aux Moine et de noix.


Éditions Pocket, 369 pages, février 2024 (première édition Éditions Escales 16 mars 2023)

 

Femme de marin, femme de chagrin.

J’ai décidé qu’une fois par mois je mettrai sur Luocine un livre pioché dans ma très, très longue liste noté sur la blogosphère. Le 22 juin 2024, j’avais dit à Athalie que je mettais ce roman dans ma liste suite à son billet. Voilà, je vais pouvoir le retirer de ma liste.

Ce livre raconte la tragédie des femmes, veuves ou orphelines qui ont vu leur père ou (et) leur fils périr en mer. Le début est prenant et la façon dont Perrine va injurier la mer de toutes ses forces, lorsque son fils meurt en mer est terrible. Elle a perdu son père, son mari puis son fils. Le début du roman voit comment Perrine a élevé son fils dans l’espoir qu’il ne prenne jamais la mer, lui, Jean ce petit si bon à l’école et qui écrit si bien. Il partira cependant et écrira le plus souvent qu’il le peut à sa mère ce qui permet au lecteur de suivre ses difficultés et ses voyages. Pendant la guerre 39/45, comme si la mer n’était pas assez dangereuse se rajoutent les avions anglais qui tirent sur les bateaux des pêcheurs. Puis, les Allemands qui laissent des mines et qui chassent les résistants. L’approche de la collaboration et de la résistance est bien imaginée, on est loin des récits héroïques où tout le monde trouve immédiatement le bon chemin à suivre. La résistance, c’est plus un hasard et aussi l’atrocité des nazis qui y conduit.

Ensuite, on suit le destin de Paulette la fille d’un homme qui s’est enrichi car il a su travailler avec les « Boches » pour construire le mur de l’atlantique. Cette Paulette au caractère bien trempé ne voudra pas empêcher Jean de partir en mer, hélas pour elle. L’immédiate après guerre est bien racontée et la différence entre Perrine la mère de Jean et Paulette en rivalité pour le même homme est bien vu

La dernière partie est pour moi beaucoup plus faible. Nous suivons Pierre le fils de Paulette et Jean, tous les deux vivent dans le Jura le plus loin possible de la mer qui, évidemment, va se venger et rattraper cette lignée.

Dans ce roman, il est presque dit que si les Bretons n’arrivent pas à vivre leur besoin d’aventures sur l’eau alors, il leur reste l’alcool comme « ptit Louis » le beau frère de Jean. Et les femmes  ?,elles ne peuvent que subir. Ce n’est vraiment pas l’image que j’ai des femmes autour de moi.

Bref j’ai aimé les deux tiers du livre et j’aurais imaginé une fin très différente, que Pierre gagne le « Vendée des globe » par exemple .

Je me sens un peu sévère avec mes trois coquillages mais en ce moment j’ai vraiment du mal à m’enthousiasmer pour un roman, j’ai trouvé celui-ci un peu « gentillet » si j’étais plus positives je dirai tout en nuances.

 

Extraits.

 

Début (beau début).

 Perrine a juré en breton des mots qu’elle ne connaissait pas en français. Elle, si belle dans le temps, était laide pour la première fois, le visage tordu par la colère et par la peine. Elle avait vieilli d’un coup de vingt ans, ou de trente ans, ou même davantage, on ne sait pas. Elle aurait voulu faire plus de mal à la mer, avec ses galets qu’elle lui jetait de toutes ses forces comme on lapide une bête. Parce qu’elle lui en avait encore volé un qu’elle aimait, la salope.
 Cette fois, c’était son fils, elle n’en avait qu’un, dont le curé accompagné du maire avait dit le prénom : Jean.

Les superstitions.

 Les superstitions rassuraient Perrine autant qu’elles lui gâchaient la vie. Tout ty passait, la consternation devant une miche de pain à l’envers, la peur des chats noirs, l’épouvante après le bris d’un miroir, l’agacement à la vue d’un parapluie ouvert à l’intérieur d’une maison, mais aussi les échelles qu’elle évitait soigneusement, la couleur verte qu’elle ne portait pas, le nombre treize qu’elle ne prononçait jamais ni en breton ni en français, les grains de sel qu’elle balançait par-dessus l’épaule à tous les repas, le bois qu’elle touchait dix fois par jour et la quête des trèfles à quatre feuilles pour lesquels elle se cassait le dos à chaque printemps.

