Édition Gallimard NRF ; Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Oui, c’est bien pratique que la terre entière soit désormais réduite à un minuscule appareil cellulaire dans lequel est logé la majeure partie de l’humanité.

Un livre qu’il faut absolument lire en ce moment, c’est une plongée dans la vie actuelle d’Israël et dans les réflexions de ses habitants.

Le roman se construit autour d’une histoire d’amour qui s’est brutalement arrêtée à la création de l’état d’Israël, en 1948 entre Rachel et Mano Rubin de très jeunes adolescents. Rachel est aujourd’hui très âgée et Mano vient de mourir.Tous les deux ont refait leur vie sans jamais se revoir. Mano devenu professeur Rubin a été un père tyrannique pour sa première fille Atara, mais plus doux avec sa deuxième fille. Rachel a deux fils, son aîné s’est éloigné d’elle et son plus jeune est devenu juif orthodoxe.

Au décès de son père, Atara a la surprise de l’entendre évoquer d’une voix pleine d’amour d’une certaine Rachel dont elle n’avait jamais entendu parler. Elle part donc à la recherche de cette femme. Rachel sait pourquoi elle porte ce prénom peu donné. Atara a été mariée une première fois, elle a eu une fille mais elle est tombée amoureuse d’Alex qui est lui même père d’un garçon ensemble ils auront un fils Eden. Rien ne va bien dans la vie d’Atara peut-être parce que le comportement brutal de son père l’a empêchée d’accéder à la sérénité. Elle a l’impression que Rachel peut lui apporter des réponses et veut absolument lui parler alors que son mari qui est obligé d’aller aux urgences de l’hôpital mais finalement il est revenu chez lui, ce qui rassure son épouse et son fils Éden. Malgré l’inquiétude d’Atara, Alex refusera de retourner aux urgences et il va en mourir. Atara se sent coupable et ne sait pas où trouver du réconfort. Elle sent que ses enfants s’éloignent et qu’elle n’a pas su rendre son mari heureux. La transmission des parents aux enfants est un problème qui obsède Atara. Mais aussi Rachel. Il semblerait que les hommes soient plus détachés, mais ils sont aussi des passeurs peut-être plus inconscients.

L’intérêt de ce roman vient de ce tout ce qu’on découvre de la construction de la société israélienne. Rachel et Mano faisaient parti d’un groupe Lehi (parfois appelé Stern) qui a utilisé le terrorisme pour se débarrasser des anglais en 1948. Leur volonté était d’unir les Arabes et les Juifs contre les anglais, ils ont été pourchassés autant par les anglais que par les arabes, comme si, dès la naissance de ce pays rien ne pouvait se passer sans la violence. Leurs enfants représentent une partie du panel des choix des habitants d’Israël : les croyants qui trouvent dans la foi une réponse à la violence et dans les histoires rabbiniques des messages métaphoriques (que j’ai eu parfois du mal à comprendre), deux des enfants ont choisi de vivre loin de ce pays trop compliqué pour eux l’une aux USA, l’autre en Colombie, Atara cherche dans le respect des traditions architecturales un sens à son pays, un des fils de Rachel rejette sa mère qui est allée vivre dans une colonie dans les territoires occupés. Tous vivent avec un sentiment d’insécurité qui les taraude et plusieurs fois dans ce roman les personnages se posent la question de leur légitimité.

C’est un roman très anxiogène et pourtant il a été écrit avant le 7 octobre 2023, c’est aussi un roman sur la culpabilité et une introspection parfois trop poussée à mon goût sur le rôle des parents vis à vis de leurs enfants

Extraits

Début.

 Debout derrière la porte close, elle se tient immobile. À quoi bon appuyer sur la sonnette ou frapper, puisque de toute façon, la maîtresse de maison a remarqué sa présence.

Leur fils.

 Eden, enfant paradis, qui dès sa naissance, leur a procuré tant de joie, tant de fierté, que lui est-il soudain arrivé, lui qui a montré une résistance inattendue et exceptionnelle, qui a surmonté les entraînements les plus épuisants, exigeant de lui-même chaque jour davantage, qui a pris part à des raids et des opérations militaires dont, bien sûr, il ne pouvait rien dire, il ne leur disait donc rien, ni avant ni après, et seul son regard vide permettait de temps en temps, d’imaginer d’où il revenait – un lieu où il n’y avait ni jour ni nuit ni hésitations ni questions, où seule la mission comptait, plus sacrée encore que la vie humaine.

Les reproches d’un fils.

Il lui en veut comme si elle était toujours une jeune mère suffisamment forte pour donner, réparer, se défendre, et non une vieille dame dont il faut prendre soin. Le jour où il comprendra qu’il y a plus personne à qui demander des comptes, je mourrai, songe-t-elle souvent, ou alors, il ne comprendra qu’à ma mort 

Et c’était écrit avant le 7 octobre 2023.

 « Bon, écoutez, ma petite Atara, lui dit-il avec une expression mielleuse, écoutez-moi bien, je n’arriverai jamais à vendre mes appartements sans la construction d’une pièce sécurisée. À la prochaine guerre, ce sera une question de vie ou de mort. Vous m’accorderez que c’est plus important que l’esthétique. Vous vous souvenez de ces familles, dans le sud du pays, qui n’ont été sauvées que grâce à leur chambre forte ? Et si jamais ça arrivait ici ? Vous voulez avoir la mort d’enfants sur la conscience ? »

Les groupes avant l’état d’Israël .

 Les membres du Lehi étaient tellement isolés que même pour leurs funérailles on les laissait dans une solitude extrême et inexcusable, alors que la dépouille de ceux qui appartenaient à la Hagana recevaient tous les honneurs posthumes et était suivie par les foules manipulées et soumises
 Dans leur réseau on trouvait aussi bien des socialistes et des communistes que des révisionniste ou des mystiques et des révolutionnaires. Ce qui les unissait n’était pas une vision du monde identique, mais une ferveur identique. Chacun avait sa foi, croyait à sa manière en des doctrines différentes, mais quel que fût leur bord, ils étaient tous des jusqu’au-boutistes. C’est ce qui leur attirait les foudres autant de la droite que de la gauche Très peu de gens avaient su à l’époque – et c’était encore le cas, voire pire aujourd’hui-, qui avaient réellement fait partie du Lehi. Personne n’avait eu conscience de l’envergure de leur vision. Ils rêvaient d’une révolution qui mettrait en ébullition à tous les peuples de la région, d’un Moyen-Orient libéré de toute impérialisme et imaginaient des déplacements volontaires et logiques de populations.

Les sentiments d’une ex- pionnière .

 Elle se sent désemparée devant l’extrême changement du paysage donc elle ne reconnaît plus rien. Israël est devenu un endroit surpeuplé, gris, barricadé, qui se cachent derrière des murs et des barbelés -signe qu’il n’a plus foi en sa légitimité. 
Nous avons bien changé, toi et moi, songe-t-elle en regardant son visage fané dans le rétroviseur extérieur. Tout comme on ne peut plus reconnaître en toi le pays que tu étais, on ne peut plus reconnaître en moi l’adolescente que j’étais. Et moi non plus, je n’ai peut-être plus foi en ma légitimité car je me sois présent si vulnérable que même le regard bienveillant de mon fils me brûle la peau 

 

 


Édition Calmann Lévy 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman bien ficelé et qui ferait un très bon film où une pièce de théâtre, il s’agit d’un huis-clos, autour d’une repas, et c’est tellement français ! Étienne un avocat d’affaire a imposé à sa jeune femme Claudia, kinésithérapeute, de recevoir Johar une brillante femme à la direction d’une entreprise qui doit fusionner avec une autre groupe et son mari, Rémi, enseignant en économie dans une classe préparatoire.

