Édition Seuil. Octobre 2023. Traduit de l’espagnol par Isabelle Gugno
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Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard

 

Je ne connaissais pas cet auteur, pourtant un écrivain majeur espagnol mais ce n’est pas ce roman qui me conduira à lire d’autres livres de lui. Et encore une fois, méfiez-vous des jugements que l’on trouve sur la quatrième de couverture :

Un thriller psychologique impressionnant 

La Vanguardia

on est loin d’un thriller ! Même si une angoisse se diffuse dès les premières lignes du roman.

Un homme raconte par le détail son installation à Lisbonne, dans un appartement dans lequel il attend son épouse, Cécilia. Dès les début, on sent que son souci de créer une appartement exactement à l’identique de celui qu’ils habitaient à New-York est bizarre et puis, ce personnage d’Alexis l’ouvrier parfait semble étonnant aussi. On sent bien qu’on ira vers une révélation finale qui contredira tout ce bel agencement autour d’une femme trop parfaite.

Donc nous sommes avec ce « je » nous ne découvrirons qu’à la fin son prénom, Bruno, qui a vécu l’effondrement des tours jumelles le septembre 2001, c’est sans doute le déclencheur du roman en tout cas cela occupe une grande place dans ses réflexions. Cecilia qu’il attend travaille dans un laboratoire et étudie le cerveau des rats qu’elle a d’abord traumatisés, elle étudie, en effet, les traces de la peur dans le cerveau. La belle image de Cécilia perd un peu de son lustre quand le narrateur raconte les singes enfermés dans des cages dans son laboratoire. Une seule échappée vers l’extérieur de l’immeuble dans un palais racheté par un homme très riche et un peu fou mais sinon nous sommes tout le temps avec Bruno et sa chienne et on attend … Godot ? non Cécilia qui ne viendra pas, elle non plus. Cela nous donne des réflexions sur le temps qui ne m’ont que très peu intéressée.

On sent que le cerveau de cet homme est malade qu’il est en quelque sorte comme les rats du laboratoire de Cécilia mais cela ne fait ni un thriller ni un roman, en tout cas pour moi, je suis certainement complètement passée à côté de cet écrivain pourtant si connu et à qui je reconnais un très beau style bien servi par une traduction de qualité.

 

Extraits

 

Début.

Je me suis installée dans cette ville pour y attendre la fin du monde. Les conditions sont inégalables. L’appartement se trouve dans une rue silencieuse. Du balcon on voit le fleuve au loin.

Les New yorkais après le 11 septembre .

 Les avions ont très longtemps donné des cauchemars à Cécilia. Elle en fait encore certaines nuits des années plus tard. Cécilia dit que ces cauchemars récurrents sont une aubaine pour une personne qui se consacre à l’étude des mécanismes de la mémoire, où la peur reste inscrite après la disparition de la menace ou du traumatisme qui sont qui en sont à l’origine. La peur ne dort jamais, ajoute-t-elle. Nous descendons d’organismes primitifs et d’animaux auxquels ce que nous appelons la peur a permis de survivre. Cécilia se réveillait en criant parce qu’elle avait rêvé d’un avion qui se dirigeait vers notre appartement et occupait tout l’espace de la fenêtre.

La relativité des catastrophes.

 La vie a dû se poursuivre avec la même et étrange normalité que dans notre quartier de Manhattan, le matin et l’après-midi du 11 septembre. Pendant que les Allemands incendiaient et détruisaient le ghetto de Varsovie après avoir exterminé les derniers résistants, les tramways circulaient et les gens lisaient les journaux dans les cafés d’autres secteurs de la ville.

Les règlements dans les immeubles new yorkais .

 Accoudés au muret de la terrasse, nous savourions la brise marine qui soufflait sur les cheveux de Cécilia et dégageait son visage. Une théorie me traversa l’esprit. Je l’exposai à Cécilia à mesure que je l’inventais, enhardi par le verre de vin interdit que nous buvions au mépris des règles implacables concernant la consommation d’alcool à cet endroit et inscrites par le syndic de l’immeuble sur une pancarte très visible. 

La chienne est très important dans ce récit .

J’imagine la chienne seule entre nos murs, distraite par quelque chose ou endormie dans la solitude et le silence : elle dresse les oreilles bouge lentement la queue, soudain lucide et sur ses gardes. Elle se lève, tord sa truffe vers la fenêtre entrouverte du balcon. Sa léthargie a disparu, l’annonce d’un fait imminent a perturbé sa quiétude.

 

 

 

Édition Gallimard NRF, novembre 2022, 200 pages

Traduit de l’anglais par Blandine Longre

 

Un roman que je n’ai pas réussi à finir et pourtant je le mets sur Luocine car j’espère que certains ou certaines auront apprécié ce roman et pourront m’expliquer son succès. Dès le début, j’ai eu du mal avec cette vision du diable dans un train

J’aimerais mon revenir avec toi, Jeffers, à cette matinée parisienne avant que je ne monte dans ce train où se trouvait le diable bouffi aux yeux jaunes : j’aimerais te la faire voir.

La narratrice s’adresse tout le temps à Jeffers que l’on ne connaît pas et je ne comprends pas pourquoi. Elle semble torturée et ses pensées sont tortueuses comme ses phrases.

Alors j’ai laissé ce roman au bout d’une centaine de pages, et puis courageusement je l’ai repris et cette fois je suis tombée en arrêt devant les pommes de terre plus savantes que les humains et j’ai pris une grande décision : je referme ce livre et je vous laisse avec les pommes de terre et leurs « petits bras charnus » !

