Édition Robert Laffont, 405 pages, mai 2024

Encore une déception, et pourtant j’avais tant aime « L’été des quatre Rois » et « L’air était tout en feu » , j’ai commencé ce roman avec tant d’attente, et j’étais certaine d’éprouver un plaisir comparable aux deux autres lectures. Seulement voilà, le talent de cet auteur n’y est sans doute pour pas grand chose, cette histoire ne m’intéresse pas beaucoup. J’ai eu l’impression de fouiller dans les poubelles de l’histoire. Et même les traits d’esprit dont Camille Pascal est passé maître m’ont lassée.
Pour une fois, je peux sans craindre la levée de bouclier des anti-divulgâcheuses raconter toute l’histoire car elle est connue de tout le monde. Une intrigante « la comtesse de la Motte Valois, pas plus comtesse, que n’importe quelle jolie femme de Paris vivant de ses charmes, décide de faire reconnaître son lignage « Valois » et pour cela tape à toutes les portes qui veulent bien s’ouvrir. Par chance, elle tombe sur une benêt de service : le cardinal de Rohan. Elle devient sa maîtresse et lui soutire de l’argent et même une petite rente. C’est une femme d’intrigues, menteuse et fort intelligente. Comprenant que le cardinal souffre de sa disgrâce auprès de Marie-Antoinette, elle lui fait croire qu’elle peut l’aider à communiquer avec la Reine. Pour cela, elle utilise les services d’un faussaire qui écrit de fausses lettres signée Marie-Antoinette au Cardinal. Mais celui-ci s’impatiente et veut concrétiser ses investissements financiers, car il donne beaucoup d’argent à la comtesse, soi-disant pour les œuvres de la Reine afin d’aider les familles nobles désargentées. Finalement, la comtesse organise un faux rendez-vous le soir, tard, dans le jardin du labyrinthe proche du Trianon (d’où le titre), avec une jeune prostituée qui ressemble un peu à Marie-Antoinette.

Le duc est fou de joie et complètement à la merci de l’intrigante, mais notre comtesse a toujours besoin de plus d’argent, par hasard elle apprend que des joaillers parisiens ont sur les bras un collier valant une fortune et dont la Reine n’a jamais voulu, la machination est en place le duc se porte garant de cet achat pour la Reine , et les joaillers sont ravis. Ils déchantent assez vite car ils ne sont pas payés , en revanche le comte et la comtesse de la Motte deviennent très riches.

Commence alors l’intrigue de cour, le conseiller de la Reine le duc de Breteuil veut absolument que le Cardinal de Rohan soit jugé et coupable de vol, et au lieu de s’en prendre à la véritable coupable, avec la Reine qui déteste ce cardinal, ils font tout pour que la faute soit la responsabilité du Cardinal. Finalement, il sera acquitté et la fausse comtesse condamnée.

J’ai été intéressée, au début surtout, par cette course à l’argent de gens qui veulent appartenir au monde des nantis. Cette course sans fin aux dépenses somptuaires qui en entraînent d’autres, car il faut toujours tenir son rang est très bien décrite. On sent que cette femme ne peut que perdre, mais on ne peut, aussi, qu’admirer son talent. La description de l’état de la cour du Roi Louis XVI, permet de se rendre compte à quel point on s’ennuyait à Versailles, ce palais trop grand pour le manque d’ambition de ce roi. La vie vient de la cour de Marie-Antoinette, qui loin du décorum du grand château s’amuse et les courtisans autour d’elle aussi. Le jeu de pouvoir entre le mari et son épouse donne pour l’instant la femme gagnante, mais la façon dont elle s’acharne contre un des grands du Royaume, retourne une partie de la noblesse contre elle, le procès donne lieu à un déferlement de libelles et à l’époque le peuple pense qu’elle a vraiment commandé ce fameux collier, il faudra du temps pour se rendre compte que de cette dépense – au moment où les caisses de royaume sont vides -, on ne peut pas la rendre responsable. Quelques années plus tard , tout le peuple de Paris détestera cette femme qui aura bien du mal à comprendre ce déferlement de haine. J’ai souvent lu que cette affaire du collier a été le début du désamour des Français pour la Reine (autrichienne de surcroît) .

Un roman certainement proche de la vérité historique, qui se lit très bien, mais dans un monde qui ne m’intéresse pas beaucoup, et la distance avec la quelle je l’ai lu, a fait que j’ai été moins sensible aux procédés de style de l’auteur qui petit à petit m’ont lassée.

Extraits

Début .

 « Jeudi 30 mais 1782
Paris, rue de la Verrerie, à l’enseigne de la Ville de Reims, puis à hôtel de Rohan-Strasbourg, rue Vieille-du-Temple au Marais.
 Une jeune trotteuse comme il s’en voit beaucoup rejoindre les boulevards aux beaux jours essayait, tant bien que mal, de tenir le haut du pavé de la rue étroite dans l’espoir d’épargner la soie bleue de ses petits souliers, pourtant déjà bien délavée par de multiples dégraissages. C’est là, dans un garni modeste à l’enseigne de La Ville de Reims, que Jeanne de La Motte et son mari logeaient leur gêne depuis qu’ils avaient quitté Bar-sur-Aube dans l’espoir de trouver à Paris le rang et la fortune dispersés depuis longtemps par les vents de l’Histoire, mais auxquels ils pensaient toujours avoir droit.

Le style et le vocabulaire j’ai appris ce mot « paraphernaux » .

 Une semaine plus tard, la jeune femme arriva à la tombée du jour dans un trait beau cabriolet de louage, monta directement à l’étage par le grand escalier d’honneur. Le cardinal, en grand seigneur méchant homme, exigea tout et elle ne lui refusa rien. À la nuit, elle repartit avec une aumônière brodée aux armes des Rohan pleines de deux cents Louis d’or, ainsi que la caution de son amant pour la petite dette de cinq mille livres, contractée deux ans plus tôt, qu’il s’engageait à régler l’année suivante dans le cas où elle ne serait pas encore rentrée en possession de ses biens paraphernaux

Mot d’esprit, humour .

 À la suite de quoi elle marqua une petite pause, de façon à bien fixer son interlocutrice et à juger de l’effet que cette phrase prononcée avec la douceur de l’évidence provoquait sur cette malheureuse fille dont la bêtise lui avait sauté aux yeux dès qu’elle avait franchi le pas de sa porte. Ce détail avait échappé à son mari, qui cherchait chez ce genre de femme une autre agilité que celle de l’esprit, mais il était de la plus grande importance à ses yeux car il faciliterait grandement leur plan.

