Être prof, c’est être quitté tous les ans, et faire avec.


Il est parfait ce roman, je pense que tous les enseignants vont se retrouver dans ces récits qui décrivent si bien les heurs et malheurs de ce si beau métier. Pour les autres, il reste cette façon tout en pudeur de raconter le quotidien d’un homme de la classe moyenne en France au XXIe siècle. Ce n’est ni tragique ni plein d’espoir c’est juste. Je crois que la façon dont il raconte les différentes réformes de l’éducation nationale permet de comprendre pourquoi la France n’arrive pas à décoller dans les classements internationaux.

Personne n’écoute ce que les profs ont à dire, en revanche ceux qui ont toujours fui l’enseignement au collège ou au lycée pour devenir professeur à l’université ou inspecteur concoctent moult réformes et s’en fichent complètement si celles concoctées par eux l’année d’avant n’a pas encore été évaluée. J’ai beaucoup souri et j’ai été émue aussi lors de cette rencontre de parents d’élèves où lui, le prof d’anglais sûr de ce qu’il à dire se rendra compte du pourquoi de la baisse de régime d’un certain Mathieu lorsqu’il laissera enfin la parole à une maman qui était venu lui donner une explication. Le voyage scolaire à Londres vaut tous les sketchs comiques, et pourtant plus tard il saura que ce même voyage a laissé des souvenirs aux jeunes élèves. Et pas seulement pour la bière. Un livre sympathique qui réconcilie avec l’enseignement sans en faire un métier digne d’un sacerdoce.

Citations

Bien vu !

Il n’y a pas si longtemps, il y avait des mégots partout. C’est fini désormais. Une image, soudain. Moi, dans la cour, en train de fumer avec des élèves de première. C’est comme de la science-fiction.

Ce que les gens retiennent de vous…

Un jour, quand j’étais en sixième, pendant le cours de maths, mon stylo bille bleu m’a explosé dans la bouche et giclé sur mon pull, mon jean, j’étais tout bleu, un vrai Schtroumpf ; l’autre jour, j’ai croisé Francis qui était en classe avec moi, c’était à peu près la seule anecdote dont il se souvenait à mon sujet – comme quoi notre personnalité tient à pas grand chose. Il y a au moins sur terre une personne qui me voit comme Le-mec-qui-mordille-son-stylo-bleu-et-qui-l’explose.
(PS Pour ma meilleure amie je serai toujours celle qui a apporté des œufs durs pour une semaine pour faire des pique-nique, c’est vrai mais j’aimerais tant qu’elle arrête de le raconter !)

Le voyage éducatif

On imagine des souvenirs inoubliables pour les élèves, un temps radieux sur Londres/Oxford/Bath (appelé aussi le triangles des Bermudes des enseignants de langues -ou TBEL pour les initiés de l’Éduc nat)

 Et les familles d’accueil à Londres

On a des problèmes.avec les familles. Il faut changer deux élèves qui dorment sur un Clic Clac dans le salon parce qu’il y a déjà trois Japonais et deux Allemands dans les chambres, et une seule salle de bain. On trouve une solution in extrémistes. Ils viennent habiter avec nous, parce que le fils aîné de notre hôtesse doit passer le reste du séjour en taule pour trafics divers – il y a donc une chambre de libre.

Littéraire ou scientifique

Une première littéraire que tout le monde dénigrait déjà -il y a plus de trente ans maintenant que le scientifique tient le haut du pavé et que les littéraires sont regardés avec un mélange de commisération et de mépris, on se demande bien ce qu’ils pourraient faire après, les littéraires, perpétuels inadaptés à la société dans laquelle on vit, incapable de calculer, de vendre, d’acheter, de revendre, de travers, de sauver le monde, de guérir des patients, créer des machines commerciales un produit s’en mettre plein les poches améliorer le PIB le PNB ou au moins réparer les dents.

Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli.

Comme quoi on peut écrire un excellent roman et un véritable « narnar » si le mot existe pour les romans qui ne tiennent pas la route. Bien sûr la quatrième de couverture a trouvé deux critiques pour vous assurer l’un, que vous lirez « le meilleur roman de la saison » et l’autre, que « Sofi Oksanen sait nous surprendre ». J’accorde plus de crédit au deuxième critique car on peut se demander (et en être « surpris ») comment l’auteure de « Purge » a pu commettre un tel embrouillamini si peu digeste. C’est une sombre histoire d’une famille sous la coupe de la sympathique mafia ukrainienne. Tous les trafics les plus sordides passent par leurs mains.

Le fil conducteur(devrais-je dire le cheveu !) c’est une pauvre Norma affublée d’une chevelure qui pousse à toute vitesse, elle doit la couper quatre fois par jour, mais cela ne s’arrête pas là. Ses cheveux lui prédisent l’avenir, peuvent la défendre contre des agresseurs, être fumés en drogue et …j’en passe ! On reconnaît un peu le style de l’auteur qui a l’art de ne pas dévoiler très vite les dessous des cartes. Mais dans ce roman cela donne un univers tellement embrouillé que je n’ai pas eu envie de démêler le vrai du faux, j’ai fini ce roman en diagonal et je ne suis pas sûre d’avoir tout compris aux sombres trafics de la mafia : trafic de cheveux, d’organes, d’enfants sur fond de drogue de tout genre, de viols et de meurtres.

