Édition Gallimard NRF.

 

Ce peuple des promesses duquel il faut se méfier, car il est désespérément myope et doté d’une mémoire reptilienne. La preuve en est que depuis deux cents ans, à chaque tournant majeur de son histoire, il fait toujours le pire des choix.

 

Les trois coups de cœur du club de lecture sont entièrement mérités ainsi que mes cinq coquillages. Ce roman est extraordinaire, car il mêle l’analyse fine et fouillée du sentiment amoureux avec l’horreur de la lutte politique en Iran, de la chute du Shah à la répression la plus totale de la dictature islamique. Au début nous sommes dans une petite ville, une station balnéaire, Chamkhaleh sur la mer Caspienne où la vie, l’été, se déroule comme dans toutes les stations balnéaires, les filles sont jolies, montrent volontiers leur sourire et leur corps, les garçons sont amoureux mais n’osent pas s’approcher. Surtout de la si belle et si libre Niloufar, cousine du narrateur.

Comment peut on imaginer que ce monde a entièrement disparu sous le régime des Mollahs . L’auteur mêle avec un brio incroyable le récit de cet amour d’adolescent pour une jeune fille qui a trois ans de plus que lui avec la tragédie iranienne . Quand on a treize ans une jeune fille de seize ans , c’est une femme . Il raconte bien aussi toutes les contradictions qui divisent la société et les familles. Mais quel pauvre pays qui a cru se débarrasser d’un tyran est s’est jeté dans les bras de brutes sanguinaires bien pire que le Shah ! Ce que j’avais un peu oublié, c’est le rôle de la guerre contre l’Irak qui a conforté la répression contre la moindre opposition.

Ce récit est aussi une remise en cause de l’engagement politique, son héros n’est jamais sincère : il prend des postures et veut juste séduire celle qu’il aime. Mais surtout personne n’avait une vision claire de ce qui allait se passer.

Voilà ce qu’un roman peut apporter de mieux : comprendre grâce à ce récit l’absurdité du régime iranien et le côté factice des révoltes. Et pourtant , il s’agit surtout et avant tout d’un roman d’amour. J’ai vraiment été séduite par la performance littéraire et si triste pour ce pays qui n’est pas prêt de se débarrasser de ses tortionnaires.

 

Citations

C’est hélas vrai ! (et cela ressemble à l’incendie du Reichstag !).

 L’été 1978, le cinéma Rex d’Abadan prenait feu. . Plus de quatre cents personnes y périssaient brûlées vive. Un incendie de toute évidence criminel. Les doigts accusateurs se sont pointés vers le Shah et sa police secrète. Unanimement tu t’en souviens ? Toutes tendances confondues. C’était le coup fatal. L’étincelle dans les barils de poudre. Des corps calcinés ont été montrés sur les photos qui circulaient sous le manteau. Le régime du shah n’a jamais pu s’en remettre.
 Quelle énorme mensonge ! Quel coup de maître. Quii peut encore ignorer aujourd’hui que le cinéma a été mis à feu par des activistes musulmans appliquant une fatwa émise par un ayatollah ?, Quel intérêt avait le régime du shah à incendier un cinéma dans un quartier populaire d’une ville de second rang ? Vraiment quel intérêt ? Mais à ce moment-là dans ce pays de presque quarante million d’habitants, nul n’a été suffisamment lucide pour poser cette simple question ait dénoncé l’absurdité de la chose. Nous avons tous pris part à ce mensonge.

À l’époque du shah !

 Attention ! C’était l’Iran de l’époque du shah. Tu ne l’as pas vraiment connu. Il n’y avait pas encore la moindre femme voilée sur le rivage, et les foulards et tchadors n’étaient pas de mise. À la place, il y avait elles, avec leurs minuscules bikinis, leurs débardeurs, leurs robes légères, ouvertes aux quatre vents, leurs éclats de rire. Elles se déhanchaient sur le sable chaud. Rigolaient à gorge déployée. Je te promets, devant un tel spectacle, les bronzés de Malibu pouvaient aller se rhabiller.

Son père .

