Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.


François Garde ne m’en voudra certainement pas que l’alto prenne plus de place que son roman sur ma photo. Lui qui a donné vie dans « L’effroi » à un Sébastien Armant, altiste à l’opéra de Paris qui « aurait tant aimé ne nous parler que de musique ». Malheureusement, le geste horrible, criminel, d’un chef d’orchestre très en vue fait basculer sa vie. Voici le début d’une d’une vraie tragédie :

L’archet levé, j’attendais le signal ;

Soudain le chef se redressa. Il prit une longue inspiration, se figea dans un impeccable garde-à-vous. Le public ne se rendit compte de rien, et pour nous ce changement de posture ne produisit qu’un vague sentiment d’alerte.

Lentement, il leva le bras droit, main tendue vers le rideau de la scène, et, de sa belle voix de baryton, s’exclama avec force et solennité :

« Heil Hitler ! »

Sébastien Armant, saisi d’effroi, va se lever et sortir, entraînant derrière lui tout l’orchestre, la réprobation du geste du chef est telle que cela devient « le » scandale médiatique qu’il faut à tout prix exploiter pour des raisons politiques et de pouvoir. Notre altiste va devenir un objet aux mains des spécialistes de la communication et peu à peu perdre pied et ne plus très bien savoir comment diriger sa vie. Le récit est bien mené et nous retrouvons les travers de notre société dans la description de la chute programmée d’un homme simplement courageux. Le lecteur sait, bien avant lui, que Sébastien Armant n’aurait jamais dû fréquenter les fameux « plateaux » télé, que c’est un monde prêt à dévorer de l’émotion sur le dos de ceux qui peuvent encore en exprimer.

Sa peinture du monde politique avec sa cohorte de conseillers en image, en communication, en revue de presse est criant de vérité. Oui, c’est bien dommage que cela se fasse sur le dos de la musique mais, au moins, il peut se rassurer, la musique restera toujours cet art exigeant qui demande à ses serviteurs de travailler tous les jours (ou presque) six heures, pour arriver à un résultat qui leur donne du plaisir et nous en donne tant. C’est l’amie propriétaire de l’alto de cette photo qui m’a fait découvrir cette réalité, et aucun conseiller ne pourra jamais faire l’économie de ce travail exigeant pour aboutir au feu d’artifice que représente un concert réussi. Il peut se comparer au travail de l’écrivain qui polit sa langue pour permettre au lecteur de rentrer au plus profond du récit et de partager les doutes et les espoirs de l’écrivain comme le fait si bien François Garde.

Citations

le directeur de l’Opéra

Jean-Pierre Chomérac, le président du conseil d’administration de l’Opér, me surprit. Chomérac avait pris ses fonctions six mois plus tôt. Il devait ce poste à une ancienne et indéfectible amitié avec le président de la République. (…) Sous sa protection, il avait été nommé successivement inspecteur général de l’agriculture, préfet de l’Yonne, ambassadeur au Portugal. Il ne dissimulait pas la minceur de ses compétence, et y suppléait par un sens politique avisé et sa propension à se saisir des sujets à la mode et à faire parler de lui. (…)Nos délégués syndicaux murmuraient qu’il n’avait pas encore découvert que dans un opéra on faisait de la musique.

Vous savez président de l’Opéra n’est qu’un lot de consolation en attendant mieux.

Ceux qui nous gouvernent

Je le remerciai en prenant la carte qu’il me tendait. Des assistants vinrent à nouveau papillonner autour de nous. Le conseiller du ministre en profita pour se glisser à côté de moi et murmurer :

– Il distribue ses cartes de visite comme s’il était encore député-maire. Bien évidemment, c’est nous qui vous contacterons le moment venu.

Les médias

Les médias sont comme un monstre insatiable, il faut lui donner à manger de temps en temps, sinon il peut vous dévorer tout cru.

Vie et mort des scandales dans les médias

Les chaînes d’information en continu se régalent. Avant-hier les révélations d’un obscur attaché parlementaire ; hier les explications contournés du ministre du Budget ; ce matin les bons mots assassins d’un jeune loup de l’opposition. Dans notre affaire, il ne se passe rien de nouveau, il ne peut rien se passer d’inédit. Les journalistes me sollicitent moins pour vous rencontrer. Mon cher Sébastien, il faut s’y résoudre : le bouquet que nous proposons à la vente depuis deux semaines commence à se faner, et les amateurs veulent des fleurs fraîches.

