Traduit du coréen par Lim Yeon-hee et Mélanie Basnel, lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un petit livre étonnant et fort instructif. Je salue d’abord la performance de l’auteur qui s’est mis dans la peau d’une femme pour écrire ce livre. Il y arrive très bien et il a eu bien raison de choisir ce point de vue pour nous faire comprendre pourquoi son pays est si peu attractif. Un homme peut se réaliser dans un travail qui sera quand même une lutte de tous les instants pour sortir du lot, mais pour une femme les barrières sont encore plus hautes et peu d’entre elles arrivent à les franchir et à s’épanouir. Et pourtant, les femmes n’ont pas le poids des interdits religieux et au moins sur le plan de la sexualité, elles sont libres. Mais pour le reste que de contraintes ! En réalité, tout est déterminé par l’origine sociale, si vous êtes née dans une bonne famille, vous habitez dans un beau quartier, votre logement sera spacieux et confortable, vous n’échapperez cependant pas à la terrible sélection mais aurez 99 % de chance d’aller dans une bon établissement secondaire et donc 90 % de chance d’entrer dans une bonne université, Vos parents pouvant payer pour vous, dans le cas où vous n’êtes pas au niveau le nombre de cours particuliers qu’il vous faudra pour réussir votre concours d’entrée à l’université dans laquelle « il faut » aller. Ensuite le tapis rouge se déploie devant vous et vous aurez la carrière de cadre à laquelle vous aspirez et vous ferez le mariage qui convient. Aucune chance pour vous, si vous venez d’une université moyenne, vous serez un cadre moyen. Et si vous n’avez pas réussi vos études vous resterez au bas de l’échelle sociale.
Ce qui révolte notre héroïne Kyena, c’est que tout le monde accepte cet état de fait sans même ressentir la moindre révolte, à commencer par ses parents qui ont trimé toute leur vie pour vivre dans un logement sans aucun confort. Tout le roman est écrit en alternance, sa vie en Corée qui est étriquée, laborieuse et épuisante, et sa vie en Australie qui sans être idyllique lui semble paradisiaque. Comme la photo sur la couverture Kyena sent qu’elle peut vivre dans ce pays où elle se sent libre, je lui laisse la parole pour que vous compreniez son choix

Si je ne peux pas vivre dans mon pays…c’est parce qu’en Corée, je ne suis pas quelqu’un de compétitif. Je suis un peu comme un animal victime de la sélection naturelle. Je ne supporte pas le froid ; je suis incapable de me battre de toutes mes forces pour atteindre un but : ; et je n’ai hérité et n’hériterai jamais d’aucun patrimoine. Mais tout ça ne m’empêche pas d’avoir le culot d’être salement exigeante : je veux travailler près de chez moi, qu’il y ait suffisamment d’infrastructures culturelles dans mon quartier, que mon boulot me permette de m’accomplir personnellement, etc. Je chicane sur ce genre de choses.

Voilà pourquoi elle crie très fort, et je pense qu’après avoir lu ce roman vous la comprendrez.

Pourquoi je suis partie ? Parce que je déteste la Corée

Citations

Classe moyenne pauvre

Ma famille vivait et vit aujourd’hui encore dans un très vieil immeuble délabré dont les matériaux de construction et les encadrements de fenêtres étaient de très mauvaise qualité dès le départ. Chaque année en octobre, mon père recouvrait les fenêtres avec d’épaisses feuille de plastique, mais ça n’empêchait pas l’air glacial de pénétrer dans la chambre au plus fort de la saison froide. Quand le vent soufflait, il faisait gonfler les feuilles de plastique vers l’intérieur. Ces jours-là, nous avions beau mettre le chauffage au sol au maximum, seuls les endroits où passaient les tuyaux était chauds. Ailleurs dans la pièce on était transi de froid. Dans le lit, on avait le bout de nez gelé.

 Les contraintes qui pèsent sur la jeunesse

Je n’ai pas d’avenir en Corée. Je ne suis pas sorti d’une grande université, je ne viens pas d’une famille riche, je ne suis pas aussi belle que Kim-Tae-hui. Si je reste en Corée, je finirai ramasseuse de détritus dans le métro.

Le paradis australien

Quand on devient australien, on peut toucher des indemnités chômage sans rien faire, et quand on attrape une maladie grave, on est soigné gratuitement. Quand on achète pour la première fois une maison, on touche vingt mille dollars d’aide de la part de l’État. On reçoit aussi plusieurs dizaines de milliers de dollars pour financer les études universitaires de ses enfants. En bref tout est merveilleux. En additionnant tout ça, on peut dire que la nationalité australienne vaut environ un milliards de Wons coréen.