À cette époque de l’année -le printemps-, les tubercules que nous y entreposons commencent à germer, même si nous les conservons dans une complète obscurité. Il leur pousse ces petits bras blancs et charnus car elles savent que la saison nouvelle est là et, parfois quand j’en observe une, je me rends compte qu’une pomme de terre en sait davantage que la plupart des humains. 

 


Édition du sous-sol paru en août 2023

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Johan-Frédérik Hel Guedj

Oh là là ! quel roman ! À vous dégoûter de mettre un pied sur un bateau . Si vous vous embarquez dans ce roman de 370 pages, sachez que vous connaîtrez le pire des éléments naturels et le pire des conduites humaines. J’ai lu plusieurs avis positifs dont celui de Claudia-lucia . Puis bien d’autres que j’ai oublié de noter : Sandrine et Kathel très récemment. David Grann a fait un travail colossal pour écrire un roman qui décrit les difficultés de la navigation au XVIII° siècle sur un bateau de la Navy, la rudesse de la nature dans l’extrême sud du Chili, la violence des hommes qui font naufrage et qui pensent mourir de faim sur une île inhospitalière, enfin la complexité de la justice britannique pour les marins qui ne sont pas restés sous les ordres de leur capitaine. Mais avant tout cela, on assiste à la façon dont les bateaux sont préparés, armés et équipés d’hommes qui sont loin d’être volontaires pour monter à bord de ce qui est pire qu’une prison car on ne peut jamais s’en échapper. La vie sur les bateaux est un véritable enfer, la promiscuité des hommes d’équipage est inimaginable, et quand les éléments se déchaînent alors les marins n’ont plus de mots pour décrire ce qu’ils doivent supporter ; rappelons que pour cette expédition

Sur les presque deux mille hommes qui avaient pris la mer, plus de mille trois cents avaient péri – un tribu effarant, même pour un périple aussi long.

La façon dont a été préparée cette expédition est en grande partie responsable du naufrage, surtout le recrutement des marins. Comme personne n’est vraiment volontaire, les recruteurs écument les campagnes, les prisons et même les hôpitaux. Ainsi des hommes malades et invalides seront embarqués de force sur les bateaux. Évidemment, ces mêmes malades mourront en grand nombre par les différentes maladies qui s’abattent sur les bateaux qui font de très longues traversées, la plus terrible d’entre elle, le scorbut, dont on ne connaissait pas, à l’époque, l’origine.

Les descriptions des tempêtes australes sont très réalistes (et comme il y en a beaucoup un peu répétitives) enfin le naufrage sur une île déserte et balayée par les vents termine cette navigation dantesque. Là encore les marins ont continué à subir la loi de la Navy et doivent obéissance au Capitaine Cheap, mais la faim et le caractère violent de certains marins – il ne faut pas oublier que plusieurs d’entre eux avaient été recrutés en prison- ont fait voler en éclat les beaux principes de la marine anglaise.

Il existe pourtant des populations qui vivent dans ces régions inhospitalières. En particulier des « Nomades de la mer » les Kawésquar qui vivent sur des canoë à fond plat menés par des femmes. Ils résistent au froid en s’enduisant le cops de graisse et en utilisant des fourrures de bêtes pour se couvrir. Ils viendront en aide aux naufragés mais peu de temps car ces indiens se méfient des populations blanches qui les ont exterminés ou réduits en esclavage.

Enfin un homme arrivera à mener une mutinerie et à s’enfuir par le passage de Magellan . C’est sa version qui fera autorité tant que l’on croie le capitaine mort. Mais celui-ci reviendra trois ans plus tard après une incarcération par les espagnols. Personne ne sera jugé coupable par le tribunal car personne n’a vraiment intérêt à faire la lumière sur ce naufrage. Ni les autorités anglaises qui ne veulent plus entendre parler de cette expédition qui a été trop lourde en pertes humaines, Ni ceux qui ont peur d’être traités de mutins et donc être pendus, ni le capitaine Cheap qui n’a pas non plus la conscience tranquille car il a tué un de ses marins .

 

Le travail de recherche de cet auteur est absolument colossal et son souci d’objectivité remarquable mais cela rend le récit très fouillé donc répétitif . C’est pourquoi j’ai une petite réserve, je dois avouer qu’il m’est arrivé de lire en diagonal certains passages.
Je pense que tous les amoureux de navigation, et ils sont nombreux autour de moi sur la côte d’émeraude, seront ravis de lire ce roman.

 

Extraits

Début.

 Chaque membre de l’escadre embarqués à bord avec un coffre de marine est le poids de son histoire intime : chagrin d’amour, peine de prison passer sous silence, femme enceinte éplorée laissée sur le carreau. Ou encore soif de gloire et de richesses, peur de la mort.

J’adore cette image et ce portrait.

Cheap semblait ne pas avoir d’avenir sur la terre ferme, incapable de naviguer par-delà les hauts-fonds inattendus de la vie. Mais juché sur la dunette d’un vaisseaux de ligne britannique, croisant sur les vastes océans, coiffé d’un bicorne et armé d’une longue-vue, il débordait d’assurance avec, diraient certains, un soupçon d’arrogance.

L’équipage.

 L’équipage comptait au minimum un homme noir  » John Duck, esclave affranchi originaire de Londres. La British Navy défendait le commerce des esclaves, mais les capitaines en manque de marins expérimentés enrôlaient souvent des hommes noirs et libres. Quoique la société d’un bateau ne fût pas toujours aussi soumise à la ségrégation que sur la terre ferme, il s’y exerçait une discrimination omniprésente. Et sur Duck, qui n’a laissé aucun écrit, pesait une menace dont nul autre n’avait à s’inquiéter : s’il était capturé outre-mer, il risquait d’être vendu comme esclave.
 Il y avait également à bord des dizaines de très jeunes mousses dont certains n’avaient peut-être pas plus de six ans qui s’entraînaient à devenir marins ou officiers, et de vieux bonshommes fléchissement : le cuisinier Thomas Maclean avait dans les quatre-vingts ans.

