Édition Babel Actes Sud

 

On a si peu de raison de se réjouir dans ces endroits qui n’ont ni la mer ni la tour Eiffel, ou Dieu est mort comme partout, et où les soirées s’achèvent à vingt heures en semaine et dans les talus le week-end.

 

J’ai lu beaucoup d’avis positifs sur ce roman qui me tardait de découvrir. J’avais bien aime « leurs enfants après eux » et donc j’avais hâte de me plonger dans cette lecture. Ce ne fut pas chose aisée, car plusieurs fois j’ai laissé tomber la lecture pour y revenir et finalement je suis ravie de m’être accrochée à cette histoire.

Nicolas Mathieu ne juge pas ses personnages, ils les laissent grandir et évoluer dans la région qu’il connaît bien autour de Nancy. Hélène et Christophe sont de la même petite ville, l’une a été une élève brillante et fait une carrière exceptionnelle dans un cabinet d’audit. L’autre après avoir été un hockeyeur reconnu (et la coqueluche des lycéennes) est resté dans sa ville et est commercial pour une boîte d’aliment pour animaux de compagnie.

Aucun des deux n’est vraiment heureux, Christophe voit sa femme qui l’a déjà quittée partir loin de son lieu de vie et donc le séparer de son petit garçon Gabriel qu’il adore. Hélène n’aime plus son mari et après avoir fait une dépression (dans ce milieu on dit » burn-out ») a demandé de revenir vivre près de son lieu de naissance. Son cabinet d’audit est chargé de réorganiser la région « Grand- Est » qui résulte de la fusion de l’Alsace, de la Lorraine et de la Champagne-Ardenne. C’est une femme de dossiers et qui connaît parfaitement son affaire, elle espère devenir associée dans son cabinet d’audit.

À travers leur enfance, l’auteur décrit la classe moyenne qui s’en sort tant bien que mal, plutôt mal pour le père de Christophe à la tête d’un magasin de sport. Des vacances à la Grande Motte pour Hélène et ses parents, et un été à l’île de Ré avec son amie de coeur dont le père a les mains baladeuses.

Ils sont adultes maintenant et le travail d’Hélène nous permet de plonger dans les rouages de l’administration et le roman est alors très intéressant et très bien documenté. C’est pour moi la grande réussite de ce livre. On sent très bien d’où viennent les cadres qui ont entouré Emmanuel Macron. D’ailleurs si je me souviens bien , on lui a reproché d’avoir usé et abusé de cabinet de conseils. L’auteur n’en fait nullement une caricature, mais on sent très bien que ces hommes très compétents sont peu solubles dans la réalité française et laisse une place confortable au Rassemblement National de Marine Le Pen.

Christophe et Hélène auront une histoire commune qui leur fera du bien même si elle ne dure pas très longtemps.

C’est un roman sérieux et bien construit mais je m’y suis souvent ennuyée, mais, paradoxalement, à cause de ses qualités. Comme l’auteur veut rester objectif et ne pas embraquer son lecteur dans des jugements trop facile, cette neutralité empêche l’empathie de s’installer entre moi et ses personnages. Mais quand je vois le nombre de passages que j’aimerais retenir je me dis qu’il y a beaucoup d’excellentes choses dans ce roman et de trois je suis passé à quatre cooquillages.

 

Citations

Début.

La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qu’il attendait, de toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut.
Hélène était pourtant une femme organisée. 

Le problème du couple.

 Depuis qu’ils étaient revenus vivre en province, Philippe semblait considérer qu’on n’avait plus rien à lui demander. Après tout, il avait laissé tombé pour elle un poste en or chez Axa, ses potes du badminton et, globalement, des perspectives sans commune mesure avec ce qui existait dans le coin. Tout ça, parce que sa femme n’avait pas tenu le coup. D’ailleurs, est-ce-qu’elle s’était seulement remise d’aplomb ? Ce départ forcé restait entre eux comme une dette. C’est en tous cas l’impression qu’Hélène avait.

Une quadragénaire qui va mal.

Pourtant, sur le papier elle avait tout, la maison d’architecte, le job à responsabilités, une famille comme dans « Elle », un mari plutôt pas mal, un dressing et même la santé. Restait ce truc informulable qui la minait, qui tenait à la fois de la satiété et du manque. Cette lézarde qu’elles se trimballait sans le savoir.

Les illusions de l’amour .

 Elle avait eu quinze ans, et comme n’importe qui, sa dose de lettres et de flirts hésitants. On lui avait tenu la main, on l’avait emmenée au ciné. On lui avait dit je t’aime, je veux ton cul, par texto et à mi-voix dans l’intimité d’une chambre à coucher. À présent Jenn était grande. Elle savait à quoi s’en tenir. L’amour n’était pas cette symphonie qu’on vous serinait partout, publicitaire et enchantée.
 L’amour c’étaient des listes de courses sur le frigo, une pantoufle sous un lit, un rasoir rose et l’autre bleu dans la salle de bain.

Le point de vue des parents.

 Ils sont pris dans cette tenaille des parents qui encouragent leurs gosses et sans bien que chaque pat accompli les laisses un peu plus loin derrière. Sur le quai de la gare, ils voient le train rapetissé au loin et prendre de la vitesse. Parfois c’est plus fort qu’elle, Mireille a envie de mettre un coup d’arrêt à cette épouvantable accélération.

L’adolescence .

 L’adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu’elle fut gît déjà sur le bord du chemin. Il faut désormais réinventer des rôles, admettre des distances nouvelles, composer avec les monstruosités et les ruades. Le corps est encore chaud. Il tressaille mais ce qui existait, l’enfance et ses tendresses évidentes, le règne indiscuté des adultes et la gamine pile au centre, le cocon est la ouate, les vacances à la Grande-Motte et les dimanches entre soi, tout cela vient de crever. On y reviendra plus.

Portrait peu flatteur.

 Elle connaissait vaguement le premier, un jeune type déjà chauve qui portait des Church’s et une veste cintrée. Aurélien Leclerc. II prétendait occuper le poste de dircom adjoint. Les mauvaises langues assuraient qu’il n’était en réalité qu’adjoint du dircom. Quoi qu’il en soit, il avait fait Sciences Po. Il ne fallait en général pas attendre dix minutes avant qu’ils le rappelât.

L’informatique et une municipalité.

 Après tout, elle n’avait jamais eu besoin que de cent cinquante heures pour remettre à plat l’épouvantable imbroglio des services informatiques de cette ville, un bordels digne d’un roman russe ou l’argent et l’énergie se perdaient dans d’invraisemblables circuits de décisions qui superposaient pas moins de trois organigrammes distincts. Tout au long de son audit, elle s’était étonnée de voir cette Babel tenir encore debout. Les paresses empilées, le flou des hiérarchies, les haines immémoriales entre chefferies administratives avaient accouché d’un véritable Tchernobyl digital. Quand on pensait que les habitants confiaient leur numéro de carte bleue à ce système digne des soviets pour payer la cantine des gosses ou leur carte de résident, ça laissait songeur.

Sortir de son milieu social.

 Quand ses parents font l’apologie de la simplicité, lui donne ses cousins en exemple, quand ils critiquent les ambitieux, les parvenus, ceux qui exhibent leur réussite, quand ils vantent le mérite des bosseurs, des manuels, des bricolos, des débrouillards, de ceux qui passent entre les gouttes, mamailleurs et autres contrebandiers du jour le jour. Quand ils lui disent on va t’envoyer à la campagne, ça t’apprendra à vivre, quand ils mettent l’article défini devant un prénom, le Dédé, la Jacqueline, le Rémi, alors Hélène sent un câble se tendre en elle. D’instinct, sans savoir, elle refuse tout cela en bloc. Chaque signe de cette manière d’être la gifle. Elle préfère encore crever que vivre comme ça, modeste et à sa place. Elle a la grosse tête. Une petite bêcheuse.

La création du grand Est.

 Car avant que n’advienne ce Grand Est qui devait faire la fortune des cabinets de consulting en général et d’Elexia en particulier, les anciennes régions disposaient naturellement de leurs propres organisations, lesquelles résultaient d’années d’usage , de replâtrages divers et de particularismes indigènes. Surtout, au sommet de chacune des dites organisations trônait un chef qui n’entendait pas céder sa place. Au départ, nul n’avait jugé utile de solliciter une expertise extérieure pour pour mener à bien cette fusion ordonnée depuis Paris, les ressources étant évidemment disponibles en interne. Mais après si mois de réunions improductive, de coups fourrés entre comités directeurs, et face à la menace une reprise en main par l’autorité administrative,le recours à un tiers avait fini par s’imposer.
Hélène débarquait donc en pleine guerre picrocholine et trouvait dans chaque organisme où elle intervenait des équipe irréconciliables et une poignée de cadres au bord de la crise de nerf 

Le monde des cabinet d’audit.