Je souhaite bon courage aux prochains lecteurs et ce que j’aimerais par dessus tout c’est lire un avis positif car cela prouverait que je n’ai rien compris à cette histoire de cheveux et que l’auteure voulait nous dire quelque chose que je n’ai pas su voir.

Citation

Genre de phrases qui n’a aucun effet sur moi (même pas peur !)

Les molosses n’étaient pas là, ni les groupes de jeunes immigrants, personne ; pourtant, Marion sentait les yeux de Lambert sur son dos. Dès l’instant où il avait compris qu’Anita avait récolté des preuves sur les agissements du clan afin de les faire chanter, de les évincer, de régner sur leur territoire, ces yeux avaient été ceux d’une bête féroce aiguisant ses crocs.

Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.


Pas vraiment convaincue par cette lecture. Je me demande ce que les écrivains d’aujourd’hui vont rechercher à travers la biographie des artistes d’hier. La vie ratée de l’écrivain August Strindberg est pire qu’un mauvais roman. La lecture d’articles qui lui sont consacrés sur le net, en disent autant que ce petit livre, moins le style de l’auteure. Trois fois, cet homme tourmenté, drogué alcoolique, violent a essayé grâce à trois mariages différents de se sortir de la misère. Il a sans doute eu des sentiments pour ces trois femmes, mais aimer pour lui voulait dire les injurier et les mépriser. Je ne connais pas l’oeuvre de Strindberg et ce n’est pas ce livre qui me donnera envie de lire ces livres ni d’aller voir ses pièces.

Il reste donc le style de Régine Detambel. Pour se mettre à la place du cerveau souffrant de cet auteur, elle saccade ses phrases, supprime au maximum les verbes. Ce n’est pas agréable à lire, c’est très certainement pour rendre compte de la vie aux côté de ce grand malade de Strindberg. Les deux dernières pages, celles où elle raconte l’enterrement de cet écrivain sulfureux prennent un peu plus de hauteur. Bref, un pensum de lecture qui n’a duré qu’une soirée.

Citations

Exemple de scène et du style de l’auteure

Tu n’es qu’un coureur de dot !

Ne me touche pas

On se hait, on se bat jusqu’à tomber, au petit matin, sur notre lit, sans même ôter nos souliers, étourdis par le bruit incessant des insultes ; (…)

Souillure que de devoir l’argent à une femme, et en plus aristocrate.
Sorcière

Strindberg anarchiste

Désormais August est mûr pour crever les rois et les princes, ainsi que les barons de Suède. Tous les soirs il est au café à exciter les étudiants. Des détectives le filent. Des informateurs notent sur un carnet tout ce qu’il dit. Le roi déteste les gendelettres politiques . Un gendelettre qui veut faire la révolution, c’est ce qu’il y a de pire.

Ressenti d’une de ses ex

On ne peut se remettre des insultes de Strindberg. Personne ne le pourrait.(…) je croyais ne pas pouvoir survivre aux crachats d’August

Le Misogyne

A en croire le dramaturge, le mariage repose sur une absurdité. Où il y a une femme, ça tourne de toute manière à l’absurde.

Des propos qui ne donnent pas envie de lire Strindberg

La femme a même réussi à faire considérer la maternité comme quelque chose de sacré, et l’homme le croit, mais c’est faux d’imaginer que les femmes souffrent en accouchant, c’est un mensonge disons le franchement, en vérité elles jouissent à ce moment là d’un plaisir mille fois plus fort que celui qu’elles trouvent avec un pénis… Mon Dieu, que les hommes sont cons…


J’ai lu ce livre grâce ma sœur , elle avait recherché des lectures sur le thème de l’exil pour son club de lecture. Elle avait été touchée par ce récit tout en fraîcheur de cette auteure. Ce sont, me dit elle et je partage son avis, quelques pages vite lues mais qui laissent un souvenir très agréables. Laura Alcoba se souvient : quand elle avait 10 ans, elle est arrivée à Paris (ou presque, exactement dans la cité de la Voie verte au Blanc-Mesnil). Ses parents sont des rescapés de la terrible répression qui s’est abattue sur les opposante d’Argentine en 1976. Son père est en prison et sa mère réfugiée politique en France. Cela pourrait donner un récit plein d’amertume et de tristesse sauf que cela est vu par une enfant de 10 ans qui veut absolument réussir son assimilation en France, cela passe par l’apprentissage du français. Ce petit texte est un régal d’observation sur le passage de l’espagnol au français, la façon dont elle décrit les sons nasales devraient aider plus d’un professeur de français langue étrangère :

Les mouvements des lèvres de tous ces gens qui arrivent à cacher des voyelles sous leur nez sans effort aucun, sans y penser, et hop, -an, -un, on, ça paraît si simple, -en, -uint, oint( …) que les voyelles sous le nez finissent par me révéler tous leurs secrets -qu’elles viennent se loger en moi à un endroit nouveau, un recoin dont je ne connais pas encore l’existence mais qui me révélera tout à propos de l’itinéraire qu’elles ont suivi, celui qu’elles suivent chez tous ceux qui les multiplient sans avoir, comme moi, besoin d’y penser autant

