
Éditions Gallmeister, 354 pages, mars 2025
Traduit de l’allemand par Justine Coquel
Il n’y a que les très jeunes et les très vieux pour croire à l’éternité
J’ai, cette année peu lu de romans venant d’Allemagne et ma participation aux feuilles allemandes était bien compromise, mais j’ai trouvé ce titre chez Eva et son billet m’a tentée.
J’ai vraiment adoré la première partie du récit, lorsque Billie raconte sa vie avec sa mère Marika. Les portraits de la mère et de la fille sont très vivants et l’autrice a un sens de l’humour et de l’à propos drôle et tendre à la fois. Elles vivent dans un immeuble social, où la débrouille et l’entraide permettent de vivre dans la gaieté. Sa mère fait partie de cette classe pauvre en Allemagne qui a bien du mal à s’en sortir malgré ses deux boulots. Après avoir gagné un peu d’argent à un jeu télévisé, elles se préparent à partir en vacances quand une catastrophe s’annonce : la mère de Marika arrive chez elle car elle est malade. C’est une femme âgée, hongroise pays d’origine des héroïnes qui juge sévèrement la vie de sa fille. Elle sera responsable involontairement de l’accident de sa fille qui tombe sur la table basse sur la tête et meurt. Cette mort, on l’apprend dès les premiers mots du roman(donc je ne dilvugâche rien !) . La première partie est un retour en arrière et la tendresse moqueuse qui lie les deux personnages est très agréable à lire : on est bien avec elles, le point de vue de l’adolescente, Billie donne une saveur particulière au récit . Dans cette première partie, elle raconte aussi son amitié avec Léa une jeune fille d’un milieu aisé, Billie décrit fort justement le mépris de classe qui les séparera.
Billie est trop malheureuse pour rester vivre avec sa grand-mère qu’elle juge responsable de la mort de sa mère, alors, au volant de leur vieille voiture, elle part à la recherche de son père dans le nord de l’Allemagne. Le voyage est compliqué car elle a peu d’argent , elle cherche les solutions pour rester propre dormir et se nourrir, tout en ayant peur de se faire rattraper par la police.
Enfin, dans la troisième partie elle arrive dans le nord de l’Allemagne chez celui qu’elle croit être son père. Elle y retrouve une vie proche de la nature. La description de l’île, des différents paysages de la mer du Nord et du paysan taiseux sont agréables : on sent que Billy va pouvoir vivre là si elle le décide. Il fallait une fin positive au roman, et c’est sans doute ce qui m’a un peu déçue. Je ne crois pas trop au happy end même en douceur comme ici , mais cela ne pas empêcher de mettre cinq coquillages car rien que pour le début, j’aimerais bien que vous lisiez ce roman et me donniez votre avis.
Extraits
Début.
Ma mère est morte cet été.
Une chanson à la radio n’était plus qu’un bruit et pas une invitation à chanter, même si aucune de nous ne connaissait les paroles.
Une averse n’était plus que la météo et pas une occasion de se précipiter dehors et de danser pieds nus dans une flaque.Ça paraît poétique, mais seulement sur le papier. Quatorze ans, c’est un âge de merde pour perdre sa mère. Le deuil va et vient comme le flux et le reflux, mais il est toujours là.
Prodige de la traduction .
– Billie, c’est le diminutif d’Erzébeth, dit ma mère.Sa prononciation était impeccable j’avais beau comprendre le hongrois, tout ce que j’entendais c’était « air bébête ».
Cette écrivaine a vraiment l’art de la suggestion à travers ses descriptions.
Ta mère avait deux boulots.le matin elle travaillait dans un grand cube vitré divisé en plein de petits cubes vitrés. Elle faisait le ménage pour les employés qui portaient des costumes chers et des cravates. Et puis elle leur apportait des trombones, des enveloppes et des surligneurs -et parfois même une poche de froid. Ça n’était pas rare que quelqu’un se cogne dans une porte ou à un mur. Le soir, ma mère était serveuse dans un bar.– Le job au bar met certes du baume au cœur, disait-elle quand elle comptait ses pourboires après le service, mais c’est celui de femme de ménage qui met du beurre dans les épinards
J’adore ce portrait.
Louna était sortie de chez elle. Ses pas faisaient un bruit de succion sur le carrelage à cause de ses tongs. Elle les avait trouvées sur Internet, la paire aux prix d’une boule de glace. Comme les frais ports étaient quatre fois plus élevés, Luna en avait commandé toute une cargaison. Désormais, elle possédait des tongs dans toutes les couleurs de l’univers. Elles étaient fabriquées en Chine et en plastique. Ma mère disait que Luna finirait par attraper un cancer de la peau des pieds à cause de ça. Ce n’était qu’une question de temps.
Humour.
Je repensais à ce que ma mère m’avait expliqué un jour au sujet des ascenseurs :
– Quand tu habites au dix-septième étage l’abonnement en salle de sport est inclus.

