Édition l’Olivier, 158 pages, octobre 2023

 

Je n’ai jamais été chez moi chez moi.

 

J’ai encore oublié de noter la blogueuse qui m’a tentée mais elle se reconnaitra, je l’espère ; Voici le billet de « mot à mot » et celui de Anna-yes Mon biblioblog. C’est un livre qui raconte un rejet de la vie familiale incroyable, si fort, que l’autrice-narratrice a non seulement rejeté son milieu social -ses parents appartenaient à la classe ouvrière du Canada dans une ville petite (pour le Canada) grande pour la France : Kitchener, dans l’Ontario 230 000 habitants, mais elle a aussi, renié sa langue, l’anglais, son nom de famille pour trouver sa liberté de penser et d’écrire en français. Elle a donc vécu au Québec et est devenue traductrice en trois langues car elle parlait aussi l’espagnol. J’emploie le passé car Lori Saint-Martin est morte à Paris en 2022, c’est assez tragique que cette ville qu’elle a tant aimée soit aussi la ville qui l’a vue mourir.

J’ai voulu lire ce livre car j’aime bien le sujet de l’apprentissage des langues, et son cas est très particulier : elle n’a pas appris le français, elle a fait de cette langue sa langue d’élection. On peut l’écouter parler, elle est effectivement totalement à l’aise en français avec quelques traces d’accent québécois mais très légères. Je pense que lorsqu’elle arrivait à Paris, elle devait immédiatement prendre les intonations françaises.

Tout ce qu’elle dit sur la richesse que cela procure d’avoir plusieurs langues m’ont semblé très juste, surtout venant d’une anglophone qui pourrait visiter le monde entier en ne parlant que sa propre langue. Mais j’ai moins compris la violence du rejet de son milieu d’origine. Sa mère, même trop grosse et habillée en polyester de couleurs vives, ne mérite pas selon moi autant de rejet. Elle a sûrement mal aimé sa fille, mais elle l’a laissé aussi faire ce qu’elle voulait. D’ailleurs à la fin , elle le dit elle-même, c’est grâce à sa mère qui voulait parler anglais à ses petits enfants qu’elle élèvera ses propres enfants dans les deux langues le français avec leur père québécois, et l’anglais avec elle.

J’écris ce billet quelques jours après avoir fini le livre et je me rends compte qu’hélas, je garde plus dans mon souvenir le rejet de son milieu que le charme de savoir plusieurs langues.

Je trouve assez étonnant qu’elle ait réussi à surmonter son malaise de l’adolescence en se lançant à corps perdu dans l’apprentissage du français et pas dans l’anorexie qui lui tendait les bras si on comprend ce qu’elle subissait à table. Je me souviens aussi des différents professeurs de français qu’elle a eus, un homme seulement et de cette femme qui pendant tout son cours leur faisait réciter les conjugaisons des verbes ! Méthode au combien active, mais le plus bizarre, c’est qu’elle avoue avoir plus appris avec ce prof qu’avec celle, sympathique et vivante qui essayait de les faire parler ! Paradoxe intéressant !

Une femme remarquable qui a un nombre de récompenses incroyables pour ses traductions, elle a traduit de l’espagnol au français également et voulait découvrir l’allemand qui était la première langue de Kitchener qui s’est d’abord appelé Berlin. Mais la vie s’est arrêtée brutalement et elle n’en a pas eu le temps. Malgré mes réserves, je conseille ce roman à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à l’apprentissage des langues et au passage d’une culture à une autre.

 

Extraits

Début .

 Je voudrais que chaque page de ce livre soit la première page. Commencer par partout. Ça commence par partout, je pense. Tout me semble être le début. 
Mon nom n’est pas le nom de mon père.
Ma vie n’est pas la vie de ma mère.
Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour que ma mère ne puisse pas me lire.
 Si j’ai changé de vie et de langue maternelle, c’était pour pouvoir respirer alors que j’avais toujours étouffé. Je raconte ici l’histoire d’une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs.

Sa mère .

 Ma mère était grosse, mon père était gros, ma sœur était potelée, bientôt grosse. « You’re such à bony thing ! » disait ma mère je m’installais à sa table d’un air dégoûté et je touchais à peine à ses plats. J’avais horreur des viandes bon marché, à la fois coriace et étrangement molle, des pommes de terre et des carottes mijotées jusqu’à la fadeur jaunâtre dans le jus de cuisson. J’avalais un à un les petits pois en boîte chacun avec sa gorgée de lait, comme des aspirines. Malgré les haut-le-cœur, il fallait terminer son assiette.
 Ne pas gaspiller, l’obsession. Si on reçoit un paquet, on le déballe avec soin, on défroisse ce papier et on le range avec le moindre bout de ficelle,  » ça peut toujours servir ». On mange les restes jusqu’à la dernière miette,  » c’est passé mais tout de même m ». Pieds qui puent à cause des chaussures bon marché, vêtements choisis sur le présentoir « 2 pour 1 » : deux moches valent mieux qu’un beau.

Le pire c’est d’aller dans ces musées et de ne rien voir.

 Mes parents et, je crois aussi, ma sœur, ont vécu et sont morts sans mettre les pieds dans un musée d’art. Je les ai jugés sévèrement pour cette raison. Maintenant je pense aux barrières qui font qu’on n ‘entre pas dans certains endroits même si la porte en est ouverte 

Qui est l’autrice  ?

Mon histoire, c’est une histoire d’ascension sociale, de honte et d’orgueil, d’une fille qui mène la bataille de sa mère, d’une mère défaite par la victoire de sa fille.

Le titre ;

Who do you think you are ? You’re nobody special. Rengaine de ma mère devant mon désir -insultant, blessant, incompréhensible – d’un ailleurs.
« Pour qui te prends tu ? » la phrase est plus profonde qu’elle n’en a l’air. Si on l’entend vraiment comme une question, et non une rebuffade (« tu n’es pas aussi bonne que tu le penses ») , elle signifie qu’on peut se prendre pour quelqu’un d’autre et se transformer. 