 Depuis qu’elle est rentrée chez WKC, Hélène a parfois l’impression que la planète toute entière est aux mains de ces petits hommes en costume bleu qui viennent dans chaque entreprise, dans les grands groupes et les administrations, pour démonter à coups de diagnostics irrévocables l’inadéquation des êtres et des nombres, expliquer aux salariés ce qu’ils font, comment il faudrait le faire mieux, accompagner les service du RH toujours à la ramasse et apporter leurs lumières à des décideurs invariablement condamnés aux gains d’efficacité, forçats de la productivité, damnés du résultat opérationnel.

 

 


Édition Folio

Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent, ce que l’on est. 

 

Quel plaisir de rencontrer à nouveau cet auteur qui m’a si souvent enchantée à travers ses récits . Sur Luocine vous ne trouverez que « Homo Erectus », « Romanesque » qui m’avait un peu étonnée et la BD « le guide mondial des records » , parce que tous les autres je les ai lus avant Luocine.

Il était temps que je connaisse un peu mieux sa vie et d’où lui vient cette extraordinaire faculté de m’embarquer dans ses histoires. Je me doutais bien qu’il était d’origine italienne mais pour le reste … Ses parents sont d’une tristesse infinie, son père alcoolique et sa mère profondément malheureuse de vivre en France n’ont pas su donner du bonheur à leurs enfants. En revanche ce juron italien, « Porca Misera » que l’on peut traduire par « putain de vie » ou « chienne de vie », il a l’impression de l’avoir entendu à longueur de journée dès le réveil de son père. En plus Tonino est le dernier enfant, né bien après les autres, il n’a donc pas vécu avec la fratrie qui aurait pu égayer ses journées. Le plus surprenant pour moi c’est qu’il n’aimait pas lire alors qu’il le dit lui-même cela lui aurait permis de s’évader de cet univers gris et même souvent très noir ! Il n’empêche que lorsqu’il s’accroche à la lecture de Maupassant « Une vie » il comprend bien mieux que n’importe quel analyste distingué le drame de Jeanne ! Cet enfant qui a adopté la langue française, alors que ses parent n’ont fait que « subir » la vie en France, a su lui rendre un grand hommage. J’ai aimé aussi ce qu’il raconte de ses voisins qui sont d’une si grande gentillesse avec lui et toute sa famille ce qui l’empêchera toujours de penser que les Français sont racistes

 

Son art à lui, c’est d’inventer des histoires, trouver des personnages et de les faire vivre, il ne puise pas dans les livres ses intrigues et ses caractères mais dans le sens de l’observation des autres. J’ai été contente de mieux le connaître et j’ai souffert avec lui lorsqu’il a connu une période de dépression doublée d’agoraphobie sévère. On comprend mieux en lisant ce livre pourquoi tous ses personnages ont des des fêlures énormes et restent toujours humains. Benaquista, c’est un rire un peu triste en connaissant mieux sa vie on se dit qu’il aurait pu être tragique. Mais c’est avant tout un conteur prodigieux.

Citations

Début du livre.

Je revois mon père à table, lancé dans une litanie haineuse contre la terre entière, pendant que nous ses enfants, attendons qu’il boive son dernier verre. Parce qu’il l’a rempli à ras bord, il procède sans la main, et le voilà penché, les lèvres posées sur le rebord du verre pour en espérer la première gorgée, puis il le vide d’un trait. Il entreprend alors un périlleux parcours vers son lit, seul. ou soutenu par ma mère les soirs ou il a forcé la dose.

L’inspiration d’un écrivain.

 En proie aux plaisir risqué de la réminiscence, je peux rester des heures dans cet immense labyrinthe sans savoir où il va me conduire. J’y éprouve le sentiment illusoire mais plaisant de n’avoir rien oublié de la multitude d’interactions humaines qui me constituent comme une mosaïque. C’est dans cet aéropage que je puise pour créer les personnages de fiction, volant à celui-ci un détail physique, à celle-là un trait de caractère, que j’agrège selon mes besoins et mes envies.

Pour moi cette phrase exprimé la richesse de cet auteur.

 Aujourd’hui encore, sur l’idée de culture, j’envie ceux qui savent si bien séparer le bon grain de l’ivraie. J’en suis toujours incapable.

La télévision.

 J’entends dire que la télévision a pour vocation d’informer, d’instruire et de divertir. J’en vois une autre bien plus précieuse : le soir elle crée un bruit de fond qui couvre les ressassements comme elle offre un point de mire qui nous évite de croiser les regards à table. Elle vit, s’exprime, donne à voir. Elle est la quatrième présence.

On retrouve bien là l’auteur, nous sommes en 1968.

 Un graffiti sur un mur du réfectoire me rappelle chaque jour que si je ne m’occupe pas de politique, la politique s’occupe de moi. Autant d’injonctions produisent sur moi l’effet opposé : une méfiance à vie pour toute pensée dogmatique.

L’épisode du chien qui l’a mordu.

 J’ai laissé la sidération m’envahit, il a senti la peur monter en moi, comme son maître a senti d’instinct qu’il aurait le dessus sur mon père, il l’a lu dans ses yeux.
Faute de réparer, écrire c’est rétablir. C’est rendre dicible ce que l’on pense, ce que l’on ressent ce que l’on est.


Édition livre de poche.

Traduit de l’allemand par Alzir Hella

Et voici ma septième et dernière participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva et de livr’escapade

Versailles, conçu par Louis XIV comme « le forum maximum » de l’Europe devient sous Louis XV un simple théâtre d’amateur le plus artistique et le plus coûteux, il est vrai, que le monde ait jamais connu.

C’est le deuxième titre sur Luocine de ce grand auteur, après « Le joueur d’échec » voici sa biographie de Marie- Antoinette. Je dois cette lecture à ma plongée dans le travail fort intéressant de François Furet et Mona Ozoouf qui ont, ensemble, rédigé un dictionnaire de la Révolution français. À la rubrique Marie Antoinette, ces auteurs suggéraient la lecture de Stefan Zweig, je me suis empressée de suivre leur conseil. Une véritable révélation pour moi. Je me souviens qu’au lycée on m’avait conseillé cette lecture, mais le personnage de Marie-Antoinette me semblait tellement futile que je n’avais pas eu envie de lire cette biographie. Quelle erreur !
Ce livre est une somme de documentations incroyable et pourtant, n’est jamais ennuyeux. Il décrit très bien le gouffre qui sépare l’aristocratie du peuple. Celui-ci est soumis à un pouvoir qu’il respecte mais dans ce gouffre énorme où tant d’injustices fermentent, ces nobles oisifs, mesquins et avides sont bien incapables de ressentir les débuts d’une envie de changement puis d’une envie de révolte.
Marie-Antoinette a 15 ans quand elle arrive en France pour être mariée à un Louis XVI incapable dans un premier temps de consommer son mariage puis qui se révèle un homme indécis sans grande envergure. Il n’a qu’une envie qu’on le laisse tranquille et qu’on ne lui demande aucune décision compliquée. Hélas les caisses de l’état sont vides, et les dépenses incroyables de son épouse n’y sont pas pour rien. On connaît la suite, la convocation des États Généraux puis la révolution et ses excès.

Marie-Antoinette ne comprendra que très tardivement le rôle qu’elle aurait pu jouer. De la jeune femme adulée à qui on pardonnait tout il ne reste au moment de sa mort qu’une Autrichienne que l’on accuse des pires vilénies. (Elle sera accusée à son procès d’avoir eu des relations coupables avec son fils.)

