Édition Albin Michel, 395 pages, avril 2024

 

J’écoute très régulièrement les podcasts de Phillipe Collin, et je vous conseille ceux sur Céline, et Léon Blum en particulier mais ils sont tous intéressants. Je savais que je lirai son roman, et j’ai bien aimé mais sans retrouver le plaisir d’écoute des podcasts.

L’auteur a été très intéressé par le barman du Ritz, qui est d’origine juive et qui l’ a caché pendant toute la guerre alors qu’il servait tous les jours les plus hauts gradés de la Wehrmacht. Le roman a trois centres d’intérêt : le Ritz, ses clients et le parcours de Franck Meier le barman.

Le Ritz, cet hôtel de luxe appartient à l’époque de la guerre à Madame Ritz, une femme peu sympathique qui veut avant tout que les clients prestigieux soient bien servis, peu importe la couleur de leur uniforme. Il est dirigé par Monsieur Auzello qui est l’époux de Blanche une très belle femme américaine juive. Je ne sais pas si le fait est exact, mais le barman l’aurait aidée à avoir des papiers lui créant une nouvelle identité chrétienne américaine. L’important dans cet hôtel, c’est le luxe, le luxe des plats, des boissons, des meubles le tout servi par un personnel de grande classe.

Les clients, nous sommes donc avec les gradés de la Wehrmacht certains ont une certaine classe, d’autres sont de véritables porcs comme Goering qui passe son temps à se droguer et à piller les trésors culturels français. Je ne sais pas non plus si c’est exact, c’est au Ritz qu’aurait été fomenté le dernier attentat contre Hitler. Le roman se termine sur le retour d’un client qui avait fait la réputation du Ritz : Hemingway .

Franck Meier, c’est bien lui le personnage principal , sa naissance aurait dû lui couter la vie : son père est un rescapé de pogroms qui est venu vivre à Vienne, il a rejeté la religion juive et n’a pas voulu circoncire son fils. Pour fuir la misère, Franck part aux États-Unis et se forme à la fabrication de cocktails, il est attiré en France dans les années 1900 et commence au Ritz fréquenté alors par des écrivains américains, Fitzgerald, Hemingway. Quand la guerre 14/18 éclate, Franck s’engage dans la légion étrangère , il deviendra français et sa carrière continue. Il ne dira à personne qu’il est d’origine juive mais certainemant cela l’empêchera d’adhérer à l’idéologie nazie, l’écrivain nous le fait connaître grâce aux extraits de son journal, on apprend sa vie personnelle. Il est très sensible à la beauté de Blanche Auzello qui ne se remettra jamais des tortures qu’elle a subies dans les caves de la Gestapo . On découvre aussi son mariage et l’existence de son fils auquel il semble moins attaché qu’à un jeune juif d’origine italienne qu’il a aidé à fuir.

 

L’ambiance est très bien rendue, à la fois les années de luxe de la collaboration et les personnages qui s’affichent sans aucune vergogne au bar avec les Allemands , Coco Chanel, Arletty, Sacha Guitry, Jean Cocteau, tous ces gens profitent aussi d’une nourriture abondante et de l’alcool qui coule à flot. Pendant ce temps là les juifs sont raflés, pillés et les français ont faim. Et quand la victoire des Américains s’annoncent les rats quittent le navire et les vestes se retournent. J’avoue que ce monde là m’intéresse assez peu et parfois même il me dégoûte cela fait partie de mes réserves .

Ma réserve principale vient du parti-pris de l’auteur de centrer tout son roman sur Franck Meier dont l’auteur ne sait pas grand chose à part qu’il soit d’origine juive , donc on ne sait jamais si c’est vrai ou romancé. Cela n’empêche pas que ce livre se lit très facilement et qu’on passe un bon moment au Ritz dont je ne pourrai jamais m’offrir que la vue de la façade .

 

Extraits

Début du prologue

Demain, les troupes allemandes entreront dans Paris. La France est dissoute comme un morceau de sucre dans un verre d’absinthe.

Début du roman.

 

14 juin 1940
« Me voilà coincé dans le nid des Boches. »
 Six heures et demie du soir, et les Allemands se font toujours attendre.
 Ce matin, ils ont défilé sur l’avenue Foch.
 Désormais ils sont là dans les murs dans l’enceinte du Ritz.
 Tous les palaces parisiens sont réquisitionnés par l’armée allemande afin d’y installer des bureaux ; le Ritz, lui, accueillera une centaine d’officiers supérieurs – la crème de la Wehrmacht – et devient « la résidence du gouverneur militaire en France » : si ce titre ne rappelait pas la cruelle humiliation que vient de subir l’armée française, il serait presque prestigieux.

Exil  : l’ambivalence des sentiments.

 L’équipage a largué les amarres, la sirène du paquebot a retentit. Et j’ai soudain été pris d’une immense tristesse en pensant à ma petite mère, l’exil social se paye d’une tristesse éternelle.

Il est vrai que les gens se révèlent dans des moments tragiques.

Elmiger a le sourire modeste, il se cale dans le siège passager. Franck le regarde à la dérobée en tournant boulevard Pasteur. Le directeur lui fait penser à ces hommes qui sur le front des Ardennes se révélaient à l’épreuve du feu. Au départ, ils étaient frêles, discrets, tourmentés. Souvent instituteurs ou clercs de notaire, ils avaient des larmes pleins les yeux et voulaient rentrer chez eux. La trouille au ventre, le casque trop grand sur la tête. Le genre de sous-officier trouillard que tous les soldats fuyaient, persuadés qu’ils portaient la poisse. Puis, contre toute attente, la prudence de leur tempérament leur a permis de survivre. Au fil de la mitraille, une force morale s’est forgée en eux. Ils se sont redressés, ont rajusté la lanière de leur cervelière, ont domestiqué leur peur. Chaque jour qui passait sous les pluies d’obus, ces hommes qu’on avait jugé trop vite se parvient de ce charisme rare qui rassure les autres, jusqu’à conduire les gars au moment de l’assaut.

 


Édition Stock, 317 pages, février 2023

 

Un roman conseillé par ma soeur que je ne suis pas prête d’oublier. Le titre et le sous titre parlent de deux moments de l’histoire des ancêtres de l’écrivain. Pour écrire les deux moments de ce passé, l’auteur se sert de deux narrateurs différents : son père qui lui transmet la tradition familiale autour de l’ancêtre de 1744, le médecin juif, Isaïe Cerf Oulman, et sa grand mère qui lui racontera de façon parcellaire ce qui s’est passé en juillet 1944 qui verra l’arrestation et l’assassinat de 13 personnes de sa famille arrêtées par la police française et tuées par les allemands à Auschwitz ou ailleurs.

Le fait historique, de 1744, occupe les deux tiers du roman, et est très intéressant. Le roi Louis XV est à Metz pour surveiller et motiver ses troupes dans une guerre contre l’Autriche. Après une journée consacrée à la chasse et à l’amour physique, le roi s’empiffre d’un repas très riche, trop sans doute. La nuit, il est pris de douleurs atroces et doit appeler ses médecins qui ne connaissent que deux façons de soigner de l’époque : la purge et la saignée. Et plus la personne est importante, plus on le purge, plus on le saigne .. (heureux les pauvres qui avaient le droit de mourir sans ces horribles pratiques ! !)

La ville de Metz accueille à l’époque une forte de communauté juive, constituée en particuliers des Juifs chassés du royaume de France par le roi Lois XIV. La place forte est dirigée par le descendant de Fouquet, le Maréchal de Belle-Isle qui a pris l’habitude de connaître et apprécier la communauté juive. il avait donc, fait appel à ce grand médecin Isaïe Cerf Oulman qui avait sauvé un de ses lieutenant.