 

 

 


Édition le livre de poche , 347 pages, septembre 2021

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques

Un roman chaudement recommandé par la blogosphère (par exemple Ingannmic , Je lis je Blogue ) et je comprends pourquoi. Nous allons suivre douze personnes indiennes ou ayant du sang indien, qui doivent se retrouver pour un grand « Pow-Wow » à Oakland. Je ne connaissais pas ces manifestations qui permettent aux Indiens de se retrouver entre eux en chantant et en dansant. Visiblement, ces manifestations ne sont pas uniquement folkloriques, elles font du bien aux participants qui ont si peu l’occasion de se sentir fiers de leurs origines.
Bien loin des images habituelles d’Indiens vivant dans les réserves en peine nature, nous sommes avec des urbains qui ont tous connu des graves difficultés. L’alcool, la drogue, la violence sont le quotidien des ces gens. À aucun moment, l’auteur ne cherche à simplifier les problèmes que ces êtres mal dans leur peau créent ou qu’ils rencontrent. Le passé est comme un poids énorme qui pèse sur leurs personnalités, cela permet à l’auteur de raconter les différentes exterminations dont les tribus indiennes ont été les victimes, et de faire prendre conscience que leurs difficultés actuelles, même si ces gens font parfois des actes violents cela est si peu de choses à côté de ce dont ont été victimes leurs ancêtres.

Mais si tous viennent à cette cérémonie dans un esprit de communion, malheureusement certains ont d’autres projets, et auront comme projet d’arriver avec des armes pour voler l’argent qui doit récompenser les participants aux différents concours de chants et de danses.

On suit au plus près le destin des jeunes qui souvent sont élevés sans père, ou avec des pères violents, des femmes qui ne sont pas capable d’être mères mais qui ont quand même des enfants. Comme Tony qui a été porté par une mère alcoolique et qui souffre donc du Syndrome d’Alcoolisation Fœtale, sa mère est en prison et hélas il va essayer de gagner de l’argent avec la drogue.

Chaque chapitre porte le nom d’un personnage qui va participer au « pow-wow » , positivement ou pour détruire. Tout le roman monte vers la catastrophe qui était annoncée dès le début. Un très beau roman, pour lequel j’ai une réserve car c’est compliqué de passer d’un personnage à l’autre puis de le retrouver. On passe, non seulement d’un personnage à l’autre, mais d’une histoire à une autre, cet éparpillement est à l’image de la façon dont vivent les Indiens d’aujourd’hui qui ne sont plus une communauté, ils vivent en effet en ville et le plus souvent dans des situation marginales ou la limite de la marginalité. Cet éparpillement ne facilite pas la lecture. J’ai dû faire de gros efforts pour garder à l’esprit l’engrenage fatal dans lequel l’auteur plonge son lecteur. Mais j’ai beaucoup aimé la façon dont chaque personnage est décrit.

 

 

Extraits

Début.

 Il y avait une tête d’Indien la tête d’un Indien, le dessin de la tête d’un Indien aux longs cheveux parée d’une coiffe de plumes d’aigle, dessinée par un artiste anonyme en 1939 et diffusée jusqu’à la fin des années soixante-dix sur tous les écrans de télé une fois les programmes terminés. Cela s’appelait la Mire à tête d’Indien. Si on laissait la télé allumée, on entendait le son d’une fréquence de 440 hertz -celle servant à accorder les instruments- et on voyait cet Indien, entouré de cercles pareils à ceux de la lunette de visée d’un fusil. Il y avait ce qui ressemblait à une cible au sens de l’écran, et des chiffres comme autant de coordonnées.

Exemple de massacres.

 En 1637 entre quatre cents et sept cent Pequots se rassemblèrent comme chaque année pour la Danse du Maïs vert. Les colons encerclèrent leur village l’incendièrent et abattirent tout Pequot qui tentait de s’échapper. Le lendemain, la colonie de la baie du Massachusetts organisa un banquet pour fêter l’évènement, et le gouverneur proclama un jour d’action de grâce. Ce type d’action de grâce survenait partout, chaque fois qu’il y avait ce qu’il fallait bien appeler « un massacre couronné de succès ». On raconte qu’au cours d’une de ces fêtes à Manhattan, les habitants célébrèrent l’évènement à travers les rues en donnant des coups de pied dans les têtes d’Indiens, comme s’il s’agissait de ballons.

Le Syndrome d’Alcoolisation Fœtale.

 Devant la télé juste avant de l’allumer, j’ai vu le reflet sombre de mon visage. C’est là que je l’ai vu pour la première fois. Mon vrai visage, celui que voyaient tous les autres. Quand j’ai posé la question à Maxine, elle m’a dit que ma mère buvait quand j’étais dans son ventre, et m’a dit très lentement que j’avais le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Le titre.

 Cette citation est importante pour Dene. Ce « là, là ». Il n’avait pas lu Gertrude Stein en dehors de cette citation. Mais mais pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie le verre, le béton, le fer faire et l’acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n’y a pas de là, là :ici n’est plus ici.

Réflexion sur le temps.

 On ne l’a pas, le temps mon neveu. C’est le temps qui nous a. Il nous tient dans son bec comme le hibou tiens un rat des champs. On frissonne. On se débat pour qu’il nous relâche, et lui nous picore les yeux et les intestins pour se nourrir, et on meurt de la même mort qu’un rat des champs.

Réflexion sur le suicide des Indiens

Des jeunes sautent par la fenêtre d’immeuble en flamme et trouvent la mort. Et nous pensons que le problème c’est qu’ils sautent. Voilà ce que nous avons fait : nous avons tâché de trouver un moyen de les empêcher de sauter. Nous les avons convaincus qu’il vaut mieux brûler vif que s’en aller dès que les ennuis deviennent trop brûlants. Nous avons condamné les fenêtres et installer de meilleurs filets de protection pour les rattraper, nous avons trouvé de meilleures façons de les convaincre de ne pas sauter. Ils décident qu’il vaut mieux être mort et enterrer que vivant dans ce monde que nous avons façonné pour eux et dont ils ont hérité. 

