Édition Seuil

 

Dicton syrien

 « En chaque personne que tu connais, il y a quelqu’un que tu ne connais pas. »

 

Je vais finir par croire que les apiculteurs sont des humains supérieurs après « les abeilles grises » et « les abeilles d’hiver » voici l’histoire de deux apiculteurs pris dans la tourmente de la guerre en Syrie. Le portrait de ces apiculteurs ont des points communs, ils résistent tous à l’ambiance totalitaire ou à la guerre. est-ce le fait qu’ils sont amenés à mieux comprendre le comportement des abeilles qui les conduit à relativiser les engagements politiques extrémistes ?

J’avais déjà bien aimé de la même auteure « Les oiseaux chanteurs » sur un drame se passant à Chypre le pays dont elle est originaire.

En tout cas le portrait de Nuri et de son cousin Mustapha, les deux apiculteurs d’Alep est de la même trempe que celui de Sergueï – héros involontaire ukrainien ou celui d’Egidius Arimond – cet homme qui cachaient des juifs dans ses ruches. Les deux cousins, non seulement récoltent le miel de leurs abeilles mais ils ont également crée une petite entreprise autour de l’exploitation des ruches : miel, cire et autres produits dérivés, leur affaire marche très bien. La guerre va hélas tout détruire et comme les deux cousins tardent à partir – pour ne pas abandonner leurs abeilles- leurs deux fils vont être tués. La douleur est trop intense, en particulier pour Afra, la femme de Nuri qui en état de sidération et ne veut plus quitter la Syrie alors que c’était encore assez facile de le faire. Elle finira par accepter et avec Nuri les voilà sur le chemin de cet exil si douloureux pour les syriens qui ne sont pas partis assez vite. Ils connaîtront la traversée vers la Grèce dans un canot pneumatique, les camps en Grèce. C’est d’ailleurs là que tous les deux rencontreront l’horreur absolue. On sent que l’écrivaine y a elle même séjournée longuement , car elle sait nous rendre palpable l’insoutenable. Puis finalement ils arrivent en Grande Bretagne où les attend le cousin Mustapha.
Ne vous inquiétez pas je ne divulgâche rien du récit , car Chrsty Leftery commence son récit en Grand Bretagne, dans la pension où Afra et Nuri attendent de recevoir un statut de réfugiés politiques. Cette écrivaine mêle avec talent les trois temps forts du récit : Alep et la guerre, les destructions par les bombardements russes, les meurtres gratuits de l’état islamique, et le parcours des exilés via la Grèce. Afra est devenue aveugle de trop de souffrance et Nuri a des crises de panique totale pendant lesquels il revit les horreurs de son passé récent.
Je ne dis rien d’un petit Mohammed de l’âge de leur fils (7 ans ) qui va les accompagner pendant leur fuite car je ne veux pas enlever l’effet de surprise que vous aimez tant.

Un livre d’une beauté totale grâce à une écriture très en finesse. On sent bien la retenue de Christy Lefteri face aux horreurs qu’elle a rencontrées en Grèce.

 

Citations

J’ai tout de suite aimé le style de cette écrivaine .

 Il y avait notamment un tableau du Qouiiq que j’aimerais revoir. Elle en avait fait un pauvre caniveau traversant le parc de la ville. Afra avait don. Elle révélait la vérité des paysages. Cette toile et sa rigole dérisoire représentent à mes yeux notre combat pour rester en vie. À une trentaine de kilomètres au sud d’Alep. Le Qoueiq renonce à lutter contre l’impitoyable steppe syrienne et s’évapore dans les marais.

Destruction d’Alep.

Je lui avais pourtant dit que le souk était vide, une partie des allées bombardée et incendiée. Ces ruelle qui grouillaient naguère de marchands et de touristes étaient devenues le territoire de l’armée, des chiens et des rats. Tous les étals étaient abandonnés, hormis un, où un vieil homme vendait du café aux soldats. La citadelle convertie en base militaire était entourée de chars.

Procédé de mise en forme , je n’ai pas trouvé le pourquoi de ce procédé sauf peut être que tout s’enchaîne ?

Chaque chapitre se termine avec un mot en moins
Qui est à la fois le nom du prochain chapitre
Exemple :
Mes yeux restent ouvert dans le noir, car j’ai peur de
Le Chapitre suivant s’appelle :
la nuit
et débute ainsi :
tombait ; nous étions à Bab al-Faradj, dans la vieille ville.

La mer, l’attente .

 Le bateau parti la veille avait chaviré et la plupart des gens à bord avaient disparu. Seules quatre personne avaient été repêchées et on avait retrouvé huit cadavres. Voilà le genre de conversations que j’entendais autour de moi.

Genre de pensées qui torturent les survivants.

 Souvent, je regrette d’être resté à Alep, de ne pas être parti avec ma femme et ma fille, car, alors, mon fils serait encore parmi nous. Cette pensée me donne envie de mourir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, changer les décisions que nous avons prises. Je n’ai pas tué mon fils. Je m’efforce de m ‘en souvenir pour ne pas errer à jamais dans les ténèbres.

Les camps de réfugiés.

 C’était sale et, même à l’air libre, l’odeur était pestilentielle : un mélange de pourriture et d’urine. Mais notre guide poursuivit son chemin sans s’arrêter. Plus on s’enfonçait dans le parc, plus les sentiers étaient défoncés et envahis de mauvaises herbes cassantes. Quelques personnes promenaient leur chien, des retraités bavardaient sur des bancs. Plus loin des drogués préparaient leur dose. Enfin, nous débouchâmes sur un autre campement. Neil nous trouva un espace sur des couvertures entre deux palmiers. En face se dressait la statue d’un ancien guerrier. Un homme émacié était assis sur le piédestal. Ses yeux me rappelèrent ceux des jeunes dans la cour de l’école la veille.
 Cet endroit avait quelque chose de malsain, mais je ne m’en aperçu que bien plus tard, après le départ de Neil lorsque la nuit se referma sur nous . Les hommes se regroupaient en meutes, comme des loups. Les Bulgares, les Grecs, les Albanais. Ils regardaient et attendaient quelque chose : ça se voyait dans leurs yeux. Des yeux de prédateurs intelligents.
 Il faisait froid. Afra frissonnant. Elle n’avait quasiment rien dit depuis notre arrivée. Elle avait peur. Je l’enveloppais de couvertures. Nous n’avions pas de tente, seulement un grand parapluie qui nous protégeait du vent du nord. Quelqu’un avait allumé un feu à côté. Il nous réchauffait un peu mais pas assez pour nous procurer du confort