Le roi est très malade et même mourant, le parti des dévots mené par l’évêque de Metz, reprend pouvoir sur ce roi moribond. Cela commence par le renvoi des deux maîtresses du roi, puis par la promesse du roi de construire une cathédrale à Paris plus haute que Notre-Dame, consacrée à Saint Geneviève. Vous savez qu’est devenue cette église Sainte-Geneviève ?

Le Maréchal de Belle-Isle veut absolument sauver le roi en déguisant le médecin juif, pour que personne ne sache que le Roi, a été sauvé par un Juif .

Nous nous retrouvons ensuite en France en 1994, et nous écoutons la grand-mère de l’auteur qui parle de l’horreur absolue : l’arrestation de son père un homme décoré de la légion d’honneur, héros de la guerre 14/18 , qui en 1944 ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant, il est arrêté par la milice en juillet 1944 et ce sera le début des treize arrestations des membres de sa famille. Cette partie est plus difficile à lire, car chargée d’une émotion palpable, d’abord parce que les membres de sa faille ont été arrêtés alors que le mois d’après Paris était libéré ! et puis la façon dont a été traité cet arrière grand-père, battu, alors qu’il était infirme et abandonné sans soin sur une paillasse dans un sous sol est insoutenable. L’auteur cherche pourquoi après 12 autres membres de sa familles ont été arrêtés ce n’est sans aucun doute pas le fruit du hasard, dénonciation ? Carnet retrouvé chez le grand-père ? aveux sous la torture ?

On n’aura pas de réponse, mais peu importe, la famille peut maintenant se recueillir sur le murs du mémorial de la Shoah, celui-là même qui a été tagué récemment. Et aussi au Panthéon où le nom d’Émile Hayem figure comme héros de la guerre 14/18.

La boucle est bouclée : si le Panthéon existe c’est un peu grâce à Isaïe Cerf Oulman, qui a sauvé la vie du Roi Louis XV, vous souvenez que le Roi avait promis de construire une église plus haute que Notre-Dame, le Roi a bien tenu sa promesse, mais celle-ci n’a été terminée qu’après la Révolution de 1789, les Révolutionnaires n’ont pas voulu en faire une église même si le monument est bien sur la Montagne Saint Geneviève, ils en ont fait un Panthéon à la gloire des grands-hommes de France dont le descendant d’Isaïe Cerf Oulman : Émile Hayem .

Si je mets 5 coquillages à ce roman, ce n’est pas pour ses qualité littéraires (il est très bien écrit mais sans effet littéraire particulier), mais parce que je pense qu’à notre époque qui voit l’antisémitisme remonter avec son lot de violence, il faut absolument lire ce genre de livres.

 

Extraits

Début.

En cet ensoleillé matin d’automne 1927, Julien Hayem, accompagné de son épouse Lucie, sortait d’un élégant immeuble haussmannien du 10, avenue de Messine.
Les platanes bordant la large voie s’embrasaient de couleur ocre et feu comme autant de buissons ardents. Ces teintes exubérantes contrastaient avec la mise de Julien en habit de deuil, il portait une redingote noire, un gilet noir, une chemise blanche à plastron, une cravate noire de chez Charvet, un haut-de- forme et une brassière noire. Il arborait son insigne d’officier de la légion d’honneur. En noir elle aussi, couverte d’un chapeau et d’une mantille, Lucie lui tenait le bras, par affection, par émotion, pour garder l’équilibre, également  ; elle approchait des quatre-vingts ans comme son époux.

Le sort du médecin juif en 1744.

 Si, comme Hélian l’avait dit, il s’agissait d’une dysenterie, et si le roi n’était pas trop faible, il saurait le guérir. Mais s’il souffrait d’autres infections malignes, il succomberait de l’assaut des purges et des saignées. En cas de succès, Louis serait officiellement sauvé par un docteur militaire à la retraite du nom de Montcharvaux. En cas d’échec, il devrait répondre, lui, le médecin juif de l’accusation courante pour les siens, d’empoisonnement. La populace se déchaînerait, les quatre cent familles juives de Metz et celles des environs seraient sûrement pourchassés, violentes, assassinées. Dans tout le royaume, les Juifs auraient de nouveau à choisir entre l’exil, la potence ou le bûcher, comme au temps des croisades, de la peste ou de la terrible expulsion du Royaume de France en 1394. Il se devait de réussir.

Je connais ce fait mais cela me fait mal à chaque fois que je le relis .

Brunner le responsable de l’assassinat de tous les miens finit sa vie en policier zélé et efficace de la dictature de Hafez El-Assad.

C’est tellement vrai et ça résonne très fort aujourd’hui.

Profondément patriote et démocrate je savais intimement que lorsqu’une vague antisémite déferlait elle ne s’arrêtait pas aux juifs. Elle irait aussi s’attaquer à notre socle de valeur et à notre démocratie. Dans la tourmente, nous sommes toujours des éclaireurs. Quand un peuple s’attaque à ses Juifs, cela ne s’arrête jamais là, comme en 1306 *, en 1898*, en 1936*. Nous étions bien seuls à la fin de l’année 2000 à tirer la sonnette d’alarme. Nos avertissements ne furent pas entendus ou si peu. Une décennie plus tard la France serait un des pays les plus touchés en Europe par la vague des massacres islamiques qui avaient débuté par les Français juifs pour ensuite meurtrir l’ensemble des Français .
1306 : En juin 1306 , le roi Philippe le Bel promulgue un édit d’expulsion imposant aux Juifs de quitter le royaume de France et annule toutes les créances qui leur sont dues, puis confisque tous leurs biens.
1898 : une vingtaine de députés, tous membres de courants nationalistes (boulangistes, royalistes, déroulédiens…), constituent en un « groupe antisémite » à la Chambre, sous la présidence de Drumont.
1936 : jeux Olympiques de Berlin, personne ne réagit qu’en 1935, sous l’impulsion de Goebbels et de Streicher, des « manifestations spontanées » sont organisées contre les Juifs. Elles aboutissent à la publication des lois de Nuremberg qui privent les juifs de leurs droits civiques et leur interdisent de se marier ou d’avoir des rapports sexuels avec des personnes de « sang allemand ou assimilé » La même année Hitler interdit que des noms juifs figurent sur les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. En 1936 jeux Olympiques de Berlin .
2012 : En trois expéditions, Mohammed Merah assassine sept personnes dont trois enfants juifs et fait six blessés.


Édition Pointillés Belfond, 264 pages, août 2020

 

J’ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l’humanité. J’en suis la lie.

Je ne sais plus où j’ai trouvé ce roman mais peut-être que je retrouverai la trace de ce blogueur ou blogueuse dans les commentaires. Il s’agit d’un roman étrange, la personne qui dit « je » (Hildegard Müller) est une femme de 76 ans, elle dit qu’elle donne sa voix à un scribe qui va mettre en mot ce qu’elle ressent. Dans de courts chapitres qui ne dépassent pas une page, elle livre par fragments ses souffrances. Elle est une enfant du programme du « Lebensborn » des Nazis. Elle ne sait rien de sa naissance, ni surtout de sa conception. le plus probable c’est que sa mère était norvégienne et son père un SS . L’origine de sa mère lui vaut d’être envoyée en Norvège après la guerre , autre moment de souffrance, elle arrive dans un pays qui veut se refaire une virginité par rapport au Nazisme, que le pays a soutenu pendant la guerre, pas tous les habitants certes mais avec une participation officielle aux thèses Nazies . Que faire de ce bébé que l’on voit comme une bébé Nazie ? elle a été considérée comme retardée car elle ne parlait ni norvégien ni allemand, et a été mise dans une centre pour handicapées.

