Édition Albin Michel. Traduit de l’américain par Sara Gurcel
Sara Krasikov est d’origine ukrainienne, elle vit aux États-Unis et a adopté le format des romans américain : au moins de six cent pages. Il est vrai que la période que couvre ce roman, de 1934 à nos jours, avait besoin d’un certain nombre de pages pour se déployer. Nous allons suivre le destin de la jeune Florence qui a cette idée un peu étrange d’émigrer en URSS séduite par l’idéal communiste. Ils seront un petit nombre à le faire mais bien peu pourront échapper aux terribles purges staliniennes. Il faut dire que son engagement était aussi soutenu par un amour passionné pour un ingénieur soviétique rencontré aux USA et qu’elle fera tout pour le retrouver. Comme souvent, aujourd’hui, ce roman ne suit pas une progression linéaire et nous passons d’une époque à l’autre en suivant la vie de Florence ou celle de son fils, Julian, ou de son petit fils, Lenny. L’URSS et aujourd’hui la Russie semble attirer comme une puissance destructrice les membres de cette famille. Le petit fils de Florence est parti vivre en Russie pour y faire fortune, il devra aux maladresses de son père un passage en prison et il en sortira grâce à la connaissance de celui-ci des rouages de ce terrible pays. Cela ne veut pas dire que tout est toujours pareil dans ce terrible pays mais rien n’y est jamais très simple. On revit de l’intérieur le sort tragique des idéalistes occidentaux qui sont allés se jeter dans la gueule de l’ogre stalinien. Ils ont pour la plupart payé de leur vie leur naïveté, d’autant plus que l’Amérique n’a rien fait pour les aider : l’ambassadeur de l’époque ne voulant surtout pas fâcher son futur allié pour la guerre qui se préparait. Pour survivre quand l’étau se resserre sur la communauté juive cosmopolite de Moscou, Florence sera conduite à espionner et trahir ses amis. Cela ne lui servira pas à grand chose car elle ira quand même au goulag où elle aurait dû mourir, je ne peux sans divulgâcher le roman expliquer pourquoi elle n’y mourra pas. Son fils a émigré aux USA avec elle et toute sa famille, il revient en Russie pour faire des affaires avec l’énorme consortium du pétrole. On voit alors tout le rôle de la mafia russe dans les affaires. Il cherche aussi à mieux comprendre sa mère et obtient son dossier de police, il peut, alors, y lire ses différentes trahisons. Elle a survécu grâce à ses capacités d’adaptation mais qui ne lui ont pas permis de rester digne et irréprochable. Des gens dignes et irréprochables, il doit y en avoir plein les fosses communes en Russie comme le père de Julian, Léon Brink assassiné comme tant d’autres dans les sous-sols de la Loubianka. Il y a donc trois histoires, celle de Florence qui est la plus complète, celle de Julian, élevé en partie dans un orphelinat soviétique qui s’est vu refuser sa thèse parce qu’il était juif et ses déboires avec la mafia russe, puis celle de Lenny qui aimerait faire fortune dans un pays qui l’attire. La romancière parle d’un pays dont sa tradition familiale a dû savoir lui parler. Et comme elle vit aux USA aujourd’hui elle rend parfaitement compte de ce qui a pu se passer pour Florence : sa soif d’idéal et sa descente progressive dans l’enfer communiste, ce personnage est crédible et son entêtement aussi. Je comprends bien les intentions de l’auteur de construire un destin sur plusieurs générations, mais une seule histoire m’aurait largement suffit. J’ai vraiment du mal avec ces énormes pavés et pourtant celui-ci est bien construit et fort instructif et a beaucoup plu à Dominiqueet à Kathel.
Citations
Les appartements communautaires
Les universitaires occidentaux aiment décrire nos « kommunalki » soviétiques comme des endroits dénués d’espace personnel. Ils se trompent. Quel plus bel hommage à la propriété privée pouvait-il y avoir que le dense enchevêtrement de sept sonnettes différentes sur la porte d’entrée ? Sept réchauds à kérosène dans la cuisine ? Sept lunettes en bois distinctes , que chaque locataire se coinçait scrupuleusement sous le bras en marchant d’un pas ferme jusqu’à l’unique WC de la communauté ?
Les stupidités du régime soviétique
Nous suivions tous les deux un cours intitulé « Fondamentaux de la cybernétique », dispensé par un vieux rouquin asthmatique qui s’était fait virer dans les années cinquante pour avoir mené des recherches en informatique, une discipline proscrite par Staline au titre de « putain mercantile de l’impérialisme ». Dix ans plus tard, un gros bonnet avait toutefois pris conscience que le pays était fort à la traîne dans la course contre les Américains, on était donc aller chercher le professeur disgracié ( il mélangeait des résines dans une usine de peinture industrielle) et on l’avait réintégrer pour qu’il enseigne la matière même qui avait causé son renvoi.
Toast russe emprunté à Balzac
Buvons aux femmes. Quand elles nous aiment, elles pardonnent tout, même nos crimes ! Quand elles ne nous aiment pas, elles ne nous pardonnent rien, pas même nos vertus !