Dicton pour parler d’un pendu.

Il était monté à la ruelle de l’échelle, descendu dans la rue du Chanvre.

Le cap Horn.

Au fil des ans, des marins se sont efforcés de trouver un nom adapté à ce cimetière marin aux confins de la Terre. Certains l’ont appelé le « Terrible », d’autres « la route des hommes morts » . Rudyard Kipling l’a surnommé « la haine aveugle du Horn ».
David Cheap étudia de près les cartes sommaires dont il disposait. Les noms des autre sites de la région n’étaient pas moins effrayants : l’île de la Désolation. Le port de la Famine. Les rochers de la Tromperie. La baie de la Séparation des amis.

Sur les flots déchaînés.

 Chaque fois que le Wager franchissait une vague, Bulkeley sentait le navire dévaler une avalanche liquide comme précipité dans un gouffre privé de lumière. Il ne distinguait qu’une montagne d’eau derrière lui, et devant lui, une autre montagne non moins terrifiante. La coque basculait d’un bord à l’autre, piquant parfois si fortement du nez que les vergues plongeaient sous l’eau tandis que les gabiers tout en haut s’agrippaient aux cordages comme des araignées à leur toile

Les Kawésquars.

 Des explorateurs européens déconcertés de découvrir des populations capables de survivre dans les environs et cherchant à justifier leurs attaques brutales contre ces groupes d’indigènes, traitaient souvent les Kawésquars et les autres peuples aux canoës de « cannibales » mais il n’existe aucune preuve de leur anthropophagie. Ces habitants avaient conçu quantités de moyens de puiser leur subsistance de la mer. Les femmes qui se chargeaient de presque toute la pêche, attachaient les patelles à des tendons longs comme des cordes et les lâchaient dans la mer, en attendant de pouvoir remonter une proie d’un coup et l’attraper à la main

 


Édition JC Lattès

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

J’ai déjà lu un roman de cette écrivaine que je n’avais pas du tout aimé : « Quelque chose à te dire » , et cette fois encore j’ai encore des réserves . Je me souviens lorsque la bibliothécaire a proposé ce livre au club en nous expliquant le thème du roman : une femme a décidé d’aller mourir en Suisse entourée de son mari et de ses quatre enfants parce qu’elle se sait atteinte d’une maladie incurable et qui lui impose des souffrances à peine supportables, tout le monde a eu un moment de recul, et moi aussi. Finalement le jour où je suis allée échanger mon livre , il était tout seul sur l’étagère. Visiblement mes amies ne se précipitent pas pour lire ce roman !

Nous sommes donc dans la voiture avec Edith qui va mourir car elle soufre de Dégénérescence cortico basale. Un sous groupe du Parkinson. Elle souffre et décide de mourir avant que son cerveau ne l’empêche de pousser seule la molette qui distillera dans son corps l’anesthésiant avec la dose mortelle. Elle a demandé une chose être avec son mari et ses quatre enfants. Et en de courts chapitres (une page ou deux) nous allons entendre les voix intérieures de son mari et de ses quatre enfants, jamais celle de la malade.

L’auteure a choisi un milieu très aisé et médical, cela permet de poser des questions que ce genre de démarches posent à tout le monde mais qui n’est réservée qu’à des gens aisés financièrement. Elle a choisi aussi de ne pas nous faire entendre la voix de la femme mais de son mari et de ses enfants. Chacun réagit à sa façon au choix de cette mère qu’ils ont beaucoup aimé et son portrait apparaît à travers les yeux de ses proches. Cela permet aussi de lire ce livre sans trop ressentir d’émotions. Mais justement c’est ce que je lui reproche.

Face à ce grave problème de société, j’aurais voulu être avec la personne qui fait ce choix. Comment renonce-t-elle à la vie ? Par quels sentiments de révolte passe-t-elle ? qui est là pour recevoir ses doutes et sa paroles ?

Son mari est le plus proche d’elle et en tant que médecin parle assez bien du rôle du soignant (plus que celui de mari !) , les trois autres ses enfants sont pris par un quotidien très prenant . Ce voyage aurait pu être un voyage pour rejoindre une station de ski ou tout autre évènements familial je pense que leurs pensées n’auraient pas été très différentes. Je me suis rendu compte que j’étais plus intéressée par les interactions des frères et des sœurs, le divorce de l’aînée les choix de réorientation de la plus jeune que par la mort imminente de leur mère

Bref un roman très facile à lire car on est en dehors de l’émotion mais qui, pour moi, ne répond pas aux questions que je me pose face au suicide assisté.

 

Extraits

Le début (Audrey, l’ainée).

La veille j’étais de garde. Vers vingt-deux heures, on m’a appelée pour une urgence. Un accouchement compliqué. La mère avait fait une grosse hémorragie. On avait réussi à sauver le bébé et je venais de la transférer en réa dans un autre hôpital. 

La conduite du père (Audrey).

 Papa a toujours eu une conduite assez brusque mais alors là, on aurait dit qu’il le faisait exprès. De la banquette arrière, je voyais Maman à l’avant. Elle ne disait rien et à chaque fois que Papa freinait, ou accélérait, son visage se crispait. J’en avais mal pour elle. À un moment il y a eu une énorme secousse, c’est sorti tout seul, je n’ai pas pu me retenir, « mais c’est pas vrai ! il va tous nous tuer ce con ! » 

Le médecin et la mort (Simon son mari)

Lorsqu’on est médecin, on n »est pas préparé à la mort des gens. Notre mission, c’est de les tenir en vie coûte que coûte, en dépit de leur liberté. La mort, ce n’est pas notre sujet. Notre société est comme ça, elle ne veut pas regarder la mort en face .