La course à l’argent du temps des rois .

 Il connaissait les difficultés financières de cette maison où l’on vivait grand train sans véritable revenus, et où il était plus courant de porter les meubles au Mont-de-Piété que chez le tapissier.

Le salon de la réussite ou presque .

 Salon de la rue Neuve-Saint- Gille non-seulement ne désemplissait plus, mais il avait il avait bien changé de physionomie. Un mobilier complet garnie de tapisseries de Beauvais aux fables de La Fontaine, posé sur un grand tapis d’Aubusson, permettait de recevoir aisément une quinzaine de convives, la pendule au cadran ébréché avait rejoint la chambre de Rosalie, qui s’en montrait satisfaite, pour être remplacée par une autre, au mécanisme complexe, orné d’une figure de la sensibilité en marbre blanc. Elle était encadrée de de jolies vases de Sèvres flambant neufs, dont Jeanne laissait entendre, en baissant la voix, qu’ils étaient un présent de l’auguste souveraine.
 Le soir venu le fidèle Deschamps, promu au titre ronflant de premier valet de chambre du comte et de la comtesse de La Motte, allumait lui-même les girandoles d’or moulu supportées par d’orgueilleuses figures de bronze aux ailes déployées. Les invités arrivaient ensuite les uns après les autres ou par joyeux petit groupe et l’on accueillait sans trop de cérémonie – superflue entre gens du meilleur monde – le marquis de Saisseval ayant table de jeu ouverte dans tous les tripots du Palais-Royal, l’abbé de Cabre, conseiller au parlement de Paris, le comte d’Estain ou encore le receveur général d’Orcy.

Et le collier arrive .

 Son beau-père connaissait bien vos Boehmer et Bassenge, joaillier de la Couronne pour avoir aidé à quelques négociations délicates entre eux et le comte de Provence au sujet de l’écrin de la princesse, sa femme. Or il savait, pour en avoir souvent discuté avec les deux associés, qu’ils avaient en leur possession une parure de diamants unique au monde dont l’assemblage puis le précieux montage leur avait demandé plus de dix ans, mobilisant des capitaux immenses. D’abord destinée à la comtesse Du Barry, cette parure cherchait un acquéreur depuis la mort du feu roi, car Louis XVI avait bien pensé l’offrir à Marie-Antoinette à l’occasion de ses premières relevailles, mais elle l’avait repoussé par un caprice que personne ne parvenait encore à s’expliquer. À ce petit récit qui n’était pas uniquement de diversion après son faux pas de salon, l’avocat ajouta simplement :
 » Vous qui êtes en si grande faveur auprès de sa Majesté, peut-être pourriez-vous faciliter à ces pauvres bijoutiers la vente de leur collier avant qu’ils ne se le passent autour du cou pour se pendre avec. »

Une apparence de vérité dans cette scène .

 Si les conditions ainsi mises par écrit paraissaient plus favorables que celle évoquées par le cardinal quelques jours plus tôt, le contrat devait être impérativement signé par la reine en personne. On ne lâchait pas ainsi une pluie de diamants dans la nature sans une garantie solide. Rohan, qui ne s’attendait pas à une telle résistance en fut tout décontenancé. Il n’avait aucune habitude de la chicane, Dieu et sa naissance l’appelaient à diriger les âmes et à gouverner les hommes, pas à discutailler avec les marchands – il disposait pour cela d’intendants, de commis et d’un vicaire général. Pris au dépourvu car il n’avait pas prévu que la discussion irait plus loin, le cardinal cherchait des arguments et n’en trouvait aucun. Il offrait en garantie l’un des noms les plus illustres de France, une fortune certes ébranlée par les imprudences de son neveu Guémené mais immense et il couvrait leur accord de la pourpre cardinalice. Que voulait-on de plus ?

Style qui a fini par me lasser .

 Ce soudain tutoiement d’alcôve joint à la transparence d’un déshabillé et à ces regards mi-clos commença à faire vaciller le colosse de bordel au cœur d’argile. Jeanne, usant de séduction ne manqua pas d’ajouter l’intérêt à la concupiscence, en lui promettant de faire établir à son nom un contrat de six mille livres de rente viagère, puis après avoir déposé le petit encrier portatif posé sur la table à en-cas, elle intima :
« Prends cette plume et écrit au bas de ce marché le nom de la reine. »
Villette s’en empara sans discuter davantage et inscrivit la mention « Approuvée » là où le doigt de Jeanne le lui indiquait, puis avec toute l’application dont il était encore capable, il parapha l’ensemble d’un large « Marie-Antoinette de France … » Soulagé, le beau calligraphe se tourna vers Jeanne dans l’espoir d’obtenir sa récompense, car Priape palpitait à nouveau et réclamait maintenant son sacrifice. Cette fois-ci, le pont tomba, le verrou fut tiré et Jeanne renversée.

 


Édition Grasset, 492 pages, août 2015

Voilà donc mon deuxième essai avec cet auteur, ce sera le dernier ! Après « Perpective(s) » voici une autre déception plus forte encore. J’espère bientôt arrêter cette série négatives sur Luocine, la seule chose qui me fait du bien c’est de savoir que comme moi vous avez trop de sollicitations et que, comme moi vous n’avez pas le temps de tout lire. Je pensais vraiment adorer ce roman qui se passe dans le milieu universitaire -non pas celui qui m’a formée car je suis provinciale – mais de gens dont j’entendais tout le temps parler : Saussure le maître de tous les linguistes, Jakobson, Derrida, Foucault, Chomsky et puis le gotha parisien, Sollers, Kristeva, BHL, et par dessus tout ça l’élection de Mitterrand .

