Édition folio (473 pages -écriture petits caractères) (mai 2006 première édition en 1972)

Traduit de l’anglais par Sylvie Servan-Shreiber

Une amie est venue passer un petit Week End avec moi, et m’a offert ce roman, quel plaisir de lecture, et cela ne m’étonne pas que ce soit elle qui m’ait offert ce livre, elle adore tout ce qui vient de Grande Bretagne et adore les civilisations étrangères. Un grand merci pour ce plaisir partagé.

Je suppose que vous êtes nombreuses à avoir déjà lu ce roman, je rappelle la trame narrative : Mary Mackenzie se marie avec Richard attaché militaire en Chine, nous sommes en 1903. Son voyage est très long (et un peu long à lire aussi), mais dès qu’elle arrive en Chine, la façon dont elle décrit ce pays rend son récit passionnant, tellement plus que son mariage. Elle aura une petite fille mais son mari est si peu présent, qu’elle vit un grand amour avec un chef militaire japonais dont elle attend un enfant. Son mari la chasse et lui enlève sa fille.

La deuxième partie du récit se passe au Japon car son amant avait suivi le parcours de sa maîtresse et elle peut vivre dans une petite maison , elle aura un fils Tomo qui comble de l’horreur, lui sera retiré par son mari. La voilà seule au Japon où elle arrivera à mener une vie indépendante le cœur déchiré par l’absence de son enfant.

Ce que je viens de dire n’est qu’une toute petite partie de l’intérêt du roman. L’auteur a lui même une double origine : japonais et anglaise, il raconte très bien à la fois la culture écossaise, britannique et les civilisations d’Asie, chinoise et japonaise. Le roman mélange les lettres que Mary a envoyées à sa mère et son journal intime, elle décrit la misère en Chine et le monde des délégations étrangères. On est si loin du regard habituel des colonisateur dominants, ou de touristes attirés par l’exotisme, Mary sait voir la misère et la décrire, et s’étonner des pouvoirs exorbitants de l’Angleterre ou de la France. Comme celui de pouvoir s’attribuer une partie du territoire chinois. Elle raconte aussi ses rencontres avec du personnel des différentes ambassades. Mais la partie la plus intéressante se passe au Japon. Ce pays y est décrit de 1905 à 1942. Elle va réussir à survivre en se débrouillant pour travailler dans ce pays . Elle commence par travailler dans un grand magasin en vendant des robes à la mode anglaise pour des femmes qui ont envie de s’occidentaliser. Mais très vite, un peu trop pour elle, les Japonais, arrivent à fabriquer eux mêmes sans avoir besoin des services d’une femme occidentale qui de plus a été répudiée par son mari britannique et qui a été la maîtresse d’un Japonais . Tout cela se sait, et on s’en sert contre elle à chaque fois qu’on a envie de se débarrasser d’elle. Elle va finir par bien gagner sa vie et se trouver une maison ancienne au bord de la mer. Elle arrive à comprendre ce pays dont elle a réussi à apprendre la langue et sent combien ce pays est traversé par des tensions nationalistes très dangereuses surtout pour les pays voisins. Elle rencontrera des personnalités étonnantes comme cette noble qui refuse la place traditionnelle de la femme et qui voudrait que les Japonais sache que leur empereur est un homme et pas un Dieu. Elle a fait de la prison car elle a OSÉ regarder l’empereur au lieu de se prosterner à son passage. Ah l’art des courbettes … je vous ai recopié le passage o ù elle le raconte. Mais il y en a tant dans ce roman, de détails de la vie des puissants et des petites gens

Evidemment en 1942, elle est obligée de partir et le roman se termine, et sans rien vous dévoiler de l’intrigue sachez qu’il sera de nouveau question de ses deux enfants. Et que la turpitude de son mari est encore pire que ce qu’elle avait imaginé. Quel roman je suis certaine de relire certains passages juste pour le plaisir !

Extraits

Début.

 J’ai été malade hier pour mon anniversaire, alors que je n’avais pas eu le mal de mer pendant la traversée de la baie de Biscaye*, ni même à Malte pendant cette tempête. C’est un peu bête d’avoir été malade sur une mer aussi petite que la mer Rouge, mais quand je suis montée au coucher du soleil sur le pont – pour échapper au gémissement de Mme Carswell – le second est venu s’accouder près de moi et il m’a dit que je n’avais pas supporté les lames de fond de Somalie.
(La baie de Biscaye que les français appellent le golf de Gasconne)

Mariage à partir d’une photo.

 Je me suis demandé pourquoi j’allais en Chine épouser Richard, et je n’ai trouvé aucune réponse, rien qu’une impression désespérante de vide absolu. Je ne voyais même pas son visage, comme si ma mémoire se refusait, à présenter son image. Ce qui est affreux, c’est que même maintenant quand j’essaie d’imaginer ses traits, je n’y arrive pas. Nous n’avons pas échangé de photographies. Je ne possède qu’un petit instantané de lui dans les Highlands, debout à côté du cheval qu’il venait de monter. Mais c’est surtout le cheval que l’on voit bien.

Concessions en Chine.

 Mon hôtel est dans la concession française. Je n’avais jamais entendu parler des concessions et c’est le vice-consul venu à ma rencontre, qui m’a expliqué de quoi il s’agissait. Apparemment, les grandes puissances ont pris des morceaux de Chine et y ont établi leurs propres lois, les autochtones ne pouvant y pénétrer que comme des étrangers, ce qui semble assez bizarre.

Les règles.

 Je me suis réveillé ce matin avec un mal de tête et dans cet état, que les femmes doivent supporter.

 Habitudes vestimentaires.

 Il y a aussi un grand étalage de bijoux qui frisent presque la vulgarité, quoique je me sois rendu compte, en rendant visite à la famille de Richard, à Norfolk, que c’était une habitude convenable en société pour le dîner dans les campagnes anglaises. Ils s’habillent très ordinairement dans la journée, ils se transforme en paons le soir. Moi, je me sentais comme une faisane écossaise, mais je n’avais évidemment pas ma belle robe en soie bleue ce jour-là.

Vie sexuelle d’une dame anglaise.

 Je me demande si Richard n’a guère envie de me voir le matin parce qu’il ne tient pas à se souvenir de la nuit et de sa visite dans ma chambre. Je ne tiens pas non plus à me le rappeler.

Dans l’ambassade russe.

 Je suis allée à la légation russe mais pas pour rencontrer leur ambassadeur qui est en ce moment à Vladivostok. Notre hôte était le premier secrétaire, un comte qui porte assez de médailles pour avoir fait dix guerres, même s’il n’a pas l’air d’être le genre à avoir jamais pris part à un combat. Comme Marie m’en avait prévenue, la conversion était parfaitement inintéressante et les hommes ont bu trop de vodka, qui est leur whisky, mais semble insipide. J’étais en train de me demander quel intérêt, il pouvait bien y avoir à en boire, quand Richard m’a emmenée très subitement, parce que comme Marie me l’a expliqué par la suite, nos collègues russes étaient tout à coup un peu trop détendus

les mains de l’impératrice de Chine.

 Ce n’était pas une main ordinaire, mais un éblouissement de griffes en or. J’avais entendu parler de ses étuis à ongles mais les voir pour la première fois m’a quand même donner un choc. Ils avaient au moins trente centimètres de long sinon plus sur les doigts principaux, et même si l’or en était aussi fin que possible, ces étuis protégeant des ongles qui n’ont jamais été coupés devaient être affreusement lourds. L’impératrice ne peut rien faire toute seule à cause d’eux. Elle doit être nourrie, habillée, servie en tout et en permanence par les dames de la cour ; elle doit même se coucher sans ôter ses étuis à ongles. Je suis resté une minute ou deux à me poser des questions à leur propos, les yeux rivés sur ces mains qui reposaient à nouveau sur ses genoux, comme les nervures repliées d’un éventail. Chacune des bouchées qu’elle avale doit être mise dans sa bouche par quelqu’un, et l’impératrice qui règne sur le plus grand nombre de sujets sur terre après le roi Édouard est aussi dépendante qu’un infirme sans bras. Il ne faut donc sans doute pas s’étonner qu’elle se conduise de temps à haute comme une démente.

Le théâtre japonais.