La radio pendant le trajet (Jeanne la plus jeune).

 Et puis il y a eu la météo, grand soleil sur tout le pays à partir de lundi. Qu’est-ce que ça lui faisait à maman d’entendre ça ? Lundi, il ferait beau sur toute la France sauf sur elle … Lundi neuf heures, c’est la date qu’elle a fixée, il lui restait quoi … quarante-huit heures…. Elle a changé de station.

 


Édition mercure de France

 

Tant qu’il y aura des mers, tant qu’il y aura la misère, tant qu’il y aura des dominants et les dominés, j’ai l’impression qu’il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d’un horizon meilleur.

 

Un livre précieux d’une rare délicatesse sur un sujet sensible, l’exil des populations indiennes vers l’île Maurice pour être employées dans les plantations de cannes à sucre. Nathasha Appanah a déjà décrit sous forme de roman – Les rochers de Poudre d’or– cet aspect de la colonisation . J’avais fait de ce roman un coup de coeur contrairement à « la noce d’Anna » , mais j’aime beaucoup le style pudique de cette écrivaine que j’avais découvert dans « le ciel au dessus des toits », c’est elle, encore qui m’avait fait découvrir un aspect peu connu de la deuxième guerre mondiale dans « le dernier frère » .

Cette fois l’écrivaine parle de sa propre famille, et on sent toute la pudeur que cette famille qui l’a tant aimée et combien cela a rendu difficile ses recherches sur leur passé. Sa famille arrive dans l’île en 1834, comme elle le raconte déjà dans « les rochers de Poudre d’or » franchir l’océan Indien était à cette époque un tabou total pour les croyants hindous. Mais la misère et la faim sont certainement des moteurs plus forts que la religion. Elle a bien connu ses grands-parents qui sont sortis du système des plantations, son grand père a eu un geste violent contre un contre-maître. À cette occasion l’écrivaine raconte combien les indiens ont toujours prétendus être de bons employés respectueux de leurs supérieurs. Personne ne s’enorgueillit du geste du grand-père, bien au contraire.

Elle regrette que sa grand-mère ne lui ait pas appris le « telugu » sa langue maternelle, elle n’a pas non plus cherché à lui donner la religion hindou, sa petite fille était dans le monde moderne : celui de l’anglais du français et de la religion catholique. En revanche, elle lui a appris à faire « ce qu’il faut  » sans jamais être vulgaire. Le mariage de sa grand-mère avait été arrange par des « marieuses » qui sont allées un peu vite en besogne, sans doute pour que les autorités ne sachent pas que ce jour là on mariait des enfants : le grand-père avait 14 ans et sa future femme 12. Pour faire encore plus vite ce jour là on organise le mariage de deux personnes son grand-père et son cousin. Comme le cousin est très petit contrairement au grand père qui mesure 1 mètre 80, on lui a choisi une petite femmes. Mais les deux mariages se sont passés si vite que le grand-père s’est retrouvé avec la femme qui était destinée à son cousin … Le couple s’est bien entendu et aura une dizaine d’enfants.( Dont le père de l’auteure).

L’ensemble de ce témoignage, m’a beaucoup touchée mais je garde en mémoire un passage en particulier : le père de Nathacha Appanah , décide un jour de faire visiter l’Inde à son père et de retrouver leur village d’origine. Ce voyage avait été préparé depuis longtemps et devait durer un mois, mais le grand-père est revenu au bout d’une semaine, le grand-père était trop triste de voir l’extrême pauvreté dans laquelle vivaient les gens de son village natal. Il est revenu en disant je suis Mauricien ! Pour moi cela souligne bien l’impossible retour aux origines de ceux qui s’exilent pour réussir.

Le livre est agrémenté de photos qui sont autant de jalons de la vie de l’auteure, je suis très émue par celle-ci. Je trouve beaucoup de force à cet homme aux bras ballants et une telle inquiétude dans les yeux de cet enfant aux jambes trop maigres dans des chaussures trop grandes.

un billet chez Mot à Mot 

Extraits

 

 

Début avec en illustration une superbe photo d’un vol d’étourneaux.

Quand revient le temps des étourneaux qui se déploient dans le ciel pour dessiner des figures liquides et mouvantes, je vois gonfler et se former une dame -jeanne.
 Puis un chapeau épais qui lentement se mue en voile qui bat aux vent, s’éloigne et disparaît. J’essaie de décrypter le ballet des étourneaux comme je décrypterais un rébus, en espérant que chaque tableau soit un mot, et, mis bout-à-bout ces mots forment une phrase et soudain cette phrase serait ma première, mon évidence.

L’arrivée des coolies indiens.

 Mon trisaïeule porte le numéro 358444, il avait 45 ans. Ma trisaïseuille avait 39 ans, les autorités britanniques lui attribuent le 358445 et leur fils, âgé seulement de 11 ans est le numéro 358448. Ces numéros me bouleversent, je sais qu’ils devaient les retenir ou les avoir sur eux comme laissez-passer quand ils se déplaçaient hors de la plantation de champs de canne. Ce sont ces chiffres qui les identifient d’abord et avant tout, pas leur nom qui est trop compliqué, pas leur visage qui ressemble à tant d’autres, pas leur langue que personne ne comprend vraiment.

La peur ancestrale de l’eau.

