Édition Gallimard NRF . Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

J’ai parfois eu des réserves sur cet auteur mais ce livre est un des meilleurs romans que j’ai lu depuis longtemps.( trois coquillages pour expo 58 et quatre pour la pluie avant qu’elle ne tombe) J’ai parfois une pensée pour les traducteurs, ici pour la traductrice et je me suis dit quel plaisir elle a dû avoir à traduire un livre aussi intelligent, drôle parfois et si sensible. Et bravo pour le titre ! Il représente exactement ce que veut montrer Jonathan Coe : derrière ce nom Royaume-Uni se cache une désunion qui va aboutir au schisme du Brexit et la royauté est comme un vernis qu’on agite devant les yeux des « gogos » qui pleurent à l’unisson devant la mort de Diana en oubliant leurs divergences plus fondamentales.

Sous un sentiment national anglais unanime se cache donc des fissures importantes que l’auteur va, peu à peu, nous révéler à travers une famille dont nous allons connaître la vie de 1945 à aujourd’hui. C’est peu de dire que ce livre est une vision critique de l’Angleterre c’est le plus souvent une peinture au vitriol.
Le roman commence par un prologue en mars 2020, rappelons nous, c’est le début d’une épidémie qui va mettre l’Europe dans un état qu’elle n’avait jamais connu. Le confinement va s’installer et c’est d’ailleurs par les conséquences les plus tristes de ce confinement que se terminera le récit : la mort, seule isolée des siens, de Mary un personnage central du livre, la mère de trois fils adultes, et la grand-mère de cinq petits enfants, dont Suzan la contrebassiste avec qui nous étions dans le prologue.
Nous sommes à Birmingham, la ville où John Cadbury a créé une entreprise de chocolat célèbre en Angleterre et qui sera très importante dans le roman. En 1945 on célèbre la victoire sur le nazisme et si les Anglais peuvent être fiers de leur victoire, l’auteur souligne qu’ils sont plus nationalistes qu’anti nazi. Peu à peu les traits de caractère se dessinent. Mary très dynamique va épouser Geoffrey un homme qui restera toute sa vie enfermé dans ses certitudes et qui n’exprimera qu’une seule fois sa sensibilité et ce sera lors du décès de Lady Diana.

Le mélange entre la vie des différents membres de la famille et des évènements nationaux est une grande réussite. Le livre est divisé en sept chapitres qui sont autant de rendez-vous où le royaume donne l’impression d’être « uni » :

  • le prologue mars 2020
  • le jour de la victoire 8 mai 1945
  • finale de la coupe du monde Angleterre bat l’Allemagne 30 juillet 1966
  • l’investiture du prince de Galles 1 juillet 1969
  • le mariage de Charles avec Diana 29 juillet 1981
  • funérailles de Lady Diana 6 septembre 1997
  • 75° anniversaire de la Victoire 8 mai 2020

Pour nous retrouver dans la famille Lamb et Clark , l’auteur fournit au début du livre un arbre généalogique, j’ai souvent eu besoin de m’y référer. C’est peut être le léger reproche que je ferai à ce roman. brassant autant d’années et de personnages, on a parfois du mal à bien connaître chaque membre de la famille. Ils sont à l’image du pays plus divisés qu’il n’y parait et après le « brexit » certains ne se parleront plus.

Birmingham est donc la ville du chocolat à l’anglaise et malheureusement, la France et la Belgique ne veulent pas le laisser entrer en Europe car il n’utilise pas de beurre de cacao. Jonathan Coe se fait un malin plaisir de nous raconter en détail les discussions européennes et la mauvaise foi des Anglais, le côté sans fin de ces discussions (elles ont duré sept ans !) serait drôle si finalement elles n’étaient pas à pleurer. Le portrait de Boris Johnson comme journaliste à Bruxelles est criante de vérité et avoir élu cet individu à la tête du pays fait partie des failles de ce pays.

Ce roman est rempli d’informations et j’aimerais bien toutes les retenir : un vrai grand plaisir de lecture.

 

Citations

L’engagement dans la guerre 39/45.

Pour eux, c’était une simple histoire d’auto défense : les Allemands voulaient nous envahir, nous occuper, un peu qu’on allait les arrêter, merde. (désolé pour les gros mots. Remarque, eux ils auraient dit bien pire) . Eux contre nous, point barre, tu vois. Bon y a rien de mal à ça bien sûr. Ils se sont battus comme des héros sur ce principe on ne peut pas leur enlever ça. Mais ils voyaient ça simplement comme une guerre contre les Allemands : et pour être honnête si tu les poussaient à parler politique tu t’apercevais que certains avaient des opinions pas si éloignées que ça de celles des nazis. (…)

 C’est juste que je pense qu’il y a une certaine idée de la guerre les gens aiment bien cultiver. Comme quoi c’était une affaire politique. Comme quoi tout le monde était convaincu que le véritable ennemi c’était le fascisme. C’est une sorte de mythe. Un mythe que les gens de gauche sont de plus en plus prompt à embrasser. 

