Éditions NRF, 283 pages, mai 2025.

 

 La mémoire est un choix, la mémoire est un fantôme patient.

J’ai découvert Nathacha Appanah avec « Le ciel par dessus le toit » , puis j’ai continué avec « les rochers de la poudre d’or« , j’ai moins aimé  » La noce d’Anna« , mais j’ai adoré les deux suivants : « le dernier frère » et « la mémoire délavée« .

C’est compliqué pour moi de mettre des coquillages à un livre aussi douloureux, mais pourtant, je vais le faire car je crois qu’on ne lit jamais assez sur les violences faites aux femmes par des hommes qui prétendent les aimer et qui au fond d’eux pensent que de toute façon « elles l’ont bien cherché ». Nous allons suivre dans cet essai le destin de trois femmes, celui de l’auteure qui est partie vivre avec un homme de plus de 50 ans alors qu’elle en avait à peine 18. Elle restera six longues années à ses côtés et comme elle le dit : des trois, elle est la seule à avoir survécu à un homme violent et pervers. Sa cousine Emma, n’a pas eu cette chance et son mari l’a percutée puis a roulé sur son corps avec sa voiture avant de la jeter dans un fossé, enfin on se souvient tous et toutes, je suppose, de la jeune femme algérienne Chahinez Daoud, assassinée par son mari qui lui a d’abord tiré dessus puis lui a versé de l’essence pour la brûler vive.

Tout son essai, veut expliquer pourquoi ces trois femmes n’ont pas pris immédiatement la fuite. Evidemment celle pour qui elle a le plus de documents c’est elle même. Elle décrit très bien l’emprise de « HC » poète connu de 30 ans son aîné, vis à vis de la jeune fille de 18 ans, qui a alors cru de cette façon se libérer des carcans des traditions familiales de la communautés indienne de l’île Maurice. C’est parce que sa famille était là pour la recueillir qu’elle a échapper à la mort, et elle avait mis sous le tapis ces six années d’horreur. Le meurtre de Chahinez Daoud, réveille en elle ce qu’elle avait enfoui très profondément, mais qui revenait sous forme de cauchemars assez fréquemment, elle se sent alors le droit de parler des deux féminicides qui la hantent, celui de sa cousine et celui de Chahinez en tant que survivante du même processus d’emprise.

C’est si facile de caricaturer les situations en disant par exemple « mais elles pouvaient partir » et non, elles ne peuvent pas, toujours, partir. Pourtant toutes les trois ont essayé, mais si le pervers a tissé autour de sa proie de tels filets qu’en se débattant, les femmes ne font que les resserrer autour d’elle, elles ne peuvent plus fuir ou seulement au dernier moment et souvent c’est à ce moment là qu’elles sont assassinées.

Je vous laisse découvrir pourquoi ces trois femmes ont été victimes alors qu’aucune d’entre elles n’auraient dû l’être, et je vous laisse aussi apprécier l’immense courage de l’auteure qui est d’une honnêteté remarquable sur son propre cas.

Je dois avouer que j’ai lu rapidement les pages du meurtre de Chahinez Daoud, ce n’est pas supportable. Le courage de ses parents est incroyable, j’espère que la force de leur amour suffira à élever les enfants de Chahinez dans des valeurs de respect de la vie humaine. Sachez enfin, que c’est une lecture plombante qui ne peut que vous rendre profondément tristes.

Extraits.

Début. Très bon début.

 Ils ne sont pas entièrement mauvais.
 S’il existait une manière de les presser pour en extraire un jus, ce jus ne serait pas tout à fait imbuvable, non, parfois sous son amertume empoisonnée il y aurait un arrière-goût de douceur. S’il existait une manière de les passer entre deux rouleaux compresseurs pour qu’ils se transforment en feuilles plates, ces feuilles ne seraient pas totalement opaques et inquiétantes comme le fond des mers, non elles auraient ici et là des transparences et des veines fines qui leur donnerait un semblant de vulnérabilité. S’il existait une manière de les broyer en fine poussière, cette poussière ne serait pas complètement toxique, non certaines particules flotteraient dans les rais du soleil et à les regarder on pourrait croire à un ballet innocent.

Vraie question.

Je ne sais pas ce qui pousse un homme de cinquante ans à séduire une jeune fille de dix-sept ans, à l’amener à rompre avec toute sa famille et ses amis, à la garder des années avec lui, à faire en sorte qu’elle se contente de bien peu, à l’isoler, la domestiquer, à l’asservir, puis le jour où elle voudra le quitter, à lui faire peur, la terroriser, la surveiller, la frapper. la menacer. Je me demande s’il y a préméditation à dresser lentement, brique après brique, un mur autour d’elle afin qu’elle soit inatteignable -physiquement bien sûr également moralement, spirituellement. Je me demande si tous les jours, pendant des années où elle reste avec lui, je me demande si tous les jours il vérifie la solidité de ce mur-là. Je me demande s’il le pense vraiment quand il dit, parfois, pour rire : » Si tu me quittes, je te tue. » Je voudrais savoir si ce genre de pouvoir d’emprise est inné, si ce genre d’ascendance est acquis ou s’il faut être au bon endroit, au bon moment, trouver une sorte de victime idéale .
Ai-je été une victime idéale ?

La mémoire.

La mémoire est un choix, la mémoire est un fantôme patient. Dans les mois qui ont suivi, je pensais à Emma, je pensais à sa mort horrible, je me demandais où était ses enfants, mais j’effleurais son souvenir avec précaution seulement comme on trouve une boîte à souvenir et je la refermais très vite, les mains tremblantes. Je ne voulais pas retourner là-bas.
 Là-bas : ce trou qui est devenu à la fois un puits auquel je viens ma brevet et un habile dans lequel je ne veux pas tomber.
 Là-bas cet angle mort de ma vie que j’évite à tout prix

Lorsque Nathacha Appanah se questionne sur le fait d’écrire sur ce sujet .

 Le mot « littérature » en créole, peut avoir dans certaines situations une connotation ironique. Mensonges, simagrées, bêtises, salades, perte de temps. Je ne sais pas à qui exactement appartient cette voix mets elle s’adresse à moi. Peut-être vient-elle de cette partie de moi-même que j’ai volontairement effacée et qui sait combien cette « literatir » a été pour moi un miroir aux alouettes, combien je l’ai confondu avec tous les sentiments glorieux du monde  : l’amour, la bonté, la générosité, l’altruisme, le courage, le dépassement de soi, alors qu’en réalité il n’en était rien.

11 Thoughts on “La Nuit Au Cœur – Nathacha APPANAH

  1. C’est très bien écrit, pas de doute là-dessus au vu de ces extraits. Mais je n’ai pas du tout envie de lire sur ce sujet en ce moment…

  2. Très intéressant, j’ai à la fois envie de lire ce livre, et pas envie. L’extrait que tu as intitulé « vraie question » donne à réfléchir et les autres me rappellent comme Nathacha Appanah écrit de magnifique manière.

  3. Comme Cath, j’avais prévu de le lire mais je sens qu’il va falloir s’accrocher, carrément « douloureux »… :(

  4. Une lecture pas hyper amusante, c’est certain, mais j’ai aimé que l’auteure redonne corps à ces femmes victimes.

  5. Ce sont des études sur ces hommes-là justement que j’aimerais lire ; l’inconvénient c’est qu’en général ils ne reconnaissent rien et ne parlent pas. Je ne crois pas que je lirai ce livre, malgré ses qualités.

  6. Un livre qui a l’air très dur à lire. Il faut trouver le bon moment.

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