Édition inculte

J’avais dit à « lireaulit » que je lirai ce livre, il ne faut pas être trop pressé car c’est chose faite en 2023 , (son article date du 11 avril 2020), j’ai enfin pu rayer dans ma liste ce livre auquel elle avait attribué un « énorme » coup de coeur. J’ai aimé aussi , mais un peu moins qu’elle vous pourrez comparer nos deux points de vue.

C’est un roman qui raconte un drame en milieu rural montagnard. La famille Anfosso se sent propriétaire non seulement de chez eux, ce qui est normal après tout, mais aussi de la montagne environnante qui est leur terrain de chasse au sens propre, mais aussi des consciences de tous les villageois car il ne fait pas bon s’opposer aux Anfosso, surtout quand ils lâchent leurs chiens ou qu’ils sont armés de leurs fusils toujours chargés.

Guillaume, un beau jeune homme, fils de gens qui sont venus à la retraite dans ce village, décide d’y construire une bergerie.

Des moutons sur leur montagne ! les Anfosso, en particulier Joseph, ne peuvent le supporter. Le roman se situe donc dans cette guerre et cette rancune si tenace et si amer qu’elle monte à la tête de tous les Anfosso . Tout le village le sent et sait que ça va mal se finir mais quand ce genre de conflit arrive dans un village fermé sur ses certitudes rien ne peut arrêter le torrent de la haine.

L’écriture cerne au plus près ce qu’il se passe dans ce genre de situation et nous entrons dans les réflexions les plus intimes de tous les protagonistes et en toile de fond le village qui est plus ou moins d’accord.

Je comprends bien le plaisir des mots et aussi celui que procure une tragédie annoncée au dénouement inéluctable, mais si j’ai un bémol à ce genre de lecture c’est justement que ce côté tragique ne raconte pas assez la diversité du monde. Les parents du beau et jeune berger habitent aussi ce village et ils y semblent heureux, pourquoi n’ont-ils pas réussi à briser ce cercle infernal ?

La jeune femme de Guillaume parle avec le médecin du village et on sait à quel point l’influence du médecin peut peser sur les consciences.
En réalité mon bémol vient de là , je ne crois pas à l’isolement de Guillaume, en revanche je n’ai aucune illusion sur le » bonheur » de vivre à la campagne.

Cela reste un bon moment de lecture et une très belle écriture.

Citations

Les cafés de village.

 Dans ces cafés de villages, les tables sont privées d’autonomie et d’intimité. On s’imagine passer quelques instants avec son employés ou son meilleur ami, mais en réalité on est tous ensemble assis à une immense table imaginaire. Que l’on soit derrière le zinc, juché sur une chaise haute, à une table au fond où qu’on s’abandonne quelques secondes sur le perron avant d’aller arroser les fleurs de la grand-mère, on participe de la même chose, chacun construit le bric-à-brac vacillant de la discussion 

Le chœur des femmes du village

(connaissez vous l’expression « se devoir se devoir de quelqu’un » ?)
 Le chœur sentait qu’il perdait Mireille et ça lui faisait un peu mal parce que tout le monde se devait un peu de Mireille – surtout Denise qui avait toujours tout partagé avec elle- mais on se refusait de sacrifier le collectif millénaire. Et puis, elle était vieille, on ne lui donnait plus très longtemps. Alors on préférait invoquer la dépression, le dérèglement, la sénilité. Il valait mieux se couper une main que laisser passer la gangrène.
Mireille basculait du côté du berger irrémédiablement. Bientôt elle aurait rentré sa chaise, ne participerait plus à aucune discussion Et perdrait de ce fait tous ses droits.

Lorsqu’on a que la haine en partage.

 Dans ces moments de faiblesse, il détestait les chasseurs et il se détestait de les haïr autant. Et les tenant pour responsable de ce dévoiement, il nourrissait une haine de plus en plus effrayante.
 Voilà, il leur ressemblait désormais. Voilà ce que je suis devenu, un Anfosso, se disait-il.
Puis il se reprenait, s’inventait une indifférence, à divertissement. Il se tournait vers sa femme, vers son fils, vers ses bêtes se rassurait, se laissait fondre en quelques instants, quelques heures au mieux.
Mais cela revenait. 
Cela revenait sans cesse.

 

 

 

 

 

 

 


Édition Folio poche . Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

Un auteur qui m’avait déçue avec la douce empoisonneuse et ravie avec le dentier du maréchal , ici je suis à mi route. J’ai bien aimé mais ce récit manque un peu de légereté. Le récit est en deux partie, la première raconte la construction d’un pont par Akseli Jaatinen dans le village de Kuusmäki. (Vous remarquerez le gout des finlandais pour les doubles voyelles ! !) . Tout de suite les notables du village déteste cet ingénieur trop efficace et aux méthodes expéditives. malgré tous le sennuis que la municipalité essaient de lui causer jusqu’à vouloir le mettre en prison il réussit à construire le pont dans le temps imparti.
la deuxième partie raconte sa vengeance contre tos ceux qui lui ont fait du mal. mais contrairement à Edmond Dantes (excusez cette comparaison mais mon petit fils adore Monté Christo) il ne cherche pas à nuire au village bien au contraire il ne cherche qu’à enrichir le village. Il applique des méthodes révolutionnaires pour construire une usine de ciment qui profite à tout le village et réussît à construire en trois mois une voie ferrée que tout le monde attendait depuis des lustres. En revanche le sdeux femmes qu’il honore de ses faveurs sont très heureuses de partager sa vie et de faire de lui « un homme heureux »

Seuls ceux qui continuent à lui nuire auront le spires ennuis mais il faut dire aussi qu’ils le cherchent bien. C’est un roman sympathique et qui se lit bien. J’ai lu ce livre à la suite d’un article sur la blogosphère mais j’ai oublié de noter le nom du blog.

 

Citations

Le coup de foudre.

