Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Prix Renaudot 2017 . Félicitations !


Quel livre ! La bibliothécaire nous avait prévenu, ce roman est intéressant à plus d’un titre, ce n’est pas seulement un livre de plus sur l’horreur d’Auschwitz. Olivier Guez commence son récit lorsque Josef Mengele débarque en Argentine sous le nom d’Helmut Gregor, après avoir passé trois ans à se cacher dans une ferme en Bavière non loin de Günzburg sa ville natale où son père occupe des fonctions très importantes à la fois, industriel prospère, et maire de sa ville. Toute sa vie de fuyard, Mengele sera soutenu financièrement par sa famille. Deux périodes très distinctes partagent sa vie d’après Auschwitz, d’abord une vie d’exilé très confortable en Argentine. Sous le régime des Peron, les anciens dignitaires Nazis sont les bienvenus et il devient un industriel reconnu et vend aussi les machines agricoles « Mengele » que sa famille produit à Günzburg.

Tout le monde tire profit de la situation, l’industrie allemande prend pied en Amérique latine et Josef s’enrichit. Son père lui fait épouser la veuve de son frère pour que l’argent ne sorte pas de la famille. Et la petite famille vit une période très heureuse dans un domaine agréable, ils participent à la vie des Argentins et se sentent à l’abri de quelconques représailles.

Tout s’effondre en 1960, quand le Mossad s’empare d’Eichmann et le juge à Jérusalem. Mengele ne connaîtra plus alors de repos, toujours en fuite, de plus en plus seul et traqué par les justices du monde entier. Mais jusqu’en février 1979, date de sa mort, sa famille allemande lui a envoyé de l’argent. On aurait donc pu le retrouver, pour information l’entreprise familiale Mengele n’a disparu qu’en 1991 et le nom de la marque en 2011.

La personnalité de ce médecin tortionnaire tel que Olivier Guez l’imagine, est assez crédible, jusqu’à la fin de sa vie, il se considérera comme un grand savant incompris et il deviendra au fil des années d’exil un homme insupportable rejeté de tous ceux qui se faisaient grassement payer pour le cacher. La plongée dans cette personnalité est supportable car Mengele n’a plus aucun pouvoir et même si on aurait aimé qu’il soit jugé on peut se réjouir qu’il ait fini seul et sans aucun réconfort. Ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’industriels allemands qui ont établi leur fortune sous le régime Nazi. L’aspect le plus étonnant de ce roman, c’est la complaisance de l’Argentine de l’Uruguay vis à vis des Nazis. Cette communauté de fuyards Nazis a d’abord eu pignon sur rue et a contribué au développement économique de ces pays, puis ces hommes ont peu peu à peu perdu de leur superbe et se sont avérés de bien piètres entrepreneurs.

Citations

L’Allemagne nazie

Tout le monde a profité du système, jusqu’aux destructions des dernières années de guerre. Personne ne protestait quand les Juifs agenouillés nettoyaient m les trottoirs et personne n’a rien dit quand ils ont disparu du jour au lendemain. Si la planète ne s’était pas liguée contre l’Allemagne, le nazisme serait toujours au pouvoir.

L’Allemagne d’après guerre

À la nostalgie nazi les Allemands préfèrent les vacances en Italie. Le même opportunisme qui les a incités à servir le Reich les pousse à embrasser la démocratie, les Allemands ont l’échine souple et aux élections de 1953, le Parti impérial est balayé.

Les industriels allemands

À Auschwitz, les cartels allemand s’en sont mis plein les poches en exploitant la main d’oeuvre servile à leur disposition jusqu’à l’épuisement. Auschwitz, une entreprise fructueuse : avant son arrivée au camp, les déportés produisait déjà du caoutchouc synthétique pour IG Farben et les armes pour Krupp. L’usine de feutre Alex Zink achetait des cheveux de femmes par sacs entiers à la Kommandantur et en faisait des chaussettes pour les équipages de sous-marins ou des tuyaux pour les chemins de fer. Les laboratoire Scherring rémunéraient un de ses confrères pour qu’il procède à des expérimentations sur la fécondation in vitro et Bayer testait de nouveaux médicaments contre le typhus sur les détenus du camp. Vingt ans plus tard, bougonne Mengele, les dirigeants de ces entreprises ont retourné leur veste. Ils fument le cigare entourés de leur famille en sirotant de bon vin dans leur villa de Munich ou de Francfort pendant que lui patauge dans la bouse de vache ! Traites ! Planqués ! Pourritures ! En travaillant main dans la main à Auschwitz, industries, banques et organismes gouvernementaux en ont tiré des profits exorbitant, lui qui ne s’est pas enrichis d’un pfennig doit payer seul l’addition.

