Édition mercure de France

 

Tant qu’il y aura des mers, tant qu’il y aura la misère, tant qu’il y aura des dominants et les dominés, j’ai l’impression qu’il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d’un horizon meilleur.

 

Un livre précieux d’une rare délicatesse sur un sujet sensible, l’exil des populations indiennes vers l’île Maurice pour être employées dans les plantations de cannes à sucre. Nathasha Appanah a déjà décrit sous forme de roman – Les rochers de Poudre d’or– cet aspect de la colonisation . J’avais fait de ce roman un coup de coeur contrairement à « la noce d’Anna » , mais j’aime beaucoup le style pudique de cette écrivaine que j’avais découvert dans « le ciel au dessus des toits », c’est elle, encore qui m’avait fait découvrir un aspect peu connu de la deuxième guerre mondiale dans « le dernier frère » .

Cette fois l’écrivaine parle de sa propre famille, et on sent toute la pudeur que cette famille qui l’a tant aimée et combien cela a rendu difficile ses recherches sur leur passé. Sa famille arrive dans l’île en 1834, comme elle le raconte déjà dans « les rochers de Poudre d’or » franchir l’océan Indien était à cette époque un tabou total pour les croyants hindous. Mais la misère et la faim sont certainement des moteurs plus forts que la religion. Elle a bien connu ses grands-parents qui sont sortis du système des plantations, son grand père a eu un geste violent contre un contre-maître. À cette occasion l’écrivaine raconte combien les indiens ont toujours prétendus être de bons employés respectueux de leurs supérieurs. Personne ne s’enorgueillit du geste du grand-père, bien au contraire.

Elle regrette que sa grand-mère ne lui ait pas appris le « telugu » sa langue maternelle, elle n’a pas non plus cherché à lui donner la religion hindou, sa petite fille était dans le monde moderne : celui de l’anglais du français et de la religion catholique. En revanche, elle lui a appris à faire « ce qu’il faut  » sans jamais être vulgaire. Le mariage de sa grand-mère avait été arrange par des « marieuses » qui sont allées un peu vite en besogne, sans doute pour que les autorités ne sachent pas que ce jour là on mariait des enfants : le grand-père avait 14 ans et sa future femme 12. Pour faire encore plus vite ce jour là on organise le mariage de deux personnes son grand-père et son cousin. Comme le cousin est très petit contrairement au grand père qui mesure 1 mètre 80, on lui a choisi une petite femmes. Mais les deux mariages se sont passés si vite que le grand-père s’est retrouvé avec la femme qui était destinée à son cousin … Le couple s’est bien entendu et aura une dizaine d’enfants.( Dont le père de l’auteure).

L’ensemble de ce témoignage, m’a beaucoup touchée mais je garde en mémoire un passage en particulier : le père de Nathacha Appanah , décide un jour de faire visiter l’Inde à son père et de retrouver leur village d’origine. Ce voyage avait été préparé depuis longtemps et devait durer un mois, mais le grand-père est revenu au bout d’une semaine, le grand-père était trop triste de voir l’extrême pauvreté dans laquelle vivaient les gens de son village natal. Il est revenu en disant je suis Mauricien ! Pour moi cela souligne bien l’impossible retour aux origines de ceux qui s’exilent pour réussir.

Le livre est agrémenté de photos qui sont autant de jalons de la vie de l’auteure, je suis très émue par celle-ci. Je trouve beaucoup de force à cet homme aux bras ballants et une telle inquiétude dans les yeux de cet enfant aux jambes trop maigres dans des chaussures trop grandes.

un billet chez Mot à Mot 

Extraits

 

 

Début avec en illustration une superbe photo d’un vol d’étourneaux.

Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame -jeanne.
 Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat aux vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout-à-bout ces mots forment une phrase et soudain cette phrase serait ma première, mon évidence.

L’arrivée des coolies indiens.

