Édition Albin Michel Traduit de l’anglais (Canada) par Sarah Gurcel

Je dois cette lecture passionnante à Krol et je la remercie du fond du coeur. Je pense que toutes celles et tous ceux qui liront ce livre en resteront marqués pour un certain temps. À la manière des cernes concentriques d’une coupe transversale d’un arbre, le roman commence en 2038 avec Jacke Greenwood, guide dans une île préservée du Nord Canadien qui a gardé quelques beaux spécimens de forêts primitives. Puis nous remontons dans les cernes du bois avec son père Liam Greenwood, en 2008 charpentier, lui même fils de Willow Greenwood militante activiste écologique de la cause des arbres, élevée par un certain Harris Greennwood un puissant exploitant de bois en 1974, nous voyons la misère causée par la crise de 29 en 1934 et la naissance de Willow puis le début du récit en 1908. Ensuite nous remonterons le temps pour comprendre les décisions que devra prendre Jacke Greenwood en 2038.

Ne croyez pas vous perdre dans ce récit aussi dense qu’une forêt profonde. L’auteur a besoin de tout ce temps pour nous faire comprendre les catastrophes écologiques qui se sont passées dans son pays dont la nature semblait résister à tous les prédateurs, l’homme aura raison de ses résistances. On suit avec passion l’histoire de la filiation de Jacke Grennwood, mais ce n’est vraiment pas aussi important que l’histoire des arbres canadiens que Michael Christie raconte sur plus d’un siècle. Les récents incendies de forêts et les inondations de la région de Vancouver prouvent que l’écrivain n’écrit pas tant un roman du futur mais plutôt ce qui se passe aujourd’hui. Dans un article de Wikipédia voilà ce que vous pourrez trouver :

Facteurs aggravants

Les scientifiques sont d’avis que les coupes à blanc et les feux de forêts des dernières années ont joué un rôle dans les inondations dans l’intérieur de la Colombie-Britannique. La coupe à blanc a tendance à faire augmenter le niveau de la nappe phréatique et la perte des arbres par les deux phénomènes conduit à un plus grand ruissellement. Une étude par l’université de la Colombie-Britannique constate que la suppression de seulement 11 % des arbres d’un bassin versant double la fréquence des inondations et en augmente l’ampleur de 9 à 14 %93.

 

Tout commence donc par l’installation des colons au Canada qui chassent sans aucune pitié les habitants de cette région boisée. Dans cet univers très violent certains (très peu) font fortune et exploitent la misère de ceux qui ont cru trouver dans ce nouveau monde un pays accueillant. Puis nous voyons l’argent que l’on peut se faire en exploitant des arbres qui semblent fournir une ressource inépuisable, c’est vraiment le coeur du roman et qui peut s’appliquer à toutes les ressources que la terre a fournies aux hommes. Bien sûr, au début tout semble possible, il s’agit seulement d’être plus malin que les autres pour exploiter et vendre le bois dont les hommes sont si friands. Et puis un jour, des pans entiers de régions aussi grandes que des départements français sont rasés et rien ne repousse. La fiction peut s’installer : et si les arbres qui restent étaient tous en même temps atteint d’un virus mortel ? Alors comme dans le roman nous serions amenées à ne respirer qu’à travers un nuage de poussière de plus en plus dense ? Tous les personnages acteurs de ce grand roman, ont des personnalités complexes même si parfois, ils enfouissent au plus profond d’eux-mêmes leur part d’humanité.
Avec Keisha et Kathel je vous le dis : lisez et faites lire ce roman je n’ai vraiment aucun autre conseil à vous donner.
Et si, encore un conseil, je me permets de faire de la publicité pour une petite entreprise bretonne (Ecotree) qui vous permettra d’offrir un arbre comme cadeau. L’idée est originale et a plu à tous les parents à qui j’ai fait ce cadeau pour la naissance d’un bébé qui sera donc propriétaire d’un arbre dans des forêts françaises.

 

 

Citations

La catastrophe planétaire sujet de ce roman.

Dans l’absolu, Jake est libre de mentionner les orages de poussières endémiques, mais la politique de la Cathédrale est de ne jamais en évoquer la cause : le Grand Dépérissement – la vague d’épidémies fongiques et d’invasions d’insectes qui s’est abattue sur les forêts du monde entier dix ans plutôt, ravageant hectare après hectare.

Formule percutante.

Il n’y a rien de tel que la pauvreté pour vous faire comprendre à quel point l’intégrité est un luxe

Je pense souvent à ce paradoxe lorsque je vois la jeunesse écologique partir en vacances en avion aux quatre coins de la planète.

 Y en a-t-il seulement un parmi vous, poursuit Knut, pour apprécier « l’indicible ironie » de voir les membres de l’élite dirigeante est des célébrités venir jusqu’ici se revigorer spirituellement avant de pouvoir retourner, ragaillardis, à des vies qui, directement ou indirectement, portent notre planète à ébullition, condamnant un peu plus encore les merveilles de la nature auxquelles appartiennent les arbres sacrés qu’ils prétendent vénérer ?

Époque où on pense la ressource en bois éternelle.

Le papier lui-même a la couleur des amandes grillées. Il s’en dégage une robustesse qui date d’un temps où les arbres, en nombre illimité, étaient une ressource inépuisable. Un temps où l’on épongeait ce qu’on venait de renverser avec un rouleau entier d’essuie-tout et où l’on imprimait l’entièreté de sa thèse (ce fut son cas à elle) sur les seuls rectos d’une grosse pile de papier blanc comme neige.

1934.

Au cours de sa carrière, Harris Greenwood a présidé à l’abattage de plus de deux cent cinquante millions d’hectares de forêts primaires. certains arbres parmi les plus larges, les plus beaux, que la planète ait jamais portées sont tombés sur son ordre.
Sans les journaux et le papier, Greenwood Timber aurait déjà sombré. Harris fournit tous les périodiques canadien et la moitié de l’édition américaine. Il sera bientôt obligé de réduire en pâte à papier des arbres qui, jadis, auraient servi de colonne vertébrale à des palais, ce qui pour un homme du métier, revient à faire des saucisses avec un filet de choix. Tout ça pour que les gens puissent faire leurs mots croisés idiots et lire des romans de gare.

L’installation des colons en 1908.

 Quand le couple arriva au « Pays des Arbres », ils découvrirent que les trente arpents densément boisés qu’ils avaient demandés au Bureau du cadastre canadiens étaient déjà occupés par une bande d’Iroquois nomades, chassés des territoires où ils posaient d’ordinaires leurs pièges par une entreprise locale exploitation forestière. Malgré ses façons charitables James Craig acheta un fusil et monta une milice de gens du coin pour chasser les Indiens de sa propriété un acte brutal mais nécessaire auquel beaucoup d’entre nous avaient déjà été contraints. Certains ont refusé de partir, montrant tant d’arrogance qu’il n’y eût eu d’autre choix que de les exécuter pour l’exemple et de brûler leurs femmes et leurs enfants.