Chacun va commencer ce dîner avec des souffrances et des enjeux très personnels. Claudia, avec qui nous serons souvent, est une jeune femme réservée, très timide, d’autant qu’elle ne se sent jamais mise en valeur par son mari. Étienne est le personnage le moins sympathique du roman, il est le fils d’un grand avocat parisien, il est très beau et à l’aise dans toute les situations mondaines contrairement à sa jeune femme. Hélas, pour lui, ses affaires vont moins bien et il compte sur Johar pour obtenir une amélioration de sa situation. Johar est le personnage central du roman, elle a eu un parcours atypique, jeune femme tunisienne, elle cochait toutes les cases de l’échec social, mais elle est très douée et a fait un parcours de réussite exceptionnelle. Pourtant peu de gens misaient sur elle au départ, elle se souvient bien du mépris d’Étienne à ses début , le même Étienne qui la courtise aujourd’hui. Et puis il y a Rémi son mari, le copain d’Étienne, qui a beaucoup aimé Johar, mais leur couple est sur la fin et lui a rencontré une jeune Manon, professeur comme lui qui lui fait beaucoup de bien.

Peu à peu les enjeux de chacun vont devenir tellement divergents que la fin du repas verra l’éclatement de la vérité, la fin des couples et le retour pour au moins trois des personnages vers de vraies valeurs.

Tout tient par la construction du roman et la découverte peu à peu de ce qui se jouait en sous main, dont évidemment je ne peux rien vous dire !

 

Extraits

 

Début.

 Claudia s’adosse au mur de la cuisine. La chaleur emmagasinée par le plâtre tout au long de la journée se propage dans ses hanches, ses omoplates, ses épaules. Sa tête tombe en avant, infiniment lourde. À la vue des striures rouges qui lui barrent la gorge, Claudia s’enfonce un peu plus profondément dans le mur, indifférente aux traces que ses mains encore grasse d’avoir huilé le poulet, impriment sur la peinture blanche.

Les remarques qui rendent Étienne si antipathique.

« C’était foutu dès ma naissance pour la gloire professionnelle, de toute façon, se dit rageusement Étienne  : je ne suis pas une femme et je ne suis pas arabe. »

L’argent.

 « Cela ne lui ressemble pas de parler aussi directement d’argent » pense Rémi, « c’est trop vulgaire ». Habituellement dans le monde d’Étienne, on ne nomme pas l’argent, même s’il est présent partout, même s’il se cache sous le tombé parfait d’une chemise, la silhouette féline d’une voiture l’élégance velouté d’un vin.

Les cadeaux.

 Il s’était initié à l’art de choisir des cadeaux qui disent qui vous êtes plutôt que de chercher à faire plaisir à leurs destinataire, offrant des truffes fraîches à des amis de retour de week-end dans le Périgord, promettant à d’autres de les ravitailler bientôt en poivre noir tout juste rapporté du Cambodge

Johar.

Son fait d’armes de directrice des opérations n’est pas seulement d’avoir révolutionné l’entreprise, c’est d’avoir révolutionné le pays en remportant et en exécutant de main de maître plusieurs contrats de digitalisation chez les fleurons de la l’industrie française, ainsi que, le Graal absolu, plusieurs ministères de la nation.

 


Édition JC Lattès

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un roman que La Souris Jaune a beaucoup aimé. L’écrivaine grâce à une écriture très énergique décrit tout ce que cette photo ne dit pas. Si on réfléchit à cette photo prise par Robert Capa, on peut se poser des questions sur l’évolution du ressenti face à ce qui s’est passé à la libération. Robert Capa a-t-il eu un moment de compassion pour cette femme et son bébé ? Les gens hilares autour de cette femme, et leurs descendants sont ils fiers de leurs rires aujourd’hui ?

Il ne faut pas oublier que cette femme Simone est accusée de collaboration, mais l’auteure pense que c’est plutôt sa mère qui a fait cela : dénoncer ses voisins à une collabo notoire et puissante, cinq seront arrêtés et deux mourront dans les camps allemands. La vindicte populaire est sûrement injuste mais elle avait un fondement dans ce cas précis. Pour moi, ce que de tout temps j’ai trouvé révoltant, c’est qu’on traite les femmes différemment que les hommes, je n’ai aucune considération pour celles qui ont entretenu des relations avec des soldats allemands mais elles méritent un jugement comme les hommes, pas une humiliation de plus parce que ce sont des femmes.
L’auteure s’empare donc de cette histoire et de cette photo pour retracer le parcours de Simone, elle a changé les noms car elle ne veut pas faire oeuvre d’historienne mais créer un roman avec un fondement historique.
Ce qui ressort c’est l’ambiance familiale complètement délétère car la mère, une forte femme, a fait faillite en voulant tenir une crèmerie à Chartres. Cette femmes est remplie de haine et méprise tous ceux qu’elle rend responsable de sa déchéance sociale : son mari qui n’existe jamais à ses yeux car il ne lui a pas apporté la richesse, ses voisins qui, d’après elle, se réjouissent de sa misère actuelle, tous les hommes politiques qui ne savent pas gouverner la France en particulier les juifs comme Léon Blum.

Dans cette famille deux filles, Madeleine qui sera toujours au côté de Simone, la petite sur qui repose tout le désir de revanche sociale de la mère. Elle va réussir ses études et sera comme sa mère attirée par les théories nazies, et méprisera son père qu’elle appelle le vieux.

C’est un roman terrible, car d’une tristesse infinie, sans la guerre cette enfant serait devenue une professeure respectée sans doute mais aurait-elle réussi à surmonter tous les messages de haine ressassés par sa mère. On n’en sait rien, elle a rencontré pendant l’occupation l’amour d’un soldat allemand. Il faut dire que l’image des hommes qu’elle rencontre avant lui est tellement destructrice pour elle. Là aussi on sent le désaveu social, elle a envie de s’élever et de fréquenter un bourgeois (le fis de son professeur d’allemand) mais elle ne ne sera pour lui qu’une « marie-couche-toi-là ». Bref l’Allemand est le premier homme qui l’a respectée !

Un roman trop triste, mais qui sonne vrai. Lors de la discussion du club, on a bien senti que le passé de la collaboration donnait lieu à des ressentis encore très douloureux. Certaines trouvaient que l’auteure excusait trop cette femme qui s’était engagée auprès des Allemands.

 

Extraits

 

Le début.

 Dans trois jours j’aurai vingt-trois ans. Je vais mourir avant. Ils ne me louperont pas. Une balle dans la tête. Le sang gicle comme un geyser et me barbouille les yeux. Le monde devient cramoisi, puis tout noir. Je m’écroule, la gueule fracassée sur le pavé. Petit tas inerte qu’il faudra charrier dans la fosse commune

La mère de Simone.

 Cette épicerie parisienne représentait beaucoup pour toi, Maman. C’était la possibilité de continuer l’ascension sociale de ton père, modeste serrurier devenu chef d’une entreprise de vingt ouvriers. C’était aussi une revanche. Tu n’avais pas pu faire d’études. Tes professeurs t’avaient jugée trop médiocre pour obtenir le moindre examen. Tes deux sœurs aînées avaient empoché le certificat d’études primaires. Mais toi, la benjamine, tu avais dû te contenter d’une école ménagère. Coudre, cuisiner et briquer. Voilà ce que tu étais censée faire de ta vie. Ça te foutait la rage. Tu voulais prouver au monde, et à toi-même que tu en avais dans la caboche. Tu voulais faire fortune.

Sa mère alcoolique, et son père soumis.

 Elle s’enferme dans les cabinets. Puis, elle revient, les yeux toujours un peu plus vitreux, le pas toujours un peu plus lourd. Le tout dans des vapeurs de Cologne. Pas besoin d’un dessin pour piger son manège : maman picole.
 En revanche, à table, pas une goutte de vin. Maman grogne même contre le vieux qui verse en douce du rouge dans son reste de soupe. « Comme les ploucs, tu me dégoûtes » dit-elle. Et lui comme à son habitude il baisse encore plus le menton dans son assiette. Il se grouille de finir de boulotter pour aller se terrer dans sa chambre. Le lendemain, il s’esquive à l’aube pour ne pas croiser la patronne.

