Édition folio poche . Traduit du tchèque par Barbora Faure.

Coucou Athalie, tu m’avais bien tentée avec ce roman, et je te remercie de me l’avoir fait lire. C’est une petite merveille ce livre de souvenirs d’un enfant tchèque de père juif et de mère chrétienne qui connaît une enfance aimée et riche en évènements avant la guerre, traverse les horreurs de la guerre et se reconstruit sous le communisme.
Raconté comme cela, vous pensez qu’il s’agit « encore » d’un roman sur la tragédie de la Shoa , mais pensez au titre ! Ce livre raconte la passion de cet enfant pour les rivières et les poissons et nous fait connaître son père Léo un personnage auquel rien ne résiste. Enfin presque . Dès la dédicace du livre le ton est donné et mon sourire était sur mes lèvres :

À ma maman

qui avait mon papa pour mari.

C’est vrai qu’il est un peu encombrant ce Léo , toujours prêt à gagner des millions et devenir très très riche. Seulement voilà, la vie est faite d’imprévus surtout quand on aime les jolies femmes, offrir des tournées à tous ses amis dans les bars, et surtout aller pêcher la carpe dans des endroits merveilleux plutôt que de vendre des aspirateurs. Pourtant cela avait bien commencé avec le titre de « Meilleur Vendeur du Monde » d’aspirateur Electrolux. La vie auprès de lui, pouvait être compliquée, elle n’était jamais ennuyeuse, il a fallu le nazisme pour ralentir sa fougue. Après la guerre, il s’enthousiasme pour le communisme jusqu’à ces terribles procès qui lui assène une si triste réalité :

Pour la première et la dernière fois de sa vie, il s’est blotti entre me bras comme le font les enfants. J’étais déjà un homme. Je le tenais dans mes bras et je regardais par-dessus sa tête ce « Rudé Oarvo » où il avait coché au crayon rouge

  • Rudolf Slansky, d’origine juive
  • Bedrich Germinder, d’origine juive
  • Ludvick Frejka, d’origine juive
  • Bedrich Reicin, d’origine juive
  • Rudolf Margolieus, d’origine juive

La série de Juifs continuait et elle était toute maculée de larmes. Lorsqu’il se fut calmé, il me regarda d’un air absent, comme s’il ne me reconnaissait pas et dit :

-Ils se remettent à tuer les Juifs. Ils ont de nouveau besoin d’un bouc émissaire.

Puis il se leva, il donna un coup dans ce ‘Rué Pravo » et il se mit à crier :

-Je pardonne les meurtres. Même judiciaires. Même politiques. Mais dans ce « Rudé Pravo » communiste, on ne devrait jamais voir « d’origine juive » ! Des communistes, et ils classent les gens en Juifs et non-juifs !

Ota Pavel a connu lui, aussi les affres de la dépression, mais grâce à tous ses souvenirs de pêches dans des endroits merveilleux, il a réussi à se reconstruire et il nous a laissé un livre qui nous fait sourire et aimer la vie. Son humour et sa pudeur en font un grand écrivain.
Bravo à cet auteur .

Citations

Que disent nos féministes ?

Vous ne peignez pas de femmes ? 
– Vous savez, mon petit bonhomme, je ne les apprécie pas tellement, vos bonnes femmes. Elles m’énervent terriblement. Quand elles posent pour se faire peindre, elles sont affreusement bavardes et quand elles se taisent, alors elles sont tout à fait fadasses.

Le talent de son père

Pour la firme Electrolux l’arrivée de papa fut une grande aubaine. Il s’avéra rapidement qu’il était un prodige en ce qui concerne la vente d’aspirateurs et de réfrigérateurs. Difficile de dire à quoi cela tenait, mais il était génial dans ce domaine et si le talent est déjà mal aisé à reconnaître chez les génies artistique, il est d’autant plus quand il s’agit de vendre des aspirateurs à poussière (…). Il était parvenu à faire acquérir des aspirateurs à des paysans de Nesuchyne où il n’y avait pas encore de courant électrique moi. Bien entendu, il leur avait promis qu’il allait les aider à faire venir l’électricité, mais il ne tint pas sa promesse. 

La pudeur du récit

Un autre homme heureux était le professeur Nechleba. Il s’était remis à peindre sa Lucrèce. Un jour, quelques années plus tard, papa vint le voir et lui dit à quel point il la trouvait belle, et le professeur, tout joyeux la lui donna. Pendant la guerre, un SS saoul, blond aux yeux bleus, l’arracha de notre mur et la fendit d’un coup de poignard, la tuant somme toute pour la deuxième fois. Ce jour-là papa en eut les larmes aux yeux car il avait depuis longtemps oubliée Mme Irma et il était secrètement amoureux de Lucrèce.

La guerre

À cette époque la chair grasse et goûteuse des carpes nous était indispensable, pour nous, comme pour le troc. Pour les échanger contre de la farine, du pain et les cigarettes pour maman. J’étais resté seul avec maman, les autres étaient en camp de concentration. Je ne connaissais pas encore très bien les carpes. Je devais apprendre à voire si elles étaient de bonne ou de mauvaise humeur, si elles avaient faim ou au contraire repues et si elles avaient envie de jouer. Je devais connaître leur lieu de passage et les endroits où il était vain de les attendre. Je te les prête une canne solide et court, une ligne, un bouchon et un hameçon. 

L’antisémitisme après la guerre

Ce monsieur commença à lui faire la cour et au milieu de la danse, il lui dit :
– Vous êtes tellement belle, en la mangeant des yeux. 
Maman sourit, quelle femme n’aurait pas été flatté ?
 Et alors ce beau monsieur ajouta :.
– Mais je voudrais savoir, qu’est-ce que vous avez de commun avec ce juif ? 
-Trois enfants, répondit maman qui termina la danse et revint s’asseoir auprès de papa.

 

Édition Acte Sud Babel . Traduit de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier.