En 1934 des Américains vendent du bois aux Japonais.

Je ne suis toujours pas convaincu qu’il soit dans notre intérêt de conclure ce contrat. le Japon a envahi la Mandchourie et s’est retiré de la Ligue des Nations. Kes gens parlent de cette Hirohito comme si c’était le frère aîné de Jésus et on ne pourrait pas jeter une balle de baseball dans le port sans toucher un navire de guerre. À mon avis ils n’ont qu’une envie c’est se battre. Et devinez avec qui ?

Réflexions sur le Canada

S’il est vrai que les États-Unis se sont construits sur l’esclavage et la violence révolutionnaire, songe-t-elle en regardant les hommes travailler, alors assurément son propre pays, le Canada, est né d’une indifférence cruelle, vorace, envers la nature et les peuples autochtones. « Nous sommes ceux qui arrachent à la terre ses ressources les plus irremplaçables et les vendent pour pas cher à quiconque a trois sous en poche, et nous sommes prêts à recommencer le lendemain » telle pourrait être la vie la devise de Greenwood et peut-être même du pays tout entier.

 

 

 

Éditions Rivages

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

 

Au club de lecture, il y a deux listes, celle des nouveautés et celle du thème. Le thème du mois de février, c’est le Japon. Ce roman va nous dévoiler un aspect terrible de ce pays dans les années 70 : l’auteur décrit avec une précision et une absence de pathos les horreurs commises par « l’armée rouge » japonaise, la lecture est parfois à peu près insoutenable, et quand je levais les yeux de ce roman pour vérifier les faits, je découvrais avec horreur que l’auteur n’avait rien inventé. Il s’agit d’un roman car pour construire ce récit Michaël Prazan, a créé le personnage principal, un Japonais qui aurait participé à toute les exactions des terroristes et aurait réussi à survivre sous un nom d’emprunt. Il crée aussi un personnage allemand pour permettre aux deux de se faires des confidences et ainsi nous faire découvrir de l’intérieur l’engagement et la vie des terroristes. Ce qui s’applique aux fanatiques japonais peut être vrai pour tous les terroristes capables de tuer des innocents pour leur cause.

Ce roman permet de comprendre le cheminement particulier de la jeunesse japonaise . Le personnage principal découvre que son père a participé aux massacres de Nankin que le Japon a toujours préféré oublier. Lui, il participera aux révoltes étudiantes des années 70 pour lutter contre la présence américaine et l’aide que le Japon apporte dans la guerre du Vietnam. À travers les romans, on voit (encore une fois) que ce pays n’a jamais fait le travail de mémoire sur son passé impérialiste et fasciste. Les Japonais se sont considérés comme victimes de la force nucléaire américaine. La jeunesse dans les années 68, trouvait insupportable que le gouvernement Nippon apparaisse comme le vassal des américains. Il y a eu un aspect ultra violent dans les rangs de la jeunesse comme dans la répression policière.
Un des épisodes les plus insoutenables se passe dans les montagnes japonaises où la folie meurtrière s’empare des dirigeants de l’armée rouge qui épurent en les torturant jusqu’à la mort ses propres membres. Ces meurtres marqueront la mémoire du Japon. Les rares survivants chercheront une autre cause pour s’enrôler, et ils rejoindront les rangs des terroristes palestiniens.

Le roman se termine par les « exploits » de Carlos en France.

Malgré le poids de l’horreur et du cafard que pourront vous donner la lecture de ce livre, je salue par mes cinq coquillages, le sérieux du travail de cet auteur. Il écrit comme un journaliste de façon simple et directe. J’ai eu des difficultés au début avec les noms japonais, mais on s’habitue parce qu’ils sont régulièrement répétés au cours de cette histoire. Ces noms tournent en boucle dans la mémoire du personnage principal et je suppose dans celle de l’écrivain. Lorsqu’on a passé cette difficulté des noms, on est pris par ce récit sans pouvoir le lâcher. Ce fut le cas pour moi.

 

Citations

Quand le fanatisme tue toute humanité

 Yoshino est un grand type dégingandé et taiseux qui porte une barbe courte et peu fournie, ainsi que de grosses lunettes. Pauvre Yoshino. Il est venu ici avec Kaneko Michiyo sa femme enceinte de huit mois. Personne ne l’a ménagée pendant les entraînements militaires. On s’est demandé si elle n’allait pas perdre le bébé. Yoshino ne lui jette jamais un regard. Yoshino est un vrai soldat. Un soldat docile. Un soldat exemplaire. De ceux qui exécutent les ordres. Tous les ordres. Sans discuter. Sans rien penser. Yoshino ne pense plus depuis longtemps. Yoshino est un robot. Le plus robot de tous. C’était un jeune homme gai et sympathique, autre fois. Il aimait la musique. Il jouait de la guitare. Il aimait sa femme. Yoshino de plus rien. 
Yoshino est un meurtrier.

Les nuits et les cauchemars des assassins.

 Il tournait en rond. Il ne voulait pas se coucher. Il savait qu’il ne parviendrait pas à dormir. La perspective de se voir trahi par un rêve qui me replongeait dans les eaux boueuses de son passé le remplissait de terreur. Certains souvenirs sont comme des bombes à fragmentation. On en vient jamais à bout.

Discours, anticolonialistes

 Les thèses de Fanon s’appliquent autant aux Palestiniens qu’aux Caribéens, qu’aux Africains, qu’aux Algériens. C’est pourquoi le colonisateur ne doit jamais être considéré comme une victime. On nous reproche la mort de civils innocents… C’est le principal argument utilisé par les impérialistes pour nous discréditer… En réalité, il n’y a ni civil, ni victimes chez les sionistes ! Tous sont coupables ou complices de l’oppression subie par les Palestiniens. Pour illustrer cela, prenons le cas le plus problématique, celui des enfants. Comme dans toutes les guerres, il arrive que des enfants meurent au cours de nos opérations. Les impérialistes nous accusent de barbarie, de commettre des meurtres… Or, personne n’est innocent dans le système colonial, pas même les enfants. La progéniture des juifs grandira, elle fera le service militaire qui est une obligation chez eux. Ça veut dire que ces mêmes enfants porteront un jour des armes qu’ils pointeront sur nous !

Et voilà !