 C’était une femme. Elle était là parmi les autres, mais ne leur ressemblait en rien. Elle était belle, douloureuses belle. Comment la décrire ? Des boucles brunes, des traits délicats, un nez droit, parfait, des yeux brillant de milliers de secrets … son cou de cygne émergeait de sa robe avec une grâce de déesse, ses seins idéalement placés se balançaient doucement tels de précieux trésors… et son corps ! Il cascadait des épaules aux hanches puis aux cuisses, aux genoux déliés à partir desquels les jambes s’amenuisaient, devenant chevilles, avant de disparaître dans délégants escarpins un ravissement !

Un finlandais amoureux .

 Un ingénieur des ponts, dans ces circonstances ressemble trait pour trait à toute autre Finlandais amoureux : il a un sur le visage une expression d’une incroyable stupidité, sa bouche se tord, un semblant de chansons monte vers le ciel et son regard erre dans les broussailles, et il roule sur sa bicyclette du côté gauche de la route.

Comment reconnaître un artiste.

 On vit arriver par l’autocar de Helsinki un petit moustachu fripé qui se présenta à Manssila et Jaatinen venus l’attendre à la gare routière : Kasurinen, sculpteur. L’homme sentait l’alcool frelaté, ce qui leur sembla prometteur. Kasirnen était de toute évidence un véritable artiste.


Ėdition JC Lattès

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

J’ai commencé ce livre en étant intéressée par l’histoire de cette petite fille si mal aimée par cette mère au cœur dur. Pour lui plaire, Alice devient une petite fille coquette qui participe à des castings et devient à l’adolescence une Miss Normandie .. et puis le cœur du roman que je vais dévoiler -surtout que les antidivulgâcheuse ne lisent pas la suite-, je précise quand même que je ne raconte pas la fin du roman, Alice est enfin heureuse avec Jean un homme dont elle a une petite fille Charlotte qu’elle adore. Le jour de son mariage sa mère lui apprend que Jean est son frère….La solution ? il n’y en a pas, alors elle fuit. Et moi aussi j’ai pris la fuite de ce roman où tout devient horrible. Et pourtant il me restait les trois quart du roman à lire, je n’ai pu le faire qu’en diagonale pour partir au plus vite des horreurs qui vont s’accumuler.

La situation de départ est tellement improbable et les réactions des différents protagonistes tellement stupides que je m’en voulais de lire de telles horreurs.
bref … lisez le si vous voulez et dites moi si vous avez résisté à cette accumulation de quiproquos qui poussent les personnages à avoir des conduites destructrices pour tout le monde.

 

Citations

Son frère aîné.

 A la naissance, sa cervelle de pinson a manqué d’oxygène et il est devenu singulier. Mongol, disent les gens. Et il restera pour toujours le tout petit de la famille. Le tiot .

Sa mère abandonnée .

 Après le départ du père ma mère devient une femme tourmenté un sanglot cristallisé.
Chacun leur tour deux homme tentent pourtant de vivre sous notre toit. Mais l’un comme l’autre se bornent à la libérer parfois de son chagrin, à lui offrir quelques battements de cœur et quand maman consent à bien vouloir lever les yeux vers eux, à ruisseler près d’elle. Las, ils finissent par partir.



Édition Dargaud

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Célèbre pour ‘le chat du Rabbin » (et pas du Rabbit), Joann Safr raconte dans ce récit autobiographique son enfance à Nice avec un père avocat. Sa mère est morte quand il avait 4 ans, le fils et le père ont tissé des liens très forts. Les engagements politiques de son père ne sont pas toujours faciles à comprendre, adepte de la non violence , il n’hésite pas à faire le coup de poing contre un homme qui devant lui se gare sur sa place privée de parking . Défenseur de la cause palestinienne, il coupe avec toutes les organisations françaises qui ne dénoncent pas le terrorisme (et il y en a beaucoup). Son fils s’ennuie ferme à la synagogue et cherche tous les moyens pour échapper aux offices qui lui semblent interminables. Son idée c’est de faire partie de ceux qui protègent la synagogue des attentats terroristes car du coup il reste dehors et surveille (efficacement ?) les abords de là synagogue. Donc, il s’initie aux sports de combat ce qui n’était pas dans sa nature première !

Cette BD est l’occasion de faire revivre une époque et une ville : Nice. C’est drôle et triste à la fois : comme la vie en quelque sorte. J’ai beaucoup aimée, je l’ai lue avec grand intérêt. Et je suis très contente de vous recommander une BD.

Citations

J’ai ri !

« Et bizarrement j’ai vu très peu de vrai docteur pendant mon séjour à l’hôpital. Des infirmières et des internes. »

 » Hospitalisation à l’hôpital c’est comme au foot, il vaut mieux jouer à domicile. »

Et un sourire de plus !

 « Il faut que je trouve un moyen pour ne plus aller à la synagogue. C’est insupportable. »
« Et encore, je n’aborde pas le sujet de l’office de kippour. Qui dure quoi ? Douze heures ? »
« On lit un bouquin trois fois comme Le Seigneur des Anneaux, en hébreu. Et parfois on répète mêmes passages. Ça me rend fou,. Littéralement. Il faut que je trouve un moyen de ne plus jamais vivre ça. »

Lapsus révélateur de Raymond Barre !

 « Il y eut quatre morts et quarante six blessés lors de l’attentat de la rue Copernic. Les victimes n’étaient pas toutes juives. »
Après le carnage, Raymond Barre, premier ministre de l’époque, aura les mots suivants.
 « Cet attentat odieux voulaient frapper les israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic. »
Pour se défendre de ce qu’il appellera un lapsus, Barre déclara plus tard :
« Cette opération indigne contre moi l’œuvre du lobby juif le plus lié à la gauche. »

Éclat de rire (Séance de self défense)

 « Je vous jure que je visais la tête »
 » C’est possible d’être assez con pour viser la tête et atterrir dans les couilles ? »
 » Je suis pas souple. »

 


Édition Liana Levy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

On ne peut pas changer le monde Ben, mais il faut tout faire pour qu’il ne nous change pas.