Le musicien d’orchestre

Rien ne peut égaler l’honnêteté du musicien, L’honnêteté sans fard et sans tache du travail du musicien, seul responsable d’avoir bien apprivoisé son instrument, bien lu la partition, bien écouté ses collègues, bien suivi les consignes. Lui seul – et chacun dans l’ensemble- doit se glorifier modestement de donner vie aux constructions invisibles élaborées par les maîtres du passé. 

Phrase que j’aime

Comme des rochers fendant une mer calme, ou des sommets émergeant des nuages. Mais les écueils ne disent rien du métier de pêcheur, ni les montagnes ne se réduisent à leurs extrémités.

36 Thoughts on “L’Effroi – François GARDE

  1. Attiré par les 5 coquillages, j’ai été estomaqué par le début de ta chronique. Quelle histoire ! Tu me donnes envie de la dévorer le plus vite possible, merci.

    • La destruction d’une personnalité à travers un lynchage médiatique est un drame très bien décrit. On n’en connaît d’autres. Mais c’est toute notre société qui est décrite dans ce livre très prenant. Le directeur de l’Opéra est tellement véridique, tous ceux qui travaillent et se frottent au personnel politique peuvent en témoigner.

  2. J’ai déjà lu deux billets sur ce livre (je ne sais plus trop où) mais là, 5 coquillages! je pense qu’il sera à la bibli.
    Au fait, tu joues de l’alto? c’est le tien sur la photo?

    • C’est un excellent roman et très bien écrit. Keisha je viens de te surprendre en flagrant délit …. tu lis trop vite les billets de Luocine ! J’ai dit que cet alto était celui de mon amie altiste. Elle est altiste à l’opéra de Massy et c’est grâce à elle que j’ai découvert la quantité et l’intensité du travail d’une musicienne de haut niveau.

      • Oups oui, et je doute que ce genre d’instrument se prête quand on est musicien professionnel. Figure toi que j’ai une fois assisté à un opéra à Massy (bonne acoustique)

  3. Cinq coquillages, c’est si rare…

  4. Le sujet est intéressant, et les citations prouvent la qualité de l’écriture. Je n’ai pas relu depuis « Ce qu’il advint du sauvage blanc », ce roman me semble susceptible de me plaire…

  5. Cinq coquillages, ce n’est pas si souvent !

  6. le thème a un écho très fort en ce moment !!
    j’ai noté la référence
    Plusieurs chefs d’orchestre se sont compromis au moment du nazisme même si ensuite on a tiré un trait …

  7. Oh dis donc, je suis très attirée par ce roman, maintenant! Je ne te félicite pas !

  8. Un livre qui mérite qu’on tourne ses pages au regard de la promesse des 5 coquillages.

  9. Tiens, un livre dont on ne parle pas beaucoup, alors que visiblement il est très intéressant. Je note bien sûr.

  10. La Souris Jaune on 7 février 2017 at 16:49 said:

    … Ah, je confirme, tu nous donnes très envie de le lire ce livre-là ! Merci, Luocine :)
    Je note sur ma PAL !

  11. je suis obligée de noter même si j’avoue que ça m’embête vu ma PAL… Tu joues de l’alto?

  12. Je ne connais pas cet auteur mais ton avis donne envie de se pencher sur son cas !

  13. Je découvre votre blog grâce à Patrice et Violette… et j’ai la chance de tomber sur un classement de livre avec 5 coquillages (quelle belle idée de classement) et sur un thème qui va me plaire. Bravo à vous pour les belles photos également !

  14. Je le note avec grande envie !

  15. C’est un très beau livre et très bien écrit.

  16. Je suis souvent déçue par les romans en lien avec la musique, peut-être parce que je n’ y suis aps très sensible. Je note tout de même celui-à car j’avais aimé le précédent roman de François Garde

  17. J’ai aimé le début du roman qui commence vraiment très fort, mais certains aspects m’ont déçue, et notamment la fin que j’ai trouvée bâclée. Pourtant, l’idée était vraiment intéressante, et l’écriture est agréable.

    • J’ai tout aimé dans ce roman et aussi la fin pour le personnage principal. Vivre loin de toute médiatisation est possible. Le personnage du chef d’orchestre est un prétexte et donc l’explication finale est peut être moins intéressante.

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