Tout cela on le sait mais ce qui rend ce livre passionnant ce sont tous les portraits des gens qui ont entouré et souvent tellement profité de cette femme qui aimait tant s’amuser. Le portrait des nobles est sans concession et le futur Roi Louis XVIII est celui d’un arriviste qui n’a pas levé le petit doigt pour sauver son frère. La cour est remplie d’incapables qui ne pensent qu’à se hausser du col et à se nuire entre eux.
Malheureusement, le roi, qui est incapable de décisions et qui n’aspire qu’à la paix ne sait que faire de Versailles créé par Louis XIV. Lui, ce grand roi, avait réuni autour de lui tous les beaux esprits de son temps, déjà, Louis XV préférait ses plaisirs à tout ce décorum pesant. Mais son petit fils est porteur d’une fonction et d’un rôle qui ne lui va pas. Le rôle de Marie Antoinette aurait dû rester secondaire si son époux avait tenu le sien. Si elle a tant cristallisé les haines du peuple c’est que son côté futile était insupportable à une population réduite à la disette.
Stefan Zweig raconte bien aussi son amour pour le beau suédois Fersen, les lettres qui ont été retrouvées de leur relation épistolaire ne laissent aucun doute sur leurs sentiments.
En lisant cette biographie, l’été dernier, je me demandais s’il n’y avait pas un parallèle à faire entre cette période et la nôtre . Les classes populaires aujourd’hui, ne se sentent plus représentées par les gouvernants et comprennent des mouvements qui prônent la violence. Ce n’est pas rassurant !

 

 

Extraits

Les préparations du mariage.

 Au cours d’innombrables conférences des deux côtés du Rhin on pèse et discute d’épineuses et doctorales questions, comme celles-ci par exemple : quel nom sera cité le premier dans le contrat de mariage celui de l’impératrice d’Autriche ou du roi de France ? qui apposera le premier sa signature ? quels présents seront offerts ? quelle dot sera stipulée ? qui accompagnera la fiancée ? qui la recevra ? combien de gentilhommes, de dames d’honneur, d’officiers de garde, de premières et deuxièmes caméristes de coiffeurs, de confesseur, de médecins, de scribes, de secrétaires et de lingères doivent faire partie du cortège nuptial d’une archiduchesse d’Autriche jusqu’à la frontière, et ensuite d’une héritière du trône de France de la frontière jusqu’à Versailles ?
(…..) Et si un ordre royal n’avait pas fixé à l’avance de date précise, les gardiens français et autrichiens du cérémonial ne seraient même pas d’accord aujourd’hui encore sur la forme « exacte » du mariage ; et il n’y aurait pas eu de Marie-Antoinette, ni peut-être de Révolution française !

L’héritage de Louis XIV.

 Mais la force créatrice ne reste attachée à celui qu’elle veut combler ; la couronne seule est héréditaire, il n’en est pas de même de la puissance et de la majesté. Louis XV et Louis XVI héritiers de l’immense palais et d’un un état assis sur de vastes bases, sont des âmes étroites, faibles ou jouisseuses, rien moins que créatrices.

Le changement dû au succès.

 L’impression profondes qu’a faite sur Marie-Antoinette l’accueil parisien a changé quelque chose en elle. L’admiration renforce toujours l’assurance. Une jeune femme à qui des milliers d’hommes ont confirmé qu’elle est belle embellit encore dans la certitude de sa beauté ; il en va ainsi de cette fillette intimidée qui jusqu’ici s’était toujours sentie étrangère et inutile à Versailles

Marie Antoinette, Reine.

 Être reine pour Marie-Antoinette, c’est pendant les années d’insouciance être la femme la plus admirée, la plus coquette, la mieux parée, la plus adulée et avant tout la plus gaie de la cour ; c’est être l’arbitre des élégances, celle qui donne le ton à cette société aristocratique extrêmement raffinée qu’elle prend pour l’univers.

Lanceuse de mode.

 Les troubles dans le pays, les discussions avec le parlement, la guerre avec l’Angleterre émeuvent bien moins cette cour vaniteuse que le nouveau brun puce mis à la mode par Mlle Bertin, qu’un tour particulièrement hardi donné à la jupe à paniers, ou que la nuance d’une soirie nouvelle créée à Lyon. Toute dame qui se respecte se sent obligée de suivre pas à pas ces singeries et extravagances, et un mari dit en soupirant : « Jamais les femmes de France n’avaient dépensé tant d’argent pour se faire ridicules ».

Le prix du naturel.

 Bien entendu, Marie Antoinette elle aussi veut un paysage « innocent ». Elle réunit donc les artistes les meilleurs, les plus raffinés l’époque, afin qu’ils s’ingénient à force d’artifices, à lui créer un jardin supra- naturel.

L’accouchement de la reine.

 Car selon la coutume séculaire et consacrée l’accouchement d’une reine de France n’est nullement quelque chose de privé ; cette épreuve douloureuse doit se dérouler d’après des règles immémoriales en présence des princes et princesses et sous le contrôle de la cour. Tous les membres de la famille royale, ainsi qu’un grand nombre de hauts dignitaires, ont le droit d’assister à la délivrance dans la chambre même de la femme en couches et aucun d’eux, bien entendu, ne songe le moins du monde à renoncer à ce privilège barbare et anti hygiénique.

Peu de considération pour les nobles qui ont soutenu la révolution.

 La reine n’a-t-elle pas lieu de se méfier, quand elle voit que ce sont justement les plus endettés et les plus discrédités parmi les aristocrates, les plus corrompus, tels Mirabeau et Talleyrand qui les premiers sentent leur cœur battre pour la liberté ? Comment Marie-Antoinette pourrait-elle imaginer que la Révolution soit une chose honnête et morale, quand elle voit l’avare et cupide duc d’Orléans, prêt à toutes les affaires malpropres s’enthousiasmer pour cette nouvelle fraternité ? Quand le favori de l’Assemblée nationale est Mirabeau, ce disciple de l’Arétin tant par la corruption que par la littérature obscène, cette lie de la noblesse qui après avoir fait toutes les prisons de France pour enlèvement et autres histoires louches a ensuite vécu d’espionnage ?

 

La fuite à Varenne :

(Stefan Zweig n’a vraiment aucune considération pour le roi.)

 La reine s’est assise sur une chaise et a baissé sa voilette ; personne ne pourra se vanter d’avoir vu sa colère et son amertume. Seul le roi, tout de suite à l’aise, se met tranquillement à table et se taille de bons morceaux de fromage. Personne ne parle.

Édition Gallimard NRF. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary

 

Ce livre ne reçoit que d’excellentes critiques, Dominique en a parlé avec enthousiasme et comme cet auteur m’avait enchanté avec Olga et le « Liseur » je savais que je lirai celui-ci. Il a évidemment toute sa place dans le mois consacré à la littérature allemande.

(Ma sixième participation pour l’année 2023)organisé par Eva et de livr’escapade 

Dans les deux précédents romans que j’ai lus de Bernhard Shlink, j’ai apprécié son regard intransigeant et lucide sur le passé de son pays. Nous sommes dans le présent avec « la petite fille ». Kaspar, fils de pasteur, fait ses études à Berlin en 1965, il est libre de fréquenter le milieu universitaire de l’est (l’inverse n’était pas possible : les étudiants de Berlin Est n’étaient pas libres de leurs mouvements) il fait la connaissance de Birgit dont il tombe amoureux et qu’il va aider à passer à l’ouest.

Le roman débute par la mort de Brigit, femme dépressive et alcoolique. Kaspar est désespéré, il retrouve les carnets de sa femme qu’il lit. Dans cette autre partie nous apprenons le lourd secret de Brigit : elle a eu un enfant d’un homme qui l’a abandonnée avant la naissance du bébé pour ensuite lui demander qu’elle lui donne ce bébé car il ne peut pas avoir d’enfant avec sa femme. Brigit refuse et demande à sa meilleure amie de laisser son bébé sur le parvis d’une église. Toute sa vie, cet abandon lui pèsera et expliquera sa neurasthénie et son alcoolisme.

La deuxième partie ainsi que la troisième sont consacrés à Sigrun la petite fille de Brigit et dont Kaspar voudrait être le grand père.

Chaque partie du roman nous permet de cerner un aspect de l’Allemagne contemporaine : l’Allemagne de l’est et le déséquilibre des anciens de l’Est qui ont bien du mal à s’adapter dans un pays qui ne reconnaît aucune des valeurs qui les ont construits dans une autre vie. Puis nous voyons les errances de leurs enfants qui cherchent à s’opposer à leurs parents en retrouvant des mouvements violents et, évidemment, le plus interdit en Allemagne  : le mouvement néo-Nazi. Pour finalement s’incarner dans un vieux parti le « völkisch » pas très loin des idées Nazi. Il prône la fierté d’être allemand, le retour à la terre, nie les atrocités du Nazisme en particulier la Shoa : Hitler ne voulait que la paix !

Dans un premier temps, toute la difficulté de Kaspar est de maintenir un lien avec cette petite fille, sans heurter les idées de ses parents, il va y arriver grâce à la musique qui ouvrira un nouveau monde à cette petite fille très douée, elle découvre, grâce à son grand père, le piano. Une très belle scène : le grand père lui fait écouter différentes musiques et la met au défit de reconnaître celle des compositeurs allemands ou étrangers. Leur rapport seront interrompus car les parents se méfient de son influence.