 J’ai vraiment beaucoup aimé ce théâtre, où, tandis qu’un acteur était sur le point de s’éventrer sur scène, avec à l’arrière-plan un décor en papier de cerisiers en fleur, les gens de la loge voisine pouvaient être complètement absorbés par la nécessité de faire passer le hoquet du grand papa, visiblement du à une trop grande consommation d’alcool de riz.

Les courbettes.

 Je commence à en savoir long sur les courbettes japonaises. On pourrait écrire un livre sur l’art des courbettes, qui est soumis à des règles encore plus strictes que la composition florale. Il y a des courbettes pour ceux qui vous sont socialement égaux, selon les circonstances de la rencontre, il y en a pour les supérieurs, pour les domestiques, pour les commerçants, et même pour les conducteurs de tramway. Il y a des courbettes, des hommes aux femmes toujours légères, et celles des femmes aux hommes, toujours très profondes. Plus une collection impressionnante de courbette aux femmes entre elles, qui sont un langage en elle-même. Sans prononcer un seul mot, une dame peut vous placer exactement au rang qu’elle estime être le vôtre et vous ridiculiser parfaitement si vous n’avez pas compris le statut qui vous était assigné, ce qui est généralement le cas, pour les nouveaux venus dans ce pays qui est le plus poli au monde.

Les villes japonaises.

Il m’arrive de rêver à ce merveilleux pays fleuri qu’évoquaient pour moi ces livres sur le Japon que vous me donniez à lire à Pékin. Je ne dis pas ça par méchanceté, Marie, mais vos voyages dans ce pays ont dû avoir lieu au moment de la floraison des cerisiers, et vos excursions partir des meilleurs hôtels. Je me souviens de votre extase à propos de Nikko, où je ne suis pas encore allée, mais il n’est pas possible que les villes vous aient paru belles. De mon point de vue qui est probablement partial, surtout quand je pense à Osaka, les villes japonaises sont les plus laides que je connaisse. Tokyo à du charme, mais à part le palais impérial avec ses grandes douves, il n’y a pas grand-chose à voir. De tous les côtés, en partant d’un centre au magasin de briques rouges, s’étendent à perte de vue ce qui semble être des kilomètres (quand on est dans un tramway qui cahote) de petites maisons grises à deux étages au toit de tuiles grises, avec pour seules décorations d’énormes poteaux surchargés de fils électriques et téléphoniques. Les allées sont plus agréables, étroites et serpentantes, et j’aime assez la mienne, mais ce n’est franchement pas beau.

La modernisation du Japon.

 Même parmi mes élèves masculins à l’intelligence plutôt faible, apprendre ne concerne que les choses pratiques, et rien d’autre et par « pratiques » on entend fabriquer au Japon le moindre objet, depuis des taille-crayons jusqu’aux énormes paquebots, de façon à ne bientôt plus dépendre des pendre du monde extérieur, sauf pour les matières premières. Quand je suis rentré chez Mazukara, nous importions presque tout notre tissu d’Europe, et quand j’en suis partie, tout venait de fabriques locales, jusqu’à des imitations de tartan écossais ! C’est la vitesse à laquelle se fait ce changement qui est presque effrayante.

La façon dont une femme japonaise doit parler à un supérieur homme.

 

Bien peu de femmes occidentales s’embarrassent de telles subtilités, mais je les ai offertes en allégeance à un gras serviteur de la loi, lui expliquant que j’étais une pitoyable femme venue de Tokyo qui n’avait d’autre choix que de se jeter humblement à ses pieds, en espérant qu’il daignerait résoudre son problème.


Éditions Gallimard, 206 pages, juin 2025

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je suis vraiment désolée pour ce roman qui a certainement de grandes qualités, mais que je n’ai absolument pas su apprécier. Il y a, quand même, une qualité que je peux mettre en avant, l’auteur parle bien du Périgord une région qu’il a aimé décrire mais aussi, en souligner l’aspect très rude et violent de ses habitants.

Sinon, le mélange de trois temporalités, m’a complètement perdue et fortement agacée. Dans le désordre , il y a une maman Clémence qui fuit des violences conjugales avec son fils qui lui disparaît brutalement. Il y a aussi Guilhem qui aime Marion au point de lui faire découvrir une grotte ornée de fresques, et Fabien et sa fille qui par hasard redécouvrent cette grotte.

Ces trois histoires vont se relier dans une atmosphère confuse, aucun personnage ne semble maître de son destin. J’ai vraiment beaucoup de mal avec le genre de personnages au milieu d’une grotte qui savent leur survie en jeu et qui prennent toujours les décisions les plus risquées mues par une force qui leur vient dont on ne sait où.
Bref, je vois sur Babelio que ce roman a eu des critiques très positives et je lis souvent cette phrase dans les avis :  » ce roman permet de se connecter avec la nature » , et bien voilà je n’ai pas su me connecter ni avec la nature ni même avec le style de l’auteur qui pourtant fait l’unanimité.

Le jour où je rédige ce billet Violette fait paraitre le sien, voici donc un avis totalement opposé au mien.

Extraits.

Début.

 La maison se fondait parfaitement dans le paysage. Ses murs en pierres sèches, sa toiture en lauze et ses volets en chêne étaient l’agencement discret de ce qu’on retrouvait autour à l’état naturel. Même le lierre courait sur ses façades, comme sur les arbres, avoisinants. 
 Clémence observait l’habitation depuis le fond de la combe. Il lui suffisait de poser les yeux ailleurs quelques secondes pour que la construction disparaisse dans le relief. Elle et son fils auraient pu traverser le vallon sans jamais l’apercevoir. C’était exactement ce qu’il leur fallait.

Franchement, c’est quoi la sensualité d’un tunnel ?

 À travers la poussière soulevée par les impacts et les éboulements consécutifs, on distinguait les formes sensuelles d’un tunnel qui s’enfonçait dans les ténèbres..


Éditions Flammarion, 497 pages, Aout 2025.

Traduit de l’anglais par Dominique Goy-Blanquet

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Un roman historique comme je les aime, qui emporte le lecteur dans un lointain passé, et qui le ramène à la force du courant qui traverse l’Histoire jusqu’à aujourd’hui. Nous suivons, comme l’indique l’image de la couverture, l’histoire d’une goute d’eau : celle qui aurait annoncée le déluge, en tombant sur la tête du roi sanguinaire et érudit, Assurbanipal et qui a détruit la civilisation des Assyriens, goutte d’eau qui se retrouve dans la Tamise qui sert d’égout à ciel ouvert au XIX siècle aux Londoniens, puis dans le Tibre au XX° siècle dont la Turquie veut détourner l’eau à son profit, et enfin aujourd’hui dans une Tamise à peu près propre et qui devenue un lieu d’un habitat luxueux pour la nouvelle bourgeoisie londonienne.

Mais le thème c’est aussi la légende de Gilgamesh, dont un jeune londonien Artur, originaire des bas-fonds de la ville a réussi à lire le récit sur des tablettes venant de Mésopotamie. Arthur (roi des égouts et des taudis) sera un des personnages de ce récit, jeune enfant très intelligent, il a le malheur de naître dans la misère la plus totale. L’auteure décrit avec un grand talent le Londres de cette époque et l’accident le plus improbable que représente le destin d’Arthur qui pourtant s’inspire d’un personnage réel, sortir de la misère à cette époque était plus que hautement improbable.

Enfin le destin des Yézidis est raconté d’abord en 1850 lorsqu’ils sont chassés de leur terre natale par un massacre organisé par des fanatiques, quelques survivants se retrouvent en Turquie, et puis comme on le sait en 2014 Daesh les poursuit sans pitié et leur sort n’est qu’une succession de crime de masse, de viols, de femmes réduites en esclavage .

Toutes ces destinées se retrouvent dans l’Angleterre aujourd’hui à travers une famille très riche, dont le père collectionne les antiquités, et dont la nièce est une ingénieure spécialiste de l’eau. L’auteure sème dans son roman des indices qui traversent les époques ; les tablettes de la bibliothèque d’Assurbanipal, permettent au jeune Arthur de découvrir la légende de Gilgamesh, elles sont de nouveau vendues par Daesh qui a pillé les musées en Irak. Le père d’Arthur qui est un alcoolique violent était aussi un menuisier de talent et la commode qu’il a construite pour un bourgeois du XIX ° siècle et qui ne lui a jamais été payée est maintenant une des plus belles pièces de la collection du riche Londonien. Et si, en fouillant la Tamise devenue propre, on trouve des ossement de tortue c’est parce que la reine Victoria a lancé la mode du consommé de tortue pour les riches nobles et riches anglais.