Snobisme.

Tu sais quoi, je crois qu’il trouve que ça fait trop populo. Le tennis, le golf, ça c’est pour les gens comme lui, pas le foot. Et il ne veut pas aller à Villa Park parce qu’il pense que le quartier est pourri et qu’il arrivera quelque chose à sa voiture si la gare là-bas. Il est terriblement snob, je crois qu’il tient ça de ses parents. 

Le nationalisme alimentaire.

 On rapporte que l’équipe portugaise, qui séjourne à Wilmslow, a apporté six cent bouteilles de vin et plusieurs tonneaux d’huile d’olive vierge, ayant supposé (à juste titre) qu’il leur serait impossible de se procurer des substituts convenables pour ces denrées en Angleterre.
 Leur équipe médicale a interdit aux Espagnols de boire l’eau du robinet anglaise affirmant qu’ils tomberaient sûrement malade sinon. 
Entre temps on a demandé au joueur vétéran Ron Flowers de lister les avantages dont jouissent les Anglais en jouant à domicile, et il répond sans aucune hésitation que le principal c’est de « pouvoir manger correctement ».

L’expression des sentiments chez un Anglais.

 Il est assis devant sa télé portative, plié en deux, des mains sur les yeux. À l’écran s’affiche des images des funérailles de la princesse Diana. Les épaules de Geoffrey se soulèvent, et il est secoué de longs sanglots convulsifs. Quand Mary lui attrape les mains et les écarte doucement de son visage, elle voit qu’il a les yeux rouges et gonflés, les joues luisantes de pleurs, la bouche tordue en un rictus de chagrin obscène. Geoffrey pleure comme un bébé. Les larmes jaillissent de son corps : des larmes qu’il n’a jamais versées pour son père, ni pour sa mère ; des larmes que rien d’autre, rien de tout ce qui a pu leur arriver, à lui, à Mary, ou à ses enfants n’ont jamais réussi à lui tirer en soixante-dix ans.

26 Thoughts on “Le royaume désuni – Jonathan COE

  1. keisha on 10 avril 2023 at 07:44 said:

    Je suis fan de l’auteur, bon, celui ci faut que je voie avec une de mes biblis!!!

  2. Lu mais pas commenté sur mon blog, pourtant je l’ai beaucoup aimé !

  3. Tu m’as convaincue. Je retiens ce livre pour plus tard. J’ai déjà « Billy Wilder et moi » dans ma bibliothèque. Cela fait une éternité que je n’ai pas lu Jonathan Coe. Ma dernière expérience avec cet auteur doit remonter aux « Nains de la mort » !

  4. J’avais l’intention d’attendre sa sortie en poche pour le lire ! Mais s’il est à la bib’, je n’aurais peut-être pas besoin d’attendre.
    en général je ne suis pas fan des « multiplications » des personnages. Mais si tu dis qu’il y a un arbre généalogique où l’on peut s’y retrouver, ça me va. Je trouve que de nombreux romans devraient justement comporter un arbre généalogique !

  5. J’adore cet auteur, dans le même acabit (enfin, je suppose), j’ai beaucoup aimé Le coeur de l’Angleterre

  6. J’ai une amie qui me l’a chaudement conseillé. Tu confirmes !

  7. Je n’ai toujours pas lu l’auteur, mais j’en ai un dans ma PAL ! c’est une première étape et grande nouvelle : il vient dans ma ville le 10 Mai, je me suis empressée de réserver tout de suite. De quoi me motiver.

  8. J’ai personnellement aimé tout ce que j’ai lu de lui, il en fallait donc peu pour me convaincre… là, tu m’as plus que convaincue !

  9. Tu m’as convaincu, j’ai lu et pas vraiment apprécié cet auteur mais du coup je vais aller y voir de plus près,

  10. Ca alors, du même auteur je viens justement de terminer Le coeur de l’Angleterre qui raconte comment on en est arrivé au Brexit ! Je note Le royaume désuni pour quand il sera disponible à ma bibliothèque.

  11. Bonjour Luocine, je constate que tu as aimé ce roman autant que moi. Et j’ai donc appris d’où venait le chocolat Cadbury et ses « pingres ». Je l’ignorais. Il m’est arrivé d’en manger. Bonne journée.

  12. Jamais rien lu de cet auteur mais là aussi, je note.
    Merci
    Anne

  13. Super, 5 coquillages, je le lirai, j’adore l’auteur, il fait partie de mes préférés. Il me reste celui-ci et Expo 58 et je les aurai tous lus.

    • Pour moi aussi c’est un auteur que j’aime mais je trouve ses livres parfois moins bons que d’autres. J’ai adoré celui-ci.

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