Sans mon club je n’aurai jamais ouvert ce roman car je déteste tout ce que l’auteur soutient, mais j’aurais eu tort car cet écrivain a une langue très particulière qui donne un ton original et très séduisant à son roman. Qu’est ce que je déteste ? Ce livre justifie sans aucune nuance toutes les violences des mouvements contestataires et se termine par enfin une action réussie qui n’a pas encore eu lieu la prise de l’assemblée nationale par le héros de l’histoire.

Ce qui m’a le plus manqué dans ce livre c’est l’humour (celui de Safr par exemple !) tout est tragique et sans espoir. J’ai quand même souri lorsque le héros rassemble tous les sigles créés par l’administrations françaises.

Et pourtant il y a de très belles pages dans ce livre. Des pages qu’on a envie de lire à haute voix car elle résonne comme des slams. Rouda sait raconter la violence, l’amour et l’amitié aussi . On peut le lire sans partager ses idées, sauf si pour l’auteur ce livre livre est une demande d’adhésion au parti de ceux qui pensent que seul une révolution violente serait la solution à tous les problèmes de la société française.

 

Citations

L’art de la formule.

 J’ai déjà confondus des cris de dispute avec des soupirs d’amour. Et comme mes parents s’engueulent plus qu’ils ne font l’amour, je préfère imaginer qu’ils s’aiment. Parfois entre les silences et les bruits de fourchettes qui raflent la faïence, j’essaie de leur poser des questions. Mais mon père répond toujours que c’est mieux de finir son assiette que de finir une phrase.

Un portrait positif d’une jeune femme.

 Oriane est curieuse de tout, elle te pose de vraies questions. Elle plante son menton dans ses mains, elle plonge ses yeux couleur de nuit dans les tiens et tu te sens unique. Comme elle s’intéresse à toi, à ce que tu as fait de ta journée, à ce que tu comptes faire des prochaines de ta vie elle te rend toujours intéressant. Elle écoute. Elle attend que tu ais finis tes phrases pour commencer les siennes.

Phrase d’Oriane.

On ne peut pas changer le monde Ben, mais il faut tout faire pour qu’il ne nous change pas.

Portrait de lui en militant avec un peu de distance !

 Je suis incollable sur l’Histoire de la gauche française. Lorsqu’on sort en soirée, je tiens de grands discours sur les luttes politiques. J’ai un avis sur tout et surtout un avis sur rien. J’arrive à me persuader que je suis convaincu de ce que je dis, et je porte de la banlieue en étendard. Je me prends pour un militant du réel avec ma paire de Nike est ma veste Lacoste.

Le goût de la France pour les sigles ou acronymes.

Mon CDD, qui ne sera jamais un CDI, se passe dans un CADA. Attention. Pas un SPADA. Ni un CHRS. Quand l’ADA est enregistré au GUDA, et si l’OPC est validée les demandeurs d’asile peuvent avoir accès aux CMA. Alors, je peux les accompagner pour la CMU, l’AME et l’ASA. Mais s’ils sont déboutés par l’OFPRA, je les aide à monter leurs dossiers CNDA, pour éviter qu’ils attendent dans un CRA avec une OQTF.


Édition Rivages(Plont) 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

J’ai adoré la première partie de ce roman, un peu lassée dans la seconde et ennuyée à la fin. Je m’explique le début du roman décrit un homme très oublié : Augustin Mouchot qui croit à l’énergie solaire et qui invente une machine dont il fera la démonstration à Napoléon III à Biarritz. Son enfance est marquée par la maladie , et son père comprendra très vite que ce petit être souffreteux réussira mieux dans les études que dans son atelier. Mouchot devient donc professeur dans un lycée mais sa grande idée c’est d’utiliser le soleil comme source d’énergie. Et ça a presque marché , pour cela il faut du soleil ! et la Touraine n’en est pas toujours pourvue.
Dans la seconde partie on le voit grâce à l’aide d’un homme plus entreprenant que lui réussir à s’imposer comme chercheur et décidé de partir en Algérie pays où le soleil est plus fréquent.

En réalité, ses recherches se heurtent à l’essor du charbon. l’Europe profite alors une source d’énergie si peu chère que le solaire, très compliqué à dompter, intéresse peu les dirigeants de ce monde.
Arrive la troisième partie du livre, la déchéance du presque complètement oublié Augustin Mouchot qui vit avec une mégère alcoolique dans un bouge immonde ! Et là j’aurais volontiers abandonné la lecture sans la motivation de la discussion du club.

Je rédige bien vite cet article car, malgré le talent et l’humour de l »auteur, je sais que je vais tellement vite l’oublier moi aussi ce pauvre Augustin Mouchot.. La seule question que je me pose c’est de savoir ce qu’il aurait fallu pour que les recherches autour du soleil continuent même si l’énergie fossile a été pendant plus de deux siècles très bon marché.
J’avais lu de cet auteur « Sucre noir » que j’avais bien aimé.

 

Citations

 

Un début accrocheur.

 Son visage n’est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d’histoire. Personne n’est présent dans ses défaites, rares sont ceux qui assistent à ses victoires.

L’enfance sous le signe de la maladie en 1826.

 Il attrapa la variole, la scarlatine, la diphtérie, la fièvre, une diarrhée qui dura 14 jours, une forme rare de chlorose qu’on disait réservé aux jeunes filles de la haute société et, longtemps, le voisinage se demanda comment cet être sans force ni résistance avait pu survivre à une telle tempête d’infections.
Il resta ses trois première année au lit. Jamais il ne vit la lumière du jour, muré dans l’ombre de sa chambre, veillé par sa mère à la torche. Cette carence de vitamine s’accentua par la venue de l’été et couvrit sa peau d’une constellation de boutons rouges, de squames sèches, de fétides inflammations en plaques arrondies.

L’art de la formule.

 Il avait cette fragilité endurante qu’on trouve chez les hommes voués à une mort précoce et que pourtant rien ne tue .

Le sort des soldats.

