Édition Philippe Rey

 

Il existe des prisons mentales, et rares sont les humains capables d’absorber tous les changements que leur impose la durée de leur existence

Quel plaisir de commencer l’année 2024 avec ce roman qui m’a absolument enchantée. Keisha avait raison ce roman est inoubliable et j’espère que nous serons nombreux à le lire.

L’auteur construit un roman sur les tourments d’un conservateur du musée du Louvre responsable entre autre de la salle où se trouve la Joconde. C’est un homme très cultivé mais qui ne s’impose ni en société, ni dans son couple. D’ailleurs sa femme va le quitter. Il est obligé par une femme directrice du Louvre au fort tempérament et résolument tourné vers le monde moderne, de participer à la restauration du tableau le plus célèbre du monde : La Joconde. Dans ce musée un homme responsable du ménage est aussi amoureux de ce tableau, on retrouve ce personnages par intermittence dans le roman. Cette restauration se passe sous les yeux du monde entier et le restaurateur italien Gaetano trouble tous les médias par ses audaces et sa liberté de ton.

Le plus important dans ce merveilleux roman ce n’est pas tant l’histoire que toutes les questions que posent la rénovation d’une oeuvre, le succès des musées, le monde médiatique contemporain. On peut voir à quel point ce livre m’a passionnée au nombre d’extraits que j’ai recopiés et encore je me suis un peu restreinte. Sous la plume de cet écrivain, dont le style est absolument parfait s’agite notre monde pour le meilleur et le pire, il s’amuse souvent, il s’attriste parfois mais surtout il a su intéresser la néophyte que je suis aux techniques de rénovation de tableaux et à toutes les questions que cela pose. Comme souvent, quand on est avec un être d’exception, cet homme d’une érudition époustouflante rend tous les problèmes techniques compréhensibles et partage sa culture de façon très simple. J’ai noté un ou deux mots que je ne connaissais pas et que j’ai eu plaisir à apprendre, mais sans doute vais-je (hélas !) les oublier.

J’ai aimé aussi le fil narratif mais sans doute un peu moins que l’immersion dans cet immense musée du Louvre, le personnage d’Homéro l’homme de ménage amoureux de Mona Lisa m’a moins convaincue mais c’est juste une toute petite remarque même pas un bémol . Lisez-le vous aussi et vous verrez un monde tableaux s’ouvrir devant vos yeux émerveillés.

PS j’ai recherché sur Internet tous les tableaux dont il était question et je me suis rendu compte à chaque fois que l’auteur en parlait, il savait me les rendre encore plus intéressants, grâce à ses descriptions et à ce qu’il sait voir dans les tableaux en dehors des jugements trop rapides sur les premières impressions de beauté ou parfois (pour moi) d’ennui.

 

Extraits

 

Début du prologue (j’ai adoré tout de suite)

 Il a réduit la peinture à sa stricte matière, à sa quintessence, à ses deux dimensions : un mince film coloré aussi fragile que l’aile d’un papillon, un agglutinat de pigments et de liants fin comme une peau humaine, si fin qu’il a pu admirer le dessin au travers. Cette membrane gigantesque, il l’a séparée du panneau de bois pulvérulent qui lui servait de support, au prix d’une patience infinie, puis il l’a marouflée sur un châssis entoilé d’un coutil au point serré. Il aimerait qu’on fasse ainsi de son âme, qu’on la détache de sa vieille carcasse fatiguée pour l’arrimer à un corps neuf et vaillant. Qu’on lui donne la vie éternelle.

Internet et les musées.

 Enfin, la mise à disposition sur Internet de l’intégralité de la collection de peinture en très haute définition, dans la lignée du Met, de la National Gallery et du Rijksmuseum constituait à terme une menace sur la fréquentation. Cette initiative honorable avait largement dépassé l’engouement prévu ; d’innombrables start-up s’étaient jetées sur ces bases de données pour proposer des visites virtuelles ultraréalistes compatibles avec la nouvelle génération de lunettes 3D. À quoi bon se coltiner la foule, le bruit et les odeurs quand on pouvait déambuler dans les salles rouges sans quitter le confort de son canapé ?