Description de Mengele à Auschwit par son adjoint

Mengele est infatigable dans l’exercice de ses fonctions. Il passe des heures entières plongé dans le travail, debout une demi-journée devant la rampe juive ou arrive déjà quatre ou cinq trains par jour chargés de déportés de Hongrie. Son bras s’élance invariablement dans la même direction, à gauche. Des trains entiers sont envoyés au chambre à gaz et au bûcher. Il considère l’expédition de centaines de milliers de Juifs à la chambre à gaz comme un devoir patriotique. Dans la baraque d’expérimentation du camp tsigane on effectue sur les nains et les jumeaux tous les examens médicaux que le corps humain est capable de supporter. Des prises de sang, des ponctions lombaires, des échanges de sang entre jumeaux d’innombrables examens fatigants déprimants, in-vivo. Pour l’étude comparative des organes, les jumeaux doivent mourir en même temps. Aussi meurent-ils dans des baraques du camp d’Auschwitz dans le quartier B, par la main du docteur Mengele.

46 Thoughts on “La Disparition de Josef Mengele – Olivier GUEZ

  1. J’ai trouvé ce roman intéressant surtout à titre documentaire, mais du coup littérairement parlant, c’est assez plat.

    • Je pense que le style épouse le sujet. L’auteur n’a voulu faire aucun effet et pour moi c’est ce qui me fallait je redoutais le pathétique.

  2. Tu penses bien que j’ai envie de le lire (il est à la bibli, suffit de patienter) J’aime bien la photo!!!

  3. Voilà qui me semble passionnant et puis cinq coquillages c’est si rare…

    • Un livre qui sort de l’ordinaire de plusieurs façons. Il permet de savoir ce qui s’est passé pour cet homme sans tomber dans ce que l’on sait déjà sur le personnage.

  4. J’ai appris récemment que les travaux de Mengele sont toujours conservés dans les archives universitaires. Cela m’a paru décalé mais pourquoi pas, le monstre reste un scientifique.

  5. Freg on 3 novembre 2017 at 09:09 said:

    Certes « Si la planète ne s’était pas liguée contre l’Allemagne, le nazisme serait
    toujours au pouvoir », l’URSS est intervenue pour des raisons idéologiques et les États-Unis pour des raisons économiques.
    Aucune philanthropie là dedans.

    • C’est vrai et très inquiétant. Pour beaucoup de gens on parle trop du sort fait aux juifs , pour moi c’est oublier à quel point on ne s’intéressait pas à eux avant la guerre, pendant, et juste après. Il a fallu beaucoup de temps pour que l’humanité se rende compte de ce qui s’était passé.

  6. Je compte le lire… Il n’est pas loin de moi, il n’attend plus que moi. ;)

  7. Je ne pensais pas le lire, ayant déjà beaucoup lu sur ce sujet ( on ne sait jamais trop, me diras-tu, mais dès fois, on n’a plus d’intérêt littéraire pour ce sujet, j’espère être claire …). Là, tu me fais changer d’avis, je ne vais pas me précipiter, mais je le retiens.

    • J’entends beaucoup cela , de façon discrète « j’ai beaucoup lu sur le sujet » et de façon agressive « encore les juifs!, je trouve qu’on n’écrira jamais assez sur ce sujet , il ne s’agit pas d’un massacre à l’occasion d’une guerre ou d’une vengeance ethnique , mais d’une volonté d’exterminer des humains au nom d’une religion pour fonder un élan national. Et ceci par un pays qui avait les mêmes valeurs que nous. Pour moi cela mérite tous les livres qu’on écrit à ce ce propos. Et fera peut être réfléchir tous les gens tentés par des théories racistes. Mais ce roman raconte un moment peu exploré le rôle des pays d’Amérique Latine dans la protection des Nazis.

  8. Je l’attends à la bibliothèque, ça commence à être long, j’ai hâte ..

  9. LA dernière citation est insoutenable. J’ai vu le labyrinthe du silence, où on parle de Mengele et ça me suffit.

    • je te le répète le sujet n’est pas tant Mengele que sa fuite et la façon dont il a bénéficié toute sa vie du soutient de sa famille et de complicités en Argentine puis en Uruguay

  10. Ce que je voulais dire, mais je n’ai pas été assez claire, est que ce n’est pas l’abondance des écrits sur le sujet qui me retient, mais le fait que par moments, je n’ai plus d’appétence pour … j’ai besoin de digérer, d’assimiler, avant d’y revenir. C’est comme après mon séjour à Cracovie, je ne pouvais plus voir un documentaire sur la Shoah, c’était viscéral. Non pas parce que je ne voulais pas savoir, mais au contraire, parce que je venais de vraiment comprendre, ce que je savais, mais ne pouvait, malgré tout, comprendre …

    • je comprends et j’ai eu la même réaction que toi quand la bibliothécaire l’a proposé , j’ai dit « Ah non pas lui! » et elle m’ a répondu mais ce roman ne se lit pas à cause de Mengele mais pour la façon dont ils ont été reçu en Amérique latine quel que soit le poids de leurs crimes. Et c’est vrai , c’est l’intérêt de ce livre.

