Andreï Makine est un auteur que j’apprécie et depuis longtemps. Je retrouve ici les thèmes qui l’obsèdent : les souffrances causées par le totalitarisme soviétique. Mais au-delà de cette folle idéologie meurtrière, il cerne ici plus précisément ce qui dans le comportement de chaque être humain , conduit à accepter l’inacceptable. Mais, justement, c’est un peu cela qui m’a fait moins adhérer à ce roman, je le trouve trop didactique, à force de vouloir nous prouver quelque chose, les effets deviennent attendus et le récit perd en intensité.
La traque d’un évadé d’un camp de personnes déplacées permet de cerner cinq personnalités qui ont toutes, de façons différentes sauvé leur peau face aux purges staliniennes en étant à des degrés divers de véritables ordures. L’un était commissaire politique pendant la deuxième guerre mondiale, il a fusillé un grand nombre d’officiers qui n’avaient rien fait, l’autre a participé à des liquidations de villages en Lettonie, tuant femmes et enfants, le moins « coupable » a vu sa femme et son enfant mourir de façon atroce durant le siège de Leningrad. Tous les cinq se tiennent par la peur d’être catalogué suspect par le commissaire politique. Une expérience tragique qui résume à elle seule la vie en 1952 en URSS. Lâcheté, bravoure, dénonciation, survie sont les balises qui tracent un chemin pour survivre et personne n’en sort indemne. La traque elle même nous fait découvrir la taïga et se termine dans une région aussi magique qu’effrayante le golfe de Tougour. Mais ce récit qui voit disparaître un à un les chasseurs au profit du fugitif perd d’intensité au fur et à mesure que les mêmes effets se répètent. La fin qui suppose une vie heureuse de deux êtres dans l’île de Bélitchy est peu crédible .
Citations
Une constante du comportement humain
J’étais fier de ne pas m’être abaissé à le dénoncer. Pourtant, je savais qu’il ne me pardonnerait pas ce geste d’humanité. Une constante psychologique dont j’étais curieux de vérifier la fatalité.
La femme aimée
L’infirmière, je l’ai épousée… Après la guerre, elle a pris sa revanche sur la faim, a grossi, est devenue même une belle femme, une femme d’officier, quoi, autoritaire, grincheuse, un peu caporal en jupon. Et l’autre, celle que je voyais en mourant n’existait plus… Les popes racontent comme quoi l’homme est puni pour ses péchés, bref, l’enfer et le feu éternel. Mais le vrai châtiment, ce n’est pas ça… C’est quand une femme qu’on a aimé disparaît… Comment dire ? Oui, elle disparaît dans celle qui continue à vivre avec vous…
Difficile d’être du bon côté en URSS sous Staline
En 1937, le jour du 20e anniversaire de la Révolution, le chantier du barrage fut relancé. Peu après, le nouveau chef de travaux allait être arrêté pour fait de sabotage antisoviétique. J’étais déjà capable de tirer ce bilan, si un mari jaloux n’avait pas tué mes parents, on les aurait emprisonnés parmi ces milliers de responsable accusés de gaspillage, de sabotage, d’espionnage… Alors, rejeton e ces traître à la Patrie j’aurais croupi dans une colonie de rééducation.
Les bourreaux après leurs crimes
Pendant la guerre, Louskass luttait contre les éléments « défaitistes » et les « éléments idéologiquement hostiles », comme on disait à l’époque. De bons officiers souvent. Il en a fusillé des centaines !.Il désignait vite fait un ennemi et, hop, le peloton d’exécution !Sans autre forme de procès. J’en ai croisé des types qui faisait le même sale boulot que lui. Certains, Et ce devait être le cas de Louskass, préféraient tuer avec leur pistolet de service. Question de goût. Une balle dans la nuque et le dossier est clos. Sauf que, tu vois,même s’il tirait dans la nuque, il ne pouvait pas ne pas voir, avant l’exécution, les yeux de tous ses soldats… Et maintenant dans son sommeil ses regards reviennent. Il tire, les nuque éclatent mais les yeux le vrillent . Et il hurle. Jusqu’à sa mort, ces yeux le poursuivront.
Sans doute le sens du livre
Durant cette veille, mes pensées luttaient contre l’insoluble simplicité de nos vies. Il y avait cette femme dans la nuit solitaire et, à si peu de distance d’elle, nous – ces hommes qui, quelques heures auparavant, était prêt à la torturer dans une saillie de bête… Les philosophes prétendaient que l’homme était corrompue par la société et les mauvais gouvernants. Sauf que le régime le plus noir pouvait, au pire, nous ordonner de tuer cette fugitive mais non pas de lui infliger ce supplice de viols. Non, ce violeur logeait en nous, tel un virus, et aucune société idéale n’aurait pu nous guérir.