Dans tout le livre, Hidelgarde reproche à tous les organismes d’après guerre de n’avoir jamais considéré ces bébés du « Lebensborn » comme des victimes du Nazisme, et aucun Allemand n’a été jugé pour ces faits qui concernent tant d’enfants. Entre ceux qui sont nés comme elle, d’un accouplement guidé pour produire un bon « produit » aryen, et ceux qui ont été kidnappés en particulier en Pologne, il y avait largement de quoi examiner ce programme comme appartenant au crime contre l’humanité . Les Nazis devaient se douter que ce programme leur serait reproché car ils ont brûlé toutes les archives de ce programme. Elle compare son destin à Anne Franck , et considère que si elle est une vivante-morte grâce à son cahier, elle est une morte-vivante. Je dois dire que je retiens qu’elle est vivante.

Je ne sais pas ce qu’il aurait fallu faire pour lui redonner confiance en elle. Je peux comprendre sa souffrance , le début horrible de sa vie est tel ,qu’il aurait fallu tellement de finesse pour lui redonner un peu de bonheur et elle n’a jamais rencontré la moindre compassion. Bien au contraire toutes les portes se sont toujours fermées et elle s’est sentie jugée comme « bébé nazie ».

J’ai vu qu’il existait plusieurs livres d’historiens sur le « Lebensborn » et je crois que, comme souvent, pour ce sujet tragique je préfère les essais que le roman. Mais je reconnais à cet auteur le talent d’avoir imaginé un personnage crédible dont la mémoire se heurte sans cesse à la souffrance de sa naissance. Cela permet de comprendre l’horreur de ce programme que, l’après guerre, a voulu oublier sans se donner le mal de soigner ces pauvres petits nés dans ces pouponnières industrielles.

 

Extraits

Début.

Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal. Mon journal a de particulier que ça n’est pas moi qui l’écris. J’ai engagé un écrivain, un scribe ; un traducteur en quelque sorte. Il traduit ma vie en mot. Je parle, il écrit.

Le sort des femmes collabo.

 Cortège de la honte, ceux qui les insultaient, leur crachaient dessus, leur arrachaient leurs vêtements. Ils hurlaient cela même qui s’étaient tus quand on déportait leurs voisins. Proies faciles les femmes n’ont finissent jamais de payer les conflits initiés par les hommes.

Ce passage est intéressant, il constitue la page 156 : un chapitre entier.

 C’est tiède d’être orpheline de parents vivants. Disparus sans laisser d’adresse. Pas vraiment morts. Pas vraiment disparus. Pas vraiment parents. Une lettre de mère par-ci, une photo de père par-là. Ou alors en personne. Douche glacée. Ils nous demandent de la mettre en veilleuse. Notre naissance ne doit pas être. Même pour ceux qui nous ont conçus. Ils expliquent qu’ils ont refait leur vie. Ils ont fait notre vie aussi, mais elle ne doit pas avoir été. La mère cette clé du savoir devient un verrou supplémentaire. Un de nos amis la retrouver après vingt ans de recherche. Ses premiers mots : « Surtout tu m’appelles tante ! » Comme si maman devait lui être à jamais imprononçable. Il est repartit plus orphelin. Avec en lui le crime de sa naissance à ne pas révéler.

Personne n’a été condamné pour le programme d’enlèvement d’enfants ni pour le Lebensborn

 On sait tout de même qu’elle (Inge Viermetz) s’est occupée du « transfert » de trois cents enfants polonais. Elle est donc accusée d’enlèvement. Mais elle plaide son rôle subalterne. Je vais finir par croire que les nazis étaient une armée de débiles qui obéissaient sans jamais penser par eux-mêmes. Et puis, elle affirme avoir agi par compassion. Les juges la croient. Elle est acquittée le 10 mars 1948.

 

Édition J’ai lu 381 pages, 2018, première édition 2015.

 

C’est ce qu’il y a de plus universel ça, l’envie de parler, dès lors qu’on se propose sincèrement d’écouter l’autre, alors on tient le monde.

 

Voilà enfin un roman que je peux enlever de mes listes et cette lecture va aussi réduire ma pile. J’avais bien aimé « l’idole » et j’ai retrouvé avec plaisir le style de cet écrivain, cette façon de ne pas se prendre au sérieux, tout en nous décrivant un phénomène de société qui nous concernent nous particulièrement : les lectrices qui cherchent à rencontrer nos écrivains préférés dans des salons ou autres manifestations littéraires.

Car c’est de cela qu’il s’agit un écrivain est invité par des libraires dynamiques dans une petite ville dans le Morvan, pour animer une résidence littéraire pendant un mois. Il doit se rendre dans de nombreuses communes et répondre à des questions de lectrices passionnées sur son oeuvre et animer des ateliers d’écriture. Notre écrivain a ceci de particulier : il est toujours au mauvais endroit au mauvais moment, il aura bien du mal à ne pas se mettre à dos l’ensemble de la population. Le maire qui l’a fait venir pour s’assurer une nouvelle élection, les défenseurs de l’implantation de la grande scierie ont peur qu’ils soient du côté des écolos, les gendarmes qui épluchent sa vie lui voient un profil d’agitateur politico-écolo. Bref, un panier de crabes comme on n’en connaît parfois dans les petites villes et avec ça un vieil homme original qui a disparu. Il y a aussi Dora, une jeune femme superbe qui entraîne l’auteur dans des combines pas très nettes mais qui a un corps splendide.
Voilà le cadre, et dans tout cela l’écrivain raconte aussi sa façon d’écrire et cela donne au lecteur un peu l’impression de mise en abime, est ce l’écrivain qui raconte la fiction ou la fiction qui crée le processus d’écriture ?

J’ai bien aimé ce roman pour les trois quart, il se trouve que je l’ai perdu pendant deux jours puis retrouvé et la fin m’a semblé top longue et sans grand intérêt. Cela vient sans doute de la coupure entre les deux moments de lecture. Il reste que, tout ce qu’il dit sur la création romanesque et le pouvoir des livres m’a beaucoup intéressée

Extraits

 

Début.

 Ce séjour promettait d’être calme. C’était même l’idée de départ, prendre du recul, faire un pas de côté hors du quotidien. En acceptant l’invitation je ne courais aucun risque, la sinécure s’annonçait même idéale, un mois dans une région forestière et reculée, un mois dans une ville perdue avec juste ce qu’il faut de monde pour ne pas craindre d’être seul, tout en étant royalement retiré, ça semblait rêvé.

La chambre d’hôtel.

 À l’intérieur régnait le calme douillet d’une chambre sans âme mais, augmentée de mon bazar précoce, je me sentais chez moi. Je me sens toujours pleinement à l’aise dans une chambre d’hôtel. La chambre d’hôtel, c’est la sphère idéale, dégagée de toute histoire, de toute contrainte, de tout passé. La chambre d’hôtel, c’est le territoire parfait pour croire de nouveau en soi, avoir l’impression d’être neuf, réinventé.

Les fait divers.

 Au-delà de l’indéniable voyeurisme, le fait divers distrait de l’actualité conventionnelle, on y éprouve les affres d’un bien intime spectacle auquel on se sent soulagé de ne pas participer. Il y a une vertu expiatoire à plonger dans ces paragraphes incandescents, ces chroniques terribles qui entraînent vers une toute autre histoire que la sienne et la rend chanceuse par comparaison.