Le cœur du roman.

 La Joconde. Vous connaissez ses traits par cœur, avait repris Léa une voix douce. Vous pouvez fermer les yeux et la ressusciter à l’envi, tant vous avez y été exposés, tant l’œuvre a imprimé votre mémoire de sa trace indélébile. Pourtant vous tous ici savez que cette vision est dégradée par les outrages du temps. Les vernis oxydés et jaunis ont déréglé ses contrastes opacifiant le portrait qui année après année s’enfonce un peu plus dans la pénombre. Je ne vous apprends rien, dit-elle en regardant spécifiquement Aurélien, Mona Lisa baigne dans une marée verdâtre.

 Le beau.

 Ici on adhérait à l’idée kantienne de la beauté celle qui relie l’individu au reste de l’humanité dans une conviction partagée. On soutenait qu’il y avait, dans cette reconnaissance commune du beau, le prélude nécessaire à la société. Bien sûr on admettait l’émotion particulière, le délicieux sentiment de trouver beau en secret. Évidemment, on ne pouvait pas être touchés par les même chose au même moment, évidemment, la beauté est dans les yeux de celui qui la regarde, évidemment, les goûts et les couleurs, mais quand même, on pouvait s’accorder de temps en temps pour dire d’une seule voix le beau. Pour la mère d’Aurélien, le refuser conduisait à la ruine de notre monde.

Le métier de restaurateur.

 On a tout fait pour faire entrer le restaurateur dans la catégorie des artisans, pour l’éloigner de toute prétention artistique, contrôler ses procédés, le former, l’éduquer, le soumettre aux lois de la concurrence, pour limiter son pouvoir, restreindre ses libertés. Pourquoi ? Car vous imaginez bien que la confrontation entre deux artistes est dangereuse surtout lorsqu’ils partagent la même œuvre ! Entre celui qui lui donne vie et celui qui la prolonge, et lui offre, pour ainsi dire l’éternité… l’un aurait vite fait de se figurer l’égal de l’autre …

Les marqueurs de droite.

 Il enfila un pyjama. C’était de plus en plus difficile d’en trouver, mais il aimait à dormir avec de la tenue. Claire voyait en cette habitude le signe qu’au fond, Aurélien était de droite. Ils avaient parfois ce débat et Claire qui se considérait de gauche, cela ne faisait aucun doute pour elle, avait une idée très nette de ce qui était de droite et de ce qui était de gauche. Le pyjama pour les hommes était un marqueur incontestable d’appartenir aux valeurs de la droite.

Un nouveau mot pour moi « anadyomène » (sortant de l’eau)

 Nimbée de la lumière ambrée de cette fin de journée, elle apparut à Aurélien dans la fraîche nudité d’une déesse anadyomène, une déesse qui tenait d’avantage des onctueuses naïades de Rubens que de la vénus gracile de Botticelli.

Encore un nouveau mot.

Pégueuse (collant et visqueux)
 Sur l’image plastifié et pégueuse, d’un noir et blanc contrasté, on distinguait l’artiste non plus mourant, mais endormi paisiblement dans ce qui avait tout l’air d’une sieste, en compagnie d’une jeune femme tendrement blottie sur son épaule.

Copiste ou faussaire ?

 Suivant son intuition, aidé par les avancées des techniques de capture et d’impression 3D, il avait cherché à émuler l’épaisseur de la matière, à reproduire les creux et les remblais façonnés par le pinceau qui disent si bien l’énergie de l’artiste et que l’on appelle la touche. Après de nombreuses nuits blanches, il y était parvenu et, dans les cercles d’initiés, il avait rencontré un certain succès.
 Le corollaire de cette activité, c’est qu’elle avait rangé Vadim du côté obscur de la Peinture, avec les marchands, les intermédiaires et les responsables de ports francs. En termes d’image, ce n’était pas terrible, les gens sont suspicieux, entre copistes et faussaires la frontière est ténue…

Le côté versatile des passions dans les médias.

