Édition Acte Sud, 196 pages, Avril 2024

Après ‘Augustin » qui m’avait tant plu, je retrouve cet auteur avec grand plaisir. L’écriture de ce roman s’inspire d’un fait divers tragique : un couple a disparu en montagne en tombant dans une crevasse d’un glacier dans les Alpes Suisse, en 1942, le glacier rendra leurs deux corps en 1972. Pendant ce temps leurs enfants grandiront sans la chaleur d’un foyer.

L’écrivain construit son roman, en imaginant un couple heureux, joyeux et amoureux. Lui, Joseph, est une force de la nature, cordonnier de son état, il chante tout le temps et rend tous les services qu’il peut à sa famille et aux gens de son village. Elle, Louise, l’institutrice est une femme remarquable, qui a eu le malheur d’être la fille d’une femme très originale, partie en Amérique, elle en est revenue avec un peu d’argent et une petite fille qu’elle a confiée à une cousine. Celle-ci a été assez bien élevée pour devenir institutrice, et se mariera assez tard avec cet homme d’une autre vallée, Joseph.

Ensemble, ils ont quatre enfants, et une fois par mois, Joseph monte dans les estives pour s’occuper de leurs quatre vaches, les traire et faire du fromage. C’est une maison très harmonieuse, où l’on chante car Joseph a une superbe voix, les enfants sont heureux et promis à une belle vie.

Mais voilà, Louise veut absolument, au moins une fois, monter dans les estives avec Joseph. Elle veut, elle aussi, voir cette montagne que son mari aime tant. La montée sera difficile, l’écrivain déploie tout son talent pour nous faire vivre cette ascension, et soudain le temps s’en mêle pour rendre la traversée du glacier impossible.
Joseph et Louise ne redescendront jamais de la montagne, laissant quatre orphelins dans un deuil impossible car les corps de leurs parents sont introuvables.
Les enfants seront en but aux rumeurs les plus folles sur la disparition de leurs parents, toute la générosité qu’ils avaient montrée pour les gens du village se retournera contre leurs enfants : ils étaient trop bien, trop heureux, ces gens, pour ne pas être jalousés, « ils ont dû s’enfuir pour profiter de leur argent. » , Voilà ce que les enfants entendront toute leur vie.

Un jour le glacier rendra les corps, mais ce sera une bien piètre consolation pour des enfants qui, devenus vieux, ont construit une vie sans eux.

Un très beau roman qui se lit facilement, qui rend bien compte de la vie rurale dans un petit village Suisse au début du XX° Siècle, j’ai une petite réserve sur l’aspect pas assez incarné des deux personnages principaux, ils ressemblent plus à des types de personnages qu’à des gens réels.

 

Extraits

Début.

 Joseph a prévenu Louise, « Là où je t’emmène, il se peut qu’on ne t’aime pas », elle a répondu qu’elle s’en moquait pas mal, « on verra bien », et cette seule réponse l’a convaincu qu’elle serait la femme de sa vie. Il est allé la chercher en 1929 au loin, dans un autre village, plus fou encore, dans une autre vallée. Ce sont des choses qui ne se font pas. Plutôt épouser sa cousine qu’une fille d’ailleurs.

La ruée vers l’or.

 Nul n’est préparé à la violence indicible de la ruée vers l’or, personne ne l’a jamais été, personne ne le pouvait. On l’est encore moins quand on débarque d’un alpage et qu’on est une femme. Ernestine cumule les risques, les provoque presque, elle cherche les ennuis. Peut-être fallait-il être Ernestine pour en réchapper, pour ne pas disparaître au fond d’un ravin, dévalisée, déshabillée et violé aux confins du Colorado et de l’Idaho, près de North Fork, le long de la rivière de Cœur d’Alene, où son errance va la conduire en train, parce qu’il y a bien longtemps que l’or s’est évaporé en Californie, le journal leur avait menti. Peut-être le savait-elle, en embarquant au Havre que ce voyage serait bien plus difficile que celui vanté par la publicité mais qu’elle y parviendrait, qu’elle ne coulerait pas, qu’elle reviendrait, pas forcément riche à millions mais en tout cas bien plus qu’au départ.

Le couple.

 La vie de tous les jours les rattrape. La promesse qu’il a faite de lui fabriquer une nouvelle valise en cuir. Joseph l’a tenue. La valise trône au grenier, non, elle ne trône pas, elle moisit, elle prend l’humidité, elle ne sert à rien. Une princesse, Louise, vraiment ? Une princesse qui jamais ne sort du village, voit les mêmes têtes tous les jours, les mêmes gamines à l’école, ne va jamais à la ville, se tue à la tâche aux champs quand elle n’enseigne pas. À quoi cela sert-il de posséder une valise si grande, neuve, si on ne voyage jamais, quand on sait qu’on ne voyagera jamais ?

Août.

 Nous sommes au mitan du mois d’août, celui qui sert à préparer la guerre contre l’hiver. C’est le mois de la constitution du stock de bois, le moment où la commune attribue à chaque famille son lot de sapins déracinés par les avalanches ou frappés par la foudre. Août sert à faucher les regains, fabriquer d’autres souliers, réparer les attelages, préparer la maison pour l’hiver, retaper et consolider les portes les fenêtres, réparer les tables qui vacillent

Le mauvais temps sur le glacier un 15 août 1942.

 Puis tout va trop vite. Il fait sombre en quelques minutes, nous sommes le 15 août, il est à peine dix sept heures quinze mais il fait nuit, une nuit blanche. Le brouillard a tout envahi, tout camouflé. Plus rapide qu’un cheval au galop, il a surgi de la vallée en quelques secondes. Ils sont à quelques mètres l’un de l’autre, tenus par la corde et pourtant ne se voient plus. Il ne reste que la parole, la voix, les cris, les hurlements. « Tu es où ? » « Je ne te vois plus ! ». Elle s’agite à l’autre bout de la corde, voudrait aller dans un autre sens, n’importe où, elle veut fuir, Joseph lui dit « Ne bouge pas ! », « Mon Dieu mais tu es où ? », répète « Ne bouge pas ! » hurle encore. Elle pleure. Elle hurle. Un voile blanc épais comme un drap qui recouvre tout en l’espace de quelques secondes même pas le temps d’attraper le bras de son mari mais il y a la corde, leur vie qui ne tient vraiment qu’à ce fil.

15 Thoughts on “Avec toi je ne crains rien – Alexandre DUYCK

  1. keisha on 30 août 2024 at 07:35 said:

    Connais pas du tout l’auteur, hum.

  2. j’ai mis la main dessus, merci à toi

  3. Comme Keisha, je découvre cet auteur pourtant au catalogue d’Actes Sud !

  4. Je n’ai pas lu Augustin mais je vois bien de quoi il est question. Il me semble qu’il y a eu u. Film. Je note celui ci.

  5. Je viens de le finir ! Je l’avais offert à ma mère qui l’a trouvé trop dur. Moi j’ai beaucoup aimé ce lien qui unit le mari et sa femme.

    • Ce que j’ai aimé c’est la description de l’ascension du couple vers les estives, l’auteur décrit bien l’angoisse et la peur qui monte peu à peu.

  6. Un auteur que je ne connais pas du tout. Mais pourquoi pas, s’il croise mon champs visuel !!!

  7.  » la vie rurale dans un petit village Suisse au début du XX° Siècle « – cette phrase m’a fait noter ce livre !

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