 Mon trisaïeule porte le numéro 358444, il avait 45 ans. Ma trisaïseuille avait 39 ans, les autorités britanniques lui attribuent le 358445 et leur fils, âgé seulement de 11 ans est le numéro 358448. Ces numéros me bouleversent, je sais qu’ils devaient les retenir ou les avoir sur eux comme laissez-passer quand ils se déplaçaient hors de la plantation de champs de canne. Ce sont ces chiffres qui les identifient d’abord et avant tout, pas leur nom qui est trop compliqué, pas leur visage qui ressemble à tant d’autres, pas leur langue que personne ne comprend vraiment.

La peur ancestrale de l’eau.

  À qui vais-je avouer que j’ai peur de l’eau ? c’est ridicule.
 Qu’elle soit bleue, ou verte, ou grise, ou transparente, une fois dedans, dès que je n’ai plus pied, elle m’a fait l’effet d’une eau noire où je vais m’enfoncer, qui va m’avaler entière. Partout c’est pareil. L’océan Indien, l’Atlantique, la Manche, la Méditerranée, les piscines les bras d’eau, les canaux, les réservoirs, les rivières, les bassins.
 Je me demande si on peut être étreint par une croyance ancienne qui n’est pas à proprement parler la vôtre. Je me demande si les peurs peuvent rester tapi pendant plusieurs générations et ressurgir. C’est un sentiment, une incapacité, un tabou qui seraient transmis comme on transmet un trait, une manière de tenir sa cuiller, une façon de marcher.

Sa grand-mère.

Je ne connais pas exactement le nombre d’enfants dont a accouché ma grand-mère. J’ai j’entendu treize, j’ai entendu quinze. Seuls sept ont survécu : quatre filles et trois garçons. Enceinte, ma grand-mère travaillait jusqu’au dernier moment dans les champs. Elle a raconté à ma mère qu’elle ne laissait personne connaître exactement le terme de sa grossesse parce qu’elle ne voulait pas de mauvais œil sur elle et sur son enfant à naître. Quand elle ressentait des contractions, elle disait qu’elle se sentait fiévreuse et rentrer à la maison. Là, elle accouchait toute seule accroupie sur une toile de jute.

La domination .

Elle qui louait et craignait la trinité hindoue (Brahma, Shiba, Vishnou) entrait dans une église catholique à la veille de chacun de mes examens. Elle allumait une bougie devant la statue de la Vierge Marie et priait pour moi. Et pour les examens de l’école, elle avait plus confiance dans « le dieu des Blancs, le dieu qui parle français et anglais » me confiait-elle.
Voilà un autre des effets de la vie dans les plantations coloniales, de la vie de dominé. On finit par croire que non seulement sa langue maternelle est inférieure mais que dans certains domaines, ses dieux ancestraux le sont aussi ….

 

 


Édition l’olivier

Quel beau livre ! Et aussi, un roman qui permet de découvrir un fait totalement inconnu de la deuxième guerre mondiale et de connaître un peu mieux l’Île Maurice. Après « les rochers de poudre d’or » qui décrivait la pauvreté des familles indiennes qui étaient venues en croyant s’enrichir sur l’île Maurice, nous voici, en 1944, dans une de ces familles exploitée de façon éhontée par un planteur de cannes à sucre. Cette famille de trois garçons pourraient être moins malheureuse si le père n’était pas un homme que l’alcool rend mauvais et qui tape alors sans aucune retenue sa femme et ses enfants. Ses trois fils s’entendent bien et leur plus grand bonheur est d’aller chercher l’eau de la journée à la rivière. Ils ramènent tous les jours six seaux qui remplissent la citerne de leur pauvre masure. Un jour, une pluie extrêmement violente fait déborder la rivière et celle-ci devient un torrent si impétueux que deux frères sont emportés dans des flots charriant boue et énormes cailloux.