Un bon roman historique avec une fin qui est troublante mais vous en jugerez par vous même. J’ai une petite réserve, je pense que ce roman aurait gagné à être plus rapide, c’est un peu lent et trop touffu, l’auteure a sans doute trop voulu tout dire et tout nous expliquer.

 

 

 

 

Extraits.

Début.

 Chant du Tigre, dans l’ancien temps.
 Longtemps après, quand l’orage aura passé, chacun parlera des ravages qu’il a laissés derrière lui, alors que personne, pas même le roi, ne se souviendra que tout cela a commencé par une seule goutte de pluie.

Cruauté des puissants.

Mais Assurbanipal ne tuera pas son vieux maître. Il n’a jamais eu le goût de mener la charge sur un champ de bataille, préférant commander les massacres, démolitions, pillages et viols, assis en sécurité sur son trône -ou comme souvent, dans la quiétude de sa bibliothèque. Il a maintes fois supervisé le sac d’une cité et condamné sa population entière à la famine, ne leur laissant d’autre choix que de dévorer les cadavres de leurs proches ; écrasé les villes, réduit les temples en poussière, répandue du sel sur les champs fraîchement labourés ; écorché les chefs rebelles et pendu leurs partisans à des pays poteaux, nourri de leur chair, les oiseaux du ciel, les poissons des eaux profondes ; ensanglanté à coups de chaîne les mâchoires de ses rivaux qu’il a enfermés dans des chenils ; profané les tombes des ancêtres de ses ennemis si sauvagement que même leurs fantômes ne pouvaient reposer en paix -tous ces actes et bien d’autres, il les a dirigés depuis sa salle de lecture. Il ne va pas se salir les mains. C’est un roi érudit, un intellectuel qui a étudié les présages célestes et terrestres.

La Tamise en 1840.

 Tout l’indésirable, on le jette dans le fleuve. Orge usée des brasseries, pulpe des moulins à papier, viscères des abattoirs, rognures des tanneries, effluent des distilleries, chutes des teintureries, vidange des puisards et décharge des chasse d’eau (les inventions nouvelles dont jouissent les riches et les privilégiés) se diverse dans la Tamise, tuent les poissons, tuent les plantes aquatiques, tuent l’eau.

Les Yezidis.

La haine est un poison versé dans trois coupes. La première, c’est quand les gens méprisent ceux qu’ils envient -parce qu’ils veulent les avoir en leur possession. Tout cela, c’est de l’orgueil démesuré ! La deuxième, c’est quand ils haïssent ceux qu’ils ne comprennent pas. C’est de la peur. ! Et puis il y a la troisième, espèce.-quand les gens haïssent ceux qu’ils ont fait souffrir ?
 -Mais pourquoi ?
 – Parce que le tronc se souvient de ce que la hache oublie
 – Qu’est-ce que ça veut dire
 – Que ce n est pas le malfaisant qui porte les cicatrices, mais celui qu’il a blessé. Pour nous autres, la mémoire c’est tout ce que nous possédons. Si tu veux savoir qui tu es, tu dois apprendre les histoires de tes ancêtres. Depuis des temps immémoriaux, les Yézidis ont été incompris, diffamés, maltraités. Notre histoire n’est que souffrance et persécution. À soixante douze reprises, on nous a massacrés. Le Tigre a pris la teinte rouge de notre sang, le sol s’est desséché de notre chagrin -e t ils n’ont toujours pas fini de nous haïr..

Cette écrivaine sait décrire des ambiances.

 

Londres est drapée ce matin dans un suaire de brouillard. Il règne dans ses rues et ses parcs une quiétude insolite, un silence pesant qui se referme sur lui-même, comme une bourse fermée par des cordons bien serrés. Même si les cloches de l’église voisine viennent de sonner dix heures, on croirait plutôt que le crépuscule est déjà là. Ni gris ni blanc, l’air est d’un ocre sirupeux qui verdit par endroits. Des particules de suie et de cendre voltigent, tandis que les poêles domestiques au charbon et les cheminée d’usine vomissent des panaches de fumées chargées de soufre, encrassant les poumons des Londoniens à chaque inspiration.

Humiliation du père.

 Arthur sent que son père peut faire toute la lèche possible à ces deux messieurs si élégamment vêtus, en gilet brodé et cravate de soie, il n’a aucune chance. Ils l’observent avec un dédain manifeste, leurs yeux n’expriment que du mépris. D’en être témoin attriste le garçon. Personne n’aime voir ses parents dévoiler leurs faiblesses à d’autres. Leurs échecs, c’est notre affaire privée, un secret qu’on préférerait garder pour soi : quand ils s’affichent en public, livrés en pâture à tous, nous ne sommes plus les enfants que nous étions naguère.

La pauvreté.

 Si la pauvreté était un lieu, un paysage hostile dans lequel on tomberait accidentellement ou par une poussée délibérée, ce serait une forêt maudite – un bois sauvage, humide et lugubre suspendu dans le temps. Les branches vous happent, les troncs vous bloquent le passage, les ronces s’agrippent à vous, résolues à vous empêcher de partir. Même si vous parvenez à surmonter un obstacle, il est aussitôt remplacé par un autre. Vous vous arrachez la peau des mains en vous efforçant de dégager un chemin alternatif, mais dès que vous tournez le dos aux arbres, ils resserrent les rangs derrière vous. La pauvreté mine, votre volonté, peu à peu.

Les villes et les rivières.

 New york, Vienne São Paulo, Sydney, Pékin, Moscou. Toronto… Il existe des fleuves perdus presque partout sur la planète. Peu d’étrangers savent que Tokyo était autrefois une ville lacustre. Ça reste un endroit incroyable, bien sûr, mais ils ont comblé une centaine de cours d’eau et de canaux pour construire des routes ou simplement les dissimuler sous la chaussée. Ou bien prenez Athènes. Vous y étiez tous les deux cet été. Et bien cette ville aujourd’hui, malgré toute sa splendeur, n’a pas le moindre cours d’eau. Mais en fait, historiquement Athènes pouvaient se vanter d’avoir non pas un, ni deux, mais trois fleuves.

Les cultes et traditions yézidies

 Grandma dit qu’une vieille femme yézidie, une voisine qui lui est chère a émigré avec ses enfants en Allemagne où la famille s’est établie dans les années 1990. La femme a été troublée et attristée d’apprendre que les gens là-bas remplissaient une baignoire d’eau et s’essayaient dedans pour se savonner. Elle ne pouvait pas croire qu’il y ait des gens assez insensés pour plonger dans de l’eau propre sans être lavés auparavant.
 Grandma dit qu’on devrait aussi rendre hommage au soleil et à la kune qui sont des frères célestes. Chaque matin à l’aube, elles monte sur le toit pour saluer la première lueur, et quand elle prie elle se met fasse au soleil. Quand vient le soir, elle s’adresse une pierre à l’orbe de la nuit. On doit toujours marcher sur la terre avec émerveillement, car elle est pleine de miracles qui n’ont pas encore eu de témoins. Quant aux arbres, il ne faut pas penser seulement à ce qu’ils sont au-dessus de sol, mais aussi à ce qui reste invisible dessous. Oiseaux, rochers, touffes d’herbe, bouquets d’ajoncs, et même les plus minuscules insectes doivent être chéris.

Archéologie.

Travailler à une fouille archéologique incite à la modestie. Vous trimez dans la chaleur et la poussière armé d’une brosse et d’une truelle au fond d’un trou, avançant par millimètres à travers des dépôts millénaires. La frontière séparant l’instant présent du passé lointain se dissout et voilà que vous basculez dans un monde enfui qui bizarrement, bien que mort et enterré, revient à la vie. Vos perceptions changent : elles vous font comprendre la vulnérabilité de tout ce qui semble robuste et majestueux- palais, aqueduc, temple-, mais aussi la résilience de tout ce qui parait petit et insignifiant -un anneau, une pièce en bronze, un bréchet…Rien n’est dérisoire pour un archéologue. Même la découverte la plus banale est extraordinaire.