Numéro de portable .

Chaque fois que je découvre le numéro de portable de quelqu’un, j’ai toujours un regard esthétique sur cette séquence de chiffres, lui trouvant parfois une harmonie évidente, une élégance dans la combinaison ou, au contraire, une complexité antipathique, comme s’il y avait un message possible derrière chacun de nos numéros, un sens caché, comme s’il s’agissait d’un code qui révélait quelque chose de son propriétaire. Le numéro de Dora n’était fait que de chiffres pairs, et de quatre zéros, quatre zéros et des chiffres pairs ça lui donnait une rondeur sensuelle, une consonance inoffensive.

L’amour.

 Tomber amoureux, c’est voir l’autre comme un mystère dont on ne supporte pas d’être exclu, c’est redouter de ne pas l’atteindre, ne plus penser qu’à une chose : le revoir, le côtoyer. Plus je me disais que cette fille était un danger et plus elle en devenait désirable.

 

 

Édition Points, 254 pages, décembre 2019 (2012 première édition)

 

Roman trois fois récompensés : Prix Fémina, Prix du roman Fnac, Prix des prix Littéraires , et qui pourtant ne m’a pas complètement séduite. Le style est un peu étrange, que j’ai compris un peu mieux à la fin du livre. L’auteur dit que Yersin n’aurait sans doute pas apprécié ce roman biographique pour décrire sa vie et son oeuvre . Cet homme est particulièrement pudique sur sa vie personnelle , et très atypique sur sa vie de chercheur. Quand on lit l’article Wikipédia on en apprend pratiquement autant sur sa vie de chercheur. Yersin a découvert le bacille de la peste et avant celui de la toxine diphtérique, mais c’était aussi un explorateur qui est tombé en « amour » avec le Vietnam où il a été plus honoré qu’en France. La volonté de l’écrivain c’est de nous faire comprendre cette personnalité à travers en particulier ses lettres à sa mère, et à sa soeur . Il nous parle aussi de tous les gens qui ont croisé ou qui auraient pu croiser Yersin, pour nous faire revivre l’époque dans laquelle vivait ce savant-explorateur, tout en respectant la pudeur de cet homme. On apprend donc ses découvertes scientifiques, sa volonté de découvrir le Vietnam, et de maîtriser la culture de l’hévéa, et de la quinine. Comme chercheur pasteurien, il produit des vaccins pour protéger les populations, mais tout cela vous le saurez dans l’article Wikipédia.

C’est un livre que j’ai eu beaucoup de mal à lire alors que l’homme est passionnant, le mélange des chronologies, le mélange des personnalités qui lui font penser à Yersin : Rimbaud, Céline, et les politiques de l’époque, et un style très haché expliquent mes réserves.

 

Extraits

Début style particulier.

 La vieille main tavelée au pouce fendu écarte un voilage de pongé. Après la nuit d’insomnie, le vermeil de l’aube, la glorieuse cymbale. La chambre d’hôtel blanc neige et or pâle. Au loin la lumière à croisillons de la grande tour en fer derrière un peu de brume. En bas les arbres très verts du square Boucicault. La ville est calme dans le printemps guerrier. Envahie par les réfugiés. Tout ceux-là qui pensait que leur vie était de ne pas bouger. La vieille main lâche la crémone et saisit la poignée de la valise. Six étages plus bas, Yersin franchit le tambour de bois verni et de cuivre jaune. Un voiture en habit referme sur lui la portière du taxi. Yersin ne fuit pas. Il n’a jamais fui. Ce vol il l’a réservé des mois plus tôt dans une agence de Saigon. 

Paris en 1889.

 Paris devient la capitale mondiale de la médecine, et en son centre le tout nouvel Institut Pasteur en brique rouge est le phare du progrès. Tout est neuf, les parquets cirés et la faïence étincelante des paillasses. Pierres meulières et façade Louis XIII. L’idée germe déjà de créer des Instituts Pasteurs à l’étranger et de lancer des campagnes de vaccination préventives et curatives. Devant Yersin, dans la grande salle éclairée par les hautes fenêtres à petits carreaux, se rassemblent des médecins hospitaliers français mais aussi un Belge, un Suédois, un Cubain, trois Russes, trois Mexicains, un Hollandais, trois Italiens, un Anglais, un Roumain, un Égyptien et un Américain. Si l’on compte bien : douze nationalités et pas un Allemand. Voilà qui ne présage rien de bon. 

Une vision réaliste du commerce.

 Chaque mois à l’aller, depuis Saigon, des négociants habitués de la ligne convoient les produits de l’Europe à destination des Philippins riches, vêtements de Paris et porcelaines de Limoges, carafes de cristal et vins fins. Au retour, ils rapportent en échange à fond de cale les produits de la sueur des Philippins pauvres, pains de sucre, cigares manilles et cabosses de cacao.

Médecine vue par Yersin.

J’ai beaucoup de plaisir à soigner ceux qui viennent me demander conseil, mais je ne voudrais pas faire de la médecine un métier, c’est-à-dire que je ne pourrais jamais demander à malade de me payer pour les soins que j’aurais pu lui donner. Je considère la médecine comme un sacerdoce, ainsi que le pastoral. Demander de l’argent pour soigner malade, c’est un peu lui dire la bourse ou la vie.

Avancée de la science .

 On déroule souvent l’histoire des sciences comme un boulevard qui mènerait droit de l’ignorance à la vérité mais c’est faux. C’est un lacis de voies sans issue où la pensée se fourvoie et s’empêtre. Une compilation d’échecs lamentables et parfois rigolos.

Début du communisme et mélange des personnages .

Yersin ne croit pas une seconde à la ritournelle révolutionnaire. Tuer des hommes pour faire vivre des rêves. Pas comme le jeune Rimbaud , l’auteur d’un « projet de constitution communiste » cinquante avant le Congrès de Tour. Ce qui aurait dû lui valoir à titre posthume la carte numéro zéro du Parti.


Édition Actes Sud , 133 pages, Avril 2024

 

Un autre livre de cet auteur à l’écriture si belle et si forte que j’ai eu du mal à m’en remettre (Le premier livre de lui, sur Luocine, était « le soleil des Scorta« ) . J’avais dit à Gambadou que j’hésitais à lire cet essai, mais parfois il faut savoir ouvrir les yeux et son cœur. La délicatesse de cet écrivain pour parler des attentats de Paris du 13 novembre 2015 , est absolument remarquable. Il réussit un tour de force difficile à expliquer, il parle de tout le monde, il individualise chacun, et les rend universels. Quand on referme le livre, on est celle qui est morte dans la fosse du Bataclan, celui qui a choisi la chaise qui tourne le dos à la rue sur la terrasse, l’infirmière qui travaille non-stop pendant six heures, le médecin qui trie les urgences, les policiers qui sont arrivés les premiers dans la salle du Bataclan, la mère qui attend que sa fille reponde au téléphone…

Nous sommes tous ceux là , la seule personne que nous ne serons jamais ce sont ceux qui arrivent triomphant pour assassiner, ceux là même qui jouaient au ballon avec une tête d’un otage qu’ils venaient de décapiter dans un autre pays.

Chaque moment est parfaitement rendu , celui qui m’a le plus touché est celui où les parents commencent à se rendre compte que cette tragédie peut les concerner. Ce moment où, ils laissent un petit SMS, puis un autre, puis ils commencent à appeler et appeler encore, puis refusent absolument de faire partie de ceux qui iront peut-être dans un groupe de parole pour raconter ce dont personne ne peut se remettre. Mais comment oublier la jeunesse et la fraîcheur de ces jeunes qui étaient venus boire un verre entre amis, comment oublier le médecin qui doit trier les urgences, l’équipe du Raid qui doit sécuriser avant de sauver des vies .