 


Édition Acte Sud . Traduit du Turc par Julien Lapeyre de Cabanes

 

 

Personne ne peut rien contre quelqu’un qui meurt sans mourir.

Depuis ce témoignage inoubliable écrit au fond d’une prison turque dont il ne pensait jamais sortir  » Je ne reverrai jamais le monde » , je suis cet écrivain dont j’ai adoré son roman à la gloire des femmes et de l’amour « Madame Hayat » . C’est beaucoup moins le cas pour ce roman-ci. Pourtant parfaitement écrit, mais à force de torturer les sentiments et la cervelle d’un fanatique : le jeune Ziya, l’auteur m’a perdue en route. Contrairement à un des personnages féminins, je n’ai aucune attirance pour les criminels, et le fait que Ziya aie accompli son premier meurtre à 16 ans me dégoûte et ne me fascine pas du tout. Je pense même, que, plus on est jeune plus c’est simple de tuer. Les Khmers rouges étaient souvent des enfants à peine adolescents. L’auteur qui est, dans son pays, entouré de gens prêts à tuer pour l’honneur, ou par fanatisme religieux a voulu créer un personnage prêt à le faire lui aussi. Le ressort principal de ce genre de fanatique, c’est qu’ils n’ont eux-mêmes aucune peur de la mort. On le voit si bien avec tous ses candidats au Jihad prêts à se faire sauter pour tuer un maximum de gens « impies ou impures » . Ironie suprême Ziya se rendra compte qu’il est le jouet de bien puissants que lui. Ce jeune est totalement enfermé dans un processus qui le définit complètements. La vie ne fait que l’effleurer, il ne peut parler avec personne, et la seule femme qu’il aurait pu aimer, il ne lui a rien dit, il n’a jamais réussi à casser sa carapace de certitudes. L’argent l’attire mais comme un rêve mais sans le motiver assez pour faire attention à sa vie.
Et le titre ? ce n’est que dans le jeu que Ziya oublie sa pulsion de mort. Sans être « la vie » le hasard sur lequel il mise autant d’argent lui montre le côté dérisoire de la mort.

Un roman parfaitement écrit mais dont le personnage sur lequel est construit tout le roman est trop prévisible. Je n’ai rien découvert que je ne savais déjà sur un sujet terrible et si démoralisant.

 

Extraits

 

Le début .

 La formation d’une âme comme celle de Ziya, né au monde avec sa part de ténèbres, nécessitait une personnalité qui sorte de l’ordinaire, une admiration dont la violence et le son traçaient les contours, et des coups durs.

L’idéal d’un homme d’honneur .

 Un homme devait-il choisir entre son honneur et sa vie, devait choisir l’honneur. Mourir valait toujours mieux que de vivre dans le déshonneur. Personne ne se moquait d’un homme d’honneur ; le châtiment de ces moqueries était la mort. Arif Bey et ses amis croyaient à ses lois, et vivaient selon elles.

 

Le Fanatisme

 Le désir, l’enthousiasme immenses suscités par l’idée de sa propre mort, sensation si étrange et si rare, le transportaient dans un lieu situé au-delà de la vie et de la mort, un espace infini et sanglant tissé de réalités nouvelles, où il était le seul maître. Il se croyait désormais invulnérable. Personne ne peut rien contre quelqu’un qui meurt sans mourir.

Ahmet Altan sait de quoi il parle !

 Personne ne peut connaître la valeur de solitude, personne ne peut en concevoir le manque aussi bien qu’un homme qui est resté longtemps en prison 

L’amour .

 En réalité, ce qui les rapprochait n’était pas tant leur étrangetés que leur solitude. De tous les sentiments, c’est celui qui porte le plus vite à l’amour. Et tous les d’eux étaient seuls

Je ne crois pas beaucoup à ce genre d’analyse de caractère .

Dès qu’elle eut appris que ce jeune homme qui ne ressemblait à aucun autre était un assassin, quelque chose se mit en mouvement dans l’espèce de puits sans fond invisible où ses sentiments s’empilaient depuis des années dans un ordre immuable.

la gloire de tuer.

La gloire qu’il allait gagner en tuant un homme qu’on croyait intouchable, la gloire qu’il gagnerait par cette prouesse de courage excitait bien plus son âme, cette nuit-là, que tous les espoirs et toutes les craintes. Rien n’avait plus de prix pour lui que le courage et la gloire, or il n’y avait qu’en tuant et en acceptant soi-même de mourir pour cela qu’un homme pouvait obtenir la gloire synonyme du respect unanime.

La peur inspirée par un tueur.

 « Il suffit que les gens s’imaginent que tu peux les tuer, et tu n’auras plus besoin de tuer personne, et tout le monde te respectera. » C’était exactement ce qu’on imaginait désormais : que Zya pouvait tuer n’importe qui.

 


Éditions de l’Olivier

L’expérience concentrationnaire est incommunicable.

C’est c’est une histoire racontée à des sourds par des muets

Quatrième livre de cette auteure sur Luocine, c’est visiblement une écrivaine que j’apprécie sans jamais être totalement enthousiaste , petit rappel : le remplaçant, Ce Coeur changeant, les bonnes intentions.

Ce roman est , une fois encore, agréable à lire mais la construction est surprenante, on a l’impression, certainement fausse, que l’écrivaine écrit au fil des jours sans savoir très bien où elle va et où elle mène son lecteur.
Au départ, il y a un projet assez vague de créer un lieu pour vieillir avec ses amis, un peu comme ses grands-parents, rescapés d’Auschwitz l’avait fait dans une tour du 13°. Elle revisite donc ses souvenirs, très marqués évidemment par le poids de la Shoah, mais aussi, de ce que représente pour elle, le vieillissement. Son livre est comme un kaléidoscope, avec des petites pépites lumineuses mais qui ne se raccrochent pas à un ensemble.
Comme je suis, parfois, un peu comme la vieille femme écossaise qui l’avait interpellée lors d’un colloque en lui demandant de quel droit elle parlait de la vieillesse et de la guerre, elle qui ne l’était pas, vieille, et qui ne l’avait pas vécue, la guerre, en regardant la très joie femme de soixante ans qui a écrit ce livre, je me suis plusieurs fois demandé ce qu’elle connaissait de la vieillesse physique, qui arrive vers 80 ou 90 ans. Et toujours avec mon esprit mal placé, j’ai pensé que cela lui permettrait d’écrire un autre livre dont le sujet serait « la vieillesse physique commence plus tard que je ne l’imaginais ».

Stop, pour mon mauvais esprit ! Cette écrivaine ne saurait totalement me déplaire car nous avons un auteur fétiche commun : Jean Pierre Minaudier. Et puis, lorsque l’on passe plusieurs soirées avec ce livre, en étant parfois , amusée , triste ou le plus souvent étonnée, on ne peut pas être trop sévère. Pourtant, je sais que j’oublierai ce roman, cette longue déambulation dans sa mémoire et tous les gens qui la peuplent.
Sa grand-mère qui lui donne la recette d’un gâteau dans son accent qui la rend si attachante. Sa mère qu’elle a tant aimée et elle qui sait qu’elle porte en elle même la petite fille, l’adolescente, la femme et la mère .

Je ne pense pas qu’elle construira son phalanstère pour vieillir avec ses amis, mas elle a déjà réussi à les réunir dans son livre

 

Extraits

 

Le Début.

 Mes grands parents maternels, Boris et Tsila Jampolski, avaient 65 ans lorsqu’ils ont acheté sur plan, un appartement de deux pièces avec balcon au huitième étage d’une tour dans le XIII° arrondissement de Paris. J’ai écrit leur adresse -194 rue du Château des Rentiers 75013 Paris- sur des enveloppes et des cartes postales pendant près de trente ans.

J’aime cette façon de raconter.