La famille déménage, on comprend bien que les parents ne peuvent plus vivre si près d’un lieu marqué par la mort de leurs deux enfants. Le père est devenu gardien de prison, il est toujours aussi violent et frappe toujours aussi fort sa femme et son dernier fils. La deuxième partie du roman permet de comprendre qui étaient les gens que son père gardait, parmi eux un enfant David. Les deux enfants tisseront un lien d’amitié alors qu’ils ne parlent pas la même langue mais ces deux petits de neuf ans presqu’aussi malheureux vont se comprendre et Raj le petit Mauricien voudra sauver David « le petit juif de Prague ».

J’aime la langue de Natacha Appanah et sa façon de construire ses récits, le seul roman qui m’avait moins convaincue était « la noce d’Anna » mais là je retrouve toute la violence contenue de « le ciel par dessus les toits « .

Je pense que cette écrivaine a connu de près la misère et les violences familiales que cela peut engendrer, elle connaît bien aussi l’île Maurice et je trouve extraordinaire la façon dont elle nous a fait connaître le drame des ces juifs refoulés d’Israël et dont l’Angleterre s’est débarrassée sur une île sans leur permettre de vivre dignement. Le petit Raj ne connaissait rien évidemment à la guerre qui se passait si loin de chez lui et le mot « juif » ne voulait rien dire pour lui. Mais ce seul mot faisait que David vivait en prison et lui était libre de ses mouvements (quand il pouvait échapper aux coups de son père !). Or c’est à travers ses yeux que nous voyons le drame se tisser, tel que le vieux monsieur qu’il est devenu essaie de se le rappeler. Une tragédie adoucie un peu par le personnage de la mère qui aime son fils et le sauve de la poliomyélite, car elle connaît les plantes qui guérissent.

J’ai beaucoup aimé la façon dont le récit est construit, le vieil homme connaît maintenant les raisons pour lesquelles il y avait des prisonniers juifs sur son île, mais quand il avait neuf ans il n’en avait aucune idée, et la mort brutale de ses frères l’avait tellement perturbé qu’il a voulu que David les remplace et, des conséquences que cela a entraînées, il se sent coupable encore aujourd’hui.

 

Citations

La misère des coupeurs de canne à sucre.

À la lisière de l’immense champs de cannes d’un vert ondulant sur la propriété sucrière de Mapou, commençait une série dégingandée de boxes, de huttes, de soi-disant maisons faites de tout ce qui tombait entre les mains de nos aînés et que l’on appelait le « camp ». Branche, bûches, bout de bois, souches, feuille de canne, brindilles, bambous, paille, palets de bouse de vache séchée, l’imagination de ces gens-là étaient infinie. Je ne sais pas comment j’ai survécu à la vie dans le camp, comment le petit garçon frêle et peureux que j’étais a pu traverser ces huit longues années. Ici, dès qu’un enfant tombait malade, la famille préparait tout de suite son lit mortuaire et, en règle générale, elle avait raison, la mort suivait la maladie, systématiquement, inexorablement.

La pluie tropicale.

À Mapou, la pluie était un monstre. on la voyait prendre des forces, accrochée à la montagne, comme une armée regroupée avant l’assaut, écouter les ordres de combat et de tueries. les nuages grossissaient de jour en jour, si lourds et goulus que le vent qui nous faisait tituber, au sol, n’arrivait plus à les chasser. Nous levions les yeux vers la montagne, quand la poussière nous donnait un répit et les soupirs de nos aînés nous préparait au pire.

Son père .

Mon père n’était pas meilleur ou pire que les autres. Il hurlait des choses que nous ne comprenions pas, chantait des chansons devenues incompréhensibles tant sa langue était lourde et gonflée d’alcool et nous prenions des coups si nous ne chantions pas comme il le souhaitait. Souvent, nous nous retrouvions dehors serrés contre ma mère et nous n’étions pas la seule famille dans ce cas-là. 
Que dire de plus sur ces nuits au camp ? Je n’avais pas l’impression d’être plus malheureux qu’un autre, mon univers commençait et s’arrêtait ici, pour moi, le monde était fait ainsi, avec des père qui travaillaient du matin au soir et rentraient chez eux, saouls , pour malmener leur famille.