Quelques années plus tard, une catastrophe va arriver, liée à la révolte de Sigrun, sa violence l’entrainera trop loin. On espère quand on referme ce roman que la musique continuera à sauver la jeune Sigrun dans l’ailleurs qu’elle s’est choisie .

Un excellent roman !

Citations

 

La jeunesse de Kaspar.

 Il a vécu jusque là dans une rhénanie tranquillement catholique. Son père était un pasteur protestant ; Kaspar avait grandi avec Luther et Bach et Zinzendorf, et pendant les vacances chez ses grands parents avec des livres sur l’histoire patriotique où l’Allemagne devait sa complétude à la Prusse.

La RDA.

 Si l’on vit dans un pays sous un mauvais régime, on espère un changement, et un jour il advient. À la place du mauvais régime, un bon se met en place. Quand on a été contre, on peut de nouveau être pour. Si l’on a dû s’exiler, on peut revenir. Le pays pour ceux qui sont restés et pour ceux qui sont partis est à nouveau leur pays, le pays dont ils rêvaient. La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n’existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir ; leur exil est sans fin. D’où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement.
Discours lors de la fête du mouvement « Völkish » 
« Qui le sait encore, à part nous, ce sont les clans, les musulmans et les femmes voilées et leur familles. Ils veulent s’emparer de l’Allemagne, ils veulent faire de notre pays leur pays. Mais nous ne les laisserons pas faire. Nous somme prêts au combat. Sur le sol allemand nous croisons. Du sol allemand nous tirons notre force. À notre communauté allemande appartient l’avenir allemand. »

Un allemand ordinaire .

Kaspar c’était toujours tenu à l’écart de tout. Il était membre de l’église, qu’il fréquentait parfois sans croire en Dieu, mais sans jamais se charger d’une tâche. Sans endosser aucune responsabilité, il était membre de la chambre de commerce et d’industrie, et de l’Union des éditeurs et libraires allemands. La politique l’avait quelquefois irrité au point qu’il l’envisage d’adhérer à un parti. Il avait été parfois invité à s’engager dans l’association Citoyens pour le parc. Mais à part des votes rassurants et quelques ramassages occasionnels de papiers, gobelets et bouteilles en traversant ledit parc, il en était resté là. 

Dialogue incroyable .

 « Tu as bien un livre sur Rudolf Heβ. Il est plein de mensonges. Tous ces livres ici son plein de mensonges. Hitler ne voulait pas la guerre. Il voulait la paix. Et les Allemands n’ont pas tué les juifs . »
Kaspar s’assit par terre face à elle.
« Ce sont des livres d’historiens qui ont fait des recherches pendant des années. Comment peux-tu savoir ?
– Ils sont achetés. Ils sont payés . Les occupants veulent rabaisser l’Allemagne. Il faut qu’on ait honte et qu’on courbe l’échine. Alors, ils pourront nous nous opprimer et nous exploiter.

Le grand père et sa petite fille.

 « Mais je peux quand même être fiers d’être allemande. »
Kaspar à nouveau tourna dans un chemin et stoppa. 
« Je ne sais pas. Je trouve qu’on ne peut être fier que de quelque chose qu’on a fait. Mais peut-être qu’on peut voir les choses autrement. »
Il montra du doigt le paysage de collines, des champs, le bois et le village sur le quel tombait le soleil et un autre village dans un creux, dont on ne voyait que le clocher et quelques tpits. Le soleil était déjà bas, cela allait donner un magnifique crépuscule.
« J’aime mon pays, je suis heureux de parler sa langue, de connaître les gens que ce pays me soit familier. Je n’ai pas besoin d’être fier d’être un Allemand, il me suffit d’être heureux. »

Édition Albin Michel . Traduit de l’anglais par Astrid von Busekist.

Ma cinquième participation « les feuilles allemandes 2023 », organisé par Eva 

Niklas Frank 

Je suis contre la peine de mort sauf pour mon père .

L’an dernier j’avais mis « la Filière » dans le mois de littérature allemande organisé par « Et si on bouquinait un peu », cette fois je mets celui-ci qui m’a absolument passionnée. Vous me disiez dans vos commentaire, à propos de « La filière » que, pour beaucoup d’entre vous, ce livre-ci était une lecture qui vous avait marqués. Je suis entièrement d’accord avec vous, je n’oublierai jamais la qualité du travail de Philippe Sand.

Cet auteur mêle ses recherches personnelles autour du destin de sa propre famille qui est originaire à Lviv (autrement nommé Lwow et Lemberg du temps de l’occupation nazie) et une enquête minutieuse sur deux hommes liés à cette même ville, dans laquelle ils ont tous les deux commencé à étudier le droit : Hersh Lauterpacht et Raphael Limkin.

Philippe Sand enquête également sur le passé du dirigeant Nazi, Hans Frank, et rassemble toutes les preuves dans son rôle sur la volonté d’exterminer tous les Juifs qui étaient sous sa juridiction en Pologne dont les parents et toute la famille des grands parents de l’auteur. La symbiose de son histoire familiale et de l’histoire du Nazisme est d’autant plus intéressante que s’y mêlent aussi les histoires familiales de Lauterpacht et Limkin, deux des éminents juristes qui ont contribué aux procès de Nuremberg.

Toute cette partie du livre est sous entendu par ce débat juridique : quelle notion est la plus pertinente pour protéger un homme contre la barbarie d’un état ?

  • La notion de crime contre l’humanité défendu par Lauterpacht.
  • Où la notion de génocide défendu par Limkin.

Les deux personnalités de ces grands juristes étaient très opposées, Lauterpacht était un important juriste et chercheur en droit de l’Angleterre et un fou de travail, mais il était devenu aussi complètement britannique et ne montrait jamais ses émotions. Il ne voulait surtout pas que l’on puisse l’accuser d’avoir œuvré en tant que juif. Alors que pendant le procès de Nuremberg il apprendra la fin tragique de ses propres parents restés à Lviv. S’il rejetait la notion de génocide, c’est qu’il craignait que cette notion se retourne contre ceux qu’on voulait défendre en les faisant appartenir à un groupe. Pour lui le carcatère humain était plus important que l’appartenance à une communauté juive.

Limkin avait fui aux États-Unis, et sa personnalité est très différente, il a un caractère bouillant et agace souvent les juges par son côté obsessionnel . Il tenait absolument à la notion de génocide car cela permettait de comprendre que les crimes des Nazis n’étaient pas liés à la guerre et avaient commencé bien avant. Lui aussi découvrira ce qui était advenu à sa propre famille pendant le procès de Nuremberg.

Tout est passionnant dans ce livre autant la façon dont Léon, son grand père et Rita sa femme ont survécu et comment sa mère a été arrachée de justesse aux griffes des nazis par une femme remarquable une missionnaire anglaise :Miss Tilney à qui Israël a donne le tire de « Juste ». Comme souvent le petit-fils veut tout savoir et s’est heurté au silence de ses grands parents. La vérité du destin de ces familles étaient trop dure à raconter, de plus plane un certain mystère que la façon dont ils ont fui Vienne séparément, Léon d’abord puis la petite Ruth – la mère de l’auteur- et enfin Rita qui semblait avoir du mal à quitter Vienne pas seulement pour des raisons administratives. L’auteur n’élucidera pas complètement ce mystère.

Le moment le plus difficile à supporter, pour moi, fut ce témoignage à Nuremberg de ce juif qui raconte ce qui s’est passé dans les fosses communes autour de Lviv le récit de ces gens qui étaient tués par balle , vieillards, hommes, femmes, enfant, bébés, et absolument insoutenable. Ce qui rend la lecture possible, c’est la taille des chapitres qui sont assez courts et on peut donc reprendre son souffle.

Quel travail ! Oui c’est un très grand livre qui fourmillent d’informations. J’en donne une au passage : le pape XII est intervenu personnellement pour éviter la peine de mort à Hans Frank responsable de Treblinka et du Ghetto de Varsovie et de sa liquidation, de la mort de tant de Juifs et de Polonais pour lesquels le pape n’a jamais rien dit mais pour cet horrible criminel de guerre il s’est fendu d’une lettre ! ! ! !

Citations

Lauterpacht un progressiste mais pas pour les femmes de sa famille .