Éditions de l’Observatoire 

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Un des avantages du club de lecture de Dinard (et ce n’est le seul) c’est de chercher des titres dans les romans français, enfin surtout pour les nouveautés et cela me change un peu des auteurs étrangers.
Ce livre est un petit bijou tout en délicatesse et pourtant … Pourtant il traite d’un des sujets qui me révolte le plus, et je ne dois pas être la seule ! Les souffrances infligées aux enfants dans des institutions censées les protéger. Dans le genre le Canada doit être en première ligne avec le sort réservé aux enfants indiens arrachés à leurs familles pour les ré »éduquer » dans dans des maisons qui ont été pour nombre d’entre eux l’antichambre du cimetière. L’Irlande n’est pas mal non plus et voilà que nous sommes dans un endroit que j’adore : Jersey et les îles anglo-normandes. D’ailleurs on y parle de Serk et des Écrehous qui sont parmi les plus jolies îles que j’ai vues. Mais loin de ce tourisme ou de l’évasion fiscal, Jersey a eu son orphelinat à la tête duquel un directeur pervers à régner. Le malheur pour ces enfants c’est que l’île est loin de tout et qu’il a fallu bien du temps pour que les langues se délient. D’ailleurs les habitants de l’île ne veulent toujours pas parler de cette affaire bien réelle hélas ! La romancière a imaginé des personnages qui semblent tellement vrais, si eux n’ont pas existé leurs sosies ont bien souffert de tous les maux qu’elle nous décrit. Lily est une petite fille de 8 ans, et elle arrive à survivre dans cet enfer car elle aime les oiseaux et la nature mais le petit qu’elle protège (je peux dire sans divulgâcher que c’est son petit frère) lui n’a que quatre ans et ne peut pas se protéger. La fin est tragique, je vous laisse deviner. La narratrice du roman est une femme de 60 ans qui veut faire toute la lumière sur ce qui s’est passé car cela la concerne de près. Il y a aussi un personnage qui lui a existé : il vivait un peu en marge de la société et a été accusé de crimes à connotation sexuelle, il était innocent et on découvrira plus tard que le vrai coupable était employé à l’orphelinat c’est lui en particulier qui faisait le père Noël … Cet homme dégouté par ses concitoyens se réfugiera au Écrehous et se déclarera roi de ces îles. Vous pourrez vous renseigner sur lui dans cet article ce fait divers n’est vraiment pas à la gloire des habitants de l’île, c’est le moins qu’on puisse dire ! !
La si belle île de Jersey s’est refermée sur son silence et la narratrice n’apprendra pas grand chose d’autre que ce que l’enquête officielle n’avait découvert.
Comme je le disais au début un livre d’une délicatesse étonnante pour un sujet sordide . Bravo Maud Simonnot !

 

Citations

Les iliens.

 Les mimosas étaient en fleur et leur jaune d’or apportait une couleur de plus à une incroyable palette des végétaux qui se détachaient sur le bleu céruléen de l’eau. En temps normal j’aurais été séduite par la beauté de ce spectacle marin, mais depuis quelques jours je percevais la mer différemment : c’est elle qui avait permis à ces gens de vivre en paix avec leurs secrets et qui leur conférait cette arrogance. Coupés du reste du monde par l’immensité d’eau ils étaient entre eux.

La beauté mais aussi la prison .

 Après avoir longé le Trou du Diable, je m’approchais des bruyères bordant la falaise pour contempler la silhouette de la petite ils de Serk, aux contours indigo rendu flou par la brume comme ceux d’un royaumes disparu. J’avais toujours vu dans les îles de merveilleuses terres de liberté, pour Lily ça avait signifié l’inverse : il était doublement impossible de s’échapper de l’orphelinat puis de Jersey. Son purgatoire était une île dans l’île, une prison dans la prison…

C’est très triste.

 L’environnement qui avait permis autant de crimes, cette culture locale du silence, était presque aussi terrible que les personnes mêmes qui les avaient perpétrés. Parce que ces enfants étaient orphelins, pauvres, inoffensifs, il avait été facile de détourner le regard. Et même si, après une très longue procédure, la commission d’enquête avait fini par conclure en 2017 que « sans l’ombre d’un doute un nombre important d’enfants pris en charge par les autorités de l’île avait été victimes de violences physiques et sexuelles et de négligence émotionnelle ». Pour ces enfants il n’y aurait jamais ni justice ni consolation.

 


Édition Gallimard NRF

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Se souvenir de cette phrase

 La seule arme qu’a un pauvre pour conserver sa dignité est d’instiller la peur.

Quel livre ! Comment peut-on ensuite avoir la moindre confiance dans la conduite des affaires de la Russie en Poutine, appelé le Tzar dans tout ce roman ? Et comment ne peut on faire autrement que de chercher à se défendre de lui ? Ce roman prend pour sujet des confidences que Vadim Baranov, personnage réel qui a été l’éminence grise de Poutine pendant vingt ans, auraient faites à l’écrivain qui connaît mieux que personne les dessous du pouvoir du Kremlin dirigé par Poutine de main de fer.

Nous découvrons que tout ce que l’Europe connaît comme conflits les plus horribles sont dues au désir de Poutine de redonner la fierté aux Russes que ce soit la guerre en Tchétchénie ou la guerre en Ukraine. Tout est venu de la fin du communisme période pendant laquelle la Russie a connu une période où tout était permis mais où, surtout, les dirigeants internationaux, en particulier les américains, méprisaient de façon ouverte les dirigeants russes. Il raconte comment le fou rire de Clinton devant les propos incohérents d’Elstine lors d’une conférence de presse à New York en 1995 a humilié toute une nation. Toute la conduite de Poutine est de faire peur aux occidentaux et peu importe les prix humains que cette folie de grandeur coûtera.
Ce roman, ou essai car on se demande ce qui est romancé dans cette histoire, est absolument passionnant. Le style de cet auteur est agréable à lire, on sent qu’il connaît très bien son sujet. On retrouve tous les évènements dont a plus ou moins entendu parler, la montée des oligarques et leur chute voire leur suicides « assistés » . La Russie s’est trouvé le maître qui lui convient, il flatte leur sentiment de supériorité et en les obligeant à se soumettre ils retrouvent la conduite de leurs grands-parents de ne plus rien critiquer et d’absorber la propagande servie par des médias au main de leur Tzar préféré . C’est d’une tristesse incroyable

 

 

Citations

J’ai envie de lire cet auteur que je ne connaissais pas.

Depuis que je l’avais découvert, Zamiatine était devenu mon obsession. Il me semblait que son œuvre concentrait toutes les questions de l’époque qui était la nôtre. « Nous » ne décrivait pas que l’Union soviétique, il racontait surtout le monde lisse, sans aspérités, des algorithmes, la matrice globale en construction et, face à celle-ci l’irrémédiable insuffisance de nos cerveaux primitifs. Zamiatine était un oracle, il ne s’adressait pas seulement à Staline : il épinglait tous les dictateurs à venir, les oligarques de la Silicone Valley comme les mandarins du parti unique chinois.

Les élites russes.

 Voyez-vous, l’élite soviétique au fond ressemblait beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Un peu moins élégante, un peu plus instruite, mais avec le même mépris aristocratique pour l’argent, la même distance sidérale du peuple, la même propension à l’arrogance et à la violence. On échappe pas à son propre destin et celui des Russes est d’être gouvernés par les descendants d’Ivan le terrible. On peut inventer tout ce qu’on voudra, la révolution prolétaire, le libéralisme effréné, le résultat est toujours le même : au sommet il y a les « opritchniki » des chiens de garde du tsar.

