Édition folio mai 2023, 355 pages, paru en 1947

 

Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie

Les livres se suivent sur Luocine et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont de valeurs inégales !

L’épidémie du Covid et ma volonté de faire découvrir ce roman à mon petit fils qui est en seconde et n’aura aucun cours de français pendant un trimestre m’a conduit à relire ce roman classique. (Professeure malade non remplacée ! )

Je trouve que ce livre a encore sa place dans la formation intellectuelle des jeunes lycéens. Camus posent des questions qui sont encore d’actualité et la tension romanesque me semble bien menée. Enfin, pour savoir si ce roman plaît encore à la jeunesse actuelle, je laisserai Rémi en juger.

Tout le monde sur la blogosphère a, je suppose, lu ce roman : Camus imagine que la peste s’abat sur la ville d’Oran, et il décrit les réactions des différents personnages qui sont représentatifs d’une population « ordinaire » d’une grande ville. Le chroniqueur de cette Peste, on le saura à la fin c’est le docteur Rieux, impliqué dès le début dans la lutte contre ce qui, au départ, est une épidémie, puis sera appelée « la peste ».au chapitre 4.

Le livre est divisé en cinq parties, un peu comme une pièce de théâtre avec une montée de l’angoisse au fil des statistiques du nombre de morts. Et souvent les chapitres sont consacrés à tel ou tel personnage et à ses réactions face à l’épidémie.

Camus a, lui-même, déclaré que ce roman lui avait été inspiré par la deuxième guerre mondiale qu’il venait de vivre en s’engageant fortement dans la résistance. On peut donc lire ce livre en analysant les réactions de chacun face à un évènement traumatisant qui touche l’ensemble de la population. Et justement nous venons de vivre une épidémie qui nous a valu un confinement de l’ensemble de la population. Et la menace Russe est à nos portes avec la guerre qui touche un pays européen.

De la même façon que les autorités d’Oran mettront beaucoup de temps à voir les signes avant coureurs de la peste, rappelez vous des messages de la haute autorité médicale à propos du Covid  : simple gripette, les masques sont pour les professionnels de santé, et surtout la certitude que si les Chinois sont très atteints c’est qu’ils sont tellement moins en avance que nous pour les soins médicaux, vous vous souvenez de tout cela bien sûr, alors vous ne serez pas étonnés des tergiversations de l’administration d’Oran pour reconnaître le danger de l’épidémie.

Et, puisque Camus fait un parallèle avec la guerre et la montée du nazisme en Europe, qui a vu clairement dans la volonté de Poutine d’annexer l’Ukraine ce qui semble si évident aujourd’hui, la volonté de recréer l’empire soviétique.

Camus reprend dans ce roman des thèmes qui lui sont chers et auxquels les jeunes peuvent être sensibles : avec Tarrou la lutte contre la peine de mort, avec les prêches du prêtre Pandelou qui révoltent tant Rieux (et rappelle la colère de Meursault dans « L’Étranger ») car expliquer la peste comme un juste châtiment des fautes humaines est inacceptable pour le médecin qui voit des hommes bons ou mauvais souffrir de la même façon, la difficulté de communiquer et de s’exprimer sans quiproquo possible à travers le personnage de Grand, les bonheurs simples des hommes lors du bain de mer…

Je n’avais pas remarqué la première fois que j’ai lu ce roman à quel point « L’étranger » et « la peste » reprennent les mêmes thèmes et les mêmes personnages. Le docteur Rieux est un double de Meursault si on lui adjoint Tarrou, Cottard ressemble à Raymond Sintes, le vieil homme qui crache sur les chats est aussi perdu que Salamano à la mort de son chien lorsque les chats ont disparu. et on retrouve aussi le moment heureux du bain de mer.

La grande différence avec l’étranger, c’est que la proximité de la mort unit les hommes dans une lutte qui ressemble fort à celle que Camus a été amené à conduire dans son groupe de résistance. C’est la raison pour laquelle je trouve « La Peste » moins désespéré que le son précédent roman. Il se dégage un véritable humanisme et une confiance dans les capacités des hommes ordinaires (bien loin de l’idée que l’on se fait d’habitude de l’héroïsme) pour lutter contre un danger mortel ce qui fait du bien en périodes difficiles.

Pourquoi est ce que je ne mets pas cinq coquillages à ce grand classique ? Parce que je le trouve trop démonstratif à mon goût d’aujourd’hui , en revanche j’ai encore beaucoup apprécié la tension romanesque provoquée par la montée en puissance de l’épidémie. Et enfin une dernière remarque, Camus décrit une ville algérienne avec des quartiers pauvres mais sans arabes, étrange, non ?

 

Avis de Rémi (élève de seconde)

J’ai apprécie « la Peste » d’Albert Camus, car on voit l’évolution de cette maladie et cela me fait énormément penser à la pandémie du Covid 19. Les réactions des personnages sont, sur certains points, semblables aux réactions des français (officiels ou ordinaires) pendant la pandémie .

 

Extraits

Début.

Les curieux évènements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194. , à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.

 l’opinion publique.

« L’opinion publique, c’est sacré : pas d’affolement, surtout pas d’affolement »

 

La peste, la guerre.

Quand une guerre éclate, les gens disent :  » ça ne durera pas c’est trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer.  » 

Difficulté de convaincre l’administration.

– Sincèrement, dites moi votre pensée, avez vous la certitude qu’il s’agit de la peste ?,
– Vous posez mal le problème. Ce n’est pas une question de vocabulaire, c’est une question de temps.
– Votre pensée, dit le préfet , serait que, même s’il ne s’agit pas de la peste, les mesures prophylactiques indiquées en temps de de peste devraient cependant être appliquées ?
– S’il faut absolument que j’aie une pensée , c’est en effet, celle-ci.