Quel livre ! Et quel écrivain ! Bien sûr depuis « L’immeuble Yacoubian » on savait que Alaa El Aswany était un écrivain indispensable à notre compréhension de l’Égypte, mais il va plus loin dans ce roman et il nous montre comment l’islam et la violence des forces de l’armée corrompue font bon ménage, et ont fait couler une chappe de plomb brûlante sur la si grande envie de changement de la jeunesse égyptienne en 2011.
L’auteur suit la destinée des composantes de la société égyptienne, elles ont en commun les manifestations de la place Tahrir. Il peut s’agir de jeunes qui croient et qui participent à ce qu’ils pensent être une révolution. Ou des cadres du régime qui vont mettre en place une répression aveugle et sans pitié. Répression bénie par un Cheick qui sous couvert du Coran bénéficie des largesses financières du régime et qui est prêt à adapter les sourates du Coran pour justifier les conduites les plus barbares des militaires.
On suit, par exemple, Khaled un jeune méritant, originaire d’un milieu très simple et qui réussi brillamment ses études de médecine. C’est lui ou plus exactement son père qui terminera ce roman. Je pense qu’hélas la fin est romanesque alors que la lectrice que je suis, aurait tant voulu que dans la vraie vie, tous les les pères des jeunes tués à bout portant sur la place Tahir, réussissent leur vengeance.
Khaled est amoureux de Dania fille du général Alouani qui est le principal acteur de la répression. Sa femme se pique de religion donc nous suivons l’hypocrisie du Cheick Chamel, c’est peut être le personnage le plus horrible car voir la religion bénir toutes ces horreurs c’est, comme toujours, insupportable. Mais à la première place de l’horreur, il y a aussi une femme qui tient les média et achète des témoignages pour pourrir la réputation des jeunes de la place Tarhir. Dans ce roman choral, on suit aussi Mazen et Asma, qui paieront très cher leur enthousiasme pour les manifestations. Asma sera sauvée de la première répression grâce à un ancien aristocratique chrétien Achraf qui sortira de sa dépression grâce à l’amour d’une femme et grâce aux jeunes révolutionnaires qu’il va aider de toutes ses forces. Asma partira en exil après avoir été torturée par des militaires et subi ce qu’on appelle « un test de virginité » qui n’est ni plus ni moins qu’un viol : mise entièrement nue devant des soldats hilares, les jeune filles sont pénétrées par des hommes pour vérifier qu’elles sont bien vierges sinon elles ont considérées comme des putains !
À travers ce roman, c’est toute la société égyptienne que nous voyons traverser ces événements. La difficulté des rapports amoureux, la reproduction des rapports sociaux, la corruption à tous les niveaux, l’horreur de la répression et l’hypocrisie de la religion. Et si l’on retrouve parfois l’humour de l’auteur, c’est un humour triste et parfois tragique.
Un roman éprouvant certes, mais que l’on doit lire, c’est le moins que l’on puise faire pour soutenir le combat de cet écrivain et sauvegarder la liberté dans notre pays . En effet, ce livre est interdit en Egypte et dans de nombreux pays arabes. Ce roman n’aide pas à prendre confiance dans la nature humaine.

Citations

Les relations sexuelles du général avec son épouse

Son corps c’est tellement avachi et rempli de graisse qu’elle pèse plus de cent vingt kilos. Elle a un ventre énorme en forme de demi-cercle, protubérant au niveau du nombril et se rétrécissant vers le bas, sur lequel pendent deux seins fatigués. Ce ventre unique en son genre, presque masculin, serait capable d’annihiler définitivement le désir sexuel du général Alouani sans les films pornographiques auxquels il a recours pour exciter son imagination. Son Excellence a dit une fois à ses amis :
– Si tu te trouves obligé de manger pendant trente ans le même plat, tu ne peux pas le supporter sans lui ajouter quelques épices.

L’intégrité du général chef de la sûreté .

Nous devons reconnaître que le général Alouani n’a jamais profité de sa situation pour obtenir un quelconque privilège pour lui-même ou pour la famille… Par exemple si Hadja Tahani l’informe que sa société tente d’obtenir un terrain dans un gouvernorat, le général Alouani s’empresse de téléphoner au gouverneur :
– Monsieur le Gouverneur. Je voudrais vous demander un service. 
Le gouverneur lui répond immédiatement :
– À vos ordres Monsieur. 
À ce moment-là, le général déclare d’un ton résolu :
– La société Zemeem vous a présenté une demande d’attribution d’un terrain. Cette société appartient à mon beau-frère. Hadj Nasser Talima. Le service que vous pouvez me rendre, Monsieur le Gouverneur, c’est de traiter à Nasser comme tous les autres entrepreneurs. S’il vous plaît, appliquez la loi sans faire de faveur.
 Après un silence, le gouverneur lui répond alors :
-Votre Excellence nous donne des leçons d’impartialité et de désintéressement.
Ce sur quoi le général l’interrompt en lui disant :
– Qu’à Dieu ne plaise. Je suis égyptien et j’aime mon pays. Je suis musulman et je n’accepte rien de contraire à la religion.
 Après cela, lorsque le terrain était concéder à la société Zemzem, le général Alouani ne ressentait aucun embarras. Il s’était adressé au responsable pour lui demander de ne pas lui accorder de faveur. Que pouvait-il faire de plus ?

Le cheick Chamel , humour grinçant de l’auteur.

 

 

Comme nous l’ordonne le Coran, le cheick Chamel parle constamment des bienfaits que Dieu a répandus sur lui, il possède trois luxueuses voitures noires ainsi qu’une voiture de sport qu’il conduit lui-même lors de ces promenades familiales. Ce sont toutes des Mercedes, qu’il préfère aux autres marques pour leur solidité et leur élégance, et également parce que le directeur de la société Mercedes en Égypte, qui fait partie de ces disciples, lui accorde toujours des prix spéciaux. Parmi les bienfaits que Dieu accorde aux cheick Chamel, il y a celui d’habiter une grande villa au Six-Octobre. Chacune de ses trois épousent y occupe un étage avec ses enfants tandis que le cheick réserve le quatrième étage pour la dernière épouse toujours vierge dont il jouit licitement avant de lui donner congé de la meilleure façon, en respectant tous les droits que lui accorde la loi de Dieu en matière d’arriéré de dot, de pension alimentaire, etc. On raconte que le cheick Chamel a déchiré -dans le respect de la loi divine- l’hymen de vingt-trois jeunes filles. Il n’y a là ni faute ni péché car cela ne contredit pas la loi de Dieu. Le cheick dit toujours aux hommes qui sont ses disciples :
– Mes frères, si vos moyens financiers et votre santé vous le permettent, je vous conseille d’avoir plusieurs épouses pour vous mettre à l’abri du péché et pour mettre à l’abri les jeunes filles musulmanes.

Interprétation des manifestations de la place Tahir par le religieux.

Excellence, que dites-vous aux manifestants ?
 Le visage plein de colère, le cheikh Chamel répondit :
– Je leur dis que ceci est un complot maçonnique organisé par les Juifs pour détourner les musulmans de leur religion. Je dis à mes enfants qui sont sur la place Tahir : vous êtes laissé fourvoyer par les fils de Sion. Demandez pardon à Dieu et repousser une sédition qui risque de plonger notre pays dans un bain de sang. Vous, les jeunes retournez chez vous. Ce n’est pas cela, La voie du changement. Vous détruisez l’Égypte de vos propres mains. Revenez à Dieu, revenez à Dieu.