25 Thoughts on “Parce que je déteste la Corée – CHANG Kang-myoung

  1. Hum… je ne sais pas si je déteste la Corée mais ma fille est partie y vivre depuis trois ans et j’en veux un peu au pays, c’est sûr, d’autant plus qu’il n’a à mes yeux aucun attrait. Je le vois, comme semble le décrire l’héroïne de ce roman, comme un pays où règnent la compétition et l’apparence avant tout…

    • Bon courage à ta fille, les étrangers vivent mieux que les gens du pays qui sont, tu as raison enfermé dans des carcans dont il est très difficile de sortir. Lis ce petit livre (une soirée de lecture) et tu comprendras tout de suite.

  2. Je suppose qu’il s’agit de la Corée du Sud puisqu’on ne peut pas quitter celle du Nord. Pour les informations que l’on peut glaner sur ce pays, je serais intéressée par la lecture de ce petit livre.

    • Les récits de la Corée du Nord sont tragiques, la Corée du Sud c’est différent mais c’est ce qui rend la découverte de ce livre agréable, on ne sait pas grand chose de leurs difficultés.

  3. Malgré tes quatre coquillages, quelque chose me retient … Le style, je pense …

    • Oui tu as raison le style est à l’image de la jeunesse coréenne qui lorsqu’elle sort de ses carcans devient très « trash » . Mais j’ai accepté facilement et du coup j’ai apprécié ma lecture.

  4. Je comptais m’acheter des livres sur la corée. Ton billet tombe vriament bien car je ne connais pas du tout les auteurs de ce pays et j’aurais bien du mal à en choisir un. C’est noté… Je compte bien le lire au plus vite !

  5. Il n’y a pas si longtemps, j’ai vu un documentaire qui allait dans ce sens. De plus en plus de jeunes quittent le pays, refusant ce mode de vie épuisant qui ne laisse aucune place à l’individu. Ils préfèrent aller travailler à l’étranger, avec un statut social inférieur à celui qu’ils auraient en Corée, mais où ils se sentiront beaucoup plus libres.

    • c’est exactement cela, ils ont maintenant une forme de confort mais pas la liberté qui va avec , et ce n’est pas l’extérieur qui les contraint mais la rigidité de leurs moeurs.

  6. En voila un qui est dans ma pal. En général j’aime beaucoup la littérature coréenne (certaines BD aussi d’ailleurs).

  7. Merci, je vais m’intéresser à ce livre.
    L’Asie me fascine beaucoup, j’aime la littérature chinoise moins celle du japon, je connais rien ou si peu de celle de Corée , ce sera une découverte.

  8. Bien bien, ça m’intéresse tout de même!

    J’ai lu récemment :
    Lettres à pattes et à poils, Lettres à plumes et à poils, piqué rayon jeunesse, mais ce sont des histoires amusantes, pas idiotes, courtes, bien écrites, et ça pourrait plaire à tes auditrices (tu ne leur dis pas quel est le public de départ). Moi j’ai adoré. Par exemple, on imagine les lettres écrites à M Seguin par sa chèvre qui a disparu (et n’a pas été mangée!), etc.

    • un grand merci pour ce conseil, nous venons de terminer la lecture de Xiaolong Qiu « Nouvelles de la poussière rouge » et nous avons passé de très bons moments ensemble.

  9. ton billet et ce livre me conforte dans l’idée que je me faisais de la Corée, celle du nord est effrayante mais celle du sud n’est pas beaucoup plus attractive

    • Oh que si, c’est très différent, les gens sont vivants et peuvent facilement partir de leur pays… la Corée du Nord c’est un énorme goulag au service d’un fou.

  10. Tout cela me fait penser à ce qui se passe au Japon, avec l’ultra-compétitivité dès le plus jeune âge. J’ignorais complètement que c’était la même chose en Corée. On ne valorise toujours que la réussite économique de ce pays…

  11. Bonjour Luocine, je dirais que pour les études, en France, si vous ne réussissez pas, ce ne pas facile de s’élever socialement surtout maintenant. Pour le reste, je note ce livre car la Corée que j’ai découvert grâce à son cinéma m’intéresse. Bonne journée.

    • Bonjour Dasola oui c’est vrai , notre société se fige aussi , mais la Corée était figée par avance grâce à (ou à cause de) de leur civilisation.

  12. les citations sont très fortes et me parlent!

  13. Pingback: Chang Kang-Myoung, Parce que je déteste la Corée – Lettres exprès

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