Ce roman se veut une farce, une parodie, un blague, enfin un OLNI : un objet littéraire non identifié, où chaque chapitre cache une référence à un moment culturel, ce qui m’a complètement lassée autant d’érudition pour un livre si peu intéressant ! (Évidemment, ce n’est que mon avis !) .
Tout commence par la mort de Roland Barthes, qui, heurté de plein fouet par une camionnette, meurt quelques jours plus tard, non sans avoir fait comprendre qu’on lui avait dérobé un document important. Commence alors pour le policier Bayard et son acolyte Simon professeur de Sémiologie une course sans fin pour récupérer ce fameux document. On ira donc dans tous les endroits branchés dans Paris, ceux où on peut avoir des relations sexuels entre hommes, entre femmes et parfois hétérosexuels, mais toujours sous alcool et drogue. On entend parler d’une maladie qui attaque les homosexuels, mais on y croit à peine . On ira aussi à New York pour un colloque sur la langue, toujours pour comprendre ce qu’est la septième fonction du langage. Nous irons aussi à Venise à la rencontre de Umberto Ecco, référence évidemment au « Nom de la Rose », (mais on est tellement loin de la réussite de ce roman !). Tout cela avec le débat politique entre Giscard qui parle en chuintant et Mitterrand dont il faut limer les canines !

J’ai lu sans plaisir mais avec attention plus de la moitié de ce roman, et puis je l’ai terminé en diagonale car vraiment rien ne m’intéressait, cette destruction du monde intellectuel parisien et des penseurs de cette époque était vraiment pénible. J’ai retrouvé ce qui m’avait déplu dans « Perpectives », un récit touffu qui passe d’un monde à l’autre, tout cela avec une intrigue qui visiblement est le cadet des soucis de l’auteur et donc du nôtre. Je pense que l’auteur s’est bien amusé à mettre tous ces personnages en scènes, BHL et sa chemise blanche ouverte, Sollers et ses propos tournant toujours autour de la sexualité, Althusser qui étrangle sa femme, Chomsky qui crache sa haine contre Derrida … Malheureusement, son amusement de l’entre-soi parisienne m’a vraiment ennuyée !

Extraits

Début.

 La vie n’est pas un roman. C’est du moins ce que vous voudriez croire. Roland Barthes remonte la rue de Bièvres. Le plus grand critique littéraire du XX° siècle à toutes les raisons d’être angoissé au dernier degré. Sa mère est morte avec qui il entretenait des rapports très proustien. Et sont cours au Collège de France intitulé « la préparation du roman » s’est soldé par un échec qu’il peut difficilement se dissimuler : toute l’année il aura parlé à ses étudiants de haikus japonais, de photographie, de signifiant et de signifié, de divertissement pascalien, de garçons de café, de robes de chambre ou de place dans l’amphi – de tout sauf du roman.

Les intellectuels à l’hôpital.

 Les trois anges de la vengeance reviennent déchaînés du royaume des morts : « c’est un mouroir ! C’est un scandale ! De qui se moque-t-on ? Pourquoi personne ne nous a prévenus ? Si nous avions été là ! » Dommage qu’il n’y ait pas eu de photographe dans la salle pour immortaliser ce grand moment de l’histoire des intellectuels français : Kristeva, Sollers, BHL. en train de houspiller le personnel hospitalier pour dénoncer les conditions indignes dans lesquelles on traite un patient aussi prestigieux que leur grand ami Roland Barthes.

Gentillesse entre intellectuels.

 Officiellement, les deux hommes sont ici parce que Deleuze a été mis en cause par BHL. L’interrogatoire commence donc pas A comme accusation.
 « Monsieur Deleuze, on nous a fait part d’un contentieux entre vous et Roland Barthes. Quelle en était la teneur ? » Deleuze porte à sa bouche une cigarette à demi consumée mais éteinte. Bayard remarque les ongles anormalement longs. « Ah bon ? ah non. J’ai aucun contentieux avec Roland, en dehors du fait qu’il a soutenu cette nullité, là, le grand con avec sa chemise blanche. »

Typologie des joueurs de billard.

 Simon entend le jeûne mieux habillé contester un point de règle.  » Non, les deux coups en cas de faute de l’adversaire ne sont pas cumulables si tu rentres une boule à toi sur ton premier coup. » Étudiant en droit deuxième année ( a probablement redoublé sa première année). Vu les fringues, veste, chemise, Simon dirait Assas. L’autre lui répond en insistant sur les mots :  » OK, pas de problème, cool, comme tu préfères. Moi je m’en fous. Ça m’est égal.  » Psycho, deuxième année (ou redouble sa première) . Censier ou Jussieu (il joue à domicile, ça se voit). La jeune fille émet un petit sourire faussement discret mais qui se veut entendu. Elle a des kickers bicolores aux pieds indignes a un revers bleu électrique, une queue de cheval attachée par un chouchou et elle fume des Dunhill Light : lettres modernes première année Sorbonne ou Sorbonne Nouvelle, probablement un an d’avance.

Genre de propos qui ne me font même pas sourire.

Sollers écarte les bras comme s’il battait des aile, et déclare avec enthousiasme :  » Ce pape est tout à fait à mon goût ! ( Il croque dans une asperge.) N’est-il pas sublime quand il descend de son avion pour baiser le sol qui l’accueille ?… Quel que soit le pays, le pape se met à genoux comme une prostituée magnifique qui s’apprête à vous prendre dans sa bouche et il baise le sol… ( Il brandit son asperge à demi croquée) Ce pape est un baiseur, que voulez-vous … Comment pourrais-je ne pas l’aimer ?.. »
 Le couple de New-Yorkais glousse de concert.
 Lacan aimait un petit cri d’oiseau en levant la main mais renonce à prendre la parole. Hélène, qui a de la suite dans les idées comme tout bon communiste demande :  » Et lui vous croyez qu’il aime les libertins ? Aux dernières nouvelles, il n’est pas très ouvert sur la sexualité. ( Jette un regard à Kristeve.) Politiquement, je veux dire »
 Sollers émet t un rire bruyant qui annonce une stratégie dont il est coutumier et qui consiste à embrayer, à partir du sujet de départ sur à peu près n’importe quoi sans transition : « C’est parce qu’il est mal conseillé … Du reste, je suis sûr qu’il est entouré d’homosexuels … Les homosexuels sont les nouveaux jésuites … mais sur ces choses-là ils ne sont pas forcément d’aussi bons conseils … Quoique … il paraît qu’il y a une nouvelle maladie qui les décime … Dieu a dit croissez et multiplier … La capote … Quelle abomination ! … Le sexe aseptisé …Les corps calleux qui ne se touche plus … Pouah … Je n’ai jamais utilisé une capote anglaise de ma vie … Pourtant, vous connaissez mon anglophilie … Envelopper ma bite comme un bifteck… Jamais ! …

 

 

 