Moscou 1990.

 Moscou au milieu des années 90, était le bon endroit. Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous est-il arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu’aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d’une campagne de communication de plusieurs millions de roubles.

Comprendre Moscou .

Tout contribuait à alimenter la bulle radioactive de Moscou. Les aspirations accumulées de tout un pays, immergé depuis des décennies dans la sénescente torpeur communiste, convergeaient ici. Et au centre, il n’y avait pas la culture, comme le croyait les intellectuels convaincus d’hériter du sceptre et qui n’avaient rien hérité du tout. Au centre, il y avait la télévision. Le cœur névralgique du nouveau monde qui, avec son poids magique, courbait le temps et projetait partout le reflet phosphorescent du désir. 
Convertir mon expérience théâtrale en carrière de producteur de télévision fut comme passer du carrosse à vapeur à la Lamborghini.

Humour Soviétique.

 « Sais-tu ce que disaient les Moscovites de la Loubianka à l’époque de L’URSS ? Que c’était l’immeuble le plus haut de la ville car de ses caves on voyait la Sibérie… »

 Staline dans les souvenirs des Russes.

 Vous, les intellectuels, vous êtes convaincus que c’est parce que les gens ont oublié. D’après-vous, ils ne se souviennent pas des purges, des massacres. C’est pourquoi vous continuez à publier article sur article, livre sur livre à propos de 1937, des goulags, des victimes du stalinisme. Vous pensez que Staline est populaire malgré les massacres. Eh bien, vous vous trompez, il est populaire à cause des massacres. Parce que lui au moins savait comment traiter les voleurs et les traîtres. »
 Le tzar fit une pause. 
« Tu sais ce que fait Staline quand les trains soviétiques commencent à avoir une série d’accidents ?
-Non.
– Il prend Von Meck, le directeur des chemins de fer, et le fait fusiller pour sabotage. Cela ne résout pas le problème des chemins de fer, en fait cela peut même l’aggraver. Mais il donne un exutoire à la rage. La même chose se produit chaque fois que le système n’est pas à la hauteur. Quand la viande vient à manquer Staline fait arrêter le commissaire du peuple pour l’agriculture. Tchernov, l’envoie au tribunal et celui-ci, comme par magie confesse que c’est lui qui a fait abattre des milliers de vaches et de cochons pour déstabiliser le régime et fomenter une révolte.

Remarque que je trouve juste.

 J’ai pu constater à plusieurs reprises que les rebelles les plus féroces sont parmi les sujets les plus sensibles à la pompe du pouvoir. Et plus ils grognent quand ils sont devant la porte, plus ils glapissent de joie une fois passé le seuil. Contrairement aux notables, qui cachent parfois des pulsions anarchique sous l’habitude des dorures, les rebelles sont immanquablement éblouis comme les animaux sauvages face au phare des routiers.

 

 


Édition Stock

J’ai trouvé cette tentation de lecture chez Athalie , je lui avais dit que je lirai ce livre car j’ai des amis libanais, leur histoire me rend si triste et pourtant ils ne se plaignent jamais. Je ne regrette absolument pas cette lecture, je les retrouve dans tellement de détails et surtout dans l’humour dont ils font preuve en beaucoup d’occasions. Mais là où le récit est le plus proche d’eux c’est dans la façon dont ils reçoivent tous les gens qu’ils aiment avec un repas digne des plus grandes tables avec des plats préparés pour 10 même si nous sommes 4 autour de la table.

Je n’ai mis que quatre coquillages alors que j’ai beaucoup aimé ce livre car je le trouve un peu désordre, l’auteur part dans tous les sens, j’ai bien aimé le suivre même si parfois, je me suis un peu perdue. Visiblement les lycéens de 2002 ont été plus enthousiastes que moi, bravo à eux !

Sabyl Ghoussoub veut comprendre la vie de ses parents et en même temps comprendre les conflits qui ont bouleversés le Liban et cela depuis si longtemps, c’est peut-être pour ça que son récit est compliqué car franchement comprendre pourquoi des chrétiens se sont assassinés entre eux, sont allés tuer des palestiniens pour ensuite se faire assassiner par le Hezbollah, c’est incompréhensible. À la fin du livre, l’auteur fait la liste des gens connus assassinés et c’est une liste qui semble sans fin.

En partant à la recherche des membres de sa famille, l’auteur est d’une honnêteté implacable, il nous parles de ses cousins qui ont été des assassins et ce doux pays qu’il a tant aimé en particulier le village de sa mère qui se teinte alors d’une cruauté sans nom.

Ce n’est pas les moment que je préfère même s’ils sont indispensables à la compréhension du Liban, ce que j’ai adoré c’est le portait de ses parents, son père qui a besoin d’aller boire son café tous les jours en faisant son tiercé et qui a fait tant de métiers car il ne pouvait plus vivre de sa plume ni devenir le poète qu’il aurait aimé être. Sa mère qui passe sa vie au téléphone ou sur Whatsapp et qui veut absolument que son fils réponde au téléphone à toute la famille quand il vient la voir. J’adore aussi quand il raconte son agacement vis à vis des gens qui parlent du Liban, soit des Libanais qui n’y vivent plus depuis très longtemps soit des Français qui y ont passés quelques jours de vacances.

L’auteur explique très bien tous les problèmes auxquels sont confrontés le Liban, pays que l’auteur adore autant qu’il en déteste certains aspects . On peut dire qu’aujourd’hui ce pays qui est dirigé par une mafia criminelle aux mains pleines de sang . En revanche, il exprime bien toute sa tendresse pour ses parents qui habitent donc Beyrouth sur Seine, comme toute sa famille, sauf un frère et une soeur qui essaient de vivre au Liban. Si ce récit n’est pas totalement autobiographique, il suit de très près la destinée familiale de l’auteur. Un superbe hommage à des gens courageux et qui ont gardé leur plaisir de vivre et leur humour quelles que soient les difficultés auxquelles ils ont dû faire face.

 

Citations

Portrait de sa mère (humour).

 Je me lève pour accrocher le micro à la chemise de nuit de ma mère. J’essaie de l’attraper entre deux activités. Ma mère est petite, très petite et, comme souvent avec les gens de petite taille, elle est hyper active. Elle me rappelle Nicolas Sarkozy. Là, elle cherche son iPhone qui résonne dans tout l’appartement  » Je t’aime ô mon Liban. Ô ma patrie, je t’aime. Par le nord,. par le sud vers les plaines je t’aime. » Sa sonnerie n’est rien d’autre que « Bhebbak ya Lebnan, je t’aime ô mon Liban » de la diva libanaise Fairouz, Longue plainte nostalgique qui nous agace au plus haut point mon père et moi.

Une mère inquiète de savoir son fils au Liban.

 Mes parents sont à Paris, inquiets. Mon père ne veut pas m’appeler pour partager avec moi son inquiétude mais ma mère le fait très bien pour deux.  » T’es où ? » écrit-elle toutes les heures comme si dans sa tête elle détenait la cartographie des explosions à venir. Comme si me savoir dans cette rue ou une autre la rassurait.