 Son fils est heureux du séjour de sa mère mais il fulmina contre la manière dont elle affirmait sa personnalité : il s’opposa avec véhémence à ses « ongles peints », la forçant même à enlever son vernis.
Il était tout aussi hostiles à l’influence qu’elle tentait d’exercer sur sa femme, Rachel, qui avait adopté une coupe de cheveux alors en vogue, à la Louise Books, avec bob et frange. « Enragé » lorsqu’il avait découvert ce nouveau style, Lauterpacht avait insisté pour qu’elle revienne au chignon, déclenchant une forte dispute suivie par la menace de Rachel de le quitter.  : »Je peux et je dois pouvoir préserver ma vie privée sans que tu me rudoies. » À la fin, Rachel avait pourtant cédé : son chignon était bien en place lorsque je l’ai rencontré plus de cinquante ans plus tard .
Des droits individuels, oui mais pas pour la femme ou la mère .

Des horreurs oubliées ?

 En l’espace d’une semaine Źolkiew et Lvov furent et Lvov furent occupés par les Allemands, et les universitaires arrêtés. Parmi les prisonniers se trouvait l’ancien professeur de droit privé autrichien de Lauterpacht, Roman Longchamp de Bérier. Arrêté parce qu’il avait commis le crime d’être un intellectuels polonais, il fut exécuté un jour plus tard avec ses trois fils, durant le « Massacre des professeurs de Lwów ».

Sauvée grâce à un couvent polonais.

 Inka changea de ton : elle s’exprima avec douceur en chuchotant comme si elle approchait d’un dénouement embarrassant.
 » Les bonnes sœurs m’ont dit qu’il y avait une condition à mon séjour parmi elles. Ma famille ne l’a jamais su. » Pendant un moment Inka fut gênée, sur le point de rompre un silence qui avait duré toute une vie.
« Elles ont dit que je devais être baptisée. Je n’avais pas le choix. Peut-être était-ce une chance que je ne sois pas alors plus observante que je ne le suis aujourd’hui .J’avais eu de la chance de grandir dans une famille qui n’était pas très religieuse. »
Soixante-dix ans plus tard, elle était toujours aux prises avec un certain malaise. Inka se débattait encore avec le sentiment d’avoir en quelque manière, abandonné son groupe pour sauver sa propre vie.

Les personnes âgées déportées.

Make était alors âgée de soixante-douze ans, et on ne l’autorisait à voyager vers l’Est qu’avec une seule valise. Escortés à l’ Aspangbahnhof, derrière le château du Belvédère, elle-même et les autres déportés subirent les crachats, les sarcasmes, et les injures des spectateurs qui applaudissaient leur départ. Elle avait pour réconfort de ne pas être complètement seule, puisqu’elle était accompagnée de la mère de Rita, Rose. C’est une image terrifiante que celle des deux vieilles dames sur le quai de l’Aspangbahnhof, chacune s’accrochant à sa petite valise, deux êtres parmi les 994 Juifs viennois en partance pour l’Est.
(…)
Parmi les 1985 personnes à bord de ce train, se trouvaient trois des sœurs de Sigmund Freud : Pauline (Pauli) âgée de soixante-dix-huit ans, Maria (Mitzi) , quatre-vingt-un ans, et Rigina (Rosa), quatre-vingt-deux ans.

J’admire tant ce genre de compétences . (Et il a appris en quelque mois un anglais parfait !)

Hersch (Lauterpacht) parlait le français, l’italien, le polonais, et l’ukrainien, avec des notions d’hébreu, de yiddish, et d’allemand.

L’imbrication de l’histoire familiale dans la grande Histoire.

 Lauterpacht qui ignorait tout de ce qui arrivait alors à cette nièce qu’il ne connaissait pas, décida de renoncer à l’alcool et d’entamer un régime. C’était plus par précaution que le résultat d’un conseil médical. C’est en tout cas ce qu’il se disait pendant qu’il continuait à faire son devoir au sein de la Garde Nationale et qu’il réfléchissait au contenu de sa Charte des droits. Il ne savait pas que son père avait été raflé le 16 août. Ce jour là. Il envoya un mémorandum au comité sur les crimes de guerre à Londres, expliquant combien était pauvre la pratique internationale sur la question de la poursuite des crimes de guerre.

La femme qui a sauvé sa mère .

Miss Tilney était une femme bienveillante pas une idéologue faisant le travail classique des missionnaires. Elle ne cachait pas seulement des gens, elle risquait sa vie pour le faire. « Peut-être que les gens ne sont capables de grand héroïsme que s’il croit passionnément à une cause » comme le dit une amie lorsque je lui racontai l’histoire de Miss Tilney. « Un principe abstrait n’est pas suffisant pour faire de vous une héroïne ; il faut de profondes motivations et des émotions aussi. « 

Massacre des Arméniens .

 Qu’en est-il alors, avait objecté l’un de ses enseignants, de la souveraineté du droit des États de traiter leurs citoyens comme ils le souhaitent ? À proprement parler le professeur avait raison : le droit international ne limitait pas le pouvoir des États. De manière tout à fait surprenante, aucun traité ne pouvait empêcher la Turquie de faire ce qu’elle avait fait : tuer ses propres citoyens. La souveraineté n’était pas un vain mot elle était totale et absolue.

Génocide ou crime contre l’humanité ?

Malgré leur origine commune et leur souci partagé de pragmatisme, Lauterpacht et Lemkin étaient profondément divisés sur les réponses qu’ils donnaient la grande question : comment le droit peut-il faire en sorte de prévenir les assassinats de masse ? En protégeant l’individu, répond Lauterpacht ; en protégeant les groupes, répond Lemkin. 

Édition Points . Traduit de l’allemand par Nicole Bary

 

Ma quatrième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023, organisé par Eva 

 

En lisant les avis sur Babelio, j’ai vu que Aifelle avait beaucoup apprécié ce roman, et je suis d’accord avec ce qu’elle en dit.

La filiation et le poids des crimes d’un père sont les thèmes de ce roman. Konstantin et Gunthard Boggosch, sont tous les deux les fils de Gerhard Müller et de Érika Boggosch. Si les deux enfants portent le nom de leur mère c’est que celle-ci découvre horrifiée, que pendant la guerre 39/45, non seulement son mari était un Nazi convaincu mais, de plus, a commis des crimes si monstrueux qu’il a été jugé et pendu en Pologne à la fin de guerre. Le destin des deux frères va totalement diverger, et cela permet à l’auteur d’analyser les différentes façons de se construire avec le poids du passé quand on est allemand. L’ainé, veut absolument croire au passé glorieux d’un père militaire et il refuse de le voir en criminel, quelques soient les preuves à charge. C’est d’autant plus facile pour lui, que ses preuves sont fournies par les Russes qui sont détestés par tous les Allemands. Il y a aussi un oncle à l’ouest qui a entrepris de réhabiliter son frère. Cet aspect est très intéressant car on comprend, alors, combien les Allemands de l’ouest ont été plus enclins à oublier le nazisme que ceux de l’est.
le personnage principal du livre, Konstantin, sera comme sa mère hanté, par le passé de son père. Et surtout ce passé se dressera sur sa route dès qu’il voudra réaliser quelque chose de sa vie. Parce que son père était un criminel de guerre, il ne pourra pas aller au Lycée. Commence alors pour lui, un parcours incroyable, fait de coïncidences trop exceptionnelles, pour moi. Il va fuir en France, car son premier projet est de s’engager dans la légion étrangère. Il rencontre à Marseille un groupe d’anciens résistants pour lesquels il va travailler comme traducteur car grâce à sa mère il parle français, russe, italien, anglais. Un jour, il reconnaîtra son propre père dans une photo prise dans le camp de travail forcé où son employeur et ami a failli mourir.
Trop honteux de cette filiation, il repart en Allemagne et, le jour où, le mur empêchera à jamais les gens de se réfugier à l’ouest, lui, il va à l’est pour retrouver sa mère.
Il sera refusé à l’école de cinéma, toujours à cause de son père. C’est certainement l’aspect le plus intéressant du livre : cette ombre qui empêche à jamais cet homme de faire des choix librement. La description du régime de l’est et des éternelles suspicions entre collègues dans le milieu enseignant est aussi tragique que, hélas, véridique.
En lisant ce livre, j’ai pensé à « Enfant de salaud » de Sorj Chalandon , il est évident que les Français ont laissé plus de liberté aux enfants d’anciens collaborateurs. En Allemagne de l’Est qui est passé du Nazisme au communisme, les traditions d’espionnage individuel et de dénonciations n’ont pas permis aux enfants de Nazi de pouvoir oublier le passé de leur père. Mais on peut aussi se scandaliser de la façon dont à l’ouest on a si vite tourné la page qu’il suffisait de devenir anticommuniste pour faire oublier son passé nazi et antisémite.