C’était un vieil officier de l’armée, né dans le siècle des philosophes, grand amateur de sciences, qui avait perdu une main lors de la prise d’Alger, un œil pendant le siège de Sébastopol, une jambe à la fin de la bataille de Malakoff et boitait de l’autre depuis qu’un cheval d’une demi-tonne s’était effondré sur son genou et dans les marécages de Crimée.

L’art du portrait.

Abel Pifre avait tout ce qui lui faisait défaut. Il parlait sans hésitation ni tremblement. Il marchait droit le menton haut. Sa veste était toujours serrée à la ceinture, ouverte sur la dentelle de son jabot, retenue par d’élégants boutons de manchette qui laissaient voir la finesse de ses poignets. Son pantalon avait la raie du milieu pliée au cordeau et descendait jusqu’à de luisantes bottines vernies qui le forçaient à marcher lentement avec une distinction délicate. Coquet, intelligent, il ne portait que des cravates de mousseline, des chemises en toile de baptiste et une canne au pommeau orné d’un soleil qui donnait à tout ce qu’il faisait un caractère étincelant. Il parlait comme il faut, en homme ayant vécu. Sa conversation était pétillante parsemée de mots anglais comme s’il revenait de voyage, ornée de plaisanteries savantes et de légèretés pudiques, si bien que lorsque Mouchot le rencontra pour la première fois, il pensa qu’Abel Pifre était ce en quoi le soleil s’il s’était fait homme, ce serait incarné.

 


Édition Gaïa livre de poche Grands romans Points

Traduit de l’islandais par Henrý Kiljan Albansson

 

Une saga comme je les aimais beaucoup autrefois. J’avoue préférer les livres plus concis aujourd’hui, mais je ne savais rien de l’Islande et cette plongée dans la réalité féminine de ce pays m’a beaucoup plu.

Dans le tome 1, nous voyons la jeunesse et la formation de Karitas qui sera artiste peintre. Elle doit tout à sa mère qui a eu le courage de s’extraire de son lieu de naissance lors de son veuvage pour aller faire de l’argent dans un port qui vit du hareng. Elle a réussi à donner une formation scolaire à ses six enfants qui ont tous très bien réussi. Karitas est douée pour le dessin et grâce à une femme qui reconnaît son talent elle part se former à Copenhague à l’académie des beaux arts.

Elle y rencontrera l’amour pour le trop beau Sigmar . Sans renoncer au dessin elle le suit dans un village isolé et met au monde son fils Jøn puis un petit qui ne vivra pas et enfin des jumeaux Haldóra et Sumarlidi. Son beau Sigmar est parti faire fortune et elle est seule, sa soeur aînée vient lui prendre sa fille et elle même part chez une cousine d’une femme du village et va vivre treize ans chez elle .

Alors qu’elle a décidé que ses fils doivent aller chez sa mère pour recevoir une bonne instruction son mari revient. Mais elle ne le suivra pas, elle veut reprendre sa vie d’artiste.

À travers ce récit, l’autrice nous dépeint la vie des femmes d’Islande de la première moitié du XX° siècle. C’est une vie très dure mais c’est aussi une vie de solidarité. Sans l’entraide entre femmes cette vie serait un pur cauchemar. J’admire leur énergie et leur détermination. J’ai essayé de trouver des renseignements sur cette coutume qui fait que des gens réduits à la misère peuvent vivre chez d’autres fermiers en échange de travail, j’avais trouvé le même fait dans « les cloches jumelles » qui se passe en Norvège et dans les « Annales de Brukkekot ». Les gens trop vieux pour travailler y trouveront gite et couvert jusqu’à la fin de leur vie.

Nous sommes avec les femmes , donc du côté des lessives, du tricot des broderies du ménage en plus des travaux des champs et des enfants trop nombreux qui arrivent tous les ans. On ne sent pas ces gens exploités mais toujours à la limite de la survie.

C’est parfois compliqué de retenir et surtout prononcer les noms de ce pays : à votre avis comment on prononce un h devant un r pour le prénom Hrefna ?

J’ai bien aimé aussi la façon dont cette écrivaine mélange la réalité et les esprits qui hantent ce pays, certains chapitres très courts sont consacrés à l’inspiration de tableaux que Karitas peint, j’aurais aimé les voir mais c’est un exercice amusant de les imaginer.

Un premier tome très dépaysant et passionnant.

 

Citations

Les nom difficiles et toutes les façons d’écrire le »o »

 Leur mère dormait à poings fermés lorsqu’ils longèrent les Fjords de l’Est qui s’ouvraient les après les autres sous un soleil étincelant. À l’embouchure de Seyõisfjörõur, les filles se résolurent à la réveiller ….

Le malheur de passer de la campagne à la ville.

 La dernière fois où il en était ainsi tous assis autour d’une petite table, le père des enfants venait juste de mourir. Maintenant personne n’était mort mais c’était quand même comme si une petite fleur qui n’avait pas de nom était en train de mourir. Ils n’avaient plus rien à quoi se raccrocher, ils étaient assis dans un petit réduit comme mis aux fers et ne pouvaient aller nulle part même pas gambader dans une cour herbeuse. Karitas brûlait d’envie de pouvoir sortir prendre l’air comme chez eux dans la crique, agiter ses bras, danser avec les oiseaux et se sentir heureuse, et tout d’un coup elle était devenue comme une vieille femme qui ne se souvenait plus pourquoi elle se trouvait justement à cet endroit.

La dureté des travaux à la campagne pour les femmes.

 Ensuite ils s’étendaient sur le dos et se reposaient mais je devais rapiécer leurs chaussures et repriser leurs chaussettes et ravauder leurs vêtements jusque tard dans la nuit. Si je n’étais pas assez rapide dans mes travaux ils me pressaient tous, les ouvriers, le maître et la maîtresse de maison. Moi, j’allais vêtue de guenilles sales car je n’avais jamais le temps de prendre soin de moi-même. Je ne me rappelle pas avoir souri pendant que j’étais bonne à tout faire. On exigeait de nous, les filles, une telle ardeur au travail. J’ai raconté cela à ma mère et elle ne m’a jamais renvoyée faire les foins. Ce que je trouvai le plus terrible était l’injustice. C’était beaucoup plus difficile de ratisser et de lier que de faucher pourtant nous n’avions que la moitié de la paye des hommes et nous devions de plus les servir.