 Le « fedayin » fait deux têtes de plus que lui. Sa virilité sauvage le tétanise. 
le « fedayin » le regarde et il sourit. 
Il ajoute qu’il aime bien les Japonais. il dit qu’ils ont fait le bon choix pendant la guerre. Il admire Hitler depuis toujours. Un homme extraordinaire. Un meneur d’hommes. Le fedayin regrette qu’Hitler n’ait pas pu finir d’exterminer tous les Juifs. 
Il le regarde et il sourit.

C’est tellement vrai !

On peut considérer cela comme des erreurs de jeunesse, il y a prescription.
– Pour nos victimes, il n’y a pas de prescription. Je suis persuadé que leur famille pense encore chaque jour au mal qu’on leur a fait.

Édition Actes Sud . Traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

Il pourrait être un de vos cadeaux de Noël, ce roman. En tout cas, j’espère que ceux et celles qui aiment les romans qui se passent dans la nature encore sauvage vont le noter, même si cette superbe nature est en train de se faire dévorer par un incendie comme ceux qui tous les ans détruisent les somptueuses forêts américaines ou canadiennes.
Ce récit décrit l’aventure de deux jeunes amis , Wynn, et Jack qui ont décidé de descendre le fleuve Maskwa jusqu’à son embouchure dans la baie d’Hudson. Ils ont très bien préparé ces quelques semaines d’aventures dangereuses mais à leur portée car ils connaissent bien tous les deux la vie dans la nature peu ou pas domestiquée par l’homme. Ce sont deux pêcheurs émérites et cela nous vaut de très belles scène dans des cours d’eau sauvages aux rapides imprévisibles.
Et puis, deux événements vont transformer ce voyage de rêve en un vrai cauchemar. D’abord, ils repèrent un incendie d’une force incroyable, ils n’ont donc qu’une solution aller de plus en plus vite pour rejoindre leur point d’arrivée, mais on sent qu’ils en sont capables d’autant que Jack connaît très bien les dangers du feu de forêt. Mais un deuxième danger va donner à cette course contre la montre un aspect de thriller absolument haletant. Will et Jack doivent sauver une femme laissée pour morte par son mari sur une plage et Jack comprend tout de suite cet homme est prêt à les tuer eux aussi.
Face au danger, les deux personnalités des deux amis vont diverger. Wynn, le gentil, ne peut croire à la méchanceté humaine et sans le vouloir, il met en danger la réussite de leur expédition car son premier réflexe est toujours de croire à la bonté. Jack le sait et prend le leadership de leur expédition. La tension entre les deux amis donne une profondeur au récit que j’ai beaucoup appréciée. Et puis la nature toujours présente amicale ou hostile ponctue ce texte de moments inoubliables.

Un grand roman dans lequel a forêt, la rivière, le feu sont des personnages au même titre que les protagonistes de de ce drame.

 

Citations

Le feu

 « Ouais, mais si on est au milieu de la rivière.. »
Jack haussa les épaules.  » Peut-être. L’air devient brûlant. C’est ça qui crée un incendie dévastateur. En fait, les rouleaux de fumée sont chargés de gaz et si le vent est favorable, à la moindre étincelle, tu peux te faire carboniser à quatre cents mètres. »

Les rapides

 Ce devait être des chutes de classe VI, une série de saillies rocheuses englouties sous un volume d’eau gigantesques. On aurait dit un orage en mer du Nord dévalant un escalier. Vingt et un mètres entre le sommet et le fond avec une pente qui s’étendait sur deux cents mètres. Au milieu, un îlot rocheux de la taille d’une barque portait un épicéa tordu et rabougri. Voir cet arbre trembler dans tout ce chaos ne rendait la cataracte que plus terrifiante.
 Le soleil perça un récif de nuages et éclaira les chutes, d’argent ses rayons sur les eaux-vives et neigeuses, mettant étonnamment les sonorités encore plus en relief, et Wynn se dit que ça aussi, c’était magnifique. Que la roche brute des saillies ou les avalanches étaient magnifiques.

Le feu

 Une grosse partie de la région avait été couverte de lichens et de mousses parfois sur plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur et tout ça avait brûlé dans la nuit, avec les sous-bois, les épilobes et les saules, ne restaient que la terre calcinée et la roche, les pieux noirs et sépulcraux des arbres, et sans la forêt, on voyait beaucoup plus loin, le sol qui s’élevait légèrement et retombait tout autour des eskers quasiment débarrassés de leur arbres, des plis où les ruisseaux avaient coulé, secs comme s’ils s’étaient évaporés.

 

 

 

Édition de l’Olivier

 

Une lecture que je n’oublierai pas, un roman facile à lire et très bien construit écrit dans une langue simple et efficace. Une jeune femme Bess renoue ses lacets, elle doit pour cela lâcher la main de l’enfant qui était avec elle. Geste normal et simple, sauf que l’écrivaine entraîne son lecteur en Alaska en plein blizzard. L’enfant en quelques secondes a disparu. Le roman commence sous forme de monologues intérieurs, tous les habitants de ce coin perdu d’Alaska vont partir à la recherche de Bess et de l’enfant qui vont mourir de froid si on ne les retrouve pas immédiatement. Les quatre personnages que nous allons entendre ont tous les quatre un poids énorme d’une souffrance de leur passé que cette recherche dans le froid extrême et le blizzard va mettre à jour.

Bess tout d’abord qui s’en veut d’avoir lâcher la main de cet enfant, et nous comprendrons que peu à peu son rôle dans cette histoire et pourquoi elle est arrivée auprès de Bénédict et son « fils » dont elle s’occupe.

Bénédict le père de l’enfant qui fou de douleur part à leur recherche. C’est un homme des bois adapté à cette région et il sait que ces deux personnes sont en grave danger. Il racontera l’histoire de sa famille et la fuite de son frère Thomas qu’il n’a jamais acceptée, c’est en le recherchant que sa route croisera celle de l’enfant qu’il a reconnu comme le sien.

Cole le personnage négatif mais vous découvrirez pourquoi et son acolytes Clifford.

Freeman le policier Noir vétéran du Vietnam qui donne à cette histoire un côté suspens qui est bien fait.

J’ai aimé découvrir les quatre personnalités qui vont peu à peu construire l’histoire, le blizzard la difficulté de la vie dans cette partie du monde fait tout le charme de ce livre. Un bémol à mon enthousiasme, mais très léger les personnages sont sans doute un peu simples, certains diront un peu faciles. Mais j’ai apprécié que les hommes si proches de la nature ne soient pas meilleurs que les New – Yorkais, ma fréquentation du monde rural m’a prouvé qu’il y a des gens biens partout et des crapules aussi. La différence c’est que, en ville, on peut parfois les éviter à la campagne beaucoup moins !