L’amertume d’une participante à la révolution

Les Égyptiens se sont laissé influencer par les médias parce qu’ils en avaient envie. La plus grande partie des Égyptiens est satisfaite de la répression. Ils acceptent la corruption et y participent . S’il y en a qui ont détesté la révolution depuis le début, c’est parce qu’elle les mettait dans l’embarras. Ils ont commencé par détesté la révolution et ensuite les leur ont donné des raisons de la détester. Les Égyptiens vivent dans une république « comme si ». Ils vivent au milieu d’un ensemble de mensonges qui tiennent lieu de réalité ils pratiquent la religion de façon rituelle et semblent pieux alors qu’en vérité ils sont complètement corrompus.

Conception de l’information en Égypte d’après l’armée.

Notre peuple est ignorant et ses idées sont arriérées. La plupart des Égyptiens ne savent pas penser par eux-mêmes. Notre peuple est comme un enfant : si nous le laissons choisir par lui-même , il se fera mal . Le rôle de l’information en Égypte est différent de ce qu’il est dans les pays développés. Votre mission , en tant que professionnels des médias, est de penser à la place du peuple. Votre mission est de fabriquer les cerveau des Égyptiens et de former leurs idées . Après une période de mise en condition efficace , les gens considèrerons que ce que disent les médias est vrai .

Un petit trésor que cette BD, à lire avec la musique jouée par cet incroyable interprète . La vie de ce musicien hors du commun a déjà inspiré de nombreux ouvrages, le talent de Sandrine Revel nous plonge dans l’univers mental de Glenn Gould à celui qui disait :

Je tenais pour acquis que tout le monde partageait ma passion pour les ciels nuageux. J’ai eu tout un choc en apprenant que certaines personnes préféraient le soleil.

elle a répondu par ces dessins absolument magiques de nuages

Elle raconte très bien à la fois son obsession pour la pureté du son et le respect de la musique. C’est une vie triste mais aussi merveilleuse car habitée par la musique la seule chose qui pour lui avait de la valeur et était sa seule lumière. On retrouve tout ce que l’on sait de cet homme et quand on referme cette BD on pense que c’est si triste qu’il soit disparu trop tôt . Il ne s’est jamais épargné et il a tout le temps mis sa vie en danger par des peurs réelles ou imaginaires.

La BD vaut autant pour ce qu’on découvre de la vie de cet artiste si original que par le talent de la dessinatrice.

Une BD à regarder et un artiste à écouter encore et encore

Édition JCLattès . Traduit de l’anglais par Johan Frederik Guedj.

J’ai reçu en cadeau cet essai de Tara Westover et je l’ai lu avec beaucoup d’émotion et d’intérêt. Cette jeune femme diplômée de l’université de Cambridge et de Harvard a commencé sa vie dans des conditions très particulières. Venant d’un milieu mormon, elle a grandi dans l’Idaho près du mont Buck’s Peak.

 

Cette montagne aura une grande importance dans la construction de sa personnalité, son père lui a raconté toutes les légendes qui peuplent ces lieux et elle représentera tout son univers pendant seize ans de sa vie. L’enfance qu’elle raconte dans ce livre est terrible car non seulement les mormons ont tendance à vivre entre eux en respectant des règles strictes mais en plus son père était « le plus mormon des mormons » et surtout c’est un malade mental qui est la proie de crises paranoïaques. Il faudra à Tara, seize longues années pour se défaire des liens qui l’attachaient à cette famille mortifère. Son frère aîné est d’une violence et d’une perversité incontrôlable, elle sera battue, humiliée et en grand danger de mort sans que ses parents n’interviennent. Il faudra une dernière crise de ce frère pour qu’enfin elle abandonne ses réactions de petite dernière de la fratrie des Westover pour aller vers des études qui lui permettront de trouver la femme remarquable qu’elle est vraiment.

Sa description de son enfance est émouvante, si elle n’est pas allée à l’école, elle a croisé des adultes qui savaient lui dire que ce n’était pas normal et cela a dû avoir une certaine importance dans la rupture avec ses parents qu’elle devra assumer. Elle tient beaucoup à ce titre « Éducation » , car oui elle a été éduquée et en particulier à trouver des forces en elle-même, savoir admirer la beauté de la nature mais à part cela c’est vraiment difficile de voir les valeurs que son père lui a données. On sent très bien que la religion n’est qu’un prétexte pour ce père afin de soumettre toute sa famille à des lois et des règles très dures. Les seuls qui se sont sortis de cette domination sont ceux qui n’ont pas accepté de faire partie du clan et qui tous grâce aux études ont pu assumer leur vie. Les autres vivent encore sous cette domination et le succès du livre de Tara n’a pas dû arranger la paranoïa de son père. Elle est définitivement passée du côté du gouvernement, celui qui impose le lavage de cerveau par l’école, qui ruine la santé par les vaccins et les soins à l’hôpital, qui ne croit pas à la fin du monde et donc n’encourage pas les constructions de souterrains pour survivre : bref, le monde de terreur dominé par le patriarche et assiégé par les forces du mal dont sa fille fait maintenant partie.

Le soucis de vérité de Tara Westover et son honnêteté sont très émouvants elle cherche à éviter la culpabilité que sa mère sa sœur et ses frères veulent lui inculquer. On sent tout le travail thérapeutique qu’elle a dû faire pour oser écrire ses souvenirs sans blesser personne et pouvoir retrouver sa famille sur des valeurs d’amour qui ne soient pas fondées sur la manipulation des uns par les autres.

Citations

Le début

Je n’ai que sept ans, mais je comprends que c’est surtout ça qui rend ma famille différentes : nous n’allons pas à l’école.
Papa redoute que le gouvernement ne nous force à y aller, et cela est impossible, parce que les autorités ignorent que nous existons. Quatre des sept enfants de mes parents n’ont pas d’acte de naissance. Nous n’avons pas de dossiers médicaux, parce que nous sommes nés à la maison et n’avons jamais vu un médecin ou une infirmière. Nous n’avons pas de dossier scolaire parce que nous n’avons jamais mis les pieds dans une salle de classe.

La propreté

« N’apprends-tu pas à tes enfants à se laver les mains après être allés aux toilettes ? »
Papa a pas mis le moteur en route. Le pick-up avançait lentement, il a fait un signe de la main. 
« Je leur apprends à ne pas se pisser sur les mains. »

La religion de ses parents

J’avais toujours su que mon père croyait en un Dieu différent. Enfant, j’avais conscience que si ma famille fréquentait la même église que tout le monde dans notre ville, notre religion n’était pas pareil. Les autres croyaient en la décence ; nous, nous la pratiquions . Ils croyaient au pouvoir de guérison de Dieu ; nous remettions nos blessures entre Ses mains. Ils croyaient en la préparation de la Résurrection, nous nous y préparions véritablement. Aussi loin que je me souvienne, j’étais convaincu que les membres de ma famille étaient les seuls vrais mormons que j’ai jamais connus.