 À 17 ans et un jour j’ai modelé un nouvel idéal en m’inspirant cette fois d’une amie que je trouvais plus jolie, plus intelligente et plus mûre que moi. Je m’achetais les mêmes vêtements qu’elle. Toutefois comme nos morphologies différaient ce qui la sublimait -faisant d’elle tantôt une princesse bulgare tantôt une ballerine de Degas- faisait de moi une brave une brave fille de ferme. Le constat de ce nouvel échec aurait pu mettre fin à ma manie de l’idéalisation. Mais non. J’aimais et j’aime toujours admirer. C’est mon moyen de transport fétiche. Je veux être ce que je ne suis pas. Je veux être là où je ne suis pas. Peu importe que j’y parvienne ou non, car le plaisir est garanti par le trajet.

La recette de cuisine du gâteau de sa grand-mère.

« Combien tu mets de farine ? » lui ai-je demandé. « Un péï »,a-t-elle répondu. « Et combien de sucre ? » « Un péï. » « Comme la farine alors ? »  » Non, pas comme la farine,. Un péï. » J’ai laissé tomber. Elle a ajouté l’hile, à batti avec le battèr, elle a kisinéï, dans sa kisine, à sa façon qui ne serait jamais la mienne, et j’ai accepté de perdre pour toujours la saveur de mon gâteau préféré. J’ai accepté l’idée que quand elle mourrait, le gâteau mourrait avec elle.

Vieillir.

-C’est quoi, le pire, pour toi dans le fait de vieillir ?
– La douleur. Le mouvement entravé. La fin de la souplesse. La laideur. J’ai j’ai honte de tout, de mes cheveux, de mon visage, de mes mains, de mes pieds (je ne parle pas du reste). C’est comme si je polluais l’espace visuel collectif. Cela me rend malade de timidité. Je ne sais pas comment m’habiller, comment m’asseoir, comment me relever. J’ai l’impression de m’être endormie dans un corps et de m’être réveillée dans un autre.

Je comprends sa mère.

Ce qui ressemble à un paradoxe n’en est pas un : indisponible elle l’était, pour boire un café, se promener bavarder au téléphone. Mais fiable et présente, elle l’était aussi, pour s’occuper des enfants, me conduire en voiture, m’aider à préparer un repas. Autrement dit, si c’était pour le plaisir -le sien en particulier-, c’était souvent non. Si c’était pour se rendre utile c’était toujours oui.

Le brouillon et la vie.

À l’école, on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à essayer, à s’entraîner avant de « faire pour de bon » structure notre existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu’une fois. Le brouillon sera la seule tentative et coïncider avec la version définitive.

C’est aussi une de mes idoles.

Cela m’évoque la félicité grammaticale que j’ai éprouvée en lisant ce que Jean-Pierre Minaudier, historien reconverti en linguiste et traducteur du basque et de l’estonien, écrit concernant un suffixe présent dans la langue guarani. Cette particule que l’on ajoute à la fin de l’année permet d’en modifier la modalité, et d’indiquer ainsi différents états d’un même objet ou d’un même être. » En guarani, note-t-il, il y a non seulement un passé, mais un futur et un « frustratif » nominaux. « Chemanékue » veut dire « celui qui était mon époux, « chéménarã » « mon futur époux, et « chéménarãngue » « celui qui devait être mon époux mais ne l’est pas devenu. Je me rappelle avoir été ébahie en entendant cette déclinaison. Le génie de Minaudier n’y était pas pour rien. Avoir l’idée, pour nommer un mode grammatical, de forger le néologisme « frustratif » à fait de lui une de mes idoles.

 

 


Édition Philippe Ry

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent

Deux énormes coups de cœur à suivre c’est rare et cela fait du bien !

Ce roman est absolument magique et très prenant. Il s’agit d’une histoire d’amour au sein d’une famille traditionnelle chrétienne de grands notables égyptiens. Tarek, fils d’un médecin reconnu du Caire, suit les traces de son père et obéit aux injonctions familiales en se mariant et en essayant de fonder une famille. Sa vie va être bouleversée par la rencontre d’Ali, un jeune prostitué musulman qui lui demande de soigner sa mère. Atteinte, on le comprendra petit à petit, d’une maladie dégénérative terrible, la maladie de Huntington. Un amour très fort unira les deux hommes, mais hélas, Ali disparait, et Tarek fuit au Canada. Il ignorait que sa propre femme était enceinte, il a un fils Rafik qui veut savoir, comprendre et connaître ce père dont personne ne lui parle dans sa propre famille.
La force du roman tient, bien sûr, à l’écriture absolument superbe et à la construction du récit. Dans la première partie nous suivons Tarek, on comprendra à la fin du roman l’utilisation du « tu » comme si Tarek se parlait à lui-même, on sent que ce personnage se cherche et on découvre tout le poids de l’Égypte, les notables, la misère et les traditions. Mais aussi la chaleur de cette famille qu’il va trahir en assumant d’abord sa sexualité puis en fuyant à l’autre bout du monde. Ensuite nous entendons, Farik son fils qui, par petites touches, essaye de comprendre cette histoire. Mais celle qui sait tout la mère de Tarek et grand mère de Farik, ne dit rien, elle sait trop de choses pour pouvoir parler. Heureusement, il y a la bonne Fateya, celle qui, par sa cuisine apporte de la douceur dans cette famille si raide, celle qui sait tout car elle écoute aux portes. Et enfin, nous saurons tout au sujet d’Ali qui a vraiment aimé Tarek, mais qui, s’il était resté près de lui entraînait toute cette famille dans l’opprobre du « quand dira-ton » égyptien qui fait qu’on peut utiliser les services d’un prostitué mais jamais au grand jamais avouer son homosexualité.

Un roman qui m’a emportée et j’espère que vous le lirez vous aussi

Extraits

Début.

Le Caire 1961
– Quelle voiture voudrais-tu plus tard ?
Il avait posé cette simple question, mais tu ignorais alors qu’il fallait se méfier des questions simples.

La mort de son père.

 Ils scrutaient le sillon obscur creusé sous vos yeux par la fatigue, et le frémissement s’emparant de vous au moment où ils prononçaient le nom du défunt, puis repartaient avec le goût mêlé des pâtisseries à la pistache et du devoir accompli. Pour certains, la mort est résolument ce que la vie peut offrir de plus divertissant.

Le métier d’Ali.

 – Tu veux dire que toi… et lui… ?
 Il fit une moue faussement outrée.
– Tu crois que tu fais le seul métier où les gens acceptent qu’on les palpe ?
 Tu n’arrivais plus à contenir ton rire. L’image de ce magnat de coton craint dans tout pays et surpris par son amant au moment d’évoquer ces problèmes d’impuissance, était plus savoureuse que toutes les « nokats » égyptiennes que l’on avait pu te raconter.

La rumeur.

 Le bruit se répandit qu’un garçon de mauvaise vie t’assistait dans ta pratique médicale. Les gens aiment parler de « mauvaise vie  » : cela revient à dire en creux que la leur est irréprochable. Il est toujours commode de laver son âme au vice des autres. Tu n’aurais pas su dire les chemins que cette rumeur avait empruntés mais son origine était claire : elle portait la signature de d’Omar. Lui qui avait reconnu Ali dans ton cabinet quelques semaines au paravent connaissait bien cette règle élémentaire : qui n’est pas le chasseur devient rapidement la proie. Il avait donc tiré le premier coup

Ce que Tarek , médecin, sait de l’homosexualité.

 Tu ne savais pas grand chose de l’homosexualité. Il s’agissait pour les uns d’un motif de plaisanterie, pour les autres d’une perversion venue de l’Occident, mais rarement de thème dont on discute.

Un joli mot « déchagriner ».

 Tu faisais mine de t’attendrir de ses récits de jeune mère, d’avoir hâte de rencontrer celui qui partageait sa vie. Ce n’est pas tant que ses histoires t’importaient mais tu étais heureux de retrouver ta sœur d’entendre cette voix familière déchagriner son quotidien. Ce que vous vous disiez était finalement secondaire.