 Les prévisions de Mckinsey se vérifièrent en tout point. Au bout de quelques semaines, saturée de sfumato et de théories de la restauration, l’opinion publique se désintéressa du sujet pour épouser de nouveau les arlésiennes de la chocolatine est du voile islamique.

L’absurdité des polémiques.

 Un groupe d’universitaires américains rédigea une tribune dans le Huffington Post pour demander l’arrêt de la restauration. À leurs yeux, alléger les vernis dissimulait l’intention raciste d’éclaircir la peau du modèle pour le rendre conforme à un idéal occidental caucasien. La marque du temps avait eu ce bénéfice de rapprocher la couleur de Mona-Lisa de celle de la moyenne de l’humanité et, toujours selon l’article, il fallait y voir là la raison de son immense popularité. Ainsi la Joconde était universelle. Éclaircir son teint était comparable à faire la promotion de ces produits de blanchiment pour la peau ; ce n’était pas l’exemple que l’on voulait donner aux jeunes générations.

Quand un couple va mal.

 Pas de mensonges à gober, d’histoires alambiquées, pas de clients tyranniques, de boss autocratique, de comex de dernière minute, pas de séminaire en Camargue ou de copines à consoler sur le point d’en terminer. Pas de regards en biais qui n’osent plus se croiser de peur que la vérité immense, cette gigantesque baudruche planant au-dessus de leur tête qu’il feignait consciencieusement d’ignorer, n’éclate accidentellement.


Éditions Le Dilettante . Couverture Camille Cazaubon.
 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai indiqué le nom de la personne qui a imaginé cette couverture car elle m’a bien plu. Dans le grand rond, le titre je vais l’expliquer dans mon billet, mais dans tous les petits ronds d’autres chiffres et peut-être vous amuserez vous comme moi, et la bibliothécaire du club de Dinard à en trouver la signification – pour 1515, ok nous sommes nombreux mais pour 8848 ?- . (Je me demande ce que Goran aurait pensé de cette couverture ?)

Mes coquillages parlent pour moi : ce roman a su me séduire et pourtant j’ai quelques réserves. Je trouve que les personnages manquent d’humanité , la compagne du « héros » montre l’étendue de ses sentiments, seulement au dernier chapitre.

Revenons à l’histoire : François est un haut cadre chez Google France, il gagne très bien sa vie, il est divorcé et père d’une adolescente peu sympathique, il va de conquête en conquête, bref tout va bien pour lui. Sauf que … il va avoir soixante ans et il est absolument terrifié par la vieillesse. Heureusement, il fait beaucoup plus jeune que son âge.

La fiction peut commencer, dans une société où on peut demander à changer de nom, de sexe pourquoi ne pas demander à changer de date de naissance et se rajeunir de quelques années. François fera calculer son âge par un algorithme mis au point par une toute nouvelle société : « Humanprog » et découvrira que son âge biologique est de trente neuf ans et quatre mois.- d’où le titre 39,4.

On le comprend bien ce roman est l’occasion pour cet auteur dont j’ai très envie de lire le premier roman (Panne de secteur), de se moquer de la peur du vieillissement. Il le fait avec un don incroyable, celui de saisir tous les travers de notre société. Je pense que son poste d’observation de professeur et chef de clinique dans un grand hôpital parisien lui donne accès aux grandeurs et aux petitesses de l’âme humaine. La scène chez le chroniqueur Ruquier est tellement vraie, le pauvre philosophe qui veut simplement dire que finalement nous mourrons tous et la façon dont une chroniqueuse le renvoie « à la niche » sans lui permettre de s’exprimer est d’une tristesse qui n’a d’égale que celle que nous éprouvons parfois quand nous regardons les intervenants sur les plateaux de télévision mettre en pièce un philosophe ou un scientifique qui ne parle pas le langage à la mode du petit monde parisien.

Le style de cet auteur est très particulier, il avait, semble-t-il rebuté des lecteurs par un goût prononcé pour des mots rares de la langue française, il le fait ici aussi mais ça ne gène pas la lecture. Je ne suis pas certaine que je me souviendrai de

 un quérulent processif 

Bien que l’auteur en donne l’explication dans la fin de sa phrase :

François se trouver présenté comme un quérulent processif, l’un de ces illuminés en proie à un délire de revendication destiné à redresser un dommages fictif.