Elle savoure les mots et veut à tout prix chasser son accent. Il faut aussi toute la fraîcheur de l’enfance pour traverser les moments de dureté dans une banlieue parisienne peu tendre pour les différences, même si ce n’était pas encore les cités avec les violences d’aujourd’hui ce n’est quand même pas la vie en rose que l’on pourrait imaginer en arrivant d’Argentine. J’ai souri et j’ai mesuré l’ironie du destin, en 1978, pour une gentille famille de la banlieue parisienne, la tragédie absolue c’est la mort de Claude François dans l’Argentine de Laura c’est « un peu » différent : la répression a fait près de 30 000 « disparus » , 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques, et 1,5 million d’exilés pour 30 millions d’habitants, ainsi qu’au moins 500 bébés enlevés à leurs parents ! Ce livre est bien un petit moment de fraîcheur, et il fait du bien quand on parle d’exil car Laura est toujours positive , cela n’empêche pas que le lecteur a, plus d’une fois, le cœur serré pour cette petite fille.

J’espère que les abeilles viennent butiner les fleurs auprès desquelles j’ai posé ce livre, puisqu’il paraît qu’elles aiment le bleu. (C’est son père qui le lui avait dit avant qu’il ne soit arrêté en Argentine)

Citations

le goût et les couleurs !

Dans l’entrée, un portrait de Claude François repose sur une chaise, juste devant le mur tapissé de fleurs roses et blanches où l’on va bientôt l’accrocher, comme Nadine me l’a expliqué. C’est sa grand-mère qui l’a brodé, au point de croix, dans les mêmes tons pastel que le papier fleuri -c’est aussi sa grand-mère qui a peint le cadre en essayant de reproduire les fleurs de la tapisserie, les pétales toujours ouverts vers le visage du chanteur, comme si, sur le cercle de bois qui l’entoure,toutes les fleurs poussaient dans sa direction. 

Le fromage qui pue

L’essentiel avec le reblochon, c’est de ne pas se laisser impressionner. Il y a clairement une difficulté de départ, cette barrière que l’odeur du fromage dresse contre le monde extérieur.

Son amour de la langue française

J’aime ces lettres muettes qui ne se laissent pas attraper par la vue, ou alors à peine. C’est un peu comme si elles ne montraient d’elles qu’une mèche de cheveux ou l’extrémité d’un orteil pour se dérober aussitôt. À peine aperçues, elles se tapissent dans l’ombre. À moins quelles ne se tiennent en embuscade ? Même si je ne les entends pas, quand on m’adresse la parole, j’ai souvent l’impression de les voir.

L’art épistolaire

Ce qui est bien, avec les lettres, c’est qu’on peut tourner les choses comme on veut sans mentir pour autant. Choisir autour de soi, faire en sorte que sur le papier tout soit plus joli.

Présenté et traduit de l’arabe par Tahar Ben Jelloun. Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard (Thème le Maroc)

Cette plongée dans la misère totale ne peut laisser personne indifférent. Ce livre, écrit par Mohhamed Choukri, raconte sa propre enfance dans un Maroc qui, en 1940 à la veille de son indépendance, connaît une sécheresse terrible dans le Rif. Mohammed n’a pour lui qu’une mère qui essaie vainement de protéger ses enfants des coups de ce père ivrogne, drogué, fainéant et d’une violence totale. Devant les yeux du petit Mohammed, il tort le cou du grand frère malade. De cet acte horrible, l’enfant ne se remettra jamais, mais qui peut se remettre d’une telle vision ? Il va errer de mauvais lieux en mauvais lieux, fumant, buvant de l’alcool très fort. Il va subir toutes les violences possibles et rendre tous les mauvais coups que ses forces lui permettent de donner.

Et au milieu de tous les immondices de la société humaine, il découvre sa sexualité dans les bordels. Ce sont les seuls moments de calme et, parfois de douceurs, le corps des prostituées qui s’offrent à lui pour assouvir des désirs sexuels toujours présents. Ce livre est une plongée dans la lie de la terre. Le seul moment de beauté est écrit dans la préface de Tahar Ben Jelloun, qui nous apprend que ce livre n’a pas pu être édité dans une maison d’édition arabe car on aime pas beaucoup en pays de l’islam montrer la prostitution, l’alcoolisme et les méfaits de la drogue.

Heureusement pour l’auteur, ce livre est aussi un acte fondateur d’un grand écrivain, car, comme il le raconte dans les dernières pages, à 21 ans, il trouvera la force d’apprendre à lire et écrire. Il a laissé à la postérité un oeuvre plus apaisée. J’avoue que j’aurais préféré lire ces autres romans, celui-là m’a plongée dans une tristesse infinie à l’image du malheur de ce petit garçon.