Humour libanais.

 Une idée saugrenue m’est venu en tête : demander à mes parents le top 3 des évènements qui les avaient le plus affecté pendant la guerre. Bien après, je me suis rendu compte qu’il fallait vraiment ne pas l’avoir vécue pour poser une question aussi sotte. 
Le top 3 de ma mère :
– les massacres de Sabra et Chatila.
– Le massacre de Damour.
– Le blocus de Beyrouth.
 Le top trois de mon père :
-Ma naissance.
– La naissance de Yala.
– Son mariage avec ma mère qui, selon lui, a eu les mêmes effets néfastes sur le Liban que les accords du Caire.

Jugement de Frida Khalo sur le milieu de l’art contemporain à Paris.

Tu n’as pas idée comme ces gens sont des putes. Ils me font vomir. Ils sont si foutrement intellectuels et si pourris que je ne les supporte plus. C’est vraiment trop pour mon caractère. J’aimerais mieux rester assise par terre à vendre des tortillas sur le marché de Toluca qu’avoir affaire à ces salopes artistiques de Paris.

J’adore cet humour.

 Tandis que mes parents attendent pour obtenir leurs papiers, Antenne 2 réalisait un reportage.
 -Madame, monsieur est-ce possible de vous poser une question ? 
– Oui, bien sûr. 
– Est-ce que vous vous sentez français ? 
-Vous nous donnez quand même les papiers si je vous réponds ? dit mon père. 
Le journaliste rit. 
-Oui, bien sûr monsieur. où vous floutera ne vous inquiétez pas. 
– Vous savez comment je m’appelle ? Kaïssar Ghoussoub ! Comment voulez-vous que je me sens français ? Même libanais je ne me suis jamais senti. Je suis né au Ghana 
– Au Ghana ? vous ? 
-Oui ! Et même si je n’ai presque pas vécu, mon père m’a transmis le passeport anglais. Je suis anglais voyez-vous ! Comme beaucoup de libanais, mon père est parti en Afrique pour s’enrichir et je dois vous avouer que c’est le seul à avoir raté son coup ! Complètement raté. Mais pour en revenir à votre sujet, peut-être au cimetière du Père-Lachaise je me sentirai enfin chez moi


Édition Feryane (gros caractères) traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne .

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard 

Ce roman a eu un tel succès que je n’ai pu le trouver qu’en gros caractère dans une petite bibliothèque assez loin de chez moi. Ce n’est ni agréable ni gênant de lire ainsi. (Je me demande si cela aide vraiment les gens qui ne voient pas très bien). J’avais déjà lu « le pingouin » du même auteur, je me souviens que l’aspect déjanté du roman ne m’avait qu’à moitié plu.

Mes cinq coquillages disent que pour ce roman je n’ai aucune réserve. Et ceci pour plusieurs raisons :

  • Que savions nous vraiment de l’Ukraine avant que les Russes ne décident d’envahir ce pays ?
  • En 2014, certaines provinces sont tombées sous la coupe de « pro » russes et la Crimée a été rattachée à la Russie, mais qu’en était-il des populations ? Se sentaient-elles russes ou ukrainiennes ?
  • Comment vivent les citoyens ordinaires dans des villages coupés du monde sans électricité la plupart du temps ?
  • Que peuvent apporter les abeilles aux hommes ?

À travers un personnage étonnant Sergueï Sergueïtch, apiculteur, qui est resté vivre dans son village sur la zone de front, Starogradivka, j’ai mieux compris que par les multiples reportages ce qui ce passait dans cette région de l’Ukraine. Son village ne compte plus que deux habitants : lui et son pire ennemi Pachka . Sergueï n’est pas un héros ni un personnage très sympathique, il va le devenir au cours de ce roman. Sa femme l’a quitté et on devine parce qu’elle n’en pouvait plus de vivre avec un homme si casanier qui ne supportait pas que l’on puisse appeler une petite fille Angélica (trop original pour le village !). La solitude lui pèse, mais pas tant que ça, il va devoir se rapprocher de son ennemi d’école primaire et une forme d’entente va se créer entre eux. Tous les deux vivent au grès des bombardements qui passent au dessus de leur tête, ils sont habitués ! ! De temps en temps, Sergueï va dans un village un peu plus loin et prend du ravitaillement. Il va essayer aussi d’enterrer un soldat tué sur cette ligne de front, il ne pourra que le recouvrir de glace. C’est un véritable acte de bravoure car il sait que les deux camps observent cette zone où personne ne doit passer.

L’été arrive et avec l’été, il lui faut trouver un endroit propice pour ses abeilles. Il trouve d’abord un lieu parfait dans la campagne ukrainienne , mais sans s’en rendre compte, il va attiser la jalousie des hommes du villages car il plait beaucoup à l’épicière du village. La guerre le rattrape, un des villageois, revenu complètement traumatisé de la guerre, a des accès de violence incontrôlés et vandalise la voiture de Sergueï à coups de hachette, il décide donc de partir en Crimée.

Là encore le quotidien de la guerre va le rattraper. Il doit passer différentes « frontières » et ça prend beaucoup de temps et d’interrogatoires très pénibles. En Crimée il ne connaît qu’un homme apiculteur, c’est un Tatar et ses ennuis vont s’aggraver.
En voulant aider cette famille, il va réveiller les vieux démons racistes des autorités russes et la famille tatar paiera très cher sa présence ainsi que ses abeilles. Il ne pourra que s’enfuir en aidant la fille de la famille à franchir la frontière pour se rendre en Ukraine faire des études.

Voilà pour la trame du récit, en ne vous inquiétez pas pour le « divulgachâge » ce ne sont pas les événements qui font la puissance de ce récit. C’est la compréhension que, peu à peu, se fait Sergueï de ce qui l’entoure et l’impossibilité d’agir sur la vie lorsque ceux qui ont le pouvoir sont complètement corrompus et qu’aucune logique ne semble être à l’oeuvre dans leur conduite. On peut trouver que cet homme est trop passif et limité intellectuellement, mais je pense que rester à ce niveau du personnage permet à l’écrivain de faire comprendre aux lecteurs ce que vit exactement la population. Je pense que la Russie va obtenir exactement le contraire de ce que voulaient les dirigeants à savoir créer un sentiment national qui était loin d’exister en 2014. Les habitants n’avaient aucune envie de se sentir Russes ou Ukrainiens mais ils voulaient simplement vivre tranquillement dans leurs villages. Déjà, l’esprit de clocher ne portait pas à l’ouverture d’esprit mais les pires sentiments vont être exacerbés par la guerre et donc le nationalisme semble une solution toute simple.

Un roman qui sert de base pour comprendre le conflit actuel et est servi par un grand écrivain ukrainien russophone qui doit être bien triste de voir son pays détruit de fond en comble par des Russes persuadés qu’ils sont dans leur bon droit.

 

Citations

Sergueï et Pachka.