Édition Albin Michel, 419 pages, mai 2024

Traduit de l’anglais par Paul Matthieu

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Prenez tout votre courage pour lire ce roman, vous partirez dans les scènes de saouleries à la bière, de rails de coke à vous exploser le nez, de bars glauques où on a le droit de mettre la main aux fesses des serveuses, des coups de poing qui partent en bagarre sans qu’on sache pourquoi, d’une mère dépassée et d’un père violent et qui a abusé son fils aîné aujourd’hui totalement détruit. Je dois avouer que les scènes d’alcool et de drogue ont fini par me lasser. Le personnage principal avait pourtant fait des études mais il est revenu à Belfast où l’attendait des « amis » qui n’avaient jamais quitté cette ville où, semble-t-il, être à jeun est totalement anormal. Le pire c’est cet effet d’entraînement où personne ne peut résister à celui qu’offrent l’alcool et la drogue. C’est terrible et tellement répétitif . Pourtant, le personnage est attachant et si je n’avais pas été tellement dégoûtée par toutes le scènes de beuveries j’aurais lu plus attentivement ce roman pour mieux comprendre son intérêt : cerner la difficulté d’être vraiment maître de sa destinée sans pour autant renier ses racines.

Extraits

Début

 C’était trois fois rien. J’ai balancé un coup de poing et il s’est écroulé. Une fille s’est précipitée et m’a poussé : Pourquoi t’as fait ça ? Le type était étendu par terre, à mes pieds et il y avait des gens partout autour qui braillaient. Le temps que je réussisse à m’extraire de la mêlée, deux Land Rover sont arrivées. Un flic à l’air blasé et au front dégarni s’est approcher de moi.

Mac do le soir

 Les lumières étaient d’une blancheur impitoyable, tout le monde avait une tête de déterré, et il régnait une ambiance vraiment atroce, cruelle, comme à la cantine du lycée, sauf que là tout le monde est bourré et se croit super marrant. Pour les pauvres clampins derrière les caisses, c’était l’horreur. J’avais sincèrement pitié pour eux. Ce n’est pas comme bosser dans un bar, il n’y a pas la musique pour faire écran, et les gens peuvent vraiment être infects quand ils sont torchés . Ils ne pensent pas à mal, la plupart veulent juste rigoler, mais quand vous êtes debout depuis midi et qu’il est deux heures du mat, la dernière chose dont vous avez envie c’est de vous faire gueuler dessus par un connard ivre mort qui trouve que son Big Mac met trop longtemps à arriver. Rien qu’à voir ça tu en viens à détester le monde entier.

Son frère

 Parce que Anthony selon toute probabilité, se mettrait en quête d’un autre endroit où aller dès que le bar annoncerait que c’était l’heure des dernières commandes, et si vous aviez une piaule à dispo pas loin, sans personne, pas de femme, pas de gamins, il viendrait squatter chez vous. Pas moyen d’y échapper. De sorte que boire avec lui quand vous n’étiez pas au même niveau vous donnait l’impression de subir une forme de torture . Sa mission était de vous faire sombrer aussi bas que lui. Et au bout du compte c’était ce qui rachetait tout ce calvaire, parce que une fois que vous étiez aussi ravagé que lui vous pouviez vous éclater comme jamais.

Le ton du livre et c’est à peu près tout le temps comme ça

 On n’avait pas prévu de boire autant ce jour-là, mais il faisait un temps agréable et il y avait plein de bars dont les terrasses se remplissaient à mesure que l’après-midi avançait, ce qui nous permettait d’économiser quelques billets en finissant les pintes les gens laissaient sur les tables au moment de s’en aller.

Édition le livre du futur, 136 pages, octobre 2024

Je lis vraiment peu de BD, mais j’aime beaucoup cet auteur, et je sais que je lirai toute sa série sur ce frère que son père a enlevé à sa mère, et à toute sa famille maternelle, alors qu’il avait à peine 6 ans.

Tout est dit ! son père syrien que nous avons bien connu dans la série « L’arabe du futur » , ne supporte pas que sa femme ne revienne pas vivre avec lui dans son village en Syrie. (J’avais beaucoup aimé la première série et je croyais l’avoir mis sur Luocine, car j’ai tous les tomes dans ma bibliothèques. Et non ! ). Pour la contraindre à revenir, il enlève leur plus jeune fils Fadi, le petit dernier des trois frères, un enfant adoré par sa grand-mère bretonne et évidemment sa maman. La manœuvre ne marche pas : sa femme veut encore moins remettre un pied en Syrie , mais Fadi est bien obligé de s’adapter à sa vie sans sa maman dans un pays dont il adopte peu à peu la langue et les coutumes.

Ce que j’aime chez cet auteur, c’est qu’il garde une lucidité étonnante sur tous les personnages de son enfance . Son père est vraiment manipulateur et lui Riad, est trop grand pour se laisser avoir mais il comprend bien comment le petit Fadi a dû se faire berner par les belles paroles de son père. Sa famille bretonne est aimante mais impuissante face à cet enlèvement , et les autorités françaises complètement dépassées.
J’ai hâte de lire la suite

 

Édition du seuil, 281 pages, aout 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

Pour ce roman, j’ai fait ce que je m’étais promis de ne jamais faire : abandonner la lecture ! Si je le mets sur Luocine, c’est que j’espère que l’un ou l’une d’entre vous l’avez lu et que vous viendrez m’expliquer qu’il est beaucoup mieux que ce que je vais en dire.

Cette écrivaine tenait un bon sujet de roman : une famille rom vivait en Roumanie dans un delta, fait de lac et de nature sauvage. Malheureusement pour eux , cet endroit est très proche de Bucarest et le gouvernement décide d’en faire une réserve naturelle et chasse cette famille.
Voilà le sujet, la belle nature sauvage, les pauvres roms, chassés de leur habitat pour plaire à des riches touristes
J’i trop senti dès le départ la démonstration , et puis pas de chance pour moi Corinne Royer est aussi une poétesse et s’exprime en vers qui m’ont laissée totalement indifférente.
Bref j’ai calé, ça m’arrive, je serai ravie de lire que je me suis trompée et que je suis passée à côté d’un roman qui a intéressé quelqu’un !

Extraits

Début

 De loin, on aurait pu croire que c’était un chien. Une masse sombre. Une tête émergeant au ras de l’eau, mais pas une tête entière, seulement un crâne, ou plus exactement l’arrière d’un crâne couvert d’une toison noire ; et la toison noire flottait sur un large cercle tronqué par les courants et elle paraissait démesurée par rapport à la taille du crâne.
 Un chien donc. Voilà tout ce qu’on voyait.