 

Ce n’est pas un roman que l’on lit facilement car souvent on doit rester concentrer pour savourer ce qu’il va nous décrire et comme hélas ce qu’il nous raconte sont les côtés les plus superficiels et les plus tristes de notre société, le lecteur (en tout cas moi) est un peu sonné par sa lecture. On rejoint mon bémol du début, je suis certaine que même chez les bobos parisiens il y a plus d’humanité que ce qui est décrit par Philipe B Grimbert. (à ne pas confondre avec un autre Philippe Grimbert !)

(PS : lors de notre réunion du club de lecture 7 avril, une lectrice a exprimé son dégoût de ce roman, car elle trouvait le personnage absolument « machiste », ce qui est vrai, mais à aucun moment l’auteur n’a de la sympathie pour son personnage . Et pour moi j’y ai vu surtout une condamnation du machisme de ces hommes qui ont tout réussi en même temps qu’ils gardent une apparence physique digne de la jeunesse. Et finalement la seule personnage sympathique sera la femme qui clôt l’histoire. Mais si vous lisez ce livre j’ai hâte de savoir comment vous interprétez les intentions de l’auteur )

 

Citations

Portrait de la chroniqueuse chez Ruquier.

Elle était à cet instant semblable à ces chiens de combat musculeux de petite taille qui paraissent trouver dans l’obturation déterminée de leur mâchoire sur leur proie, le point d’équilibre et de justification de l’ensemble de leur personnalité. elle s’était saisie du vieux philosophe, lui agrippait un morceau de chair pendante avec une telle puissance qu’il paraissait improbable, même en la soulevant dans les airs, de lui faire lâcher prise.

Et fin de l’émission

 François et Jehan regagnèrent les coulisses, laissant sur le plateau Jacques Hofstein et son regard aussi expressif qu’une feuille de papier journal froissée. L’assistante leur assura qu’ils avaient été « top » avec une pointe d’audimat enregistrées pendant près d’une minute quarante. On entendit une voix lointaine l’animateur introduire les invités suivant pour un débat consacré à « l’insémination des vaches laitières et ses relations avec notre culture du viol ».

Quel art de la formule.

À part quelques épidémies virales gérontophages on continuait à s’enliser dans la comptabilité marécageuse des régimes de retraites et les dernières réformes, illustrées du slogan tout droit sorti du cerveau d’un énarque facétieux « travailler plus longtemps pour vieillir moins lentement  » laissant craindre une nouvelle secousse tellurique. 

La description des urgences de Cochin sent le vécu.

 Il s’était bêtement tordu une cheville un dimanche matin en plein footing et, craignant une entorse grave, s’était rendu aux urgences de l’hôpital Cochin. Arrivé vers 11heure , il avait quitté les lieux à 19 heures armé d’une ordonnance pour du Doliprane rédigé par un interne moldave qui l’avait examiné d’un air flapi. Bien avant cela, il avait patienté dans une salle d’attente surpeuplée, à côté d’un vieillard couché sur un brancard, qui répandait autour de lui une forte odeur d’urine ne semblant même plus incommoder la femme usée qui lui tenait la main. Le sol était maculée de taches diverses et, tous les quarts d’heure, une voix de femme annonçait en hurlant le nom de la personne invitée à s’approcher de l’office où trois infirmières s’affairaient. Tout autour se tenait une foule composite d’adultes seuls ou de familles. Un peu à l’écart s’agglutinaient en grappes près d’une vingtaine d’hommes, de femmes et d’enfants autour d’un homme d’une soixantaine d’années coiffé d’un feutre vert élimé. Le voisin de François l’informa, avec le ton résigné d’un homme rompu à la fréquentation des lieux, qu’il s’agissait du patriarche d’une famille de gitans donc les avatars culturels l’incitaient à ne jamais se déplacer à l’hôpital sans la totalité de son « cheptel ».

Quel regard acerbe ! Paris était envahi par les manifestants « gilets jaunes ».