Le plaisir des mots spécifiques de la voile.

Monsieur Tournellec m’a expliqué comment construire l’abri de la nuit. Il tenait la technique d’un vieux terre-neuvas. Il faut accrocher un aviron à la drisse et le hisser à la verticale du grand bau. Quand l’aviron est bien calé sur l’amorce de pontage, on y tend la misaine. On fait contrepoids à l’aide de la vergues et ça donne un refuge superbe.

L’après guerre.

Tes raisons, je les sais même s’il ne les dis pas. Il a un peu les chocottes des questions qu’on va bien finir par venir lui poser pour ce qui est du béton qu’il a vendu aux Bosches et des machines qu’il leur a mis à disposition. Alors se mettre bien avec des gens qui vont se pavaner dans le bourg comme s’ils étaient des cousins à de Gaulle et qui ont leur entrée chez les résistants , ça vaut facile le prix d’une charpente et de quelques ardoises. 


Éditions Arléa, 103 pages, janvier 2025

 

Un moment de douceur et de tristesse dans un très court roman. L’auteur a une écriture qui m’a beaucoup plu. On peut la qualifier de poétique, mais c’est surtout l’émotion qui, pour moi, la caractérise le mieux. Francis avait sept ans quand son frère François 5 ans a été percuté par une voiture. Sa mort est une violence face à laquelle l’enfant se sent impuissant, il ne sait qu’une chose, ce petit frère lui manquera à jamais. Cela se passe dans le nord de la France, dans une région si plate que les seuls reliefs sont les fermes en briques qui parsèment cette terre fertile. La famille est là en arrière plan mais rien jamais ne consolera cette famille.

Voilà c’est tout, mais l’écriture épouse si bien le propos que j’ai ressenti au plus profond de moi le chagrin de cet enfant qui devenu adulte n’a jamais oublié ces quelques années de bonheur auprès de son jeune frère, veillé par les deux tilleuls à l’entrée de leur ferme.

Extraits.

 

Début.

 Les villages de mon territoire sont au nombre de cinq : Outtersteene, Le Steent’je, Merris, Vieux-Berquin et le Doulieu. D’autres villages, limitrophes, ont également leur importance : Méteren, Strazeeleb et pourquoi pas Saint-Jans. Pour ce qui est des villes -car il faut parfois en parler- elles se nomment Bailleul à l’est et Estaire au sud-ouest. Hazebrouck et Armentières ont été jetées un peu plus loin sur la carte pour les lycées, les médecins spécialisés et le permis de conduire. Quant à Lille et Dunkerque, je n’ose pas même les envisager trop encombrées de rues, de feux rouges et de grands magasins.

La mer pour l’enfant de la campagne.

 De chaque côté du chemin, il y a des champs. Autour de la ferme, il y a des champs, des prés. François et moi vivons dans ces délimitations et c’est un peu comme si nous étions sur une île, ou une presqu’île si on inclut le chemin. Mais sans la mer. La mer, je ne l’ai vue qu’une ou deux fois. Elle ne ressemble à rien, elle est dangereuse et s’étale la perte de vue sans qu’aucune haie ou disposition de briques, de parpaings et de tôles ne viennent déranger sans horizontalité.

L’après.

 À l’impossibilité des enfants morts s’ajoute le processus quasi obligé des avenirs imaginés. Que serais-tu devenu ? Je ne me suis pas souvent posé la question, mais il m’est arrivé à la faveur d’une lumière particulière sur un carré d’herbe, de t’imaginer fermier, parce que ça m’arrangeait. Quoi qu’il en soit, nous aurions vécu des vies où la mise en commun aurait primé sur le reste. Nous aurions partagé des choses. Je ne sais lesquelles. Mais j’aimerais que parmi ces choses il y ait eu le cinéma. Je peux te prêter mes goûts puisque tu n’es pas là pour me contredire. Comme moi, tu aurais été un mordu d’histoires projetées sur le grand écran qui racontent des vies qui auraient pu être les nôtres. Ce désir de vivre une autre vie est une énigme dont nous avons l’audace de croire que nous pourrons un jour la résoudre.