  À qui vais-je avouer que j’ai peur de l’eau ? c’est ridicule.
 Qu’elle soit bleue, ou verte, ou grise, ou transparente, une fois dedans, dès que je n’ai plus pied, elle m’a fait l’effet d’une eau noire où je vais m’enfoncer, qui va m’avaler entière. Partout c’est pareil. L’océan Indien, l’Atlantique, la Manche, la Méditerranée, les piscines les bras d’eau, les canaux, les réservoirs, les rivières, les bassins.
 Je me demande si on peut être étreint par une croyance ancienne qui n’est pas à proprement parler la vôtre. Je me demande si les peurs peuvent rester tapi pendant plusieurs générations et ressurgir. C’est un sentiment, une incapacité, un tabou qui seraient transmis comme on transmet un trait, une manière de tenir sa cuiller, une façon de marcher.

Sa grand-mère.

Je ne connais pas exactement le nombre d’enfants dont a accouché ma grand-mère. J’ai j’entendu treize, j’ai entendu quinze. Seuls sept ont survécu : quatre filles et trois garçons. Enceinte, ma grand-mère travaillait jusqu’au dernier moment dans les champs. Elle a raconté à ma mère qu’elle ne laissait personne connaître exactement le terme de sa grossesse parce qu’elle ne voulait pas de mauvais œil sur elle et sur son enfant à naître. Quand elle ressentait des contractions, elle disait qu’elle se sentait fiévreuse et rentrer à la maison. Là, elle accouchait toute seule accroupie sur une toile de jute.

La domination .

Elle qui louait et craignait la trinité hindoue (Brahma, Shiba, Vishnou) entrait dans une église catholique à la veille de chacun de mes examens. Elle allumait une bougie devant la statue de la Vierge Marie et priait pour moi. Et pour les examens de l’école, elle avait plus confiance dans « le dieu des Blancs, le dieu qui parle français et anglais » me confiait-elle.
Voilà un autre des effets de la vie dans les plantations coloniales, de la vie de dominé. On finit par croire que non seulement sa langue maternelle est inférieure mais que dans certains domaines, ses dieux ancestraux le sont aussi ….

 


Édition Sabine-Wespieser

 

Après « Avant que les ombres s’effacent » , voici ma deuxième rencontre avec cet auteur. Et ce récit a été encore un vrai plaisir de lecture, au moins pour les trois quart, j’avoue avoir été moins intéressée par le personnage de Laura qui termine l’histoire de cette étonnante famille italienne, romaine, plus exactement. D’un côté la famille maternelle représentée par une comtesse qui est la quintessence de la noblesse catholique italienne. Le talent de l’auteur c’est de nous la rendre drôle même quand elle tyrannise toute sa famille ; il faut dire qu’elle a eu beaucoup de mérite de garder à flot cette famille car son mari qui ne pense qu’à ses maîtresses a dilapidé toute la fortune la sienne et presque toute celle de sa femme. Il fallait « paraître » et organiser des réceptions pour le gotha romains et cela « la comtesse » sait le faire mieux que tout le monde à Rome. Sa fille, Elena va épouser Giuseppe, un enfant d’une vieille famille juive romaine, le pendant de la comtesse, c’est Zia Rachele qui est la bonté même . Grâce à Giuseppe on découvrira le sort des juifs sous le fascisme et leurs difficultés, même s’ils ont survécu, à oublier leur peur. Dans cette grande maison vit aussi un concierge tout dévoué à Rachele et toute la famille. Ce sont des juifs non pratiquants, mais la soeur de Giuseppe partira vivre en Israël, même si toute sa famille cherche à l’en dissuader, elle partira quand même mais deux ans après l’avoir annoncé.

J’ai moins aimé le personnage de Laura la fille d’Elena et de Giuseppe qui va d’errance en errance sans que l’on sache bien pourquoi, elle permet à l’auteur de décrire les années noires de l’Italie , celles des attentats et des engagements politiques hasardeux. Laura risquera même d’y être mêlée de plus près qu’elle ne l’imaginait en fréquentant son professeur spécialiste de la littérature russe. Elle ne rêvait que d’une aventure sexuelle et sera fort déçue de ne pas parvenir à ses fins. Les rapports de Laura et de sa famille en particulier sa jalousie vis à vis de sa soeur m’ont carrément ennuyée. Dommage, car j’étais bien avec tous les autres membres de sa famille.

Ce qui fait le charme de cet auteur c’est son style et son humour et c’est sans doute plus facile d’avoir de l’humour sur des événements moins tragiques ou plus lointains que les attentats qui ont endeuillé l’Italie des années de jeunesse de Laura .

 

Extraits

 

Début.

« NONNA » ADÉLAÏDE, la grand-mère maternelle de Laura, autrement nommée la « comtessa », qui tenait à ce titre de noblesse hérité du défunt père des enfants -le seul apport conséquent de celui-ci à leur union, selon les dires de la vieille dame-, descendant d’une longue lignée d’aristocrates désargentés .

Un bilan de vie séquelle raconte avec humour.

Au delà de la crainte de lier les dernières années que Dieu lui concédait de vivre avec un tire au flanc libertin et de l’imposer qui pis est, à ses enfants et petits-enfants, elle n’avait nulle envie d’exposer aux yeux d’un inconnu sa nudité chiffonnée – elle n’était pas si décatie non plus. En dernière analyse, si elle n ‘avait connu, bibliquement parlant, que le père de ses enfants, se faire secouer tel un prunier par un érotomane, au moment de se mettre au lit en quête de sommeil bien mérité, ne lui manquait pas le moins du monde, sauf à tisser une liaison qui viendrait l’aider à redorer les lustres ternis au fil des ans…. On n’était jamais à l’abri d’une bonne surprise, n’est ce pas ?