 Par le plus grand des hasards et pour le plus grand bonheur de François, Jehan Lamarc et Tigrane Fanfard s’étaient vu empêcher l’accès au théâtre du Rond-Point pour l’un et à la fondation de Louis Vuitton pour l’autre. C’est ainsi qu’un miracle se produisit. Unis par la frustration dominicale, tels deux naufragés d’une croisière de luxe échoués sur une plage de Sicile parmi les clandestins, la glace se brisa.

« Baiser » avec une grand mère.

 Il venait de baiser avec une grand-mère. Une vision d’effroi le parcourut comme un frisson. Celle du loup dans « le petit chaperon rouge » après qu’il eut ingurgité la mère-grand. François avait toujours redouté que la vieille, ses os décalcifiés est sa chair avariée, intoxique gravement l’animal. Il se sentit fiévreux. Moins d’une minute plus tard il traversait au pas de course la cour de l’amphithéâtre, les lacets défaits, la chemise hors du pantalon, la conscience souillée comme s’il venait de s’adonner à un acte de haute perversité, et sitôt rentré chez lui, se nettoya avec frénésie pour effacer les traces de cet acte odieux.

Le tourisme écologique.

 Bien que presque tout, jusqu’à l’eau, fût importé de Casablanca ou d’autres villes du Maroc par avion, hélicoptère et puissant 4×4, l’ensemble du village affichait son esprit « éco-friendly ». Cela se traduisait par une absence de papier hygiénique et de télévision, l’utilisation exclusive de serviettes recyclables, une politique zéro plastique et un club enfant écopédagogique même si, élément appréciable, il n’y avait aucun enfant en ce milieu.

La vieillesse et la dépendance.

 En écoutant les récits de certains de ses amis sur les fin de vie pathétiques de leurs propres parents, François réalisait la chance qu’il avait eue. Il avait échappé au dimanche en EHPAD, aux vacances bouleversés par les aléas médicaux, sans parler des conséquences financières, les sommes exorbitantes avalées pour maintenir des vieillards grabataires et énurétiques « dans le confort et la dignité », qui entamaient parfois de façon drastique le montant des héritages futurs.

Le vieillissement.

 Outre le fait que la majorité de ses fréquentations, passé le demi-siècle, se trouvaient engagées dans une relation exclusive avec une hypertrophie de la prostate, un carcinome mammaire ou les prodromes d’une ischémie coronarienne, beaucoup exhibait un intérêt nauséabond, qui suintait comme un exsudat dans leurs conversations quotidiennes, pour la fréquence de leur coloscopie, la grandeur d’âme de leur urologue, ou le talent démiurgique de leur nutritionniste.

 

Édition folio

 

C’est le troisième roman que je lis de Fabrice Humbert, « L’origine de la violence » puis « La fortune de Sila » m’avaient beaucoup plu. Mais celui-ci est une vraie déception, j’ai même failli ne pas le chroniquer. J’ai alors pensé que si j’avais lu un billet de mes blogs préférés, je ne me serais pas lancée dans cette lecture. Je vais donc expliquer pourquoi je n’aime pas ce roman. Et en espérant que ceux ou celles qui ont aimé fassent des commentaires plus positifs. Voici déjà l’avis de Kathel qui a beaucoup aimé.

Le récit commence pourtant très bien, par la description du mal-être d’un jeune Newyorkais qui arrive dans une petite ville du Colorado, Drysden où il a passé son enfance. Ne cherchez pas cette ville, n’oubliez pas le titre du roman : « le monde n’existe pas ». Le personnage principal est adulte maintenant et a rejeté ses années de souffrance loin de lui, quand tout à coup le visage de l’adolescent qui a tant troublé le jeune lycéen qu’il était, envahit les écrans géants de Times Squares : Ethan Shaw est accusé de viol et de meurtre d’une jeune fille de 16 ans.