La culpabilité du survivant.

Les yeux de mon père sur moi, ce regard qui noircissait de plus en plus, contre qui pouvait-il hurler, qui pouvait-il taper pour exorciser sa colère ? Et cette question au bout de sa langue, cette question qu’il n’a jamais pu prononcer tout haut mais que j’entendais à chaque fois que je passais à côté de lui, à chaque fois que sa main s’abattait sur moi, sur ma mère. Pourquoi toi ? Pourquoi toi, Raj, petit vaurien frêle, as-tu survécu ? Pourquoi toi ? Pourquoi toi ?

Découverte de David .

 Je ne sais pas si je dois avoir honte de le dire mais c’est ainsi. Je ne savais pas qu’il y avait une guerre mondiale qui durait depuis quatre ans, quand David avait demandé, à l’hôpital, si j’étais juif, je ne savais pas ce que ça voulait dire, j’ai dit non parce que j’avais la vague impression que juif désignait une maladie parce que j’étais dans un hôpital, je n’avais jamais entendu parler de l’Allemagne, je ne savais pas grand chose en réalité. J’avais trouvé David, un ami inespéré, un cadeau tombé du ciel et en ce début d’année 1945, c’est tout ce qui comptait pour moi.

 

L’étoile de David.

C’est aussi ce jour-là qu’il m’a montré sa médaille et qu’il m’a parlé de l’étoile de David et moi, pauvre idiot, pauvre naïf, pauvre gosse né dans la boue, moi, vexé comme un pou. et puis quoi encore ? peut-être que la forêt s’appelle la forêt de Raj ? Comment une étoile pouvait porter son nom, hein, pouvait- il me le dire ? Il me prenait pour un gaga ou quoi ? 
Mon ami serra son étoile et me dit que ce David-là était un roi. Et alors ? Raj aussi voulait dire roi !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après « le ciel par dessus les toits » , et « Les rochers de poudre d’or » , voici ma troisième lecture d’Anna Appanah . Un véritable plaisir au début qui se termine par une déception. Ce roman raconte comment une femme écrivain a élevé seule sa fille Anna. Elle est le fruit d’un amour très fort, si fort que cette jeune femme n’a pas voulu entraver la liberté de son amant en lui annonçant qu’elle était enceinte. Sa fille ne sait rien de cet homme et imagine une rencontre rapide entre sa mère et un géniteur un peu au hasard. Elle a besoin de stabilité et fait un mariage très conventionnel. Pendant ces quelques jours de préparatifs, on sent toutes les tensions entre la mère et la fille. C’est très finement analysé , l’on comprend aussi que cette maman mauricienne mère d’une enfant au visage britannique a été parfois regardée avec curiosité, mais surtout il lui a fallu faire face et être là pour cette petite fille qu’elle aime tant. Elle vit souvent dans ses propres histoires : celles qu’elle a su si bien inventer pour ses lecteurs. Anna sa fille n’a qu’une crainte, que sa mère ne respecte pas les codes de bienséance pour son mariage. Et évidemment, Sonia, sa mère va transgresser : elle éprouvera une attirance irrésistible pour le père de son gendre (qui est divorcé, ce n’est pas totalement glauque !) et sa fille les surprendra dans le même lit ! Et c’est le reproche que j’ai fait à ce roman je n’ai pas réussi à croire qu’une mère aimante soit capable de faire ça sans penser à sa fille, pas ce jour là !

Je vous l’avez dit, cette fin a gâché ma lecture, dommage car jusque là j’étais vraiment bien dans cette fiction avec encore une fois sous la plume de cette écrivaine une grand finesse dans l’analyse des rapports humains.