Les pow-wows.

 Nous avons organisé des pow-wows parce que nous avions besoin d’un lieu de rassemblement. Un endroit où cultiver un lien entre tribus, un lien ancien, qui nous permet de gagner un peu d’argent et qui nous donne un but, l’élaboration de nos tenues, nos chants, nos danses, nos musiques. Nous continuons à faire des pow-wows parce qu’il n’y a pas tant de de lieux que cela où nous puissions nous rassembler, nous voir et nous écouter.


Édition L’Iconoclaste 135 pages janvier 2024.

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je n’avais encore lu aucun livres de cette écrivaine prolifique, poétesse et romancière, je ne suis pas certaine de revenir vers elle.

Ce livre décrit l’horreur, l’horreur pour l’horreur, on ne sait pas de quelle horreur il s’agit, en tout cas pas moi car je n’ai pas le don de divination du fils toujours écrit en italique comme sa mère.

Tous les deux ont des dons de guérisseur, mais sa mère est trop vieille pour les exercer, alors elle envoie son fils dans le village du Fond du puits (quel nom charmant !) où des choses horribles se sont passées autrefois.
Le fils ressent dans son corps toutes les souffrances des femmes violentées par des hommes cruels. Celui qui vient de faire appel à ses dons a un fils beau comme un ange mais qui se meurt. Grâce à ses dons l’enfant vivra, mais le fils ayant découvert aussi tous les crimes du père, punira celui-ci en rendant son fils hideux
L’histoire a assez peu d’importance tout l’intérêt de ce tout petit livre vient de l’écriture au service de l’horreur et du mal absolu. Mais, hélas pour moi, j’ai trouvé les effets poétiques à la limite du ridicule .

Extraits

Début après le prologue.

 À mi- pente, l’odeur du sang et des trembles mouillés lui parvint. Il avait marché longtemps : la journée finissait à mesure que la colline, derrière lui, s’arrondissait et qu’une autre, devant lui, s’élevait. Le hameau gisait là, sous ses yeux abîmés par la bruine, il voyait un filet de maisons gris et noir de part et d’autre de ce qui ressemblait à une rivière, si étroite qu’elle disparaissait presque dans les arbres.

Le fils voit les horreurs du passé.

 L’arche est criblé de lucioles : le « fils » voit qu’ici, sous cette orbe scintillant, des hommes ont été pendus, trois ou quatre. Les pieds nus et les dents arrachées. Il perçoit un vieillard aux mains brisées par d’autres hommes, deux garçons aux épaules larges et solides pour qui on a doublé les cordes, et un jeune de presque dix-huit ans à l’allure chétive, celui-là ressemble à une poupée, il est maigre et ses jambes, bleuies par les coups se balancent au-dessus de l’eau comme des branches sans fleurs.

Ridicule ou poétique ? comme vous voulez.

La femme aux fusils : ses yeux flamboient. Le « fils » à devant lui la colère, la vraie, vivante et vivace, furieuse et superbe. Il se noie dans les deux trous verts de plume, verts de feuillage et d’orage, luisant au-dessus du canon. Une masse de cheveux bruns, plus clairs que ceux de la vieille, plus épais aussi, encadrant le regard, des mèches sèches et noueuses tournent sur elles-mêmes, on y perdrait sa main comme dans des ronces.

 

 


Édition Acte sud, 200 pages, Janvier 2024

Traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Je lis ce livre le premier mai 2024, jour de la mort de Paul Auster, il résonne de façon très particulière car il s’agit justement, d’un roman sur la mort et la difficulté de rester dans le monde des vivants d’un auteur appelé Baumgartner marié à une Anna Blum . L’avoir lu ce jour là, en a changé complètement la perception. Tous les passages sur la mort et le deuil résonnaient comme des phrases prémonitoires et me rendaient triste car je comprenais que ce serait là le dernier roman que je lirai de cet auteur qui a accompagné ma vie de lectrice (avant Luocine).

Baumgartner est un auteur vieillissant qui perd pied dans la lutte pour rester dans le monde des vivants. Le récit commence par ce que les américains appellent un « bad-day » : alors que l’auteur est en train d’écrire, il s’arrête parce qu’il sait qu’il doit appeler sa sœur, il se rend dans la cuisine, il voit qu’il a oublié une casserole sur le gaz, il se brûle en la prenant à pleine main, on sonne à la porte, un homme vient pour vérifier le compteur comme ce contrôleur est nouveau, il descend avec lui dans la cave en oubliant que sa main est brûlée, il tombe en voulant se retenir à la rampe et se se fait très mal…

Si je vous raconte ce début, c’est qu’une grand partie des journées de l’écrivain sont ainsi composées de faits qui s’enchâssent les uns dans les autres et qui montrent que l’homme vieillissant oublie souvent son projet initial. Ce qu’il n’oublie pas, en revanche, c’est son amour pour Anna, sa femme qu’il a aimée avec passion. Une femme libre et poétesse dont la mort violente l’a terrassé. Elle a été écrasée par une vague trop violente alors qu’il venait de lui conseiller de ne pas retourner se baigner. Dix ans plus tard, une femme beaucoup plus jeune lui redonnera le goût de l’amour, mais leurs différences d’âge et de vie les feront se séparer. Et à la fin du livre, on verra une jeune doctorante s’intéresser enfin à l’oeuvre d’Anna.
Vous l’avez compris, nous errons dans les pensées de ce vieil homme, le frère en littérature de l’écrivain (avec un certain humour car Paul Auster n’a pas écrit de romans sur… la roue !), et je sais que, beaucoup d’entre ses lecteurs, ont trouvé ce roman moins intéressant que ses autres livres. Je ne peux pas en juger, car j’étais trop émue en le lisant. Si je peux me permettre un avis contraire à ces spécialistes de l’oeuvre de ce grand écrivain, je trouve que c’est injuste de comparer cet ultime roman à ceux qu’il a écrit alors qu’il était en pleine possession de tous ses moyens. Pour moi ce roman est un petit chef d’oeuvre qui décrit si bien la vieillesse. La perte des êtres chers, la difficulté du quotidien, le détachement des biens de ce monde, la modernité qui nous dépasse et nous exclut du monde des actifs, l’esprit qui part en campagne et qui revient sans cesse sur les moments du passé heureux ou malheureux. Il est possible que cela intéresse moins la jeunesse qui justement est dans l’autre partie de sa vie, mais toutes celles et tous ceux qui, comme moi, ont lu cet auteur tout au long de leur vie ne peuvent qu’être émus par ce roman. Car on se retrouve tellement dans ce livre, pour moi, il s’agit d’une réflexion à portée universelle sur le vieillissement, que l’on soit puissant, riche, pauvre, intellectuel ou pas, on se trouve tous confronter aux mêmes voyages dans nos pensées. (Bien sûr l’argent aide au confort de vie, mais ce n’est pas le sujet du roman.)