En un instant, il s’était rappelé les vacheries commises par l’autre, ses coups par en dessous, ces cafardages auprès des profs, ses refus de laisser copier. Dites : après 40 ans, il aurait pu avoir déjà pardonné et oublié tout ça ! Eh bien, pardonner, ça oui ! Mais comment les oublier quand leur classe comptait sept greluches et seulement deux gamins : Pachka et lui ? Et qu’en conséquence Sergueï n’avait jamais eu d’amis à l’école, mais seulement un ennemi. Même si le mot « ennemi » avait quelque chose de trop sérieux et pesant. Au village on aurait dit qu’il était « chtit » le terme convenaient mieux un « petit ennemi » en somme, dont personne n’avait peur. 

La vie et la mort dans un village.

 Quand on vit longtemps dans un endroit, on a toujours plus de familles enterrées qu’en bonne santé à côté de soi.

Le poids du silence et de la solitude.

 Cinq jours passèrent, tous identiques, tels des corbeaux. Pareille comparaison ne serait pas venue à l’esprit de Sergueïtch si au cours de ces journées tranquilles et monotones, le seul bruit à remplir de temps à autre les alentours n’eût été le croassement de ces oiseaux. 
« Peut-être annoncent-ils le printemps ? » songeait l’apiculteur tendant vainement l’oreille en quête d’autres bruits dans le monde environnant.

Humour.

 « Et vous avez fabriqué ce grand coffret spécialement pour des chaussures ? 
– Bon, ce n’est pas tout à fait un coffret, c’est un chaussurier, corrigea Sergueïtch. Un coffret, c’est plus petit.
– Un chaussurier ? répéta Petro. Ça existe un mot pareil ?
– Il y a bien des cendriers, non ? des sucriers ? répondit l’apiculteur. pourquoi il n’y aurait pas des chaussurier ?

Le sort des abeilles.

 Derrière lui la guerre à laquelle il ne prenait aucune part, mais dont il était devenu simplement l’habitant. Habitant de la guerre. Un sort nullement enviable, mais autrement plus tolérable pour un être humain que pour des abeilles. Sans les abeilles, il ne serait parti nulle part, il aurait eu pitié de Pachka, il ne l’aurait pas abandonné tout seul. Mais les abeilles, elles ne comprenaient pas ce qu’était la guerre ! Les abeilles ne pouvaient pas passer de la paix à la guerre et de la guerre à la paix, comme les humains.

 


Édition livre de poche

J’ai vu ce roman sur de nombreux blogs en particulier, un billet que j’avais remarqué de Dominique, (désolée pour les blogs que j’oublie de citer). J’ai déjà beaucoup lu sur les quêtes de mémoire quand il ne reste plus que des lambeaux de souvenirs de familles décimées par la Shoa. Anne Berest est la petite fille de Myriam qui est elle même la fille d’Ephraïm et d’Emma et la sœur de Noemie et Jacques tous les quatre morts à Auschwitz et dont les noms ont été écrits sur une carte postale envoyée à sa mère en janvier 2003.

Anne est donc juive par sa mère et bretonne par son père. Élevée loin de toute religion par des parents intellectuels et attentionnés, elle accorde que peu d’importance à cette origine. Jusqu’au jour où elle veut savoir et transmettre à ses enfants ce passé. La première partie du livre, nous permet de découvrir le destin de la famille Rabinovitch, originaire de Russie, Ephraïm devient un fervent défenseur du socialisme mais très vite il déchante sur le régime communiste et est obligé de s’enfuir. Sa femme Emma Wolf est originaire de Lodz et aimera toute sa vie son mari malgré quelques divergences en particulier sur la religion, elle est pieuse et respecte les fêtes juives.
1019 date de naissance de Myriam à Moscou, c’est la la grand mère de l’auteure et avec ses parents elle commence une pérégrination à travers une Europe qui ne veut plus de Juifs. La Lituanie puis Israël d’où ils repartiront (hélas) pour la France. Ils ont eu le temps d’aller à Lotz où la famille d’Emma très aisée sent monter l’antisémitisme polonais sans pour autant tenter de fuir.

Enfin, ils arrivent en France avec leurs trois enfants et Ephraïm veut absolument devenir français . La suite on l’imagine : leurs deux enfants seront déportés avant eux Myriam était alors mariée à un français et n’était pas sur la liste du maire d’Evreux, mais elle était là ce jour là, son père l’a obligée à se cacher dans le jardin. Et ensuite Ephraïm et Emma seront à leur tour déportés.

Histoire trop banale , mais si bien racontée avec des allers et retours vers le temps présent et les recherche d’Anne qui s’appuient sur le travail très approfondi de sa mère Leila qui avait déjà trouvé et classé un très grand nombre de documents.
La deuxième partie du récit a pour but de nous faire découvrir la vie de Myriam pendant et après la guerre et finalement au dernier chapitre l’explication de la carte postale.

Le fil conducteur du roman, serait à mon avis de se demander ce que veut dire d’être juif et pourquoi même aujourd’hui l’antisémitisme peut donner lieu à des injures comme « sale juif ! » ou une exclusion d’une équipe de foot car dans la famille d’un petit Hassan de sept ans, on ne joue pas avec les juifs !

Ephraïm a tellement confiance dans la France, le pays des droits de l’homme que jusqu’à la fin il restera persuadé qu’il est à l’abri et ne veut pas entendre les messages d’inquiétude qu’il reçoit. Myriam gardera espoir le plus longtemps possible d’un éventuel retour de sa famille ou au moins de son jeune frère et de sa sœur. Elle s’enfermera dans un mutisme tel que sa propre fille aura bien du mal à comprendre l’horrible réalité et à remonter les fils de l’histoire familiale si intimement liée à celle des pires atrocités du siècle.

Quand Anne Berest part à la recherche de ce qui reste des traces de la présence de ses parents dans le petit village des Forges, j’ai retrouvé ce que j’avais senti en Pologne : la peur que l’on demande des comptes à des descendants de gens qui n’ont pas toujours bien agi voire pire. Comme cette famille chez qui elle retrouve les photos de sa famille et le piano de son arrière grand-mère.

Je n’ai pas lâché un instant cette lecture et je relirai ce livre certainement car je le trouve parfaitement juste et passionnant de bout en bout. Il va faire partie des indispensables et je vais lui faire une place chez moi car comme le dit un moment Anne Berest c’est important que les juifs envahissent nos bibliothèques, on ne peut plus faire comme si l’antisémitisme n’avait été que l’apanage des Nazis même si ce sont eux qui ont créé la solution finale celle-ci n’a pu exister que parce que chez bien des gens on ne voulait pas savoir ce qui arrivait à « ces gens là » quand on les parquait dans des camps puis quand on les faisait monter dans des trains pour l’Allemagne.

 

 

Citations

Un moment de notre histoire.

 Ephraïm suit de près l’ascension de Léon Blum. Les adversaires politiques, ainsi que la presse de droite, se répandent. On traite Blum de « vil laquais des banquiers de de Londres », « ami de Rothschild et d’autres banquiers de toute évidence juifs ». « C’est un homme à fusiller, écrit Charles Maurras, mais dans le dos »

Dialogue du petit fils avec son grand père juif et croyant .