 

Citations

Rapports mère fille

Anna m’appelle maman. J’aurais aimé qu’elle me donne un petit nom, quelque chose qu’elle aurait inventé pour moi, qui ne serait qu’à moi et si, par hasard, un jour, elle m’appelle alors que j’ai le dos tourné dans une grosse foule, si ce jour-là elle m’appelle à tue-tête de ce nom qu’elle m’aurait donné, je me retournerai, forcément, je saurai. Mais dans une foule, si quelqu’un crie maman, des centaines de femmes se retournent. Anna m’appelle maman, solennellement, gravement. Elle y met de la force, elle articule, elle fait des angles droits à ce mot-là, des falaises abruptes et des rochers affûtés en dessous, elle y met de la distance parfois, de la réprobation souvent. Elle me somme aussi, ai-je quelquefois l’impression, puisque je me raidis à ce mot-là. Une ou deux fois, au lieu de maman j’ai entendu madame et ça m’a rempli le cœur de larmes.

Chagrin d’une mère

Anna, ma fille, s’est éloignée de moi très jeune. Où est-ce moi qui ai fait le premier pas de côté à force d’être penchée sur des livres, de nourrir des familles entières dans la tête, de les aimer, de les faire grandir, de les tuer, de les triturer et à ma guise, peut-être dans ces moments-là, j’étais une mère distante, absente, faite de cendres et de fumée ?

(….)Je me suis dit que peut-être, elle ne m’aimait pas. C’est possible, cela arrive beaucoup plus souvent qu’on le pense, les enfants ne sont pas obligés d’aimer leurs parents.

Le bouquet du futur gendre

Les lys étaient droits comme des I, équilibre magique, plus rien de la fragilité de la douceur des fleurs, un boa en plumes blanches recouvrait le cou du vase- instrument et dans l’eau flottaient des paillettes blanches. Des jours plus tard, quand les lys se sont fanés et que j’ai essayé de les libérer de cette composition indescriptible , j’ai été saisie d’horreur en découvrant qu’ils étaient traversés par un fil de fer les maintenant jusqu’au pourrissement ultime, droit comme des militaires.

Que de remarques exactes dans ce court extrait

J’ai appris que l’expérience des autres n’a jamais servi à rien. D’ailleurs, on se demande bien si on apprend de sa propre expérience. 
On entend les gens dire des banalités, avoir de l’espoir ridicule, on sait qu’ils vont se casser la gueule sur la routine, que la vie à deux ce n’est pas cela, que les preuves d’amour c’est dans le quotidien, pas dans un nom qu’on porte, que l’amour c’est continuer à pardonner.

 

Édition Poche Folio

 

Après avoir lu de cette auteure, grâce au club de lecture, « Le Ciel par dessus les Toits » j’ai eu très envie de découvrir un peu plus cette écrivaine mauricienne. Si l’île Maurice est synonyme pour beaucoup d’entre nous de vacances sur des plages de sable blanc, de mer bleu azur, sous un soleil toujours présent, cette île a représenté pour des populations noires un lieu d’esclavage et lorsque celui-ci a pris fin, une terre d’immigration pour des Indiens fuyant une misère absolue dans leur pays.

Loin de ces impressions paradisiaques, ce roman se situe en 1890 : l’île Maurice est alors sous domination britannique, depuis une trentaine d’années, mais les plantations restent la propriété de riches planteurs français qui recherchent à tout prix une main d’œuvre bon marché pour remplacer leurs anciens esclaves. Les noirs habitent aussi cette île mais refusent de se faire maltraiter par les propriétaires blancs, peu d’entente sont possibles avec les Indiens qui acceptent des conditions de travail dont eux mêmes ne veulent plus. En peu de chapitres, les problèmes sont très bien posés. On comprend d’autant mieux tous les problèmes qui assaillent dès leur arrivée ces malheureux Indiens sur l’île Maurice que chaque personnage nous est présenté avant leur départ dans leur lieu de vie d’origine. On comprend alors, pourquoi ils partent, mais aussi comment ils vont être forcément déçus car trop de fables irréalistes, comme ces pièces d’or que l’on trouve en soulevant des rochers, leur obscurcissent le cerveau !