Citations

 

L’angoisse

 Rétrospectivement, je crois que j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. C’est un peu comme lorsque vous avez la sensation qu’un insecte vous chatouille l’oreille. Vous faites un geste pour vous en débarrasser, mais en réalité c’est une alarme, votre alarme interne, réglée au strict minimum. Pas assez forte pour vous faire bondir, mais juste assez pour vous empêcher de dormir tranquillement. Je dormais justement et je me suis réveillé en sursaut.

L’Alaska en hiver

 La poudreuse m’arrive à mi-cuisse. Chaque pas est un effort. chaque pas est une brûlure. Pourtant, j’ai déjà connu ça. il nous est arrivé quelques fois, quand nous étions mômes, de nous retrouver coincés avec papa, alors que nous étions partis relever des pièges ou chasser, à cause d’une chute de neige un peu plus importante que ce qu’il avait prévu, même s’il avait un sixième sens pour prévoir le temps qu’il allait faire. Il arrivait toujours à nous ramener sains et saufs si nous n’étions pas trop loin de la maison pour que maman ne s’inquiète pas, ou alors il nous trouvait un abri de fortune.

 

Le personnage négatif (Cole)

 J’ai jamais eu envie de m’encombrer d’une bonne femme et, comme il en faut une pour faire des gosses, j’en ai pas eu. Les bonnes femmes, c’est que des ennuis. Elles sont jamais contentes. À croire que le bon Dieu les a créés imparfaites pour nous faire tourner en bourrique. Maintenant, en plus elles veulent tout comme les hommes, le travail, les salaires, les mêmes droits, comme si elles voyaient pas la différence. pourtant, ça saute aux yeux qu’elles sont pas faites comme nous. Elles sont faibles et géniales, elles savent pas ce que c’est la vraie camaraderie des hommes entre eux.

Retour de la guerre d’Irak

La guerre nous avait pris notre fils et elle nous avait restitué que le négatif de la photo, juste une ombre blanche sur un fond désespérément sombre.

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Édition Acte Sud

C’est peu dire que j’aime cet auteur, je veux bien partir avec lui dans toutes « ses traversées » à l’origine de la famille Desrosiers sans jamais m’ennuyer. Après, « Victoire » et surtout « La traversée du Continent » qui avait vu la petite Rhéauna, arriver chez sa mère Maria qui l’a fait venir pour s’occuper de son petit frère né d’un autre père, nous voilà avec elle, sa mère et son petit frère en 1914 à Montréal. Rhéauna, a fini par accepter et aimer son sort car son petit frère est adorable et sa mère fait tout pour qu’elle aille à l’école et satisfasse son envie de lecture. Elle ne s’occupe du petit que lorsque sa mère travaille dans le bar le soir. Mais cette enfant écoute les conversations des grands et évidemment, en 1914, on parle de la guerre, comme c’est une enfant courageuse, elle décide de sauver sa mère et son petit frère et d’acheter des billets de train pour rejoindre ses grands-parents et ses deux sœurs à la campagne dans le Saskatchewan. On suit donc le trajet de cette enfant à travers la grande ville de Montréal et tous les dangers qu’elle est capable d’affronter seule. Mais le roman n’est pas construit de façon linéaire, parfois nous sommes en 1912 quand Maria arrive chez son frère Ernest et ses deux sœurs Tititte et Tina et qu’elle explique pourquoi elle est venue les rejoindre : elle est enceinte d’un homme qui n’est pas de son mari et qui a disparu .

Dans « la traversée des sentiments » les enfants sont un peu plus grands et les sœurs ont décidé de revenir à Duhamel. Là où la famille a des attaches racontées dans le roman « Victoire ». Ce roman est l’occasion de plonger dans la vie des trois sœurs dans ce qu’elle a de plus intime. Michel Tremblay est un analyste de l’âme féminine d’une finesse et d’une délicatesse incroyable. Les huit jours de vacances à Duhamel le petit village de campagne vont donner le courage à Maria pour aller chercher ses filles chez ses propres parents dans le Saskatchewan.

Tout le charme de ces romans vient du style de l’auteur et du temps qu’il prend avec chaque personnage pour nous faire comprendre leurs choix de vie. Et puis il y a le charme du québécois qui chante à mes oreilles. C’est un auteur qui me fait du bien alors qu’il ne raconte pas des vies faciles, je préfère largement cette approche par la littérature de la vie très dure aux romans où l’auteur se plaît dans le glauque.

 

Citations

Maria

 Maria marchait vite, s’intéressait peu aux vitrines pourtant magnifiques devant lesquelles elles passaient et n’arrêtait pas de lui dire de se dépêcher alors qu’elle n’étaient pas du tout pressées. Sa mère ne se promènent pas, elle se « rend » quelque part.

Théorie médicale

 Leur mère avait terrorisé ses enfants pendant des années en guettant chez eux le moindre petit symptômes de rhume pendant les vacances estivales. « Un rhume en hiver, c’est normal, il fait frette, on attrape froid au pieds, pis c’est plein de microbes. Un rhume en été, c’est parce que le corps va pas ben, que le sang est pourri, pis on peut attraper des numonies sans même s’en apercevoir ! C’est hypocrite, les numérisés d’été. Ça tue le temps de le dire. »

J’aime cette façon de raconter :

 C’est un drôle de mot succomber. C’est un mot qui fait honte après, qu’on trouve laid après, mais qui est tellement différent pendant que ça se passe. Succomber quand t’es pas marié, ça fait peur avant, t’as honte après, mais si t’es en amour, c’est tellement magnifique pendant.

Le plaisir et le bonheur des femmes

 Les autres femmes n’osent pas intervenir. Elles ne se regardent même pas. Titille à connu un mariage blanc catastrophique avec un Anglais frigide, Tina a aimé avec passion un homme qui l’ a laissé tomber quand il a appris qu’elle attendait un enfant de lui, Maria a quitté deux ans plus tôt un vieux monsieur bien gentil et fort généreux mais qui était loin de combler ses attentes après avoir été marié à un marin toujours absent et qui ne revenait que pour lui faire des enfants. Et voilà que leur cousine disparue de la Saskatchewan des années avant elles, celle qu’on tant conspué dans les soirées de famille, dont elle disait qu’elle était allée s’enterrer dans le fond des Laurentides, dans l’Est Du pays, pour cacher sa vie de misère avec un batteur de femmes, celle qu’on donnait en exemple pour faire peur aux jeunes filles qui voulaient quitter le village à la recherche du grand amour, Rose Desrosiers, qui portait presque un nom de sorcières, se révélait être la seule comblée d’entre elles, sans doute la plus heureuse, en tout cas la plus satisfaite de son sort.