 

 


Édition Robert Laffont

 

L’aristocratie est un monde de pures formes

L’aristocrate est, par excellence, quelqu’un qui se prend pour un aristocrate.

Personne n’est obligé de lire Proust. Mais tout le monde perd à l’ignorer. 

J’ai envie de mettre 5 coquillages à cette écrivaine pour savoir mieux que beaucoup faire aimer et comprendre Proust et à nouveau 5 coquillages pour nous faire comprendre de l’intérieur ce que cela veut dire de faire partie de l’aristocratie française. 10 coquillages ! C’est dire que je ne trouve pas les mots adéquats pour décrire mon enthousiasme pour ce livre qui est qualifié d’essai et qui vaut tous les livres d’autofiction que j’ai pu lire ces derniers temps.

Laure Murat descend d’une lignée de princes de l’empire par son père et d’une noblesse de l’ancien régime par sa mère, Ines d’Albert de Luynes. Elle est rejetée de la famille, surtout de sa mère, quand elle avoue son homosexualité. Un jour en regardant « Downtown Abbey » elle a une révélation, elle comprend que sa famille est construite sur une apparences et qu’il ne faut jamais montrer les efforts (les siens ou ceux des domestiques) qu’il faut faire pour tenir son rang. Le naturel ? c’est ce qui demande le plus d’efforts quand il ne doit être ni une expression de ses sentiments, ni une affirmation de sa personnalité. La plongée dans sa famille, lui fait mesurer à quel point seules les apparences sont importantes, il faut tenir son rang et ne jamais se comporter « comme une domestique ! » . Toutes les déviances n’ont aucune importances si elles sont cachées, et en recherchant l’histoire de sa famille Laure se rend compte que sa grand-mère maternelle doit être en réalité une enfant que son arrière grand-père a fait à une nièce. Mais inutile de chercher à savoir ce qui ne sera jamais mis au grand jour.

L’autre révélation de Laure Murat, elle se trouve dans l’œuvre de Marcel Proust, d’abord parce que nombre de ses ancêtres ont servi de modèle aux aristocrates décrits par Proust. Je pensais avant de lire ce livre que c’était surtout de cela qu’elle allait nous parler, et je n’étais pas très tentée par cette lecture, j’y voyais une sorte de Bottin mondain. Mais c’est tout le contraire, elle reconnaît à cet auteur le fait qu’il a su décrire le vide de ces personnalités qui à force de ne vouloir que paraître ne sont le plus souvent que des coquilles vides. Elle est mieux placé que quiconque pour faire un sort à celui que l’on méprise parfois pour être un auteur « mondain ! » alors que justement il a su montrer qu’il n’y avait pas grand chose derrière ces façades de « bons goûts ». Ensuite, elle était bien placée pour comprendre comment Proust décrit l’homosexualité et elle retrouve encore une fois le poids du jugement de sa propre famille : ça ne se dit pas ! même si tout le monde sait que ça se fait, bien sûr. Elle enseigne aux États-Unis, dans une université californienne et elle fait découvrir Proust à des étudiants qui vivent à l’heure des textos et sous le soleil de la plage. Si loin leur semblent-ils de ce monde du début du XX° siècle français. Mais je suis certaine qu’elle sait leur montrer qu’il suffit de rentre dans cette œuvre pour s’y retrouver, car il s’agit bien encore une fois d’un auteur qui décrit « l’humaine condition »

Vous retrouverez dans son livre des extraits de la Recherche, toujours parfaitement choisis : vous n’oublierez l’attitude de la Duchesse de Guermantes lorsque son ami Swann vient de lui annoncer que, s’il ne vient pas à Florence avec elle, c’est qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre, elle lui dit de venir dîner un soir parce que là elle n’a n’a pas le temps de lui parler mais, le temps, elle le prend pour remonter changer de chaussures que son mari trouve inapproprié avec la robe qu’elle a choisie  ! ! ! (j’ai recopié ce passage dans les extraits)

On lui doit donc beaucoup à cette écrivaine, d’abord de partager avec nous sa passion pour Proust et ensuite de démystifier l’aristocratie française. Je doute que celle des autres pays soit très différente ! Mais en France, il y a eu la révolution, mais cela n’empêche pas les nobles d’aujourd’hui de se parer des titres de prince/princesse, duc/duchesse …..

Extraits

 

Début.

 Il m’a fallu des années pour comprendre une chose très simple. Elle m’a sauté aux yeux lorsqu’un soir regardant une épisode de « Downton Abbey » , j’ai découvert la scène où le maître d’hôtel sort un mètre devant la table dressée pour le dîner afin de mesurer la distance entre la fourchette et le couteau et de s’assurer que l’écart entre les couvert est le même pour chaque convive

Parler de l’aristocratie.

À ses doutes s’ajoute un piège incontournable propre à l’aristocratie, surtout lorsque l’on en sort  : dès qu’on en parle, on a l’air de se vanter. Comme si les titres nobiliaires et les noms à particule diffusaient, à peine prononcés dans l’air ambiant, l’arrogance et la vanité de toute une classe. Mais je n’ai rien à revendiquer, ni d’ailleurs à renier, d’un état civil ou les hasards de la naissance m’ont jetée. Et je n’éprouve ni fierté ni honte devant mon arbre généalogique, pour la simple raison que je ne crois pas dans une existence à l’évidence socialement déterminée, ni là la loi du sang, ni à la fatalité d’un héritage envisagé comme un destin.

 

La bonne éducation.

 On ne parle jamais de soi, on ne fait pas de vagues, on évite les sujets qui fâchent car « c’est assommant », et il est impensable de montrer quelque émotion en public. La joie et la peine, l’excitation et la douleur, l’enthousiasme et la mélancolie sont affaire de classe. « On ne pleure pas comme une domestique » répétait mon arrière grand-mère, que la haine de l’effusion avait poussée à donner un bal à la mort d’un de ses fils, engagé volontaire tombé pour la France en 1916 à l’aube de son vingtième anniversaire

Rire.

 Il y a quelques années de passage à Paris, je traversais le parc Monceau pour me rendre à un rendez-vous quand j’entends dit un homme dans mon dos lancer sur un ton impérieux : « Princesse ! ». Je me suis retournée instantanément, sans réfléchir une seconde, pour savoir ce qu’il me voulait. Il rappelait sa chienne.

Les contemporains de Proust.

 Ni Gide ni Colette, agacés à la même époque par ce mondain érudit et cérémonieux qui commettait des articles au « Figaro » n’auront plus de prescience. Et cet aveuglement persistera jusqu’au fameux refus par Gallimard du manuscrit de « Du côté de chez Swann », assorti de ce commentaire lapidaire : « Trop de duchesses ! ».

La découverte de « la recherche du temps perdu ».

 Non seulement ce monument littéraire n’était pas le fort imprenable et dont on m’avait menacée, mais il formait l’espace « intelligent » qui invitait à tourner sans fin, entrer, sortir, grimper, redescendre, emprunter tous les escaliers et arpenter tous les couloirs du Temps.

Quel hommage !

Mais le plus sidérant, c’était que toutes les scènes « lues » où l’aristocratie entrait en jeu étaient infiniment plus vivantes que les scènes « vécues » dont j’avais été le témoin, comme si Proust, à l’image du Dr Frankenstein, élaborant sous mes yeux le mode d’emploi des créatures que nous étions.

La mère de Laure Murat.

De ma mère jamais un baiser, dont elle exécrait jusqu’à l’idée même. Ce régime ne m’était pas réservé. Elle était sous ce rapport, et sans doute sous ce rapport exclusivement, d’un égalitarisme sans défaut, au point de tous nous tenir à distance d’un simple geste d’avertissement, avec la main préventive du policier arrêtant la circulation, comme s’il y avait autour de son corps une ligne invisible à ne jamais franchir. Rien. Rien du tout.

L’annonce de son homosexualité.