Citations

La violence d’un père

J’avais déjà vu son mari la battre, elle et ses enfants, comme mon père le faisait, mais avec plus de violence, avec nous. Je l’avais vu aussi embrasser ses gosses et parler avec douceur et tendresse avec sa femme. Mon père, lui, criait et frappait.

le meurtre de son frère par son père

Abdelkader pleure de douleur et de faim. Je pleure avec lui. Je vois le monstre s’approcher de lui, les yeux plein de fureur, les bras lourds de haine. Je m’accroche à mon ombre et crie au secours : « Un monstre nous menace, un fou furieux est lâché, arrêtez-le ! « . Il se précipite sur mon frère et lui tord le cou comme on essore un linge. Du sang sort de la bouche.

La construction dans la délinquance

Donc mon père nous exploitait. Le patron du café lui aussi m’exploitait, car j’ai su qu’il y avait d’autres garçons mieux payés que moi. J’avais décidé de voler toute personne qui m’exploiterait, même si c’était mon père ou ma mère. Je considérais ainsi le vol comme légitime dans la tribu des salauds.

La sexualité et le style de l’auteur

Cette femme me faisait peur : elle me proposait de la pénétrer, d’entrer dans sa chair comme un couteau pénètre une plaie. Elle s’est mise sur le lit et a ouvert les jambes. Il n’y avait pas de poil sur son « truc ». Elle prit ma verge dressée entre ses doigts. Je pensai soudain : et si la « plaie » avait des dents ! Je glissai entre ses cuisses avec crainte. Elle m’enveloppa de ses jambes et me serra très fort, appuyant sur mes petits fesses avec ses talons. Elle se donnait de la peine. Énervée, elle me dit :

– Tu ne sais pas encore pénétrer une femme.

Je ne savais quoi répondre. Je pensais aux chiens qui baisent et qui ne peuvent plus se détache. Sa « plaie » était sèche, elle me repoussa, mouilla ses doigts avec de la salive et les porta à sa « bouche » inférieure.

les deux dernières lignes

Mon frère était un ange. Et moi ? Deviendrait je un Diable ? C’est sûr, pas de doute. Les enfants, quand ils meurent, se transforment en anges, et les adultes en diables. Mais il est trop tard pour moi pour espérer être un ange.

 

Traduit de l’anglais(Irlande)par Cécile Arnaud

Lu grâce au club de lecture de la média­thèque de Dinard.

Encore un roman choral, croisant plusieurs destins qui commencent en 1958 par celui d’un Irlandais qui travaille comme un fou dans une mine pour s’acheter une petite ferme en Irlande, jusqu’en 2027 où sa petite fille Daisy veut visiter la mine dont son grand père lui a parlé. Entre ces deux dates, des êtres tous cabossés par la vie tournent autour d’une ferme écologiste tenue par un certain Joe qui cultive le cannabis pour pouvoir payer les dettes qu’il a contractées auprès de son père.

Aucune personnalité n’est très intéressante. Ce sont toutes des personnes souffrantes, comme Carlos l’ouvrier agricole mexicain qui a vu son neveu mourir lors d’une traversée clandestine de la frontière mexicaine vers les USA. Joe le dealer de haschisch et fermier est l’enfant d’un couple mal assorti, d’une mère juive professeur de piano et enfermée dans ses souvenirs de fuites du nazisme et d’un père italien qui aurait voulu que son fils soit un parfait petit américain champion de Baseball et de foot. Il va très mal et c’est devenu un être dangereux pour autrui.

J’ai eu beaucoup de mal à sentir les liens entre les personnages, ils sont parfois très tenus et cela donne un récit un peu vide. Le seul moment intense c’est quand la mère de Daisy prend conscience que sa petite fille est en danger dans la ferme de Joe et qu’elle comprend qu’elle doit s’enfuir au plus vite. Sinon ce sont les désillusions de différentes personnalités ratées et plus esquissée que vraiment approfondies. Deux personnages qui savaient exactement ce qu’ils pouvaient attendre d’un pays où on vient pour gagner de l’argent ont rempli leur contrat, le grand-père irlandais et Carlos l’ouvrier mexicain mais lui souffre de ne pas avoir vu grandir ses trois filles.

Dans un roman choral, ce qui est très agréable c’est le moment où les destins se rejoignent dans un élan vers une histoire commune. Rien de cela ici, j’ai eu l’impression d’être baladée de vie ratée en vie encore plus ratée, sauf au moment central mais qui se défait peu après. En plus choisir comme personnage central un personnage aussi peu sympathique que le fermier Joe rend ce roman très triste.

Citation

Cela m’a amusée de trouver dans ce roman le pluriel d’original après la lecture de « Au bonheur des fautes »

Tu te figes et tu écoutes. Tu penses à la vie sauvage qu’abrite la forêt. Les blaireaux, les lièvres et les lapins comme chez toi, mais tu sais qu’il y a aussi des orignaux, des cerfs et même des ours bruns et des chats sauvages. Tu écoutes . 