 

Éditions Robert Laffont

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Cela fait très longtemps que je n’ai pas autant souri à la lecture d’un livre. J’espère que vous savourerez les extraits que j’ai choisis ; j’ai failli recopier des pages entières, tellement j’appréciais l’esprit si caractéristique du XVIII° siècle de cet auteur. Louis-Henry de La Rochefoucauld est drôle, ne se prend jamais au sérieux et manie l’ironie aussi bien que Voltaire (que pourtant il déteste !). Mieux que l’ironie, je parlerai plutôt d’humour car l’auteur n’a aucune pitié pour lui ni pour les descendants de sa si noble famille.

En deux mots voici l’histoire, l’auteur rencontre dans un café Louis XVI et sa pauvre épouse Marie-Antoinette et, en panne d’inspiration, il décide d’écrire un livre pour réhabiliter la mémoire de ce roi. Au passage, il égratigne l’idéal révolutionnaire, mais on peut l’excuser sa famille a payé un lourd tribut à la chasse aux aristocrates – quatorze personnes auront la tête tranchée ou seront noyées ou fusillées car elles étaient apparentées à sa famille.

Le livre parcourt notre époque avec un regard décalé qui lui donne le droit de tout dire même ce qui peut sembler inconvenant . Je dois dire que le dernier quart du livre est moins pertinent et la défense des gilets jaunes comme bastion de l’esprit français ne m’a guère convaincue. Je passe au delà de cette réserve tant j’étais bien avec son interprétation de la révolution et de ses difficultés dans la vie actuelle.

 

 

Citations

J’adore l’humour de cet écrivain( il faut rapprocher ces deux passages) :

Son ancêtre à la cour du roi Louis XVI

 Chaque matin, à son réveil, il (Liancourt) tirait la chemise de nuit royal par la manche droite le premier valet s’occupait de la manche gauche.

lui

En 2018, j’occupais la charge de grand-maître de la garde-robe de ma fille. Quand j’habillais Isaure le matin, je ne réglais pas que la question épineuse de la manche droite : les caisses de mon ménage étant ce qu’elles étaient, je n’avais pas les moyens d’engager un premier valet pour la manche gauche.

C’est simple mais j’aime bien que ce soit dit comme ça :

 Je passais là-bas trois semaines chaque été avec mes soeurs, mon frère Jean, mes cousins Alexandre et Charles-Henri et les nombreuses vaches du coin, élégantes montbéliardes qui venaient brouter jusqu’aux abords de la maison. Elles étaient tolérées, les touristes, non. 

Les repas

Nous, les enfants, étions soignés par les plats du terroir de Mme Bichet, robuste cuisinière qui eut la chance de mourir avant d’avoir entendu parler de recettes au quinoa et d’allergies au gluten.

J’ai éclaté de rire et c’est si rare !

– Vous êtes quoi, vous, La Rochefoucauld ? Duc ?
– Bien que je porte le prénom des princes de Condé, je ne suis rien, Votre Majesté. Un modeste comte sans la moindre terre.
– Un comte hors-sol. mais enfin, c’est fâcheux ! il faut y remédier. 

– Aucun homme politique n’en a encore fait sa priorité.

Interview d Arielle Dombasle :

 Souriant jusqu’aux oreilles, elle m’a sorti ces mots typiquement thalasso qui m’ont secoué plus qu’un jet tonifiant : 
 « Moi, Louis Henri, je veux bien mourir pour le peuple, mais sûrement pas vivre avec le peuple ! »

Propos d ‘aristo

Je ne sais plus qui parlait de la perpétuelle déception du peuple par la bourgeoisie, du perpétuel massacre du peuple et par la bourgeoisie… Les démocrates-républicains prétendent représenter le peuple, mais, dès que les gens du peuple pointent le bout de leur nez, ils sortent les blindés de la gendarmerie, leur tirent dessus et prennent la poudre d’escampette. On me diras que je caricature, je ne caricature pas : c’est comme ça que les Thiers traitent le tiers état.

Édition Babel. Traduit du russe par Wladimir Berelowitch et Bernadette du Crest

 

C’était il y a si longtemps (n’est-ce pas ?) la guerre en Afghanistan menée par les soviétiques de 1979 à 1989. Dix longues années dans un pays qui a tout fait pour se débarrasser de cette puissance étrangère aidée en cela par les Américains. Ce n’est pas le conflit que raconte Svetlana Alexievitch, elle donne la parole aux survivants soviétiques ou à leurs mères quand on leur a ramené des cercueils de zinc censés contenir le corps de leurs fils. Son livre est donc, une succession de témoignages. On retrouve la même ambiance que dans  » la fin de l’homme rouge »

C’est une lecture à peu près insoutenable car de témoignage en témoignage, on découvre l’horreur de la guerre. Les jeunes soldats sont partis sur un mensonge de la propagande soviétique : « Ils allaient aider un pays frère à combattre, ils allaient être accueillis en héros « . Rien ne les préparait à faire la guerre dans des villages où on les haïssait, et plus ils le découvraient plus ils devenaient féroces et plus les Afghans les assassinaient sans pitié.

Et puis, il y a l’armée soviétique, dans laquelle une très ancienne tradition de bizutage mène les anciens gradés (ou non) à faire de la vie des nouveaux arrivés un véritable enfer.
Et enfin, il y a le poids du silence dans les médias au pays, personne ne sait rien en URSS de cette guerre menée au nom de l’idéal communiste.

Dans ces conditions, quand les soldats reviennent, en soldats vaincus, personne n’est là pour écouter le récit de leur drame.
La dernière partie du livre est consacrée au procès que des femmes veuves de guerre ont mené contre Svetlana Alexievitch disant qu’elle avait déformé leurs propos. Heureusement pour l’auteure tous les interviews de son livres étaient enregistrés, elle a donc gagné son procès.
Un livre à lire absolument mais qui m’a plombé le moral tout au long de la lecture. Je redoutais de le retrouver et de tourner les pages, j’imagine le courage de ces hommes et celui de cette auteure qui mérite ô combien son prix Nobel de littérature. Et finalement, cette guerre a eu quel résultat ? On peut se poser cette question pour tant de guerres menées par les « trop » grandes puissances.