L’appel de l’art .

 Tu partiras vers l’art. Il t’a appelée. Ce sera un long voyage et sur ta route se trouveront trolls et embûches. Et lorsqu’enfin tu atteindras la montagne bleue et qui s’élève, magnifique, au milieu des autres massifs bleu noir tout se refermera derrière toi et tu seras prisonnière à vie. Mais cette captivité t’apportera souvent plus de bonheur que la liberté. 

Une jolie façon de parler du froid .

Après le jour de l’an la famille fut contraint de rester au fond du lit.
 Le froid l’y poussa. Une énorme patte glaciaire venue du nord avait posé ses griffes sur la ville, s’était ruée sur le pays comme une bête sauvage avec un gel et un blizzard tels que la terre gémit. Lorsque le vent se calma quelque peu, elle se coucha comme un jupon blanc sur les hanches du fjord et ferma les voies maritimes.

Premier roman que je lis qui raconte ce qui a, de tout temps, occupé les femmes.

 La lessive bouillait dans la marmite noire sur la cuisinière à crottin dans la vieille cuisine et Karitas la remuait avec un bâton. Elle avait rarement fait bouillir ses serviettes hygiéniques avec autant de plaisir que cette fois. Une appréhension s’était installée en elle après que l’homme du rêve lui fut apparu une nouvelle fois bien qu’elle sache que la conception ne pouvait pas avoir lieu sans la présence d’un homme en chair et en os. L’expérience lui avait appris à ne rien considérer comme universel. Aussi elle fit bouillir ses serviettes avec un sourire de satisfaction sur les lèvres, les pêcha dans la marmite et les mit avec le linge blanc. Descendit lourdement chargée jusqu’au ruisseau, l’âme en paix, parfaitement calme à l’intérieur d’elle même, à partir de maintenant rien ne pouvait entraver son voyage vers le Sud.

 

tome 2
Nous retrouvons les personnages qui ont constitué la vie de Karitas. Celle-ci est maintenant une artiste peintre et le thème principal du livre décrit combien il est difficile pour une femme de s’imposer comme créatrice. Elle a décidé de vivre de son art même si parfois ses tableaux ont du mal à se vendre. Elle ne veut pas accepter l’argent de Sigmar, son richissime mari. Leurs rapports sont compliqués elle lui en veut de n’être pas rentré de la pêche le jour où elle a accouché de ses jumeaux. Cette trahison sera à l’origine de la plus grande tragédie de sa vie, elle n’a pas pu s’opposer à ce que sa terrible sœur Bjarghildur lui enlève la fille Halldõra . Mais elle éprouvera toute sa vie une attirance pour le si beau Sigmar.
Ses fils sont adultes maintenant et elle pense enfin être libre pour son art mais le plus jeune le jumeau Sumarlidi lui impose de s’occuper de sa fille Silfà.
le second tome est riche en rebondissements familiaux parfois tragiques : il y a un personnage odieux, violeur et qui détruit autour de lui. Sinon tous les autres s’installent dans l’histoire de leur pays de façon assez positive. Mais pour moi, c’est moins dépaysant que le début de la Saga. En revanche les difficultés de la création artistique sont très bien décrites. On comprend ce qui motive Karitas et comment elle est amenée à concevoir des tableaux très originaux.
Et pour cela, j’ai aussi lu avec grand intérêt ce deuxième tome.
Je ne sais pas exactement quelle artiste a inspiré cette écrivaine et cela m’a manqué.

 


Édition poche Folio

Être un bon père consiste-t-il à trouver merveilleux un spectacle au seul prétexte que sa fille en fait partie ou bien a réussi à se retenir de rire ?

Merci Sandrine , tu avais bien raison de conseiller cette lecture qui comme d’habitude m’a fait beaucoup rire et même éclater de rire. C’est très rare de rire toute seule et je vais grâce à Fabrice Caro créer une nouvelle catégorie « éclat de rire » . Je vais y mettre le Discours , Zaï Zaï Zaï , Et si l’amour c’était d’aimer, peut être pas Figurec qui est un peu moins drôle.

Le narrateur est cueilli de plein fouet par une lettre que chacun reçoit à 50 ans pour faire un dépistage colorectal, mais voilà lui n’a que 46 ans. Que cache cette précipitation de l’assurance maladie à lui faire faire ce test ?
En plus son fils a exercé ses talents de dessinateur aux dépends d’une professeur de SVT, ce ne sont là qu’une partie de ses problèmes, c’est à son tour aussi d’inviter ses voisins à l’apéritif et il ne veut pas partir en vacances avec des amis (qu’ils n’aiment pas tant que ça) pour aller faire du paddle à Biarritz avec eux !

Bref sa vie est compliquée et nous on rit à ses malheurs. Rien de tout ce que je viens d’écrire ne peut faire le sujet d’un roman, détrompez vous Fabrice Caro y arrive très bien. Je trouve quand même que dans les les deux derniers chapitres l’auteur s’essouffle un peu. Et la fin n’est pas à la hauteur du début. Peu importe, lisez ce livre mais faites attention à l’endroit où vous le lirez : on pourra peut-être vous prendre pour une folle si vous hoquetez trop fort. Quand vous arriverez au spectacle de danse de sa fille je vous conseille d’être seul pour ne déranger personne.
Merci à cet auteur de me faire autant rire.

 

Citations

Un des nombreux fantasme du narrateur.

 (…) Le fantasme de la disparition. S’évaporer, sans préavis, sans laisser la moindre nouvelle, partir, prendre congé, démissionner de la vie, démissionner de la réalité.

Gala de danse de sa fille d’où le titre..