 


Éditions la croisée, 186 pages, mai 2025

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Cohen

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Je crois que je fais une overdose des premiers romans, j’ai hâte de lire des romans d’auteurs confirmés qui ont dépassé le stade des premières bonnes idées et sont devenus de bons et vrais écrivains.

Ce roman raconte des combats de boxe de jeunes filles et l’auteur, pour chaque combat, raconte le passé et le futur de chaque personnalité. L’auteur raconte sept combats de boxe avec une grande précision, autant sur la façon de mettre des coups à son adversaire, à s’en protéger et tout ce qui se passe dans la tête des compétitrices. Le premier combat est intéressant et aurait largement suffi à mon bonheur. Bref, pour moi, si cette auteure avait écrit une nouvelle je n’aurais eu aucune réserve mais au quatrième combat j’étais proche de l’overdose.

Il me reste à parler de l’écriture, un peu comme Clint Eastwood au cinéma, cette auteure a adapté son style aux coups portés lors d’un combat de boxe. C’est très efficace et cela permet de lire facilement au moins au début, la répétition des sept combats et des huit personnalités fait retomber l’intérêt de ce roman.

 

Extraits.

Début.

Andi Taylor entrechoque ses gant et se frappe le ventre sans penser à sa mère restée avec son petit frère, ni à sa voiture qui a failli la lâcher en route, ni à son job d’été à la piscine où elle surveillait le bassin surpeuplé, ni au gamin de quatre ans mort sous ses yeux, le gamin de quatre ans mort par sa faute, ou presque, avec ses joues bleues. On ne devrait pas confier à des adolescents, le job de sauver des enfants. Formation secourisme ou non. Elle a tué le garçon avec son regard dans le vague. Il avait des camions rouges sur son maillot de bain. On aurait dit un petit être en plastique.

 

Conséquences des combats.

 

 Et puis, il y avait les fractures, surtout aux doigts. Artemis et Andi se sont cassé les phalanges à de multiples reprises, mais Artémis une dizaine de fois de plus qu’Andi, et bien qu’Artémis ne le sache pas encore, cette dizaine de blessures supplémentaires au doigt a trop éprouvé sa main fragile et mortelle, pour ne pas l’abîmer irrémédiablement. À l’âge de soixante ans, Artémis ne sera plus en mesure de tenir une tasse de thé.

Enfance et projection.

 C’est le problème avec les enfants. La plupart du temps, ce qu’ils font, ou ce qu’ils pensent qu’ils devraient faire, ou tout ce qu’ils pensent être fait pour eux est seulement le résultat de ce que quelqu’un leur aurait dit un jour. Si t’es grand, les gens te disent : tu ferais des étincelles sur un terrain de basket. Si t’es une fille taillée comme un monolithe les gens te sortent : natation, boxe, lancer disque, et tu te dis forcément : Est-ce que ça pourrait être être mon truc ? Si les gens le disent, c’est peut-être prêt.

L’adolescence. Style de l’auteur.

 Les chiens ne connaissent pas l’adolescence. Ils restent bébés pendant quelques mois puis des adultes pour toute la vie, jusqu’à ce qu’on les pique. C’est quand même pratique, dit Izzy, de ne pas avoir à être une demi-chose, un demi humain, un adolescent, quoi, qui a le cul entre deux chaises, tellement longtemps qu’il finit par ne plus rien comprendre.

Comme les spectateurs, la répétition m’ennuie.

Alors que les arbitres s’apprêtent à lancer ce quatrième combat, le dernier avant la fin de la journée, dans le bâtiment obscur, où il ne reste plus que neuf spectateurs, il y a comme un effet de boucle, ou du moins la suggestion d’une répétition un sillon circulaire, dans lequel le tournoi a inscrit son récit.

Les rôles de grand mère au cinéma.

Les rôles de mamie seront simples pour elle parce que les personnes âgées peuvent dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Comme les enfants et les fous, les grands-mères ne sont pas soumises au même norme que le reste de la société. Il leur est permis de porter le fond de leurs pensées en étendard.


Éditions Folio, 270 pages, janvier 2025 (première édition en 2022)

Violette a su me tenter avec ce livre, que j’ai trouvé fort intéressant sans pour autant en faire un coup de cœur. Cet auteur raconte très bien et on a bien du mal à s’arracher à son récit, mais il y a trop de zones d’ombres pour que je sois totalement enthousiaste.

Cet homme a mal commencé sa vie, il a pourtant, et ce sera un point d’ancrage très important pour lui, une mère aimante qui le soutiendra toute sa vie. Il est né en 1947, et hélas pour lui détestera l’école, il passera son temps à fuir toute forme de contrainte liée à l’autorité. Pour l’école, on peut comprendre, en réalité, il aurait dû porter des lunettes car il était incapable de voir le tableau. Mais, dans son quartier, porter des lunettes était signe de faiblesse et il s’est évertué à les casser ou à les perdre. C’est un petit gamin débrouillard et avec ses amis marseillais il passe son temps à faire tout ce que les enfants des rues sont capables de faire : chaparder, voler, courir et s’amuser. Sa mère ne renonce jamais à lui donner le goût des études mais après un passage dans une boîte trop sévère, il s’enfuit et part en Angleterre. Commence sa première errance, mais il est rattrapé par le service militaire. À partir de là, sa vie bascule, comme il est arrivé un mois en retard à sa convocation, il est immédiatement mis en prison. Mais « sa vie bascule » aussi parce qu’un aumônier l’initie à la littérature, il commence à lire et à se trouver bien avec les auteurs les plus variés. Il s’échappera de la prison , puis travaillera dans un hôpital psychiatrique, et enfin deviendra écrivain avec un premier livre « les chemins noirs ».

J’ai beaucoup aimé l’honnêteté avec laquelle il se raconte, et surtout la façon dont les livres lui ont permis de survivre aux différents enfermements. Quand il a trouvé la lecture, plus personne ne pouvait avoir prise sur lui, c’était comme s’il avait un ailleurs fait de liberté, et de sensations agréables : odeurs, beauté, amour … Son éveil littéraire a commencé avec Giono et ne s’est plus jamais arrêté, il parle bien des livres et on sent que, peu à peu, il s’installe dans la société par la bonne porte. Celle qui fait attention à ne jamais se claquer au nez du plus faible et qui s’ouvre à toute les formes de respect pour la vie sous toutes ses formes. À l’image de cet homme d’église qui lui a fourni tous les livres dont il avait besoin pour respirer dans les murs des prisons et se lancer sur les chemins pour devenir un homme bien et fiable.

Pourquoi n’ai-je pas fait de ce livre, que j’ai beaucoup aimé et que j’ai lu d’une traite sans pouvoir m’arrêter, un coup de cœur ? Il me manque trop de personnages dans son histoire, je pense que par pudeur ou parce que ce n’est pas son sujet, il ne nous dit rien de son père de son frère et si peu de sa sœur. Il a dû discuter avec l’aumônier, alors qui est-il ? Pourquoi cet homme se comporte ainsi avec les prisonniers, on n’en sait rien. Bref ce récit ne me permet pas de bien comprendre pourquoi il a tant dérivé vers la délinquance et qui sont les gens qui l’ont aidé à retrouver le sens de la vie. Il ne dit rien ou presque de ses amours et du rôle des femmes dans sa vie (sauf sa mère) Ils sont présents mais on on ne les connaît pas, ils apparaissent comme des images tutélaires, un peu à la manière des films policiers au premier regard on sait en qui on peut avoir confiance ou pas .

Mais je sais que cet auteur a trouvé son public et pour l’avoir entendu parler c’est aussi un homme généreux tourné vers les autres. Donc chapeau ! et un grand merci à la littérature !

 

Extraits.

 

Début.

 Maintenant je vis dans une maison au bord de la forêt. Vers cinq heures du soir, l’hiver, je fais du feu dans un poêle en fonte noir et je relis de vieux livres. Je lis trois pages, je regarde la danse des flammes, je m’endors un peu, je rattrape mon livre, tourne deux pages, ajoute une bûche… Je serai bientôt vieux. Je dors souvent.

La religion et sa famille.