L’instruction et leur père

 Les connaissances que tante Marta lui avait enseignées, la géographie, les mathématiques, le français, l’histoire et les ravages du communisme considérés comme une matière à part entière, il en avait à son tour instruit ses frères et sa sœur, malgré la désapprobation du père affirmant que les foutaise écrites dans les livres allaient leur raboter le cerveau de la même façon qu’une varlope sur une planche vermoulue. On pourra allumer le poêle avec les copeaux de votre cervelle ! disait-il. La menace avait longtemps effrayé Naya.

La réserve naturelle

 Elle avait ajouté qu’en tout temps et partout on avait créé des réserves naturelles au détriment des indigènes qui y vivaient. Marta avait donné pour exemple parc national de Kaziranga, en Inde, où les habitants avaient été expulsés ; ceux qui se déplaçaient encore dans le parc pour cultiver la terre ou chasser du petit gibier s’exposaient au tir à vue, et plus d’une centaine de paysans étaient tombés sous des balles des gardes.
 C’est comme ça, avait dit tante Marta on ferme les yeux aux pauvres pour donner à voir aux touristes !

L’expression poétique.

C’est l’hiver.
Nous partons.
Si loin.
ÇA ne peut-être que l’hiver.
Le tremblement sous mes pieds
court jusque dans mes doigts
et ma salive est comme une pâte
épaisse sur la langue.
Goût amer.
Sang dans la bouche, chaud
comme une lave.
(et ça continue sur 10 pages !)

 


Éditions de l’Olivier, 141 pages, août 2024

lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Avec le temps, j’en ai déduit qu’à force d’habiter à la mer on finit par oublier qu’elle est au bout de la rue.

 

C’est tout l’intérêt du club de lecture, lire des nouveautés vers lesquelles je n’irai jamais de moi-même. Ce roman révèle un jeune écrivain qui a un talent certain pour entraîner ses lecteurs dans son monde. Son histoire se passe sur la côte normande, des plages de galets, une jetée qui s’avance dans la mer, un blockhaus à moitié effondré et difficile d’accès, un été ou Lou le narrateur traîne avec Max un jeune du coin.

Traîner cela veut dire boire suffisamment de bières pour être ivre au point de beaucoup pisser et de vomir, vivre (enfin boire surtout) la nuit et dormir le jour, Max fuit un père violent et plus saoul que lui, il faut dire qu’il a passé plus d’années à boire et fumer, leur fils aîné est parti sans redonner signe de vie et un jour Max prendra un risque de trop du haut de la jetée . Il faut donc vivre « après ça » , d’où le titre du roman.

Si ce n’est l’écriture, rien ne m’intéresse dans ce roman, l’effet de la bière sur le cerveau de ses deux jeunes me laisse indifférente, leur façon de fuir le quotidien me semble si pauvre. L’après est triste bien évidemment , on espère simplement que Nathalie la mère de Max arrivera à sauver le troisième frère de cette ambiance glauque à souhait.

Ce n’est pas le sujet, nous restons enfermés dans le cerveau de Lou, sans savoir s’il pourra un jour faire autre chose que glander avec un pack de bières à la main, même s’il déménage loin de cet été pourri.

Quelle tristesse !

 

Extraits

Début

 Avec Max on a survécu au cagnard de l’après-midi. Pendant qu’on luttait contre le Soleil bien dur on rigolait de voir les peaux sensibles faire moins les fières et se couvrir rapidement de crème solaire ou d’un t-shirt manche longue pour ne pas cloquer. Quand la température est tombée, on s’est dirigés vers la promenade qui longe la falaise, celle qui surplombe la mer de trente mètres. À la fin de la route goudronnée, il y a un chemin que seul les habitués connaissent, surtout depuis que la ville essaie d’en restreindre l’accès en posant des rubalises rouges et blancs dont les lambeaux flottent déjà quand on arrive, portés par les courants d’air chauds. En contrebas, la mère grignote la roche des falaises, force les terrains des maisons à reculer un peu plus chaque année.

Les apprentissages

 Max, il a pas son permis mais il a toujours su conduire. Ici ce sont les choses que les grands frères apprennent aux gamins, se raser, parler aux filles et surtout conduire comme des hommes. La nuit, les grands les emmènent sur le parking du Auchan un peu plus loin du centre à côté du Buffalo Grill. Ils coupent le moteur, échangent leurs places avec les plus jeunes et les moteurs redémarrent avec aux commandes des petites têtes blondes. Quand Max a tenu un volant pour la première fois, il a failli plier l’avant de la caisse sur un plot en goudron qui traînait au milieu du champ de lignes blanches éclairées par les lettres rouges du Auchan. Son frère, Yvan, a rigolé après avoir évité la catastrophe en faisant pression sur la jambe de Max elle-même posée sur le frein. La voiture avait pilé sec, sans ceinture les ongles plantés dans le volant. Depuis que je suis arrivé, Max, je l’ai jamais vu conduire ou entendu parler de le faire. Pas de permis, rien. Moi ça me va bien, quelque part on est sur un pied d’égalité.

Propos de pêcheur

 Je déambule entre les seaux qui se tiennent aux pieds des cannes à pêche quand j’entends un type dire que sa maison il l’a acheté pour sa grosse et ses gosses, c’est comme ça qu’il dit ma grosse et mes gosses. Il dit, ma grosse et mes gosses pour qui j’ai trimé comme un chien tout ça pour quoi ? Il interroge le regard dans l’eau, cherche la réponse dans les profondeurs, quelque part au bout de sa ligne. Il continue, tout ça pour quoi, tout ça pour que ça grosse et ses gosses se tirent du jour au lendemain comme des voleurs Ils se sont tirés sans jamais revenir et lui, ce jour-là il devait aller pêcher alors il y est allé et quand il est revenu, la maison pour laquelle il avait trimé comme un chien était vide.


Éditions de l’Olivier, 380 pages, aout 2002

Traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Voilà un livre sans grand intérêt et qui est long, mais long , on n’en finit pas de s’ennuyer ! . Je dois avouer que, parfois, j’ai fait de la lecture en diagonale. Il est au programme de mon club de décembre dont le thème sera « l’Irlande ». Ce livre racontant la vie de trois amis habitant à Dublin, il y avait donc complètement sa place Je n’aime pas participer aux discussions de mon club sans avoir lu le livre, donc je me suis imposée ce pensum !