J’ai lu avec grand intérêt ce roman, mais j’ai eu du mal à croire aux aventures de Konstantin. Il y a trop de hasards dans ce récit, en revanche la partie où il raconte ses difficultés pour mener une vie « normale » d’enseignant en RDA m’a semblé très proche de la réalité.
Il y a un aspect que je comprends pas, il revient en RDA pour revoir sa mère mais il ne la verra que peu souvent. Il s’offusque que son frère la fasse vivre dans la cave de sa maison, enfin dans un sous-sol, mais il ne la prend pas chez lui.

Ce ne sont là que des détails par rapport à tout ce que j’ai appris sur l’ex-RDA.

 

Extraits.

Première phrase d’un roman allemand . Un petit coup de nature…

 Les jeunes bouleaux semblait chuchoter leurs feuilles étaient violemment agitées, bien que l’on ne sentît pas le moindre vent. Sous le pesant soleil estival de cette fin d’après-midi le blanc cassé des troncs frêles à l’apparence fragile brillait de mille feux.

Les souvenirs .

Avec nos souvenir nous essayons de corriger les échecs de notre vie c’est pour cette seule raison que nous nous souvenons. C’est grâce aux souvenirs que nous nous apaisons vers la fin de notre vie. Ce sont les souvenirs terribles qui finalement nous permettent de faire la paix avec nous-même. Regardez les volumes de mémoires qui paraissent chaque année. Ce sont tous des personnages merveilleux. Des caractères magnifiques, sincères courageux. Intrépides, désintéressés, la justice en personne. Des types dont on aurait aimé être les contemporains. Le problème est qu’ils étaient mes contemporains, et ils n’étaient pas sympathiques. Et ne croyez pas que je veux vous persuader maintenant que mes souvenirs n’en sont plus exacts, plus vrais, plus dignes de confiance. Non, chère mademoiselle, moi aussi je vous raconterai ce qui correspond à l’image que je me fait de moi-même, que je veux faire miroiter aux yeux des autres. Je tairais bien évidemment ce qui me gêne dans ma propre personne. Et pour cela je ne devrais pas faire des efforts particuliers. Ce qui est dérangeant, ce qui ne me plaît pas, je ne devrais même pas le passer sous silence, ce n’est pas la peine. Je l’ai oublié depuis longtemps et même radicalement.

Le poids d’un père .

 Je ne pouvais pas m’installer en France, pas non plus en Angleterre, ou en Italie, ou en Pologne, ou en Union Soviétique, je tomberais partout sur des hommes de la « Résistance », sur des partisans, sur ceux qui avaient combattu Hitler. Je ferais leur connaissance, ils deviendraient mes amis, et un jour ils devraient apprendre que vi gt ans auparavant ils avaient été confrontés à mon père, le « Vulcan » craint de tous. Dans chaque pays je le trouverai sur ma route partout je serais le fils du  » SS Vulcan ».

 


Édition Metallié. Traduit de l’allemand par Alban Lefranc

Ma troisième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 , organisé par Eva 

 

 

 Un grand merci et cinq coquillages pour Anne-yes qui m’a permis d’aller vers ce livre, c’est une lecture indispensable pour mieux comprendre l’Ukraine d’hier avec les conséquences qu’on connaît aujourd’hui . La mère de Natasha Wodin, l’auteure, est d’origine ukrainienne, elle est née à Marioupol, son père bien qu’Ukrainien est de langue allemande . Ce livre, retraçant le destin douloureux de sa mère, se divise en quatre parties.

– La première est consacrée à la recherche sur Internet de sa mère dont elle ignorait tout, sauf qu’elle venait de Marioupol. Très vite elle obtient une réponse qui lui vient de Russie d’un homme qui sera son ange gardien dans ses recherches. Un certain Konstantine, et à sa grande surprise, elle découvrira que les mensonges qu’elle racontait quand elle était enfant sont en grande partie vraie. Elle s’imaginait princesse et elle découvre que sa famille d’origine italienne était une des plus riche de Marioupol et, qu’effectivement, ils habitaient un palais. Toute l’enfance de l’auteure, en Allemagne, elle s’est sentie paria ( elle dit même « un déchet » en parlant d’elle) car elle, et sa famille faisaient partie des anciens travailleurs de l’est pays qui sont devenus communistes (donc ennemis !) C’est l’aspect de ce livre qui m’a le plus passionnée, car je n’ai jusqu’à présent rien lu sur ce sujet  : que savons nous de ces milliers (peut être millions ?) de personnes déplacées pour servir d’esclaves au troisième Reich en manque de main d’œuvre ? Nous connaissons en tout cas le sort de ceux qui sont retournés sous le joug stalinien : fusillés comme traître ou envoyés directement au goulag.
– Son enquête avance grâce à Konstantine, et elle raconte dans la deuxième partie, le sort de Lydia la sœur de sa mère. Celle ci a écrit ses mémoires et on peut alors découvrir toute l’horreur des débuts du communisme en Ukraine jusqu’à la famine qui sera un des plus grand crime commis contre un peuple. Bien que condamnée au goulag, Lydia a survécu et sa mère qui était venue garder son enfant aussi, elle était arrivée en 1941 quelques jours avant l’invasion allemande et ne pourra plus jamais repartir. Natasha comprend en enfin pourquoi sa mère a été abandonnée par sa propre mère.
– Dans la troisième partie, grâce à ce qu’elle sait maintenant, elle cherche à comprendre pourquoi sa mère est partie en Allemagne à la fin de la guerre. Elle y rencontrera son père lui aussi travailleur déplacé qui l’a beaucoup aidée et lui a permis de survivre.
– Enfin dans la quatrième et dernière partie, on voit cette femme plonger dans une dépression terrible qui fera fuir son mari violent et alcoolique. La petite Natasha s’enfonce dans ses mensonges pour fuir cette chape de malheur qui tue sa mère à petit feu.

Tout l’intérêt de ce livre vient de ce que l’auteure sait nous faire découvrir la vie de sa mère au fur et à mesure de ses propres recherches. Elle n’avait qu’une très vague idée de qui était sa mère, elle lui en voulait d’avoir si peu su lui faire une vie heureuse et d’être éternellement cette femme déprimée. Mais, comme elle, nous sommes bouleversées de voir que son destin aurait pu être moins tragique si elle avait su que sa propre mère et sa sœur avaient survécu au goulag.
Historiquement, le destin de ces travailleurs venus des pays occupés par l’Allemagne Nazie est mal connu et terrible. Mal connu, car il pèse sur eux le jugement de collaboration avec le régime de l’occupant et personne n’a vraiment pris la peine d’analyser leurs souffrances, on sous entend souvent qu’ils avaient le choix de ne pas y aller. Ce qui est loin d’être vrai. En plus si vous aviez le malheur d’être slave alors vous faisiez partie de la race des esclaves et votre sort était plus proche de l’univers concentrationnaire. Le pire, pour ces hommes et ces femmes, est qu’aucun pays n’attendait votre retour. En France les anciens du STO sont rentrés sans gloire, certes, mais ils ont retrouvé une vie normale. Les Ukrainiens et les Russes étaient renvoyés chez eux à une mort certaine plus ou moins immédiate.

Un très beau livre, tout en émotion et qui nous fait revivre l’histoire si douloureuse de ce pays.

 

Citations

Travailleurs déportés .

Depuis de nombreuses années déjà, je cherchais en vain un livre écrit par un ancien travailleur forcé, une voix littéraire qui m’aurait permis de m’orienter. Les survivants des camps de concentration avait produit une littérature universelle, les livres sur l’holocauste remplissaient les bibliothèques, mais les travailleurs forcés non juifs, qui avaient survécu à l’extermination par le travail restaient silencieux. On les avait déportés par millions vers le Reich allemand ; des trusts, des entreprises, des artisans, des exploitations agricoles, des ménages privés dans tout le pays s’étaient servi à leur guise dans le contingent d’esclaves importés selon un programme d’exploitation maximale pour le coup le plus minime possible.

Le soleil se lève sur le lac.

 Des levers de soleil comme sur ce lac, je n’en avais encore jamais vu ailleurs. Ils s’annonçaient des trois heures du matin à l’horizon, d’abord comme un rosissement à peine perceptible du ciel au dessus de l’eau, qui se transformait progressivement en une orgie lumineuse d’une beauté irréelle. Je m’étonnais que tout le monde soit endormi, que personne à part moi ne semble assister à ce spectacle cosmique. Le ciel brûlait de toutes ces couleur du vert clair à l’or, du violet au rouge flamboyant chaque jour différent chaque jour nouveau : des spectacle de lumières des tableaux surréalistes que le soleil faisait surgir dans le ciel et donc je suivais la métamorphose minutieuse à partir de mon balcon comme d’une loge quelque part dans l’univers (…)

La tragédie des Ukrainiens.