 Nous n’avions jamais mis les pieds à l’église, notre grand mère très communiste et même farouchement stalinienne nous l’interdisait.
 Mon père se foutait du curé et du bon Dieu, il n’avait qu’une religion la chasse et les boules, comme la plupart des hommes de notre quartier. Ma mère était plus douce et affectueuse que la vierge Marie. Nous n’avions pas besoin de Dieu, nous avions tout à la maison.

Partir à l’aventure.

 J’avais circulé dans Marseille comme dans ma poche. Londres me déconcerta. Cette ville n’avait ni début ni fin et les gens ne comprenaient pas les quelques mots que je pensais connaître dans leur langue. Ils remuaient négativement la tête en ouvrant leurs mains..
 Je parvins après des heures de marche sur de longs boulevards accablés de chaleur, à poser mon sac dans le dortoir d’une auberge de jeunesse qu’un guide des hôtels indiquait, à Holland Park. Le lit le moins cher de Londres.
 Dès qu’on a un toit sur la tête, dans un pays inconnu notre cœur retrouve son petit trot paisible. J’allais en faire souvent l’expérience,
 durant les sept années qui suivraient, les villes, les aventures et les frontières que j’allais traverser… Le rêve de l’humanité errante, depuis la nuit des temps, un toit sur la tête. 

Miracle du premier livre.

 Je tenais dans les mains un petit libre de poche dans le titre, « Coline » me frappa par sa sobriété. Sur la couverture un homme, une poignée de chèvres, un chemin… J’ouvris le livre. Je trouvais les premiers mots très simples, les phrases brèves. L’histoire commençait dans les collines, sur les plateaux déserts des Basses-Alpes, où j’avais passé les plus beaux été de mon enfance.
 Je retrouvais le silence des villages à trois heures de l’après-midi, sous la chaleur torride, l’odeur des pierres calcinées celle du thym très forte.
(…)
 Bientôt il n’y eut plus de mur autour de moi, j’étais sur ces chemins, dans ces hameaux abandonnés, je sentais la chaleur sur mes épaules et la lente infiltration de l’inquiétude…
 Jamais ce n’avait ressenti une chose pareille en lisant. Je regardais sur la couverture le nom de l’auteur, Jean Giono.. Par quel tour de magie cet homme m’emportait dans le Sud brûlant où j’avais grandi. Mon corps était traversé de bruits, d’odeurs de silences, de souvenirs, d’émotions..

L’importance des livres.

Je n’étais jamais seul, quelqu’un était dans ma poche puis dans ma main, avec qui je dialoguais, un compagnon de route. Je veux parler de tous ces écrivains qui furent mes professeurs. J’ai évoqué Giono, Dostoïevski Rimbaud … Tant d’autres qui vinrent bouleverser le cours de mon existence. J’allais devant moi, sans programme scolaire projets de lecture.
 Je lus tout ce que les hasards de la route mirent entre mes mains et chacune de ces lectures allait façonner ma vie, la réinventer comme les immenses blocs de pierre qui tombent des montagnes transforment et orientent le cours d’une rivière.
 J’étais redevenu un vagabond, mal rasé, hirsute, un vagabond de mots dans un voyage de songes.

 

 


Éditions Les Escales, 194 pages, septembre 2025.

Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugnon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Le sujet s’annonçait passionnant : a-t-on le droit de s’emparer de la vie d’autrui pour écrire un roman ? Mais hélas la réalisation est bien loin de m’avoir intéressée. L’auteure narratrice situe, en grande partie, son récit dans un train de nuit entre Londres et Edimbourg, nuit pendant laquelle elle partage son compartiment avec un écrivain et son ami. On apprend que le dernier roman de Terry, l’écrivain, « Rocco » a pris comme sujet un personnage réel Hans et que, celui-ci a disparu après la publication de ce livre en découvrant que ce roman dévoilait sa vie personnelle. Un critique littéraire a dénoncé avec violence ce qu’il considère comme un abus de la part de l’écrivain et qui a mis en danger la vie de Hans. Voici grosso modo le sujet. Mais ce qui aurait pu être intéressant est noyé dans un récit très compliqué, une mise en abîme de la fiction et de la réalité, j’ai eu un mal fou à m’intéresser aux différents personnages , et j’ai été agacée par toutes les références littéraires qui me semblaient être là comme une garantie du sérieux du propos.

Je me dis que c’est un premier roman , que l’écrivaine est très jeune et qu’elle veut donner des gages de sérieux. J’espère pour elle qu’elle quittera au plus vite, ces habits d’étudiante sérieuse et appliquée pour aller vers des récits qui la concerneront un peu plus. Bref une vraie déception, j’espère que le club m’apportera de meilleures lectures cette année.

 

Extraits.

Début (prétentieux ?).

 Le système de numération chinois distingue deux centres de zéros qui sont en réalité deux sortes de néants : l’un est le néant absolu, celui qui, je suppose, donne forme aux confins de l’Univers, là où aucune particule n’a jamais existé ; l’autre est représenté par le caractère « ling » et désigne la marque de ce qui est resté en arrière, en suspension, comme l’humidité dans l’atmosphère après un orage. Une absence définie par la trace de ce qui était et a été.
 Pendant ce séjour statique tout était « ling » ; un creux qui avait contenu quelque chose. Or ceci n’est pas le récit d’une période d’immobilité mais l’histoire d’une longue nuit.

Les références littéraires complètement inutiles.

Jules Renard disait que la vie est courte mais que l’ennui l’allonge. Et les après-midi dominicaux qui s’étirent devant ceux qui redoutent l’arrivée du lundi s’ancrent dans l’imaginaire lié à l’ennui le plus tenace.

Mais pourquoi ce genre de détails sans aucun intérêt ?

Bou portait un grand pull d’un noir défraîchi ; et bien qu’il l’ait rentré dans son pantalon, je devinai son t-shirt en coton blanc sous la laine. J’imaginais un col en V , de ceux qu’on achète par lot de trois et qui sont un peu démodés par rapport aux cols ronds.

 Problème de traduction ? C’est quoi un sommeil déconcertant ? ? ?

À cette heure tous les habitants devaient dormir d’un sommeil paisible ou déconcertant, le bruit lointain du train lointain s’incorporant aux aventures oniriques de certains, à la manière dont les sons ambiants s’immiscent dans nos rêves. 

Éditions livre de poche, 517 pages (avec la post-face qui explique d’où vient ce roman), mai 2023.

Traduit de l’espagnol par Serge Mestre.

Je dois cette lecture à « Caudia-Lucia » et je l’en remercie. Mes coquillages disent beaucoup du plaisir que j’ai eu à lire ce roman. La guerre d’Espagne a fait partie de mes premières lectures qui m’ont marquées dans ma jeunesse. Hemingway et « Pour qui sonne le glas » Malraux et « L’Espoir », qui m’avaient donné une vision simple de l’engagement du bon côté de cette guerre. Et puis, il y a eu George Orwell qui définitivement m’a fait douter du rôle des communistes pendant cette guerre. Mais je n’avais jamais rien lu sur l’après guerre et la répression franquiste. Almueda Grandes va raconter trois ans de terreur : 1947, 1948, 1949 en Andalousie, et l’épilogue en 1960, le moins qu’on puisse dire c’est que son point de vue n’est pas simpliste.
Nino, un petit garçon de 9 ans, au début du roman, vit dans une maison-caserne où son père est garde civil. Ce qui correspond à gendarme ; avec tout ce que cela veut dire quand il s’agit de maintenir l’ordre dans une dictature.
Ce que j’avais mal imaginé, c’est que l’implantation des gens qui avaient voté pour le front populaire était massive dans les régions rurales pauvres, et si la victoire militaire a été incontestable, elle n’a pas pu changer les mentalités pour autant. Durant ces trois années, la guérilla dans les montagnes était encore très active soutenue par une population qui était horriblement choquée par les méthodes de répression de l’armée ou des gardes civiles.
L’auteur a choisi comme narrateur un petit garçon, Nino, qui devra sa prise de conscience à un homme qui vit seul dans la montagne, cet homme, Pepe el Portuges lui apprendra tout ce qui est important pour prendre ses propres décisions et ne jamais avoir de réaction trop manichéennes. Bref, à devenir quelqu’un de bien dans un pays fasciste, de bien et de vivant donc faire attention à ne pas se jeter dans des actions irréfléchies. C’est tellement facile de juger, surtout sur les apparences, alors que pour mener à bien une lutte, il faut parfois savoir se cacher sous de fausses identités.