Le final

Maintenant que j’y pensais, je me rendais compte que tous mes frères et soeurs exceptés Richard et Tyler, étaient économiquement dépendants de mes parents. Ma famille se scindait en deux -les trois qui avaient quitté la montagne, et les quatre qui étaient restés. Les trois titulaires de doctorat, et les quatre sans diplômes. Un fossé était apparu, et se creusait.

Édition Feux croisés Plon . Traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Lalechère

Un roman peu banal sur un sujet qui démarre pourtant de façon si classique dans la littérature et hélas dans les faits divers américains  : Un jeune homme, Roy, marié depuis peu à la belle Celestial est accusé d’avoir violé une jeune femme blanche dans le motel où il passait la nuit . Sa femme a eu beau dire qu’il était auprès d’elle cela n’a pas empêcher un jury de le déclarer coupable et de lui infliger douze ans de prison. Il n’a rien fait mais il est noir et c’est donc suffisant. Cela pourrait être le sujet du roman mais pas vraiment. Les traitements qu’il a dû subir en prison et sa lutte pour prouver son innocence ne sont évoqués qu’à travers les courriers que s’échangent Roy et Célestial. Courrier qui est plus allusif sur ces sujets car tous les deux parlent surtout de leurs liens amoureux . Roy et Celestial se sont aimés mais leur couple ne résistera pas à la prison , les parents de Roy se sont aimés toute leur vie . C’est un bel exemple de couple américain uni pour la réussite de leur fils, enfin le fils de sa mère car son père, Big Roy, l’a adopté quand il a épousé Olive . Le père biologique jouera pourtant un rôle dans l’histoire de Roy. Les parents de Celestial parents fortunés feront tout ce qu’ils peuvent pour aider Roy à sortir de prison. Il est effectivement acquitté au bout de cinq ans mais sa femme l’a quitté pour son ami d’enfance André. Un roman passionnant car complètement en dehors des évidences sur la condition des noirs aux États-Unis, tout en nuances mais qui par la même m’a beaucoup touchée.

 

Citations

L’amour

Mais en te perdant j’ai appris une chose au sujet de l’amour. Notre maison n’est pas simplement vide. Elle a été vidée. L’amour se crée une place dans ta vie, il se crée une place dans ton lit. À ton insu, il se crée une place dans ton corps, détourne tes vaisseaux sanguins, bat juste à côté de ton cœur. Et quand il part, il laisse un trou.
Avant de te rencontrer je ne me sentais pas seule. À présent je me sens si seule que je parle aux murs et chante pour le plafond.

 

Être noir aux USA face à la justice

Ce calvaire n’aurait alors été qu’une histoire que nous lui aurions racontée plus tard, pour qu’il comprenne qu’il fallait être prudent quand on était un homme noir aux États-Unis. Lorsque nous avons décidé qu’il valait mieux avorter, d’une certaine manière, nous nous sommes résignés. Nous avons cessé de croire que je serais acquitté.

Humour de prison

C’est le destin de l’homme noir. Porté par six ou jugé par douze. 

 

Les femmes

L’immense générosité des femmes est un tunnel mystérieux et nul ne sait où il mène. Partout, il y a des indices qui sont autant de pièges et, quand on est un homme, il faut être conscient que la logique ne nous conduira pas nécessairement à la sortie.

 

Édition P.O.L

 

J’ai trouvé cette lecture chez « lire au lit » un blog qui propose des lectures originales et qui sont souvent éditées chez P.O.L. Comme cette blogueuse, je me suis attachée à Aymeric, le père du petit Jim, né d’une d’une maman, Florence qui mène sa vie un peu à « l’arrache ». Le roman couvre la jeunesse d’Aymeric et de Florence, puis raconte les dix ans de bonheur absolu pendant laquelle Aymeric sera le père de Jim, jusqu’au retour du père biologique. Ensuite, nous partageons la terrible souffrance de cet homme qui verra son « fils » partir au Canada avec ses parents biologiques. Aymeric et Jim se retrouveront, mais vingt ans plus tard et Jim aura beaucoup de questions à poser à ce père qu’il a tant aimé.
Résumé de cette façon, je ne sais pas si je vous donne envie de lire ce roman, pourtant c’est incroyable comme cette lecture m’a touchée. D’abord parce qu’on ne traite pas si souvent de l’attachement d’un homme pour un enfant jusqu’à penser à en être le père. Sans pour autant faire les démarches administratives qui officialiseraient le lien, pensant sans doute que le lien d’amour est plus fort que n’importe quelle administration. Ensuite parce que tous les personnages sont dans la nuance, trop sans doute, si Aymeric s’était plus imposé et avait plus rejeté Christophe le père biologique, il aurait sans doute moins souffert. Combien de fois dans ce roman, j’ai eu envie de lui dire : « mais réagis, impose toi , ne te laisse pas faire » . Comme il le dit si bien dans ce roman les conseils des autres qui ne vivent pas la situation sont souvent trop tranchants et n’aident pas à comprendre l’ensemble de la situation. Ces personnages sont des gens d’aujourd’hui ni en réussite particulière ni en échec, ils vivent dans une région que l’auteur aime profondément : le Jura. Une région de bois et de montagne, dans laquelle Pierre Bailly a ses attaches . Le centre du roman qui raconte l’enfance de Jim au milieu de la nature qu’il découvre grâce à son père et à une grand-mère qui vit dans une ferme au milieu des bois, est un moment magique. Comme tous les bonheurs, il y a des failles que le narrateur ne veut pas voir : est-il encore amoureux de Florence ? ou reste-t-il près d’elle pour élever leur (son) enfant ?

Le récit est très bien mené , le choix de la maman de le couper de ce père pour que l’enfant essaie de s’adapter au Canada est très logique mais que de dégâts derrière. Le personnage que je trouve le moins crédible mais aussi celui qui m’a le plus dérangé c’est Christophe le père biologique. Il n’a absolument pas voulu de cet enfant et a repoussé cette femme quand il a su qu’elle attendait un enfant de lui. Un terrible accident a tué sa femme et ses deux filles et c’est chez Florence qu’il vient se faire consoler. Il fallait bien un personnage pour le roman , mais lui je n’arrive pas à imaginer sa construction mentale.

Nous sommes aussi dans un monde que je connais peu, un monde où on va écouter des concerts pour tout oublier et la drogue aide bien dans ce cas. Je préfère et de loin quand le narrateur obtient le même résultat dans ses marches en montagne.

Un superbe roman et je me promets de lire les autres livres de cet auteur.