Un coup de coeur pour ce livre, mais aussi une grande tristesse de savoir que je ne lirai plus de nouveaux romans de Paul Auster,( je sais que je peux relire les anciens, je le ferai sans doute) .

Extraits

Début.

Baumgartner est assis à son bureau dans la pièce du premier étage qu’il désigne parfois comme son bureau, son « cogitorium » ou son trou. Stylo en main, il est engagé à mi-chemin dans une phrase du troisième chapitre de sa monographie sur les pseudonymes de Kierkegaard quand il lui apparaît que le livre qui a besoin de citer se trouve en bas au salon, où il l’a laissé avant de monter se coucher la veille.

Le deuil de sa femme .

Baumgartner continue à sentir, aimer, désirer, à vouloir vivre mais son intériorité la plus intime est morte. Il le sait depuis dix ans, et durant ces dix ans il a fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour ne pas le savoir. 

Texte prémonitoire .

 Il pense aux mères et père vivant le deuil de leurs enfants défunts, aux enfants vivant celui de leurs parents, aux épouses vivant le deuil de leurs maris, aux époux celui de leurs femmes, et à la ressemblance entre leur souffrance et les effets consécutifs à une amputation, car la jambe ou le bras manquant était jadis attaché à un corps vivant, la personne disparue à une autre personne vivante, et si vous êtes le survivant, vous allez découvrir que la partie de vous amputée, la partie fantôme, peut toujours être source d’une douleur profonde et sacrilège.

Les affres de l’écrivain.

 Un an et un mois plus tard Baumgartner est assis au même bureau dans la même pièce, à se demander s’il doit garder la phrase qu’il vient d’écrire ou la raturer pour recommencer. Il la rature, mais avant de recommencer il se soulève de son fauteuil, marche jusqu’à la fenêtre ouverte et regarde de jardin en bas, à l’arrière de la maison.

L’amour .

 Un petit sourire à l’automne, une deuxième rencontre fortuite au printemps, et maintenant un grand sourire : c’était là tout ce qui s’était passé jusqu’alors, et pourtant on eût dit que nous nous connaissions déjà depuis un moment, et peut-être était-ce le cas, car il était évident que chacun de nous avait continué à penser à l’autre de temps en temps au fil des nombreux mois entre alors et maintenant, et à présent que le sort nous avait de nouveau réunis, je sentis que nous étions également déterminés à ne pas tout foirer de nouveau en laissant ce moment disparaître.

Caractère d’Anna.

 Peu importait qu’elle ait tort ou raison, puisqu’elle avait toujours raison même quand elle avait tort, et Baumgartner avait vite appris que la capitulation était la seule défense raisonnable, car une fois qu’il s’était rendu, la dispute prenait fin et était oubliée en quelques secondes. 

C’est fou de lire cela le jour où on annonce la mort de Paul Auster.

 Qui sait si ce n’est pas la dernière belle journée qu’il verra jamais, ou sa dernière journée tout court d’ailleurs ? Non qu’il s’attendent à tomber mort avant le réveil des oiseaux demain matin, mais les faits sont les faits, et les chiffres ne mentent pas. Il a soixante et onze ans, un anniversaire de plus profil dans six semaines exactement, et une fois qu’on est entré dans cette zone de diminution de rendement tout peut arriver.


Édition folio mai 2023, 355 pages, paru en 1947

 

Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie

Les livres se suivent sur Luocine et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils sont de valeurs inégales !

L’épidémie du Covid et ma volonté de faire découvrir ce roman à mon petit fils qui est en seconde et n’aura aucun cours de français pendant un trimestre m’a conduit à relire ce roman classique. (Professeure malade non remplacée ! )

Je trouve que ce livre a encore sa place dans la formation intellectuelle des jeunes lycéens. Camus posent des questions qui sont encore d’actualité et la tension romanesque me semble bien menée. Enfin, pour savoir si ce roman plaît encore à la jeunesse actuelle, je laisserai Rémi en juger.

Tout le monde sur la blogosphère a, je suppose, lu ce roman : Camus imagine que la peste s’abat sur la ville d’Oran, et il décrit les réactions des différents personnages qui sont représentatifs d’une population « ordinaire » d’une grande ville. Le chroniqueur de cette Peste, on le saura à la fin c’est le docteur Rieux, impliqué dès le début dans la lutte contre ce qui, au départ, est une épidémie, puis sera appelée « la peste ».au chapitre 4.

Le livre est divisé en cinq parties, un peu comme une pièce de théâtre avec une montée de l’angoisse au fil des statistiques du nombre de morts. Et souvent les chapitres sont consacrés à tel ou tel personnage et à ses réactions face à l’épidémie.

Camus a, lui-même, déclaré que ce roman lui avait été inspiré par la deuxième guerre mondiale qu’il venait de vivre en s’engageant fortement dans la résistance. On peut donc lire ce livre en analysant les réactions de chacun face à un évènement traumatisant qui touche l’ensemble de la population. Et justement nous venons de vivre une épidémie qui nous a valu un confinement de l’ensemble de la population. Et la menace Russe est à nos portes avec la guerre qui touche un pays européen.