Deux amies Eileen et Alice ont fait leurs études ensemble avec Simon, Alice a écrit deux romans qui l’ont rendue très célèbre et elle ne supporte pas cette soudaine célébrité et fait une grave dépression, elle va mieux et loue une maison au bord d’une falaise et rencontre Felix un homme qui n’a pas fait d’études et elle noue avec lui une relation compliquée. Eileen travaille dans une petite revue littéraire et est très mal payée, enfin Simon qui a toujours été proche d’Eileen travaille au parlement. Les trois personnages principaux sont sans grand intérêt, Felix sans être très sympathique est plus intéressant.

Voilà le cadre, les relations entre ces personnes sont compliquées, elles sont attirées puis se repoussent et retournent ensemble … Les deux amies commentent toutes leurs relations dans de très longs mails, où elles se disent tout, elles décrivent par le menu les relations sexuelles et elles sont très actives  ! elles parlent aussi de leur doutes par rapport à leur vie , la politique, la religion et pour Alice la création littéraire et les conséquences du succès.

Ce roman se veut moderne et sans tabou il est surtout terriblement répétitif et ennuyeux. Je me demande bien à qui il peut plaire ? aux amateurs de scènes érotiques, peut-être car l’autrice a beaucoup d’imagination et de talents pour les décrire.

Extrait

Début

 Dans un bar d’hôtel une femme assise à une table surveillait la porte d’entrée. Elle avait une apparence soignée : chemisier blanc, cheveu blond coincée derrière les oreilles. Elle a jeté un coup d’œil sur son téléphone puis à de nouveau diriger son regard vers l’entrée. En cette fin mars le bar n’était guère fréquenté.

Problème de traduction ?

 Je pense qu’elle a deviné que c’était un date. Faut pas chercher plus loin.
PS depuis grâce à Sacha je sais que « date » est utilisée dans la jeune génération !

Un passage pour expliquer pourquoi ce roman n’est pas pour moi

 Tu as pleuré, à l’époque ?
 Pas au sens propre. Si c’est que tu veux savoir. Je n’ai pas pleuré pour de bon, mais ouais, j’étais furax.
 Ça t’arrive de pleurer ?
Il a eu un petit rire.
Non. Et toi ?
Oh, tout le temps.
Ah ouais ? Et tu pleuré pour quoi ?
 Pour n’importe quoi. J’imagine que je suis très malheureuse. Il l’a observée.
Vraiment ? Et pourquoi ça ?
 Aucune raison particulière. C’est ce que je ressens. Je trouve ma vie difficile
 Au bout d’un moment il a de nouveau regarder sa cigarette et il a dit : Je ne crois pas avoir bien compris la raison pour laquelle tu es venu habiter ici.
 Ce n’est pas une très belle histoire. J’ai fait une dépression nerveuse. J’ai passé quelques semaines à l’hôpital et, à ma sortie, je suis venu ici. Il n’y a rien de mystérieux là-dedans. Il n’y avait aucune raison de faire cette dépression, je l’ai faite c’est tout. Et ce n’est pas un secret tout le monde de sait.

Le plastique, genre de considération sur le monde « admirable »

 Ma théorie c’est que les humains ont perdu le sens de la beauté en 1976,l’année où le plastique est devenu le matériau le plus utilisé au monde. Tu peux voir ce processus s’opérer si tu regardes les photos d’une rue avant et après 1976. Je sais qu’il y a de bonnes raisons d’être sceptiques quant à la nostalgie esthétique, il n’en reste pas moins qu’avant 1970, les gens portaient des vêtements en laine et en coton conçu pour durer, qu’ils mettaient les liquide dans des bouteilles en verre, qu’ils enveloppaient la nourriture dans du papier et remplissaient leur maison avec des meubles en bois de qualité. Maintenant, la plupart des objets de notre environnement visuel sont en plastique, soit la substance la plus laide sur terre, ce matériau qui, quand on le colore ne se contente pas d’absorber la teinte mais exsude sa couleur de façon laide et inimitable.

 

 


Édition Calmann Levy, 156 pages, août 2024

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

J’ai lu en une soirée ce très court roman, largement inspiré de la vie de cet auteur. Je l’ai oublié deux jours après donc il faut vite que j’écrive ce que j’en ai pensé pour qu’au moins mon blog s’en souvienne ! C’est un premier roman, et très classique dans le genre : cet auteur a besoin de nous dire d’où il vient. Il le fait avec une grande honnêteté, ce qui n’est pas déplaisant.
Ses parents sont divorcés et ce divorce a entraîné pour un temps un déclassement social. Son père est musicien et complètement asocial mais c’est un père gentil avec son fils, sa mère est courageuse et reprend des études pour sortir sa famille de la misère. Son frère aîné compose du rap et va connaître un certain succès, le roman est scandé par des textes écrits par ce frère. La fêlure sur laquelle se joue le passage à l’écriture de ce jeune homme, c’est sa position de troisième dans la famille il a l’impression de ne pas exister : d’être « l’ombre des choses ».

La description de son passage dans une cité d’urgence qui abrite la misère ordinaire, son dégoût pour sa ville de province d’origine,( Angers son château et sa tapisserie de l’apocalypse) ses rapports avec son frère et ses copains tout cela ne m’a pas beaucoup intéressée , mais attendons son prochain roman, on découvrira peut-être un romancier plus riche que cette première impression.

 

Extraits

 

Début

 J’étais donc là.
 Un enfant moyen dans une ville moyenne. Avec, au cœur de la ville, un château fort. Un vieux truc du XIII°siècle moyenâgeux. Dix-sept tours, hautes d’une trentaine de mètres. Mais les touristes n’avaient d’yeux que pour la tenture de l’Apocalypse, un ensemble de tapisseries médiévales, uniques au monde. Ça donnait un peu de fierté à la vie moyenne.
Ici, vu de l’extérieur, tout était parfait.