Humour.

 Non par conviction républicaine, si tant est qu’il eût jamais une conviction dans la vie, hormis l’entrecuisse des femmes ….

J’adore cette grand mère .

 Elle avait des principes auxquels elle n’aurait dérogé pour rien au monde, comme laisser choir dans sa gorge quelque breuvage que ce fût qui n’eût transité par de la porcelaine de Limoges ou du pur cristal taillé de Murano, le rebord dûment doré à l’or fin.

Le passage par les psychologues (Leur fille, Laura, demande à ses parents d’aller voir un psychologue )

 … sans s’imaginer un instant qu’avec son mari, ils ouvraient la boîte de Pandore et engageaient leur fille sur une voie tordue de plusieurs décennies, où elle irait de gourou à gourou dans une éternelle insatisfaction. L’un lui laisserait entendre qu’elle était un haut potentiel intellectuel, normal d’être incomprise de la majorité des êtres humains, de niveau plutôt moyen, voire médiocre ; l’autre la traiterait comme une servante, la rabaisserait plus bas que terre, ramassant les miettes dès qu’elle ferait mine de changer de boutique, mais tous lui expliqueraient la nécessité vitale de payer à prix d’or leur écoute, de la budgétiser au même titre, si ce n’est en priorité, que se nourrir et d’avoir un toit sur la tête.


Édition Héloïse d’Ormesson 

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

Un livre surprenant pour un premier roman d’une jeune écrivaine, il est composé en trois parties dont l’intérêt est allé en diminuant (pour moi !).

La première partie est à deux voix : celle du père et de la mère d’Isor une enfant qui ne parle pas et dont aucun médecin ne peut dire exactement ce qu’elle a. On retrouve dans cette partie le désarroi des parents d’une enfant « pas comme les autres ». Sa mère sent que cette petite fille, sa fille, a des capacités qu’elle ne veut (ou ne peut) pas montrer, comme si elle avait peur du monde. Son père est souvent plus agacé par sa fille mais finit par trouver un lien avec elle à travers les DVD, ensemble ils regardent des reportages animaliers ou des films en langue étrangère. Elle imite très bien les animaux ou semble parler chinois ou arabe. Alors qu’elle ne dit pas un mot en français.

J’ai trouvé triste mais très bien décrite leurs démarches auprès du corps médical pour comprendre et aider leur fille. Tant de parents témoignent des mêmes errances quand ils veulent comprendre pourquoi leur enfant ne réagit pas comme tous les autres. Ils décident donc de s’en sortir seuls. Isore grandit et un jour elle veut faire ses propres découvertes, nous sommes dans la deuxième partie quand elle rencontre Lucien un vieil homme avec qui elle se sent bien. Dans la deuxième partie nous entendons la voix de Lucien, et je n’ai vraiment pas compris grand chose à cet amour absolu de Lucien pour Isore. Ce que la petite n’a jamais donné à ses parents (la communication) elle le donnera à cet homme qui partagera son secret avec elle : l’éloignement en Italie de sa fille Anellia ou Ani. Enfin, dans la troisième partie (un grand n’importe quoi – toujours pour moi) grâce à une correspondance fournie , Isor raconte à ses parents sa nouvelle vie en Sicile avec Aniella. Bref cette enfant qui n’a jamais eu aucune autonomie, n’a jamais parlé peut écrire est capable de se rendre seule en Sicile pour retrouver et vivre avec la fille de Lucien .

Une déception, après un bon début, pour ce roman qui visiblement plaît beaucoup. Cette toute jeune écrivaine a le temps pour écrire des romans qui, peut-être, me plairont davantage.

 

Extraits

Début .

 Mère 
Mon poussin, ma toute petite, moi qui t’ai formé au rythme des secrets de mon ventre, je t’ai vue finalement grandir en dépit de tout. Detoutes ces choses incompréhensibles et qui t’étaient contraires.

Florilège d’avis divers et variés sur leur fille,( j’en cite 2 sur 10).

Alexandre Petit (interne) ORL : » L’hypothèse d’un syndrome rare touchant les canaux lacrymaux n’est pas exclue : votre fille sécréterait trop de larmes. On a relevé un cas similaire en Birmanie il y a deux ans ».

 

Docteur Amandine Blanc, psychiatre : » Partez donc un peu en vacances, prenez du temps pour vous cela devient UR-GENT ! Isor a besoin de voir sa famille unie et heureuse. On continue de se voir tous les deux jours ? »

 


Édition Robert Laffont, 361 pages, février 2024.

 

J’ai failli arrêter la lecture de ce roman au premier chapitre, j’ai eu beaucoup de mal à croire au coup de foudre qui y est décrit : une jeune fille de 17 ans, croise sur un trottoir de son village, un jeune homme très sale mais son sourire lui soulève le coeur. Et paf ! elle est amoureuse et lui aussi et cela pour toute la vie. Evidemment la famille de la jeune Victoria est très dysfonctionnelle, sa mère sa tante et son cousin son morts dans un accident de voiture. Son père est muré dans un silence douloureux, son oncle revenu blessé de la guerre est complètement aigri et se déplace dans un fauteuil roulant , son frère Seth est la méchanceté incarnée. Son grand amour s’avère être un Indien, dont elle aura un enfant. Et lui sera assassiné par le frère de son amante et un ami de celui-ci .
Dans la deuxième partie, on voit cette jeune Victoria accoucher seule dans la montagne et confier son bébé à une jeune femme qui est en train de pique niquer dans une clairière avec son mari et son propre bébé. Ensuite on suivra Victoria d’abord dans son retour dans son village qui doit être inondé par un barrage hydraulique, elle acceptera l’argent du gouvernement pour déménager et reconstruire une ferme dans une autre vallée. Elle sera aidée pour déménager ses merveilleux pêchers par un ingénieur agronome. La vie reprend donc des couleurs pour elle, il lui restera à retrouver son fils. Mais non, je ne vous dévoilerait pas la fin.