Adam Vollman qui à l’époque s’appelait Christopher Mantel a tout fait pour ne plus ressembler au jeune homme frêle de ses années lycée. Il est, aujourd’hui, journaliste et retourne donc enquêter sur cette affaire. Le but de l’écrivain c’est de faire exister une énorme « Fake-news » à travers les réseaux sociaux et les médias. Petit à petit le lecteur comprend qu’il est convié à une mise en scène dont le narrateur essaie de tirer les fils sans bien voir les tenants et les aboutissants. Finalement s’il y a bien eu complot et qu’Ethan n’a pas commis de meurtre, on ne saura jamais qui a organisé ce récit et au profit de qui. Le fameux « emballement » médiatique est très bien décrit et la désagréable impression de ne plus pouvoir démêler le vrai du faux aussi. Au passage, Fabrice Humbert décrit assez bien ce que doit être la vie dans une petite ville américaine, cette façon de tout savoir sur tout le monde et de très mal supporter les gens venant d’ailleurs, newyorkais et homosexuels par exemple. Ce que je n’ai vraiment pas aimé est ce qui fait tout l’intérêt du roman, c’est de ne trouver aucune rationalité à ce récit. Il permet seulement de se poser cette question : jusqu’où peut aller la folie des médias. Mais aucun personnage n’a vraiment de consistance, l’histoire n’est pas réelle, puisque finalement ce « monde n’existe pas », peut être que Fabrice Humbert rajouterait « pas encore , mais en êtres vous bien certain » ?

 

 

Citations

 

Une amitié déséquilibrée

 En marchant à ses côtés, après l’entraînement, je lui parlais de sujets longuement préparés, ruminés toute la matinée pour lui plaire, auxquels il ne répondait que par monosyllabes, certes parfois amusées, comme on donne des cacahuètes à un singe. Je me sentais en permanence indigne, je n’arrivais pas à l’intéresser, j’étais trop petit, trop limité devant lui.

La vérité et l’écrivain

 Ce qui me troublait, chez Hemingway, c’était la part de fiction qu’il y avait en lui. Son rapport à la vérité et au meurtre tout cela me semblait obscurément liés. En apparence, Hemingway était cet homme d’action, ce correspondants de guerre qui a développé la théorie de l’iceberg et de l’écriture objective, qui avait poli son style durant les années d’apprentissage à Paris. La construction de ce mythe a été d’autant plus essentiel qu’il était miné par l’alcoolisme et la mort, que son amour de la vérité était travesti par le mensonge et le long travail intérieur de la fiction, de sorte qu’à la fin on ne savait plus si son écriture appartenait à la vérité ou mensonge. Hemingway était un homme qui s’inventent, et il avait su se créer une légende ; de même qu’à vingt ans il racontait avoir arrêté dans les rues de Chicago un cheval emballé, c’est dans ces rêves qu’il sauva Dos Passos des cornes du taureau, provoqua en duel celui qui avait insulté Ava Gardner où libéra le Ritz à la tête d’une armée de mercenaires.

Une remarque amusante observée en surfant sur le Net

En dix minutes la différence des approches entre les trois cultures est évidente. Les Américains proposent de faire, les Français de commenter, les Allemands de philosopher. 