 

Citations

Psycho à la fac

En psycho que on devait être trois mecs pour deux cents filles. Je me souviens d’une soirée où j’ai dit à un type que je faisais psycho, il en est resté bouche bée pendant plus de dix secondes, estomaqué par ma réponse. Il a fini par s’exclamer : mais oui, t’as tout compris, toi, oh, le petit malin, en plus ça marche à ce que je vois, bien joué mon gars. Là, il regardait en direction de Jenny, et quand je lui ai annoncé qu’on se connaissait d’avant, qu’on ne s’était pas rencontré sur les bancs de la fac mais au collège, il a repris sa tête de poisson crevé. Il venait de trouver la seule raison pour un mec aller en fac de psycho finalement non, ce n’était même pas pour ça que j’y étais .

L’éducation d’un petit garçon aujourd’hui .

On avait beau avoir le souci, autant Flo que moi, de ne pas trop valoriser les codes masculin et de ne pas lui imposer des pratiques de petit mec, on avait beau l’encourager à s’autoriser à aimer la couleur rose ou tel jouet traditionnellement destiné aux filles, et j’insiste pour dire que je faisais ma part de boulot en la matière, et bien je ne pouvais pas m’empêcher de camper ce personnage de père qui bricole, de père qui n’a peur de rien, de père un peu brutal parfois .

Comment gérer une crise : les amis ne sont pas forcément les mieux placés .

Elle était au courant de tout, bien sûr, elle était encore plus remontée que moi. C’est toujours facile de s’emballer quand on est extérieur, on ne vit pas les choses, on n’est pas vraiment concerné, on ne souffre pas de la même manière, et puis on n’aura pas à assumer les conséquences de nos réactions et de nos actes, alors on adopte une position radicale, on joue les durs, et on ferait mieux de se taire, car on est souvent de mauvais conseil,

Édition Gallimard NRF

Voici la première phrase
J’ai vingt-huit ans et j’arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre.

J’avais acheté ce livre suite à une avalanche de commentaires élogieux, je me souviens d’un billet de Jérôme, Ingannmic Athalie et de Kathel mais je sais qu’il y en a eu d’autres. Le problème c’est que j’avais accepté de prêter ce roman avant de l’avoir fini. Il est revenu mais je l’avais un peu oublié. Je l’ai relu avec plus de plaisir que la première fois et je n’ai pas lâché ma lecture car je ne voulais pas qu’il disparaisse encore une fois dans mes piles de livres. Depuis, j’ai écouté les différentes prises de paroles de Velibor Čolić et l’auteur est tout aussi intéressant que son roman. Il raconte son arrivée à Rennes avec le statut de réfugié : le choc ! Est-ce qu’un être humain peut se résumer en un mot : »réfugié » . Il veut être écrivain, et j’imagine l’enseignante langue étrangère (que j’ai été autrefois) qui s’arrache les cheveux lorsqu’il remplit sa fiche, à la rubrique « que voulez vous faire plus tard » Velibor Čolić écrit : « Goncourt », alors que la leçon du jour est de répéter et écrire « Où est la poste » …. Son humour, son sens de l’observation particulièrement aiguisé parce qu’il est illettré en français, ses rencontres diverses et variées de gens qui ont le même statut que lui, lui ont permis d’écrire ce manuel à mettre dans toutes les mains. Les nôtres d’abord, nous les Français qui ne savons pas souvent comment faire pour aider ces gens qui sont d’abord des êtres souffrants d’avoir perdu leur identité, et dans les mains des réfugiés pour les aider à se redresser et à redevenir les hommes ou les femmes qu’ils sont au delà de ce statut qui les écrase. Ce livre n’a rien de tragique et pourtant on y croise la tragédie tout est sauvé par le style d’un grand écrivain . Velibor Čolić arrive dans la langue française avec son accent, mais à l’écrit ça ne se sent pas trop, avec aussi sa propre façon d’écrire sans pathos et sans la fameuse logique cartésienne. Il y a de la poésie même dans ses beuveries et dans les locaux un peu crasseux où il doit habiter, mais surtout il y a cet humour ravageur qui le sauve de toutes les situations les plus scabreuses. Je pense que oui, un jour, il l’aura le Goncourt même s’il a gardé un accent pour dire : « Où est la poste » .

(PS les hortensias c’est pour sa nouvelle identité bretonne !)

 

Citations

Sa langue

Je murmure une complainte, stupide et enfantine, tout en sachant que les mots ne peuvent rien effacer, que ma langue ne signifie plus rien, que je suis loin, et que ce « loin  » est devenu ma patrie et mon destin…

La France vu par des exilés

– Quel drôle de pays la France, radote Alexandre, ici le pain blanc est moins cher que le pain noir. 
-Et en plus, dis Volodya, il mange de la salade avant la viande, et pas comme nous en même temps…. 
– Oui, oui j’ajoute avec un air sérieux, les Français et leur mille sortes de fromages qui puent… Chez nous on a deux sortes de fromages -salé et demi salé- et pour le reste débrouille-toi camarade. 
Ensuite nous trinquons et buvons au goulot, à la slave.

Deux leçons pour survivre dans l’exil :

Comment faire ses courses

Tu sors dans la rue piétonne, la rue principale, la rue la plus fréquentée et tu attends que la première grosse mama africaine arrive. Ensuite tu te faufiles derrière elle, discrètement, telle une ombre. Là où elle fait ses courses c’est garanti moins cher en ville.

Comment mener une bagarre

Il faut toujours que tu tapes en premier. Peu importe la situation, peu importe l’adversaire il faut que tu le cognes d’abord, après seulement tu peux discuter. Pour la bagarre il faut éviter, dans la mesure du possible, les petits mecs. Les grands sont plus faciles à prendre. La plupart du temps le grand bonhomme est tranquille, tout le monde s’écarte devant lui, il n’a pas l’habitude de se battre,. Tandis que le petit, et bien lui s’est battu toute sa foutue vie, pour se faire une place, pour se faire entendre, pour prouver qu’il existe. Donc, attention aux petits, ils sont à éviter ! 

Concours des horreurs de guerre : l’Africain a gagné

D’accord, sourit un Africain, une fois un copain a été blessé à la jambe. Il criait et criait tellement fort, qu’au bout d’une demi-heure j’ai été obligé de lui dire. « Écoute mon vieux, toi tu es blessé à la jambe et tu pleures comme une gonzesse, mais regarde, ton camarade de combat, il a reçu un obus sur la tête et il ne dit rien. »

Histoires de guerre dans l’ex Yougoslavie

Un beau jour, narre Omer, on était 1992 avec mon copain Asim le plongeur, on s’arrête sous un vieux pont en bois pour se soulager un peu, tu vois. Et c’est justement à ce moment-là que l’armée serbe décide de bombarder le pont. Les obus pleuvaient et nous on était en bas, le pantalon baissé en train de vider, tu vois, nos ventre. « Je demande à mon cousin. Tu as peur ? Il me dit : « Mais non pas du tout. Pourquoi ? » Alors je réponds : « Si tu n’as pas peur pourquoi tu essayes de me torcher les fesses ? « 
Voilà une autre histoire vraie, j’ajoute, pendant la guerre l’armée serbe entra dans une maison bosniaque. Ils trouvèrent juste une grand-mère assise près de la fenêtre. « Écoute la vieille, dit-leur commandant, dis-moi rapidement où est ton fils. » Et la mamie. « Où est ton fils, où est ton fils, où est ton fils… Ce n’est pas assez rapide ? Sinon je peux encore aller plus vite. Et ton fils, où est ton fils, où est ton fils… »

La langue française

Les bottes jadis noires, sont dans un piteux état. Je ne me rappelle plus comment je les ai eues. Je m’interroge : peut-on dire pour les chaussures aussi qu’elles sont de « deuxième main » ? Ou de « deuxième pied ?