Citations

L’art de dissimuler en URSS

 J’ai été appelé en 1981. Il y avait déjà eu deux ans de guerre, mais, dans le civil, on n’en savait pas grand chose, on n’en parlait pas beaucoup. Dans notre famille, on pensait que si le gouvernement avait envoyé des troupes là-bas, c’est qu’il le fallait. Mon père, mes voisins raisonnaient de cette façon. Je ne me rappelle pas avoir entendu une autre opinion là-dessus. Même les femmes ne pleuraient pas : tout cela était encore loin, ça ne faisait pas peur. C’était une guerre sans en être une, une guerre bizarres, sans morts ni blessés. Personne n’avait encore vu les cercueils de zinc. Plus tard nous avons appris que des cercueils arrivaient dans la ville, mais que les enterrements avaient lieu en secret, la nuit, et que les pierres tombales portaient la mention « décédé » et non « morts à la guerre ». Personne ne se demandaient pourquoi les gars de dix-neuf ans s’étaient mis soudain à mourir, si c’était la vodka, la grippe, ou une indigestion d’oranges. Leurs familles les pleuraient, mais les autres vivaient tranquillement, tant que ça ne les touchaient pas Les journaux écrivaient que nos soldats construisaient des ponts, plantaient des allées de l’amitié, que nos médecins soignaient les femmes et les enfants afghans…

La presse soviétique

 La presse a continué à écrire : le pilote d’hélicoptère X a effectué un vol d’exercice… Il a été décoré de l’étoile rouge… Un concert a eu lieu à Kaboul en l’honneur du 1er mai avec la participation de soldats soviétiques… L’Afghanistan m’a libéré. Il m’a guéri de l’illusion qui consiste à croire que chez nous tout va bien, que les journaux et la télévision ne disent que la vérité. Je me demandais ce que je devais faire. Il fallait faire quelque chose… Aller quelque part… prendre la parole, raconter… Ma mère m’a retenu et aucun de mes amis de m’a soutenu. Ils disaient : « Tout le monde se tait. Il le faut. »

Un récit parmi tant d’autres tous différents et pourtant si semblables.

 La guerre ne rend pas les gens meilleurs. Elle les rend pires. Ça ne marche que dans un sens. Je ne revivrai jamais le jour où je suis parti à la guerre. Je ne pourrai pas redevenir comme j’étais avant. Comment est-ce que je pourrais devenir meilleur après avoir vu ce que j’ai vu… Il y en a un qui a acheté à des médecins deux verres d’urine d’un gars qui avait la jaunisse. Contre des bons. Il les a bus. Il est tombé malade. Il a été réformé. On se tirait des balles dans les doigts, on s’estropiait avec des détonateurs, des culasses de mitrailleuses. Le même avion ramenait des cercueils de zinc et des valises pleines de peaux de mouton, de jeans, de culottes de femme… Du thé de chine. 
Avant, j’avais les lèvres qui tremblaient quand je prononçais le mot « patrie ». Maintenant je ne crois plus en rien. Lutter pour quelque chose, tu parles. Lutter pour quoi ? Contre qui ? à qui le dire tout ça ? On a fait la guerre, d’accord. Et puis c’est tout.

Un chirurgien

 J’enviais les collègues qui étaient allés en Afghanistan : ils avaient une expérience colossale. Comment l’acquérir dans la vie civile ? J’avais derrière moi dix ans de pratique : j’étais chirurgien dans l’hôpital d’une grande ville, mais quand j’ai vu arriver le premier convoi de blessés, j’ai failli devenir vous voyez un tronc, sans bras, sans jambes, mais qui respire. Vous ne verriez pas ça dans un film d’horreur. J’ai pratiqué là-bas des opérations dont on ne peut que rêver en URSS. Les jeunes infirmières ne tenaient pas le coup. Tantôt elles pleuraient à en avoir le hoquet, tantôt elles riaient aux éclats. Il y en avait une qui passait son temps à sourire. Celle là, on les renvoyait chez elles.
 Un homme ne meurt pas du tout comme au cinéma où on le voit tomber dès qu’il reçoit une balle dans la tête. En réalité, il a la cervelle qui gicle et ils courent après en essayant de la retenir, il peut courir ça cinq cents mètres de cette façon. C’est au delà du concevable.

La violence des rapports entre soldats

C’est les nôtres qui m’ont fait le plus souffrir, les « douchs » faisaient de toi un homme et les nôtres faisaient de toi une merde. Ce n’est qu’à l’armée que j’ai compris qu’on pouvait briser n’importe qui, la différence n’est que dans les moyens et dans le temps qu’on a. Tu vois un « ancien » qui a servi pendant six mois, le ventre en l’air, les bottes aux pieds et il m’appelle : . »Lèche mes bottes, qu’il m’a dit, lèche les jusqu’à ce qu’elles soient propres. tu as cinq minutes ». Je ne bouge pas… Alors lui : « le rouquin, viens ici », et le rouquin, c’est un des gars avec qui je suis arrivé, on est copains… Et voilà que deux connards bourrent la gueule du rouquin et je vois qu’il vont lui briser les vertèbres. Il me regarde… Et alors tu commences à lécher les bottes pour qu’il reste en vie et qu’ils ne l’entropie pas. Avant l’armée je ne savais pas qu’on pouvait frapper quelqu’un sur les reins jusqu’à ce qu’il perde le souffle. C’est quand tu es seul et qu’il n’y a personne pour t’aider, alors t’es foutu.

L’impression d’abandon par sa patrie

 Quant à ceux qui nous jugent aujourd’hui, comme quoi nous avons tué… J’ai envie de leur flanquer mon poing dans la gueule ! Ils n’y sont pas allés, eux.. Ils ne savent pas ce que c’est… Ils n’ont pas le droit de juger ! Vous ne pourrez jamais vous aligner sur nous. Personne n’a le droit de nous juger… Personne ne veut comprendre cette guerre, on nous a abandonnés seul à seul avec elle. Qu’on se débrouille, en somme. C’est nous les coupables. C’est à nous de nous justifier. aux yeux de qui ? On nous y a envoyé. Nous avons cru ce qu’on nous a dit. Nous nous sommes fait tuer pour ça. On n’a pas le droit de nous mettre sur le même plan que ceux qui nous y ont envoyés.

Un lieutenant sapeur

Qu’est-ce que je vois en rêve ? un long champ de mines… Je dresse un inventaire, le nombre de mines, le nombre de rangées, les repère pour les retrouver… Et puis je perds la feuille… Et c’était vrai, on les perdair souvent, ou encore c’était les repères qui disparaissaient, un arbre qui avait brûlé, un tas de pierres qui avaient sauté… Personne n’allait vérifier… On avait trop peur… Alors on sautait sur nos propres mines… Dans mon rêve, je vois des enfants courir près de mon champ de mines… Personne ne sait que c’est miné… Je dois crier : »Attention, n’y allez pas ! C’est miné… Je dois rattraper les enfants… Je cours… J’ai retrouvé mes jambes… Et je vois, mes yeux voient de nouveau… Mais c’est seulement la nuit, en rêve. »

Édition Liana Levi, traduit de l’anglais par Franchita Gonzales Battle. 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Sur Luocine, c’est mon deuxième billet sur cet auteur dont j’apprécie l’humour et surtout la concision et la précision des récits. Après « Une canaille et demie » voici donc « Un voisin trop discret ». Après une série de romans américains qui mettent six cent pages à dessiner une intrigue et des caractères, voici un roman de deux cent dix huit pages que je ne suis pas prête d’oublier.