Les dialogues entre le jeune Nino, et celui qui lui semble vieux, mais qui est juste un adulte, Pepe el Portuges, sont des moments forts de ce roman. La prise de conscience de ce qui se passe autour de Nino, sous-tend tout ce récit, la lectrice que je suis, a suivi avec un intérêt, toujours proche de la surprise, le dévoilement des différents acteurs de cette narration. Je sais que c’est une fiction, qui mêle personnages réels et créations romanesques, mais je pense que ce roman doit être très proche du vécu de la population espagnole de cette époque. Les moments de détente arrivent avec les relations amoureuses : les femmes espagnoles ont du tempérament !

Les femmes qui vivent dans la terreur que leur mari, fils ou frère soient assassinés d’une balle dans le dos par des gardes civiles ou de face par les militants communistes cachés dans la montagne, sont des personnages qu’on n’oublie pas : leurs pleurs ou leurs cris résonnent longtemps dans la mémoire du lecteur après avoir refermé ce roman.
Ma seule difficulté mais qui n’est pas un reproche est venu des noms espagnols : je devais tout le temps faire un effort pour savoir qui était qui, d’autant que pour se cacher les personnages ont plusieurs noms !

Je vous encourage à lire ce roman , je serai bien étonnée qu’il ne vous plaise pas.

Extraits.

Début.

(je ne compte plus les débuts météorologiques des romans, mais je trouve celui-ci réussi, non ?)
 Les gens prétendent qu’en Andalousie il fait toujours beau temps, mais dans mon village en hiver on mourrait de froid.
 Les gelées se présentaient traîtreusement, avant la neige. Lorsque les jours étaient encore longs, lorsque le soleil de midi chauffait toujours et que nous descendions les après-midi jouer à la rivière, l’air devenait soudain cinglant et plus limpide. Puis le vent se levait, un vent aussi cruel et délicat que s’il était fait de verre, un verre aérien et transparent qui descendait en sifflant de la montagne sans soulever la poussière des rues.

Souvenirs de la guerre civile.

 Rubio, malgré son nom qui signifie « blond » avait les cheveux bruns, une cascade de boucles sombres aussi brillante que des gorgées d’huile, lui arrivant à la taille. C’est certainement pour cette raison, ou parce que c’était encore une enfant, ou parce qu’à douze ans elle avait déjà de grands yeux, un long cou, un nez fin et des lèvres on ne peut plus pulpeuses, qu’on ne le lui avait pas tondu la tête à la fin de la guerre, en même temps qu’à sa mère, à ses sœurs aînées, à ses belles sœurs, à ses tantes et à ses cousines. La ferme où elle habitait alors s’appelait toujours la ferme des Rubio même si plus un homme n’y habitait. Ils étaient tous morts, et certains, disait-on c’était exilé en Amérique. Mais Filo, elle, était restée. Elle s’était promenée le lendemain dans le village, les cheveux pleins d’échelles à moitié tondue. C’était elle qui s’était mise dans cet état avec les ciseaux de la cuisine, pour que personne ne puisse douter de ses opinions, ou pour ne rien devoir à ces fasciste soudain transformés en coiffeurs. La seule chose qu’elle récolta fut de se retrouver assise sur une chaise, au centre de la place pour finir de se faire tondre tout à fait.

Les discussions chez son père, garde civil et sa mère au fort tempérament.

 » Encore un de vos exploits, lançait ma mère qui ne ratait jamais une occasion de rappeler cela ouvertement, allez mettre en prison une femme tout simplement parce qu’elle est fidèle !
– Elle n’est pas en prison pour cette raison, Mercedes, mais pour avoir fait de la propagande subversive.
– De la propagande subversive ? Dire que tu couches avec ton mari c’est faire de la propagande subversive ça ? Et le faire cocu, c’est quoi alors ? Collaborer avec Franco ? Eh bien, dis donc … tant de curés et tant de messes, pour en arriver là …
– Tais-toi, tu ne sais pas ce que tu dis.
– Eh bien, je ne me tairai pas. Je n’en ai pas envie, voilà ! La seule chose qu’a faite Rosa a été de dire qu’elle était enceinte de son mari, un point c’est tout. Et tu trouves que c’est une raison pour l’envoyer en prison, peut-être ? Être fidèle et aimer son mari, et coucher avec lui, c’est une raison pour se retrouver en prison, Antonino ? » Insistait ma mère. Et mon père n’osait pas lui répondre ce qui encourageait encore plus sa femme : » Et elle a très bien fait… d’abord de dire la vérité et ensuite parce que… ça… c’est sûr qu’on vous aurait entendu vous gausser et traiter Cencerro de cocu, alors que c’était même pas vrai… »

La répression franquiste.

 Ces derniers pouvaient raconter l’histoire à leur manière, et fêter l’anniversaire des années de paix qui avait lieu tous les mois d’avril, en évoquant les églises incendiées, les curés éventrés, les bonnes sœurs violées, la terreur des hordes marxistes qui avaient précipité leur intervention sacrée et salutaire. À Madrid, il y aurait toujours des gens pour croire que la guerre s’était terminée en 1939 mais dans mon village c’était différent. Dans mon village, les hommes s’enfuyaient dans la montagne pour sauver leur peau et les autorités poursuivaient les femmes qui tentaient de gagner leur vie en vendant des œufs, celles qui ramassaient du spart dans la forêt, qui le travaillaient et même celles qui vendaient des asperges sauvages le long des chemins. Car pour celles-ci tout était interdit, tout était illégal, tout devenait un délit et la survie de leurs enfants relevait du miracle. Voilà comment cela se passait dans mon village, où l’on pouvait se faire tirer dans le dos n’importe quand pour avoir donné à manger à son enfant, à son père, à son frère. C’était suffisant pour légaliser n’importe quelle mort, cela transformait n’importe qui en dangereux bandit, en féroce ennemi public même si celui-ci n’avait jamais eu le moindre fusil entre les mains. C’était la loi, et c’était une loi injuste, une odieuse loi, une loi atroce et barbare, mais c’était la seule et unique loi. Et les gardes civils ne craignaient pas de l’appliquer.

Ce que Jules Verne a apporté à Nino.

 En outre, les romans de Jules Verne me donnaient souvent le prétexte de poser des questions sur tout ce que j’ignorais, en histoire, en géographie, en physique, à propos des sextants, des ballons aérostatiques, des sous-marins, des routes maritimes, des exploits des découvreurs, des expériences dans les laboratoire, de tout ces savants fous et sages à la fois qui, après beaucoup d’erreurs, parvenaient au plus grande découverte de leur vie. Ainsi ces livres allaient me conduire vers d’autres livres, d’autres auteurs que j’allais découvrir avec la même avidité. 

Pour vous expliquer pourquoi je me suis un peu perdue dans les noms.

Lors des premières élections démocratique, José Moya Alguira , alias Pepe el Portugais, alias Francisco Rojas, alias Juan Sanchez, alias Miguel Monterro, alias Jorge Jorge Martinez, alias Camilo occupa la tête de liste que présenta le parti communiste espagnol dans la province de Jaén, où mon nom se trouvait en dernier.

 

 

 

Éditions Bayard, 290 pages, avril 2025

 

Je mets cet essai dans le mois des feuilles allemandes alors qu’il est écrit par une française, mais c’est un sujet qui concerne au premier chef l’Allemagne. Comme moi peut-être, le mot « sudètes » était englobé dans cette phrase :  » Annexion des Sudètes par l’Allemagne nazie dirigée par Hitler en 1938″.

Un tel livre ne pouvait que plaire à Patrice. Je suis moins enthousiaste que lui car cette l’enquête de cette auteure est laborieuse ce qui ne l’empêche pas d’être très intéressante. Pour bien comprendre la façon dont Alexandra Saemmer essaie de retrouver tous les membres de sa famille et leur mode de pensée pendant l’annexion en 1938 puis leur expulsion en 1945 de Tchécoslovaquie, il faut comprendre la notion de ‘boîte miroir », notion qu’elle utilise souvent et que j’ai eu du mal à cerner. Si j’ai bien compris, il s’agit de comprendre une situation et des personnages à l’aulne de son vécu personnel et de ses connaissances sans pour autant être certain que ce soit la vérité.

