Édition stock
J’ai lu, sans le chroniquer, « Soudain seuls » de cette écrivaine que je retrouve avec un plaisir de lecture mitigé. Le roman est certes, très bien construit : Iouri brillant chercheur américain qui a passé sa jeunesse en URSS (qui n’était pas encore redevenue la Russie), vient voir son père qui est sur son lit de mort. Rubin, son père a été un véritable tortionnaire afin d’inculquer à son fils les seules valeurs qu’un homme soviétique doit transmettre à son fils : la violence – s’en servir pour ne pas avoir à la subir. Son père, sur son lit de mort, lui demande de partir à la recherche de Klara, sa mère qui a été déportée lors des purges staliniennes. Le roman est construit sur des allées et retour entre le monde d’aujourd’hui et les souvenirs du passé. Nous y trouvons tous les ingrédients classiques des romans se situant dans le monde soviétique. Une mère déportée pour ne pas avoir dénoncé un supérieur juif, un mari lâche qui a essayé de survivre, des hommes violents et alcooliques, la honte de l’homosexualité. Tout cela est bien raconté, la partie la plus intéressante concerne la pêche industrielle, Isabelle Autissier connaît bien la mer et n’a aucun mal à imaginer la violence des rapports entre les marins pêcheurs.
Mais alors pourquoi est ce que je manque d’enthousiasme ? Je trouve que les personnages manquent totalement d’humanité. Le père ultra violent, Rubin, s’est marié avec une femme qui semble là uniquement pour le décor. Iouri ne rencontrera de l’affection qu’auprès d’une femme que son père a violé mais qui finira par s’attacher à lui. C’est un monde d’une cruauté extrême mais quand même crédible. La dernière citation explique ce que j’ai éprouvé oui, c’est une histoire crédible, oui, l’auteure s’est bien renseignée sur ce qui pouvait se passer à cette époque en URSS mais on a l’impression que la famille de Iouri est une éventualité mais n’est pas réelle. Je crois que je préfère lire des témoignages ou des romans d’écrivains qui ont connu ce monde-là.
Citations
Le ressort du roman
Devait-il s’honorer d’avoir pour aïeul cette femme qui avait fait basculer le roman familiale ? Au nom de quoi cette trace indélébile avait-elle été infligée, bouleversant la vie de son père et la sienne ?Robin resta longtemps silencieux. Puis sembla puiser dans une dernière réserve d’énergie.– Je n’ai jamais su. Jamais pu savoir. Et …Sa voix passa dans un étrange registre, presque enfantin.Pour un homme dont l’audace avait guidé la vie et qui avait tenté de l’imposer à coups de ceinture à son fils, l’aveu était aussi imprévu qu’incongru.Iouri ressentit un vertige. Il savait d’avance ce que son père allait lui demander. Il ne pourrait pas refuser, mais tout, en lui, se dressait contre cette perspective. Il n’aurait jamais dû venir. Rubin le piégeait une dernière fois. Malgré son impossible caractère et sa violence, il devenait une victime qu’il fallait secourir. Iouri s’arc-bouta mentalement pour refuser la proposition qu’il sentait poindre. Mais il y avait Klara, sa grand-mère, il et ce récit qui ne pourrait plus jamais ignorer, un fétu dans le tourbillon de l’Histoire, mais une poutre pour sa propre famille, un nom dans la litanie des sacrifiés, mais le nom qu’il portait. Le regard bleu pâle de Rubin se planta dans ses yeux.-Tu dois trouver. Vite, avant que je crève. Au moins que je sache.Enfin il lâcha l’inconcevable.-Je t’en prie.
La pêche et la souffrance des mousses
À peine le cul du chalut était-il ouvert qu’une marée de bêtes luisantes submergeait le pont, dans un grand chuintement d’écailles. Une masse indistincte s’agitait en tous sens, haletait,se débattait dans un sursaut atavique. Les poissons glissaient les uns sur les autres et s’enchevêtraient. Les queues battaient désespérément, les yeux exorbités, les gueules asphyxiées s’écartelaient, les corps s’arquaient, fouettaient l’air, se tordaient.L’urgences vitales saisissait chaque animal dans un affolement tardif. Les hommes, eux, n’en n’avez cure. Selon un balai bien établi, ils se précipitaient sur les poissons les plus nobles : morues, rares turbots, aiglefin ou perches dorées, hurlant qu’on leur apporte des caisses pour jeter les prises. Les mousses s’activaient, fendant parfois jusqu’aux cuisses la masse grouillante ressemblant à des centaures marin. Puis il leur fallait tirer les caisses alourdies jusqu’au tapis roulant qui convoyait les animaux vers les tables de dépeçage, à l’intérieur. La tâche était rude. Les jeunes, parfois déséquilibrés par une vague, dérapaient sur le mucus. Si la caisse se renversait, il récoltait un torrent d’injures de Serikov ou un coup de pied qui les envoyait la tête la première dans la masse grouillante. Ils aidaient aussi au tri, poussant par-dessus bord les innombrables animalcules raclés en même temps que les poissons comestibles, petits crustacé, méduses, hippocampes, coquillages, bestioles écrasées dans la bataille. Puis ils manœuvraient les lourds manches à eau pour nettoyer le pont.
La famille de Iouri
Il en savait assez pour se représenter les personnages de sa légende familiale : une grand-mère énergique et sensible jusqu’à l’imprudence ; un grand-père aimant , mais faible et veule ; un père tenu de se battre dont la brutalité avait dévoré la vie, une mère inexistante qui s’était dévolue aux objets, puisque les être la des sauvé. Et au final lui, Youri, dont l’enfance avait été imprégnée de ces espoirs, de ces combats, de ces renoncements. Un destin identique à celui de millions de famille tourmentée par les soubresauts de l’histoire, qui cachaient un cadavre dans le placard, croyant ainsi se faciliter la vie.