Terrible tentatrice devant l’éternel (j’essaie d’élever mes références depuis la recommandation du livre à propos de la Bible mais je sens que ça ne va pas durer), Dominique a encore sévi et comme j’ai adoré cette lecture, je viens aussi vous la recommander. Que les nuls en orthographe se rassurent, ce livre s’adressent aussi bien à eux qu’à ceux et celles qui croient tout savoir. L’orthographe française est un long chemin celui qui l’emprunte ne peut être sûr que d’une chose, il n’est pas prêt d’en voir la fin. J’ai beaucoup aimé la modestie et l’humour de l’auteur. Ses remarques sonnent justes : pour avoir enseigné le français à des étrangers, je peux confirmer que dire correctement le vélo et la bicyclette reste toujours une difficulté. Évidemment, il y a les fameuses listes : « tous les mots en -ette- sont sont féminins » et à ce moment là, j’entends encore, les étudiants dire en chœur « sauf  ? » et bien oui, il y a « un squelette » . Mais il peut rester dans son placard, celui où on met tous les mots qui ne veulent pas entrer (j’ai failli écrire rentrer !) dans les fameuses listes.

J’ai beaucoup aimé partager sa vie de correctrice et j’aimerais passer une journée dans « le cassetin » pour entendre les correcteurs discuter sur le pluriel « d’Orignal » par exemple. Elle se raconte avec humour, elle et ses tocs de correctrice, comme elle, je corrige malgré moi les accords de participe passé et certaines liaisons, comme elle, deux cents « H » euros me gênent mais moins que deux cents « t » euros. Et puis elle a parlé de l’erreur que j’entends tout le temps, même dans mes émissions préférées de France Culture. Je veux parler du nom « une espèce », tout le monde sait que c’est un nom féminin, alors pourquoi j’entends toujours « un espèce d’imbécile » et « une espèce d’idiote », comme c’est ma faute préférée, je suis très contente qu’elle en parle.

Lisez ce livre et faites le lire, car, soit vous deviendrez modeste en vous disant au moins une fois ou deux « je ne savais pas ça », soit vous perdrez tous vos complexes en vous rendant compte que même Muriel Gilbert (Gilbert,comme le prénom !) peut laisser passer quelques fautes et celle-ci vous étonnera ou vous décomplexera à jamais.

Nous avons laissé passer en août 2016 dans un article culturel un ils voyèrent qui nous a valu, à la correction, au courrier des lecteurs et à l’auteur de l’article -et de la bourde initiale-, une dizaine de messages moqueurs ou ulcérés ; ça sonne bien, pourtant ils voyèrent, non ?

Citations

La vie à Breux-Jouy a dû bien changer

 A moins de 40 kilomètres de Paris on y allait encore chercher son lait et ses œufs à la ferme, en balançant au bout de son bras un bidon en alu et une valisette en plastique à six alvéoles. Les poubelles étaient ramassées par un à-peu-près-clochard répondant au prénom héroïco-grec d’Achille,accompagné d’un percheron aux sabots couverts de poils tirant une charrette en bois. J’ai oublié le prénom du cheval.

C’est vrai et c’est amusant

Ça rime pas Certains mots ne riment avec aucun autre. C’est le cas notamment de : belge, goinfre, meurtre, monstre, pauvre, quatorze, quinze, simple et triomphe.

Un petit sourire

Emma, une jeune Britannique fraîchement débarquée à Paris avec qui j’ai travaillé comme interprète au BHV, se demandait ce qu’étaient devenus les ponts un à huit à Paris, puisque nous avions un « pont neuf ». Quand j’ai expliqué en rigolant que neuf était synonyme de nouveau, elle s’est moquée de moi en me montrant dans un guide que c’était le plus vieux pont de Paris. Avouez qu’il y a de quoi en perdre son latin.

L’arme du correcteur : le doute

En fait, le correcteur devrait douter sans cesse, la langue est si complexe, si farceuse, si mouvante, et la cervelle humaine si faillible, qu’il lui faut douter, vérifier, mais parfois il ne parvient pas à lever le doute, ne trouve pas de quoi appuyer une certitude.

Le doute

 Le directeur a de bonnes raisons de douter, car Larousse.fr dit deux orignals tandis que sa version papier et Le Robert penchent pour les orignaux ! Vous savez quoi ? Le cas échéant, commandez donc des élans.

Un de mes cauchemars d’enseignante

 Il y a une exception(ben oui), -tout adverbe- s’accorde avec un adjectif féminin commençant par une consonne ou un h aspiré : Les deux sœurs sont tout étonnées, mais l’une est tout heureuse et l’autre toute honteuse.

Origine des correcteurs

Il y a les anciens enseignants, les anciens rédacteurs, les anciens traducteurs, les anciens étudiants à rallonge, les anciens glandeurs, les comédiens contrariés, les ex-normaliens, les anciens secrétaires de rédaction, les anciens publicitaires, les anciens guides touristiques, les anciens historiens, les anciens élus et militants politiques. Ainsi que toutes les combinaisons, imaginables ou non, de ce qui précède, en versions qui vont du super diplômé jusqu’au parfait autodidacte.

Travail qui ne se voit pas

Comme celui de la femme de ménage, le travail du correcteur, transparent, ne se remarque que lorsqu’il est mal fait. C’est l’un des aspects un poil frustrants du métier. Et pourtant, sans elle, la maison est invivable ; sans lui, le journal n’en est plus un.