Lui dire que je vivais avec une femme. Je l’ai vue se décomposer. Elle était pâle. Pas un muscle de son visage ne tremblait, mais je sentais qu’un orage intérieur, épouvantable, sinistre, s’était levé. J’accomplissais l’inconcevable. Je brisais le code. Sa réponse à ce qui n’était pas une question a tenu en deux phrases lâchées avec cette âpreté qu’elle assimilait à de la dignité :  » Tu incarnes à mes yeux l’échec de toute une éducation morale et spirituelle » , et : « Pour moi, tu es une fille perdue. » . Je l’ai vue pleurer pour la première fois. C’est cela, surtout, que ma famille m’a le plus reproché : tu as fait pleurer ta mère en public. Comme une domestique.

J’ai ri.

Une année, une de mes sœurs avait spontanément adopté le tic d’une de ses professeures d’école qui ajoutait des « eu » traînants à la suite de certains mots, comme dans « Je suis allée à la piscin-eu », sonorisation du e muet que la linguiste appelle « e prépausal ». Je vois encore la panique sur le visage de ma mère, comme si la famille Groseille au complet avait pris possession du larynx de ma sœur.

J’ai encore ri.

La seule fois qu’il a pris l’autobus de sa vie (avec moi, je devais avoir alors vingt ans) , ignorant des usages, il s’adressa directement au chauffeur pour lui communiquer l’adresse où nous nous rendrons.

Pour finir une des pages inoubliables où Proust dit tout de l’aristocratie française.

« Je voudrais tout de même savoir, lui demanda Mme de Guermantes, comment, dix mois d’avance, vous pouvez savoir que ce sera impossible.

— Ma chère duchesse, je vous le dirai si vous y tenez, mais d’abord vous voyez que je suis très souffrant.

— Oui, mon petit Charles, je trouve que vous n’avez pas bonne mine du tout, je ne suis pas contente de votre teint, mais je ne vous demande pas cela pour dans huit jours, je vous demande cela pour dans dix mois. En dix mois on a le temps de se soigner, vous savez. »

À ce moment un valet de pied vint annoncer que la voiture était avancée. « Allons, Oriane, à cheval », dit le duc qui piaffait déjà d’impatience depuis un moment, comme s’il avait été lui-même un des chevaux qui attendaient.

« Hé bien, en un mot la raison qui vous empêchera de venir en Italie ? » questionna la duchesse en se levant pour prendre congé de nous.

« Mais, ma chère amie, c’est que je serai mort depuis plusieurs mois. D’après les médecins, que j’ai consultés, à la fin de l’année le mal que j’ai, et qui peut du reste m’emporter tout de suite, ne me laissera pas en tous les cas plus de trois ou quatre mois à vivre, et encore c’est un grand maximum », répondit Swann en souriant, tandis que le valet de pied ouvrait la porte vitrée du vestibule pour laisser passer la duchesse.

« Qu’est-ce que vous me dites là ? » s’écria la duchesse en s’arrêtant une seconde dans sa marche vers la voiture et en levant ses beaux yeux bleus et mélancoliques, mais pleins d’incertitude. Placée pour la première fois de sa vie entre deux devoirs aussi différents que monter dans sa voiture pour aller dîner en ville, et témoigner de la pitié à un homme qui va mourir, elle ne voyait rien dans le code des convenances qui lui indiquât la jurisprudence à suivre et, ne sachant auquel donner la préférence, elle crut devoir faire semblant de ne pas croire que la seconde alternative eût à se poser, de façon à obéir à la première qui demandait en ce moment moins d’efforts, et pensa que la meilleure manière de résoudre le conflit était de le nier. « Vous voulez plaisanter ? » dit-elle à Swann.

« Ce serait une plaisanterie d’un goût charmant, répondit ironiquement Swann. Je ne sais pas pourquoi je vous dis cela, je ne vous avais pas parlé de ma maladie jusqu’ici. Mais comme vous me l’avez demandé et que maintenant je peux mourir d’un jour à l’autre… Mais surtout je ne veux pas que vous vous retardiez, vous dînez en ville », ajouta-t-il parce qu’il savait que, pour les autres, leurs propres obligations mondaines priment la mort d’un ami, et qu’il se mettait à leur place, grâce à sa politesse. Mais celle de la duchesse lui permettait aussi d’apercevoir confusément que le dîner où elle allait devait moins compter pour Swann que sa propre mort. Aussi, tout en continuant son chemin vers la voiture, baissa-t-elle les épaules en disant : « Ne vous occupez pas de ce dîner. Il n’a aucune importance ! » Mais ces mots mirent de mauvaise humeur le duc qui s’écria : « Voyons, Oriane, ne restez pas à bavarder comme cela et à échanger vos jérémiades avec Swann, vous savez bien pourtant que Mme de Saint-Euverte tient à ce qu’on se mette à table à huit heures tapant. Il faut savoir ce que vous voulez, voilà bien cinq minutes que vos chevaux attendent. Je vous demande pardon, Charles, dit-il en se tournant vers Swann, mais il est huit heures moins dix. Oriane est toujours en retard, il nous faut plus de cinq minutes pour aller chez la mère Saint-Euverte. »

Mme de Guermantes s’avança décidément vers la voiture et redit un dernier adieu à Swann. « Vous savez, nous reparlerons de cela, je ne crois pas un mot de ce que vous dites, mais il faut en parler ensemble. On vous aura bêtement effrayé, venez déjeuner, le jour que vous voudrez (pour Mme de Guermantes tout se résolvait toujours en déjeuners), vous me direz votre jour et votre heure », et relevant sa jupe rouge elle posa son pied sur le marchepied. Elle allait entrer en voiture, quand, voyant ce pied, le duc s’écria d’une voix terrible : « Oriane, qu’est-ce que vous alliez faire, malheureuse. Vous avez gardé vos souliers noirs ! Avec une toilette rouge ! Remontez vite mettre vos souliers rouges, ou bien, dit-il au valet de pied, dites tout de suite à la femme de chambre de Mme la duchesse de descendre des souliers rouges.

— Mais, mon ami », répondit doucement la duchesse, gênée de voir que Swann, qui sortait avec moi mais avait voulu laisser passer la voiture devant nous, avait entendu, « puisque nous sommes en retard…

— Mais non, nous avons tout le temps. Il n’est que moins dix, nous ne mettrons pas dix minutes pour aller au parc Monceau. Et puis enfin, qu’est-ce que vous voulez, il serait huit heures et demie, ils patienteront, vous ne pouvez pourtant pas aller avec une robe rouge et des souliers noirs. D’ailleurs nous ne serons pas les derniers, allez, il y a les Sassenage, vous savez qu’ils n’arrivent jamais avant neuf heures moins vingt. »

La duchesse remonta dans sa chambre.

« Hein, nous dit M. de Guermantes, les pauvres maris, on se moque bien d’eux, mais ils ont du bon tout de même. Sans moi, Oriane allait dîner en souliers noirs.

— Ce n’est pas laid, dit Swann, et j’avais remarqué les souliers noirs qui ne m’avaient nullement choqué.