 

 

Édition Christian Bourgeois. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Aurélie Tronchet

 

Un livre passionnant dont pourtant je n’ai pas eu envie de noter beaucoup de passages, mais cela n’est pas du tout un signe d’une moindre qualité. L’intérêt du roman vient de la confrontation des différents personnages à propos d’ un fait divers. À travers chaque chapitre de longueur variée la romancière cerne la réaction d’un des personnages autour d’un tragique accident. Il n’y a pas de grandes pensées au delà des faits, et pourtant la réalité se construit peu à peu, avec une précision étonnante et qui m’a captivée. L’effet roman choral provoque chez moi un besoin de pause entre les personnages, mais ce n’est pas du tout gênant. Je vous présente rapidement les personnages :
– Driss Guerraoui, propriétaire d’un restaurant a été renversé et tué par un chauffard qui a pris la fuite alors qu’il traversait devant son établissement pour reprendre sa voiture .
– Sa fille Nora, une musicienne de talent, pense que l’acte était volontaire et avec elle on ressent que les musulmans Marocains ne sont pas si bien vus que ça aux USA.
– Efrain est originaire du Mexique et a été témoin de l’accident mais il n’ose pas témoigner car il est en situation irrégulière et a très peur d’être reconduit à la frontière. – Maryam la femme de Driss a laissé plus de la moitié de sa vie au Maroc qu’elle a dû fuir à cause de la répression qui s’est abattue sur les opposants marocains dans les années 80. – Son autre fille Selma qui semble avoir si bien réussi cache mal des fêlures qui l’empêche d’être heureuse. – Coleman est la femme policière chargée de l’enquête. Ce sont tous « les autres » Américains, je mets aussi la policière parce qu’elle est noire et subit le racisme ordinaire des blancs.

Il y a aussi le voisin du restaurant qui tient un bowling, et de son fils, d’eux je ne peux rien dire sans divulgâcher l’enquête policière qui sous-tend ce roman.

Et puis, on entend aussi la voix de Jérémy qui est revenu d’Irak tellement meurtri qu’il a failli sombrer dans l’alcoolisme comme son copain de guerre qu’il cherchera à aider au détriment de sa relation avec Nora.

Chaque personnage est une partie du puzzle qui constitue ce roman et qui donne une image des USA qui est certainement plus divisé que l’on ne peut l’imaginer. Bien sûr, depuis Trump on connaît la fameuse fracture qui divise ce pays mais ce roman témoigne qu’il y en a bien d’autres et que ce n’est pas du tout certain que le modèle américain permette une meilleure adaptation des populations d’origine étrangère que le système français. Ce roman permet de sentir que ce n’est pas si simple de passer d’une culture à une autre et de faire un seul pays avec des arrivants du monde entier, mais grâce à la démocratie il y a quand même un espoir et une place pour la vérité et la justice. Un livre prenant facile à lire et qu’on n’oublie pas.

Citations

Dans les année 80 : guerre Sahara Maroc en 1975

On y est, je me rappelle avoir pensé, c’est la fin du régime. Comment pouvait-il survivre au fait de tuer ses propres enfants en plein jour ? Mais alors que cette pensée se cristallisait dans mon esprit, un des policiers m’a repéré sur le toit, il a levé son arme et m’aviser. Même quatre étages plus haut, j’ai vu le canon noir sur moi. Je me suis laissé tomber à genoux, ne comprenant qu’au sifflement proche que la balle m’avais manqué. Adossé contre le mur, j’ai guetté le bruit sourd des bottes des policiers dans l’escalier. J’ai attendu pendant tout l’après-midi. Même une fois la nuit tombée, j’attendais encore. J’entendais encore les sirènes des voitures de police. Des crissements de pneus. Les bris de verre. Les cris des gens. Le vent dans les palmiers.

L’exil

Pour ma mère, les choses se déroulaient toujours comme elles n’étaient pas censées se passer. Elle avait quitté son pays avec sa famille, mais tout ce qu’elle n’avait pu emporter avec elle lui manquait encore. Son ancienne maison lui manquait, ses amis d’enfance, l’appel à la prière à l’aube. Quel que soit le plat somptueux qu’elle cuisinait, il lui manquait toujours quelque chose -un ingrédient, ou bien le goût n’allait pas. Le mariage de ma sœur l’a propulsée dans les paroxysmes de nostalgie qui ont transformé notre maison en un bazar empli de motifs au henné, de ceintures brodées, de plateaux en cuivre et même d’un palanquin pour les mariés. Ma mère a dû laisser beaucoup de traditions derrière elle et, plus le temps a passé, plus elles sont devenues importantes à ses yeux.

Analyse d’un mariage

Mais comme Maryam n’aimait aucun des tissus que j’ai choisis, j’ai fini par céder. On a acheté les rideaux qu’elle aimait et on est rentré à la maison. J’ai sorti l’échelle et mes outils mais, chaque fois que je faisais un trou, la tringle, selon elle, devait être un peu plus haute ou plus basse. Dans les rideaux ont enfin été installés, il y avait cinq trous dans le mur et la tringle penchait à gauche. Je ne sais pas pourquoi je me rappelle ça, autant d’années plus tard, ce n’est vraiment qu’un détail. C’est peut-être parce que j’essaie de comprendre ce qui m’est arrivé. Tout ce que je sais, c’est que la vie est courte. Sans en avoir conscience, j’avais cheminé sur la route qui va de la naissance à la mort avec la mauvaise compagne.

Remarque sur les américains vus par une marocaine d’origine .