Humour

Au Pyla-sur-Mer, coquette station balnéaire, j’ai voulu escalader l’étonnante dune… du Pilat. Là, je m’affole. Cherche où est la faute. Agace les covacanciers qui peuplent ma voiture. Lis les cartes, examine les panneaux, dont chacun semble présenter la graphie qui seyait le mieux à celui qui a décidé de le planter là – il y a du Pyla, du Pilat, du Pylat… J’ai bien failli finir par me jeter du haut de la dune en m’arrachant les cheveux, mais j’ai
préféré me suicider à coups de glaces en cornet chez Ô Sorbet, à Arcachon. 

Le genre

les Français ont une passion pour le sexe des mots. Le Français dit une huître mais un escargot, une voiture mais un camion. L’huître n’est pourtant ni femelle ni mâle, elle est hermaphrodite, changeant de sexe à la fin de chaque saison ou après chaque émission de semence ; quant à l’escargot, il produit à la fois des spermatozoïdes et des ovules.
Mais le plus étrange n’est-il pas que le mot « féminin » soit du genre masculin.
PS. : si vous lisez ce livre vous comprendrez vite pourquoi j’ai mis un peu de rouge.

Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg.

C’est un livre absolument génial, d’ailleurs, Keisha  l’a mis deux fois sur son blog ! La petite souris jaune dont j’aime beaucoup les idées de lecture, l’a aussi plébiscité. J’avais emporté le livre Rosa Montero dont j’ai déjà chroniqué « le territoire des barbares » et « le roi transparent » dans un voyage aux Açores, j’aime beaucoup relier un voyage à une bonne lecture. Je suppose que cette auteure va être ravie, elle vient d’obtenir 5 coquillages pour la première fois sur Luocine, et encore si je pouvais lui mettre tous les coquillages de la plage, je les lui mettrais sans aucune hésitation. C’est un livre génial et j’ai eu envie de le recopier en entier, tellement j’ai peur d’oublier ces purs moments de bonheur total, je voudrais apprendre ce livre par cœur pour pouvoir le citer sans effort, Rosa Montero donne des clés sur ce qui l’amène à écrire :

Je pourrais dire aussi que j’écris pour supporter l’angoisse de la nuit. Dans l’agitation fébrile de l’insomnie, pendant qu’on se tourne et se retourne dans son lit, on a besoin de penser à quelque chose pour ne pas voir les menaces envahir les ténèbres.

À travers de courts chapitres, tous très intéressants, elle traite des différents moments de la création littéraire. C’est vivant, varié et drôle. On la suit aussi dans ses amours, déceptions et emballements mais ce n’est pas une autobiographie car l’imagination de la romancière n’est jamais bien loin. Il ne s’agit pas, non plus, d’un essai exact et méticuleux au sujet de la création romanesque mais d’un livre qui permet de faire vivre la création. D’ailleurs ses amours avec » M » pourraient donner lieu à 3 romans différents qui lui restent à écrire. Rosa Montero foisonne d’idées, « la folle du logis » envahit toute sa vie et ses réflexions. Ce livre est aussi un régal pour la balade qu’il nous fait faire chez les romanciers les plus variés. Les portraits sont rapides et jamais méchants, j’ai remis, grâce à elle, dans mes listes le livre de Victor Klemperer que je voulais lire depuis longtemps à propos du langage totalitaire. On est en bonne compagnie avec tous les auteurs dont elle parle bien mais elle n’est jamais, vis à vis d’eux, dans une admiration béate. Je suis ravie de ce qu’elle a écrit sur Goethe dont l’oeuvre m’a tellement ennuyée et pourtant, j’ai essayé tant de fois de le lire. Je suis contente qu’elle rappelle la méchanceté stupide de Sainte-Beuve contre Stendahl. Car c’est aussi cela son livre, un cheminement avec des auteurs connus qui sont dans toutes les mémoires des écrivains et des lecteurs. Elle sait qu’entre écrire et lire, si elle était obligée de choisir, elle garderait la lecture qui, pour elle, représente les fondations à tout acte d’écriture. (J’en suis restée aux fondations ! !)

Citations

Souvenirs familiaux

Ma sœur Martina et moi échangeons parfois, comme des images, certaines scènes du passé : c’est à peine si le foyer familial dessiné par chacune de nous a des points communs. Ses parents s’appelaient comme les miens et habitaient une rue portant le même nom mais ce ne sont absolument pas les mêmes personnes.

Nous inventons nos souvenirs, ce qui revient à dire que nous nous inventons nous – mêmes car notre identité se trouve dans notre mémoire, dans le récit de notre biographie.

L’écrivaine

Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d’écailles au milieu des eaux noires. S’ils se décrochent de l’hameçon, on a peu de chance de les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c’est le tuer.

La mort

Les romanciers, scribes incontinents, décrochent inlassablement des mots contre la mort, comme des archers postés sur les créneaux d’un château fort en ruine. Mais le temps est un dragon à la peau dure qui dévore tout. Nul ne se souviendra de la plupart d’entre nous dans un siècle ou deux  : ce sera exactement comme si nous n’avions pas existé. L’oubli total de nos prédécesseur est une chape de plomb, la défaite qui préside à notre naissance et vers laquelle nous nous dirigeons. Notre pêché originel.