Un couple risque de perturber la vie de Jim, un chauffeur Uber, on devine assez vite, que la vie de ce soixantenaire a dû être un peu compliquée. En attendant, il va aider sa voisine qui vient d’emménager à côté de chez lui : Corina mariée à un soldat Grolsch. et mère d’un petit garçon de quatre ans Après la mort tragique(ô combien !) de son coéquipier, il fera équipe avec Kyle qui bien qu’homosexuel se mariera avec Madison pour l’aider à élever son enfant et ainsi s’assurer une couverture pour faire carrière dans l’armée. Les fils de cette histoire sont incroyablement bien tissés et au passage on découvre les ravages que peut faire une guerre dans la personnalité de ceux qui la font et à qui on donne le droit de tuer. La vie très artificielle dans la base militaire ponctuée par la visite de deux gradés en uniforme qui viennent annoncer la mort du mari soldat, la difficulté des femmes qui élèvent seule leur enfant, et comme je l’ai déjà souligné les conséquences de la guerre en Afghanistan, tout cela en peu de pages (mais tellement plus efficace qu’un énorme pavé) est percutant et si bien raconté !

L’intrigue autour de Jim est très bien conduite avec une fin originale mais cela je vous le laisse découvrir seul, évidement !

 

Citations

La voisine idéale

 Il espérait qu’elle serait aussi calme que la femme qu’elle remplaçait, une étudiante timide de troisième cycle qui faisait de son mieux pour toujours éviter que leurs regards se croisent, l’idée que se fait Jim de la voisine idéale.

La vieillesse

 La pire des choses quand on devient vieux ce n’est pas de se rapprocher de la mort, c’est de voir sa vie effacée lentement. on cesse d’abord d’être insouciant, ensuite d’être important, et finalement on devient invisible.

La guerre

C’est un petit drone caméra, un jouet d’enfant, un rectangle de moins de trente centimètres de long avec un rotor à chaque coin. Pas un vrai drone lanceurs de missile Helfire comme ceux que nous utilisons, pense-t-il. C’est un drone contrôlé à distance par les hadjis du village. Il vole juste au-dessus d’eux et repère les effets du mortier. Grolsch se débarrasse vite de son paquetage et sort son pistolet Glock. Quand il le pointe sur le trône, la minuscule machine s’envole vers la gauche, puis elle revient vite à droite. Ils me voient, pense-t-il. Ils me voient pointer mon arme. Ils voient nos gueules.

Un couple

 Il venait d’une longue lignée de fermiers allemands du Middle-West qui était bon en sport et en travaux des champs, et elle d’une longue lignée de Portoricains vendeurs de drogue, strip-teaseuses et voleurs de voiture. Les opposés s’attirent, jusqu’au jour où ils cessent, sauf que maintenant il a un fils de quatre ans qui courent se cacher, effrayé, chaque fois qu’il rentre de mission.

Édition Acte Sud

et participation au mois du Québec de Yueyin et Karine

J’aime cet auteur autant pour son style que pour les histoires qu’il nous raconte. J’ai déjà chroniqué « La traversée du continent » mais j’en ai lu beaucoup d’autres (je dois les relire pour leur faire une place sur Luocine). Michel Tremblay raconte sa famille, mais au-delà de sa famille nous fait comprendre la vie au Québec au siècle dernier. C’est une vie de misère et de rudesse dominée par une église catholique toute puissante qui se mêle du moindre recoin de la vie de ceux et celles qu’elle veut intimement contrôler. Cela va de la vie sexuelle à la liberté de s’instruire.

Les deux personnages Victoire et Josaphat sont frère et sœur. Ils sont unis par un drame atroce, le jour de Noël leurs parents ainsi qu’une grande partie de la population du village meurt dans l’incendie de l’église lors de la messe de minuit. Le curé et le bedeau se sont enfuis par la sacristie sans chercher à sauver leurs paroissiens. Josaphat qui déjà avait perdu la foi, est fou de douleur. Sa sœur Victoire revient vers lui après avoir passé sept années dans un couvent pour y être éduquée par des sœurs qui feront tout pour qu’elle le devienne, elle aussi, mais sans succès. La voilà de retour près de son frère, dans son village natal. C’est l’occasion pour l’auteur de nous faire ressentir la force et la beauté de la nature, les ragots du village, l’absurdité de l’éducation catholique. Michel Tremblay s’amuse aussi à souligner les différences entre le français des sœurs cultivées et le français « d’icitte » : de Duhamel autrefois Preston, le village de Victoire et de Josaphat. Et puis peu à peu nous comprenons le lien qui se tisse entre ses deux orphelins mais si vous avez déjà lu les autres livres de Michel Tremblay seule la façon dont il le raconte sera une nouveauté .

Tout est dans le style de cet auteur, on le lit avec intérêt sans sauter une seule ligne pour en savourer le moindre mot.

 

Citations

Tout le charme de la langue du Québec discours de son père quand sa fille part au couvent.

 Prends tout ça, cette belle chance-là, pour toé. Pour toué tu-seule, Victoire. Fais-le pas pour nous autres, pour nous sauver, écoute-les pas, laisse-les pas te pousser à choisir des choses que tu veux pas. Y vont te donner ce qu’on aurait pas pu te donner, nous autres, une éducation complète. fait leur des accroires si y faut, conte-leur des mensonges, ça sera pas grave d’abord que tu vas apprendre des affaires qu’on connaîtra jamais nous autres… Deviens la fille la plus savante de Preston, pas une bonne sœur. Pis après, va-t-on d’icitte ! Explorer le vaste monde. Si des prêtres venaient m’offrir la même chose pour Josaphat, je dirais oui tu-suite. J’s’rais prêt à me briser le cœur une deuxième fois…

Les réalités du corps et le couvent

 Au couvent, ça s’appelait les cabinets d’aisances, ou les latrines, c’était situé à l’autre bout de l’immense bâtisse et c’était un sujet tabou. Quand nous avions besoin de nous y rendre, nous devions sortir le petit mouchoir glissé dans la manche gauche de notre uniforme et le montrer à une religieuse qui, chaque fois fronçait les sourcils comme si nous commettions une grave faute de bienséance avant de nous faire signe de nous retirer. Il ne fallait « jamais » en faire mention à haute voix. « Les basses fonctions », comme les appelaient les religieuses en plissant le nez, étaient honteuses et devaient être tues. Quant aux religieuses elles-mêmes, je n’ai jamais su où elles faisaient ça.