Merci Monsieur Gaudé d’avoir écrit ce livre et j’espère ne choquer personne en disant que le 7 octobre en Israël 1200 personnes dont 37 enfants , ont été assassinés de cette façon là. Je ne cherche pas à minimiser les souffrances des habitants de Gaza, mais le Hamas est une organisation terroriste dont les membres ont utilisé les mêmes méthodes que ceux qui ont fait 129 morts à Paris le 13 novembre 2015.

 

Extraits

Début.

 J’ouvre les yeux. Je me dis que cette journée est belle puisque nous allons nous voir ce soir. Je souris à l’idée de ce rendez-vous et sens, dès le matin cette boule dans le ventre qui dit que je t’aime peut-être plus que je ne le pensais. Une longue attente s’étale devant moi jusqu’à te voir. Aurons-nous le temps de nous aimer ? Je me prépare. Je veux que tu tombes à la renverse en me voyant et tu tomberas. Je m’habille. Je ne mets pas de soutien-gorge. Puis je change d’avis. J’en mets un en me promettant de l’enlever plus tard dans la journée, lorsqu’il sera temps d’aller te rejoindre Je prends plaisir à imaginer cette fin de journée.

Un moment parmi d’autres.

 Il faut s’asseoir. Trouver une table. Choisir une place. Décider de qui prend quelle chaises. Dos au bar ou à la rue ? Personne ne se doute que ce sera si important, que c’est une question de vie ou de mort. Certains d’entre nous renoncent, jugent la terrasse déjà trop bondée, n’aime pas cela : être si proche de gens qu’on ne connaît pas, dont on entend toute la conversation, qui vous rejette la fumée de leur cigarette dans les cheveux et font trembler votre chaise à chaque fois qu’ils bougent. Certains vont plus loin, disparaissent à la recherche d’un peu de calme. Ils vivront. N’en reviendront pas d’avoir échappé à cette histoire
 À peu de chose près. Si peu de chose près. Pour ceux qui restent il faut choisir. Premier rang de terrasse ou deuxième ? Côte à côte ou face à face ? Nous choisissons. Sans nous douter que nous nous asseyons sur la trajectoire de balles qui vont bientôt être tirées.

Les parents.

 Nous ne savons pas encore que nous sommes si nombreux à vivre une soirée si semblable. Les appels répétés. La voix de la messagerie. Téléphoner. Essayer d’avoir des nouvelles des uns et des autres. Et puis cette sensation que ce qui se passe à la télévision a à avoir avec notre enfant. Cette sensation qui se mue en certitude et les jambes qui se dérobent … Je ne veux pas … Je ne veux pas… On sent ce qui vient mais on voudrait encore y échapper… Je ne veux pas, moi, faire partie de tout ça, vous connaître, partager avec vous, bien plus tard, le souvenir de cette nuit, dans les groupes de parole qui feront renaître le vertige. Je ne veux pas être sur la liste de celles et ceux qu’un policier va devoir appeler parce que le corps de mon enfant a été identifié. Je ne veux pas être parmi vous, comme vous. Laissez-moi. Je n’ai rien à voir avec vous. Je ne vous connais pas, ne veut pas vous connaître, je veux juste entendre la voix de mon enfant. Je n’irai pas à la mort pour identifier son corps et récupérer ses effets. Je ne je n’irai pas au procès pour voir le visage de ceux qui ont déchiré sa vie. Je ne veux pas être avec vous, laissez-moi, laissez-moi !

Le médecin d’urgence sur le terrain.

 Je suis le premier médecin à être entré, celui qui n’a pas pu prendre le temps de soigner, qui a essayé de faire au mieux, mais cela voulait dire abandonner certains, passer vite aux autres, aller d’un corps à l’autre pour que le moins possible d’entre eux meurent de leur blessure, mais il y en a eu, il y en a eu, malgré tout, et tant, et trop, je le sais qui sont morts seuls, sans aide, sans voix penchées sur eux, parce que j’étais débordé, parce que l’urgence m’imposait de ne m’arrêter sur aucun, et ils étaient tant, je n’en voyais pas la fin… Toute ma vie… Toute ma vie pour être le médecin qui secourt sans avoir le temps de soigner, le médecin qui dessine d’un chiffre sur le front le destin des victimes, le médecin qui sera désormais mangé par l’incertitude, la hantise de s’être trompé, le souvenir d’un corps qu’on a d’abord vu vivant puis mort lorsqu’on est repassé, toute ma vie, pour arriver à cette journée, courte au regard du nombre de jours que j’ai vécus, mais qui durera une éternité, et je le sais, et jusqu’au bout en moi le doute embrassera la fierté.

 

 

 


Édition Flammarion, 284 pages, mars 2024.

Comme vous pouvez le voir sur ma photo ce roman a reçu 3 coups de cœur de notre club, cela veut dire que toutes les lectrices lui en avait attribué un, aucune n’avait de réserves. Je l’ai donc lu après elles, moi aussi, car elles en parlaient bien. Je pense que j’aurais émis une réserve, car je trouve une histoire un peu simple. En même temps, sous cette apparente simplicité du quotidien vie se cache beaucoup d’analyses exactes à propos des rapports humains aujourd’hui.

J’ai aimé le procédé de départ : elle répond à une lettre qu’elle aurait écrite quand elle avait seize ans, vingt deux ans plus tard elle répond à cette toute jeune fille. Dans la vie comme dans le roman, la narratrice a écrit un roman l’année de seize ans « Respire » qui a connu un succès immédiat, l’adulte qu’elle est aujourd’hui, sait que les médias s’emballent facilement et respectent peu quelqu’un qui ne sait pas se défendre. C’était son cas, elle a été la coqueluche des plateaux de télé, avant d’être traitée de « petite dinde » par son agent littéraire. La description du monde de l’édition, qui veut pousser les auteurs dans des succès rapides, est implacable et sans doute exacte. La jeune écrivaine se bat dans une relation amoureuse nocive, son amoureux la dévalorise sans cesse, et dans des amitiés féminines où la jalousie n’est pas absente. Elle raconte aussi la difficulté pour une femme d’être respectée, on retrouve ici tout ce qui fait notre actualité : un féminicide, une relation sexuelle pas vraiment consenti avec un vieux bien sûr de son pouvoir, une jeune femme qui fait un mariage de rêve mais lutte contre chaque gramme en trop. C’est peut être de là que ma réserve est née, c’est peut être un peu trop, mais Anne-Sophie Brasme le raconte très bien.
J’ai beaucoup aimé que finalement, elle s’épanouisse dans le métier de professeure de lettres au lycée, elle en parle très bien. Mais surtout j’aime le message que contient ce livre à l’adresse des jeunes, « devenez ce que vous voulez être, ne laisser personne vous définir ».

Pourquoi une petite réserve ? très légère d’ailleurs, peut-être une trop grande proximité avec ce récit. Je me trouve bien sévère mais je n’arrive pas à lui mettre cinq coquillages.

 

Extraits

Début .

Entre mes seize et dix huit ans, juste avant la parution du « Premier Roman » , j’ai tenu un cahier.
 Ce n’était pas vraiment un journal ni un cahier d’histoire comme ceux que je remplissais depuis le primaire. Cela ressemblait plutôt à une collection. Une superposition hétéroclite de fragments – citations, photos, collages, réflexions diverses – qui mises bout à bout, constitue désormais une sorte de portrait cubiste de mon adolescence.