De la même façon que les autorités d’Oran mettront beaucoup de temps à voir les signes avant coureurs de la peste, rappelez vous des messages de la haute autorité médicale à propos du Covid  : simple gripette, les masques sont pour les professionnels de santé, et surtout la certitude que si les Chinois sont très atteints c’est qu’ils sont tellement moins en avance que nous pour les soins médicaux, vous vous souvenez de tout cela bien sûr, alors vous ne serez pas étonnés des tergiversations de l’administration d’Oran pour reconnaître le danger de l’épidémie.

Et, puisque Camus fait un parallèle avec la guerre et la montée du nazisme en Europe, qui a vu clairement dans la volonté de Poutine d’annexer l’Ukraine ce qui semble si évident aujourd’hui, la volonté de recréer l’empire soviétique.

Camus reprend dans ce roman des thèmes qui lui sont chers et auxquels les jeunes peuvent être sensibles : avec Tarrou la lutte contre la peine de mort, avec les prêches du prêtre Pandelou qui révoltent tant Rieux (et rappelle la colère de Meursault dans « L’Étranger ») car expliquer la peste comme un juste châtiment des fautes humaines est inacceptable pour le médecin qui voit des hommes bons ou mauvais souffrir de la même façon, la difficulté de communiquer et de s’exprimer sans quiproquo possible à travers le personnage de Grand, les bonheurs simples des hommes lors du bain de mer…

Je n’avais pas remarqué la première fois que j’ai lu ce roman à quel point « L’étranger » et « la peste » reprennent les mêmes thèmes et les mêmes personnages. Le docteur Rieux est un double de Meursault si on lui adjoint Tarrou, Cottard ressemble à Raymond Sintes, le vieil homme qui crache sur les chats est aussi perdu que Salamano à la mort de son chien lorsque les chats ont disparu. et on retrouve aussi le moment heureux du bain de mer.

La grande différence avec l’étranger, c’est que la proximité de la mort unit les hommes dans une lutte qui ressemble fort à celle que Camus a été amené à conduire dans son groupe de résistance. C’est la raison pour laquelle je trouve « La Peste » moins désespéré que le son précédent roman. Il se dégage un véritable humanisme et une confiance dans les capacités des hommes ordinaires (bien loin de l’idée que l’on se fait d’habitude de l’héroïsme) pour lutter contre un danger mortel ce qui fait du bien en périodes difficiles.

Pourquoi est ce que je ne mets pas cinq coquillages à ce grand classique ? Parce que je le trouve trop démonstratif à mon goût d’aujourd’hui , en revanche j’ai encore beaucoup apprécié la tension romanesque provoquée par la montée en puissance de l’épidémie. Et enfin une dernière remarque, Camus décrit une ville algérienne avec des quartiers pauvres mais sans arabes, étrange, non ?

 

Avis de Rémi (élève de seconde)

J’ai apprécie « la Peste » d’Albert Camus, car on voit l’évolution de cette maladie et cela me fait énormément penser à la pandémie du Covid 19. Les réactions des personnages sont, sur certains points, semblables aux réactions des français (officiels ou ordinaires) pendant la pandémie .

 

Extraits

Début.

Les curieux évènements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194. , à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.

 l’opinion publique.

« L’opinion publique, c’est sacré : pas d’affolement, surtout pas d’affolement »

 

La peste, la guerre.

Quand une guerre éclate, les gens disent :  » ça ne durera pas c’est trop bête, mais cela ne l’empêche pas de durer.  » 

Difficulté de convaincre l’administration.

– Sincèrement, dites moi votre pensée, avez vous la certitude qu’il s’agit de la peste ?,
– Vous posez mal le problème. Ce n’est pas une question de vocabulaire, c’est une question de temps.
– Votre pensée, dit le préfet , serait que, même s’il ne s’agit pas de la peste, les mesures prophylactiques indiquées en temps de de peste devraient cependant être appliquées ?
– S’il faut absolument que j’aie une pensée , c’est en effet, celle-ci.

La peine de mort

Vous n’avez jamais vu fusiller un homme ? Non, bien sûr, cela se fait généralement sur invitation et le public est choisi d’avance. Le résultat est que vous en êtes resté aux estampes et aux livres. Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non ! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné ? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine ? Savez-vous qu’à cette courte distance, les fusilleurs concentrent leur tir sur la région du coeur et qu’à eux tous, avec leurs grosses balles, ils y font un trou où l’on pourrait mettre le poing ? Non, vous ne le savez pas parce que ce sont là des détails dont on ne parle pas. Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie pour les pestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir. Il y faudrait du mauvais goût, et le goût consiste à ne pas insister, tout le monde sait ça. Mais moi je n’ai pas bien dormi depuis ce temps là. Le mauvais goût m’est resté dans la bouche et je n’ai pas cessé d’insister, c’est-à-dire d’y penser.

L’adaptation humaine.

Nos concitoyens s’étaient mis au pas, ils s’étaient adaptés, comme on dit, parce qu’il n’y avait pas moyen de faire autrement. Ils avaient encore, naturellement, l’attitude du malheur et de la souffrance mais ils n’en ressentaient plus la pointe .

Héroïsme .

Eh bien, moi, j’en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l’héroïsme, je sais que c’est facile et j’ai appris que c’était meurtrier. Ce qui m’intéresse, c’est qu’on vive et qu’on meure de ce qu’on aime 

la fin.

Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses et que, peut-être, le jour viendrait où pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.