Tamara avait été exilée de Kiev à Vienne à vingt ans pour travailler dans une conserverie. Après son retour en Ukraine, elle avait échappé au sort de ceux qui avaient été fusillés comme traîtres et collaborateurs ou transférés d’un camp de travail forcé à un autre, mais elle faisait partie de la majorité de ceux pour qui le travail forcé en Allemagne avait eu des conséquences à vie. Ceux qui étaient revenus, qui n’avaient pas réussi à s’opposer à leur déportation par l’ennemi, n’étaient plus acceptés dans la société, la plus part d’entre menaient une vie de misère et de privation jusqu’à leur mort. Pendant de nombreuses années, elle avait été forcée de laisser ses parents l’entretenir, eux qui souffraient de la faim. Finalement, un ami de ses parents est tombé amoureux d’elle, un professeur de biochimie vieillissant qui l’a demandée en mariage. Elle n’a pas répondu à ses sentiments, mais le mariage l’a sauvée, sa survie physique au moins était assurée. Son courageux mari, déjà discriminé en tant que juif, en supporta les conséquences. Pendant longtemps, il est resté le seul professeur de tout Kiev à qui n’avait pas été attribué des appartements et qui devait vivre avec sa femme et ses deux enfants dans un appartement communautaire .

La Russie post soviétique .

 Et en quoi tout cela me concernait, moi ce fiasco soviétique, et post soviétique le fatum sans fin de la Russie, l’incapacité à se réveiller d’un cauchemar collectif, l’emprisonnement entre soumission et anarchie, entre la patience vis à vis de la souffrance et la violence, tout ce monde inexpliqué et sombre cette histoire familiale faite d’impuissance, d’appropriation, d’arbitraire, de mort, cette Russie misérable, la Mater Dolorosa éternelle qui serrait impitoyablement ses enfants dans ses bras.

Les esclaves Ukrainiens.

Les Ostarbeiter représentent un dilemme insoluble pour les nazis. Ils sont indispensables au maintien de l’industrie de guerre allemande mais recouvrir à eux n’est pas compatible avec l’idéologie raciale nazie, cela met en danger la pureté raciale du peuple allemand. Les rapports sexuels avec des Slaves sont strictement interdits aux hommes allemands, et pourtant les viols font partie du quotidien du camp.

Quand l’image de sa mère venant d’un pays glacé se confronte à la réalité.

 Pour la première fois depuis sa mort, ma mère devenait une personne extérieure à moi. Plutôt que dans la neige, je la voyais soudain marcher dans une rue de Marioupol, vêtue d’une robe d’été légère et lumineuse, les bras et les jambes nus, les pieds dans des sandales. Une jeune fille qui n’avait pas grandi dans l’endroit le plus froid et le plus sombres du monde mais près de la Crimée, au bord d’une mer chaude du Sud, sous un ciel peut-être semblable à celui de l’Adriatique italienne. Rien ne me semblait plus inconciliable que ma mère et le Sud, ma mère et le Soleil et la mer. J’ai dû transférer toutes mes idées de sa vie dans une température différente, sous un climat différent. L’inconnu ancien s’était transformé en un inconnu nouveau.

 

 


Édition Héloïse-D’Ormesson. Traduit de l’allemand par Nicolas Véron

 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Ma deuxième participation au mois « les feuilles allemandes » 2023 organisé par Eva 

 

Voici un livre qui ne tient que par le talent de conteuse de cette écrivaine allemande. Je suis partie dans son histoire sans difficultés car j’aime les contes mais je me suis sans cesse demandé pourquoi elle voulait ne raconter que le pire des comportements humains.

Seuls trois personnages : Martin le garçon au cœur pur, le peintre, et Franzi l’amoureuse du garçon sont vraiment positifs. Dans une Allemagne d’autrefois, ravagée par les guerres, les épidémies, les croyances obscurantistes, des hommes stupides et sans cœur règnent sur un village où vit Martin et son coq noir qui reste toujours avec lui, sur son épaule le plus souvent, et qui, parfois, lui parle. Martin est orphelin car son père, pris de folie, a massacré tous ses frères et sœurs à la hache avant de se tuer lui-même. Un jour arrive un peintre que Martin suivra car il veut rechercher le cavalier à cape noire qui enlève de très jeunes enfants que l’on ne revoit jamais. Peu à peu, nous aurons toutes les clés de cette histoire mais je sais que vous ne voulez pas que je vous les donne (pourtant quand vous écoutez Barbe-bleu vous savez la fin, non ?), d’ailleurs de clés, il en est question dans ce récit. Cela commence justement par la clé de la porte de l’église que les abrutis de chefs du village ne retrouvent plus. Martin sait où elle est mais ne le dira qu’à la fin du récit.

On saura pourquoi son père a massacré à coups de hache toute sa famille et aussi ce que deviennent les enfants enlevés par les cavaliers à cape noire.

Pourquoi ne suis-je pas plus enthousiaste : j’ai vraiment du mal à comprendre pourquoi l’écrivaine a utilisé le conte pour nous raconter toute la noirceur des comportements humains. Pas grand chose nous est épargné et ce n’est pas la fin un peu moins triste qui peut compenser la succession de crimes tous plus affreux les uns que les autres qui change grand chose à la teneur de ce récit. Vraiment, pourquoi ?

Le personnage positif, Martin, est paré de toutes les qualités, bonté, compassion, intelligence au point de se dire qu’il n’est pas vraiment humain.
C’est un conte, d’accord, donc on peut tout accepter et il est vrai que, le style de Stefanie vor Shulte, emporte les lecteurs dans un monde onirique et que j’ai lu ce livre sans m’ennuyer en me demandant quand même pourquoi une telle noirceur

 

 

Citations

Le conte très sombre

 En éclair, le cavalier a dépassé Martin, l’instant d’après il est à la hauteur de Godel, il abaisse le bras vers la fille, la soulève comme un fétu de paille et la foule sous sa cape, pan d’obscurité dans le givre laiteux. L’enfant est maintenant au cœur des ténèbres, elle n’a pas laissé échapper le moindre cri. Tout est allé si vite. La main de la mère est encore suspendue en l’air toute pleine de la chaleur du corps de sa fille. Sa fille qui n’est plus là.
 Le cavalier l’a cueillie comme une pomme, et déjà le voilà sur la crête où l’on voit son cheval se cabrer.
 Un hurlement déchirant jaillit de Godel. Elle se met à courir. Le bébé pleure, ballotté contre sa poitrine. Martin court derrière elle, la rattrape, la dépasse, se lance à la poursuite du cavalier.
 Le cavalier. Martin connaît depuis toujours l’histoire de ce cavalier à la capuche noire qui enlève les enfants. Toujours une fille et un garçon. Qui plus jamais ne reparaissent. Et voilà qu’ils le rencontrent et qu’ils le pourchasse.

Vision horrible de ce temps là…

 Ces hommes savent pourtant bien que le temps leur est compté, que bientôt ils seront impotents et n’auront plus qu’à se pendre à une poutre du toit pour ne pas peser sur leur famille. Et que, s’ils ratent leur coup, ou si le courage leur fait défaut, ils macéreront jusqu’au bout dans leurs excréments. Attachés au lit, car il faut bien aller aux champs et au moulin, tout comme ils l’étaient, déjà, enfants quand leurs parents devaient aller aux champs et au moulin.