(

Lu dans le cadre du Club de Lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un livre étonnant loin de beaucoup d’idées préconçues auxquelles on pourrait facilement penser, puisque cette écrivaine a choisi de mettre le drame dont elle a été victime au cœur du récit et pourtant il n’y a ni voyeurisme ni détails sensationnels donc racoleurs dans ce roman. D’abord, c’est très bien écrit, j’ai lu le souffle court ce récit ou deux êtres vont finir par se rencontrer, l’une est écrivaine, l’autre est l’assassin de sa mère. Elle se sert de tout son talent pour fouiller la conscience de cet homme, elle le suppose après ses années de prison devenu jardinier à Nogent Rotrou. C’est le personnage principal du roman, que pense-t-il aujourd’hui de l’horreur de son geste ? Est-ce que sa conscience le tourmente ? Ou arrive-t-il à oublier complètement en vivant le quotidien le plus intensément possible ? Cela nous vaut de très beaux passages sur le travail des jardiniers d’une petite ville et une approche réaliste de la vie en province. Et puis il y a la deuxième voix, celle de l’écrivaine qui explique au lecteur qu’elle se donne le droit d’inventer une conscience et une personnalité à celui qui vit quelque part sur terre avec le souvenir de ce qu’il a fait. Il n’y a pas de rancœurs dans ce roman, sauf une et elle est forte, il existe un reportage qui avait été fait à l’époque sur l’assassin de sa mère. Et les journalistes avaient construit une théorie sur l’homosexualité de l’assassin et en avait fait une sorte de victime de la misère sexuelle. Cela, elle le trouve très injuste et décrit très bien la façon dont les journaliste de télévision font accoucher les gens de propos auxquels ils n’avaient même pas penser. La force du roman, c’est la montée dans l’intensité de la rencontre de ces deux êtres, on est vraiment saisi par ce roman. Je pense que l’écriture aura permis à cette auteure de regarder en face tout ce qui était enfoui au plus profond d’elle même. Quand on sait que cette femme a, aussi, dû vivre la mort tragique de sa fille, le lecteur espère très fort que l’écriture permet de survivre aux plus terribles des souffrances quand on a ce talent : celui d’être écrivaine et à mon goût une excellente écrivaine.

Citations

La façon d’interroger dans les médias

Ce qu’ils voulaient entendre, ils te l’arrachaient de la bouche. Ils avaient une façon de t’interroger, de te poser les questions en suggérant les réponses, d’orienter l’entretien, de manipuler ton discours, de t’amener là où t’avais pas prévu, avec des « Vous voulez donc dire que, » et des « On pourrait donc en conclure que … » Et toi, t’es comme un con, tu sens que c’est pas exactement comme ça que tu penses, mais comme il faut pas laisser de blancs trop longs, à cause du ronron de la caméra qui tourne, tu dis  » Oui oui, c’est ça  » sans trop réfléchir, et ton destin est changé. 

Portraits de deux paumés style SDF

 Gilbert et moi restions collés l’un à l’autre comme un naufragé à son rondin, tous les deux étrangement oppressés, comme si le délabrement de nos vies se lisait sur nos visages, comme si l’odeur de défaite qui émanait de nos parkas défraîchis dressait un cordon sanitaire autour de nous.

La culture en prison

Les seules fois de ma vie où j’ai vu des spectacles, c’était en taule. Les premières années c’était vraiment une fête, un truc rarissime. On était tous volontaires pour aménager le réfectoire, pousser les tables et les chaises, accrocher aux fenêtres de vieilles couvertures pour faire un semblant d’obscurité. Et puis au milieu des années 90 c’est devenu monnaie courante, un truc banal. Toutes les semaines un nouveau pack culturel bien démago, session de rap, de slam ; impromptus théâtraux, sur le racisme, les ravages de la drogue, l’injustice sociale et autres calamités du monde moderne. Plus personne y allait, blasés on était… À la fin, c’était presque les concert de musique classique qui finissaient par avoir plus de succès. Moi, en bon fayot, j’ai assisté à tout, ça faisait des points, je me faisais bien voir, je multipliais les distinctions sur mon costume de bagnard. Converties en année de remise de peine, ça faisait un beau pactole.

Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.


François Garde ne m’en voudra certainement pas que l’alto prenne plus de place que son roman sur ma photo. Lui qui a donné vie dans « L’effroi » à un Sébastien Armant, altiste à l’opéra de Paris qui « aurait tant aimé ne nous parler que de musique ». Malheureusement, le geste horrible, criminel, d’un chef d’orchestre très en vue fait basculer sa vie. Voici le début d’une d’une vraie tragédie :

L’archet levé, j’attendais le signal ;

Soudain le chef se redressa. Il prit une longue inspiration, se figea dans un impeccable garde-à-vous. Le public ne se rendit compte de rien, et pour nous ce changement de posture ne produisit qu’un vague sentiment d’alerte.