L’histoire s’étale de 1948 à 1971, et permet à l’auteur d’évoquer les différentes tragédies ou seulement différentes façon de voir le monde qui ont traversé les USA pendant cette longue période : le retour des hommes blessés pendant la deuxième guerre mondiale, le racisme contre les indiens, la protection de la nature, la guerre du Vietnam , le poids de la religion, la place des femmes …

À aucun moment, je n’ai pu croire croire à « l’héroïne inoubliable » que me promettait le « Sunday Express », pas plus qu’à son abruti de frère Seth qui est le diable incarné. Il y a tant de rebondissements (souvent très invraisemblables) dans ce récit que cela peut peut-être plaire à un certain public, je n’en sais rien. L’évocation de notre « mère  » nature est tellement américaine ! Bref une énorme déception pour un livre que je vais très vite oublier.

À ne lire que si vous voulez bien que je divulgâche ce roman

Lorsque Victoria a accouché seule dans sa cabane dans la forêt, elle réussit à réanimer son bébé puis part et se retrouve dans une clairière où un couple pique nique et la femme donne le sein à un bébé. Elle dépose son nouveau né sur la banquette arrière de la voiture. Cette femme avait elle même accouché, à l’hôpital deux jours avant dans des conditions terribles et n’aura pas d’autres enfants, or son mari voulait avoir deux fils.. Attendez, ! ce n’est pas fini, par le plus grand des hasards le couple n’avait pas encore déclaré la naissance, ils vont donc déclarer la naissance de jumeaux…

 

Extraits

Début .

 Le garçon ne payait pas de mine.
Du moins à première vue
 » Excusez-moi, dit-il, portant des doigts sales à la visière d’une vieille casquette rouge. C’est par là la pension ? »
Aussi simple que ça. Une question banale posée par un inconnu crasseux remontant la Grand-Rue, juste au moment où j’arrivais au croisement avec la rue North Laura.

Le coup de foudre.

 En quittant la ferme ce matin-là, j’étais une fille ordinaire un jour ordinaire. Si je n’étais pas encore capables d’identifier quelle nouvelle carte s’était dépliée en moi, je savais que je n’étais plus la même en rentrant à la maison. Je ressentais ce que devaient ressentir les explorateurs dont on nous parlait à l’école, lorsqu’ils apercevaient un rivage lointain et mystérieux dans une mer qu’il croyait sans fin. Devenu le Magellan de mon voyage intérieur, je m’interrogeais sur ce que je découvrais. La tête posée sur la large épaule de Will, je me demandais d’où il venait, qui il avait quitté, et s’il arrivait à un vagabond de rester longtemps au même endroit. 

Les femmes.

 Une règle que ma mère m’avait apprise par l’exemple, c’est qu’une femme a tout intérêt à parler le moins possible. Elle m’avait souvent paru distante au cours des conversations, en particulier avec les ouvriers agricoles qui partageaient notre table. Mais j’avais fini par comprendre qu’elle, comme moi, comme les femmes de toute temps, utilisait le silence pour protéger sa vérité. En ne me montrant en surface qu’une petite fraction de sa vie intérieure, une femme offrait moins à piller aux hommes.

L’amour…

 Une fille de dix sept ans peut être idiote, surtout si elle ignore tout du pouvoir extraordinaire de l’amour jusqu’à ce qu’il la submerge telle une crue soudaine. Mais mon intuition selon laquelle Will était proche et ma certitude de le trouver en train de m’attendre dans la propriété voisine où Ruby-Alice recueillait ses étranges créatures étaient parfaitement fondées.

Fin de son amoureux pas de son amour .

 Et pourtant… Je connaissais la vérité : le monde était trop cruel pour protéger un garçon innocent ou pour évaluer ce que l’on ait ou non capable d’endurer ; Will avait trouvé la mort au fond de Black Canyon parce qu’il était resté pour m’aimer. 

La survie dans la nature .

 Je scrutai la forêt où vie et mort se superposaient dans l’immobilité froide et la pénombre, et où seuls les chants d’oiseaux rompaient le silence. Des arbres abattus gisaient entre les rochers au milieu des branches tombées et de pommes de pins. Des troncs bruns et massifs se dressaient vers la voûte de feuillages. Des dizaines de jeunes tiges luttaient pour exister, certaines à peine assez hautes pour pointer leur tête hérissée au dessus du charme et de la neige, d’autres émergeant au centre de bûches en décompositions comme des bébés sortie de ventres ouverts. Il y avait de la beauté dans ce chaos. Chaque élément avec son rôle a jouer dans le cycle éternel de la vie. Je me sentais toute petite et inutile, mais pas complètement malvenue.

Édition Calman Levy

Lu dans le cadre du club de lecture de la médiathèque de Dinard.

 

 

Pour une fois, on peut résumer rapidement le sujet. Une musicienne ne supporte plus Paris et l’ambiance de son quartier où vivent de nombreux artistes, et part vivre dans le Finistère proche de la mer.