  11. OK, j’ai eu peur de m’être mal expliquée, c’est un sujet qui me tient vraiment à coeur.

    • Je comprends et je partage tes réticences à parfois se remettre dans ce genre de lecture, c’est la raison pour laquelle j’insiste , lis ce livre.

  12. Quand tu mets 5 coquillages je m’empresse toujours de noter, même si pour le coup le sujet est plombant.

    • C’est vraiment sympa comme commentaire. C’est vrai qu’il se passe quelque chose quand je mets 5 coquillages. Dans ce cas je pensais aussi lire un énième livre sur l’horreur nazie. Et finalement j’ai lu un livre sur l’Amérique Latine et la déchéance d’un homme qui n’a jamais reconnu ses erreurs.

  13. Comme Jérôme, ton billet me convainc alors que jusqu’alors, le sujet me freinait. Je ne me précipiterai pas, mais le garderai à l’esprit. (ou dans une LAL, c’est plus sûr !)

  14. De façon évidente un livre que j’avais repéré mais je craignais beaucoup la façon dont le sujet serait traité, tu m’enlève mes à priori et je vais le mettre sur ma liste à lire et tant pis si le style est plat ce n’est pas le problème
    Comme toi je pense que sur le nazisme, le stalinisme et autres massacres en tous genres on ne publie jamais trop, on ne lit jamais trop, il n’y a qu’à voir actuellement les massacres en Birmanie !!

    • Je ne comprends pas trop les remarques sur le style pour ce roman. Pour moi il fallait rester neutre, il a un style de reporter et nous laisse à nos émotions. De plus ce qui est l’essentiel du roman, c’est la vie de Mengele en Amérique Latine, les horreurs d’Auchwitz font à peine une dizaine de pages. Cela sous tend le roman et c’est déjà à peine supportable.

  15. J’ai été passionnée aussi par ce roman fini la semaine dernière. Bien que l’écriture soit un peu plate, on est emporté par la vie de ce monstre.

  16. je viens de le réserver à la bibliothèque ! C’est le 1er avis réellement dithyrambique que je lis.

    • Je n’ai pas de réserve car j’avais tellement d’appréhensions avant de le lire et finalement ce n’était pas du tout ce que je pensais. Ce livre m’a éclairée sur un aspect peu connu de l’après nazisme.

  17. il est sur ma liste celui-là, je vais le faire remonter !

  18. Lu, beaucoup aimé, mais pas chroniqué… Un sacré roman !

    • Je suis d’accord un sacré roman. Petite remarque, quand je vois tout ce que tu lis et que tu commentes, je me dis que tes journées sont bien remplies surtout que j’apprends ici qu’il y a des romans que tu lis et que tu ne commentes pas.

  19. Tu sais être très convaincante. J’avais déjà noté ce titre sans être sûre de le lire, maintenant, je souhaite de tout coeur qu’il soit à la médiathèque !

    • Et je lirai avec plaisir ce que tu en diras. Je l’ai pris aussi en médiathèque et cette réflexion me donne une idée d’une nouvelle catégorie : « À avoir chez soi » et curieusement pour ce livre je dirai plutôt en médiathèque je ne crois pas le relire mais pour raison simple il est bien installé dans ma mémoire. Ceci dit je voudrais quand même y rejeter un coup d’œil pour le style que certaines ont trouvé plat. Moi je l’ai trouvé adapté au sujet.

  20. Je suis très tentée (en plus je crois qu’il vient d’avoir le renaudot…et décidément Renaudot et Goncourt tournent autour du même thème cette année).
    J’aime cette idée de la fuite et de l’impossible rédemption, car quelque part, si je te lis bien, à aucun moment ce type ne regrette quoique ce soit ….

    • Non Mengele n’a jamais rien regretté , s’il avait été jugé peut-être aurait-il pu changer mais Eichman n’a pas semblé non plus comprendre ce à quoi il a participé. Je suis ravie pour cet auteur et son prix Renaudot

  21. Freg on 6 novembre 2017 at 21:41 said:

    Bien vu.

  22. Bonjour Luocine, je l’ai noté pour le lire. Le sujet m’intéresse. Bonne journée.

  23. C’est un billet passionné et passionnant que tu nous livres, ce que confirment les très nombreux commentaires. Je n’avais jamais fait le rapprochement entre le Mengele d’Auschwitz et le matériel agricole, au passage ! Ca donne très envie de le lire, et je suis aussi étonné de la grande clémence dont a fait preuve l’Argentine à l’égard des ces Allemands immigrés pas toujours pour de nobles raisons…

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