— Je ne vous dis pas, répondit le duc, mais c’est plus élégant qu’ils soient de la même couleur que la robe. Et puis, soyez tranquille, elle n’aurait pas été plus tôt arrivée qu’elle s’en serait aperçue et c’est moi qui aurais été obligé de venir chercher les souliers. J’aurais dîné à neuf heures. Adieu, mes petits enfants, dit-il en nous repoussant doucement, allez-vous-en avant qu’Oriane ne redescende. Ce n’est pas qu’elle n’aime vous voir tous les deux. Au contraire, c’est qu’elle aime trop vous voir. Si elle vous trouve encore là, elle va se remettre à parler, elle est déjà très fatiguée, elle arrivera au dîner morte. Et puis je vous avouerai franchement que moi je meurs de faim. J’ai très mal déjeuné ce matin en descendant de train. Il y avait bien une sacrée sauce béarnaise, mais malgré cela, je ne serai pas fâché du tout, mais du tout, de me mettre à table. Huit heures moins cinq ! Ah ! les femmes ! Elle va nous faire mal à l’estomac à tous les deux. Elle est bien moins solide qu’on ne croit. »

Le duc n’était nullement gêné de parler des malaises de sa femme et des siens à un mourant, car les premiers, l’intéressant davantage, lui apparaissaient plus importants. Aussi fut-ce seulement par bonne éducation et gaillardise, qu’après nous avoir éconduits gentiment, il cria à la cantonade et d’une voix de stentor, de la porte, à Swann qui était déjà dans la cour :

« Et puis vous, ne vous laissez pas frapper par ces bêtises des médecins, que diable ! Ce sont des ânes. Vous vous portez comme le Pont-Neuf. Vous nous enterrerez tous ! »

 

 

Édition Presse de la Cité

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Mon père, Roger Alphonse Franc était maçon. Il avait les mains courtes, dures. Et militant, il avait le verbe haut, ne laissait personne parler à place. Et poète, il écrivait des vers interminables dans la langue du Sud, cette merveille oubliée qui m’embrumera toujours les yeux.

Un fils vit à Londres loin de Montpellier où habite son père , il veut à travers ce texte le faire revivre alors qu’ils ont toujours eu du mal (et c’est peu de le dire !) à se comprendre.

Le drame initial, c’est le fait que sa mère est morte quelques jours avant que la maison que son mari, maçon, a construite pour elle. La famille ne s’en remettra pas, le narrateur qui ressemble si fort à l’auteur deviendra un enfant difficile et un mauvais élève. La petite sœur semble aller bien mais son silence aurait dû inquiéter sa famille. Le père est fou de douleur et comprendra encore moins son fils. Il y a une scène émouvante, l’enfant est tellement compliqué que son père décide de l’envoyer dans une école militaire pour le « redresser ». Au dernier moment son père le prend dans ses bras et l’enfant continuera sa scolarité plutôt mal que bien dans sa famille.

Si on remonte dans le passé de son père, on voit un enfant qui aurait dû faire des études, mais pour cela il fallait accepter qu’un « Monsieur » les aide, l’enfant de 12 ans travaillera dans la vigne. Très vite, il deviendra un ouvrier avec une conscience prolétaire et deviendra communiste. Pendant la guerre de 1940, il réussira à revenir et ensuite il s’installera comme maçon à son compte.

Cet homme sera amoureux de sa femme qui vient d’un milieu catholique, ils auront deux enfants, l’auteur et une petite fille. Quelques bons souvenirs à la plage avec des cousins.

Après la perte de sa femme il mettra du temps à retrouver une compagne qui l’aidera à vivre. Malheureusement, sa fille la jeune sœur de l’auteur était neurasthénique et se suicidera.

Voilà à peu près les faits mais cela ne dit pas tout, loin de là ! Tout vient de la façon dont l’auteur s’exprime, il a ce talent particulier de faire sourire souvent, mais aussi il raconte si bien la tristesse de l’enfant. Et enfin il rend un bel hommage à son père, cet homme, ouvrier maçon qui écrit des poèmes en langue occitane .

 

Extraits

 

Début.

 C’est arrivé d’un seul coup. Comme une apparition. Il se peut que, sidéré, je me sois exclamé à voix haute : « Oh mon Dieu… » J’eus l’impression de traverser le miroir. Oui, il était là dans le reflet de l’imposante vitrine du magasin vers lequel je me hâtais comme tous, au passage piéton dans la foule de Brompton Road. Il venait, j’allais vers lui. Un un léger effroi m’a saisi.

La maison de retraite .

À son arrivée au « chenil » -il appela ainsi la maison de retraite où il avait choisi de terminer sa longue course-, il ne s’émut pas. Sans se retourner, il venait de quitter sa chère maison, sa vie d’avant, toute sa vie, emportant dans un sac plastique à 20 centimes, spécialité de Carrefour un de ces pauvres pyjama rayé dont les vieillards ont si souvent le goût. Il avait ajouté quelques chemises repassées.
 » Au cas où le soir où il y aurait dancing » précisa-t-il .
J’ai toujours aimé chez lui cette fausse tranquillité. Son humour.

 Bien raconté.

Quand il plâtrait une pièce vide, il chantait « …. et je vous aime mon amour… ». Dans la pièce à côté, le carreleur aussi chantait. Et plus loin, le plombier chantait. L’électricien ne chantait pas, impossible pour lui qui avait toujours une vis dans le bec et des doigts trop gros pour de si petits écrous.

Les désillusions de la politique .

 Les voyous du Parti, les braves gens amateurs de lendemains qui chantent, sont les cocus de l’histoire. Et oui ça sentait de plus en plus le chaud. Et derrière tous ceux là se lèveront, se sont déjà levés, d’autres apprentis cocus, crapules à la petite semaine, sans compter les saints, les vertueux puants, prêts à en découdre, les amis éternels autoproclamés, de la classe ouvrière.
Dont nous ne sommes plus. 
Dieu merci. 

Les silences père fils.

Je ne sais pas parler avec lui.
C’est ainsi.
Trop de silences ont sédimenté entre nous.
Parler. De quoi ? De nous ? Des tempêtes que nous avons traversées, qui nous ont faits tels que nous sommes.

 

 


Édition Fleuve

 

Moi qui croyais être née dans une famille normale !

Elle est normale justement . Tu en connais beaucoup des familles où tout le monde s’aime, se parle sans hypocrisie ni jalousie, et ne cache rien à personne ?

Je dois à Gambadou l’achat et donc la lecture de ce roman, et si contrairement à mes habitudes je le fais paraître ce billet le lendemain du livre d’Anne-Marie Garat « Chambre noire », c’est pour souligner à quel point deux récits de secrets de famille peuvent donner des récits différents. Cette auteure écrit souvent pour l’adolescence mais je dois avoir gardé un côté ado , car j’aime toujours lire ses romans. Ici il s’agit d’un roman adulte, mais que les adolescents aimeront lire, j’en suis certaine. Donc après, « le temps des miracles« , « pépites »  » Et je danse aussi« , « l’aube sera grandiose , voici donc » Valentine, ou la belle saison ». Autant dans le roman d’Anne-Marie Garat , on sentait l’engagement de l’écrivaine pour obtenir un style recherché, poétique et littéraire, au point de parfois devenir difficile à comprendre, autant Anne-Laure Bondoux cherche à faire passer ses sentiments et son récit dans une langue d’une simplicité qui me va bien. Autant l’une est sûre de ses postions idéologiques de gauche , autant l’autre est dans le doute ce qui me va bien aussi. Et pourtant ce roman se situe en 2017, au moment de l’élection présidentielle qui verra la vctoire d’Emmanuel Macron et divisera autant la droite que la gauche. Ce n’est que la toile de fond du roman, qui décortique un secret de famille à travers une femme de cinquante ans qui est obligée de prendre un tournant dans sa vie : elle a du mal à rester dans le monde de l’écriture, elle doit déménager, car son ex un certain Kostas dont elle est divorcée, avait obtenu grâce à se amis du PS un logement social qu’elle doit quitter. Car depuis l’affaire Fillon, les journalistes seraient plus regardants pour ce genre de passe droit, ses enfants sont pratiquement adultes et elle vient de perdre sa mère.

Elle retourne donc chez sa mère dans un village rural, (que j’ai situé en Aveyron) et là on comprend peu à peu que Valentine n’accepte pas la mort de sa mère qui revient vers elle sous forme d’hallucinations. Le passé de Valentine est douloureux, même si elle ne s’en souvient pas très bien, elle a oublié ou refoulé des souvenirs traumatisants à propos de son père.

Peu à peu les fils de l’histoire vont se remettre en place et la fin est surprenante. Bien sûr, c’est un peu idyllique mais tout à fait dans l’air du temps  : la vie en communauté intergénérationnelle est sans doute une des solutions pour aider les personnes âgées. à supporter la solitude.