Édition Robert Laffont, 204 pages, février 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Cela fait longtemps que je n’ai pas lu un roman aussi facile à lire et aussi décevant. Les deux à la fois, aucune aspérité dans le récit qui se déroule sur fond du deuil de la meilleure amie de la narratrice et des mariages que celle-ci doit organiser. J’ai souri quand même aux organisations des mariages et c’est ce qui rend ce roman digne des pires « roman à l’eau de rose », un peu supportable. Et puis, bien sûr, il faut satisfaire à l’air du temps, donc nous avons une femme transgenre rejetée par sa famille qui n’a pas accepté la transformation en femme de ce garçon malheureux dans sa peau masculine, nous avons un mariage homosexuel, un renouvellement des vœux de mariage d’un couple qui a caché sa séparation à leurs enfant, je pense que décrire un mariage de gens qui s’aiment ne ferait pas assez romanesque.

La narratrice a aimé avec passion sa meilleure amie qui, mariée, a eu une petite fille dont elle est la marraine, le père part en Sicile pour être proche de sa famille, la narratrice raconte son amitié à travers des mails destinés à l’enfant quand elle sera plus grande et cela permet de raconter le passé.

Tout est lisse dans ce roman , une succession de clichés, mais je le reconnais assez bien racontés. Les traditions siciliennes, la cuisine italienne, la jalouisie d’une grande soeur, les couples qui vont mal … Si vous êtes épuisé par le monde contemporain et ses violences, gardez une heure ou deux pour vous plongez dans le monde tout en sourire de Serena Guliano. je vous donne les mots de la fin mais ne les lisez pas si vous avez envie de lire ce roman car vous risquez de fuir  :

Fin à moins que …

et page suivante

les adresses mails de Valentina et Bianca existent.

Alors, si vous souhaitez leur écrire pour échanger avec elles, et pour que l’histoire continue, vous savez où les trouver

Extraits

Début.

 Cela fait un mois que ma vie a basculé. Un mois que je vis avec une douleur constante sur la poitrine, et un trou béant dans le cœur.

Le plaisir de son métier .

 C’est exactement pour cette effervescence des heures qui précèdent la cérémonie que je fais ce métier et que je vibre. C’est ce moment précis où les mois de travail, de réflexion, de prise de tête, de négociations, d’angoisse et de petites victoires prennent tout leur sens. Ce moment où mes projets deviennent enfin réels et se concrétisent. J’ai l’impression que, chaque fois, je réalise mon rêve de petite fille.

 

 

 


Édition 10/18, 402 pages, septembre 2013 

traduit de l’anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié

Je sais que j’ai acheté ce roman après avoir lu un billet sur un de vos blogs , j’espère que vous me direz dans les commentaires si vous l’avez lu. Le roman raconte l’histoire tragique d’une famille qui vit la disparition d’une petite fille de cinq ans. Son grand frère et sa grand soeur, l’ont laissé se baigner dans une carrière remplie d’eau pendant qu’ils allaient chercher des baies dans la forêt. Les deux aînés se sentent responsables de la disparition de leur petite soeur.
Leur père a disparu en même temps, mais il l’a fait souvent, seulement cette fois il ne revient pas. La mère des enfants est incapable de réagir la famille s’enfonce dans le désespoir. L’auteure raconte cette tragédie en mêlant plusieurs temporalité, la plus ancienne, le temps où les esclaves ont creusé cette carrière au prix de tant de souffrance et de leur vie pour construire des belles maisons aux propriétaires blancs . Elle est maudite cette carrière, car elle connaît un drame qui a marqué la jeunesse du père de Willet et de Roberta les aînés qui ont laissé seule leur petite soeur. Le lien de toute ces vies meurtries c’est celle qui pense être leur grand-mère Clémentine qui aide les femmes à accoucher ou à avorter. Les enfants partiront dans le sud de la Floride où enfin ils trouveront des réponses.

Tous les personnages vivent en marge de la légalité, leur père fabrique des faux billets, et Willet gagnera de l’argent trop facilement dans des trafics de drogue. La grand-mère Clémentine soigne par les plantes des gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas aller voir des médecins officiels, et fait des avortements pour aider des femmes ou aide les femmes à confier leur bébé à des familles d’adoption. Ce roman décrit bien l’ ambiance si particulière du sud des USA, et bien sûr ce qui sous tend ce roman c’est le racisme contre les noirs et des gens qui ont du sang noir, ils ont si peur que les traits physiques des noirs réapparaissent chez leur enfants, car ils connaissent le rejet dont ils seront alors victime.

J’ai eu du mal à me plonger dans ce roman mais peu à peu j’ai été prise par le rythme du récit, un de mes freins pour aimer complètement ce roman, c’est le personnage de Roberta qui semble toujours être à côté de la plaque, deux exemples : elle ne dit pas ce qu’elle a vu le jour de la disparition de la petite soeur, elle veut absolument annoncer la découverte que son père est vivant alors que son frère veut lui annoncer son mariage. Elle semble une éternelle enfant ou adolescente ! En revanche, la description de la nature rend ce roman très beau même quand celle-ci est inhospitalière .

 

Extraits :

Début.

White Forest, Mississipi 
1976
 On était en août et il faisait plus chaud, bizarrement, qu’en juillet ; une chaleur lourde, étouffante qui nous laissait poisseux et nous empêchait de dormir même au plus noir de la nuit. Il pleuvait presque tous les après-midi dans le delta du Mississipi, de violents orages dans des ciels gris tendre. La pluie aurait dû nous soulager, mais dès que les nuages se dispersaient, laissant poindre le soleil, une vapeur s’élevait de l’herbe desséchée, du bitume craquelé et des champs bruns et il faisait encore plus lourd.

Portrait du père.

 Il apparaissait et disparaissait sans prévenir. Nous étions censés être content de le voir, et en général nous l’étions. Papa était charmant, comme les hommes malhonnêtes sont obligés de l’être, et trop beau pour son propre bien. Il ressemblait à si méprendre à Paul Newman. Il le disait lui-même.

Après l’appel à la télévision .