J’avais déjà remarqué ça chez les Américains, ils veulent toujours passer à l’action, ils ont du mal à rester en place ou à se laisser ressentir des émotions désagréables.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard. Édition Phébus , traduit de l’anglais par Jean buhler

Ce roman s’est retrouvé dans les propositions du club de lecture dans le thème : « écrivains américains ayant habité en France ». J’ai appris ainsi que Louis Bromfield a séjourné des dizaines d’années en France puis, il est retourné dans son Ohio natal pour y fonder une ferme écologique qui se visite toujours. Ce roman, je l’ai lu et relu dans ma jeunesse, j’adorais les passages où Mrs Parkington règle ses comptes avec les médiocres qui n’avaient pour eux que la richesse due à leur naissance. J’ai éprouvé un plaisir très régressif à le lire de nouveau. L’intrigue est bien menée : une riche héritière d’un mari peu scrupuleux qui a amassé une fortune considérable voit s’effondrer un monde basé sur l’appartenance à une classe sociale et qui se croit à l’abri des lois et du commun des mortels. Elle fera tout ce qu’elle peut pour sauver son arrière petite fille des retombées qui vont éclabousser son père qui a épousé la petite fille de Susie Parkington. L’auteur fait de constants retours en arrière qui nous permettent de revivre la vie de cette femme et expliquent pourquoi leurs enfants et petits enfants ont tant de mal à se sentir bien dans leur peau. Trop beaux pour ses fils, pas assez belle pour sa fille, mais dans tous les cas beaucoup, beaucoup trop riches, ils n’auront pas su être heureux. En relisant ce roman, j’ai pensé qu’aujourd’hui les requins de la finance n’ont guère été punis pour leurs actions qui ont ruiné tant de gens dans le monde. Il y a bien des aspects de ce roman auxquels je suis moins sensibles aujourd’hui et que je trouve même agaçants. La place de la femme, qui doit être belle, courageuse, soutenant son mari en toute occasion, et en même temps heureuse, on est loin des combats féministes ! L’idée que l’hérédité explique les difficultés des descendants : les « Blairs » étaient des originaux les enfants seront marqués un peu bizarres. En revanche, j’avais oublié à quel point ce roman était une critique du capitalisme américain et soutenait la politique de Roosevelt, le roman raconte la fin d’un monde fondé sur un capitalisme prédateur et l’arrivée d’un société plus humaine et plus honnête. L’auteur critique beaucoup les Américains qui croient que la naissance leur permettent d’appartenir à un monde au-dessus des lois, ce que je trouve un peu étrange car pour moi l’image de l’Américain est plutôt représenté par le « self made man ». Et finalement, je l’avoue, avoir de nouveau éprouvé de la sympathie pour cette femme extraordinaire même si je ne crois pas du tout que ce genre de personnalité avec toutes ces qualités puisse exister.

Plus qu’un jugement objectif sur ce roman, les cinq coquillages viennent illustrer tous les bons souvenirs que cette lecture m’a rappelés.

 

 

Citations

Sa jeunesse admirons au passage la nature féminine….

Susie ne manquait jamais de voir le soleil se lever, car sa mère et elle étaient toujours debout avant l’aube afin de préparer les provisions des hommes qui allaient travailler dans les mines. Il fallait emballer des sandwichs et verser le café dans des bouteilles. Active et précise dans ses gestes, la mère de Susie était jolie, avec ses petits yeux bleus et ses joues à se joue à fossettes. C’était une de ces femmes qui ont besoin de travailler sans relâche, de par leur nature même. Elle n’aurait pu se priver de fournir de grand effort physique. Susie connaissait aussi ce besoin dévorant d’activité, cette inquiétude qui ne l’eût jamais laissé en repos si son énergie n’avait été heureusement tempérée par une forte propension à la rêverie et à la contemplation.

Le personnage négatif de l’ancien monde

Ned avait peu d’expérience, mais il avait déjà rencontré assez d’individus de la trempe d’Amaury pour pouvoir les juger au premier coup d’œil. Ces gens-là croyaient être protégés par des privilèges spéciaux du fait de leur naissance et échapper ainsi aux lois qui régissent les actes de l’ensemble du peuple américain. Ils étaient nés dans cette période où le sentiment des valeurs avait été faussé, où l’on ne croyait qu’à la puissance de l’argent et où l’on négligeait complètement les qualités du cœur et de l’esprit.

Une phrase que je dédie à ceux qui sont toujours en retard

Toujours ponctuel, le juge Everett arriva à onze heures trente. L’exactitude est le propre des gens qui travaillent beaucoup. Seuls les oisifs peuvent se permettre de gaspiller le peu de temps qui nous est accordé pour vivre.

Réflexions sur un type de personnalité que je trouve assez juste

La pauvre duchesse, avec son visage blême et ses yeux pitoyables de tristesse, semblait demander l’aumône d’un peu de sympathie, mais dans l’instant qu’on lui accordait, elle la refusait contre toute attente et se cachait derrière l’écran de sa dignité blessé. Elle était triste comme seuls peuvent l’être ceux qui sont parfaitement égoïstes, ceux qui sont condamnés à souffrir toujours et partout, parce qu’ils ne veulent pas voir plus loin que les murs de la prison dans laquelle les tient enfermés le souci de leurs propres peines.

 

Édition Zoé . Traduit de l’anglais par Christine Raguet

Et pour une fois le nom de la traductrice est sur la couverture, bravo aux éditions Zoé.
Il y avait pour ce livre tant de tentatrices ,que je savais que je le lirai, heureusement que je n’avais pas dit quand ! Aifelle en novembre 2019, Athalie en octobre 2019, et Kathel en juin 2020. À chaque fois, je me disais que ce roman était pour moi, je confirme totalement cette impression. Merci à vous de m’avoir guidée vers ce roman.

Dans un quartier chic du Cap, deux femmes vieillissent, rien ne les unit, si ce n’est une haine farouche. Toutes les deux deviennent veuves au début du roman. Marion, la femme blanche architecte était mariée à un certain Marc, elle découvre que celui-ci ne lui a laissé que des dettes . La vente d’un tableau acquis il y a bien longtemps pourrait la tirer d’affaire, il s’agit d’un tableau de Pierneef peintre qui a une belle côte aujourd’hui en Afrique du Sud :