La cuisine de l’enfance

 Je n’ai pas touché au dessert, mais Josaphat a enfourné une énorme portion de poutine au pain -quel plaisir de retrouver le mot poutine après le mot « pudding » imposé par les religieuses, arrosée de sirop d’érable. Ce que j’avais devant moi n’était pas un pudding au pain, mais bien une poutine au pain, improvisée sans recettes, l’invention de plusieurs générations de femmes qui ne savaient pas lire et qui avait cependant une grande capacité d’improvisation. Rien de ce que j’avais mangé durant mon enfance ne venait d’un livre.

Sourire

Manger de la graisse de rôti en compagnie de quelqu’un qui sent le pipi ce n’est pas la chose la plus agréable du monde

 

 

Édition Acte Sud. Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes
Prix Femina 2021 pour les auteurs étrangers

C’est étrange comme le bonheur et le malheur se ressemblent, l’un comme l’autre nécessitent qu’on oublie la réalité telle qu’elle est.

Ahmet Altan est sorti de prison, c’est sans aucun doute la nouvelle qui m’a fait le plus plaisir en avril 2021. J’avais tant aimé « Je ne reverrai plus le jour » que je suivais toutes les péripéties judiciaires de ce grand écrivain. Comme je le disais dans le précédent billet quelques soient les humiliations que la prison turque lui a imposées, elle n’a jamais réussi à ôter en lui sa qualité d’écrivain. J’attendais avec impatience de lire ce roman et j’imagine très bien comment passer autant de temps à creuser ses souvenirs des deux femmes qu’il a aimées alors qu’il était jeune étudiant lui ont permis de survivre à son incarcération.

Madame Hayat est une femme plus âgée que lui et moins cultivée que lui. Ces deux différences feront qu’il aura toujours un peu honte de cette relation alors qu’elle lui apporte tant de choses entre autre une initiation à la sexualité riche et complète. Cet amour m’a fait penser à un roman qui m’avait beaucoup marquée « Éloge des femmes mûres » de Stephen Vizinczey. Fazil (le personnage principal) entretient en même temps une relation avec l’étudiante Sila. Il est amoureux de ces deux femmes, Sila et lui ont en commun d’avoir été des enfants de la classe favorisée d’un pays que l’auteur se garde bien de nommer. Ils ont tous les deux été plongés dans la misère, Fazil parce que son père n’a pas su diversifier ses cultures maraichères et Sila parce que le régime a subitement confisqué tous les biens du sien. Celui-ci restera même en prison quelques jours, le temps de signer une déclaration dans laquelle il s’engagera à ne pas faire de procès aux autorités qui l’ont ruiné. Comme dans le roman de Stephen Vizinczey, la montée du sentiment amoureux est accompagnée par la réalité politique de leur pays. Pour Fazil et ses amis il s’agit de la peur et parfois la panique face à l’intolérance religieuse et la répression policière qui s’abat sur tout ce qui est différent. Ce roman est aussi un hymne à la littérature, monde dans lequel Fazil (et certainement Ahmet Altan) se réfugie le trouvant souvent plus réel que la vie qu’il doit mener. Deux professeurs de littérature lui feront comprendre la force de l’engagement littéraire. Ces deux enseignants connaîtront à leur tour les horreurs de l’arrestation arbitraire et la prison.

Si cette progression de ce pays vers une répression à la fois des mœurs et des positions politique est bien présente dans « Madame Hayat », ce n’est pas l’essentiel du roman. Ahmet Altan a voulu revivre ses premiers amours et son épanouissements sexuel, j’imagine assez facilement le plaisir qu’il avait à se remémorer ce genre de scènes entre les quatre murs de sa prison à Istanbul. Un très beau roman, tout en sensibilité et respect de la femme, celui d’un homme libre aujourd’hui mais dont le talent a toujours dépassé les murs dans lesquels un régime répressif l’a enfermé pendant six longues années.

 

 

 

Citations

 

La liberté et la littérature

 Il me semblait que le vrai courage, ici, c’était d’oser critiquer le livre de Flaubert, tant le monde et les personnage qu’il avait créés, leurs idées, leurs sentiments, leur intuition, étaient pour moi un sujet d’éblouissement permanent indépassable au point que j’aurais aimé vivre dans ce monde là dans un roman de Flaubert. J’y étais comme chez moi. Mon grand rêve eût été de passer ma vie dans la littérature, à en débattre, à l’enseigner, au milieu d’autres passionnés, ce dont je me rendais toujours un peu plus compte à la fin de chaque cours de madame Nermin. La littérature était plus réelle et plus passionnante que la vie. elle n’était pas plus sûre, sans doute même plus dangereuses, et si certaines biographies d’auteurs m’avaient appris que l’écriture est une maladie qui entame parfois sérieusement l’existence, la littérature continuait de paraître plus honnête que celle-là.

L’amour et Proust

 Je n’avais d’yeux que pour son corps voluptueux, sa chair, ses plis, qui m’appelaient partout, au coin de ses yeux, à la pointe des lèvres, sur sa nuque, sous ses bras, sous ses seins. Elle avait certainement perdu sa beauté de jeunesse, mais tous ces petits défauts de l’âge ne la rendaient que plus attirante. J’étais persuadé de la désirer telle qu’elle était, ni plus jeune ni plus belle. Je me souvenais de la phrase de Proust : « Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination. »

Le plaisir

Avec elle je découvrais le suprême bonheur d’être un homme, un mâle, j’apprenais à nager dans le cratère d’un volcan qui embaumait le lys. C’était un infini safari du plaisir. Elle m’enveloppait de sa chaleur et de sa volupté pour m’emporter au loin, vers des lieux inconnus, chacun de ses gestes tendres était comme une révélation sensuelle. Elle m’enseignait que les voies du plaisir sont innombrables.

Dieu

 Ça fait longtemps que Dieu regrette sa création, il essaie d’oublier, je suis sûre qu’il a déjà arraché cette page de son cahier et l’a jetée à la poubelle.

La conversation après l’enterrement d’une petite fille

 Pendant que nous attendions les boissons, je demandai à madame Hayat si elle croyait en dieu. Je l’avais vu prier tout à l’heure. 
– Parfois. Mais pas aujourd’hui… Et puis, Dieu aussi a des absences. 
Les boissons arrivèrent. Elle resta un moment le verre à la main, parlant comme pour elle-même :
– Est-ce qu’il laisse la boutique aux employés et s’en va faire un tour, je ne sais pas.