L’imposture .

 L’imposture me colle à la peau. C’est à elle que je dois mes timides avancées dans l’écriture, malgré un début tonitruant. À elle que je dois mes relations toxiques. mon idolâtrie pour des êtres que je croyais supérieurs. Cette imposture, c’est cette voie encore qui me murmure en ce moment même :  » Mais pour qui tu te prends ? Qui es-tu pour raconter ta vie ? » Même à trente-huit ans, je ne peux m’empêcher de lui donner raison.

La Sorbonne, licence de lettres.

Tes profs de fac sont des pontes, ils ont écrit des livres que tu étudies. Beaucoup d’hommes, blancs, sexagénaires, alors que les trois quarts de l’amphi sont des jeunes filles. Tu te demandes ce qui se passe entre la première année de fac et le statut de professeur d’université pour que tant de femmes renoncent à leurs ambitions. Tu n’as pas encore entendu parler du « syndrome de l’imposteur », tu ne sais pas encore que le brio n’y est pour rien dans cette absence de représentativité, que c’est une question politique.

Le plaisir d’être professeure.

Toi qui n’a jamais su prendre la parole en public, toi qui n’as pour toi-même aucune estime, tu t’étonneras de faire cours avec autant d’aisance. Devant ces adolescents assis devant toi, tu te trouveras une épaisseur jamais soupçonnée. Toi l’austère, la solitaire, tu t’apprendras énergique, enthousiaste, parfois même drôle. Tu oublieras les heures de route quotidiennes, les paysages métalliques, les couloirs gris aux odeurs de cantine. La classe sera ton refuge. L’espace que tu n’auras jamais rue Taison, il est là, le voici  : dans la salle 240, où pendant des centaines d’heures tu commenteras les textes de Flaubert de Camus ou de Duras. C’est là que tu seras toi-même. Sans inquisiteur. Sans faux-semblants. Là que ton cœur recommencera à frapper, sans craindre les défis, les gamins des abusés, les misères sociales, le niveau parfois désastreux. Là te que tu te découvrira capitaine capable d’emmener loin d’autres que toi.

Liste des enseignants titulaires du département Littérature et Linguistique Françaises et Latines Sorbonne

Juste pour montrer que les temps ont bien changé il y a 40 femmes, 21 hommes , deux Dominique (hommes ou femmes ?)


Édition Gallimard NRF, 161 pages, mars 2024.

 

Quel beau livre, tout en retenu et pourtant qui en dit tant sur notre passé et peut-être sur notre avenir si l’on doit un jour défendre nos valeurs face à une tyrannie. Hervé Le Tellier est pour la quatrième fois sur Luocine, et je n’ai, cette fois, aucune réserve : j’avais bien aimé « Toutes les familles heureuses » un peu moins « Assez parlé d’amour » , j’ai eu encore quelques réserves pour « Anomalies » qui lui a valu le prix Goncourt. J’ai supposé que ce prix lui a permis d’acheter une maison dans la Drôme qui va lui inspirer ce récit.

Sur le mur de cette maison, il y lit un nom : « André Chaix ». L’écrivain recherche qui est cet homme, très vite il apprend que c’est un résistant français qui est mort à 20 ans dans une attaque contre des blindés allemands à Grignan. À travers des photos et ce qu’il apprend des évènements qui ont secoué cette région à la libération, nous commençons à mieux connaître André Chaix amoureux de Simone, qui a très vite rejoint les maquis. Le débarquement en Normandie s’annonce et a lieu, les résistants par des actions de guérilla ralentissent le retour vers la Normandie de l’armée allemande. Le groupe d’André Chaix ne s’est pas replié alors qu’il ne pouvait pas tenir face aux chars allemands. Mais l’auteur réfléchit aussi sur ce que fut la collaboration , la résistance, et l’épuration. Après les différents crimes de guerre de l’armée allemande – tout le monde se souvient d’Oradour-sur-Glane- Hervé Le Tellier rappelle qu’en 1953, il n’y avait plus aucune personne en prison pour des faits de collaboration.

J’ai beaucoup aimé dans ce court récit le respect avec lequel, l’auteur parle d’André Chaix, le jeune homme amoureux, le résistant, il est très présent et face à cette dignité toute simple que l’on devine, les propos des intellectuels collabo : Céline, Brazillac, Rebatet sont insupportables. Hervé Le Tellier réfléchit aussi sur la façon dont on peut embarquer une population vers le Nazisme, en particulier cette expérience de « la vague’ où un professeur entraîne toute une classe vers un comportement proche du Nazisme.

Un livre qui permet de réfléchir sur notre passé et en ce moment ce sont des questions qu’il est important de se poser.

 

Extrait

 

Cela fait du bien de commencer un livre par un sourire.

 Je cherchais une « maison natale ». J’avais expliqué à l’agent immobilier
 : pas une villa de vacances, pas une ruine « à rénover », pas une « maison d’architecte », pas un « bien atypique », ces bergeries ou magnaneries transformées en habitations où l’on se cogne dans les chambranles de porte à hauteur de brebis.

La résistance.

 Et puis la Résistance est loin d’être un corps chimiquement pur. C’est une nébuleuse qui prendra du temps pour trouver son centre, si elle le trouva jamais, Certains luttent contre les envahisseurs allemands, d’autres contre le nazisme, et ensemble ils lutteront contre le « Boche ». Ce but minimal et commun va tisser des liens improbables entre des hommes et des femmes aussi singuliers, aussi uniques, qu’un ouvrier et poète arménien nommé Missak Manoukian, une professeur agrégée communiste, Lucie Aubrac, ou un Camelot du roi mauracien et antisémite, comme le nom moins héroïque secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier -qui évoluera profondément jusqu’à se décrire à la fin de la guerre comme « presque communiste ».

L’après guerre.

 De toute façon après la loi d’amnistie du 6 août 1953 sur les crimes ou fait de collaboration, il n’y a plus dans les prisons françaises un seul condamné pour des délits liés à l’Occupation. Même les assassins de Tulle, de Figeac d’Argenton-sur-Creuse, les bourreaux d’Oradour-sur-Glane et on en oublie, les rare qui ont été emprisonnés, tous, absolument tous sont libres dès 1953. On n’a pas voulu emprisonner les « malgré-nous » alsaciens de la 2e division SS Das Reich, qui représentent pourtant les deux tiers des accusés. Le verdict accablant du procès de Bordeaux n’aura aucune conséquence, et quand les églises d’Alsace sonneront le tocsin à la suite des condamnations, l’amnistie viendra l’annuler. La pauvre Creuse rurale peut bien pleurer ses morts. Elle devra s’incliner devant la riche Alsace industrielle seule région de France où jamais personne n’aura été nazi.

Merci pour cette explication .

 Du couvre-feu en vigueur après février 1942 en zone occupée, il nous reste l’expression oubliée « se faire appeler Arthur » pour « se faire disputer » puisque pour réprimander le retardataire le soldat allemand criait « Acht Uhr ! » – huit heures.

Paradoxe.

 L’historien anglais Thomas Fuller a écrit que « beaucoup seraient lâches s’ils en avaient le courage ». Cette phrase m’a toujours rassuré si l’héroïsme aussi contient sa part de conformisme, alors me voilà absous de la veulerie potentielle que je pressens en moi. Mais l’aphorisme de Fuller ne dit rien ne dit bien sûr rien des gens vraiment courageux.