Les Américains à Moscou en 1934
C’était du reste un talent assez partagé chez les marginaux qui se retrouvaient à Moscou dans les années trente, Des esprits libres affichant fièrement le rejet de leur patrie capitaliste. Jeunes, le plus souvent juifs, ils venaient du Bronx ou de Manchester, en Angleterre, comme d’endroits aussi dépaysant que Missoula, dans le Montana. Observez- les : au café Moscou, place Pouchkine, …. Leurs discussions tournent essentiellement autour des États-Unis, comme si profaner leur lieu de naissance était une sorte de rituel destiné à soulager leur mal du pays.
Personnalité de Roosevelt
Roosevelt était-il un communiste refoulé ? Bon dieu, non. L’homme qui avait distribué de l’argent public par millions aux plus grosses sociétés privées du pays en était loin. Ce n’était qu’un banal utopiste. Or si l’on gratte un peu, on trouve toujours, derrière un utopiste, un machiavel dissimulé -quelqu’un qui, pour réaliser sa vision magnifique, finira par souscrire au principe selon lequel la fin justifie les moyens
Après un enterrement où chacun a essayé d’exprimer ce qu’ils n’osent jamais dire
Les enterrements sont aux Russes ce que les carnavals sont aux Portugais.Les règles sont suspendues le temps du carnaval pour que tout le monde puisse temporairement faire comme si les choses étaient le contraire de ce qu’elles sont.
J’ai vu ce roman en bibli, mais ça ne m’attirait pas trop.
c’est une période qui m’intéresse et de plus je veux comprendre pourquoi des gens intelligents peuvent à ce point se tromper
j’ai dit tout le bien que j’en pensais il y a quelques mois, un livre que j’ai beaucoup aimé, mais bon je suis mauvaise critique car c’est un sujet qui me passionne
je vais mettre un lien vers ton article à deux nous serons peut-être plus convaincantes, j’avais bien l’impression d’avoir lu un avis quelque part mais j’avais oublié que c’était chez toi.
J ai bien aimé ce roman. L’auteure Sana Krasikov (née en Géorgie puis émigrée aux États-Unis) a mis 9 ans pour écrire ce livre.
A travers 3 générations, elle nous fait découvrir un pan d’histoire peu connu : les relations américano-soviétiques entre 1929 et 1980 et le destin d’une famille partagée entre l’Est et l ‘Ouest.
Cette fresque historique habilement menée est passionnante et terrifiante à la fois. Chaque chapitre commence par le tampon des passeports de Julian (le fils) et Lenny (le petit-fils) lors des chassés-croisés entre les USA et la Russie d’aujourd’hui.
Un livre à ne pas manquer.
Un roman de 600 pages très bien écrit.
Un petit bémol me concernant, je me suis un peu perdue lors des transactions financières.
Un commentaire très complet merci!
Je l’avais noté chez Kathel et j’attends le moment propice pour l’emprunter à la bibli (je sais qu’il y est). J’ai lu pas mal de pavés cette année, je fais une petite pause.
C’est un pavé et dont la lecture de destins croisés n’est pas fluide. Mais le thème est très intéressant.
Comme toi, je l’ai trouvé passionnant parce que l’histoire n’est pas banale, mais un peu long.
Et trop touffu. J’ai survolé les passages sur les négociations dans la Russie contemporaine.
J’ai commencé ce livre un jour, en ai lu une petite centaine de pages et l’ai abandonné. Je ne pourrais pas te dire pourquoi, je ne m’en souviens pas. Tu me donnes envie de l’emprunter de nouveau à la bibliothèque. Parfois, je commence des romans et les abandonne très vite, tout simplement parce que ce n’est pas le moment, trop de travail, trop de soucis, et je les lis quelques mois plus tard, et hop, ça passe tout seul.
C’est vraiment le défaut de ce roman trop touffu il peut perdre ses lecteurs en route.
Le sujet est certainement intéressant, d’ailleurs, je ne m’étais jamais questionnée sur ces gens partis volontairement en URSS par idéal… Mais roman trop pavesque pour moi. Dommage.
Et non seulement trop long mais très sinueux, on s’y perd un peu . Comme je le dis seul l’intérêt du sujet m’a permis de résister.
Le sujet m’intéresse beaucoup aussi, j’irais donc volontiers avec un a-priori positif. Et je trouve aussi les extraits très tentants !
Oui le sujet est intéressant j’ai peiné parfois à aller jusqu’au bout des différentes intrigues.
Je l’ai commencé avec intérêt mais poursuivi avec de plus en plus d’ennui, j’ai fini par l’oublier dans un coin. J’ai l’habitude pourtant du touffu et des destins croisés, mais là, le manque de fluidité dont tu parles aussi, m’a lassée.
le confinement a cela de bon c’est que je peux garder longtemps les livres de la médiathèque voici pourquoi je suis allée au bout de ce gros pavé mais en période normale j’aurais abandonné. Et pourtant comme toi le début m’a passionnée
J’aime les récits non linéaires, je pense que ce texte pourrait me plaire…
et si je te suis bien tu aimes aussi les lectures un peu touffues, alors ce titre est pour toi.