La peine de mort

Vous n’avez jamais vu fusiller un homme ? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d’avance. Le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non ! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné ? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine ? Savez-vous qu’à cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la région du coeur et qu’à eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou où l’on pourrait mettre le poing ? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi je n’ai pas bien dormi depuis ce temps là. Le mauvais goût m’est resté dans la bouche et je n’ai pas cessé d’insister, c’est-à-dire d’y penser.

L’adaptation humaine.

Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance mais ils n’en ressentaient plus la pointe .

Héroïsme .

Eh bien, moi, j’en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l’héroïsme, je sais que c’est facile et j’ai appris que c’était meurtrier. Ce qui m’intéresse, c’est qu’on vive et qu’on meure de ce qu’on aime 

la fin.

Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses et que, peut-être, le jour viendrait où pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.

26 Thoughts on “La Peste – Albert Camus

  1. Eh bien non, tout le monde ne l’a pas lu dans la blogosphère… Je dois avouer que c’est mon cas. En tout cas, ce n’est pas ton billet qui me donne une excuse pour ne pas le lire. Très sympa d’avoir accompagné Rémy dans cette lecture !

    • Je pense qu’à ma génération tout le monde l’a lu . Le Covid l’a remis à l’ordre du jour. Rémi est un bon lecteur mais très synthétique il va souvent à l’essentiel.

  2. Un roman que j’ai lu à l’adolescence et relu plus tard… et qui reste un très grand souvenir de lecture.
    (psst : tu vas effrayer les lecteurs avec tes 3555 pages !)

  3. Un grand roman qui n’est cependant pas dénué de quelques longueurs dans mon souvenir. Je comprends donc tes 4 coquillages.

  4. keisha on 21 juin 2024 at 13:39 said:

    Hé bien non, je ne l’ai lu qu’assez récemment, et j’ai aussi apprécié la série qui est basée dessus mais avec originalité.

  5. Ah merci, pour la précision en fin de billet, je me demandais justement « pourquoi pas 5 étoiles ? » ! Je l’ai lu au lycée, hors programme scolaire, et c’est un de mes romans préférés… cela fait des années que je veux le relire, il faut que je m’y mette ! Je verrai si je relève le même bémol que toi à l’issue de cette relecture..

    • c’est très osé de ma part de ne pas mettre 5 coquillages à un tel grand classique de la littérature mais comme je le dis Camus veut absolument faire passer ses idées sur la condition humaine et j’ai trouvé cela un peu lourd parfois, en tout cas trop démonstratif c’est certain.

  6. J’ai lu L’étranger mais pas La peste. Il faudrait… Bonne idée ce partage de lecture en famille.

    • Rémi est un lecteur très synthétique, c’est très dur de lui trouver des livres qui lui plaisent mais Camus ça va . Colette (programme du bac) pas du tout !

  7. Un roman imparfait ? j’ai presque envie de dire que cela lui donne pour moi une valeur supplémentaire.
    Je suis un peu inconditionnelle de Camus malgré ses faiblesses, ses imperfections, je dirais même à cause de cela car sinon je ne me sentirais pas proche de lui.

    J’ai souri en voyant le titre de ta chronique car depuis une semaine je suis plongée dans camus, essai, carnets, bio et romans, une semaine ne suffit pas à tout épuiser mais cela permet de prendre de la distance sur ma colère.

    Qu’un roman vieillisse cela me semble normal, c’est aussi ce qui fait que pour les romans étrangers on dépoussière les traductions.
    Ce n’est pas grave car le fond reste et c’est bien à celui là qu’il faut s’accrocher quand la tempête est là.

    • je n’ai pas dit que ce roman avait vieilli , j’ai simplement dit que l’on sentait trop la volonté de Camus de nous transmettre ses idées .
      J’ai lu récemment sans les chroniquer les reportages de Camus en Kabylie , c’est absolument saisissant et on comprend le courage et l’humanisme de Camus d’écrire cela dans un pays sous le joug des puissants propriétaires français

      • Désolée c’est moi qui suis passée du coq à l’âne, je comprends l’aspect démonstratif qui moi ne m’a pas gênée
        j’ai lu les chroniques en particulier sur la Kabylie qui en effet sont saisissantes
        je lis en parallèle la bio philosophie de Onfray sur Camus, parfois agaçante à trop vouloir prouver mais souvent intéressante

  8. Je comprends tes quatre coquillages ! Déjà, quand je l’avais lu dans ma jeunesse, je me souviens que j’avais envie de dire « OK, j’ai compris !  » Il me reste surtout les sensations du bain de mer … Et je te conseille ses nouvelles de L’exil et le royaume, un éblouissement ( je vais peut-être les relire, tiens …)

    • Je relis souvent « exil et royaume » et je te conseille à mon tour ses articles sur la Kabylie . Je n’ai pas relu depuis longtemps « la chute » je vais peut-être le faire.

  9. J’ai lu ce roman « pour mon plaisir », donc pas dans le cursus scolaire, quand j’avais 18 ou 20 ans je pense… Et je ne suis pas allée au bout, je pense qu’il me restait une cinquantaine de page à lire lors de mon abandon… Maintenant que je suis légèrement plus mature, et de plus avec la crise du Covid que nous avons vécu, je devrais le relire.

  10. Je l’avais lu pendant le premier confinement. C’est vrai qu’il fonctionne très bien avec le covid 19.

  11. Merci d’avoir ajouté l’avis de ton petit-fils. Bon courage à lui pour les oraux.

  12. Je l’ai passé à l’oral de français … du coup il faudrait que je le relise !

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