Lentement, il leva le bras droit, main tendue vers le rideau de la scène, et, de sa belle voix de baryton, s’exclama avec force et solennité :

« Heil Hitler ! »

Sébastien Armant, saisi d’effroi, va se lever et sortir, entraînant derrière lui tout l’orchestre, la réprobation du geste du chef est telle que cela devient « le » scandale médiatique qu’il faut à tout prix exploiter pour des raisons politiques et de pouvoir. Notre altiste va devenir un objet aux mains des spécialistes de la communication et peu à peu perdre pied et ne plus très bien savoir comment diriger sa vie. Le récit est bien mené et nous retrouvons les travers de notre société dans la description de la chute programmée d’un homme simplement courageux. Le lecteur sait, bien avant lui, que Sébastien Armant n’aurait jamais dû fréquenter les fameux « plateaux » télé, que c’est un monde prêt à dévorer de l’émotion sur le dos de ceux qui peuvent encore en exprimer.

Sa peinture du monde politique avec sa cohorte de conseillers en image, en communication, en revue de presse est criant de vérité. Oui, c’est bien dommage que cela se fasse sur le dos de la musique mais, au moins, il peut se rassurer, la musique restera toujours cet art exigeant qui demande à ses serviteurs de travailler tous les jours (ou presque) six heures, pour arriver à un résultat qui leur donne du plaisir et nous en donne tant. C’est l’amie propriétaire de l’alto de cette photo qui m’a fait découvrir cette réalité, et aucun conseiller ne pourra jamais faire l’économie de ce travail exigeant pour aboutir au feu d’artifice que représente un concert réussi. Il peut se comparer au travail de l’écrivain qui polit sa langue pour permettre au lecteur de rentrer au plus profond du récit et de partager les doutes et les espoirs de l’écrivain comme le fait si bien François Garde.

Citations

le directeur de l’Opéra

Jean-Pierre Chomérac, le président du conseil d’administration de l’Opér, me surprit. Chomérac avait pris ses fonctions six mois plus tôt. Il devait ce poste à une ancienne et indéfectible amitié avec le président de la République. (…) Sous sa protection, il avait été nommé successivement inspecteur général de l’agriculture, préfet de l’Yonne, ambassadeur au Portugal. Il ne dissimulait pas la minceur de ses compétence, et y suppléait par un sens politique avisé et sa propension à se saisir des sujets à la mode et à faire parler de lui. (…)Nos délégués syndicaux murmuraient qu’il n’avait pas encore découvert que dans un opéra on faisait de la musique.

Vous savez président de l’Opéra n’est qu’un lot de consolation en attendant mieux.

Ceux qui nous gouvernent

Je le remerciai en prenant la carte qu’il me tendait. Des assistants vinrent à nouveau papillonner autour de nous. Le conseiller du ministre en profita pour se glisser à côté de moi et murmurer :

– Il distribue ses cartes de visite comme s’il était encore député-maire. Bien évidemment, c’est nous qui vous contacterons le moment venu.

Les médias

Les médias sont comme un monstre insatiable, il faut lui donner à manger de temps en temps, sinon il peut vous dévorer tout cru.

Vie et mort des scandales dans les médias

Les chaînes d’information en continu se régalent. Avant-hier les révélations d’un obscur attaché parlementaire ; hier les explications contournés du ministre du Budget ; ce matin les bons mots assassins d’un jeune loup de l’opposition. Dans notre affaire, il ne se passe rien de nouveau, il ne peut rien se passer d’inédit. Les journalistes me sollicitent moins pour vous rencontrer. Mon cher Sébastien, il faut s’y résoudre : le bouquet que nous proposons à la vente depuis deux semaines commence à se faner, et les amateurs veulent des fleurs fraîches.

Le musicien d’orchestre

Rien ne peut égaler l’honnêteté du musicien, L’honnêteté sans fard et sans tache du travail du musicien, seul responsable d’avoir bien apprivoisé son instrument, bien lu la partition, bien écouté ses collègues, bien suivi les consignes. Lui seul – et chacun dans l’ensemble- doit se glorifier modestement de donner vie aux constructions invisibles élaborées par les maîtres du passé. 

Phrase que j’aime

Comme des rochers fendant une mer calme, ou des sommets émergeant des nuages. Mais les écueils ne disent rien du métier de pêcheur, ni les montagnes ne se réduisent à leurs extrémités.