 Tous les jours des gens appelaient chez nous pour dire qu’ils avaient vu Pansy dans une supérette à Shreveport ou un centre commercial en Alabama. Un homme a appelé pour dire qu’il détenait Pansy et qu’elle allait bien, il ne fallait pas s’inquiéter. Une gamine, jouant une farce cruelle, a voulu se faire passer pour notre sœur elle criait dans le téléphone : « Maman viens me chercher ! je suis toute seule ici ! » Willet a arraché le combiné des mains de maman et à jurer à son adresse jusqu’à ce que l’enfant à l’autre bout du fil éclate en sanglots et raccroche.
 Une femme se prétendant médium a affirmé que Pansy se trouvait entre les mains d’un méchant homme. Elle disait qu’elle pouvait la trouver et la libérer de son emprise si maman lui envoyait trous cent trois-trois dollars dans les trente-trois heures le chiffre 3 avait une importance particulière mais je n’ai pas retenu les explications. Maman a voulu s’exécuter, mais Willet l’en a dissuadée. Les policiers l’ont félicité.
 » C’est une arnaque, à expliquer le maigrichon. Ça loupe pas chaque fois qu’une personne disparaît. »

Un des drames du roman.

 Lui et Fern avaient huit ans quand leur père les abandonna sur le bord de la route. On l’appelait Junior à l’époque, le premier des nombreux surnoms qui lui colleraient à la peau toute sa vie.  » Prend soin de ta sœur », lui avait recommandé son père avant de monter dans un train en direction du nord. Ils ne se désolèrent pas de son départ. Ils en étaient encore à se faire à la perte de leur mère.

Le caractère de leur mère .

 Et la vérité n’avait jamais intéressé maman. Elle couvrait la part sombre de notre père d’un joli glaçage comme elle l’aurair fait avec un gâteau au ccaramel. Elle ne pouvait pas supporter de regarder tout ce qui était laid ou douloureux.

Les paysages de Floride.

 Les palétuviers poussaient de travers malgré leurs hauteurs et, dans les zones où l’eau était moins profonde, je voyais que les racines formaient une masse enchevêtrée comme des lianes. Nous avons flotté pendant un moment dans une mare stagnante bordée d’herbe. Il faisait chaud pour une mi-janvier. Les moustiques sifflaient constamment. Un poisson a fait un bon en l’air. Un oiseau a lancé un appel dans les arbres. Une araignée tissait sa toile dorée sur une souche. Partout où je regardais, l’atmosphère était dense lourde et grouillante de vie. Nous avons traversé une nuée de moucherons et j’ai manqué laisser échapper ma pagaie en tentant de les écarter. Les feuilles, les branches et les fragments de mousse qui pendouillaient semblaient s’avancer pour nous caresser au passage. Les troncs d’arbres étaient recouverts de plaques de mousse vert fluorescent.

 

 

 


Édition La peuplade Roman, octobre 2023, 190 pages, 

traduit du Croate par Chloé Billon

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

En un peu moins 200 textes assez courts, souvent moins d’une demi page, cette auteure veut nous faire comprendre les horreurs de la guerre qui a vu s’affronter les Croates et les Serbes au début des années 1990. L’enfant a bien du mal à comprendre ce qu’il faut faire pour être du bon côté et elle a surtout envie de garder sa part d’enfance et de jeux avec ses amis. Toute guerre est certainement atroce et le pire certainement ce sont les guerres civiles qui voient s’entretuer des populations qui ont vécu ensemble de longues années. Il ne faut plus être Serbe, ni coco (communiste) ni garder un portrait de Tito. Pour être un bon Croate, il faut être baptisé .
L’enfant a bien du mal à comprendre et elle perçoit les horreurs sans les comprendre.

Je n’ai malheureusement pas beaucoup aimé le procédé, ni les chapitres si courts, ni le fait de découvrir cette réalité avec des yeux d’une petite fille. Peut-être suis-je passée à côté du charme de cette écriture ? Je verrai bien si vous, êtes plus positifs que moi sur ce roman.

 

Extraits

Début.

Lola
 Papy est allé derrière la maison, dans le jardin. Derrière la grange. On a quand même entendu le coup de feu. J’ai défait mon bandage et j’ai dit que j’irais à l’école le lendemain. Le matin, j’ai enlevé du portail de la cour le panneau « Chien méchant ».

Logique de l’enfant.

Trois garçons de la 7e A5 étaient allongés dans la neige bourrés
 » Je vais te tirer comme un lapin ! » à crié le papa de Mate.
Une paire de gifles, et il la rebalancé dans la neige. Il l’a tout de suite relevé et a dit on rentre à la maison. Sa mère avait l’air triste et tremblait de froid en tenant le vélo.
 Heureusement que le papa de Mate est venu à vélo parce que sur un vélo, tu ne peux pas à la fois rouler dans la neige et tenir un fusil à la main

Édition Noir sur Blanc, 229 pages, janvier 2024

Traduit du russe (Biélorusse) par Marina Skalova 

 

Que de dire de ce livre entre le roman et la biographie ? Qu’il est absolument insoutenable. Je pense que c’est la meilleure réponse que je puisse faire. L’écrivain Bliélorusse raconte la vi, plus ou moins fictionnelle, d’un personnage qui a existé (ou aurait pu exister) Piotr Nesterenko, qui est directeur du crématorium de Moscou. Il est arrêté en 1941 et accusé d’espionnage

À travers six interrogatoires, l’enquêteur de la Tcheka, le KGB de l’époque, essaie d’étayer la thèse du complot et veut faire de cet homme un espion. C’est alors l’occasion pour l’écrivain de mêler le passé aventureux de ce personnage avec tout ce que lui a appris son travail au crématorium. Pour être rapide disons qu’il sait que tout le monde, absolument tout le monde peut finir avec une balle dans la tête , il les a tous vous défiler dans son crématorium, les acteurs célèbres, les poètes, les généraux, les bourreaux d’hier assassinés par de nouveaux bourreaux qui ne sont à l’abri de rien !

Son passé est celui d’un noble russe pris dans la tourmente de la révolution. On découvre que l’armée blanche ne valait guère mieux que l’armée rouge. Les populations qui ont subi les deux ont vu défiler des assassins et ont perdu confiance dans les valeurs de l’humanité. Et ce qui restait d’illusions au personnage principal est parti en fumée dans son crématorium ?