 Un samedi soir de fin d’année scolaire, et nous devions assister à un gala de danse de Jade, elle avait treize ans, il s’agissait d’une comédie musicale type « Cabaret » où « Broadway », et je m’apprêtais déjà à passer les deux heures les plus longues de ma vie. J’avais tout tenté pour y échapper, j’avais même demander à Jade si elle tenait vraiment à ma présence (plus exactement, j’avais habilement retourné la problématique : est-ce que ma présence ne la perturberait pas, ne lui mettrait pas trop de pression ?). Anna m’avait lancé un regard accusateur, j’y étais donc allé comment va à la mine, admettant qu’après tout il existait dans le monde des choses plus graves qu’un gala de danse, même si sur le moment j’avais beaucoup de mal à réellement m’en persuader.

Un de mes nombreux éclats de rire

(Il est dans une église car sa fille de 13 ans lui a demandé de mettre un cierge pour que Yannis la « re »aime….)
 Notre-Dame d’Espérance. Le nom est toute indiqué pour ma prière. Je ne pouvais pas mieux tomber je me trouve chanceux d’être précisément tombé sur elle -en même temps je doute qu’il existe dans les églises une Notre-Dame du Désespoir ou une Notre-Dame de la Dépression Tenace, la chance a peu à voir là dedans

 

 

 

 

 

 

 

 

Édition l’avant scène Gallimard NRF 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un premier roman d’une jeune auteure de vingt quatre ans qui se met dans la peau d’une femme très âgée en maison de retraite. Ce roman est surprenant et a su souvent retenir mon attention, sans pour autant être un coup de coeur.

Les quatre saisons vont permettre à Isadora Abberfletch, cette vieille femme en fin de vie de faire revivre sa Maison. Chaque saison lui a apporté son lot de joie et de souffrances. la Maison avec ce M majuscule est le personnage central du roman. Isadora, croit lors de sa jeunesse que cet endroit est indispensable à sa propre vie. Elle ne peut s’en détacher , elle y a toujours vécu, avec sa famille puis qu’avec son père et enfin seule jusqu’à ce qu’elle comprenne, enfin, que sa Maison la tuera si elle y reste encore un an de plus.. Elle y a connu les moments les plus heureux de son enfance avec sa petite soeur Harriet et son frère Klaus. Les rapports avec Louisa, la soeur aînée de la narratrice sont plus compliqués on comprendra pourquoi lors de la scène importante du printemps. Chaque saison, même si elles ont été des moments heureux de sa vie se terminent par une catastrophe, l’été verra la mort de sa mère, l’automne celui de la mort d’Harriet sa petite soeur, l’hiver celui où elle se décide à partir en maison de retraite et le printemps celui où Louisa lui montrera l’envers du décord qu’elle ne voulait pas voir.

J’ai beaucoup aimé la description de l’attachement à la maison d’enfance, l’autrice sait exactement de quoi elle parle car elle encore proche de sa propre maison d’enfance , en revanche son personnage d’Isadora est peu incarnée et on a beaucoup de mal à l’imaginer mais Perrine Tripier a beaucoup de talent , elle vieillira, elle aussi et saura peut-être mieux comprendre le détachement progressif aux biens de ce monde qui sont l’apanage de la vieillesse.

 

Citations

Les romans qui débutent par la météo m’agacent peu.

 Pluie fraîche sur pelouse bleue. Herbes d’été humide, relents de terre noire. Toujours ces averses d’août sur les tiges rases, brûlées d’or.les lourdes gouttes ruissellent sur la vitre, situent, serpentent, et s’entrelacent en longs rubans de lumière liquide.

Le but de sa vie.

J’avais compris que le passé était la seule chose qui valait la peine que ma vie soit vécue. Moi, la Maison et nos souvenir, nous ferions de grandes de choses car les choses familières ne sauraient mourir. 

L’été .

La liberté absolue des jours d’été, c’est cela qui distinguait cette saison du reste de l’année. Quel délice ces soirs bleus où nous mangions dehors, sous le grand cèdre. La tablée se trouvait baignée par les effluves de résine.

Vieillir.

Vieillir n’est ce pas troquer son être vivant pour un être préparé à mourir ? Échanger le fluide vital, les idées folles, l’ivresse du monde contre une douce langueur, un cocon de morphine salutaire et lénifiant.

L’oncle alcoolique .

« Ne touche pas à l’alcool en revanche », disait Petit Père en coulant un regard appuyé vers Bertie et ses joues incarnadines, quand il remontait de la cave où il était allé « vérifier les stocks ». Nous savions tous que Bertie avait un problème, mais cela faisait partie du personnage, de bon vivant, le trublion, Le grand dévoreurs de chair. Nous le laissions tranquille, sans doute à tort, n’est-ce pas, les ogres ne font jamais de vieux os, ils font bien rire tout le monde repas de famille et puis ils disparaissent, et personne n’est surpris, mais le rire manque cruellement.

Les photos.

Les morts n’ont aucune humilité, ils s’affichent là, figés à jamais sur du papier glacé, et sont à jamais chez eux dans les lieux qu’ils ont habités On a peur de les déranger, on refuse de jeter le service d’assiettes de la vieille Léodagathe, parce qu’elle l’aimait beaucoup, la sainte femme ; pourtant ce service enquiquine tout le monde, et il est ébréché et de mauvais goût, mais ça personne ne le dit, parce que la veille Léodagathe, dont les os reposent quelque part, entassés dans le cimetière du village, rongés par la vermine était, avant tout, « une sainte femme ».

Jolie formule !

Klaus et Louise ne m’ont jamais semblé avoir du mal à partir, au contraire ; ils ont la valise aisée, la route facile. Ils partent et reviennent sans douleur, la Maison leur est toujours ouverte et toujours douce, jamais violente comme l’amour et immodéré que je lui porte et qui me rend folle loin d’elle, comme une amante jalouse.

Les déménagements.