Je reconnais une qualité à ce roman qui a d’ailleurs reçu le prix Renaudot, c’est dire si je ne suis pas dans l’air du temps avec mes deux malheureux coquillages, qu’elle aurait pu ramasser sur les plages qu’elle découvre à côté de sa location. Cette écrivaine est très honnête et après un coup de cœur pour la maison qu’elle a louée sans même la voir, elle ne nous chante pas le refrain trop connu de la vie idyllique en Bretagne authentique. Elle aura froid dans une maison mal construite, elle n’arrivera pas à changer sa bouteille de gaz, faire ses courses s’avérera très compliqué voire impossible sans voiture, ses propriétaires sont mesquins et malhonnêtes, et puis … il pleut beaucoup, tout le temps en vérité, et le taux d’humidité monte à 98 pour cent .
L’autrice se plaît à nous d’écrire par le menu la psychologie des différents personnages qui ont traversé sa vie. Je ne sais pas si c’est le milieu dans lequel elle vit mais la plupart d’entre eux font face à des histoires horribles. Le suicide y est monnaie courante. Sa meilleure amie a même enterré son propre frère pour cacher sa mort à ses parents !

Alors tout ce petit monde n’a qu’une solution : la drogue.

Quand on sait les ravages que fait le trafic de drogue en France c’est terrible de lire que des gens qui vivent bien loin des quartiers où les dealers font la loi permettent à ces gens de vivre et de terroriser des populations qui, elles n’ont pas les moyens de se droguer au chaud entre amis dans des appartements historiques où les seuls problèmes de voisinage sont des gens qui, parfois, font la fête trop tard le soir .

bref mon jugement moral me fait rejeter ce roman, et visiblement cela ne l’empêchera d’être encensé par la critique.

Extraits

Début.

 La plupart des gens sont seuls, ou se sentent seuls, ou ont peur de l’être. Peut-être est-ce pour ça que certains se comportent de manière vraiment merdique. Mais je ne me demande plus jamais pourquoi les gens font ce qu’ils font.

Après un mois de pluie, je me demande si elle pensera encore cela la réponse est non).

 À la sortie de la petite gare, en sentant la moiteur dans l’air et en voyant les palmiers sur le terre-plein du parking, elle a eu l’impression de débarquer dans un autre coin que le Finistère, différent de ce qu’elle avait imaginé, pas tropical mais presque avec cette averse malgré le soleil, quelque chose d’étrangement chaud, humide, enveloppant, et elle a su qu’elle allait être bien ici.

La banalisation de la drogue ( dans des quartiers éloignés de ce qui en rend d’autres si violents).

Quelle idiote d’avoir acheté un gramme avant de partir. Pour quoi faire, elle songe en remportant son téléphone qui n’a pas fini de charger. Quel intérêt d’avoir seulement un gramme ici alors qu’après ça donne envie de continuer à taper pendant des jours. Tout cela pour quoi, parce que celle du dealer de Mathieu le week-end dernier était meilleure que celle de la fois d’avant qui avait un goût de kérosène ?


Édition Gallimard NRF

Voici donc le troisième roman de cet auteur japonais qui manie avec tant de grâce la langue française. Il est aussi le troisième roman d’une trilogie dont je n’ai lu que le premier tome « Âme brisée » après avoir beaucoup aimé sa réflexion sur la langue « Une langue venue d’ailleurs« . J’ai moins aimé ce roman car j’en connaissais tous les ressorts mais c’est pourtant un bon roman construit autour d’un instrument de musique d’exception : un violoncelle Goffriller. Un jeune virtuose japonais, Ken Mizutani, est formé à la musique occidentale à Paris avant la deuxième guerre mondiale. Hélas la guerre le rattrape et avant de partir mourir dans ce conflit qu’il ne comprend pas, il connaîtra une nuit d’amour avec une luthière française qui exerce au Japon, Hortense Schmidt. Dans les romans une nuit suffit à faire un enfant, donc Pamina, leur enfant, sera aussi luthière mais à Paris et le célèbre violoncelle arrivera dans l’atelier e celui qui avait réparé le violon brisé du premier roman,  » Âme brisée »..

On retrouve ici le fanatisme du japon du régime de l’empereur Hito et un peuple prêt à se sacrifier pour toutes les guerres qu’il a entrepris de conduire au nom du nationalisme expensionniste japonais. On retrouve aussi toute la passion de cet auteur pour la musique classique en particulier les suites de Bach, du grand violoncelliste Pablo Casal, mais aussi d’un compositeur moins connu (en tout cas de moi) Elgar qui a écrit ce morceau plein de douleur après la guerre 14/18.

L’auteur aime aussi raconter la minutie du travail de luthier et c’est un grand plaisir de le lire. Mais tout cela on l’avait dans le premier roman, j’ai eu,donc, l’impression de lire une variante d’Âme brisé et pas un troisième tome d’une trilogie. Cela a, un peu, gâché mon plaisir.

Extraits

Début.

Je m’appelle Hortense Schmidt. J’ai trente-six ans. Je suis luthière. J’ai mon atelier dans le quartier de l’École nationale de musique de Tokyo. Mais en raison de l’intensification des bombardements dans la région de la capitale nipponne, je me suis réfugiée, sur le conseil de Ken Mizutani, dans ce hameau de Shinano-Oïwake qui appartient à la commune de Karuizawa où un nombre assez considérable d’Occidentaux vivent « parqués », si j’ose dire, sous l’ordre des autorités gouvernementales.

« Âme brisée » présent dans « Suite inoubliable » .

 On lui raconta alors qu’il était devenu luthier pour réparer le violon de son père musicien amateur ce fameux Nicolas François Vuillaume qui avait été impitoyablement piétiné par un militaire fanatique.

Un de mes étonnements sur le Japon d’après guerre.

En effet, les Japonais, qui tout au long de ces dernières années, partaient volontiers se « suicide collectif » plutôt que de « capitulation » et qui considéraient les Occidentaux avec méfiance, voire hostilité, ont changé radicalement d’attitude à leur égard pour aller jusqu’à les saluer avec de larges sourires.