Oui, je suis allée jusqu’à Trans qui sur Wikipédia s’enorgueillit de sa seule ( ?) gloire locale Alain Rémond, pour faire ma photo. Le village a peu changé car il est en dehors des circuits touristiques, il est en tout cas en hiver, d’une tristesse palpable. Le garnit n’est pas une pierre très gaie, même si elle est très solide !

Ce petit livre est depuis plus de 10 ans dans ma bibliothèque, je l’avais lu à l’époque (en 2000) je l’ai beaucoup prêté et je viens de le relire. Il se trouve que je connais bien la région dont il parle qui d’ailleurs n’a plus rien à voir avec le côté bout du monde où il a grandi, sauf, cependant, son village : Trans-la-forêt , et encore ! J’ai vécu aussi dans une de ces familles nombreuses de l’après guerre et il se trouve que la maladie mentale me touche de près. Est-ce pour toutes ces raisons que cette courte autobiographie me touche tant ? Alain Rémond était quand il a écrit ce texte rédacteur en chef de Télérama. Il raconte l’enfance qu’il a vécue à Trans à 15 kilomètres du Mont Saint Michel . C’est un enfant du monde rural très pauvre, car dans sa famille, ils sont 10 enfants à vivre de la paye de son père cantonnier. Leur vie est à la fois chaleureuse par la force d’amour de la fratrie et de sa mère et horrible par la mésentente violente de ses parents. Ce qui fait le charme de ce texte c’est le style tout en pudeur et délicatesse même quand il parle de sa sœur Agnes schizophrène ou bipolaire( ?) . La vie est rude dans le monde rural d’après guerre et seule la force de travail de ses parents tirera la famille d’une misère extrême. Il a aimé ses deux parents qui ne s’aimaient plus, ses courses dans la forêt où il se sentait libre pour tous des jeux d’aventures, sa fratrie et le grenier de sa maison où ils inventaient des jouets qui ne devaient rien aux objets modernes. Mais il a souffert de la mésentente de ses parents, souffert de voir sa mère s’user à la tâche après la mort de son père, souffert d’aller en pension et d’y rester tous les dimanches, souffert d’être le « plouc » par rapport aux bourgeois de Dinan. Mais quelle belle revanche d’y recevoir le prix d’excellence et de voir le sourire de sa mère le jour de la distribution des prix  ! Un témoignage qu’on n’oublie pas d’une époque qui doit sembler bien lointaine pour les jeunes d’aujourd’hui.

 

Citations

Le poids et la force de l’enfance

On ne guérit pas de l’enfance. On ne guérit pas du paradis terrestre. On voudrait que ça dire tout le temps, toute la vie. On voudrait vivre dans une bulle, bien au chaud, qui nous ferait oublier le reste, l’enfer à la maison le soir. et puis la mort de notre père. Et ce silence entre nous. Ce gros bloc de silence noir qui nous empêche de respirer.

Les paroles d’un père sur son lit de mort

Et voici que mon père, avec ce sourire fatigué, sans doute aussi pour faire oublier le père lointain, étranger, qu’il a été, trouve le courage de nous dire combien il nous aime, beaucoup mieux que dans les livres. C’est nous qui n’avons pas su lui répondre, trop interdits, trop bouleversés. J’en veux à mon père, pour tout ce qu’il ne nous a pas donné, pour cette violence dans la maison, pour tout ce qu’il a fracassé en moi. Mais je lui pardonne tout, pour ces mots qu’il a su trouver, en ce dimanche d’été, je lui pardonne tout.

La revanche sociale et le bonheur de sa mère

« Prix d’excellence, Alain Rémond de Trans » C’était la revanche des bleds paumés, des trous perdus, de la campagne oubliée. Mais la vraie récompense, c’était celle-ci : ma mère, venue exprès de Trans, assise au milieu de tous ces gens bien habillés, qui entendait mon nom et qui me regardait descendre de l’estrade avec mes prix. Le regard et le sourire de ma mère, ce jour-là, dans la cour d’honneur des cordeliers, à Dinan, jamais je ne les oublierai.

La sœur malade et tant aimée

Et puis, surtout, il y a Agnès. Je comprends peu à peu, au fil des lettres qu’elle est malade. Pas d’une maladie du corps. Agnès est malade de l’âme, de l’esprit. Elle ne sait plus ce qu’elle veut, ce qu’elle vit , elle glisse peu à peu vers une absence à elle-même, à la vie(….) Agnès avait toujours été pour, pour moi, celle qui riait, qui blaguait, qui débordait d’idées. Elle avait plein d’amis, elle était dynamique, elle voulait faire bouger les choses et les gens. On était tellement proches, tous les deux, tellement complices. On avait des discussions ininterrompues, passionnées. On avait les mêmes goûts, les mêmes dégoûts (….° Peut-être est-elle, parmi nous tous, celle qui a dû payer le prix de cette schizophrénie, en nous : entre le bonheur d’être ensemble, d’être à Trans, et ce trou noir du malheur, ce silence qui nous rongeait de l’intérieur, l’enfer à la maison. peut-être Agnès a-t-elle payé pour nous.