Édition Sabine Weispieser . Traduit de l’allemand (Autriche) par Élisabeth Landes

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Voici ma première participation au mois « des feuilles allemandes » organisé par Eva 

Voici le troisième livre sur Luocine de cet écrivain autrichien, mon préféré reste « le tabac Triesnek« , j’ai un peu moins aimé « une vie entière » et celui-ci ne m’a pas, non plus, passionnée. L’auteur nous fait revivre les derniers jours de la vie de Gustave Mahler, il focalise notre attention sur la dernière traversée de New York en Europe du créateur de tant de chefs d’œuvres. Bercé par les flots et le roulis du bateau , le compositeur laissent arriver ses souvenirs et son besoin de tout mettre en musique. Nous vivons donc son amour pour Alma qui devra toute sa vie soutenir son époux à la santé chancelante. Sa rencontre avec Freud quand Alma a failli partir, ses luttes avec les orchestres qui ne voulaient pas donner le meilleur d’eux mêmes. L’antisémitisme autrichien ordinaire, Mahler était juif mais il a dû se faire baptiser catholique pour diriger l’orchestre de Vienne, Cossima Wagner lui interdira (parce que, pour elle, il est toujours juif même baptisé !) de venir à Bayreuth. Nous revivons la terrible tragédie de la mort de sa fille aînée de six ans. L’écrivain décrit bien toutes les souffrances physiques de cet homme qui a été malade presque toute sa vie. Mais on ne ressent guère de sympathie pour ce musicien de la part de l’auteur sans doute était-il peu sympathique.
Tout cela n’importe quelle biographie rapide vous l’apprendra, l’intérêt du livre s’en trouve donc amoindri mais ce que veut nous faire sentir l’écrivain c’est la façon dont un compositeur est totalement habité par son oeuvre. J’avoue être un peu passé à côté . J’ai trouvé ce roman très court(116 pages) assez plat.

 

Citations

Conduite magique.

De minuscules feuilles brunes flottaient dans la théière, alors qu’il avait commandé du russe blanc. Il tenait d’on ne savait qui l’idée que le thé blanc apaisait l’âme. C’était une ânerie, bien entendu, mais il était parfois utile de croire à ce genre de choses.

La mer.

 « La mer n’est jamais ton amie, lui avait dit un vieux marin, elle ne veut ni bien ni mal, elle ne veut strictement rien. Elle n’a pas l’ombre d’une intention, quand elle te tue d’une seule lame… « 

Le chef d’orchestre .

 Le pupitre l’avait vu mûrir, il avait été le compagnon de son évolution de chef d’orchestre.
Jeune, il n’était que mouvement, les caricatures de presse le représentaient alors comme une espèce de singe juif brouillon ou de diable à ressort. Les gazetiers l’affublaient de la danse de Saint-Guy, ils le comparait à un de ces aliénés habités par un dibbouk qui esquissent des mouvements grotesque, apparemment incohérents. Mais, en prenant de l’âge, il avait gagné en sérénité et sa gestique en sobriété, il dirigeait pratiquement sans bouger, à l’exception de sa main droite, qui traçait dans l’air des lignes ténues, et de ses yeux, dont on disait qu’ils étaient comme charbons ardent pendant les concerts et semblaient lancer des éclairs aux applaudissements, quand les lumières de la rampe s’y réfléchissaient.

La musique.

La musique avait toujours laissé loin derrière elle tout être humain et n’avait enfin compte pas plus besoin de musiciens que d’auditeurs. La musique n’avait besoin de rien ni de personne, elle était là tout simplement 

 

 

Édition Grasset

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Elle ne lui avait pas dit que le salaire ne vaut rien qu’il représente pour un mois et cent-quatre-vingt-douze heures de travail le prix auquel on vend un seul carton de fleurs

Un livre choc écrit de façon volontairement détachée, ce qui pour moi enlève beaucoup de poids à son propos. Nous suivons trois personnages autour de la culture de l’importation puis de la vente des fleurs coupées.
Au début était Nana une jeune éthiopienne qui va laisser sa santé dans une serre où on cultive des roses, puis il y a Jan un hollandais de mère française qui achète sur un ordinateur des milliers de fleurs le moins cher possible dans le plus énorme marché aux fleurs du monde et enfin Ali, un réfugié du Bangladesh qui en vend à la sauvette aux terrasses des cafés parisiens.

La description du travail dans les serres est plus proche du bagne que du travail. Et surtout la santé des employés est gravement menacée mais Nana continuera ce travail comme une fatalité qui s’abat sur elle, Ali a voulu gagner un peu d’argent pour aider sa femme qui s’abime elle aussi la santé dans une usine de T-Shirt au Bangladesh, mais la vente des roses lui rapporte à peine de quoi survivre. Ali connaît le sort des exilés sans défense et sans papier lui permettant de travailler correctement en France .

Et puis il y a Jan cet homme que rien n’intéresse et qui ne s’intéresse à rien. Il n’aura qu’une réaction un peu vivante : celle d’acheter trop cher un lot de rose « Sorbet avalanche » le jour où il apprend que son ex-petite amie , dont il n’a jamais été tellement amoureux est enceinte et pas de lui (heureusement pour elle ! -remarque toute personnelle).

Nana et Ali sont représentatifs de deux destinées misérables et sans solution pour s’en sortir tout cela permettre à quelqu’un comme Jan de vivre sans bonheur apparent mais sans autre soucis que de mal vivre : quelle tristesse !

Et au dessus de tout cela des compagnies hollandaises qui se font beaucoup, mais alors vraiment beaucoup d’argent sur la misère du monde.

 

Citations

Début du roman.

 Nana s’en souvient. Quand elle était enfant, elle ne pouvait pas passer une journée sans aller le voir. Depuis combien de temps, aujourd’hui, ne l’a-t-elle pas aperçu ? Six mois, peut-être huit. Le pire, se dit-elle, c’est qu’avant ce matin, le lac vert ne lui a pas manqué.

Jan et les produits du supermarché.

Jan aime bien les poissons panés aussi, mais pas n’importe lesquels, il faut que la chapelure ne s’effrite pas, qu’elle reste bien attachée à la chair du colin, qu’on puisse couper le bâtonnet sans que l’ensemble se ratatine. Jan a souvent été déçu par les grandes marques de poissons panés. Il opte aujourd’hui pour la boîte de dix-huit, distributeur Coop. Dix-huit, c’est assez mal foutu parce qu’il les mange par quatre, alors il en reste toujours deux au fond de la boîte et on ne sait pas quoi en faire.

Ali. et ses colocataires.

 Oui, Ali, ça a le faisait bien poiler qu’il ait embarqué un objet aussi idiot dans sa fuite. Juste comme ça, pour faire un peu chier. Pour qu’on se souvienne de lui aussi, sûrement, toutes les fois où on ferait chauffer le thé. S’il n’avait pas déjà attendu aussi longtemps pour son titre de séjour, Ali serait parti à Rome lui aussi, en piquant le Butagaz. Mais il a déjà galéré deux ans. Il a dû monter sur les listes de l’administration depuis le temps. Ce serait stupide de filer maintenant est de tout reprendre à zéro.

La vraie misère de l’exploitation au Bangladesh.

 Avec l’usine, Dina s’était éteinte. Pas totalement, elle retrouvait un semblant d’âme quand elle rentrait le soir, mais un peu, du moins suffisamment pour que ses pensées soient plus lentes et plus poreuses.
 Et puis il y avait la trouille, de se faire virer, de se faire engueuler, qu’on déduise sur son salaire. La peur aussi rend les idées poreuses. C’est une tétanie sournoise. Elle se manifeste, elle est forte, on la comprend et on l’observe. Il y a tous ces moments où on croit qu’elle est terrée quand en réalité elle vous caresse la nuque.
Ali, alors, a tant vu Dina avoir la trouille et souffrir en cadence qu’il a décidé de partir pour espérer pouvoir un jour l’arracher à l’usine

Le marché des fleurs d’Amsterdam.

 Voilà un immense hangar, le deuxième plus grand bâtiment au monde après le Pentagone. Il y a même à système de voies ferrées qui transporte les fleurs. On dirait un mini-métro qui charrie les bacs, toutes ces tiges et ces pétales prêts à être expédiés. La première fois qu’il est arrivé ici ,Jan a été impressionné. Un million de mètres carrés, 12000 travailleurs, une fleur sur trois vendue en Europe qui transite par là, une course perpétuelle, tout livrer, si vite, si loin.

Conditions de travail en Éthiopie dans les serres.

Elle ne lui avait pas dit que sous les serres, il fait une chaleur insoutenable, que les cueilleuses s’écroulent à cause des températures et de l’air moite. Elle ne lui avait pas dit que les produits qui font pousser les plantes détraquent les corps, pourrissent en quelques mois la vue et les organes, que les filles font toutes des fausses couches ou enfante des bébés tarés. Elle ne lui avait pas dit que le salaire ne vaut rien qu’il représente pour un mois et cent-quatre-vingt-douze heures de travail le prix auquel on vend un seul carton de fleurs, que seuls les étrangers en jouissent, qu’ils condamnent la terre qu’ils l’assèchent et que les autres cultures dépérissent. Elle ne lui avait pas dit que les gardes vous traitent comme des bêtes, avec toute la violence des hommes armés. Que les femmes s’écroulent, que les corps essaient de tenir pour survivre.