Ecrire

Aussi longtemps qu’ils restent dans les limbes rutilantes de l’imaginaire, dans le domaine des projets et des idées, nos livres sont absolument merveilleux, les meilleurs qu’on ait jamais écrits. C’est plus tard que les choses se gâtent, au moment où on se met à les fixer mot après mot dans la réalité, comme Nabokov épinglait ses malheureux papillons sur du liège, quand on les transforme inexorablement en choses mortes, en insectes crucifiés, même si on les recouvre de poudre d’or.

L’engagement

Parfois, une même personne peut avoir des comportements différents : se montrer héroïque face à certaines menaces et lamentables en d’autres circonstances. Le très célèbre manifeste de Zola en faveur de Dreyfus est toujours cité comme exemple de l’engagement moral et politique de l’écrivain et Zola a dû sans aucun doute faire preuve de courage pour écrire son « J’accuse » plein de fureur, pratiquement seul face à tous les bien-pensants. Mais on oublie que ce même Zola avait refusé trois ans plus tôt de signer le manifeste à Oscar Wilde, condamné à deux ans d’emprisonnement dans les terribles geôles victoriennes pour homosexualité.

L’envie d’être lu

Dieu sait d’où nous vient ce besoin impérieux qui fait de tous les écrivains des éternels indigents du regard des autres.

L’écriture dite féminine

Quand une femme écrit un roman dont le personnage est une femme tout le monde considère qu’elle parle des femmes mais quand un homme écrit un roman dont le héros est un homme, tout le monde considère qu’il parle du genre humain.

L’écriture et la lecture

On écrit pour apprendre, pour savoir, et on ne peut entreprendre ce voyage vers la connaissance si on emporte avec soi des réponses préalables.

Car lire c’est vivre une autre vie.

Un lecteur vit plus longtemps que les autres car il ne veut pas mourir avant d’avoir terminé le livre commencé.

(d’après les propos de Graciela Cabal)

Le roman

C’est pourquoi le roman est le genre littéraire que je préfère, celui qui se prête le mieux au caractère décousu de la vie. La poésie aspire à la perfection, l’essai à l’exactitude, le drame à l’ordre structurel. Le roman est l’unique territoire littéraire où règnent là même imprécision, la même démesure que dans l’existence humaine.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard, il a obtenu un coup de cœur.

Je savais, grâce au billet d‘Aifelle , que je lirai ce livre, depuis j’ai lu « Anna ou une histoire française » et je ne peux encore une fois que me féliciter de ce conseil de lecture. Même si, ce n’est pas une lecture très facile, surtout la partie sur l’angoisse d’Abraham, j’ai été très touchée par ce récit. Comme Aifelle je vous conseille d’écouter son interview car elle raconte si bien tout ce qui l’habite. Alors pourquoi Abraham est-il angoissé, je n’ai pas trouvé la réponse, mais en revanche Rosie Pinhas-Delpuech a raison, si on ne connaît pas la cause on connaît bien l’heure à laquelle l’angoisse nous saisit : c’est l’heure où le soleil, même s’il illumine une dernière fois de mille feux le ciel, va se coucher et où la lumière va faire place à l’obscurité.

C’est l’heure où les enfants pleurent sans pouvoir être facilement consolés, c’est l’heure où le malade a peur de la nuit qui s’installe, c’est l’heure où le marin voudrait être au port.

Cette auteure nous entraîne dans un voyage, celui de son exil et celui de l’exil de sa langue. Ses passages sur le français des étrangers sont d’une justesse incroyable . Elle nous fait connaître aussi Israël autrement et c’est si rare aujourd’hui entendre parler positivement et simplement de ces gens qui habitent sur cette terre tellement convoitée. Elle nous raconte aussi la France des années 70 et les quelques pages sur Nanterre sont intéressantes, elle y mêle la toute nouvelle université : quelques bâtiments très laids sortis d’une friche assez triste, contrastant avec l’exigence intellectuelle des professeurs et les débats sans fin avec son amie, le murs qui cache un bidonville où des émigrés moins chanceux qu’elle s’entassent. Elle n’oublie jamais que sa condition d’étrangère peut se rappeler à elle brutalement. Et qu’elle peut se retrouver sur l’île de la Cité à faire la queue parmi les désespérés du monde pour renouveler ses titres de séjour. Finalement sa vraie patrie sera ses langues et surtout la traduction, c’est à dire encore un voyage celui qui lui permet de passer de l’hébreu au français et du français à l’hébreu. Elle n’en n’oublie pas pour autant le turc qui reste sa langue maternelle.

 

Citations

L’exil

Ils(les Russes blancs) ravivaient auprès de ces derniers, et surtout des Juifs, la mémoire des guerres, des horreurs qui les accompagnent, du déclassement qu’entraîne tout déplacement forcé, de l’exil d’un peuple qui avait la nostalgie de sa terre, de sa langue et d’une chose tout à fait indéfinissable que Dostoïevski- qui écrit « L’idiot » au cours d’un long exil à l’étranger- « le besoin d’une vie qui les transcende, le besoin d’un rivage solide,d’une patrie en laquelle ils ont cessé de croire parce qu’ils ne l’ont jamais connue ».