 On s’attarde moins sur des lieux qu’on doit quitter souvent, parce qu’on se force sans doute à moins s’y attacher, comme pour atténuer la rupture que chaque déménagement provoque. Les déménagements nous brisent. On fiche dans les murs des morceaux de soi partout où l’on passe, et l’on se désagrège en partant. Mon frère s’est désagrégé au fil du temps, c’est sans doute pour ça qu’il n’est heureux nulle part 

L’autre version de la Maison.

 Elle murmura que j’étais malsaine, accrochée au passé, accrochée à une enfance que j’avais idéalisée. Elle ne s’arrêtait plus de vomir des horreurs, elle disait que Petite Mère n’avait jamais été heureuse avec Petit Père, que cette Maison avait été un calvaire pour elle, une charge écrasante. Je pensais qu’elle avait fini mais Louisa se mit à cracher de nouveau « Petite Mère n’a jamais eu d’initiales brodées sur son linge, elle ; elle avait les serviettes blanches des épouses. La maison lui pesait comme la dalle d’un tombeau, elle suffoquait sous l’effroyable pression qui lui appuyait sur le ventre, là, un ventre où se tordait l’angoisse de la ruine, l’angoisse de la mort. »


Édition Babel Acte Sud . Traduit du Norvégien par Françoise Heide

C’est ma soeur qui m’a prêté ce roman et ce livre m’a procuré un grand plaisir de lecture. Cela fait longtemps que je ne suis pas partie grâce à un livre, dans une région lointaine, si hostile et dans le passé. Connaissez vous les églises que les français appelle « église au bois debout » ou « starkike » en danois ou « Starkyrkje » en norvégien ?

 

Lars Mytting décrit avec une grande minutie, la construction de ces églises aux environs du XI° siècle et leur sort à la fin du XIX° siècle. Elles ont failli complètement disparaître car elles étaient sombres et pas assez grandes pour accueillir les nombreux fidèles. Mais surtout ce qui ne se disait qu’à demi-mot, c’est qu’elles avaient été construites au début de la christianisation de la Norvège. Les habitants avaient fait un mélange des forces qu’ils imploraient traditionnellement, les dieux qui les avaient toujours protégés et ce nouveau venu le Christ. C’est pourquoi ses églises sont décorés de serpents monstrueux et de dragons crachant du feu.

Son roman est consacré à une de ces église, un jeune pasteur énergique a le projet de la vendre aux Allemands qui veulent la reconstruire à Dresde. L’architecte allemand qui vient dessiner cette église tombera sous le charme de cette incroyable exploit des bâtisseurs du Moyen-âge et ne sera pas insensible à celui de la jeune Astrid… L’église de la paroisse de Butagen, endroit très isolé de la Norvège, a de plus un charme particulier, liée à une histoire tragique : lors de sa construction, des sœurs siamoises reliées par le bassin ont vécu dans ce village, tout le monde les aimait et à leur mort, leur père désespéré fera fondre deux cloches (d’où le titre du roman) en y ajoutant tout l’argent de la maison, ce qui leur conférera un son très particulier.

Les descendants de cette histoire habitent toujours le village et dans la ferme des Hekne, en 1880, les gens ne sont pas riches mais sont considérés dans le village. La jeune Astrid, la jeune fille de la ferme, mettra toutes ses forces et son intelligence dans la bataille pour garder son église ou au moins les deux cloches. C’est une période très pauvre pour la Norvège et l’hiver tout le monde, est à la limite de la survie, on assistera à la mort de froid d’une vieille femme lors de la messe du nouvel an. Une messe trop longue du jeune pasteur, ce qui le confortera dans son idée qu’il faut démolir cette bâtisse et construire une église plus confortable. Le froid et la faim sont le quotidien des villageois et les idées nouvelles du pasteur ne sont pas les bienvenues, même si c’est pour leur « bien ». Il souhaite que chaque paroissien puisse être enterré, en ayant le droit à une messe, mais que faire des cadavres quand on ne peut pas creuser la terre. Il lutte aussi contre les superstitions mais contre le malheur qui s’abat si souvent sur eux les Norvégiens préfèrent se protéger avec les deux croyances celle de la religion chrétienne et celle des dieux de leurs ancêtres. Tout le roman nous permet de découvrir les mœurs des Norvégiens de cette contrée à la fin du XIX° siècle. C’est passionnant et même si leur vie est dure le roman ne tombe pas dans la tristesse, c’est une lecture qui curieusement reste gaie alors que la réalité est sombre et souvent tragique

Astrid sera aimée par les deux hommes apportant (peut-être) le progrès : le pasteur et l’architecte allemand. Évidemment, ce ne sera pas sans conséquence sur son destin.

Le personnage principal de ce roman reste cette église qui doit être déplacée à Dresde en Allemagne. Je ne sais pas si c’est historique, mais ce que j’ai pensé tout au long de cette lecture, c’est que je regrettais qu’aucun écrivain français, ayant le talent de conteur et d’historien de Lars Mytting , ne se soit penché sur ce qui s’est passé à la même époque en Bretagne : combien de petites églises romanes ont été complètement démolies pour laisser place à de grandes églises triomphantes qui sont complètement vides aujourd’hui. Les rares chapelles anciennes qui ont résisté au renouveau de la foi, après la révolution française, sont si jolies et attirent les touristes contrairement à ces énormes bâtissent sans aucun charme .

Un excellent roman dont j’ai recopié tant de passages pour essayer de ne pas oublier cette lecture qui m’a enchantée, et j’espère que vous apprécierez l’humour particulier de cet auteur.

 

Citations

Les églises traditionnelles.

 Pour les piédroits et la charpente, on avait utilisé les immenses pins qui poussaient alors dans le Gudbrandsdal, et comme le voulait la coutume dans tout le pays, on avait abondamment décoré l’édifice de motifs légués par les vieilles croyances païennes, ce qui donnait une sorte de christianisme repeint, façon demeure de chefs vikings. Il avait fallu aux menuisiers un été entier pour sculpter les serpents de mer, et autres enjolivures qui avaient fait leurs preuves depuis l’époque norroise. L’extérieur du porche était agrémenté sur toute sa hauteur de figures léonines aux longs cous et un énorme reptile se contorsionnait autour de la porte d’entrée. De chaque côté du retable se dressaient des colonnes de bois dont les chapiteaux avaient pris la forme de masque barbus, effigies de vieilles divinités qui roulaient des yeux sans pupilles. Tout ceci avait pour but de défendre la paroisse contre les forces du mal, telles que les Norvégiens les avaient combattus depuis des centaines d’années. Les artisans avaient pris soin d’intégrer tous les dieux à leur œuvre et de leur rendre justice à égalité, pour le cas où Thor et Odin auraient pu conserver quelques pouvoirs

L’idéal féminin norvégien .