Ce roman nous permet de comprendre la situation des Indiens en 1890, certains sont accablés par les dettes que leurs parents ont contractées, un des personnage est seulement joueur de poker et perd tout l’argent de ses parents aux cartes, une jeune femme de sang royal doit brûler sur le bûcher de son mari mort à la chasse, un autre croit rejoindre son frère… Tous se retrouvent sur un bateau : l’Atlas qui après des mois de navigation d’autant plus éprouvante que les Indiens craignent beaucoup la mer, ils débarquent apeurés sur l’île « Meuriche » et trouvent une condition qui se rapproche plus de l’esclavage que celle de travailleurs pauvres et précaires.

J’ai beaucoup aimé ce livre, certainement parce que je ne savais pas grand chose de cette immigration mais aussi parce que cette auteure sait très bien raconter, j’ai quitté à regret ses personnages et j’aurais aimé les suivre un peu plus longtemps. Il y a un aspect qui m’a beaucoup intéressée : à quel point l’enfermement dans les traditions de l’Inde asservit la population et empêche les plus pauvres de s’émanciper, mais à quel point également, ces carcans représentent un lieu rassurant face à un inconnu encore plus menaçant que la servitude que l’on connaît bien. Le roman l’annonce mais ne le décrit pas, visiblement les Indiens sauront grâce à leur courage et à leur force de travail devenir une partie très importante de la population active de l’île et à finalement s’enrichir même sans trouver les fameuses pièces d’or qui ont fait briller les yeux de leurs ancêtres.

 

Citations

Les dettes des paysans pauvres

Quand il emprunta cinquante roupies au zamindar, les deux hommes étaient convenus d’un kamia C’était un contrat où l’on troquait sa sueur, son labeur et parfois la chair et le labeur de ses enfants contre de l’argent. Tant que les cinquante roupies et les intérêts sur le prêt n’étaient pas remboursés, Devraj Lal s’engageait à travailler les terres du zamindar pour la moitié d’un salaire. Il s’engageait aussi à ce que son fils reprenne le kamia s’il décédait avant d’avoir remboursé les cinquante roupies. Ce qui arriva moins d’un an après et son fils, Chotty se trouva en devoir d’honorer une dette qu’il n’avait pas contractée.
Cela faisait dix années que Chotty travaillait pour le zamindar. Les intérêts sur le prêt avaient grandi comme le blé : vite. Et Chotty, semblait–il, ne travaillait pas aussi vite que le blé. Il avait amassé quelques roupies mais plusieurs fois son fils était tombé malade ou le zamindar décrétait qu’il n’avait pas bien fait son travail ou encore ce qui arrivait de plus en plus souvent ces derniers temps, la bibi se plaignait.

Être veuve

Il n’y avait rien de pire que de survivre à son mari. Donner naissance à une fille en premières couches ou toucher un paria étaient des manquements terribles mais être veuve était innommable. Ici, depuis des siècles, dans les familles de sang royal, les femmes montaient sur le bûcher avec leur mari. C’était une tradition comme une autre. De toute façon, que ferait une femme sans son mari ? Qui voudrait d’une veuve quand les jeunes filles vierges ne manquaient pas ? Surtout, qui prendrait le risque d’accueillir une femme qui porte tellement le mauvais œil qu’elle finit veuve ?