 


Édition Gallimard NRF, 508 pages, juillet 2023

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 Ne t’a-t-on pas appris que l’innocence est la pire des fautes ?

J’avais beaucoup aimé « le secret de l’empereur » déjà proposé par notre Club de lecture, mais j’ai encore moins de réserve sur ce roman historique. La catégorie « Roman Historique » est vaste et recouvre des livres très différents, pour celui-ci on pourrait presque parler d’un essai historique et lui enlever le mot roman, tant le travail de l’historienne est sérieux, fouillé et pratiquement complet, mais les personnages discutent entre eux, nous font part de leurs émotions, nous voilà donc dans le romanesque et rend le livre beaucoup plus facile à lire.
Comme moi, je suppose que vous aviez juste l’idée que dans les années 1400/1500 au Vatican sous la domination des Borgia, on était pape de père en fils ! cette phrase je l’ai souvent entendue mais je ne savais pas à quel point elle contenait une part de vérité. Nous voilà donc à cette époque, et dans ce premier tome nous suivons l’ascension d’Alessandro Farnèse (illustre ancêtre de l’auteure). Il s’échappera de la terrible prison papale de « Saint Ange « , grâce à la complicité d’une nonne dont il tombera amoureux : Sylvia Ruffini. Dans sa prison il pourra parler avec un personnage que l’on retrouvera par la suite : Castellesi.

Il se cache à Florence où règne les Médicis, protecteur des arts, des lettres et de la philosophie. Quelques années plus tard il revient à Rome pour satisfaire son ambition : être cardinal pour cela il devient très proche des Borgia. Seule son intelligence, et sa façon de ne se fier à personne lui permettent de garder la vie sauve et de vivre son grand amour avec Sylvia qui d’abord mariée deviendra veuve assez rapidement. On croisera plusieurs personnages tous historiques mais certains plus célèbres que d’autres en particulier Machiavel qui va faire de César Borgia le personnage qui lui inspirera « le Prince ».

Tout cela peut sembler un peu compliqué : aucun doute, c’est affreusement compliqué ! Mais l’auteure, en se concentrant sur un seul personnage, Alessandro Farnese, nous permet de suivre et de comprendre ce qu’il se joue. En réalité sous toutes ces apparentes complications, les ressorts sont simples

  • la satisfaction sexuelle avec une femme ou des prostituées ou un homme , l’important c’est de jouir.
  • La création d’un domaine à léguer à ses enfants.
  • Obtenir du Pape des charges lucratives permettant d’entretenir de somptueux palais .
  • Le Pouvoir

Et la religion dans tout ça ? Elle permet d’assurer le salut de son âme quels que soient les procédés qu’on a mis en œuvre pour obtenir tous les points cités avant : meurtre, empoisonnement, coup de couteau, condamnation à mort avec la confiscation de tous les biens du condamné, séduction des femmes mariées, reconnaissance des enfants pour qu’ils puissent hériter, différentes formes d’orgies, et les victoires militaires grâce à des alliances avec les ennemis d’hier, trahir un puissant pour un autre moins puissant que l’on dominera plus facilement. Vraiment tout est permis et la réputation des Borgia est la hauteur de ce que décrit Amélie de Bourbon Parme. J’apprécie beaucoup son style car elle ne prend pas partie , elle ne s’offusque pas, elle suit l’ambition d’Alessandro et nous permet de bien comprendre cette période.

On ne peut que s’étonner que le grand schisme du protestantisme ne soit pas arrivé plus vite, bien sûr elle nous parle de Savonarole mais ses prêches sont bien isolés dans cet océan de turpitude, le peuple lui a faim, subit la guerre et doit croire aveuglement à des principes auxquels les grands de l’église croient si peu . J’ai hâte de lire les deux autres tomes.

 

Extraits

 

Début.

En prison ?
 Un léger frisson avait parcouru le dos du pape qui, maintenant redressé, donnait à voir son visage : des yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, des paupières lourdes, un nez long et aquilin, une bouche petite est pincée, le menton fuyant. Son front fortement arrondi était surnommé d’un « camauro » de velours rouge bordé d’hermine, duquel, en dépit de la tonsure s’échappait une nuée de cheveux blancs. Le regard de Giovanni Battista Cibo, devenu pape sous le nom d’Innocent VIII, vibrait d’une lueur curieuse, vaguement gourmande, entre inquiétude et fascination coupable, l’ivresse d’un pouvoir sans limite.

Que cela est bien dit !

 Un reste de fierté empêchait cependant le pape de se ranger trop vite à ses recommandations : Innocents VIII exerçait une sorte de liberté transitoire à travers son indécision.

Le problème ? se retrouver au milieu de tous ces noms et intrigues.

 Puccio Pucci était un homme influent à la cour de Laurent de Médicis. Il était le fils du premier conseiller de Cosme de Médicis, le grand-père de Laurent. Depuis la mort de Pier Luigi Farnese, son beau-père avait pris l’ascendant sur la destinée des Farnese. D’une loyauté sans faille ans à l’égard de Laurent de Médicis, il mettait un point d’honneur à entraîner son entourage dans les pas de son maître et à défendre les intérêts de la cité avant toute chose. Ceux-ci étaient clairement du côté de Ferdinand de Naples que Laurent soutenait afin d’empêcher le pape de gagner en influence au frontière de la république de Florence

Florence.

 À Florence chaque citoyen si riche et important fût-il, s’habillait sans ostentation, pour ne pas choquer l’esprit républicain de la ville.

Florence et Rome.

(Castellesi a été son voisin de cellule à la prison du pape)

 La voix de Castellesi résonnait encore dans le conduit en pierre, qui parlait de la cour de Laurent de Médicis : une Olympe peuplée d’érudits, d’hommes de lettres et autres philosophes. Il avait retenu ses paroles :  » À Rome nous sommes environnés de ruines ; à Florence l’antiquité est vivante : les hommes mettent en pratique ses concepts philosophiques et leur donnent de nouveaux développements. »

Laurent de Médicis à Florence.

Ce sont les idées qui gouvernent le monde, ce ne sont plus les dogmes qui ont figé les peuples dans l’ignorance la peur et la soumission.

Scène érotique papale.

 La tête posée sur l’oreiller, il regardait Giulia disséminer adroitement ses baisers sur son ventre, ses épaules, entre ses jambes, selon une sorte de parcours sacré qui menait à ce lieu unique où se rejoignent les puissances terrestres et célestes.
 Le pape soupira en respirant son odeur, mélange de miel et de musc. En la voyant aller se servir un verre de vin, et marcher pieds nus sur les tapis tressés d’or et de soie, avec son ventre bombé porteur de vie, il était reconnaissant à ses cheveux blonds, à ses hanches si parfaites, à ses courbes infinies, à sa peau soyeuse, à ses yeux aussi lumineux qu’un vitrail en plein soleil, de l’accompagner dans cette aventure. Giulia Farnese n’avait que dix-huit ans mais elle semblait la plus expérimentée des maîtresses, la plus charmante des concubines, la plus sainte des amantes.

 Portrait d’un cardinal à la cour du pape en 1493 (humour !).

 Le cardinal Sforza est d’une vénalité sans limite : il évalue la moindre conversation en écus. Combien pèse celui à qui je m’adresse ? Il n’a qu’une idée en tête : satisfaire sa vanité en faisant valoir les intérêts de sa famille ….un vrai sacerdoce

Savonarole.

Dialogue entre Alessandro et son ancien compagnon de captivité.