– Tu es triste que ton fils ne croit pas en Dieu ? demande Jacques à son grand-père. 
– Autrefois oui j’étais triste. Mais aujourd’hui, je me dis que l’important est que Dieu croit en ton père.

La liste Otto.

Tout à fait, la La liste « Otto » du nom de l’ambassadeur d’Allemagne à paris, Otto Abetz. Elle établit la liste de tous les ouvrages retirés de la vente des librairies. Y figurait évidemment tous les auteurs juifs, mais aussi les auteurs communistes, les français dérangeants pour le régime, comme Colette, Aristide Bruant, André Malraux, Louis Aragon, et même les morts comme Jean de la Fontaine …

L’importance de porter un nom juif.

Mais petit à petit, je me rend compte qu’à l’école, s’appeler Gérard « Rambert » n’a vraiment rien à voir avec le fait de s’appeler Gérard « Rosenberg » et tu veux savoir quelle est la différence ? C’est que je n’entendais plus de « sale juif » quotidien dans la cour de l’école. La différence c’est que je n’entendais plus des phrases du genre « C’est dommage qu’Hitler ait raté tes parents ». Et dans ma nouvelle école, avec mon nouveau nom, je trouve que c’est très agréable qu’on me foute la paix.
(…)
– Moi aussi je porte un nom français tout ce qu’il y a de plus français. Et ton histoire, cela me fait penser que…
– Que ?
– Au fond de moi je suis rassurée que sur moi cela ne se voie pas.

Je trouve cette remarque très juste.

 Myriam constate que Mme Chabaud fait partie de ces êtres qui ne sont jamais décevants, alors que d’autres le sont toujours. 
– Pour les premiers, on ne s’étonne jamais. Pour les seconds, on s’étonne chaque fois. Alors que ça devrait être l’inverse, lui dit-elle en la remerciant.

Le sens du livre .

 Interroger ce mot dont la définition s’échappe sans cesse
– Qu’est ce qu’être juif ?
Peut-être que la réponse était contenue dans la question :
– Se demander qu’est-ce qu’être juif
(…) Mais aujourd’hui je peux relier tous les points entre eux, pour voir apparaître, parmi la constellation des fragments éparpillés sur la page, une silhouette dans laquelle je me reconnais enfin : je suis fille et petite fille de survivants.

 

 


Édition Le livre de Poche Traduit de l’anglais (Irlande) par Sophie Aslanides

Bien conseillée par Keisha et Katell , j’ai lu avec grand plaisir ce gros roman : comme quoi, de gros pavés peuvent me plaire ! Cet auteur m’avait, pourtant, rendue si triste avec « L’audacieux Monsieur Swift » : John Boyne a vraiment une plume particulière et beaucoup de comptes à régler avec son pays natal.

Ce roman s’étend de 1945 à 2015 et nous décrit une Irlande bien différente de la vision folklorique que l’on pouvait avoir (musique, bière danse …et paysages !). Cette vision avait déjà été bien abimée par les révélations sur la puissance malfaisante de l’église catholique en particulier sur les jeunes femmes qui avaient le malheur d’avoir des enfants sans être mariées. C’est encore cette puissance perverse qui a fait le malheur des homosexuels. L’hypocrisie de ceux qui se réjouissent que l’homosexualité soit un crime, que les filles mères soient bannies et qui satisfont leurs désirs de façon variées est répugnante. Comme dans tous les pays où l’homosexualité est pénalisée cela laisse la place à une prostitution qui doit se cacher donc terriblement dangereuse.

La première scène est inoubliable : la jeune Catherine Goggin, âgée de seize ans est traitée de putain par un prêtre d’une violence inouïe, car elle attend un bébé et est bannie de l’église et de son village. Arrivée à Dublin, elle connaitra au terme de sa grossesse une deuxième scène violente. Elle avait, en effet, trouvé deux hommes qui avait accepté de la loger, c’est très intéressant de voir combien cette jeune femme est totalement incapable d’imaginer l’homosexualité, hélas ce n’est pas le cas du père d’un des deux jeunes hommes. Dans une scène à peine soutenable celui-ci tuera son fils et ratera de peu son amant et Catherine qui accouchera ce jour là d’un bébé qu’elle fera adopter. Elle ne reverra ce fils qu’en 2008 . Cet enfant, Cyril qui va être le fil conducteur de tout le roman, sera élevé par une famille pour le moins originale qui ne saura pas l’aimer mais qui ne le rendra pas malheureux. Son père adoptif est accusé de fraude fiscale et fera de la prison et précise à chaque fois qu’il présente son fils qu’il est adopté et qu’il n’est pas un vrai « Avery » . Sa mère vit enfermée dans son bureau et écrit des romans et fuit toute célébrité. Après sa mort, elle deviendra une des plus grande écrivaine irlandaise. Cyril, vivra une passion amoureuse avec Julian, cette passion n’est pas partagée mais Julian reste son ami. Il finira par épouser sa soeur mais prendra la fuite le soir de ses noces. Sa jeunesse irlandaise sera d’une tristesse sordide car il ne pense qu’à assouvir ses pulsions sexuelles sans connaître l’amour, adulte en Hollande il connaitra une période de bonheur en vivant un amour partagé avec un médecin qui consacrera sa vie à soigner des malades du SIDA.

J’arrête de vous raconter tout ce roman qui saute d’époque en époque et de pays en pays ce qui permet – mieux qu’un essai sur le sujet- de comprendre combien les homosexuels ont souffert de ne pas pouvoir vivre leur sexualité normalement. Quand on sait que certains pays vivent encore sous cette condamnation morale cela fait peur, comme les homosexuels sont considérés comme des malades ou des êtres anormaux on peut tout leur faire subir, si la condamnation est religieuse ce qui est souvent le cas, alors tout devient très dangereux pour le jeune qui perd tous ses repères.

L’aspect romanesque est bien construit, même si les hasards romanesques font se rencontrer des personnages qui avaient vraiment peu de chance de se retrouver, on accepte cette fiction littéraire car le second plan sociétal est riche et très bien argumenté. Je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans ce roman et tant pis s’il dégrade encore un peu plus l’image de l’Irlande Catholique. La religion y a joué un bien vilain rôle dans ce domaine là, l’église fera certainement un jour des excuses, il faut espérer que cela permettra aux mentalité de vraiment changer. Ce roman en tout cas peut y contribuer mais sera-t-il lu par des gens qui ont des idées bien arrêtées sur le sujet, à plusieurs reprises l’auteur se plaît à rapporter des propos « ordinaires » sur « ces gens là » de personnes qui imaginent qu’ils sont eux « normaux » et cela est criant de vérité et permet de nous rendre compte qu’il faut être attentifs sur ce genre de sujets.

 

 

Citations

Discours du prêtre pour condamner la jeune fille enceinte.