 Mais, à chaque fois, je m’apercevait avec étonnement que mon père était le seul qui ne m’écoutait pas. Il était, toujours, rouge de honte, souffrant secrètement comme a son habitude. Un jour, il m’a avoué à quel point il détestait mes sorties, mes tirades savantes, mes discours. Il me trouvait vulgaire, vantard et malhonnête. Il disait que j’étais l’échec de sa vie et qu’il regrettait amèrement de n’avoir pas su m’inculquer un brin d’abnégation, de bon sens et d’honnêteté, valeurs indispensables à ses yeux pour être un homme bon. Là il avait raison. Il voyait juste, mon pauvre père !

La guerre Irak Iran.

 Malgré le massacre, personne n’avait intérêt à mettre fin au conflit. Ni les mollahs qui avaient trouvé dans cette guerre la garantie de rester au pouvoir. Ni les chefs de guerre, alliés aux nouveaux hommes d’affaires et qui gagnaient des sommes vertigineuses en contournant l’embargo américain. Ni les grandes démocraties européennes qui vendaient des armes aux belligérants, clients dociles et solvables, vu les gisements pétroliers sur lesquels ils étaient assis. Ni les riches émirats arabes sunnites terrorisés par la montée de l’islam chiite expansionniste. Bref, chacun trouvait son compte dans la prolongation du conflit. Des hôtels macabres, surmonté de l’image de jeunes martyrs étaient dressés à chaque coin de rue. Les murs et les portes étaient couverts de photos de jeunes soldats tombés au front.

 

 

18 Thoughts on “Ma part d’elle – Java DJAVAHERY

  1. Le premier extrait est tout à fait parlant, je me souviens encore des premiers troubles en Iran, de la chute du Shah qui pouvait apparaitre comme une victoire de la démocratie, impression vite balayée hélas

    • Moi ce que j’ai oublié c’est le poids de la guerre dans la répression implacable. Ce livre est extraordinaire car à travers une histoire d’amour, l’auteur nous fait comprendre tant de choses sur les dessous de l’engagement politique. J’ai un souvenir d’un film ancien «rouge baiser» où on vit l’exclusion d’une jeune militante de sa cellule du PCF à Paris, en 1953, car elle a refusé de coucher avec le chef de la cellule. Bien sûr on l’a traité de trotskyste c’était plus acceptable.

  2. keisha on 28 septembre 2023 at 13:12 said:

    Hala carrément 5 coquillages, tu fais fort, et puis l’Iran… (même si j’ai l’impression d’en avoir lu pas mal)

    • je suis d’accord on a beaucoup lu sur ce grand pays martyre mais cet écrivain sait rendre le destin original car il mêle une histoire d’amour raté à la grande histoire.

  3. Tu me donnes envie de découvrir ce titre. J’espère que ma BM l’aura.

  4. Très tentée, dommage que l’auteur soit inconnu à ma BM… zut alors !

  5. Récemment j’ai écouté pas mal d’émissions de radio à l’occasion de la première année de la mort de Mahsa Amini ; ils reprenaient l’histoire depuis le shah et rappelaient l’importance de la guerre avec l’Irak, qui a permis aux mollahs d’asseoir leur autorité pour longtemps. Ma bibliothèque ne l’a pas, mais je peux faire la suggestion.

    • C’est un livre qui m’a beaucoup touchée. Il remet bien en lumière l’histoire de ce pauvre pays mais il parle bien de l’engagement et de ses limites.

  6. Il m’attire beaucoup ce roman. Oui régime pire qu’avant. Ils sont vraiment courageux de se rebeller. J’avais lu un livre qui s’appelait les dindes à Téhéran ou un titre comme celui là. Outre qu’il était marrant il montrait comment une vie souterraine s’organisait avec des femmes qui voulaient être affriolantes pour leur mari ou leur ami. Je ne sais vraiment pas si c’est encore possible.

    • Oui il y a des pays où on n’a pas envie de vivre et pourtant ce sont de beaux pays. Il existe beaucoup de romans et j’en ai lu quelques uns mais pas celui dont vous parler qui m’aurait sans doute amusée.

  7. Ma lecture était aussi en Iran, mais avec moins de succès que toi

  8. J’ai déjà pas mal lu sur l’Iran, mais finalement, on n’oublie pas mal de nos lectures et toutes cette histoire iranienne reste floue… Aussi, une piqure de rappel avec ce roman qui semble bien chouette ne serait pas de refus !

  9. Je connais surtout cette période grâce à Persépolis à vrai dire. M’y replonger sera bien utile et le fait qu’une histoire personnelle soit liée à la grande Histoire m’attire.

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