– Ne me dis pas que tu penses comme Savonarole ? ! Ce moine assoiffé de pouvoir et d’intrigues a bâti sa fortune et son autorité sur des calomnies. Il ne faut rien céder à ce fou qui envie nos œuvres et nos palais. Si tu veux savoir ce que je pense, je crois qu’il a raison : nous ne sommes que des trafiquants d’éternité ! Des marchands de salut, et rien d’autre ! Et cela dure depuis près de mille cinq cents ans.
 Les yeux exorbités, la barbe menaçante le prisonnier du château Saint-Ange était de retour. Mais il avait touché juste. Savonarole faisait se lever un vent mauvais d’obscurantisme et de pénitence. Il avait fait dresser sur la place de la seigneurie un bûcher des vanités avec des peintures lascives, des livres obscènes, des luths, des parfums, des miroirs, des poupées et des tables à jouer, bref tout ce qui était lié à un plaisir quel qu’il soit. Ces objets avaient été entassés et brûlés. Sa promesse n’était pas la rémission des péchés, mais la menace de damnation éternelle, le malheur et la délation.

 

 

Édition « Aux forges de Vulcain » , 204 pages, mai 2023

 

Dans le ciel, c’était le feu. Le feu et les cendres. Sur la terre, c’était les secousses et les tremblements. L’antichambre de l’Enfer.

J’avais beaucoup aimé ‘Une bouche sans personne » du même auteur. On retrouve, ici, ce style si particulier entre oral et poésie, ente gouaille et sérieux, qu’il manie si bien. Je dois à Gambadou l’envie de lire ce roman. Et si j’en juge par les commentaires à son billet, je n’étais pas la seule. On retrouve bien le ton de cet écrivain et même si le sujet est grave, on est pris par ce récit et parfois on sourit. J’ai surtout été très émue à cette lecture. Je vous rappelle le sujet : le narrateur est un ancien soldat de l’armée française, qui a perdu une main à la guerre, à son retour il retrouve Anna son grand amour et se lance à corps perdu dans la recherche des soldats que les familles recherchent désespérément. Une mère l’engage pour retrouver son fils, Émile, dont elle a perdu la trace. En commençant ses recherches notre enquêteur se rend compte qu’Émile était très amoureux d’une Lucie alsacienne. Tout le livre est construit sur cette recherche d’un amour impossible, que la mère d’Émile nie de toutes ses forces. Cette jeune paysanne n’était pas jugée assez bien pour cette grande bourgeoise. Émile est un poète fou d’amour, et se fiche des jugements de sa mère. Il partira en Alsace pour retrouver son amour mais hélas la guerre va les séparer. Et quelle guerre ! Cette quête permet à l’auteur de se retrouver sur tous les champs de bataille au milieu de toutes les horreurs possibles , d’y croiser un être appelé « la fille de lune », qui aide les mourants abandonnés de tous lors des batailles sanglantes, de parler avec un rabbin qu’on appelle le curé, de croiser des infirmières allemandes plus humaines qu’un horrible médecin français qui sadiquement envoie des charges électriques à tous les malades psychiatriques de peur qu’ils soient des « tire-au flanc » .
Un des moments très fort du récit se passe en Alsace, il y rencontre un père qui a perdu un fils à cette guerre, mais est-il toujours un héros lui qui était, évidemment dans l’armée allemande. Je me suis posée alors, cette question, les femmes française veuves de guerre touchaient une pension, mais qu’en était-il pour les femmes alsaciennes ?

Un très beau livre, merci Gambadou de l’avoir si bien présenté, j’espère, à mon tour, vous avoir donné envie de le lire.

 

Extraits

Début.

 Je n’étais pas parti la fleur au fusil. Je ne connais d’ailleurs personne qui l’ait vécu ainsi. L »image était certes jolie, mais elle ne reflétait pas la réalité. On n’imaginait pas que le conflit allait s’éterniser, évidemment. On croyait passer l’été sous les drapeaux et revenir pour l’automne avec l’Alsace et la Lorraine en bandoulière. À temps pour les moissons, les vendanges où de nouveaux tours de vis à l’usine. Pour tout dire ça emmerdait pas mal de monde cette histoire. On avait mieux à faire qu’aller taper sur nos voisins. Pourtant on savait que ça viendrait : on nous avait bien préparé à cette idée. À force de nous raconter qu’ils étaient nos ennemis, on avait fini par le croire. Alors, quand ils sont passés par le Luxembourg et la Belgique, il n’y avait pas grand monde pour leur trouver des circonstances atténuantes. On était nombreux à être volontaires pour leur expliquer que ça ne se faisait pas trop d’aller envahir des pays neutres.

J’aime bien son style.

J’ai pris un train et j’ai marché jusqu’à un joli petit village qui venait d’inaugurer un joli monument aux jolis morts de la jolie guerre. Il en fleurissait partout. C’était à qui aurait le plus beau, le plus grand, celui avec le plus de noms. J’avais même entendu des histoires de villages qui se battaient pour savoir à qui appartenaient les morts. Des paysans qui avaient habité entre deux communes et qui étaient devenus importants grâce à leur dépouille patriote.

Il me fait rire.

En 1925, la France fêtait sa victoire depuis sept ans. Ça swinguait, ça jazzait, ça cinematographiait, ça mistinguait. L’Art déco flamboyait, Pais s’amusait et s’incouciait. Coco chanelait, André bretonnait, Maurice chevaliait.

Verdun.

 C’est comme ça que je me suis retrouvée avec mon drôle de bricolage et mon volant à la main. À relier Bar-le- Duc à Verdun sur la Voie sacrée. À l’époque on ne l’appelait pas comme ça. On disait simplement « la Route ». Comme s’il y en avait qu’une seule. Une colonne interminable de camions. Des soldats valides dans un sens, estropiés dans l’autre. Et du matériel. Des canons, des obus, de la nourriture, des bêtes, du vin. On conduisait sans jamais s’arrêter ou presque. Cinquante-sept kilomètres entre la civilisation et la barbarie. Cinquante-sept kilomètres où l’on conduisait à longueur de journée, à longueur de nuit, comme des automates fous.

Sentiments des Alsaciens en 1919.

 Mais la première fois que j’y étais était allé, au printemps 1919, je m’attendais à trouver une terre en fête : après tout on s’était battu quatre années pour leur redonner leur dignité. Évidemment ce n’était pas le sentiment général. Parce que, premièrement, il n’avait jamais perdu leur dignité et, deuxièmement tous n’avaient pas été ravis de devenir français. Sans compter que, parmi les morts de chaque village, la plupart s’étaient pris des balles françaises. Allez expliquer à une veuve de guerre que c’était une balle pour la bonne cause :  » On a tué votre mari … Mais,bonne nouvelle, vous êtes de nouveau française, madame ! »

Cet auteur a le sens des phrases justes.

 Il a fini par reprendre : « pensez-vous que l’on puisse mourir en héros si l’ennemi d’hier devient la nation de demain ? ».
 Je lui ai répondu que l’on pouvait mourir en héros en sauvant ces camarades. Il a souri. Tristement, mais il a souri.
En sortant de son bureau, je me suis senti bête, j’ai pris conscience que je ne m’étais jamais réellement posé la question de l’Alsace. Jamais posé la question des Alsaciens. J’avais tué pour récupérer ces régions, j’avais estimé que cela était juste. Et j’avais obéi aux ordres.

Le poème final.

On voulait des lions, on a eu des rats.
On voulait le sable, on a eu la boue.
On voulait le paradis, on a eu l’enfer.
On voulait l’amour, on a eu la mort.
 Il ne restait qu’un accordéon. Désaccordé. Et lui aussi va nous quitter.