Honte de son père

 « T’as vu ? il y a un clochard devant l’école », me disait Dorian d’un air méprisant. « Non, c’est mon père. » Deux mois plus tard pendant la récréation, j’avais fini par frapper Dorian d’un coup de poing dans le ventre. Mon cœur tambourinait contre ma poitrine avec une intensité inhabituelle qui semblait vouloir le faire sortir de mon corps. Les battements s’accéléraient et mes mains tremblaient de nervosité. Je découvrais la chaleur de la violence. Dorian pleurait de douleur et j’avais envie de pleurer avec lui.

un Rap , je suis vraiment incapable d’apprécier un tel texte

C’est tout pour la famille, tout pour la déter’

 Petit, laisse les parler, ils parleront jamais
des gens qu’y à derrière
 Et vas-y, fait un deux, c’est morts pour les ingrats 
Protégés par Dieu, j’peux assurer les fins de mois 
 Quand j’pense à ma vie, c’est abusé
 J’suis peut-être miraculé comme Santa Maria
D’ Guadalupe

 


Éditions du Seuil, 151 pages, août 2024.

lu sur un mur de Chiraz

Vous pensiez me tuer, Vous nous avez ressuscitées

Je regarde assez peu la Grande Librairie, le plus souvent parce que j’oublie, mais ce soir là deux auteurs que je voulais lire étaient invités : Kamel Daoud pour Houri, et Delphine Minoui pour ce roman. Le soir de cette émission pendant laquelle cette autrice franco-iranienne racontait son admiration pour les jeunes iraniennes du mouvement « femme, vie, liberté » qui, au péril de leur vie, arrachent leur voile et le brûlent, une femme en arrière plan passait son temps à remettre le sien !

Badjen veut dire aujourd’hui la jeune fille qui ose rejeter « les bonnes mœurs musulmanes », mais le premier sens est presque « prostituée ». Cette jeune fille, Badjen (c’est le nom que lui a donné sa mère) est élevée dans une famille classique iranienne et elle ressent immédiatement que sa naissance a été un malheur pour son père pour qui la femme n’est que source de problème . Sa mère est celle qui lui permettra de se construire, car si celle-ci semble accepter la domination de son mari, en cachette de celui-ci, elle donne à la vie de sa fille la force de s’opposer. La différence entre les deux générations, c’est le courage de la jeunesse qui osera tout et le fera de façon ouverte.

Le roman est très facile à lire et explique très bien de quoi le voile est le symbole : il s’agit de ne pas attiser la convoitise des hommes et de garder la femme dans une attitude de soumission. Il y a une énergie dans ce récit qui le rend « presque » agréable à lire. Pour le côté sombre, car ces jeunes filles sont très souvent blessées ou même tuées par la police, le film « les graines du figuier sauvage » complète très bien cette lecture. Et dans ce film aussi c’est l’adolescente qui lutte le plus naturellement contre l’oppression patriarcale .

Une lecture nécessaire et si simple qui s’adresse à la jeunesse, celle de notre pays ou la liberté des filles existe encore et je l’espère pour toujours.

 

Extraits

Début poème .

T’entends leurs cris ?
Tu les entends t’applaudir alors que t’as encore rien fait ?
Froussarde ! Très même pas cap.
Même pas cap de grimper sur la benne.

Début du texte .

 J’ai 16 ans. 
Aucun cri ne sort de ma bouche.
Je me parle à moi-même depuis ce corps qui ne m’a jamais appartenu. 
J’ai 16 ans. Je pèse 47 kg et je mesure 1,59 m.
 Je les entends hurler « vas-y ma fille ! » et je repense au premier cri :
– Dieu c’est une fille !
Ce cri d’avant ma naissance.
Le cri fondateur. 
Originel.
Celui des hommes de ma famille agglutinés au-dessus du ventre de maman.

L’avortement et l’islam.

On dit que ce sont les détails qui tuent. Moi c’est mon grand-père qui a failli me tuer.
Pendant que la gynéco aidait ma mère à se relever, il avait pris tous les hommes de la famille en aparté pour planifier ma sentence prématurée. – Un avortement ! Il faut à tout prix envisager un avortement !
L’islam, religion d’état, interdit l’avortement. 
Sauf qu’en Iran tout se négocie même la religion.
 Mon grand-père affirmait connaître un médecin dont la cave servait de clinique clandestine, ni vu ni connu.
– Un homme de confiance, avait-il insisté.
 Il l’avait contacté en urgence par texto.
 Cinq minutes plus tard la réponse s’affichait sur son portable. Deux lignes expéditives confirmant la possibilité d’une intervention illicite moyennant un prix très juteux, nettement supérieur à la somme escomptée. (…)
 Mon grand-père lui avait raccroché au nez renonçant à contre cœur à mon assassinat trop coûteux.

Sa mère .

 Plus tard je l’ai souvent entendu dire en parlant à ses copines :
 » On ne veut pas finir comme la Syrie. »
 Ou encore :
 « La révolution nos parents l’ont déjà expérimentée, et on a vu ce que ça a donné ! »
Et elle s’est remise à faire ce qu’elle avait toujours fait : contourner les interdits plutôt que les envoyer balader. Une vie de concessions, de compromis de soirées clandestines, de défilés de mode underground, d’alcool frelatés, livré dans des sacs poubelles et de programmes satellitaires captés grâce à de petites paraboles camouflés sur le toit … Des arrangements tolérés au compte-gouttes par mon père, tant qu’ils étaient soigneusement tus pour ne pas entacher la réputation familiale.
 La seule audace que maman ait gardé de 2009, c’est ce foulard vert qu’elle porte de temps en temps, surtout les jours de cafard.
Elle répète que « le vert, c’est l’espoir ».
c’est tout ce qu’il lui reste.
Avec moi.

 

 

 

 


Édition Acte Sud, 139 pages, août 2024 ;

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

Après « Le sermon sur la chute de Rome » voici ma deuxième rencontre avec cet auteur, dont j’aime tant le style et la façon de raconter.

Deux thèmes s’entremêlent dans ce roman, (encore) la Corse et ses violences si particulières : laver son honneur dans le sang , et le tourisme qui peu à peu ravage la planète. Comme dans le précédent roman Jérôme Ferrari ancre son récit dans le passé historique. Cette fois il raconte la prophétie de la ville sainte d’Harar à qui on avait promis le déclin si un chrétien en ressortait vivant. L’explorateur britannique Richard Francis Burton a réussi cet exploit et la prophétie se réalisera. À l’image de cette prophétie, Jérôme Ferrari décrit les invasions touristiques de tous les plus beaux lieux de la planète , son message : ne laissez aucun touriste revenir d’un lieu que vous voulez garder secret sinon il sera peu à peu envahi et dénaturé, jusqu’à l’actuelle arrivée dans des navires de croisières transportant des milliers de touristes qui se déversent sur les côtes ( regardez bien la couverture du livre !)