Elle sait et peut vérifier un certain nombre de choses sur sa famille, ses grands parents vivaient dans une région à majorité Sudète dans une petite ville rurale Auspitz qui est rayée de la carte aujourd’hui, parce que tous les Sudètes ont été en 1945, expulsés vers l’Allemagne.( Les chiffres officiels disent que sur 3,2 millions d’Allemands des Sudètes plus de 3 millions ont été déportés.)

Comme dans toutes les familles qui ont connu de tels bouleversements beaucoup de zones d’ombres hantent la mémoire des survivant, mais ces zones deviennent grises quand il s’agit de rechercher des ancêtres qui ont été des Nazis convaincus et actifs, ou passifs et malgré eux. L’écrivaine est très honnête dans sa démarche et voit bien que son grand-père disparu sur le front de l’est portait la médaille nazie au revers de son veston. Mais évidemment, plus personne après guerre n’est capable de lui expliquer ce qu’il ressentait vraiment. Sa mère se souvient d’un homme très doux et comme tous les Allemandes, déclare ne rien savoir de ce qui est arrivé aux juifs, ce qui est certain c’est qu’il n’est pas revenu du front de l’Est et que l’on n’a retrouvé aucune trace de lui. Sa grand mère a donc été expulsée en Bavière où elle n’a pas été bien accueillie, les Bavoirois supportaient mal ces réfugiés qui leur semblaient plus slaves qu’Allemands (les théorie racistes avaient laissé des traces solides dans les mentalités allemandes) . Le malheur de cette famille de trois enfants est aggravé par la mort en couche de la grand mère de l’auteur, les trois enfants sont séparés et le pauvre petit garçon Hermann se retrouvera dans une ferme comme petit valet et se perd dans les méandres de l’histoire de jeunes délinquants de l’après guerre. Les deux sœurs seront élevées dans deux familles différentes et aimantes et resteront en contact. La recherche de l’auteur lui permettra de se rendre compte que sa mère n’est pas née d’un viol par un soldat Russe car sa mère était enceinte au départ de son père pour le front de l’Est. Les scènes de viols ont été nombreuses dans les régions des Sudètes comme dans toutes les régions libérées par l’armée russe.

La dernière partie de la recherche de l’auteure est consacrée à ses contacts avec différents réseaux de parole des Sudètes, et l’on voit que certains n’hésitent pas à parler de Génocide pour leur expulsion et à prétendre que leur sort a été pire que celui des Juifs. Ce n’est absolument pas ce que pense l’auteure qui explique sans cesse que la déportation des Sudètes n’a jamais voulu dire « extermination » : ils avaient choisi l’Allemagne Nazie en 1938 , les Tchèques ont été très contents, en 1945, de les renvoyer vers leur patrie de « cœur » et de langue si ce n’est d’origine . En effet la présence d’Allemands dans ces régions est attestée depuis le Moyen-Age.

Tous les malheurs des Sudètes viennent du traité de Saint Germain, qui acte la fin de l’empire Austro-Hongrois et qui trace des frontières à travers des régions qui avaient l’habitude de se sentir l’autorité d’un lointain empire sans se poser la question de la nationalité. Les peuples étaient définis plus par leur langue que par leur nationalité, les Sudètes se sont retrouvés en Tchécoslovaquie sans pour autant perdre leur langue. Et la catastrophe du Nazisme les a précipités dans les bras d’Hitler : là ils ont vraiment tout perdu et n’ont trouvé aucun soutien dans la conscience internationale après la guerre 39/45.

Je trouve que cette auteure sait très bien nous l’expliquer à travers sa famille, et si ce sujet vous intéresse, à votre tour de découvrir un peuple bien malmené par l’Histoire.

 

 

Extraits.

Début.

 Décembre 2023, ma mère m’a tendu une pochette et elle m’a dit : « Voilà ton héritage. Prends en soin. » À l’intérieur il y avait parmi d’autres documents, le titre de propriété d’une ferme à Auspitz : une maison en brique de 135 mètres carrés comportant trois chambres, une cuisine, une buanderie, une grange et une étable de 80 mètres mètre carrés abritant 25 cochons, 20 oies, ; un hectare de terrain destiné à la culture de la pomme de terre, du maïs et du fenouil ; un jardinet ; des arbres fruitiers, un étang.
 La liste des biens était précise.
 Or, la ville d’Auspitz ne figure plus sur aucune carte.
 Je suis une descente du peuple des Sudètes : une minorité germanophone installée dans les régions frontalières de la Tchécoslovaquie depuis le Moyen Âge, qui a été expulsée à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour avoir voté, quelques années plus tôt en faveur de son intégration dans l’Allemagne nazie.

La boîte-miroir.

 Pour saisir ce qui obstinément m’échappait, j’ai actionné la boîte-miroir : je me suis appuyée sur l’histoire de Wegscheid, village frontalier entre l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque, où ma mère a été déplacée après les l’expulsion et où j’ai moi-même grandi. Reculé et également « sans histoire » si l’on en croit les chroniques officielles, Wegscheid a en vérité joué un rôle stratégique à la fin de la Seconde Guerre mondiale  : l’une des dernières batailles s’y est déroulée, et la population, malgré la défaite de la Wehrmacht sur tous les fronts, à « résisté » de façon absurde, criminelle.

Difficultés de la recherche sur les opinions de sa propre famille.

 Je veux croire que mon grand-père a rejoint le parti national-socialiste pour garder son poste de facteur. Sa carte de membre vierge de toute mention, montre qu’il n’a pas été un membre assidu. Et puis, en 1938, peut-être était-il encore possible, au moment de l’annexion de passer à côté de certains signes on fermant les yeux avec obstination.
 Je dois néanmoins résister à la tentation de laver ma famille sudète de toute responsabilité. En enquêtant dans les archives en ligne, j’apprends qu’une fois les territoires sudètes annexés, la résistance de la population tchèque contre cette annexion a été réprimée sans merci. Certains opposants politiques ont été acheminés à Dresde. 850 ont été guillotinés publiquement sur le Münchner Platz.

Tous les réfugiés se ressemblent.

(Point de vue de Josef, un paysan tchèque dont le frère a été fusillé par les nazis sudètes.)
 En regardant passer la foule ocre et grise, Josef constate à quel point tous les pauvres se ressemblent. Les femmes pleurent quémandent un bout de pain. Un vieux gémit. Une petite blonde boîte. Ils l’ont bien cherché.
(…)
 Hier, ces gens applaudissaient Heydrich, le vice gouverneur du Reich en Bohême-Moravie. Aujourd’hui, ils implorent la grâce du simple paysan qu’il est. Ils n’ont aucune fierté. Ils ressemblent aux ballots qu’ils traînent. Certains les préfèrent même à la vie : ils les défendent coûte que coûte, quitte à se faire fusiller pour une paire de bottes et des bijoux en toc. Josef boit une gorgée de slivovitz dans la gourde de Václav. Ces gens ont mérité ce qui leur arrive

La langue comme marqueur d’exil.

 L’un des stigmates qui les désignait immédiatement comme impurs était leur langue, gangrenée par le tchèque comme malgré eux. Ma mère m’a souvent raconté les moqueries qu’elle subissait, tout juste arriver en Bavière, de la part des villageois qui faisaient semblant de ne pas comprendre ce qu’elle disait.
 Que j’ai moi-même fui un malaise dans la langue en quittant l’Allemagne il, y a bientôt 30 ans est un fait même si je suis partie à l’époque sans trop y réfléchir.
 En France, je serais jusqu’à la fin de ma vie considérée comme une étrangère à cause de mon accent. J’ai beau avoir publié beaucoup, en français et faire cours à l’université dans cette langue, rien n’y fera. Rien ne fera disparaître la lueur d’impatience dans le regard de l’autre dès que j’ouvre la bouche. Même si elle s’accompagne souvent de compliments sur ma « belle maîtrise » du français, elle me fait comprendre que celle-ci restera marquée d’étrangeté.

Propos de militants Sudètes.