Son frère Fred, le champion cycliste au cœur tendre, part lui aussi dans un divorce qui va être compliqué. Le retour au village de sa sœur va sans doute l’aider. Toute la petite communauté du village où ils ont grandi, crée une société d’entraide ambiance sympathique que l’on peut trouver un peu facile, mais parfois on a besoin de romans où tout n’est pas noir ni glauque ! Les secrets de la famille viennent de la vie de leur parents ! ah la génération de 68 et la libération sexuelle : ça laisse des traces et des problèmes à résoudre aux enfants, ce n’est pas toujours faciles pour eux

Bref un roman agréable et qui permet de passer des soirées loin des problèmes si graves de notre planète.

 

Extraits

 

Début.

Encore reçu un appel du cabinet Praquin et Belhomme ce matin. J’étais sur la route, vent de face au beau milieu d’une côte, il commençait à pleuvoir, ça glissait, impossible de décrocher. Maître Paquin m’a laissé un message. C’était ce que je craignais  : il voulait savoir si j’avais mis Valentine au courant. Évidemment, depuis le temps que je lui promets de le faire….

Un des problèmes de Valentine .

 – Cette histoire d’appartement est tellement ancienne, tu parles, je n’y pensais plus… Mais là, toute l’équipe de campagne a été briefée : c’est opération mains propres. Avec ce qui arrive à Fillon on ne peut pas se permettre de risquer notre image, tu comprends ? Les journalistes sont des hyènes. S’ils enquêtent sur moi, ils vont remonter jusqu’à toi l’histoire du HLM ne passera pas.
 Pour Valentine, c’était le steak de thon qui ne passait plus. Espérant retrouver la parole, elle avait vidé son verre de vin puis la bouteille de Badoit. Mais que pouvait-elle faire ? Crier à l’injustice alors qu’elle abusait depuis vin en danois comment sociale obtenue par passe-droit ? 

Un groupe d’amis.

Hélène et elle s’étaient connues au sein du syndicat étudiant, alors que Valentine arrivait tout juste de sa province. Elles avaient milité ensemble, au milieu d’une petite bande parmi lesquels Kostas et Simon le futur mari d’Hélène faisaient figure de meneurs. Par la suite Simon et Hélène avaient suivi un chemin, Valentine une autre, la fracture idéologique s’élargissait et elle devinait que ces élections allaient achever de les éloigner. À moins que ce soit à cause de ce moment d’égarement qui l’avait conduite a coucher avec Simon -trois fois de suite quand même- l’été dernier ? Difficile de faire la part des choses 

Édition Babel Acte Sud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Ce mois de janvier 2024,le thème du club de lecture, autour des photos, permet à la bibliothécaire de ressortir des romans peu lus et pourtant intéressants. Cette écrivaine Anne-Marie Garat, a été récompensée par des prix littéraires et a connu un succès certain mais pas tellement pour ce roman. Spécialiste de l’image, elle rend hommage aux artistes de la photographie et dans ce roman, elle cherche à faire comprendre le poids de la photo pour celui qui la prend comme pour celui qui la regarde. Évidemment, en 1990, quand elle écrit ce roman, on en est au début du numérique, la photo d’art aujourd’hui existe-t-elle encore ? De toute façon la photographe professionnelle qui est décrite vit en 1986, elle prend donc des photos avec des pellicules et les tire elle-même avec les procédés argentique. Tout le roman tourne autour d’une famille de la région de Blois, qui possède une belle propriété, et le personnage important c’est une certaine Constance, mère de Madeleine (qui fête ses 96 an en 1986), et de Romain qui mourra en 1914, victime de la guerre alors qu’il n’a pas combattu : il est tombé et ne s’est jamais relevé !.
Tout est vraiment bizarre dans cette famille, Constance avait 14 ans en 1885 quand un juge lui a parlé gentiment. Elle déclare qu’il va l’épouser. À partir de là tout va dérailler, elle n’épousera pas le juge mais elle fera tout pour que son fils le devienne (juge !). Elle aura deux filles dont elle ne s’occupe absolument pas, trouvera une technique pour avorter de tous les bébés que son mari lui fera à chaque retour de voyage sauf de ce petit garçon qu’elle aimera d’un amour fusionnel. Celui-ci a une passion prendre des photos de sa maison au même endroit tous les ans. Constance a deux sœurs et Madeleine la plus jeune élèvera son petit neveu Jorge qui est amoureux de Milena la photographe professionnelle. Elle même vient d’un pays communiste et ses parents ne veulent pas lui raconter leur fuite. Fuite qui l’a beaucoup marquée. Ses parents ont été des ouvriers exploités, sa mère en usine et elle mourra d’une infection causée par un outil de l’usine, son père n’a pratiquement pas de retraite car il n’a pas été déclaré correctement. Jorge est le fils de Thérèse, la petite fille de Constance, et elle a sauvé un enfant juif pendants la guerre. Toutes les histoires se mêlent car l’auteure ne respecte pas la chronologie et il y a de quoi se perdre. Je trouve que l’auteur a voulu parler de tous les faits de société qui sont importants pour elle, et l’ont révoltée mais c’est trop touffu : la condition des femmes du début du siècle, la guerre de 14/18, la femme bourgeoisie qui s’ennuie en province, les enfants juifs cachés, l’exploitation des ouvriers, la condition sociale des émigrés, et la création artistique à travers la photographie. (et j’en oublie)

Le livre tient surtout pour son style, Anne-Marie Garat aime faire ressentir l’angoisse et les situations tendues à l’extrême, elle a un style très recherché parfois trop, et, même dans ses phrases, on peut se perdre.

Extraits

Début.

 Constance a rencontré le juge un dimanche de juin dans le parc de Mme Seuvert. Elle a quinze ans à peine et remplit sans effort apparent, avec l’indolence charmante, un peu froide avec la complaisance appliquée des jeunes filles d’alors son rôle de figurante dans les visites de voisinage.

Un portrait (et un peu d’humour , c’est rare).

 Et puis maigre, très propre, toute lustrée de deuil soyeux, et le front encore jeune et perdu sous sa mantille de dentelle noire armée par coquetterie de la canne à pommeau de feu Seuvert ; la figure fraîche, rose de joue, l’œil comme un grand café et l’oreille très fine, affectant un air de complaisance détachée, d’indulgente ignorance pour les liens et les plans qui se trament chez elle.

La vieille dame de 96 ans.

 « Alors tu es venue juste pour me souhaiter mon anniversaire. Tu fais bien, c’est le dernier. Je dis ça tous les ans, remarque. Je finirai par avoir raison. »

J’ai du mal avec ce genre de phrases poétiques (sans doute) mais que je ne comprends pas !

 Elle a froid , elle a mal au ventre, là où sont entrées les photographies, comme d’une déchirure froide. Elle a mal des images qui se fixent lentement dans sa chambre noire.

Les ronces.

 Le roncier semble inerte, cependant il est mû d’une puissance de guerre souveraine qui arme les rameaux d’épines redoutables, les allonge et les déploie en tous sens, hors de toute logique, dans une ignorance insultante de son désir enfantin. Planté là, le roncier pousse. Il puise dans la terre noire sa force vitale, sa méchanceté native. Il dresse devant l’enfant le mur de sauvagerie incompréhensible, la vésanie* hostile, insensée des choses qui existent. Indépendantes, naturelles. Indestructibles, insensibles, qui le rejettent à sa solitude impuissante.
(vésanie* veut dire folie)

L’importance du titre.

 Rendue à ce seuil, elle se souvient d’une image de porte noire ouverte sur les cris, l’indicible souffrance. Celle dont ni le père ni la mère ne révèlent ce qu’on trouve au delà. Parce que chacun a sa chambre noire. Apprends à y entrer, jusqu’au plus profond de son obscurité. Dans une totale solitude à en admettre l’obscurité. À y survivre.