La Corse, donc Le narrateur y est professeur et il y compte aussi ses amis d’enfance , il connaît bien les Corses en particulier Philippe qui s’est enrichi grâce au tourisme sans beaucoup travailler. Son propre fils un bon à rien qui trouvera que son honneur est bafoué et pour une bouteille d e vin , il tentera de tuer un homme qui l’a déshonoré – on met son honneur où on peu t !

Tout le plaisir de ce roman vient de l’écriture à la fois précise et souvent drôle , la charge anti-touristes est un peu forte surtout à la fin, car cela monte en puissance, mais qui n’a pas vu ces énormes navires débarquer leurs flots de touristes en continue en submergeant les villes dans lesquelles on aime se promener ne peut sans doute pas lui pardonner son outrance.

J’ai cherché d’où venait le titre du roman, il est inspiré par l’île de North Sentinel dans le golfe du Bengale, dont la tribu autochtone a tué jusqu’à aujourd’hui tous ceux qui ont essayé de s’y rendre, y compris un missionnaire en 2018.

Est-ce qu’il aurait fallu le faire en Corse pour éviter le tourisme actuel ? Les corses avaient des dons pour la violence, mais ils aiment aussi l’argent sans trop se fatiguer ! (D’après ce roman … pas selon mon expérience, je me méfie de la vengeance possible des autochtones ! )

Extraits

Début

 On raconte encore que, dans l’après-midi du 3 janvier 1855, malgré la vénérable prophétie annonçant la ruine de la ville sainte peu de temps après qu’un infidèle l’aurait impunément souillée de sa présence le sultan Ahmad ibn Abu Bakr consentit à ce que le capitaine Richard Francis Burton franchit les portes inviolées de la cité de Harar. Il lui accorda une hospitalité soupçonneuse de dix jours avant de le laisser repartir saint et sauf, privilège dont aucun Européen n’avait joui jusqu’alors. S’il avait pu savoir que Harard tomberait en 1875, alors que lui-même était mort de consommation dix-neuf ans plus tôt dans l’amertume et le regret Ahmad ibn Abu Bakr n’aurait sans doute pas commis l’erreur fatale d’épargner le capitaine Burton et il aurait eu raison.

Prétention et humour

 Le fait désolant que leur premier-né mâle reçoivent systématiquement des prénoms de rois, d’empereurs ou de héros antiques est sans doute un symptôme particulièrement transparent de leur mégalomanie comme de leur absence totale de sens du ridicule : les Romani portant haut, et qui plus est fièrement, l’étendard de l’inculture, ils ignoraient évidemment tout de l’origine exacte des personnages historiques ou légendaires qui rendirent ces noms illustres et ils ne leur parurent jamais étrange comme l’atteste leur grotesque généalogie, qu’un Hector put engendrer un Achille, ou qu’un Hamilcar fût le grand-père de Scipion – ce qui me permet d’affirmer, sans crainte d’un démenti, que l’heureuse séquence Philippe-Alexandre ne peut être que le fruit du hasard ou le résultat d’une intervention de Catalina.

La Corse et le tourisme

 Contre toute attente, alors que les personnes sensées avec toujours fui en été le bord de mer caniculaires et malsain, une folie collective poussait désormais à s’amasser sur les plages des foules de plus en plus compactes d’abrutis extatiques qui venaient ici cultiver leurs futurs mélanomes en s’enduisant de monoï et de graisse à traire sous le soleil brûlant, se faire piquer par les moustiques et les guêpes insatiables, partageaient leurs miasmes et leurs mycoses dans la tiède infusion de la Méditerranée et qui, de surcroît, était prêt à payer pour le faire. Les Romani possédaient évidemment une bonne partie du littoral, et ces étendues stériles de roches et de sable dont personne n’aurait voulu quelques années plus tôt valaient maintenant une fortune.

En1933 , une journaliste vient interroger Pierre-Marie Romani : naissance d’une légende.

 Désormais, il lui fallait seulement, avec l’aide active d’une population qui le vénérait, éviter les gendarmes rêvant de le conduire à la guillotine et supporter les misères d’une vie de réprouve, la solitude des nuits dans la campagne, avec pour seule satisfaction la certitude de n’avoir pas failli. C’est derniers points étaient très exagérés : pour l’heure, les gendarmes ne se souciaient guère de lui et, la plupart du temps, il dormait chez ses parents dans la chambre de son enfance. Le reste était entièrement faux. Mais Pierre-Marie savourant la joie d’être devenu, par la seule force de son récit mensonger, celui qu’il aurait tant voulu être. 

Changement des comportements touristiques.

 

À la fin des années 1990, après s’être exclusivement consacrés au bronzage sur les plages, ils commencèrent à penser – ou plus probablement quelqu’un pensa pour eux- qu’il serait bon de diversifier leurs activités, de se rapprocher de la nature et de s’intéresser aux cultures indigènes et ils décidèrent de partir en quête de l’authenticité que nous étions bien sûr tout disposés à leur vendre.
 Ils se mirent donc à arpenter en masse les chemins de randonnée, troquant avantageusement leur coup de soleil, piqûres d’oursin et hydrocution pour des ampoules, des morsures de punaises de lit, des entorses et des chutes mortelles au fond de ravins oubliés.
 Ils exigèrent de manger local. D’écouter de la musique locale. Ils tenaient absolument à ce que leurs vacances aient du sens.
Nos avant et arrière saison jusqu’ici épargnées, virent débarquer des troupes de retraités lubriques, de sportifs de l’extrême et de jeunes actifs que ne contraignait pas encore le calendrier scolaire.

 

 

L’explication d’un crime pour la policière en charge du crime.

Dans sa longue et épuisante fréquentation du crime, Sévrine Boghossian n’a jamais cessé d’être sidérée face à la disproportion presque systématique entre les actes dont elle était le témoin et les raisons qui les avaient fait advenir, comme si la chute virevoltante d’une feuille d’automne creusait dans le sol un cratère, une disproportion si incommensurable que Séverine Boghossian a toujours eu le sentiment, en découvrant un mobile, non d’avoir obtenu une explication propre à satisfaire aux exigences de la raison mais, bien au contraire d’être à nouveau plongée tout entière au cœur d’une énigme qui revenait la submerger et la faisait suffoquer et qu’elle ne résoudrait jamais