Édition Gallimard NRF
Un roman pudique qui exprime pourtant si bien la violence, la solitude, la peur, l’amour et surtout la force de la musique. On est loin des six cent pages obligatoires du moindre roman américain et pourtant, je suis certaine que ce texte restera dans ma mémoire autant par l’ambiance que ce romancier a su créer que par la force de l’histoire. C’est la deuxième fois que je rencontre ce romancier, je me souviens avoir déjà beaucoup aimé « Une langue venue d’ailleurs » .
Le récit commence par une scène de terreur. En 1938, au Japon, un groupe de quatre musiciens amateurs se réunit pour répéter Rosamunde de Schubert. Mais ils sont interrompus par un militaire qui les soupçonne de communisme . Le père du narrateur a juste le temps de cacher son fils dans une armoire avant d’être brutalisé par ce soldat qui va les arrêter tous les quatre , d’autant plus furieux que trois d’entre eux sont Chinois. L’enfant caché verra toute la scène, en particulier le soldat qui écrase de son pied botté, le violon de son père. Ensuite le roman passe quelques décennies et Rei l’enfant est devenu adulte, il est luthier et a épousé une archetière (un mot que ce roman a rajouté à mon vocabulaire). Nous apprendrons que cet enfant a été élevé par un couple de français ami de son père qui lui, a disparu dans les geôles de l’empire du Japon pendant la guerre. Le roman permet de retrouver les protagonistes ou leurs descendants de la scène initiale. C’est aussi un roman sur la musique, le travail du luthier, sur la langue japonaise. Rie a réussi à reconstruire le violon de son père, je ne peux sans divulgâcher la fin du récit, vous dire quelle virtuose jouera sur cet instrument de facture française. Je connaissais la tradition de luthiers de Richemont, petite ville des Vosges, mais je ne savais pas que, sans dépasser la tradition de Crémone, Richemont a donné des violons d’une qualité très recherchée, encore aujourd’hui. le père de Rei possède un Jean-Baptise Vuillaume.
Si je mets 5 coquillages à ce roman, c’est que j’aime tout dans la façon de raconter de Akira MIZUBAYASHI en particulier sa pudeur, son élégance et son goût pour la langue aussi bien japonaise que française.(Il écrit en français !)
Citations
Destruction du violon
Emporté par la haine féroce, il balança le violon par terre de toutes ses forces et l’écrasa de ses lourdes bottes de cuir. L’instrument à corde, brisée, aplati, réduit en morceaux, poussa d’étranges cris d’agonie qu’aucun animal mourant n’eût émis dans la forêt des chasseurs impitoyables.
Rei avait assisté, par le trou de la serrure, à toute cette scène insoutenable sans pouvoir suffisamment saisir les échanges entre son père et le militaire. Il était retourné par la violence que son père subissait. Pétrifié de peur, recroquevillé sur lui-même, dévasté par son impuissance d’enfant, il se morfondait dans l’obscurité de sa cachette. Seul vibrait au fond de son conduit auditif la monstruosité du mot « Hikokumin* »et les sons événements, plaintifs et dissonants du violon mourant de son père.
Scène initiale
Plusieurs longues secondes passent. Je ne sais ce qu’il fait, le corps ne bouge pas d’un pouce. J’ai peur. Instinctivement, je ferme les yeux. Le silence persiste. Je rouvre les yeux à moitié. Il se penche alors lentement, très lentement, comme s’il hésitait, comme s’il n’était pas sûr de ce qu’il faisait. Une tête d’homme, coiffé d’un képi de la même couleur que l’uniforme, apparaît devant mes yeux. À contre-jour, elle est voilée d’une ombre épaisse. Du bord du képi descend par derrière jusqu’aux épaules une pièce d’étoffe également kaki. Les yeux seuls brillent comme ceux d’une chatte qui guette dans les ténèbres. Mes yeux, maintenant grands ouverts, rencontrent les siens. Je crois pouvoir reconnaître un discret sourire qui s’esquisse et qui se répand autour des yeux. Qu’est-ce qu’il va faire ? Il va me faire mal ? Il va me sortir de force de cette cachette ? Je me blottis davantage sur moi-même. Soudain, il se penche de côté et se baisse un peu, puis il se relève aussitôt avec, dans la main, le violon abîmé qu’il a posé sans doute, il y a quelques instants, sur le banc juste à côté de l’armoire où je suis réfugié.
Le thème de Rosamunde
Le thème que je vais jouer est d’après moi l’expression de la nostalgie pour le monde d’autrefois qui se confond avec l’enfance peut-être, un monde en tout cas paisible et serein, plus harmonieux que celui d’aujourd’hui dans sa laideur et sa violence. En revanche, j’entends le motif présenté par l’alto et le violoncelle « tâ…. takatakata……., tâ…. takatakata… », comme la présence obstinée de la menace prête à envahir la vie apparemment sans trouble. La mélodie introduite par Kang-san traduit l’angoissante tristesse qui gît au fond de notre cœur.
Le travail du Luthier
Le vieil homme était en tablier bleu marine recouvert, de-ci de-là, de quelques copeaux fins. Il retourna à son établi tout en longueur où se trouvait, à côté d’un violoncelle détablé et en restauration, un violon ou un alto en cours de fabrication dans son état de bois brut non vernis. L’instrument n’avait encore ni manche ni touche, mais son corps échancré était achevé, toutes ses parties constitutives bien assemblées, minutieusement montées. L’homme au tablier bleu marine contemplait son objet d’un air satisfait, en le tenant de la main gauche. Les ouïes lui firent penser comme souvent au long yeux bridés d’un masque japonais « Okame ». Elles transformaient alors la surface de la table d’harmonie gracieusement bombées en un visage de femme souriant et rayonnant. Sur le mur, en face de lui, étaient accrochés une variété incroyable d’outils de menuiserie et de lutherie. Plus haut, on voyait un diplôme encadré, celui de la « Cremona Scuola Internazionale di Liuteria ». Au bout de quelques minutes, ses yeux quittèrent son enfant encore à l’état de fœtus pour se porter sur les nombreux instrument à cordes verticalement accrochés à une planche en bois d’une dizaine de mètres qui, juste au-dessous du plafond, allait horizontalement d’une extrémité à l’autre de tout le mur peint en blanc. Il tourna sa chaise en direction de sa collection de violon et alto parfaitement alignés.
Sa femme est archetière
Hélène avait été frappée par le métier d’archetier, lorsqu’elle était entrée dans l’atelier d’un maître archetier. Une simple baguette en bois de pernambouc c’était transformée en un bel objet dans la courbe lui apparaissait pour la première fois -alors qu’elle avait vécu jusque-là tous les jours au contact des archets et de ses parents- sous l’aspect d’une mystérieuse beauté qui faisait penser à celle d’un navire céleste voguant sur les flots argenté des nuages. Ses parents lui avaient dit que la sonorité de leur instrument changeait sensiblement en fonction de l’archet qu’ils considéraient comme le prolongement naturel de leur bras droit.