« Quitte ces lieux, espèce de gourmandise, quitte Goleen, emporte ton infamie ailleurs. Il y a des maisons à Londres qui sont faites pour les filles comme toi, avec des lits où tu pourras te coucher et écarter les jambes pour que tout le monde puisse satisfaire tes besoins licencieux. »

 

Enfant adopté.

« Vois ça plutôt comme un bail, Cyril, me dit-il – ils m’avaient appelé Cyril en souvenir d’un épagneul qu’il avaient eu autrefois et qu’ils avaient beaucoup aimé- , un bail de dix huit ans. Mais pendant tout ce temps, il n’y a aucune raison qu’on ne s’entende pas tous bien, n’est ce pas ? Même si je me plais à penser que si j’avais eu un fils, il aurait été plus grand que toi. Et il aurait montré un peu plus d’aptitudes sur le terrain de rugby. Mais tu n’es pas ce qu’il y a de pire. Dieu seul sait sur qui nous aurions pu tomber. À un moment, on nous a même suggéré de prendre un bébé africain. »

Un homme « galant », qui trompe sa femme.

«  Chérie, prends un amant si tu veux, cela ne fait aucune différence pour moi. Si tu as besoin d’un coup de queue. Il y en a plein, là, dehors. Des grosses, des petites, des jolies, des biscornues. Des tordues, des courbées, des droites. Les jeunes hommes sont essentiellement des queues en érection sur pattes, et n’importe lequel d’entre eux serait ravi de fourrer la sienne dans une femme aussi belle que toi. »

L’homosexualité .

 Nous étions en 1959, après tout. Je ne savais presque rien de l’homosexualité, en dehors du fait que succomber à ce genre de désir était un acte criminel en Irlande qui donnait lieu à une peine de prison. À moins que j’entre dans les ordres, dans ce cas, il s’agissait d’un avantages en nature de la profession.

L’homosexualité 1966.

 C’était une période difficile, pour un Irlandais âgé de vingt-et-un ans attiré par les hommes. Quand on possédait ces trois caractéristiques simultanément, on devait se situer à un niveau d’hypocrisie et de duplicité contraire à ma nature.

Visite chez le psychiatre en 1966.

 Il faut que vous reteniez ceci : il n’y a pas de homosexuels en Irlande. Vous vous êtes peut-être fourré dans la tête que vous en étiez un, mais vous avez tort. C’est aussi simple que ça. Vous avez tort. 
– Je n’ai pas l’impression que ce soit aussi simple, docteur, avançai-je prudemment. Je pense vraiment qu’il est très possible que j’en sois un.
 – Vous ne m’avez donc pas écouté ? fit-il, avec un sourire, comme si j’étais un crétin fini. Est-ce que je ne vous ai pas dit qu’il n’y avait pas d’homosexuels en Irlande ? Et s’il n’y a pas d’homosexuels en Irlande, comment diable pourriez-vous en être un ? »

 


Édition Arthaud. Traduit de l’italien par Béatrice Vierne.

En ce trois octobre, ma meilleure amie a 80 ans et comme cette auteure, elle aime par dessus tout créer des jardins, comme elle, elle lutte aussi contre des maladies graves mais heureusement qui la laisse en vie permettant à ses amis de profiter de son incroyable optimisme . C’est aussi une photographe de talent et j’avais parlé d’un de ses livres sur le pain sur Luocine.

Le titre du livre vient d’un poème d’Emily Dickinson :

« Je ne l’ai pas encore dit à mon jardin

Tant je redoute ma défaillance.

Pour le moment, je n’ai pas tout à fait la force

De mettre l’abeille dans la confidence »

Pia Pera est connue pour ses livres sur les jardins et elle écrit ce dernier livre en luttant contre une maladie qui va finalement l’emporter. Tout le long des années où elle a senti son corps la trahir, elle a cherché du réconfort auprès des plantes dont elle s’était occupée dans son merveilleux jardins. Elle a aussi cherché auprès de la médecine, si impuissante dans son cas, une guérison qui n’est pas venue. Elle a accepté de trouver dans des médecines non conventionnelles un peu de réconfort, elle a beaucoup espéré hélas, en vain. Elle a trouvé aussi dans les lectures des points d’appui, plus sans sans doute que dans la science médicale. Mais ce qui fait le charme de ce livre qui a tant plu à Dominique -au point de me donner envie de le lire et de l’offrir- ce sont tous les passages sur les merveilles de la nature. Autant elle sent l’inutilité des souffrances qu’on lui impose pour soi-disant la soigner, autant on sent qu’elle se regénère à chaque fois qu’elle peut se fondre dans le paysage qu’elle a su créer.

Comme ce livre suit ses pensées, il fourmille de petits passages merveilleux qui enlèvent la tristesse du propos. Par exemple savez vous qu’à Détroit les habitants créent des jardins potagers et des fermes sur des terrains arrachés aux friches industrielles ou aux barres d’immeubles vidés de leurs habitants par la délocalisation des industries métallurgiques et automobiles. De nombreux jardins sont évoqués que j’aimerais bien aller visiter, et tant de livres que je n’ai pas lus et où elle trouve des propos qui correspondent à son état physique et mental. Car évidemment son corps souffre et trahit la femme active qu’elle a toujours été. C’est triste mais pas tragique car dès qu’elle peut adapter son corps à des plaisirs physiques, on la sent heureuse. Comme ce dernier bain de mer à l’île d’Elbe dans une voiture adaptée. Mais, ce sont les passages sur les plantes qui font tout le charme de ce livre et pourtant ce n’est pas mon sujet de prédilection. Je vous ai recopié le passage sur les rose pour vous donner une petite idée du style de Pia Pera.

Finalement que dire de plus : un très beau livre et un hymne à la vie. Comme le dit la mère de José Saramago

« Le monde est si beau, quel dommage d’être obligé de mourir. »

 

 

Citations

On a envie de s’y promener.

J’ai tenté de raconter comment j’avais transformé une ferme austère en lieu où l’on pouvait, par une transition progressive entre le spontané apparent et le champêtre, entre le fortuit et le délibéré, assez discrète par une transition imperceptible côtoyer des bosquets, des oliviers, un verger, un potager, jusqu’au jardin des buis, derrière la maison. Mon intention avait été d’effacer ou pour le moins d’estomper mes propres traces, tous les indices risquant de laisser deviner un projet, une attention. 

Les plantes et les ruines.

 Ce qui émeut, dans les plantes superbes poussant telle de courageuses pionnières, parmi les ruines archéologiques, ce n’est pas la mort, mais la vitalité.

J’espère que mon amie arrivera à cette sagesse .

 La canne à la main, me dis-je, je ne me laisserai plus dominer par personne. Je tiendrais tête. Vraiment, elle me met en joie. Elle favorise ma vocation de despote. J’adore dire aux autres ce qu’ils doivent faire. Il a fallu que je tombe malade pour découvrir à quel point donner des ordres est plus gratifiant, au fond, qu’une pénible autonomie. Au début, je m’obligeais pour des raisons morales, à tout faire toute seule. Maintenant, malade, je peux profiter en secret d’un privilèges suspect sur le plan éthique.

