Traduit du chinois par François Sastourné.
Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.
Un grand talent d’écrivain ce Mo Yan, d’ailleurs consacré par le prix Nobel de littérature en 2012, il arrive à nous faire revivre le monde rural chinois en racontant, de façon simple et apparemment naïve, la vie d’un village. Mo Yan part d’un acte fréquent à la campagne : la castration d’un petit veau, mais hélas celui-ci se passe mal, pour nous montrer toutes les forces qui sont en jeu dans le village où la survie alimentaire est à peine assurée. Lorsque la faim tenaille les gens, un plat de « couilles de veau » sautées à la ciboulette devient un plat de roi, pour lequel bien des passions vont se déchaîner. C’est drôle et tragique à la fois.
La deuxième nouvelle : le coureur de fond a ma préférence, le village apparaît dans toute sa variété. Comme le village est un lieu de rééducation des « droitiers » cela permet aux paysans d’être confrontés et parfois d’utiliser des compétences dont ils n’avaient aucune idée. C’est un monde absurde, où personne n’est à l’abri de l’arbitraire, un monde violent où la force physique a souvent le dernier mot. Souvent seulement, car au-dessus de tous les liens bons ou mauvais que les habitants peuvent tisser entre eux et parfois avec les « droitiers », il y a la police qui peut enfermer qui bon lui semble sur une simple dénonciation. Quel pays ! et en même temps quelle énergie pour vivre quand même de toutes les façons possibles. Ces récits m’ont fait penser aux images naïves dont la révolution culturelle relayée par les amitiés franco-chinoises ont inondé la France à une certaine époque.
Citations
la fin de la nouvelle « Le veau », c’est à prendre au deuxième degré
À la lumière de l’invincible pensée de Mao Zedong, avec l’aide désintéressée de l’armée populaire de libération, sous la direction éclairée des comités révolutionnaires de la province, du district, de la commune, grâce à l’effort collectif de tout le personnel de santé impliqué, sur trois cent huit personnes intoxiquées on ne déplora qu’un mort (par crise cardiaque). Ce fut une grande victoire de la « Grande Révolution culturelle et prolétarienne ». Si cette affaire s’était passée à l’époque de l’exécrable ancienne société, sur trois cent huit personnes il n’y aurait pas eu de survivants. Même si nous avions perdu quelqu’un, ça ne compte pas parce qu’il est mort de maladie du cœur.
Les droitiers qui ont beaucoup intéressé les gens du village
À côté de son texte, il traçait des fleurs et des herbes avec des craies de couleurs, toutes plus belles les unes que les autres, et nous regardions avec des claquements de langue d’admiration. Pas étonnant qu’il ait été étiqueté de droitier. Mon père disait : « Qu’est ce que vous croyez, c’est pas si facile d’être classé à droite. Faut avoir des capacités. «
Reconnaître un droitier
L’as, qui avait reçu un entraînement militaire, fit s’aligner M. Zhu et ma sœur et cria : »Garde à vous ! ». Il avait une voix puissante et un ton autoritaire. « Regardez devant vous ! Marchez ! ». Ma sœur et M.Zhu obéirent et se mirent à marcher. Ma sœur relevait la tête et bombait le torse, M.Zhu prenait un air très digne. Dès qu’ils eurent fait quelques pas, avant même de s’être mis en marche, pour ainsi dire, l’as beugla : »Arrêtez-vous ! » Et demanda à la cantonade : »Vous avez vu ? ».
Nous criâmes à l’unisson« Nous avons vu !
-Qu’avez-vous vu ? »
Tout le monde se regarda, perplexe, consterné,chacun était devenu muet . L’as eu un rire ironique. « Les yeux des masses voient claires, réfléchissez, quand ils se sont mis à marcher à l’instant, ont-ils mis en avant d’abord le pied droit ou le pied gauche ? »Tout le monde se regarda en chien de faïence, ne sachant quoi dire. L’as dit « Tous les deux sont, parmi vous tous (Il fit un grand geste circulaire de la main) , les seuls (il montra deux doigts) » qui commencent à marcher par le pied droit. Qu’en dites vous ? S’ils ne sont pas de droite qui l’est alors ?« .