Seulement voilà , Hortensia a entrepris des travaux et une grue s’est abattue sur sa maison et le tableau a disparu. Ne croyez surtout pas que cette anecdote soit très importante. En fait ce qui est important c’est pourquoi ces deux femmes sont arrivées à se haïr avec une telle force : Hortensia, sait mieux que quiconque déceler le racisme ordinaire qui dicte la conduite de Marion. Celle-ci a déjà perdu le contact avec ses enfants à cause de ses comportements humiliants pour leur employée Agnes. Hortensia n’a plus d’illusion sur l’humanité, et elle sait très bien débusquer toutes les petitesses de chacun même si elle est souvent méchante, elle est aussi très drôle et j’ai beaucoup appréciée quand elle bouscule le côté dame patronnesse de Marion. C’est une femme qui a très bien réussi dans le design et qui au contraire de Marion , n’a aucun soucis d’argent. Son mari Peter meurt et laisse une clause très étrange dans son testament. Il demande à Hortensia de prendre contact avec Emée une jeune femme de 40 ans qui est sa fille légitime. Il manque un élément pour que le décor soit planté. La maison dans laquelle habite Hortensia a été conçue par Marion et celle-ci aurait voulu l’habiter. Les deux femmes vont être amenées à devoir se supporter. Il n’y aura pas de renversement de situation mais une sorte de paix des braves ! Au fil de l’histoire on en apprend beaucoup sur le racisme ordinaire en Grande-Bretagne, et les horreurs de l’Afrique du Sud . La façon dont l’auteure nous présente les deux personnalités est passionnante. Tout en se doutant de la suite, on laisse l’auteur nous emmener sur les chemins de deux femmes qui n’auraient jamais dû se rencontrer. Il n’y a pas de « gentilles » mais des femmes qui ont connu une vie originale, la dureté d’Hortensia cache une grande intelligence et une sensibilité qui n’a jamais pu s’épanouir complètement . Marion est plus prévisible mais on la sent prête à abandonner quelques une de ces certitudes. Enfin !

Bref, je joins ma voix à celles qui ont avant moi découvert ce roman, c’est un roman qui m’a laissé une très forte impression et dont j’ai savouré toutes les pages.

Citations

 

Le ton est donné

La rivalité était assez tristement célèbre pour que les autres représentantes du comité se tiennent en retrait afin d’assister au spectacle. Il était de notoriété publique que les deux femmes partageaient une haine et une haie, qu’elles élaguaient l’une comme l’autre avec une ardeur qui démentait leur âge.

Marion et Hortensia

-Je suis convaincu que si on les contraignait, ces gens auraient du mal à justifier leur droit. Des gens à l’affût d’argent facile, si vous voulez mon avis.
– Quand vous dites ces gens, ce que vous voulez dire en fait, c’est « des Noirs », si j’ai bien compris ?
– Absolument pas et je voudrais..
– . Marion, je ne suis pas d’humeur aujourd’hui à supporter votre sectarisme. J’ai le souvenir précis de vous avoir demandé de garder vos conversations racistes pour votre propre salle à manger.

 Le mari d’Hortensia

Peter n’avait jamais été croyant, mais il avait affecté des postures de croyant qu’Hortensia n’avait jamais été capable de déchiffrer parfaitement. Il sifflotait « Morning has broken », puis l’entonnait, mais il s’embrouillait dans les paroles, le cantique disparaissant dans sa gorge. Il jouait au golf le dimanche, mais à Noël il voulait des chants de Noël. Et maintenant, il meurt et voilà qu’il veut une église.

Les sentiments d’Hortensia

Hortensia en vint à comprendre la qualité de sa vie aurait grandement gagné à connaître plus de colère et moins de ressentiment. Le ressentiment est différent de la colère. La colère est un dragon brûlant tout le reste. Le ressentiment dévore vos entrailles, perfore votre estomac.

L’intelligence et la jeunesse

Hortensia était en désaccord avec l’opinion répandue qui veut que les jeunes aient l’esprit vif et de la jugeote. Au contraire, sur ses vieux jours, elle avait découvert que les jeunes (d’une manière générale) se protégeaient sous une sorte de douillet cocon d’idées arrêtées, qui les mettaient à l’abri du monde et que l’on pouvait aisément prendre pour de l’intelligence, à la condition que vous, l’observateur, manquiez un peu de vigilance dans vos appréciations.

L’ histoire du papier toilette(qui permet de comprendre la photo d’Athalie)

Lara avait couru à l’office pour aller chercher un rouleau de papier toilette et elle était revenue avec le papier simple épaisseur.
« Celui-là est pour Agnes, avait hurlé sa grand-mère, avant de marmonner  » pourquoi est-ce qu’elle va mettre ses affaires dans mon office ? »
 La fillette eut l’air troublée. Pourquoi sa grand-mère achetait-elle deux qualités de papier toilette ? « Parce que » avait dit Marion.
 Parce que le double épaisseur est plus cher et que, compte tenu de sa condition, il paraissait parfaitement raisonnable de penser qu’Agnes se contenterait du simple épaisseur. La fillette posait des questions sur les choses auxquelles Marion n’avait jamais eu de raison de réfléchir, mais c’était ainsi -la voilà la raison. Mais les dégâts avaient déjà été faits. Lara était contrarié, Marelena était contrariée. Elle consola sa fille et fit une moue réprobatrice à sa mère. « Je croyais qu’après tout ce temps tu en aurais fini avec ces choses-là. » Marion était jugée. Amère à l’idée d’être mal comprise, elle souleva l’affaire avec Agnès.
« Pourquoi mets-tu tes rouleaux de papier toilette dans mon office Agnes ? Quand les courses arrivent, quand tu vides les sacs, prends ce qui te revient et mets-le dans ton studio.
-Non, patronne.
-Quoi ?
Agnès avait rarement l’occasion d’utiliser le mot « non » quand elle parlait avec Marion. En fait, Marion ne pouvait se rappeler qu’une seule fois elle l’avait entendu l’employer.
-Celui-ci n’est pas mon papier papier toilette, patronne. Le mien, je l’achète moi-même. – Pourquoi achètes- tu ton propre papier ? avait demandé Marion. Quel changement avait bien pu se produire ? Elle travaillait ici depuis des dizaines d’années et connaissait les règles. Agnès, qui était en train d’essayer les petites taches sur le marbre du plan de travail de la cuisine, haussa les épaules.
– J’avais besoin de quelque chose de meilleure qualité, patronne.
Un jour, peu après cette conversation, alors qu’Agnes était occupée avec le linge sale, Marion se glissa dans le studio pour en inspecter la salle de bain. Là se trouvait le papier toilette en cause. Triple épaisseur. Elle rougit et, pour ne jamais être en reste, lors de son déplacement suivant chez Woolworths Marion choisit une grande quantité de rouleaux de papier toilette triple épaisseur pour elle-même.

Vieillir

– De toute façon, je suis trop vieille. Je ne peux pas avoir un copain. J’ai toutes sortes de douleurs. Trop.
-C’est ainsi, et oui.
-Quoi ?
-Ça. Vieillir. Avoir de plus en plus de douleurs.
 Marion fit une grimace.
-Et essayer de tout réparer.
– Et ça marche ?
-Quoi ?
-D’essayer de tout réparer ?
– Pas vraiment. J’ai quatre enfants, Hortensia. Trois à qui je n’ai pas parlé depuis presque un an. Je ne les vois jamais. Marelena, mon aînée , elle appelle, mais j’ai toujours l’impression, quand on parle, qu’elle me braque un revolver sur la tempe. Et que j’en braque un sur la sienne.