L’aéroport de Lod

Mon souvenir de l’aéroport de Lydda-Lod en 1966 recoupe certaines photos des « Récits d’Ellis Island » de Georges Perec et Robert Bober. Les mêmes bagages bourrés et, ficelés, inélégants, les mêmes visages un peu figés par l’attente , l’angoisse, l’excès d’émotion. En 1966, l’aéroport de Lod est un lieu unique au monde où des retrouvailles sont encore possibles entre morceaux de puzzles dispersés sur la surface de la terre ou manquants.

 

les Juifs, la terre et la nation

Détaché de la terre par des siècles d’errance, interdit d’en posséder, de la travailler, le Juif est historiquement une créature urbaine. Parmi les notions élémentaires qui me faisaient défaut par tradition et culture profonde, la terre, la patrie, le drapeau, n’étaient pas les moindres. Toujours hôtes d’un pays étranger, d’abord de l’Espagne puis de l’empire ottoman, la terre était pour nous une notion abstraite, hostile, excluante. Nous étions des locataires avec des biens mobiliers, transportables : ceux qui se logeaient dans le cerveau et éventuellement dans quelques valises. La terre appartenait aux autochtones, ils avaient construit une nation, puis planté un drapeau, et nous étions les hôtes, désirables ou indésirables selon les jours.

Le style que j’aime, cette image me parle

C’est exactement ainsi que m’est apparu Hirshka, (…) comme s’il draguait dans un filet de pêche une histoire qu’il avait traînée à son insu jusqu’aux rives de la Méditerranée.

La langue des » étrangers »

Quand on est en pays étranger, même si on en comprend la langue, on ne se comprend pas . Parfois, on n’entend pas les paroles qui sont dites. L’entendement est obstrué. On est frappé de surdité auditive et mentale. La peur qu’éprouve l’étranger et, le rejet qu’il subit, le rendent déficient. Il se fait répéter les choses, de crainte de ne pas comprendre.

Entre le jargon dissertation de la philosophie , le caquètement des commères de la rue, l’argot de l’ouvrier, celui de l’étudiant, il ne restait pas le moindre interstice pour le parler respectueux de ceux qui, depuis deux siècles, avaient élu domicile dans le français de l’étranger.

Comme Aifelle je vous conseille d’écouter cette femme

 

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard (thème exil)

Une femme d’origine géorgienne, Tamouna, va fêter ses 90 ans, elle a fui à 15 ans avec sa famille son pays natal en 1921. Atteinte aujourd’hui d’une maladie pulmonaire, elle ne peut vivre sans oxygène, sa vie est donc limitée à son appartement et aux visites de sa nombreuse et pétulante famille. Par bribes les souvenirs vont arriver dans son cerveau un peu embrumé. Sa petite fille qui doit ressembler très fort à Kéthévane Dawrichewi, l’oblige à regarder toutes les photos que la famille conserve pieusement. Bébia et Babou les grands parents sont là enfouis dans sa mémoire un peu effacés comme ces photos jaunies. Et puis surtout, il y a Tamaz celui qu’elle a tant aimé et qui n’a jamais réussi à la rejoindre à travers les chemins de l’exil. Ce livre m’a permis de rechercher le passé de la Géorgie qui a en effet connu 2 ans d’indépendance avant de tomber sous la main de fer de Staline. Ce n’est pas un mince problème pour un si petit pays que d’avoir le grand frère russe juste à ses frontières et encore aujourd’hui, c’est très compliqué. Mais plus que la réalité politique ce livre permet de vivre avec la minorité géorgienne en France, connaître leurs difficultés d’adaptation économiques, le succès intellectuel des petits enfants, les peurs des enfants qui attendent leur père parti combattre les soviétiques alors que la cause était déjà perdue,la honte d’avoir un oncle parti combattre l’armée russe sous l’uniforme nazi . Tous ces souvenirs sont là dans sa tête et dans cet appartement qu’elle ne quitte plus. Je suis toujours très sensible au charme de cette auteure, elle reste toujours légère même dans des sujets graves et j’ai aimé qu’elle partage avec des lecteurs français ses origines et sa famille.

Citations

Pudeur du récit

Le chien est resté en Géorgie. avec ses grands parents. Elle ne les a jamais revus. Aucun des trois. Elle ignore la date exacte de leurs morts.

Le géorgien avant 1918

Nous parlons géorgien entre nous. C’est la langue de la famille. Celle des vacances. À l’école, on doit parler le russe. C’est la règle. Le géorgien est une langue de chien, dit notre maître. Toute tentative de braver l’interdit est sévèrement punie.

Solidarité des exilés

Il vient du Maroc, il était cuisinier au palais du roi avant de venir en France, il évoque souvent l’exil et la famille qu’il a laissée derrière lui. Elle écoute, elle le force parfois à dire les mauvais traitements qu’il a subis au palais . Il le dit par bribes avec réticence. elle se reproche ensuite son insistance. elle-même ne parle jamais des raisons de son exil.

Les peurs des enfants

De nouveaux émigrés sont arrivés, mon père n’est pas revenu, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. Il a peut-être été déporté, je crois que c’est le sort des opposante. Ou bien il est mort. Je dois te paraître cynique . Je te choque sans doute. Mais je meurs des mots que personne ne prononce.