Les rapports des noirs anciens esclaves et les indiens nouvellement arrivés

« Je t’ai eu, Malbar. Vous croyez supérieur, hein, tous, tous autant que vous êtes ? Vous venez ici, vous léchez le cul des blancs, vous faites vos village, vous amassez de l’argent, vous achetez des terrains et ensuite, vous vous prenez pour des blancs. Vous nous crachez dessus. Nous sommes des êtres inférieurs pour vous. Vous aussi, vous fouettez vos employés … Tu vas voir, Malbar. Tu vas voir ce que c’est que pourrir en prison. Tu travailleras sous le soleil et comme nous, tu soulèveras les pierres et tu pourriras loin des tiens. »

Édition Gallimard. Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Une belle découverte que cette auteure qui a un style très particulier, entre poésie et réalisme.
L’histoire se résume en peu de mots, une femme d’abord prénommé Éliette et qui deviendra Phénix, est trop, mais, mal aimée par ses parents et ne saura pas, à son tour, aimer ses deux enfants : sa fille Paloma et son fils Loup. Éliette était une enfant d’une beauté incroyable et un début de talent de chanteuse, ses parents d’un milieu populaire en font, naïvement et sans penser la détruire, une petite poupée qui chante en public en particulier au Noël de l’usine devant tout le village. Ce corps trop beau et vieilli avant l’âge attire les convoitises des hommes, et détruira l’âme d’Éliette. Paloma, sa fille quittera, à 18 ans, le domicile de sa mère, un garage pour pièces détachées dans une zone péri-urbaine, pour se construire une vie plus calme mais elle abandonne son frère Loup à ce lieu sans amour. Loup prendra la fuite en voiture sans permis et blessera d’autres automobilistes, il fera huit jours de prison. Il y a bien sûr un incident qui peut expliquer la conduite d’Éliette, mais l’auteur n’insiste pas, elle montre à quel point l’enfant était mal dans sa peau d’être ainsi montrée en public à cause de sa beauté et de sa façon de chanter. Pour punir ses parents elle s’enlaidira au maximum, et sa voix deviendra désagréable. Bref de trop, et mal aimée elle passe au stade de rebelle et entraîne dans cette rébellion ses deux enfants. Le roman se situe quand Loup est en prison et que Paloma et sa mère essaie de comprendre leur passé respectif. Tout le charme de ce texte tient à la langue de Natacha Appanah, on accepte tout de ce récit car elle nous donne envie de la croire, elle ne décrit sans doute qu’une facette de la violence sociale et la poétise sans doute à l’excès mais c’est plus agréable de la lire comme ça, cette violence sociale, que dans le maximum du glauque et du violent qui me fait souvent très peur. Et pour autant elle n’édulcore pas la misère du manque d’amour maternel et des dégâts que cela peut faire.

 

Citations

L’art du tatouage

Son biceps gauche est encerclé de trous lignes épaisse d’un centimètre chacune, d’un noir de jais. Sur son poignet droit, elle porte trois lignes du même noir mais aussi fine qu’un trait de stylo. Une liane de lierre, d’un vert profond, naît sous la saillie de la malléole, entoure sa cheville gauche, grimpe en s’entortillant le long de sa jambe et disparaît sur sous sa robe. Entre ses seins, que l’ouverture de sa chemise de nuit laisse entrevoir, il y a un oiseau à crête aux deux ailes déployées, à la queue majestueuse. C’est le premier tatouage qu’elle s’est fait faire à dix huit ans, pour inscrire à jamais le prénom qu’elle a qu’elle s’était choisi : Phénix. 

Impression que je partage même si, moi, j aime la ville

Georges n’a jamais aimé la ville mais il aime bien les gares. Celle-ci n’est pas trop grande, pas encore en tout cas. Il a l’impression que tous ce qui était à taille humaine, reconnaissable, inoffensif, est aujourd’hui cassé, agrandi, transformé. Les cafés, les cinémas, les magasins, les stations services, les routes, à croire que tout est fait pour que les hommes se sentent mal à l’aise, tournent en rond et se perdent.

Portrait amusant

D’habitude, elle est de ces femmes à ne jamais cesser de bavarder, grandes histoires, petits détails,un véritable moulin à paroles, et le docteur Michel soupçonne que c’est le genre de femme à commenter, seule chez elle, sa vie.

Bien observé

Il y a donc ce gâteau dont l’emballage précisait « transformé en France et assemblé dans nos dans nos ateliers »