 Astrid, elle, était longiligne, osseuse de corps et de visages, avec des cheveux bruns et frisés. Dans une autre contrée, elle eût pu passer pour jolie. « Belle », dirait peut-être celui qu’il lui fallait, qui saurait apprécier l’inclinaison singulière de ses sourcils, sa façon de relever le menton, la couleur dorée dont se teintaient ses bras au soleil. Mais après ses deux refus, l’aîné des Hekne n’était plus dans la rumeur publique qu’une jeunesse têtue et ingouvernable. La sagesse matrimoniale favorisait les filles aux mains grossières qui se taisaient en ployant sous la besogne, mettaient des enfants au monde sans manières, et retournaient droit à l’étable en laissant derrière elle le délivre encore fumant.

Une région en retard.

 Les temps nouveaux faisaient lentement leur chemin. Butangen était en retard de vingt ans sur les bourgs avoisinants, eux-mêmes en retard de trente sur les villes de Norvège, laquelle marchait cinquante ans en arrière sur les traces du reste de l’Europe.

Différence entre les ports et la campagne.

 Les choses ne se passaient pas comme sur la côte, ou la placidité des mœurs souffrait de dilution. La faute en revenait aux marins des bords de la Méditerranée, débarqués pour cause d’avaries, et qui quittaient le port où ils s’étaient réfugiés en laissant, dans le ventre des jeunes filles, de menus cadeaux d’où sortiraient des gamins coléreux à la chevelure de jais. La vie d’ici se passait dans le périmètre des enclos, au fil de la paisible et régulière valse des saisons.

La sonorité des cloches.

La sonorité des cloches jumelles éveillait ni mélancolie ni angoisse. Dans chaque battement palpitait un cœur vivant, la promesse d’un printemps meilleur, une résonance teintée de longues et noble vibrations. Leurs notes pénétraient les âmes, emplissaient les têtes de chimères, attendrissaient les plus endurcis des hommes. Pour peu que le sonneur fut habile, il pouvait transformer les sceptiques en fidèle paroissiens, et si le timbre de ses cloches avait tant de pouvoir, c’est qu’elles étaient « de bon aloi ». Cette expression désignait alors une coutume dispendieuse, qui consistait à ajouter de l’argent à l’alliage au moment de le couler. Plus on mettait du précieux métal plus le son serait beau.

Bavardages norvégiens !

Malgré son terrain accidenté et ses petites proportions, la vallée était abritée et lumineuse, et ceux qui y séjournaient, s’ils poussaient un peu plus loin vers le nord, pouvaient à l’occasion avoir quelques commerces avec les gens de Brekkom et d’Imsdal, sous la forme d’un signe de tête ou d’un salut de la main, à bonne distance.

La mère du Pasteur .

 Sa mère, cette maîtresse femme, la plus vêtue de noir de toutes les veuves qu’on eût jamais vu dans les réceptions de Noël, lui avait inculqué depuis sa plus tendre enfance l’importance d’une « vie réussie ».

Tout se sait au village.

Kai Schweigaard ne mesurait pas jusqu’où pouvait fouiner l’indiscrétion des gens du village. La rumeur s’emparait avec la rapidité de l’éclair de tout ce qui sortait du rang, observait, soupesait avec autant d’ardeur que s’il se fût agi de trouver l’issue la plus sûre pour fuir un incendie. 

Question intéressante !

Il s’était parfois posé une question inavouablement déplaisante : comment il se faisait qu’il pût trouver intéressantes les odeurs sécrétées par son propre corps – sueur, pets matière fécale-, ou du moins ne pas en être dégoûté sur le coup, quand les miasmes d’autrui le faisait reculer.

Bien vu… !

Astrid, il le savait n’était pas faite pour devenir épouse de pasteur. Trop spontanée, trop féminine, trop exigeante. Il lui manquait la qualité principale qu’on attendait d’une femme de tête : savoir obtenir ce qu’elle voulait en faisant croire aux homme que l’initiative venait d’eux .

Les enfants sans père .

 « Eh bien tu nous as mis dans de beaux draps », s’exclama la mère et elle eut tout dit. Les enfants sans père était mal venus, mais les gens du commun parmi tous les maux du monde, y voyait un accident moins grave que si le cheval fût mort de coliques. 

Amusant.

 On avait réuni les attelages près de la grange. Des hommes en paletot de fourrure se mettaient au travail. La plupart affichait la marque universelle de la compétence chez les transporteurs au long cours : une barbe fournie.

La tristesse.

 « Tout ira bien, lui dit-il. S’il arrive quelque chose, la sage-femme ou moi, nous prendrons des décisions pour vous. Nous vous délivrerons et de la mort et des souffrances.
– Mais pas du chagrin.
 – Non. Contre le chagrin, nous ne gagnons jamais, nous ne pouvons même rien contre lui.

Les paroles de son grand père .

 Demande toi quelle remembrance tu aimerais laisser de toi Astrid. Quand on conte la vie de quelqu’un et que les ans ont passé, la place manque pour en dire long. De moi, je ne crois pas qu’on se ressouvienne. Sauf pour m’être efforcé d’avoir bon cœur, peut-être, mais ça ne donnera guère une histoire. Ce que les gens gardent en mémoire est coulé dans le métal ou fabriqué en bois, ou bien tissé ou peinturé, ou bien écrit. La mauvaiseté et la sottise aussi peuvent rester, quand on les étale en grand.