Cette lecture est éprouvante, on passe d’une horreur à l’autre avec un ton faussement dégagé qui m’a été souvent insupportable, si je ne m’était pas engagée à lire ce livre pour en parler à la bibliothécaire de Dinard, j’aurais abandonné cette lecture. Cela ne veut pas dire que ce roman ne soit pas intéressant, mais il est très difficile à lire car nous devons passer à travers les cerveaux tortueux de l’enquêteur et de Piotr Nestrenko qui connaît son sort mais joue avec les nerfs de son tortionnaire et hélas les miens aussi. Comment la Russie peut devenir autre chose qu’une usine à horreurs ? Il ont vraiment tout imaginé et hélas Poutine n’est qu’un avatar des dirigeants de ce pays d’où rien de bon ne semble possible de venir !

Extraits

Début.

 La perquisition et l’arrestation ont lieu le 23 juin 1941. En six heures l’affaire est pliée. Un travail de routine, mais tout le monde est sur les nerfs. La guerre a été déclarée depuis à peine vingt-quatre heures. Tandis que la forte terrestre de Brest résiste à la déferlante inouïe de la machinerie nazie la capitale de l’Union Soviétique est touchée par une vague de disparitions secrètes.

Exemple de purges.

 Le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement cent onze mille quatre quatre-vingt-onze citoyens).

Réussite en URSS en 1941.

 À l’heure où ses pairs partent mourir en rangs serrés dans les boucheries à venir, cette souris grise tamponne assidûment une condamnation à mort après l’autre. L’enquêteur Perepelitsa vient d’être récompensé par un appartement à Moscou rue Gorki. Il ne s’est pas battu pour rien.

Des horreurs présentées comme banales.

 Certains rapportent qu’après les exécutions il organise des beuveries (ce qui est vrai), d’autres qu’il s’approprie quelquefois les vêtements des condamnés (ce qui l’ est aussi). Quoi qu’il en soit, je ne vois rien de répréhensible ni dans le premier ni dans le deuxième cas de figure. Même en Union Soviétique, chaque produit a un coût. Tout travail mérite salaire. Il faut bien comprendre que, d’une part, Vassili Mikhaïlovitch fait un travail pénible (parfois il doit fusiller plusieurs centaines de personnes en une nuit) et d’autre part …est-ce vraiment si grave qu’un imperméable ou, disons, un joli gilet vivent leur meilleure vie sur ses épaules ou celle de sa femme ? « Pourquoi faire toute une histoire pour les affaires des autres ? ».me dis-je parfois.
S’il faut se soucier de quelque chose, c’est plutôt de la pénurie qui règne dans notre pays. Si Blokhine pouvait acheter ses jolis vêtements dans les magasins, les soustrairait-il aux cadavres pour les offrir à sa femme ?

 


Édition Stock, Janvier 2017, 322 pages

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Le thème du mois de Mai de mon club était : « l’aristocratie ». Ce livre y avait donc toute sa place. Le début du roman m’a réjoui car l’auteur sait manier l’autodérision avec beaucoup de brio. Mais au bout d’un moment je me suis beaucoup ennuyée, dommage !

L’histoire raconte la destinée de François de Rupignac rejeton d’une famille de la vieille noblesse française. On se dit que Louis-Henri de La Rochefoucault n’a pas eu à chercher trop loin ses modèles pour raconter une famille « de la haute » . Le début est vraiment drôle, la grand-mère indigne tellement décalée, bien avant qu’Alzheimer fasse son effet, est un personnage qu’on imagine très bien. L’auteur s’amuse de tous les codes de l’aristocratie qui écrasent quelque peu ce jeune homme bien-né. Il décide avec son ami de lycée de créer « le club des vieux garçons » qui se réunira au Jockey club . (Je croyais que cette institution avait disparu mais non, la noblesse peut donc s’y retrouver, sans les femmes ! .

Je crois que c’est à ce moment là que j’ai commencé à m’ennuyer, c’est terrible car c’est le sujet même du roman. Mais je n’ai absolument pas compris ce que ce club apportait au roman, la galerie de portraits de sa famille m’aurait suffit.

J’avais oublié que j’avais tant aimé « Châteaux de sable » du même auteur, son humour m’avait alors ravie.

Extraits

Humour.

Une étudiante oubliée du siècle passé, Simone de Beauvoir, avait commis en 1958 une dissertation intitulée « Mémoires du jeune fille rangée ». Le niveau en était piètre. Au risque de lui défriser le chignon, j’ose affirmer, moi, François de Rupignac, qu’il est plusieurs urgent de lire mes « Mémoires d’un vieux garçon pas si rangé que ça ».

 

J’ai ri.

 Tous les mercredis j’allais goûter chez mes grands-parents dans leur belle appartement sis dans le VII arrondissement, ce quartier silencieux qu’on dirait que ces habitants mettent des patins pour sortir dans la rue.

La grand mère scrogneugneu .

 Elle avait l’art du caquetage scogneugneu et des réponses lapidaires, comme ce jour où, alors que je l’interrogeais sur le dîner auquel elle s’était rendue cette semaine là, elle m’avait lâché dans une grimace « Pouah ! Tout était froid sauf le champagne. »

La grand mère, toujours elle.

 Les vacances d’été n’ont pas été de tout repos : ma grand’mère a dû être hospitalisée et opérée d’urgence. Jusque-là elle se croyait immunisée par son sang bleu, qui faisait office selon elle de vaccin absolu et d’élixir de longue vie. 
 « Les toubibs ne respectent plus rien. Et là de quoi ai-je l’air, sur ce siège à roulettes ? Quand je pense que nous allions en carrosse doré, autrefois. Une chaise à porteurs passe encore. Un rocking-chair de repos, oui. Mais cette espèce de chariot, non, ça fait très manant, on dirait que tu rentres du supermarché avec un sac de patates… »