 Aucun accord international valable ne donnerait un fondement juridique à l' »annexion » des territoires sud-par la Tchécoslovaquie après la guerre. L’Histoire était donc à refaire, selon Hildebrandt – le « peuple sudète » n’était coupable de rien.
 À l’instar d’association militante identitaire comme le Witikobund, Hildebrand œuvrait pour la vengeance. Une reconnaissance de l’expulsion comme injustice ne lui suffisait pas : pour Hildebrand, il s’agissait d’un « génocide » dont l’atrocité dépassait celui des Juifs, et demandait réparation.

L’histoire : un éternel recommencement.

Bien de fois ai-je entendu lors de mon enfance en Basse-Bavière : « Un nouveau petit Hitler ne serait pas si mal. »


Éditions Gallmeister, 354 pages, mars 2025

Traduit de l’allemand par Justine Coquel

Il n’y a que les très jeunes et les très vieux pour croire à l’éternité

J’ai, cette année peu lu de romans venant d’Allemagne et ma participation aux feuilles allemandes était bien compromise, mais j’ai trouvé ce titre chez Eva et son billet m’a tentée.

J’ai vraiment adoré la première partie du récit, lorsque Billie raconte sa vie avec sa mère Marika. Les portraits de la mère et de la fille sont très vivants et l’autrice a un sens de l’humour et de l’à propos drôle et tendre à la fois. Elles vivent dans un immeuble social, où la débrouille et l’entraide permettent de vivre dans la gaieté. Sa mère fait partie de cette classe pauvre en Allemagne qui a bien du mal à s’en sortir malgré ses deux boulots. Après avoir gagné un peu d’argent à un jeu télévisé, elles se préparent à partir en vacances quand une catastrophe s’annonce : la mère de Marika arrive chez elle car elle est malade. C’est une femme âgée, hongroise pays d’origine des héroïnes qui juge sévèrement la vie de sa fille. Elle sera responsable involontairement de l’accident de sa fille qui tombe sur la table basse sur la tête et meurt. Cette mort, on l’apprend dès les premiers mots du roman(donc je ne dilvugâche rien !) . La première partie est un retour en arrière et la tendresse moqueuse qui lie les deux personnages est très agréable à lire : on est bien avec elles, le point de vue de l’adolescente, Billie donne une saveur particulière au récit . Dans cette première partie, elle raconte aussi son amitié avec Léa une jeune fille d’un milieu aisé, Billie décrit fort justement le mépris de classe qui les séparera.

Billie est trop malheureuse pour rester vivre avec sa grand-mère qu’elle juge responsable de la mort de sa mère, alors, au volant de leur vieille voiture, elle part à la recherche de son père dans le nord de l’Allemagne. Le voyage est compliqué car elle a peu d’argent , elle cherche les solutions pour rester propre dormir et se nourrir, tout en ayant peur de se faire rattraper par la police.

Enfin, dans la troisième partie elle arrive dans le nord de l’Allemagne chez celui qu’elle croit être son père. Elle y retrouve une vie proche de la nature. La description de l’île, des différents paysages de la mer du Nord et du paysan taiseux sont agréables : on sent que Billy va pouvoir vivre là si elle le décide. Il fallait une fin positive au roman, et c’est sans doute ce qui m’a un peu déçue. Je ne crois pas trop au happy end même en douceur comme ici , mais cela ne pas empêcher de mettre cinq coquillages car rien que pour le début, j’aimerais bien que vous lisiez ce roman et me donniez votre avis.

Extraits

 Début.

Ma mère est morte cet été.

Une chanson à la radio n’était plus qu’un bruit et pas une invitation à chanter, même si aucune de nous ne connaissait les paroles.
 Une averse n’était plus que la météo et pas une occasion de se précipiter dehors et de danser pieds nus dans une flaque.
 Ça paraît poétique, mais seulement sur le papier. Quatorze ans, c’est un âge de merde pour perdre sa mère. Le deuil va et vient comme le flux et le reflux, mais il est toujours là.

Prodige de la traduction .

Billie, c’est le diminutif d’Erzébeth, dit ma mère. 
 Sa prononciation était impeccable j’avais beau comprendre le hongrois, tout ce que j’entendais c’était « air bébête ».

Cette écrivaine a vraiment l’art de la suggestion à travers ses descriptions.

Ta mère avait deux boulots.
 le matin elle travaillait dans un grand cube vitré divisé en plein de petits cubes vitrés. Elle faisait le ménage pour les employés qui portaient des costumes chers et des cravates. Et puis elle leur apportait des trombones, des enveloppes et des surligneurs -et parfois même une poche de froid. Ça n’était pas rare que quelqu’un se cogne dans une porte ou à un mur. Le soir, ma mère était serveuse dans un bar.
– Le job au bar met certes du baume au cœur, disait-elle quand elle comptait ses pourboires après le service, mais c’est celui de femme de ménage qui met du beurre dans les épinards

J’adore ce portrait.

 Louna était sortie de chez elle. Ses pas faisaient un bruit de succion sur le carrelage à cause de ses tongs. Elle les avait trouvées sur Internet, la paire aux prix d’une boule de glace. Comme les frais ports étaient quatre fois plus élevés, Luna en avait commandé toute une cargaison. Désormais, elle possédait des tongs dans toutes les couleurs de l’univers. Elles étaient fabriquées en Chine et en plastique. Ma mère disait que Luna finirait par attraper un cancer de la peau des pieds à cause de ça. Ce n’était qu’une question de temps.

Humour.

Je repensais à ce que ma mère m’avait expliqué un jour au sujet des ascenseurs :

– Quand tu habites au dix-septième étage l’abonnement en salle de sport est inclus.

 

 

 


Éditions Vuibert (Graphic) (204 pages, novembre 2025)

 

Les éditions Vuibert grâce à Babelio m’ont offert cette BD, un grand merci à eux.

Faire paraître mon billet la veille du 13 novembre illustre d’une lumière particulière et si tragique l’islamisme radical, je me demande si le choix de la date de la parution de ce témoignage a été voulue par la journaliste, si oui, je suis mal à l’aise avec ce choix.

La phrase d’un des survivants, Antoine Leiris « Vous n’aurez pas ma haine » , tournait en boucle dans ma tête en lisant la partie du récit qui concerne la mère de Sana, elle a entraîné toute sa famille dans l’enfer de Daesh. Cette femme, j’aimerais tant qu’une journaliste s’intéresse à elle, est une boule de haine qui semble absolument incapable de revenir sur aucun de ses choix. Elle a sciemment provoqué la mort de plusieurs de ses enfants et de son mari, mais rien ne la fera douter peut-être est- elle est encore en vie et j’aimerais vraiment la comprendre, pour que la France puisse se protéger contre ce genre de personnes.

Le personnage principal de cette BD, Sana, a été entraînée dans cette horreur tout en gardant sa volonté de revenir en France. C’est un récit terrible, il se trouve que j’ai entendu cette journaliste raconter son projet et la trajectoire de cette jeune femme. Le récit m’en a appris autant que la BD, Sana a toujours été détestée par sa mère, on ne sait pas pourquoi, dès qu’elle a eu 14 ans elle a été déscolarisée. Puis, influencée pas un cousin Yousef, sa mère part avec ses enfants, elle est une première fois refoulée de Turquie mais repart une deuxième fois et cette fois arrive en Syrie. En 2014, son père finit par les rejoindre en 2017, Sana accepte de se marier pour enfin échapper à sa mère, elle aura deux enfants, deux filles qui lui donneront le courage de lutter. À la chute de Daesh, elle et sa famille sont prisonniers des Kurdes ; la vie dans les camps est une horreur absolue, d’un côté les Kurdes sont très violents contre ces femmes fanatisées mais dans le camps la terreur est entretenue aussi, par des femmes comme sa mère qui font la chasse aux mécréantes. Elle finit par être rapatriée, en France, avec ses filles. Soupçonnée d’appartenir à une branche terroriste de l’Islam, elle racontera tout son parcours à la police française, échappe de peu à l’expulsion car elle a la nationalité algérienne.

Son parcours est poignant, mais j’ai vraiment du mal avec le choix du format, je ne vois pas ce que les images apportent au récit. Ce sera à vous d’en juger car vous êtres souvent bien meilleures que moi en ce domaine.