Les roses.

Depuis leur premières apparition, j’appelle les boutons de rose minuscules et serrés, comme des écrins en miniature tantôt ronds, tantôt allongés, avec parfois des pétales disposés capricieusement, par petites Gilles. Chacun d’eux m’inspire une tendresse poignante, mêlée de curiosité envers les nuances, les formes comprimées jusqu’à l’invraisemblable. Et puis enfin, quelque chose transparaît : l’étreinte des sépales se relâche tandis que la fleur pousse afin de s’ouvrir à la lumière. Pour le bouton c’est la capitulation , et alors les rôles s’inversent : on voit la petite couronne de sépales ployer, vaincue, au pied de la fleur triomphante, tantôt dessinée selon des lignes Art nouveau, tantôt fluide comme la tache de couleur d’un impressionniste, tantôt avec des pétales disposées en corolle simple, comme dans un codex enluminé.

Une autre amoureuse de jardin.

Aussi longtemps qu’elle (Vitæ Sackville-West) l’a pu, elle a vécu avec et pour son jardin. Elle n’était pas femme à sacrifier un seul instant pour penser à cette goujate qu’est la mort .

J’ai aimé tant de passages comme celui-ci :

José Saramago, dans son discours pour le Nobel, évoque l’homme le plus sage qu’il est connu – son grand-père maternel, qui ne savait ni lire ni écrire. Pressentant qu’il ne reviendrait pas du voyage qui d’Azinhaga allait le conduire jusqu’à un hôpital de Lisbonne, il a pris congé, en larmes, des arbres de son jardin, les étreignant un par un. quant à sa grand-mère maternelle, elle a déclaré : « Le monde est si beau, quel dommage d’être obligé de mourir.

 

 


Édition livre de poche

Traduit du suédois par Laurence Mennerich

 

Merci la Souris Jaune , sans toi je n’aurais pas lu ce roman qui m’a fait passer un bon moment et qui, tout en décrivant une réalité sociale assez dure n’est pas triste parce que nous voyons la vie d’une petite ville dans laquelle il n’y a plus de travail à travers les yeux de Britt-Marie une femme qui passe son temps à faire des listes et le ménage. Pourquoi ne lui ai-je pas mis cinq coquillages à ce livre que j’ai lu avec plaisir ? Il m’arrive de faire ma difficile ! oui ce roman se lit bien , oui les personnages sont attachants mais cette Britt-Marie est une caricature de personnage : est-ce qu’il existe encore des femmes qui se dévouent corps et âmes à leur mari sans rien exiger d’eux ? Est-ce qu’ils existent des femmes dont le seul horizon se limite au ménage bien fait ? Complètement effacée, Britt-Marie va « fuguer » du domicile conjugal car elle découvre que, malgré tout son dévouement, Kent son abruti de mari la trompe. Elle se met à la recherche d’un travail, mais elle a 63 ans et ce n’est pas une mince affaire. Ses rapports avec la femme de pôle emploi sont compliqués et très drôles, celle-ci lui trouvera finalement un poste de directrice d’une MJC qui doit fermer dans trois mois, elle peut donc occuper cet emploi dans un petit village dont toutes les activités « normales » ont disparu à cause de la crise économique.

Notre super Madame-Propre dont les deux produits fétiches : le bicarbonate et le Faxin (produit pour les vitres) va donc entreprendre de nettoyer tout ce qui est à sa portée. Mais sa vie et ses valeurs vont être bousculées par le football. Car les rares enfants du village adorent ce sport et bien malgré elle Britt-Marie va devoir s’y intéresser. Peu à peu nous découvrirons les différents drames qui ont jalonné sa vie et nous la comprendrons un peu mieux ; je me suis attachée à Britt-Marie qui a été si mal aimée dans sa vie. Les habitants du village qui semblent aussi des caricatures vont prendre de la consistance. Pour devenir plus humains, il semblerait qu’en Suède il faut connaître le déclassement social, à l’image de Kent qui, de gros « macho » stupide devient un mari plus attentif et plus aimant parce qu’il a perdu son travail.

Certes, c’est une vision sociale un peu trop simpliste mais, comme je le dis au début, c’est aussi un roman qui fait du bien car on le lit en souriant. Alors, lisez-le si vous voulez vous dépaysez avec une femme d’un autre temps dans un pays plus connu pour ses auteurs de romans policiers que pour le genre « conte social humaniste ».

 

Citations

Le début .

Fourchettes. couteau. cuillère.
 Dans cet ordre.
 Britt-Marie n’est certainement pas femme à juger autrui, mais quelle personne civilisée aurait l’idée d’organiser un tiroir à couverts autrement ? Britt-Marie ne juge personne mais tout de même, nous ne sommes pas des animaux.

L’amour .

 Difficile à dire quand l’amour s’épanouit. Un jour, on se réveille et il a éclos d’un coup. C’est pareil dans l’autre sens : on s’aperçoit trop tard qu’il a déjà fané. L’amour ressemble beaucoup aux fleurs de balcons, en cela. Parfois, même le bicarbonate de marche pas.

Le couple.

C’est comme ça, quand on a vécu assez longtemps auprès d’un homme qui essaie constamment de faire de l’humour. Il n’y avait plus de place pour d’autres plaisanteries que les siennes dans leur relation. Kent faisait le bout en train et Britt-Marie faisait la vaisselle. Voilà comment les tâches étaient réparties.

Humour suédois.

 Elle place également des verres devant les enfants. L’un d’eux, celui que Britt-Marie ne décrirait jamais comme « obèse », mais qui donne l’impression d’avoir souvent chipé la limonade de ses camarades, lui dit avec entrain qu’il « préfère boire dans la canette ».
– Certainement pas, ici on boit dans un verre, articule impitoyablement Britt-Marie. 
-Pourquoi ? 
– Parce que nous ne sommes pas des animaux.
Le garçon observe sa canette de limonade dans un silence songeur, puis demande  :
– Il y a des animaux qui arrivent à boire à la canette, en dehors de l’homme ?

Philosophie de la vie.

 Parce que la vie est plus que les chaussures dans lesquelles on marche, plus que la personne qu’on est. Ce sont les liens. Les fragments de soi dans le cœur d’une autre personne. Les souvenirs, les murs, les placards et les tiroir à couverts dans lesquels on sait où sont rangés les affaires. Toute une vie d’ajustements visant à l’organisation parfaite, à l’aérodynamique unique de deux personnalités. Une vie commune, faite de tout ce qui est commun. Pierre et mortier, télécommandes et mots croisés, chemise et bicarbonate, placard de salle de bains et rasoir électrique dans le troisième tiroir. Il a besoin d’elle pour tout cela. Si elle n’est pas la, rien ne va. Elle est essentielle, inestimable, irremplaçable.

Joli dialogue.

 -J’avais cru comprendre qu’on devient policier parce qu’on croit aux lois et aux règles souffle-t-elle
-Je crois que Sven est devenu policier parce qu’il croit à la justice répond Samy.